Chapitre 7: Jalousie
Les deux adolescents n'avaient pas osé ressortir depuis leur dernière tentative, quatre jours plus tôt. Ils profitèrent d'un jour où ils étaient seuls pour tenter à nouveau leur chance.
Il fallait simplement qu'ils se rappellent d'être de retour lorsque Hopper rentrerait du travail mais ce ne serait pas très compliqué. Le policier finissait assez tard depuis quelques jours. Douze voyait bien que les absences prolongées de leur tuteur énervaient son amie mais il ne pouvait malheureusement rien y faire.
Comme à chacune de leurs sorties, leur première étape consistait à aller voir Mike. Sous l'abri qu'il leur avait installé sous son bureau, le garçon manipulait son talkie-walkie et semblait parler mais les deux amis ne pouvaient pas entendre ce qu'il disait.
Lorsque Mike sortit de chez lui, ils se remirent en route. Ils n'avaient jamais d'itinéraire pré-établi, allant la où leurs pas les menaient. Cette fois, leurs jambes conduisirent les deux adolescents jusqu'à la salle d'arcade où, à leur grande surprise, se trouvaient Mike et ses amis. Ils observaient le quatuor à travers la vitre lorsqu'ils virent Will se retourner et fixer le vide.
Cela dura quelques secondes puis Mike l'appela et il revint vers ses amis, sous les yeux intrigués des deux espions en herbe. Douze se demandait ce qu'il venait de se passer. Le jeune Byers avait-il gardé des séquelles des quelques jours qu'il avait passés de l'autre côté ?
Cela lui paraissait improbable, sachant que lui-même en était sorti sans effets secondaires mais les circonstances étaient différentes. Tout d'abord parce que, contrairement à Will, il n'était que quelques minutes tout au plus, dans le monde à l'envers.
De là où ils étaient, les deux amis ne pouvaient voir à quel jeu jouaient les quatre garçons. Ce ne fut que lorsqu'ils repartirent qu'ils passèrent devant la borne d'arcade et purent lire le nom inscrit dessus: Dig Dug. Ils avaient aussi une vue directe sur le tableau des scores. Un nom inconnu était en tête, détrônant Dustin qui, jusque là, détenait le meilleur score : MADMAX.
Douze se demandait de qui il pouvait s'agir, tout en sachant qu'il n'aurait probablement aucune chance de le découvrir tant qu'ils n'auraient pas le droit de se montrer. Avant de s'enfuir du laboratoire, le garçon ne s'était jamais demandé ce que cela faisait d'avoir une vie normale. D'avoir des amis avec qui il pourrait sortir, des parents pour veiller sur lui…
Mais depuis qu'il avait découvert le monde extérieur, et en particulier depuis qu'il vivait avec Hopper, il se posait souvent la question. Pour ce qui était d'avoir une famille, Onze était probablement ce qui s'en rapprochait le plus, compte tenu de leur passé commun. Il savait qu'elle était la seule à pouvoir réellement le comprendre, et il espérait que la réciproque était vraie. En revanche, n'ayant pas d'autre point de comparaison, il ne savait pas encore s'il pouvait considérer le policier comme une figure parentale.
La seule chose dont Douze était sûr, c'était qu'il lui serait à jamais reconnaissant de les avoir recueillis.
Il fut tiré de ses réflexions par la main de Onze sur son épaule. Surpris, il se tourna vers elle. La jeune fille lui dit :
— On devrait y aller…
Harry jeta un coup d'œil à la montre qu'il avait au poignet et qui affichait dix-sept heures. Il était étonné : perdu comme il l'était dans ses pensées, il n'avait pas vu défiler les heures. S'ils espéraient être revenus quand Hopper rentrerait du travail, il fallait qu'ils se mettent en route tout de suite.
Lorsqu'ils arrivèrent à destination, près d'une demi-heure plus tard, il fut soulagé de constater que la voiture du chef de la police était absente. Les deux adolescents attendirent jusqu'à tard dans la soirée mais, ne le voyant pas arriver, finirent par manger sans lui.
Il était plus de vingt et une heure quand, enfin, Douze entendit la voiture de leur tuteur se garer devant la petite maison. Lorsque la porte s'ouvrit, le garçon jeta un coup d'œil à son amie, qui avait fini par s'endormir, puis reporta son regard sur Hopper.
Le garçon dit à voix basse, pour ne pas réveiller sa voisine :
— Où étais-tu ? On t'a attendu toute la soirée !
L'adulte eut au moins le mérite d'avoir l'air penaud puis finit par dire :
— J'ai été très occupé toute la journée, je n'ai pas vu l'heure.
Hopper ajouta :
— La prochaine fois, je trouverais un moyen de vous prévenir. Promis.
Le plus jeune acquiesça, puis aida l'adulte à débarrasser les vestiges de leur repas. L'adulte vit un reste de gaufre à moitié mangé et le montra au garçon en disant gentiment :
— Je croyais avoir déjà dit que le dessert venait en fin de repas ?
Douze répondit :
— Je ferai passer le message.
Deux jours s'écoulèrent sans incident. Le matin d'Halloween, Hopper prépara le petit-déjeuner pour eux trois.
Douze fut le premier à se lever, réveillé par les odeurs qui émanaient de la cuisine. Il venait de commencer à déjeuner lorsque son amie arriva à son tour. Le garçon manqua de s'étouffer en la voyant sortir de leur chambre sous un drap dans lequel deux trous avaient été percés.
Sous les yeux attentifs de son ami, la jeune fille demanda à Hopper s'ils pouvaient faire quelque chose pour Halloween, mais ce dernier refusa catégoriquement. La plus jeune insista :
— S'il te plaît ! Je me ferais pas remarquer, avec le drap !
Douze pensait au contraire que c'était le meilleur moyen pour que les gens la remarque mais n'osa pas le dire. Toutefois, Hopper sembla d'accord avec lui puisqu'il trancha :
— Non. C'est trop dangereux.
Après un moment de réflexion, il s'adressa aux deux enfants :
— Mais si vous voulez, je pourrais passer acheter des bonbons après le travail et on regardera des films d'horreur ce soir ?
Douze répondit, enthousiaste :
—Je suis partant !
L'adulte demanda à la jeune fille :
— Et toi, Onze ? Ça te va comme programme ?
Elle accepta d'une petite voix.
Hopper partit ensuite au travail, les laissant seuls comme à son habitude. Dans la journée, alors qu'ils étaient en train de regarder la télé, leur attention fut attirée par un bruit venu de l'extérieur.
Ils s'approchèrent de la fenêtre pour voir ce qu'il se passait. Douze avait peur que quelqu'un ait trouvé la cabane. Le sort que Dumbledore avait lancé en janvier était toujours actif mais ils n'étaient pas à l'abri qu'une autre personne qu'eux connaisse l'existence de l'endroit. Il fut soulagé de constater qu'il ne s'agissait que d'un écureuil.
En revanche, en voyant l'animal, son amie eut le regard dans le vide pendant quelques secondes. Il s'inquiéta : cela lui rappelait la crise d'angoisse qu'elle avait l'année précédente. Heureusement, cette fois, ça ne dégénéra pas.
Lorsqu'il l'interrogea à ce sujet, Onze lui raconta le souvenir qu'elle venait de revivre.
Il était tard ce soir-là, lorsque le code qu'ils avaient mis en place retentit contre la porte. Onze étant enfermée dans leur chambre, ce fut Douze qui alla ouvrir.
Il dit à Hopper :
— Tu es en retard.
— Je sais… Je suis désolé.
Il demanda ensuite :
— Où est Onze ?
— Dans notre chambre. Tu veux que j'aille la chercher ?
— Oui, s'il te plaît.
Le garçon ouvrit la porte de la chambre qu'il partageait avec son amie. Il eut la surprise de trouver la jeune fille assise en tailleurs, un talkie-walkie posé devant elle. En s'approchant, il vit qu'elle avait un bandeau sur les yeux.
Il comprit qu'elle était dans l'espace vide qu'il avait déjà visité. Il était en train de se demander ce qu'elle y faisait lorsqu'il la vit se lever et retirer le bandeau. Elle se retourna et ce fut à ce moment là qu'il remarqua ce qu'il n'avait pas vu quand elle était de dos : elle pleurait.
Il en fut surpris car il ne se souvenait pas de l'avoir déjà vu le faire. Douze n'eut pas le temps de comprendre ce qui lui arrivait que son amie fondit sur lui et se jeta dans ses bras.
Il tenta d'abord de la calmer puis lui demanda ce qu'il se passait. À travers ses larmes, elle lui expliqua qu'elle avait tenté de communiquer avec Mike mais n'y était pas parvenue. Bien qu'il sache qu'il n'était pas réellement responsable, Douze ne pouvait s'empêcher d'être légèrement en colère contre Mike. Tout en étant conscient que ce n'était pas de la faute de leur ami s'ils ne pouvaient pas se montrer, il lui en voulait d'avoir fait pleurer sa sœur.
De l'autre côté de la porte, Hopper s'inquiéta de ne pas les voir revenir. Il frappa et demanda :
— Les enfants ? Tout va bien ?
Douze répondit :
— Oui, on arrive.
Et effectivement, quelques minutes plus tard, les deux adolescents revinrent dans le salon. S'il remarqua que la jeune fille avait pleuré, Hopper n'en montra rien. Il se tourna vers elle et lui dit :
— Je suis désolé d'être rentré aussi tard…
Elle répliqua d'un ton sec :
— Tu es toujours en retard.
— Je sais. Je suis désolé, je promet de faire un effort à l'avenir.
— Vraiment ? lui demanda-t-elle, méfiante.
— Vraiment.
Même s'il était presque vingt-trois heures, ils purent quand même faire une partie de ce qu'ils avaient prévu à l'origine, puisque Hopper avait acheté un gros paquet de bonbons.
Ils finirent par s'endormir dans le salon. Les deux plus jeunes étaient entassés l'un sur l'autre dans le canapé et Hopper était affalé sur un fauteuil.
Le lendemain, le réveil fut difficile. Douze fut le premier à émerger et il était déjà plus de neuf heures lorsqu'il ouvrit les yeux. Il s'empressa de secouer Hopper, qui était en retard au travail.
Le policier grogna, appréciant peu ce réveil un peu trop matinal à son goût. Mais le plus jeune persista :
— Il est 9h30 ! T'es en retard !
Ce furent ces mots qui réveillèrent le policier. Il sauta littéralement dans son uniforme, souhaita une bonne journée aux enfants et partit.
Cette fois, le chef de la police leur fit la surprise de revenir déjeuner avec eux le midi. Malheureusement, le repas tourna à la dispute entre Onze et Hopper. Douze ne sut plus où se mettre. La jeune fille reprocha au policier de ne pas tenir ses promesses : à chaque fois qu'elle demandait à sortir de la cabane, il répondait « bientôt » mais cela n'arrivait jamais.
Le garçon fut soulagé lorsque l'adulte repartit au travail. Il tenta, tant bien que mal, de calmer son amie mais ce fut sans grand succès.
Une fois de retour dans leur chambre, la jeune fille raconta à son ami ce qu'il s'était passé de son côté durant les quelques semaines qu'elle avait passées en forêt.
Un peu plus tard dans l'après-midi, les deux enfants allèrent en ville. Douze voyait que son amie était toujours en colère contre Hopper et, ne voulant pas la contrarier davantage, il céda lorsqu'elle lui demanda de sortir sans se rendre invisible.
Quand elle prit la direction du collège, il la suivit en se demandant ce qu'elle avait en tête. Il lui emboîta le pas dans les couloirs et compris lorsqu'il vit, à travers la vitre du gymnase, Mike. Une fille aux cheveux roux lui tournait autour - littéralement - sur une planche avec des roues.
Douze n'eut pas le temps d'anticiper la réaction de son amie, qui utilisa ses pouvoirs pour faire tomber l'autre fille. Mike tourna aussitôt la tête vers l'endroit où ils se trouvaient et Douze agit sans réfléchir, par automatisme.
Il appliqua son pouvoir d'invisibilité et attrapa son ami par le bras puis ils partirent en courant. Il entendit des pas derrière et supposa que Mike avait eu des soupçons quant à leur présence mais ne prit pas le risque de se retourner pour le vérifier.
Les deux amis ne redevinrent visibles que lorsque Douze estima qu'ils ne risquaient plus rien. Il se tourna ensuite vers son amie et lui demanda :
— Bon sang mais qu'est-ce qui t'a pris !? Tu aurais pu blesser cette fille !
Ce qui l'énervait le plus n'était pas le fait que son amie ait cédé à un accès de colère - il pouvait comprendre cela - mais qu'elle ait clairement agi sans penser aux conséquences. Il continua sur sa lancée, sur un ton plus calme :
— Et pourquoi tu t'en est pris à quelqu'un qui ne t'avait rien fait ?
Onze marmonna quelque chose qu'il ne comprit pas. Il lui dit :
— Tu peux répéter ? Je n'ai pas entendu ce que tu as dit.
— Elle était avec Mike… répondit-elle d'une petite voix.
Douze marqua un temps d'arrêt. Il avait du mal à croire ce qu'il entendait. Il interrogea son amie :
— Tu es… jalouse ?
— Non !
Une fois que la tension fut redescendue et qu'ils furent tous les deux calmés, ils détournèrent la conversation vers des sujets moins glissants.
Ils ne savaient pas, à ce moment-là, que quelqu'un les avait vus traverser le parc pour se rendre en ville.
Le garçon remit son pouvoir puis ils se promenèrent encore un moment. L'après-midi touchait à sa fin quand ils décidèrent qu'il était temps de rentrer.
Douze sut qu'ils allaient avoir de très gros ennuis lorsqu'il vit, en arrivant devant la cabane, que la voiture de Hopper était déjà là.
Effectivement, lorsqu'ils passèrent la porte, le policier les attendait de pied ferme et il avait l'air furieux.
