Chapitre 2 : Le Sauveur

Quelque chose n'allait pas.

Naegi n'entendait rien d'étrange et il n'avait mal nulle part, mais il lui vint à l'esprit que c'était précisément cela qui était bizarre. D'ordinaire, il se réveillait en trouvant ses muscles moulus d'une fatigue née de l'effort et du manque de nourriture. Encore plus étrange : ses douleurs causées par la faim étaient relativement modérées. Il se souvenait de leur dernier repas, et il n'avait pas été copieux.

« Hé, tu es réveillé? »

Naegi se figea. Il ne connaissait pas cette voix. Il dut cligner des yeux à plusieurs reprises pour chasser la crasse de ses yeux et pouvoir voir quelque chose. Au-dessus de lui, quelqu'un le regardait ; un garçon pâle et maigre aux cheveux blancs désordonnés et portant un sweat à capuche vert que Naegi admira instantanément. L'inconnu semblait avoir à peu près son âge, et il lui souriait comme s'ils se connaissaient depuis des années.

« Comment tu te sens ? demanda l'inconnu. Si tu as encore besoin de dormir, je vais me taire.

-Non, j... je vais bien. » Le tremblement de sa voix le surprit. Il avait cru qu'il allait bien, mais maintenant qu'il tentait de tourner la tête, son corps semblait faible et lourd. C'était comme s'il venait d'escalader une montagne, sauf que son cerveau était incapable d'enregistrer la sensation physique d'épuisement.

Alors qu'il reposait ainsi, il aperçut, au-delà du visage de l'inconnu, un fond noir. Était-ce... un plafond? Un plafond intact, en plus ?

Qu'est-ce qu'il s'était passé ?

« Où suis-je ? » demanda Naegi.

L'inconnu lui sourit avec douceur. « Dans un endroit sûr. »

Il n'enregistra pas immédiatement la réponse. Une vague inattendue de somnolence avait failli forcer ses yeux à se refermer. Avec la seule force de sa volonté, Naegi résista, tendant son corps pour tenter de rassembler son énergie. Ce fut seulement ensuite qu'il parvint à se concentrer sur ce que l'inconnu avait dit.

Sûr... Il avait toujours su que ses amis et lui trouveraient un tel lieu, mais il n'avait pas imaginé que ça se déroulerait de cette manière. Il tenta de se redresser pour regarder autour de lui, mais le lit – oh, il était dans un lit – était plus mou que ce à quoi il s'était attendu. Ses bras s'enfoncèrent dans le matelas. Cet inconnu l'avait-il amené ici et placé dans ce lit ?

Cette fois, il réussit à tourner la tête et découvrit le reste de la silhouette de l'inconnu. Au premier abord, il avait noté que l'étranger était maigre. Cependant, après avoir vu davantage que sa tête, Naegi avait à revoir sa première impression. L'inconnu était plus que maigre ; Naegi était plutôt certain que la clavicule ne devrait pas ressortir autant. La chemise sous le sweat vert de l'inconnu pendait tristement sur sa silhouette. Ces deux choses ajoutées à la pâleur de l'étranger le rendaient plutôt maladif aux yeux peu expérimentés de Naegi. Peut-être que lui aussi avait de la peine à trouver de la nourriture.

C'était d'autant plus admirable que cette personne ait apparemment aidé à les sauver, ses amis et lui. Naegi dit : « Je ne sais pas si tu es celui qui m'a sauvé, mais merci. Je m'appelle Naegi Makoto.

-Je sais. Nous avons tous vu l'émission. » L'inconnu ferma les yeux, son visage prenant une expression approchant la béatitude. « C'était inspirant. »

... Ce n'était pas le mot qu'il aurait utilisé, mais l'inconnu devait avoir de bonnes intentions.

« Comment tu t'appelles ?

-Comment je m'appelle ? répéta l'inconnu avec incertitude, prononçant la phrase comme s'il s'agissait d'une autre langue. Tu n'as pas besoin de t'embarrasser de ce genre de choses. »

Quoi? Ça n'avait aucun sens. « Bien sûr que si. Ce serait plutôt malpoli si je t'appelais "ce type" ou quelque chose comme ça.

-Tu peux m'appeler comme tu veux, Naegi-kun, dit l'étranger avec désinvolture. Cependant, si tu veux vraiment savoir, je m'appelle Komaeda Nagito. »

Naegi lui sourit. « Ravi de faire ta connaissance, Komaeda-kun. »

Peu après, cependant, son sourire s'effaça. Naegi était raisonnablement certain qu'il n'était pas blessé et Komaeda avait l'air gentil, mais il n'y avait qu'eux deux dans cette chambre... Cette chambre qui ressemblait étrangement à son vieux dortoir à l'Académie Hope's Peak. S'il n'y avait pas eu l'absence de fenêtres et de caméras en évidence, il aurait pu croire y être revenu.

Il n'aimait pas ça.

Ce n'était cependant pas le plus important. Le plus gros problème était qu'il n'y avait que Komaeda et lui, et pas un seul signe de ses amis.

« Komaeda-kun, est-ce que mes amis vont bien ? Ils devaient être avec moi quand... »

Maintenant qu'il y pensait, comment était-il arrivé ici ? Il se souvenait d'avoir quitté Hope's Peak avec les autres, et d'avoir passé des jours à naviguer au sein du dédale de décombres qui avait jadis été une cité. Pourtant, il ne parvenait pas à se rappeler avoir croisé Komaeda ou quelqu'un d'autre qui soit amical. Il ne se rappelait certainement pas avoir accepté d'aller où que ce soit avec des inconnus. Sans aucun doute, s'il avait été en train de dormir quand ses amis en discutaient, Kirigiri ou Asahina l'aurait réveillé.

La dernière chose dont il se souvenait... n'avait-il pas été en train de parler avec Hagakure ?

« Je ne sais pas ce qu'ils sont en train de faire, dit Komaeda, mais si quelque chose était arrivé à l'un d'entre eux, je suis sûr que tout le monde serait déjà au courant. Ils ne sont certainement pas morts si c'est ce que tu penses. »

Cela ne lui était même pas venu à l'esprit. Il avait juste supposé qu'ils étaient vivants. Peut-être blessés, mais bien évidemment vivants. Il avait supposé que tout allait s'arranger...

Tout comme tu as pu empêcher tes amis de s'entre-tuer, n'est-ce pas?

Il sut que sa panique soudaine était visible. Il se retourna aussitôt pour la dissimuler. Ils... non... c'était différent. Il avait confiance en eux – ok, ça, ça n'avait rien de différent – mais ses amis se faisaient aussi confiance les uns les autres (même Togami, même s'il ne l'admettrait jamais) et c'était pourquoi il pouvait être confiant cette fois.

« Ça va, Naegi-kun? »

Oui. Il se retourna. « Oui, je vais bien. Mais, euh, Komaeda-kun, où sont mes amis? »

Le corps de Komaeda s'immobilisa. Ça ne faisait pas naturel. On aurait dit une vidéo accidentellement mise sur pause. « Ah, désolé, Naegi-kun.

-Tu ne sais pas?

-Je suis resté dans cette pièce jusqu'à ton réveil, donc je ne suis pas au courant des dernières nouvelles. C'est pas comme s'ils pensaient que j'avais besoin de rester informé, de toute manière...

-C'est bon, Komaeda-kun ! lâcha rapidement Naegi, n'appréciant pas l'autodérision dans le ton de l'autre garçon. C'était très gentil de ta part d'attendre que je me réveille. J'aurais probablement paniqué si je m'étais réveillé tout seul, donc merci. »

Komaeda lui lança un regard curieux, comme si Naegi était une énigme qu'il ne parvenait pas à résoudre. « Si tu le dis. Mais pas besoin de continuer à me remercier. Ou de me remercier tout court. »

Avant que Naegi ait pu répondre, Komaeda se leva et dit: « Si tu es sûr que ça va, je vais aller me renseigner, voir si quelqu'un sait quelque chose.

-Merci. » Avec la promesse de Komaeda, les inquiétudes de Naegi se dissipèrent. Il était sûr que Komaeda s'occuperait de tout. Il lui adressa un signe de la main alors que le garçon aux cheveux blancs se dirigeait vers la porte.

La porte se referma, et Komaeda disparut.

Il était temps d'enquêter.

La première fois qu'il se redressa en position assise, la pièce bascula à un angle insupportable. Il dut se rallonger et fermer les yeux jusqu'à ce que sa tête cesse de le marteler. Il devait avoir bougé trop vite. La fois suivante, il s'assit lentement, utilisant le cadre du lit pour se soutenir.

Le tapis était froid sous ses pieds nus. C'était uniquement maintenant qu'il se rendait compte qu'il ne portait ni chaussure ni chaussette. Il s'examina rapidement. Le reste de ses vêtements étaient les mêmes qu'il se souvenait avoir porté en dernier. Cela dit, ils étaient froissés et avaient grand besoin d'un bon lavage (quelqu'un avait pensé à laisser des vêtements de rechange sur une table). Il savait qu'il avait lui aussi besoin d'un bain ; il n'avait pas été facile de trouver des douches à l'extérieur de l'académie.

Il examina la chambre. Même si les couleurs n'étaient pas exactes, il était clair que quelqu'un avait fait beaucoup d'efforts pour la modeler d'après son dortoir. S'il avait à deviner, il dirait qu'ils l'avaient décorée ainsi pour qu'elle lui soit familière... il aurait préféré qu'ils n'en fassent rien. Plus il pensait à son ancienne chambre, plus les murs de sa nouvelle semblaient se refermer sur lui pour le piéger à l'intérieur. Il se réconforta en pensant aux différences : le papier peint était plus d'un rose violacé ; la chambre n'avait pas de sortie en forme d'alcôve ; le mobilier était du même genre et en même quantité, mais n'était certainement pas de la même marque.

Il y avait deux portes qui menaient hors de la chambre. L'une, la porte par laquelle avait disparu Komaeda, était située directement en face de lui et du lit. L'autre porte se trouvait sur le mur à sa gauche.

Il décida de jeter un coup d'œil par cette porte, et fut immédiatement content de sa décision. Quiconque avait aménagé cette pièce avait pu apporter du mobilier semblable à celui qu'ils avaient à Hope's Peak, mais il n'avait pas été capable de changer la plomberie. Il aperçut une baignoire surplombée d'un pommeau de douche, séparés du reste de la salle de bain par un rideau translucide. Les toilettes et le lavabo étaient complètement ordinaires. C'était un contraste marquant avec la salle de bain de Hope's Peak, et il appréciait ça.

Même le court trajet jusqu'aux toilettes lui donna envie de s'asseoir (il n'avait aucune idée de la raison pour laquelle il était aussi fatigué). Il s'appuya contre le lavabo et remonta ses manches. Durant ses jours passés dans les ruines, sa malchance avait été déterminée à compenser pour l'avoir laissé s'échapper du Killing Game. Il avait récolté une jolie collection de petites coupures et blessures.

Étonnement – enfin, ce n'était plus vraiment une surprise – il semblait qu'elles avaient été nettoyées. Il ne dirait pas que c'était du travail professionnel, mais ça avait l'air plus soigné et compétent que ce qu'Asahina avait été capable de réussir. Non pas qu'il se plaignait de son travail. Elle avait fait de son mieux avec le maigre équipement qu'ils possédaient.

L'eau devint brièvement marron quand il se lava les mains. Il attrapa une serviette et nettoya également son visage. Malheureusement, l'état de ses cheveux n'allait pas s'améliorer avec seulement de l'eau. Il songea à prendre une douche, surtout quand il regarda son reflet, mais il ne voulait pas que Komaeda l'attende s'il revenait pendant ce temps. Et puis, il avait déjà passé des jours avec ces mêmes vêtements. Une autre heure ou deux ne le tueraient pas.

Conscient d'à quel point il était sale, Naegi était maintenant réticent à toucher le moindre meuble. Il se tint avec gêne au milieu de la chambre, roulant ses orteils dans le tapis bleu. Il n'y avait pas de pendule dans la pièce, si bien qu'il n'avait pas la moindre idée de la durée écoulée depuis que Komaeda était parti. Il ne savait même pas si c'était le jour.

Le temps passa. Il s'appuya contre le bureau pour se soutenir. Il s'ennuyait. Il pensa à ses amis, pensées légères et tranquilles. Il pariait que Kirigiri avait déjà découvert exactement où ils étaient et qui étaient ces gens. Togami avait probablement harcelé quelqu'un pour obtenir toutes les réponses. Il n'était pas sûr de ce qu'Asahina et Fukawa faisaient, mais il savait qu'elles seraient soulagées d'être enfin sorties des décombres. Et Hagakure était sans doute encore endormi.

Au bout d'un moment, ses pensées se tarirent. Komaeda n'était toujours pas revenu. Il se balança d'avant en arrière sur ses talons, fixant la porte de la chambre.

Bah, du moment qu'il n'allait nulle part, regarder à l'extérieur ne pourrait pas faire de mal. Il se dirigea vers la porte et tourna la poignée...

Verrouillée.

Il s'immobilisa, confus. Il tenta à nouveau, juste pour être sûr. Effectivement, la poignée cliqueta et refusa de tourner. Il ne semblait pas y avoir de verrou qu'il puisse ouvrir. La porte devait avoir été verrouillée de l'autre côté.

Je suppose qu'il avait peur que je me perde. Ou il a oublié que la porte était fermée. C'était... bizarre. Mais Komaeda ne lui avait pas donné de raison de s'inquiéter pour l'instant, et Naegi lui faisait confiance. Il devait y avoir une bonne raison.

Cela dit, il n'avait désormais plus rien à faire. Naegi baissa les yeux sur ses vêtements sales, regarda la chambre propre, puis soupira et tira la chaise du bureau. Il espérait que quiconque avait nettoyé cet endroit lui pardonnerait.