Chapitre 53: amour romantique et ruminations

Il y avait des jours comme ça ou je n'avais pas envie d'écrire pour relater des faits, mais plutôt pour écrire mes états d'âme. Peut-être que notre dernière relation sexuelle aurait mérité un chapitre avec son côté empreint de jeu, de morsure et de contrôle. Peut-être que notre dernière rencontre aurait aussi mérité son chapitre avec une cuddle-date qui nous avait permis de discuter et un avant-midi où nous étions allés glisser avec les enfants. Mais mes réflexions allaient dans tous les sens; je n'aurai pas su comment les relater adéquatement.

La veille, nous avions décidé que nous irions glisser avec les enfants. Normalement, je n'allais jamais avec ma plus jeune puisqu'il aurait fallu la trainer pour toute la remontée et je n'aurais pas pu faire plus de 2 ou 3 montées, mais Mage accepta de la faire. Après tout, il adore tout ce qui était de l'ordre du sport et remonter un enfant de 35 livres dans la neige, c'était certainement un sport. J'étais à la fois vraiment contente pour mes enfants – et pour moi – de faire cette activité, mais, en même temps, ça me montrait qu'il y a des choses que mes enfants n'avaient pas parce qu'ils n'avaient pas de père. Mon grand n'était jamais allé glisser lors de son 2e hiver, mais peut-être qu'il y serait allé s'il avait eu un père. Ma fille n'était jamais allée glisser et, si ça n'avait pas été de Mage, elle n'y serait pas allée avant l'an suivant, mais peut-être qu'elle y serait aller si elle avait eu un père. C'était rare que je trouvasse qu'il leur « manquait » quelque chose, mais dans cette activité je constatais tout ce que je ne pouvais pas faire pour eux.

J'aurais eu beau essayer du mieux que je pouvais, aller glisser seul avec les 2 était pratiquement impossible. Qui plus est, je voyais bien que je n'essayais pas beaucoup : ma vie était tellement vide d'effort. En fait, j'étais juste simplement tout le temps fatigué alors, je ne faisais plus d'effort. J'avais rhume après rhume et je ne faisais que dormir. Quand le rhume finissait, j'avais une journée ou soudainement je pouvais recommencer à vivre normalement, et le rhume suivant reprenait. Je me demandais vraiment comment je ferais quand j'allais devoir recommencer à travailler.

Tout était stressant : cette idée de recommencer à travailler, l'idée de ne pas être une bonne mère pour mes enfants, l'idée de ne pas être assez présente ou de ne pas pouvoir faire les mêmes activités que les autres enfants. Mais tout cela était mon choix : c'était mon choix d'avoir eu deux enfants et je ne pourrais jamais le regretter, mais j'espérais vraiment que mes enfants n'en seraient jamais tristes non plus.

Dans cette activité avec Mage, j'avais pu entrevoir la raison pour laquelle les gens voulaient avoir des enfants avec quelqu'un. Je pouvais en voir tous les avantages, mais je n'aurais pas eu la tolérance d'habiter avec quelqu'un ou de devoir prendre les décisions concernant mes enfants avec quelqu'un.

En le regardant jouer avec mes enfants, j'eus également un aperçu de ce que les gens appellent un amour romantique, j'imagine. Ce concept m'était toujours inconnu et étrange, mais, en le voyant jouer avec mes enfants, je me dis qu'il y avait en la beauté de ce moment quelque chose de particulier. J'avais toujours dit que je ne voulais pas trouver ce que ma mère aurait appelé le « prince charmant qui m'aime plus que tout » parce que, pour moi, les plus belles personnes étaient celles qui aimaient mes enfants plus que tout. Cela aurait été franchement impossible alors d'être en amour avec quelqu'un qui m'aime plus que tout. De toute manière : quel concept étrange « aimer plus que tout ». Je trouvais que ce concept ne pouvait s'appliquer qu'à mes enfants.

Malgré toutes ces réflexions, je me demandais parfois si c'était simplement que je ne savais pas reconnaitre l'amour romantique. Était-ce simplement qu'il avait été présent depuis le début et que je ne le reconnais pas? S'était-il développé sans que je m'en rendre compte? Il y avait en une partie de moi qui trouvait que cela sonnait faux quand je disais que je ne ressentais pas d'amour romantique pour Mage, mais en même temps, toute ma rationalité n'en venait pas à trouver où et comment il serait caché. Je me demandais parfois si j'avais peut-être simplement peur de la chose, mais il n'y avait aucune raison d'avoir peur; cela ne changerait rien. En fait, à la limite ça aurait été positif de ressentir un amour romantique envers lui puisque j'aurais pu arrêter tous ces questionnements.

J'avais essayé de me dire dans ma tête que je l'aimais d'un amour romantique pour voir si cela allait sonner faux et ça sonnait faux x1000. C'était le plus grand des mensonges, mais à la fois il y avait quelque chose qui résonnait en moi. Évidemment il avait une grande place dans ma vie, mais je ne pouvais toujours pas dire que c'était un amour romantique. En même temps, je me demandais si j'intégrais trop de stéréotypes. Déjà le fait que je ne voulais ni habiter avec quelqu'un ni avoir des enfants avec quelqu'un mettait un frein à cette idée d'amour romantique; mais ce genre d'amour ne prenait pas racine dans les plans de vie. Je trouvais cela difficile de faire la distinction entre l'amour romantique que les gens disaient ressentir et leur volonté d'adhérer à une vie de couple « socialement normée ».

En même temps, je me demandais parfois si je craignais de ressentir un amour romantique de peur de vouloir cette vie de couple normée où je vivrais avec quelqu'un et où j'aurais des enfants avec quelqu'un. Si je me demandais parfois s'il était possible que je ressente un amour romantique pour Mage, aucun doute n'était possible quant à la vie de couple normée : cela ne m'intéressait pas. En fait, j'aurais bien voulu la vouloir cette vie! Ça semblait si simple d'être 2 avec des enfants, une maison et tout, mais je ne pouvais pas. Je ne pouvais même pas commencer à m'imaginer une personne avec qui je pourrais habiter. Même Mage que j'adorais tant n'entrait pas dans cette catégorie de « personne avec qui je habiter », seuls mes enfants y avaient une place.

J'imagine qu'avec cette crainte d'amour romantique venait aussi une crainte de la monogamie : est-pourraitce qu'un jour je réaliserais que j'étais profondément monogame et que je ne voulais pas fréquenter quelqu'un de polyam? Parfois, le simple fait d'énoncer une question suffisait à créer la crainte. Cette question était différente de celle sur l'amour romantique parce sa réponse avait des répercussions sur ma vie. Elle était différente aussi de la question « est-ce que je veux une vie de couple normée » puisque cette question était d'une inutilité incroyable puisque la réponse était une ferme non.

Bien que pour le moment ma réponse à cette idée d'être dans une relation monogame était un ferme « non », j'envisageais que ça pourrait un jour changer. Je savais très bien que, à ce moment de ma vie, je pouvais sans problème être dans une relation monogame ou polyam. Alors, est-ce qu'à un moment dans ma vie je tiendrais à être dans une relation polyam ou monogame? Je ne pouvais pas trop dire. Ce que je pouvais dire par contre c'était que tant que j'aurais Mage dans ma vie, j'aurais des relations polyam de par la nature de notre relation.

En même temps, parfois je me demandais si mon aisance d'être dans une relation polyam provenait d'insécurités personnelles qui seraient alors plutôt en train de teinter négativement toute ma vie. Est-ce que j'étais vraiment contente pour Mage qu'il puisse voir toutes les personnes qu'il désirait et qu'il puisse profiter du meilleur de chaque personne? Est-ce que ce n'était pas plutôt que j'avais toujours l'impression de ne pas être « assez » dans toutes les sphères de ma vie et alors que je ne voulais pas imposer ma « présence unique » à qui que ce soit? Je crois en quelque part que la réponse à ces deux questions était oui, ce qui rendait la distinction entre polyam et insécurités très complexes.

J'étais toujours contente pour Mage qu'il puisse passer du temps avec des personnes qu'il aimait ou même des personnes qu'il n'aimait pas nécessairement, mais avec qui il avait du plaisir (ce qui était en concordance avec le polyam). En même temps, c'était vrai que j'avais toujours l'impression de ne pas être assez et le faire qu'il voyait d'autres gens était rassurant à cet égard (insécurités nuisibles). En même temps, même en sachant qu'il fréquentait d'autres gens, ces insécurités ne partaient jamais vraiment (alors il devait bien y avoir une partie de cela qui était bien indépendante de la monogamie ou polyamour). En même temps, si je me demandais « voudrais-je une relation monogame »? Ma réponse n'était pas « non », mais plutôt « non, parce que » : non parce que c'est trop stressant, non parce que je ne veux pas devoir être « la seule personne pour quelqu'un », non parce qu'évidemment je suis parfaitement bien dans une relation avec quelqu'un de polyam. Est-ce que dans ces « non, parce que », il y avait un problème? J'avais l'impression que poser la question c'était y répondre. C'était comme si je sentais un problème que je ne pouvais pas nommer.

En quelque part, il y avait peut-être la peur de ne pas « choisir » de moi-même, mais de prendre le « par défaut de Mage ». Est-ce que j'avais l'impression que fréquenter quelqu'un de poly m'allait juste parce que c'était Mage? Est-ce que j'avais l'impression de ne pas ressentir d'amour romantique juste parce que c'était Mage? Mais la réponse allait toujours être à la fois oui et non. J'étais quelqu'un qui m'adaptait toujours à tout. Évidemment que lorsque quelqu'un m'intéressait, j'allais accorder mes volontés aux siennes. En même temps quelqu'un qui n'avait pas des volontés qui concordaient avec les miennes ne m'aurait jamais intéressé. Ce n'était pas comme si j'avais changé de volonté POUR lui, j'avais simplement ajusté mes volontés ou plutôt circonscrit mes volontés qui étaient en concordance avec les siennes.

Cette crainte prenait peut-être racine dans les relations de couple monogame toxique ou les personnes avaient tendance à tout choisir en fonction de l'autre, mais je n'avais jamais fait cela et je ne le ferais jamais. En quelque part, j'avais peur d'un jour de le faire sans m'en rendre compte. En quelque part, j'avais peur aussi de prendre une décision qui aurait un impact sur notre relation sans m'en rendre compte. En quelque part, j'avais qu'un jour il prenne une décision qui aurait un impact sur notre relation sans s'en rendre compte.

Un jour, il avait dit « je ne cherche rien de compliqué parce que ça n'a pas besoin d'être compliqué ». Clairement, il n'était pas dans ma tête! Tout était compliqué dans ma tête. Au début, j'étais stressé de savoir si on allait continuer à se voir ou non. À ce moment, j'étais stressé de ne pas être « assez ». C'était ce qui résumait le mieux mon état d'esprit.

Le plus gros problème était certainement que ce stress était plus grand que notre relation, j'étais stressé de ne pas être assez bien pour terminer mon doc, de ne pas être assez en forme pour assez lire, d'être trop fatigué, de ne pas être assez concentré pour rédiger quelque chose de solide, de ne pas être assez motivé pour faire mon analyse de données, de ne pas être assez dans les temps pour ma collecte de données, de ne pas être une assez bonne mère, de ne pas avoir assez de temps pour mes enfants, pour ma tante, pour Mage, de ne pas être une assez bonne fille pour que ma mère arrête de me chicaner à tout bout de champ, de ne pas profiter assez de la chance que j'ai d'avoir une grande maison pratiquement gratuitement, de ne pas assez travailler pour pouvoir dire que j'aurais pu l'acheter un jour, de ne pas faire assez d'argent pour dire que j'aurais pu habiter ailleurs si j'avais voulu, de ne pas être assez reconnaissante et de me taire simplement tout le temps avec ma mère pour qu'elle arrête d'être déçue, de ne simplement pas être assez travaillante, assez connaissant des normes sociales, assez adapté socialement, assez ouverte aux autres, assez assidue, assez heureux, assez consciente de la chance que j'ai d'avoir une vie aussi parfaite que la mienne. Je craignais simplement de ne pas être assez et rien ne pouvait, à ce moment, diminuer cette peur.

Le mieux que je pouvais faire c'était simplement de me rappeler de la chance que j'avais et d'aller dormir avec mes enfants. Leur présence ne pouvait pas enlever toutes ces craintes qui étaient en moi, mais, au moins, elle les recouvrait d'une couche d'amour inconditionnel.