Bonjour/Bonsoir à tous et bienvenue dans ce nouveau chapitre!

Il est arrivé plus vite que le dernier, et moins vite que j'aurais pensé, mais le voilà. Merci beaucoup à Lison Doute et à Tiph' pour leurs reviews :)
Gros trigger warning pour ce chapitre viol et suicide. Si vous en ressentez le besoin, évitez le texte entre les balises xx pour le viol. Ça ne nuira pas à vôtre compréhension de l'histoire (les description ne sont pas trop graphiques, mais on sait jamais).

Bref, j'attends vos retours avec impatience! Avant le prochain chapitre, je publierai un bonus sur "Plus de jamais plus", pensez à aller y faire un tour^^

Enjoy!
(et bon courage.. Niehehehehe)


« I can see my grin in the reflection of the blade
I feel confidence and joy 'cause the decision now is made
The steel is cold and brings a stream over my skin
Open up this empty shell and free the icebound soul within »*

-Orden Ogan, "Come with me to the other side"-

Le jeudi arrive vite, mais la journée s'écoule paradoxalement avec une lenteur immense. Les jours précédents, Ewald a saisi chaque occasion de me mettre en garde sur la dangerosité de nos plans, et nous avons travaillé à bien délimiter les contours des souvenirs verrouillés pour se préparer du mieux possible. Je suis tendue toute la journée, impatiente d'enfin savoir. Je vais voler un peu entre midi et deux avec Alphonse, dans l'espoir de me détendre, mais même lui remarque que tout n'est pas comme d'habitude. Heureusement, je parviens à détourner son attention. En soi, je pourrais lui dire quelque chose, peut-être, mais à quoi bon. Ça ne m'aiderait pas. Enfin, enfin, le cours de métamorphose arrive et passe à la vitesse d'un escargot arthritique. Dès que Mac Gonagall finit de nous donner les devoirs et je sors en trombe, sans même prendre le temps de saluer Scorpius qui a partagé sa paillasse avec moi.

Ewald m'attend en bas de la trappe qui mène à ma chambre. Il a ramené de quoi boire et grignoter, au cas où nous aurions besoin de forces après la séance. Nous nous asseyons confortablement, face à face, et sans attendre plus longtemps, nous formons notre lien. Nous savons tous les deux ce que nous avons à faire. J'enveloppe de ma conscience les souvenirs verrouillés, et je sens celle d'Ewald se mêler à la mienne, à un niveau très intime qui serait insupportable si nous n'étions pas parfaitement focalisés sur nôtre but. Lui aussi enveloppe le périmètre, et je le sens commencer à appliquer une pression sur celui-ci, de plus en plus forte. Je ne la ressens pas heureusement, mais je devine que c'est uniquement car la barrière qui verrouille mes souvenirs est un corps étranger à mon esprit. Finalement, je me joins d'instinct à ses efforts, comprenant intuitivement comment faire, aidée par nos consciences étroitement mêlées. Je force autant que je peux, et je sens Ewald m'accompagner, mais davantage en contrôle, je crois qu'il ne veut pas forcer plus que nécessaire pour ne pas risquer d'endommager mon esprit. Plutôt que de tout donner dans la bataille d'un coup comme moi, il y va progressivement mais fermement.

La pression s'intensifie de plus en plus, et je commence à peiner, même si il n'a dû s'écouler que quelques instants. Et tout d'un coup, la barrière cède, comme une coquille d'œuf qu'on aurait serrée dans nos mains et qui aurait volé en éclats. Nous sommes immédiatement submergés. Les souvenirs affluent, comme explosant dans mon esprit, et je sens qu'Ewald est emporté lui aussi. Je crois que je hurle. Des images s'imposent avec violence à ma conscience (à nos consciences?) sans que j'aie le moindre contrôle dessus. Et j'ai MAL.

Je suis dans un couloir de Poudlard, près de la grande salle. Un homme inconnu arrive dans l'autre sens, baguette à la main. Il sourit en me voyant, et dit « Bonjour, Aurore... ».

Je fais face au même homme, mais je suis beaucoup plus jeune. Nous nous tenons dans ma chambre dans la maison de mes parents. Il lance un sort dans ma direction, et des informations lumineuses sortent de sa baguette pour aller s'inscrire sur des rouleaux de parchemin étalés devant lui.

Je suis sur le toit de l'hôpital, dans le corps d'Aurore. Mon corps me brûle à cause du poison.Je raccroche mon téléphone. Je le pose sur le sol avec mes affaires et je me tiens au bord du vide, le corps convulsé par le poison. Je sens mes muscles former malgré tout un sourire amer, et je me laisse basculer en avant, bras écartés. Et, alors que je suis à mi-chemin du sol, ma chute s'arrête brutalement.

Je suis dans ma chambre d'enfant en Angleterre, à nouveau face au même homme. Je dois avoir quatre ou cinq ans, ma diction est encore imparfaite.

« Pourquoi moi ?

-Je m'étais installé à proximité de l'hôpital pour pouvoir mener mes expériences. C'est pratique un hôpital… Beaucoup de mourants, et à quelques étages d'écart tout un tas de naissances… J'avais posé des protections autour de mon laboratoire, évidemment, et à l'entrée de l'immeuble aussi. C'est comme ça que je t'ai détectée. Je t'ai légilimencée pour savoir ce que tu faisais là, et je n'allais pas refuser du matériel qui venait directement à moi.

Je ne sais même plus ce que je ressens, un mélange de colère et d'horreur, de révolte et d'une certaine dose de curiosité morbide, l'homme a l'air de bien vouloir satisfaire ma curiosité, je demande :

« Pourquoi ces gens là pour me servir de parents ? C'était un hasard, ça aussi ? »

L'homme hausse un sourcil.

« À moitié. Je les avais repérés, parce que c'était des compatriotes, et qu'il serait plus facile pour moi de surveiller les progrès de l'expérience sans avoir à voyager. Quand je t'ai eu à disposition, j'ai déclenché l'accouchement, de façon un peu prématurée, certes, mais ç'aurait dû être un enfant mort-né de toute façon. Il était… Incomplet. Son âme était si faible qu'elle était quasiment inexistante. Je pense que c'est l'une des raisons pour laquelle la greffe a bien pris, même si ça n'explique pas tout... »

La compréhension transperce mon esprit, enfin capable d'aligner une pensée cohérente. Je suis en vie à cause de cet homme ! Mais je ne peux pas réfléchir davantage, car le flot de souvenirs est encore trop intense, et je suis à nouveau ballottée par les flots de ma mémoire. Je peux sentir Ewald, emporté lui aussi, même si je sens qu'il essaye de canaliser ces souvenirs que je tente aussi, à grand-peine, de maîtriser. Voit il les mêmes choses que moi ?

Toujours le même homme. Cette fois-ci encore, je suis dans ma chambre d'enfant.

« À qui est cette baguette ? »

Il parle de la baguette du pédophile, que j'ai saisie dans un espoir vain de me défendre lorsque je me suis rendue compte que l'homme qui me faisait face était un sorcier. Il me l'a volée d'un simple expeliarmus. La colère bouillonne en moi, et j'ai du mal à me concentrer à cause de tous les souvenirs nouveaux soudains révélés par la levée du sort de mémoire dans ma tête. À chaque fois qu'il vient contrôler mes « progrès », il procède ainsi, je m'en souviens à présent. Il me rend mes souvenirs pour couper court à mes questions, et m'examine pendant que je suis sonnée, avant de repartir en verrouillant à nouveau mes souvenirs. Pourtant, si je pouvais me rappeler simplement de son existence, je saurais que je peux mettre fin à la mienne sans craindre de ressusciter encore…

« Très bien, autant ne pas perdre de temps. »

Je sais ce qu'il va faire. Il l'a déjà fait. Alors je me force à répondre, le plus vite possible :

« Elle est à moi ! »

Mais il est déjà trop tard. Il lance un legilimens, et je ne peux que projeter à la surface de mon esprit les réponses qu'il cherche, pour que ça dure moins longtemps. Pour protéger ce que je peux de mon intimité. Les quelques images que je lui montre ne lui suffisent pas, et il tire sur les souvenirs pour voir l'épisode du pédophile en entier. Arthur et moi sur la plage. L'entrée dans la cabane. Le petrificus totalus et la sensation familière de révulsion et d'impuissance, la sidération…

Alors que je ressens les émotions liées à mon souvenir, il change d'un coup pour basculer sur un autre, beaucoup plus ancien, un souvenir d'Aurore.

C'est le début de l'été, il fait chaud, et je suis déjà somnolente, allongée dans mon lit aux draps verts. J'ai seize ans.

Une part de moi panique. Je sais quel est ce souvenir, et je ne veux pas me souvenir. Je ne peux rien faire d'autre que de voir et ressentir.

Il est tard, les parents sont déjà couchés. Je finis par m'endormir à mon tour, par à-coups, puis je me redresse un peu, soudain plus réveillée, parce que Jérémy, mon grand frère, vient d'entrouvrir la porte.

« Je peux entrer ? » il demande, en chuchotant, et je hoche la tête, pas totalement consciente mais curieuse. Il s'assoit à côté de moi sur mon lit, et je reste allongée, encore engourdie. Il passe sa main dans mes cheveux.

« Je crois que tu as fait un cauchemar, je t'ai entendue en passant. »

Je suis à peu près sûre que je n'avais pas encore sombré assez profondément pour commencer à cauchemarder, ce qui arrivait souvent à cette époque. Après tout, Mélanie me manquait. Je ne peux pas penser davantage, car le souvenir continue à s'imposer à moi, dans toute sa sournoiserie, son miel malsain qui s'infiltre partout et salit tout. Comme Jérémy.

Je hausse les épaules, ne sachant trop quoi répondre à mon frère. Pour être honnête, je me sens un peu triste ce soir. Mélanie me manque. Alors, la main dans mes cheveux me réconforte un peu, et instinctivement je me rapproche un peu de Jérémy pour profiter davantage de sa chaleur.

« Ça te dit qu'on écoute un peu de musique ? »

Je hoche la tête, passivement. Il s'allonge à côté de moi, sous les draps, et me passe un écouteur. Je pose ma tête sur son épaule, pour éviter de trop tendre le câble, et je profite de ce moment rare et du simple réconfort de sentir quelqu'un près de moi.

Je ne veux pas voir la suite. Je ne veux pas. Mais elle s'impose encore à mon esprit, et à celui du Serpentard toujours ballotté avec moi, de souvenir en souvenir.

xx La main droite de Jérémy s'égare un peu sur mon corps. Elle commence par se poser sur mon ventre, mais doucement, insensiblement, se rapproche de mon entrejambe, encore et encore. Au début, je pense que c'est un accident. Je la repousse paresseusement, toujours somnolente, concentrée sur la musique qui passe dans mon oreille. Mais après quelques secondes seulement, la main revient, plus franchement, plus insistante. J'arrive à resserrer un peu mes jambes, piètre résistance qui ne l'arrête pas, et qui le ralentit à peine.

Ewald ! Ewald ne doit pas voir ça ! Personne ne doit savoir. Je ne veux pas voir. Je ne veux pas. Par pitié ! Je commence à reprendre contrôle sur mes souvenirs, mais pas assez. Ça ne s'arrête pas.

Je me retrouve incapable de réagir. J'ai conscience de ce qui est en train de se produire, mais la situation me paraît irréelle. Mon esprit est parti loin, et en même temps piégé dans mon corps il est forcé de voir, de sentir tout ce qu'il se passe, mais il est détaché. Un mot tourne en boucle dans ma tête. « Arrête. Arrête. Arrête. Arrête. » xx

Arrête. Arrête ! Enfin, j'arrive à repousser le souvenir dans un sursaut violent, à repousser tout au loin, rompant le lien que me reliait à Ewald et barricadant mon esprit à quintuple tour, mes murs occlumentiques levés à pleine puissance.

oOo

Péniblement, je reprends conscience de mon environnement, et un long gémissement m'échappe malgré moi. Un mal de crâne terrible m'enserre le cerveau, et mes muscles sont tous courbaturés. Ewald n'a pas l'air en bien meilleur état que moi. Il se masse les tempes d'une main, et relève la tête dans ma direction à peu près en même temps que moi.

« Ça va ? »

Nous avons parlé en même temps, ce qui nous arrache un petit sourire suivi d'une grimace quasi simultanée.

« Au moins on peut dire que tu as réussi à débloquer mes souvenirs » je fais, ironiquement. « Tu as vu quoi exactement ? »

Ewald doit capter mon inquiétude, que je suis bien incapable de dissimuler efficacement, au vu de mon état. Il a un petit sourire désolé avant de répondre.

« La plupart des souvenirs que tu as vus aussi, nos esprits étaient assez mêlés. Mais je pense que j'en ai vu moins que toi. Ce sont tes souvenirs, et je les voyais qu'à travers ton filtre. Cet homme, le sorcier qui t'a fait ça… Je le connais, je le sais. Je l'ai déjà vu quelque part, il n'y pas très longtemps… Mais ça ne me revient pas... »

Un gémissement échappe à mon ami . Il connaît cet homme ? Mes souvenirs sont encore confus, et mon mal de crâne me dissuade de trop pousser, mais je suis à peu près sûre de n'avoir jamais su son nom. Et je ne l'ai jamais vu en dehors des « séances » de check-up exercées sur ma personne.

« J'y réfléchirai à tête reposée. Et il faudra qu'on parle, aussi. Je sais que tu aurais préféré que je ne voie pas tous les souvenirs que j'ai vus, et je suis désolé, parce que je n'ai jamais voulu te forcer à révéler ton intimité. Mais maintenant je ne peux pas les ignorer. Enfin, pour le moment, on va se reposer un peu, d'accord ? »

Je hoche la tête sans dire un mot, j'ai du mal à aligner des pensées cohérentes. Mais je me demande déjà comment me débarrasser d'Ewald. Parce que je sais pourquoi je suis en vie maintenant, et ça veut dire que je sais aussi que je peux mourir. Enfin. Malgré mes pensées embrouillées, cette seule idée tourne dans ma tête, obsédante. Je sursaute presque lorsque Ewald me tend un morceau de brioche et un peu d'eau, tirée de mes réflexions.

« Merci » je fais, me demandant toujours comment le faire partir. Bah, si j'attends, ça finira bien par arriver, non ? Je ne suis pas en état d'imaginer de stratagèmes.

Il me sourit, et nous grignotons en silence. Je me sens un peu mieux après ça, même si une forte migraine compresse toujours mes tempes. Ewald essaye de le cacher, mais je vois qu'il a du mal, lui aussi. Lorsque nous finissons nôtre collation, son ventre laisse échapper un gargouillement, et le lance un tempus. Il est l'heure du dîner, déjà entamée. Je saisis l'occasion.

« Tu devrais descendre dans la grande salle, j'ai l'impression que ton corps essaye de te faire passer un message, je fais, sur un ton aussi taquin que mon état le permet.

-Tu as sans doute raison… En plus, Arthur va s'inquiéter si je mets trop de temps à arriver. Je l'ai prévenu qu'on faisait ça ce soir, et tu le connais… »

Je hoche la tête avec un sourire entendu, et j'aide Ewald à se redresser. Il vacille un instant sur ses jambes, et je lui demande, un peu inquiète malgré moi :

« Ça va aller ?

-Ça ira, oui. J'ai juste besoin de repos et d'un bon repas. Tu m'accompagnes ?

-Non merci, je n'ai pas du tout envie de braver le vacarme de la grande salle avec mon mal de crâne, et j'ai besoin d'être un peu seule. »

Ewald grimace.

« Je ne suis pas sûr que tu devrais rester seule… Je préfère rester avec toi, je peux dire à Arthur de nous apporter à manger.

-Ce n'est vraiment pas nécessaire, et désolée pour lui mais je ne pense pas que je supporterais les questions d'Arthur maintenant. Tout ce que je veux, c'est du calme et du repos. J'ai suffisamment mangé et là je rêve juste de m'allonger dans mon hamac et de dormir douze heures.

-Tu es sûre ?

-Oui, t'inquiète » je fais, avec un sourire. « On se verra demain matin, okay ? Je vais t'aider à descendre. »

Et à ma grande joie, Ewald se laisse convaincre. Je pense que si il avait été dans son état normal, ça aurait été bien plus difficile. Mais je soupçonne son esprit d'encaisser encore plus mal que le mien nôtre petite séance de thérapie.

oOo

Lorsque la trappe s'est refermée derrière Ewald, je laisse passer quelques minutes, histoire d'être sûre qu'il ne reviendra pas. Ensuite, je m'assois sur le sol devant la petite caisse qui me sert occasionnellement de bureau, prenant le temps de rassembler mes pensées.

Je n'ai aucune idée de qui est cet homme qui m'a faite revivre, qui s'est servi de moi comme cobaye. Je devrais m'en inquiéter, peut-être. Si j'étais moins égoïste, sans doute. Si j'avais plus de force. Parce que je ne suis pas sa seule expérience, je le sais. Il est dangereux. Mais tout ce à quoi j'arrive à penser, c'est que je sais qu'il ne me surveille pas en permanence, et que ça veut dire que je peux me tuer sans risque.

Je dois me dépêcher, parce que je ne sais pas exactement ce qu'Ewald a vu dans mon esprit, et je sais que demain matin au plus tard il cherchera à me parler. De toute façon, je n'ai pas franchement envie de tarder. J'ai déjà attendu trop longtemps. La question maintenant est de savoir où et comment je fais ça. La forêt interdite me paraît être un bon endroit. Déjà, c'est à l'extérieur, c'est la nature, et ça me plaît. Mon corps disparaîtra plus facilement et il y a peu de chance que des élèves tombent dessus. De toute façon, je pense que je vais trouver un moyen de le détruire, ce sera plus simple pour tout le monde. Accessoirement, Poudlard est normalement dotée d'une alarme prévenant le directeur/la directrice si un élève est en danger de mort, comme on l'apprend dans un des tomes. De toute évidence, tomber de la tour d'astronomie était toujours possible, mais plus maintenant, comme j'ai eu l'occasion de le tester. Bref, je ne sais plus si c'est censé aussi empêcher la mort. En tout cas, la forêt devrait être hors des limites du sort.

Pour ce qui est du moyen, j'ai plusieurs solutions. Je pourrais m'empoisonner, à nouveau, en soi il n'est pas compliqué de trouver de quoi faire du poison dans un château rempli d'ingrédients de potions… Le problème, c'est que les ingrédients qui pourraient m'intéresser sont gardés en salle de potions, pas dans les bagages des première année… Le plus simple, ce sera sans doute de m'ouvrir la gorge. Si je parviens à trancher seulement la carotide (et la jugulaire), je devrais mourir assez vite, sans la désagréable sensation d'étouffement que j'aurais en ouvrant la trachée. Je pourrai me servir de mon poignard. Après m'en être servie pour tuer un homme, il y a une certaine forme de justice à ce que je m'en serve contre moi de la même façon.

Je lance un regard à la ronde à mon repaire. Ewald, et peut-être Arthur, viendront ici après ma mort. Je sais qu'Arthur en souffrira sans doute, même si ce sera moins que ça aurait pu être quelques mois auparavant. J'imagine bien qu'Ewald ne sera pas ravi. Je ne peux pas vraiment prendre le temps de tout ranger, mais je peux leur laisser un mot, quand même. Une forme d'explication, si ils en ont besoin. Arthur ne comprendra pas, je le sais… Ewald, peut-être, selon ce qu'il a vu dans ma tête. Je prends de quoi écrire et je me mets à l'œuvre, réalisant au passage que je devrai aussi détruire mon carnet bleu, par mesure de précaution. Je garde cette pensée dans un coin de ma tête toujours douloureuse et je me mets à la rédaction de la seconde lettre d'adieu de ma vie.

« Ewald, Arthur,

Je suppose que si vous lisez cette lettre, c'est que vous vous serez inquiétés de mon sort. Peut-être savez vous déjà que je suis morte. J'espère, parce que j'avoue que si vous l'apprenez comme ça c'est vraiment pas génial. Et j'en suis désolée. Arthur, j'imagine que tu seras en colère, que tu ne comprendras pas. Tu es sans doute de ces gens qui disent qu'il y a toujours une autre solution, qu'il faut croire en la vie, etc... Je suis désolée si ma mort t'attriste. Sois assuré que tu n'y es pour rien. En aucun cas. Je voulais mourir depuis bien avant notre rencontre. Tu peux savoir la vérité, à présent. »

J'interromps ma rédaction, prenant quelques instants pour réfléchir. Je n'ai pas envie de parler de l'homme mystérieux qui m'a ressuscitée, parce qu'il est dangereux. Je ne veux pas qu'Arthur se mette en tête de le retrouver, par exemple. Heureusement, je sais qu'Ewald est prudent, et qu'il ne jouera pas avec la vie de son meilleur ami. Néanmoins, je reste vague, par mesure de précaution. Et de toute façon, le poufsouffle n'a pas besoin d'avoir trop d'informations.

« La vérité, c'est que cette enveloppe corporelle n'est pas celle dans laquelle mon existence a commencé. Libre à toi de ne pas me croire, peut-être croiras tu Ewald. Ou bien tu t'en fiches et c'est tant mieux, vraiment. Quoi qu'il en soit, je suis née à l'origine en France, sous le nom d'Aurore. J'avais seize ans quand on m'a violée. Je ne tenais déjà pas trop à ma vie à ce moment là, mais ça a été encore pire après. Toutes les personnes à qui je tenais m'ont trahie ou laissée tomber à cette époque. C'est pour ça qu'à dix-sept ans, je me suis suicidée. Sauf que je ne suis pas vraiment morte, parce que je me suis retrouvée dans ce corps, prénommée Vivian-Éris et citoyenne britannique. Je voulais enfin mourir pour de vrai, mais j'avais besoin d'être sûre que ça marcherait cette fois. Maintenant, je sais enfin comment il se fait que je sois encore en vie, et je sais que cette fois-ci je pourrai mourir pour de bon. Je sais que ça doit te paraître étrange, mais c'est un réel soulagement pour moi. J'ai attendu ça tant d'années...C'est pour ça que je ne voulais pas que tu t'attaches à moi. Je n'existais pas vraiment, je savais que ça ne durerait pas. Je n'ai jamais appartenu à vôtre monde. Je n'aurais pas dû te laisser te rapprocher de moi, je suis désolée. Mais sache que ni toi, ni Ewald ou personne d'autre que je connais dans cette vie n'est à blâmer d'aucune façon pour ma mort. Ma décision est prise depuis plus de onze ans. J'espère que tu seras heureux avec Cian, ou même sans elle si vous deviez vous séparer un jour. Je t'ai réellement apprécié, tu es quelqu'un de bien.

Ewald, je veux te remercier pour toute l'aide que tu m'as apportée. Tu as été un allié précieux. Je suppose que tout ce que j'ai dit à Arthur doit finir de compléter les trous dans mon histoire telle que tu l'as entendue, vue et devinée. Prends soin de toi s'il-te-plaît, et sois prudent. Si tu dois ébruiter ce que tu as vu dans mon esprit, fais le de sorte à ce que ça ne te mette pas en danger. J'ai confiance en toi pour ça, en vrai, parce que je connais tes façons précautionneuses.

Si Al' vous parle de moi, vous pouvez lui dire ce que vous savez, et dites lui aussi qu'il a été un bon ami. Je lui souhaite tout le bonheur du monde avec son aimée, j'espère vraiment que ça marchera pour lui. Il le mérite. J'espère qu'il comprendra (et que vous aussi), que ma place n'était pas vraiment là, et que ça ne sert à rien de regretter un fantôme.

Adieu et merci pour vôtre compagnie, encore désolée de ne pas avoir pu être une véritable amie,

Vivian/Aurore. »

Je finis d'écrire, et laisse la lettre en évidence sur le sol. Je ne suis pas vraiment satisfaite, mais j'ai fait de mon mieux avec la migraine qui me vrille toujours les tempes et l'urgence. J'ai déjà perdu beaucoup de temps à l'écrire. Au moins, j'arrive déjà à penser un petit peu plus clairement, même si ça reste compliqué. J'aurais aimé pouvoir leur faire comprendre à quel point je suis détachée de cette vie, à quel point ce n'en était pas une, mais peut-être que ça suffira. De toute façon, au final, tant pis. Ce n'est pas comme si je leur avais demandé de rester, ce n'est pas comme si j'avais manifesté une quelconque volonté dans ce sens… J'ai juste trop laissé faire. Enfin…

Je ramasse mon sac de cours, que je vide pour ne garder que mon balais miniaturisé à l'intérieur et mon carnet bleu. Je récupère aussi les quelques lames de rasoir dissimulées dans la pièce. Pas la peine que la personne chargée de trier mes affaires, qui qu'elle soit, en apprenne trop sur moi. J'ai une pensée pour ma malle, dans la tour de Gryffondor, que je devrais sans doute vider de la même façon, et débarrasser des romans en français, mais tant pis. Enfin, je me glisse dans la trappe et je sors du château sur mon balais par la première fenêtre venue.

Je vole assez bas, histoire d'être moins repérable, mais ça ne m'empêche pas d'apprécier encore la sensation de liberté que me donne toujours le vol. En me dirigeant vers la forêt interdite, j'ai une pensée pour mes parents de cette vie. J'aurais pu leur laisser une explication, à eux aussi, sans doute. Mais je ne vois pas ce que j'aurais pu leur dire. Ils n'étaient pas méchants, mais je ne les aime pas tant que ça, je n'ai juste jamais eu de vrai lien avec eux. Ça vaut sans doute mieux que ma relation avec mes parents précédents, avec qui j'ai tissé un lien juste pour voir à quel point il était faux. Enfin… Je suis désolée pour mes parents anglais, ils n'ont juste vraiment pas eu de chance de m'avoir moi.

J'arrive aux abords de la forêt, l'air empreint de l'odeur de la nuit s'enrichissant de celle des sous-bois. J'entends mille craquements et bruits étranges alors que l'obscurité se fait plus épaisse. Je prends un peu de hauteur pour survoler la cime des arbres à la recherche d'une clairière. J'ai besoin d'un peu d'espace pour allumer un feu sans mettre en danger la forêt. Je vole sans lumière, et je suis sereine. Je n'ai pas peur. Tout au plus, je ressens une certaine impatience à l'idée d'enfin disparaître. J'aspire si fort à la sensation de la lame sur mon cou, à celle du sang chaud sur mon corps, et à l'obscurité qui enfin m'engloutira…

Assez vite, je trouve un endroit qui devrait convenir. Je suis déjà passée par là lors de mes promenades dans la forêt, et je sais que cette clairière n'est pas sur le territoire des centaures ou des Sombrals. Je devrais être tranquille. Je me sers de quelques sorts pour dégager un bon mètre carré au sol avant de rassembler grâce à la magie de l'accio un bon tas de brandilles et de branches sèches. Par chance pour moi, il n'a pas plu ces derniers jours, ni neigé, bien que le ciel soit resté menaçant tout le temps. Il fait froid. Je mets le feu à mon tas de bois d'un incendio que je prends le temps de savourer. Mon dernier sort. Lentement, je pose à terre ma besace. J'y range mes deux baguettes, et j'en sors mon carnet bleu. Peut-être devrais-je m'incinérer avec ma baguette, mais ce serait du gâchis. Je préfère imaginer qu'elle servira à quelqu'un d'autre. Je n'ai pas rédigé mes dernières volontés, ce coup-ci. Ça m'aurait paru si futile… Cette vie n'en était pas vraiment une. Je m'assois sur le sol un instant, juste à côté des flammes, le temps de déposer mon carnet au centre de celles ci, et d'admirer le papier se tordre et craquer dans le foyer, réduit en cendre en quelques instants. Je sais que pour mon corps, ça prendra plus de temps.

Une fois qu'il ne reste plus rien de mon carnet qu'une lame de rasoir chauffée au blanc et quelques cendres volatiles, j'éloigne un peu ma besace du brasier, me laissant gagner par l'impatience. Je me débarrasse encore de mon écharpe et de ma veste, puis enfin, enfin, je tire mon poignard de son étui. Il est temps d'en finir. Je contemple une seconde les reflets du feu sur la lame, hypnotisée, indifférente à présent à tous les bruits de la forêt, mon univers réduit à cette arme et au feu. Je m'avance de quelques pas, jusqu'à sentir la chaleur brûlante sur moi. Lorsque je m'effondrerai, il faudra que ça soit dans les flammes, pour que mon corps disparaisse. Si j'échoue, tant pis. Je n'ai pas envie de souffrir davantage juste pour m'assurer que le travail soie bien fait. L'essentiel, c'est que je meure. Le reste, c'est du bonus.

Le silence se fait dans mon esprit, tout entier tendu dans son aspiration à la mort. J'applique l'acier sur mon cou, touche de froid aiguë et fine tant désirée. Je respire déjà mieux. Je tiens fermement la poignée, prête à faire glisser la lame sur le côté de mon cou. Et enfin, je tire d'un coup sec en direction de ma nuque, en appuyant fermement.

xxx

« Je crois que c'est tout. Je conclurai en te disant que j'espère que tu réaliseras tes rêves. Je veux que vous soyez heureux, toi et les autres, vous à qui je me suis attachée malgré moi. J'espère que vous m'oublierez vite. Ça fait un peu court comme conclusion, mais je vous le souhaite à tous vraiment. J'aurais aimé conclure avec un poème, mais je crois qu'une dernière fois les mots vont se dérober à moi. »

-Extrait de la lettre d'adieu d'Aurore Berger adressée à Quentin Lemage, le 15 Novembre 2007-


Et voilà pour le chapitre! Vous pouvez respirer. Alors, qu'en pensez vous?
Et surtout, qu'est-ce que vous pensez va se passer dans le prochain chapitre?

à la prochaine!

* « Je peux voir mon sourire dans le reflet de la lame
Et je ressens de la confiance et de la joie car la décision est prise à présent
L'acier est froid et amène un courant sur ma peau
Ouvre cette enveloppe vide et libère l'âme prise dans la glace à l'intérieur »