Bonsoiiiir

Comment dire. 3994. C'est le nombre de mots que j'ai écrits aujourd'hui parce que je VOULAIS sortir mon chapitre avant demain. (pour moi c'est demain après que je sois allé.e dormir, donc on est toujours le 31 Mars dans ma tête). Pour info hier c'était 2222. Donc plus de la moitié du chapitre. J'en reviens pas... xD

Bref, j'espère que vous aimerez ce chapitre, il me tarde de voir vos reviews! C'est la seule gratification que j'ai pour ce que je fais (avec mon plaisir de lire un truc qui me plaît), donc ne soyez pas radins :p

Bonne lecture!
(ah et ouais, j'ai pas du tout relu le chapitre, je suis crevé.e et je sais pas du tout ce que vaut ce que j'ai écrit hier et aujourd'hui xD)
(that's a problem for future me)


Je manque de tomber en arrivant, mais une main secourable me retient. Alphonse. Je n'ai jamais été à l'aise sur les tourniquets, sauf dans ma toute petite enfance, et je me demande vraiment comment j'ai pu un jour prendre plaisir à monter sur ces engins de torture. Bref, la cheminette et son tournis m'ont flanqué la nausée. Je me redresse néanmoins, essayant de me détacher au plus vite du bras d'Alphonse qui m'a guidée hors du chemin en prévision de l'arrivée d'Ewald. Il ne tarde pas d'ailleurs, et c'est aux alentours de ce moment là que je me sens enfin suffisamment en forme pour regarder autour de moi.

Nous sommes arrivés dans un salon assez vaste. Le sol est en bois sombre, poli et ajusté, et la cheminée qui nous as recrachés est très ornementée. Une nature morte surplombe un côté de la salle, le côté opposé est percé d'une large porte, elle aussi en bois. De lourds rideaux verts sombre obstruent les hautes fenêtres perçant le dernier mur. Les meubles sont assortis au sol et trois canapés imposants, de la même couleur que les rideaux, forment un arc-de-cercle autour du feu. La mère d'Ewald est assise dans l'un d'eux, du bout des fesses, dans une stature digne. Je ne savais même pas qu'on pouvait avoir l'air digne dans un canapé. En tout cas, j'imagine que je sais de qui le serpentard tient, maintenant. La grand-mère a disparu je ne sais où, mais je ne vais pas m'en plaindre. Le silence me frappe, après le tumulte que nous venons de quitter.

« Tout va bien, mère ? » s'enquiert Ewald dès son arrivée, ne semblant pas du tout incommodé par le trajet.

« Oui, je te remercie. Si tu n'y vois pas d'objection, je te laisse montrer leurs chambres à tes amis, je vais me retirer pour le moment. »

Le Serpentard hoche la tête en signe d'approbation, observant toujours sa mère avec une sollicitude peu habituelle.

« Vivian-Éris, Alphonse, je vous verrai pour le dîner. »

Et sur ses entrefaites nous nous retrouvons seuls. Ewald nous demande de le suivre, et nous lui emboîtons le pas. Derrière la lourde porte de bois, nous découvrons un grand couloir, qui doit bien mesurer deux mètres de large. Là aussi, la décoration est à la fois sobre et opulente, mais aussi désuète. De grands portraits décorent les murs, dépeignant sans doute des ancêtres de notre ami. Ils gardent le silence sur notre passage, se contenant de tourner la tête pour nous suivre des yeux. Ewald en salue un ou deux de la tête au passage. Alphonse a l'air de vouloir dire quelque chose, mais il n'ose pas, entouré de tous ces tableaux.

Nous empruntons ensuite un large escalier qui nous mène un étage plus haut (je ne sais toujours pas à quel étage nous nous trouvons, n'ayant toujours pas pu voir l'extérieur). Ici, aucun tableau, mais toujours la même ambiance comme poussiéreuse, même si le ménage est impeccablement fait. Nos pas sont étouffés par un épais tapis vert foncé. Nous passons devant deux portes fermées avant d'en atteindre une troisième devant laquelle Ewald commente :

« Ma chambre. Vivian, je t'ai installée de l'autre côté du couloir. »

Joignant le geste à la parole il ouvre la porte qui fait face à la sienne. Nous découvrons une pièce presque petite aux regard des dimensions du manoir. Elle doit tout de même être aussi grande que ma chambre chez mes parents, voire davantage. La pièce ne me déplaît pas. Elle est bien éclairée, décorée de teintes pastels où le vert prédomine. Le mobilier est réduit, mais toujours luxueux. Un lit à baldaquins aux rideaux vert pâle et aux pieds sculptés de motifs végétaux. Un bureau de bois massif, une grande commode ornementée, et une fenêtre derrière des rideaux assortis à ceux du lit complètent le tout.

Je prends juste le temps de poser mes affaires avant de suivre mes compagnons, le Serpentard voulant encore montrer sa chambre à Alphonse. Elle se trouve presque au bout du couloir, une dizaine de mètres plus loin. Elle est d'une taille similaire à la mienne, pareillement décorée de vert. Pas d'armoire dans celle-ci, à la place un grand coffre qui a l'air très ancien. Le Gryffondor pose ses affaires, et lâche enfin la remarque qui semblait le démanger.

« C'est quoi son problème à ta grand-mère ? »

Ewald soupire, chose qu'il se permet rarement.

« Je l'ai prévenue assez tard que vous veniez, et je ne lui ai pas laissé le choix. C'est la première fois que j'amène des gens ici en plus, elle a l'habitude d'être tranquille.

-C'est pas chez elle ici ? Et attends, même Arthur n'est jamais venu ? Comment ça se fait ? »

Je ne questionne jamais Ewald, par respect pour lui autant que par habitude de ne pas poser des questions pour éviter qu'on m'en pose en retour. Mais d'une certaine façon, je suis contente qu'Alphonse mette les pieds dans le plat, pour une fois. Moi aussi je suis curieuse, même si en même temps j'ai peur qu'Ewald ne se ferme. Pourtant, avec un nouveau soupir, il nous invite à nous asseoir avant de répondre.

« J'imagine que je devrais vous donner quelques explications. Mais j'aimerais que ça reste entre nous, s'il-vous-plaît. Personne n'est au courant de tout ça, mis à part Arthur, et je voudrais que ça reste ainsi.

-C'est promis ! » lance Al' avec son impétuosité habituelle, même si il a une mine sérieuse, interrompant possiblement le Serpentard. Celui-ci ne se donne pas la peine de s'assurer de mon accord. Il doit savoir que peu importe ce qu'il va nous révéler, il a des informations sur moi qui sont autant de moyens de pression pour s'assurer de mon silence. Ou bien il a juste confiance en moi, j'imagine. Quoi qu'il en soit, il reprend la parole.

« Le manoir appartient à ma mère. Ma grand-mère lui a légué en guise de dot lors de son mariage, et elle habite dans une dépendance, dans le parc. À priori, tu n'auras pas besoin de la revoir, Alphonse. Vivian, c'est possible que tu la croises à Noël. Et du coup non, Arthur n'est jamais venu ici. Ma mère est… Fragile, et elle a beaucoup de mal avec la foule. Je ne vous aurais pas invités si ce n'avait pas été un cas de force majeure. Et je ne l'aurais pas fait sans l'accord de ma mère. Mais elle a l'air contente de pouvoir rencontrer mes amis, même si elle est un peu déçue qu'Arthur ne soit pas avec nous. Je lui ai pas mal parlé de lui, au fil du temps… Enfin. Vous avez d'autres questions ? »

Al' garde le silence une seconde entière, avant de poser LA question qui fâche, d'une voix inhabituellement mesurée :

« Ne réponds pas si tu veux pas, mais j'ai jamais eu l'occasion de te poser la question… Mais ton père dans tout ça ? »

Ewald a une légère grimace à la mention du personnage.

« Je veux bien te répondre, mais pas tout de suite. Cette histoire n'est pas uniquement la mienne, je préfère réfléchir un peu avant d'en parler. Prenez le temps de vous installer un peu, on se retrouve dans une heure, je dois aller voir ma mère. Je compte sur toi pour veiller sur Vivian, Alphonse. Restez dans le coin, ou dans le salon par contre, histoire que je n'aie pas besoin d'envoyer les elfes de maison à votre recherche. »

Avant qu'il ne quitte la pièce, je sens l'esprit de mon ami chercher à contacter le mien. J'ouvre notre lien en réaction.

« Désolé de vous laisser en plan comme ça, mais j'ai besoin de voir ma mère, pour m'assurer qu'elle va bien. Ça ira ?

-Ne t'inquiète pas » je réponds sur le même mode. « J'ai de quoi lire, je survivrai. »

Je sens son amusement à travers notre lien, et il referme la porte délicatement derrière lui.

Al' garde le silence quelques secondes après son départ, puis soupire à son tour.

« Je ne m'attendais pas vraiment à ça. Tu le savais, toi, que sa famille était comme ça ? Ça a pas l'air drôle… »

Je choisis mes mots prudemment.

« Non, je ne savais pas vraiment. Ewald est plutôt secret. » Et j'aurais l'impression de le trahir en partageant par inadvertance des détails sur sa vie qu'il préférerait garder secrets, donc je vais éviter d'en dire beaucoup plus.

« Je ne lui ai jamais trop posé de questions. » j'ajoute.

Al' fait une grimace.

« J'espère que je l'ai pas dérangé avec les miennes. En même temps, il aurait pu nous préparer un peu plus. Même si j'imagine qu'il n'a pas trop eu le temps... »

Je hausse les épaules. Je ne vois pas trop quoi répondre. Je finis par dire :

« Je vais déballer un peu mes affaires, on se revoit bientôt ? »

Le gryffondor répond par l'affirmative et je me dirige vers la porte.

Je m'arrête, la main sur la poignée.

« J'imagine que tu ne me rendras pas ma lame, même si je te promets de ne pas me tuer avec ? » je fais, sans trop y croire. Je me demande, en passant, si on devrait parler de ce qu'il s'est passé entre nous. Du fait qu'on aie mutuellement laissé l'autre se couper. Quoi qu'il en soit, la réaction d'Alphonse n'est pas exactement celle que j'attendais. Il a presque l'air… Contrit.

« Tu sais bien que non mais… À ce sujet… Ewald a vu ma coupure et il m'a demandé ce que c'était. Il a compris. Désolé.

-Qu'est-ce que tu lui as dit ? » je demande, réagissant au quart de tour, me retournant vers Alphonse, lâchant la poignée de la porte. Foutu Ewald ! Pourquoi il devait remarquer ça ?

-Que je m'étais coupé, que je t'avais laissé te couper. Il a pris ta lame. J'ai vraiment déconné, ça n'aurait pas dû se produire à la base.

-Tu veux dire que tu te coupes, qu'Ewald le remarque ou qu'on se coupe tous les deux ? »

J'énonce, listant involontairement les choses du plus grave au moins grave de mon point de vue.

« Qu'on se coupe. Je n'aurais pas dû te laisser faire, mais je ne savais juste pas quoi faire. Ewald a compris ça, mais je suis sûr que lui t'aurai pas laissé faire. J'ai merdé... »

Je sens la culpabilité transpirer de la voix d'Alphonse. Malgré moi, j'ai envie de le consoler.

« Tu as fait ce que tu pouvais. Tu sais, moi ça m'a fait du bien, que tu me laisses faire, et je me suis moins coupée que je l'aurais fait seule. En faisant ce que tu as fait, tu m'as protégée, d'une certaine façon. Parce que sinon je me serai servie de cette lame à un autre moment. C'est mauvais pour moi de pas pouvoir me couper, peut importe si le faire est mauvais aussi. En me mettant à ta place, à celle d'Ewald, je ne vois pas de bonne réponse. J'aurais préféré que tu évites de m'imiter, mais encore une fois, on fait ce qu'on peut. Et tu sais, si tu dois te sentir coupable, moi aussi. Parce que je t'ai laissé faire.

-Sauf que c'était mon choix.

-La même chose vaut pour moi, non ?

-Mais toi c'est pas pareil, ce que tu fais est dangereux, tu veux mourir. Moi, j'ai fait ça parce que j'ai voulu te comprendre. Nos motivations étaient différentes.
-Non, ce n'est pas pareil. Ce que je fais n'est pas dangereux, en soi, parce que je maîtrise ce que je fais. Toi par contre, tu n'aurais jamais dû essayer, parce que si un jour tu recommences ce sera ma faute.

-Non, ce serait la mienne, parce que ce serait mon choix. Mais je n'ai pas l'intention de recommencer.

-J'espère bien. Mais du coup suivant ta logique tu n'as aucune raison de t'en vouloir, parce que me couper était mon choix.
-Mais j'aurais pu t'en empêcher. Je t'ai laissé faire.

-Même chose pour moi. » je réponds, avec un air de défi.

Al' soupire. Je reprends :

« Je pense qu'on ne va pas pouvoir se mettre d'accord là dessus. Juste, arrête de culpabiliser si tu peux. Tu as fait ce que tu pouvais, ce que tu pensais être le mieux à un moment donné. Je suis la principale concernée, et je te dis que c'était bon pour moi. Même si tu n'es pas complètement d'accord, dis toi que ça m'a aidée, au moins. »

Mon compagnon grimace, mais hoche la tête.

« Je vais vraiment m'occuper de mes affaires maintenant, à tout à l'heure.

-À tout à l'heure... »

Je regagne la chambre qui m'est attribuée, curieuse de ce qu'Ewald a pensé exactement en apprenant ce qu'Alphonse a fait. Je me demande aussi si il va me faire des reproches. Qu'est-ce qu'il a ressenti en comprenant que j'ai pu me couper, aussi ? Et qu'est-ce qu'il ressent en général ? Parce que penser à lui me refait penser à la situation dans laquelle on se trouve. La famille d'Ewald. Sa mère qui m'a laissé une impression étrange, sa grand-mère antipathique. Je suis vraiment curieuse d'en apprendre davantage sur lui. J'aimerais le comprendre. En même temps, je suis plutôt en colère de me retrouver ici, coincée sous surveillance alors que je pourrais enfin mourir. C'est étrange. Je suis dans le même temps indifférente à tout et très impliquée dans mes relations amicales. Je me fais du souci pour Ewald, pour Alphonse et Arthur, et dans le même temps je n'aspire qu'à la mort.

Alphonse me rejoint au bout d'un quart d'heure environ, et je ravale le sarcasme qui me vient aux lèvres par rapport à son incapacité à me laisser hors de vue trop longtemps. Je n'ai pas trop envie de provoquer une dispute. Ça fait déjà une bonne quarantaine de minutes qu'Ewald nous a laissés, et nous ne savons pas trop comment nous occuper. Enfin, je pourrais lire, mais Alphonse est désœuvré. Nous n'osons pas trop nous promener dans le manoir, incertains de retrouver notre chemin jusqu'au salon, et peu motivés par l'idée de recroiser la charmante aïeule de notre ami serpentard. Finalement nous passons le temps en jouant aux cartes, et mon regard s'attarde régulièrement sur la coupure sur le bras d'Alphonse. Mon cœur se serre à ses moments là, un cocktail d'émotions mal définies se mêlant en moi. Culpabilité, curiosité, honte, envie de me couper. C'est en plein milieu d'une partie qu'Ewald nous rejoint enfin. Il a l'air un peu différent de Poudlard, et je mets quelques secondes à mettre le doigt sur ce qui a attiré mon attention. Il semble plus… ouvert, moins sur ses gardes. Le fait qu'il aie quitté son uniforme joue aussi, je crois. Il porte un jean et une chemise qui pourrait être formelle avec une cravate, mais qui en l'état est la tenue la plus relax que j'aie jamais vu mon ami porter.

« Vous avez pu vous installer ?

-Tranquille » lance Alphonse. Je hoche la tête pour répondre à mon tour.

« Tant mieux. Je me disais que je pourrais vous faire visiter un peu le manoir avant le repas si vous voulez.

-Ça roule ! » fait Al' avec enthousiasme.

La mine d'Ewald s'assombrit un peu, et il ferme la porte de la chambre soigneusement.

« Avant, je pensais que je pourrais répondre à ta question de tout à l'heure, Alphonse. »

Le gryffondor se raidit un peu, retombant sur le sol dont il avait commencé à se lever.

« Seulement si tu veux bien, je voulais pas être indiscret.

-C'est rien. » soupire Ewald. « Je pense que c'est mieux que je vous le dise de toute façon, pour éviter que vous ne commettiez d'impair avec ma famille. Et puis, si je te fais confiance pour protéger Vivian, Alphonse, je devrais pouvoir te faire confiance pour garder un secret. »

Pour une fois, le gryffondor ne répond rien. Le serpentard a une fraction de seconde d'hésitation avant de s'asseoir par terre avec nous. Il sort sa baguette et lance quelques sorts de confidentialité, et il s'explique, devant le regard étonné d'Alphonse :

« Je ne veux pas que ma mère puisse entendre ce que je vais vous dire, même si il y a peu de chances je préfère prendre toutes les précautions que je peux. »

Le gryffondor remue un peu, mais ne demande pas d'éclaircissement. Comme moi, il attend la suite. Ewald prend le temps d'inspirer profondément, s'assurant que nous sommes attentifs avant de reprendre la parole.

« J'aimerais que vous m'écoutiez sans m'interrompre, autant que possible. Je n'ai pas l'habitude de parler de ça et j'ai un peu de mal à trouver mes mots. »

Je suis un peu surprise de l'entendre admettre ça, devant Alphonse en tout cas. Ewald ne montre jamais ses faiblesses. Jusqu'à ce qu'on commence à étudier l'occlumencie, du moins, il ne m'avait rien montré, et quand il l'avait fait ce n'avait été qu'en privé.

« Mon père est un mangemort, comme vous le savez. À la chute de Voldemort, il a cherché à se cacher. Il a contacté ma grand-mère, qui a accepté de l'aider. Elle n'a jamais rejoint les rangs des mangemorts, elle désapprouvait leur méthodes, mais je crois que sur le fond elle a longtemps cru en leur idéologie. Elle n'aurait jamais torturé de moldus, mais les mépriser ? Penser qu'un sorcier avait plus de valeur ? Oui. Quoi qu'il en soit, elle l'a accueilli au manoir. Il venait d'une famille ancienne et puissante, ce qui était très attrayant pour ma grand-mère. Il est tombé amoureux de ma mère, ou du moins il lui a fait des avances. Ma grand-mère a encouragé ça, pour elle c'était une bonne opportunité de renforcer la lignée familiale, et étant donné la situation de mon père il ne risquait pas d'être trop exigeant sur la dot. Je ne sais pas exactement quelles étaient les opinions politiques de ma mère, même si je sais qu'elle ne partageait que peu ou pas du tout la vision des choses de sa mère. Ce qui est sûr est qu'elle n'était pas intéressée par la cour que lui faisait mon père. Oh, elle ne le disait jamais clairement, elle ne lui a pas demandé d'arrêter, car elle était à la fois trop bien élevée et trop consciente de la volonté de sa mère. Elle ne pouvait tout simplement pas se permettre de le rejeter en bloc. Mon père n'était pas quelqu'un de patient néanmoins, et n'acceptait pas ce statu quo. Alors, il a fini par la violer.

-Quoi ? » fait Alphonse « Quel connard ! Désolé pour l'interruption. » ajoute-t'il précipitamment.

« T'inquiète, soupire Ewald. Il a donc violé ma mère, qui l'a dit à ma grand-mère quelques semaines plus tard. Elle n'avait pas osé en parler plus tôt, entre le choc et la honte. Le viol était, et est toujours dans certaines sphères très tabou, et souvent mis sur le dos de la victime. Quoi qu'il en soit, entre temps, mon père avait déjà parlé à ma grand-mère de ce qu'il avait fait, expliquant que c'était dû à la fougue de son amour ou quelque chose comme ça en s'excusant. » le visage d'Ewald est dur, fermé, et j'imagine la colère qu'il doit ressentir, même si il ne la montre pas. Moi, je ressens un mélange de révolte et de mal être, suspendue entre mes souvenirs et ce qui est arrivé à la mère du serpentard. J'ai l'impulsion de lui prendre la main, pour le soutenir, mais je n'ose pas. Il n'a pas besoin de moi de toute façon.

« Très vite, ma grand-mère a compris que ma mère était enceinte. Elle a donc pris la décision de faire marier mes parents. Il était hors de question que l'enfant naisse hors mariage. Elle a offert le manoir à mes parents comme cadeau, et une cérémonie discrète a eu lieu, contre la volonté de ma mère. Encore une fois, elle était prise au piège dans les convenances et l'autorité de sa mère. En plus de ça, mon père l'effrayait. C'était un mangemort, après tout, le meurtre et la torture ne lui étaient pas étrangers. Néanmoins, elle a ensuite trouvé une échappatoire, parce qu'il le fallait. Elle a dénoncé mon père aux aurors en tant que mangemort, et il a été envoyé à Azkaban. Ma grand-mère ne lui a jamais pardonné, même si elle a fini par admettre avoir commis de graves erreurs. C'est toujours un sujet très sensible. Même si ma grand-mère comprend pourquoi sa fille a fait ça, elle lui en veut toujours un peu, elle pense qu'il y aurait eu d'autres façons de faire. Enfin. Ma mère a décidé de ne pas avorter, ce qui fait donc que j'existe. »

Il nous faut quelques secondes pour comprendre qu'Ewald a fini de parler. Mes émotions sont agitées, tourbillonnantes. Mon instinct me dit que le serpentard n'a pas tout dit. Cela n'explique pas tout, même si ça donne déjà un nouveau éclairage au souvenir qu'il m'a montré. En soi, je connaissais déjà les grandes lignes, mais pas autant de détails. Mes réflexions sont interrompues par l'intervention d'Alphonse. Celui-ci parle doucement, pour une fois, l'air presque malade.

« Je suis vraiment désolé, Ewald. Je t'ai harcelé à cause de ton père alors que ta mère a été violée par cette ordure. J'ai vraiment merdé. J'aurais dû être plus intelligent que ça.

-C'est du passé. » répond le serpentard avec fermeté.

« Même ! J'ai eu tort, et je sais que je me suis jamais proprement excusé, donc c'est l'occasion. J'en avais parlé à Vivian, mais si tu veux bien j'aimerais t'expliquer pourquoi j'ai fait ça, même si c'est pas une excuse, parce que je n'ai pas d'excuse.

-Oh, parce qu'il y a une raison autre que la stupidité congénitale des gryffondor ? » demande Ewald en haussant un sourcil ironique. Ce n'est pas vraiment son genre d'humour habituel, mais j'imagine que la situation n'est pas vraiment habituelle non plus. Alphonse grimace, mais reprend la parole pour expliquer ce qu'il m'a déjà raconté. Il parle de Lucian et de la discrimination qu'il subit, mentionnant au passage son enfance et la mort de sa mère, même si il ne s'attarde pas dessus. Quand il a fini de parler, Ewald lui tend la main.

« Merci d'avoir partagé ça avec moi. Je suis content de mieux te comprendre. Considérons cette histoire comme finie, okay ? »

Alphonse serre la main tendue, l'air inhabituellement sérieux.

« Merci à toi, Ewald.

-Ce n'est rien. Je pensais que je pourrais peut-être vous faire visiter le manoir, si vous n'avez pas de questions ? Il nous reste du temps avant le repas. »

Nous acquiesçons, Alphonse ayant l'air légèrement soulagé de changer de sujet. Ewald est dur à lire, comme d'habitude. Par acquis de conscience, j'effleure son esprit, et lorsqu'il s'ouvre au contact je lui demande :

« Tu vas bien ?

-Je n'ai pas l'habitude de remuer ça. Mais ça va, ne t'inquiète pas. »

Il n'a pas laissé de sentiments teinter notre lien, donc je ne sais pas dans quelle mesure il dit la vérité. Néanmoins, je n'insiste pas. J'ai l'impression qu'il y a d'autres choses, d'autres secrets dont il ne parle pas, mais Ewald est comme ça. Et tant qu'il va bien, j'imagine que c'est l'essentiel.

Le manoir est grand. Au moins autant que celui de la famille d'Arthur, probablement plus. Tout y est impeccablement propre. Ewald nous explique que trois elfes de maison sont au service de sa famille. Il nous en présente d'ailleurs deux, les invoquant d'un claquement de langue particulier. Ils se prénomment Jamy et Freddy, et se montrent ravis de faire de notre connaissance. Heureusement, ils sont moins volubiles que Dobby dans les livres, ou que l'elfe de maison que j'ai pu rencontrer chez les Clifford. Non, ils sont… Classes d'une certaine façon, vêtus d'une sorte de smokings adaptés à leur morphologie, prêts à répondre à tout ordre d'Ewald. Il les congédie rapidement, après nous avoir présentés. Alphonse a l'air un peu mal à l'aise, j'imagine qu'il n'a pas l'habitude de voir de tels êtres. Nous ne rencontrons pas le troisième elfe de maison, celui-ci se consacrant au service de la grand-mère d'Ewald. La décoration du manoir est dans l'ensemble assez verte et désuète, même si certaines pièces se démarquent un peu. Les environs de la chambre de la mère d'Ewald, par exemple, sont dominés par des teintes roses et pastel, et la salle à manger dans laquelle nous passons plus tard, au rez-de-chaussée, possède un mobilier plus moderne. J'aime beaucoup la bibliothèque aussi, une pièce située au troisième étage, disposant d'échelles pour accéder aux étagères les plus hautes et de grandes fenêtres dispensant une bonne lumière pour pouvoir lire facilement. J'y aurais bien passé plus de temps, mais la visite continue.

La dernière pièce à se démarquer est une sorte de chapelle circulaire, au sous-sol, au centre de laquelle trône une émeraude grosse comme le poing. Ses murs ont des allures de grotte, avec des plantes grimpantes et de la mousse, et la seule lumière naturelle provient d'un trou creusé à la verticale du joyau. Des coussins verts, à l'air confortable, sont entassés dans un coin. Lorsque nous demandons à Ewald, intrigués, à quoi sert la pièce, il nous explique que c'est un endroit où sa mère aime méditer.

« La pièce sert aussi pour pratiquer de la magie naturelle. C'est un domaine de la magie sans baguette que je ne connais pas trop, mais que ma mère et ma grand-mère pratiquent un petit peu.

-Tu saurais nous dire un peu en quoi ça consiste ? » je demande, intriguée.

« Si j'ai bien compris, on ne lance pas de sorts à proprement parler, plutôt des sortes d'intentions qu'on mêle aux flux magiques environnants. Je sais que ma mère s'en sert pour pousser la nature à s'épanouir autour du manoir, et ma grand-mère a plutôt tendance à se ressourcer dans le flux magique pour conserver un certain tonus… En tout cas, elle se précipite souvent ici après une session prolongée au magenmagot ! » fait Ewald avec un petit rire amusé.

« Et l'émeraude, elle est magique ? » Demande Alphonse. « C'est à cause d'elle que le manoir s'appelle comme ça ? »

Ewald s'assombrit légèrement.

« L'émeraude n'est pas magique à proprement parler, mais elle peut servir en magie naturelle je crois, pour concentrer l'énergie. » Je soupçonne les connaissances d'Ewald en la matière d'être plus étendues que ce qu'il a laissé entendre. Il continue à parler, et je laisse filer mes pensées.

« Le nom du manoir… Est une sorte de compromis. Il ne s'appelait pas comme ça quand j'étais petit, mais en conséquence des événements dont je vous ai parlé tout à l'heure ma famille s'est mise d'accord pour lui donner un nom plus neutre pour repartir sur de meilleures bases. Cette salle était un ajout récent, et a donné l'inspiration pour le nom du manoir. La décoration était déjà assortie de toute façon, famille de Serpentard oblige.

-Je comprends, désolé.

-Y a pas de mal. »

Ça fait bizarre d'entendre Alphonse s'excuser autant, j'imagine qu'il ne s'attendait vraiment pas à tout ça. Apprendre tant de choses sur Ewald, et se rendre compte à quel point il a pu se tromper sur lui avant de le connaître doit être étrange. Et les événements de ces derniers jours n'aident pas à être stable, je suppose.

Comme nous sortons de la pièce à l'émeraude, qui nous a fait forte impression, Jamy (ou est-ce Fredy?) apparaît devant nous avec un pop sonore, s'inclinant profondément avant de s'adresser à Ewald :

« Le repas est prêt, jeune maître, votre mère m'envoie vous prévenir.

-Nous arrivons. » répond mon ami avec un sourire.

L'elfe de maison s'incline de nouveau avant de disparaître, et le serpentard nous guide jusqu'à une grande salle à manger que nous avons déjà traversée plus tôt. Une grande table en bois d'ébène s'y dresse, austère, et la mère d'Ewald y est déjà établée. Elle nous sourit en nous voyant arriver, rendant par ce simple geste la pièce tout de suite plus accueillante. Elle nous invite à nous asseoir d'un geste gracieux de main et nous nous attablons. Ewald prend place à la droite de sa mère, Alphonse et moi face eux. Nous n'occupons que le bout de la table, il y aurait de la place pour une bonne dizaine de convives supplémentaires. La mère d'Ewald claque une fois dans ses mains, et l'un des elfes de maison apparaît, les bras chargés de lampions de couleurs pastels. Il entreprend de les faire s'envoler un par un, et ils se mettent à diffuser une douce lumière qui s'ajoute à celle du lustre en cristal au-dessus de nos têtes. Ensuite, la créature s'empresse de nous demander ce que nous voulons boire. J'opte pour un simple jus de fruit, tandis qu'Alphonse accepte la proposition des Carter-Slide de se joindre à eux pour un verre de vin.

Les elfes de maison nous apportent ensuite rapidement une entrée, des petits toasts délicieux. À priori, la grand-mère d'Ewald ne se joindra pas à nous pour manger, c'est une bonne nouvelle. Je commence pourtant à craindre doucement que la situation ne devienne gênante, car nous n'avons toujours pas échanger un mot depuis que nous sommes assis, mais c'est aux alentours de ce moment là que Rosemary commence à nous interroger sur nos parcours, nos envies, comment les choses se passent pour nous à Poudlard… C'est peut-être un peu artificiel, et comme dans toute bonne conversation enfants/adulte les questions tournent beaucoup autour de nos cours, nos notes et nos amis, mais la mère d'Ewald a une façon de nous interroger qui nous donne l'impression qu'elle s'intéresse énormément à ce qu'on raconte. Au fur et à mesure du repas, elle nous interroge aussi sur le monde moldu, la vie quotidienne sans magie, et finit par nous confier que son père trouvait les moldus très ingénieux, et qu'elle aimerait bien faire un tour de notre « côté » un de ces jours. À aucun moment elle ne donne l'impression de mépriser les moldus, et c'est sans doute pour ça qu'Alphonse est si volubile. Pour ma part, je demeure polie, mais j'ai un peu de mal à me concentrer sur la conversation. Je suis fatiguée. Ewald, quant à lui, intervient surtout au début, mais ne commente pas trop nos réponses sur le monde moldu. Sa mère lui pose pas mal de questions sur Alphonse, semblant se réjouir de sa visite prochaine (donc à priori c'est sûr, maintenant, et je ne suis pas certaine d'apprécier l'idée).

Une fois le repas terminé, la conversation ne se prolonge pas trop, la mère d'Ewald nous abandonnant assez vite. Ewald nous assure tout en remontant vers nos chambres qu'elle n'a rien contre nous, et qu'elle n'a juste pas l'habitude d'avoir autant de monde à la maison. Je le crois volontiers, et de toute façon ça n'a pas une grande importance pour moi. Il commence à se faire tard, et le manque de sommeil me rattrape un peu. Nous nous regroupons dans la chambre d'Alphonse, et Ewald aborde le sujet qui fâche :

« Il va falloir que nous nous organisions pour la nuit. À partir de demain soir, les elfes de maisons pourront veiller sur toi, Vivian, mais pour ce soir ce sera à Alphonse de le faire, si c'est okay pour toi, Alphonse. »

Instantanément, j'oublie ma fatigue, la colère brûlant en moi. Il ne fait même pas semblant, il ne me ménage pas, et c'est une bonne chose, mais comment ose-il ?

« Je n'ai pas besoin de baby-sitter ! » je fais, scandalisée, en même temps qu'Alphonse répond d'une voix grave :

« Pas de problème. »

Ewald réagit avant Alphonse, pour une fois, et me rétorque :

« Une fois de plus, tu n'as pas voix au chapitre, Vivian. Il est hors de question de te laisser sans surveillance alors que tu peux te tuer à tout moment. » sa voix est froide, comme à chaque fois qu'il cache ses émotions. Elle s'adoucit néanmoins quand il ajoute :

« Je sais que c'est pénible pour toi, mais c'est un mal nécessaire. »

J'ai envie de crier de frustration, mais j'essaye de me contenir. Il faut leur inspirer confiance, pas les consolider dans leur méfiance. Néanmoins, j'ai peur.

« Et sous quelle forme serait cette surveillance ?

-Tu fais bien de poser la question. J'installerai un fauteuil pour Alphonse dans ta chambre et si il y a le moindre problème, il me préviendra. Ou si tu penses que tu vas t'endormir, réveille moi. » ajoute le serpentard à l'adresse d'Alphonse qui hoche la tête.

« Je ne pourrai pas dormir avec quelqu'un qui m'observe. » je proteste.

« Il fallait y penser avant d'essayer de te tuer. » constate froidement Ewald.

J'ai beau l'apprécier, en cet instant j'ai envie de lui écraser la tête contre le mur.

« Je me ferai discret, Viv' » tente de me rassurer Alphonse.

Je sors de la pièce précipitamment, me retenant de justesse de claquer la porte. Avant que je n'aie pu refermer celle de ma chambre derrière moi, Ewald me retient par le bras. J'essaye de me dégager, mais il ne me lâche pas, entrant dans la pièce à ma suite avant de refermer derrière nous. Je le regarde avec un air de défi, et il finit par soupirer, me libérant dans le même temps. Il va ensuite s'asseoir doucement sur mon lit, m'invitant d'un geste à le rejoindre. Je le fais, serrant les poings, plantant mes ongles dans ma paume dans l'espoir de me calmer. Je m'installe le plus loin possible de lui, et son regard se rive presque instantanément sur mes mains. Je me force à décrisper mes poings, joignant ensuite mes mains devant moi pour m'y appuyer (et me mordre discrètement). Quelques instants s'écoulent avant qu'Ewald ne rompe le silence.

« Pourrais tu me dire pourquoi tu es si contrariée ? Tu devais bien te douter que nous ne te laisserions pas sans surveillance. »

Je prends le temps d'inspirer profondément avant de répondre.

« Parce que j'ai besoin de ma tranquillité, parce que c'est trop intrusif, comment veux tu que je dorme avec un homme dans ma chambre ?

-Tu as déjà dormi chez Alphonse, pourtant, non ?

-J'ai passé mes premières nuits à psychoter dans mon coin, plutôt. »

Ewald soupire.

« Tu seras sous surveillance dans tous les cas. Mais si il y a une façon de te rendre ça moins inconfortable, que tu as des idées, je suis prêt à les écouter.

-Qu'il n'y aie personne dans ma chambre ? Parce qu'à part ça non, je ne vois pas. »

Mon ami grimace.

« Ce ne sera pas possible. Mais si tu veux, je peux te proposer une potion de sommeil sans rêves et un somnifère pour t'aider à dormir. C'est mauvais d'en prendre trop, mais pour une seule fois ça devrait aller.

-Et être complètement sans défense ? Non merci.

-Alphonse ne te veut aucun mal, tu sais ? »

La rage bouillonne à nouveau en moi, talonnée de près par la panique. Je mords ma main plus profondément. Il ne peut pas comprendre.

« Peu importe. » je lâche, amère.

Ewald fronce les sourcils, et se rapproche de moi avec une lenteur délibérée. Je me tends. Il attrape mes mains avec délicatesse, les éloigne de ma bouche. Je ne résiste pas. Je commence à vraiment dissocier.

« Non, pas 'peu importe'. » répond-il avec douceur. « Explique moi, s'il-te-plait.

-Ça ne sert à rien. » je fais, détestant le fait que sa main autour des miennes me paraisse si réconfortante.

Il garde le silence, et je continue à essayer de contrôler ma respiration. Je me demande distraitement ce qu'il a dit à Al' pour ne pas que celui-ci ne nous suive. Finalement, je finis par lâcher :

« Je ne saurai même pas comment t'expliquer. Tu ne peux pas comprendre, parce que tu n'as jamais ressenti tout ça.

-Dans ce cas, fais-le moi ressentir. » propose Ewald en me regardant dans les yeux.

Je détourne le regard en premier. Je n'ai pas envie de faire ça. Mais un reste de colère en moi me pousse à lui montrer, pour qu'il sache ce que c'est de souffrir, peut-être. Mes pensées ne sont pas très cohérentes. J'ouvre notre lien. Il est à l'écoute. Je propulse pêle-mêle dans son esprit ma peur, ma tension, la pression que ça me fait ressentir d'être sous surveillance, l'hypervigilance dont je fais preuve à tout instant. J'emploie le peu de contrôle qui me reste à retenir en moi mon envie de mourir, ma haine de moi-même et tout ce qui pourrait le conforter dans son envie de contrôle. Je le laisse comprendre que mon instabilité vient des événements de ce dernier jour. Ce n'est pas le bon moment pour forcer une telle surveillance. J'essaye désespéramment de lui faire comprendre. Malgré moi, en propulsant mes émotions je leur donne de la force, et j'ai encore plus de mal à respirer. Je commence à hyperventiler à nouveau, et la pensée qu'Ewald a déjà vu ça ne m'aide pas à garder mon calme. Je sens qu'il me lâche les mains, et j'ai un sentiment instinctif de protestation, que je lui transmets malgré moi, qui s'éteint au moment où il me prend prudemment dans ses bras. Nous restons longtemps enlacés, et il s'emploie à m'aider à ordonner mes sentiments, il diffuse du calme et de l'apaisement, comme une cheminée diffuserait de la chaleur. Et malgré moi, ça finit par fonctionner. Je commence même à sentir mes paupières s'alourdir, épuisée par les remous de mon esprit et le chaos de ma vie depuis hier soir.

Ewald se sépare un peu de moi pour m'aider à m'allonger, et m'aide même à enlever mes chaussures. C'est étrange, mais ça ne me met pas mal pour autant. Je suis comme dans un brouillard d'épuisement. Il m'aide à m'allonger sous la couette. Le lit est confortable.

« Tu ferais mieux de dormir Vivian. Ça va aller.

-Reste avec moi. Je préfères que tu sois là plutôt qu'Alphonse. » je chuchote, à contrecœur.

« Tu es sûre ? » me demande il sur le même mode, l'air surpris.

Je me contente de vaguement hocher la tête pour toute réponse, et il s'assoit sur le lit près de moi, adossé au mur. Je me retourne pour pouvoir le voir, et tends légèrement la main vers lui, dans l'espoir qu'il la prenne. Il doit comprendre mon mouvement, car après une hésitation il me prend la main.

Je m'endors comme ça, en serrant sa main dans la mienne. Je me réveille brièvement à un moment, j'entends des chuchotements, mais bien vite Ewald me murmure de me rendormir, et ses doigts tracent des cercles apaisants sur ma main. Je sombre à nouveau. Je me réveille quelques heures plus tard, après un cauchemar, et j'ai un moment de choc en apercevant une forme endormie près de moi. Je reconnais assez vite le serpentard, et comprend qu'il a dû s'endormir à mes côtés. Mes mouvements ont dû le réveiller car il se met à remuer, et ouvre les yeux.

« Tout va bien Vivian ? Désolé, je me suis endormi.

-Ça va. » je marmonne, pas vraiment réveillée. « C'est pas grave. Mais tu devrais mieux t'installer si tu ne veux pas de courbature.

-Tu es sûre que ça va ? Tu pleures.

-J'ai juste fait un mauvais rêve. »

Je me retourne, pour ne pas qu'il continue à voir mes larmes. J'ai rêvé qu'on me violait. J'ai envie de me couper.

« Tu es sûre que tu veux que je reste ? Je peux demander à Alphonse de veiller sur toi, ce sera peut-être plus confortable, non ? »

Pour toute réponse, je lui passe un bout de couverture avant de tendre à nouveau la main vers lui. Il la prend, et son simple contact chasse un peu les brumes de mon cauchemar. Il s'installe un peu plus confortablement, et finit par dire.

« Très bien. Bonne nuit, Vivian.

-À toi aussi. » je chuchote, avant de sombrer à nouveau.

Lorsque je me réveille lendemain, j'ai la tête lourde. Mon lit est désert, mais Alphonse est assis sur une chaise près de l'entrée de la chambre. Il relève la tête en m'entendant remuer.

« Bien dormi ? Ewald est allé voir sa mère, tu as dormi longtemps !

-Il est quelle heure ? » je grogne, puisqu'on ne peut pas vraiment appeler ça parler.

« Presque onze heures du matin. »

Merde. J'ai beaucoup dormi ! D'un autre côté, c'est toujours ça de pris, ça de moins de temps conscient, donc j'imagine que c'est pas plus mal.

« Tu veux grignoter un truc ? Ewald m'a dit qu'on pouvait appeler les elfes de maison si besoin.

-Ça ira. Par contre je crois que je vais prendre une douche. »

Une grimace apparaît brièvement sur le visage d'Alphonse, mais il hoche la tête.

« Euh okay, par contre il faut attendre qu'Ewald revienne pour savoir comment on s'organise.

-Comment ça ? Il est hors de question que qui que ce soit soit dans la salle de bain pendant que j'y suis ! »

Je me suis levée un peu vite, indignée, et ma tête proteste en se faisant encore plus lourde. J'ai presque une migraine avec ces conneries.

« Oui, oui, bien sûr. » fait Alphonse, les mains levée en signe d'apaisement. « Mais Ewald avait une idée pour garder des mesures de sécurité acceptables sans te déranger trop, sauf que je ne sais pas trop ce que c'est, alors on l'attend d'accord ?

-C'est pas comme si j'avais le choix. » je soupire.

Nous gardons le silence quelques minutes, moi assise dans mon lit et lui toujours dans son fauteuil, puis il me glisse un regard intrigué.

« En parlant d'Ewald, vous êtes assez proches, non ? Tu lui fais davantage confiance qu'à moi, j'ai l'impression. »

Il n'y a pas de jalousie dans sa voix, à peine de la curiosité et une pointe de trahison, peut-être, mais peut-être aussi que j'interprète trop. Je soupire.

« D'une certaine façon oui, j'imagine. Je l'apprécie, mais je t'apprécie aussi. Je veux dire, je vous apprécie tous les deux, et ce n'est pas vraiment comparable. Vous êtes tous les deux mes amis, et je partage des choses avec vous deux, et d'autres juste avec l'un ou l'autre. » j'essaye d'expliciter, toujours peu réveillée, incertaine de répondre à sa question. « En l'occurrence, depuis la chasse aux lucioles j'ai un lien télépathique avec Ewald, et c'est lui qui m'a permis de débloquer mes souvenirs, alors il a eu accès à certaines choses… intimes. C'est pas souvent qu'on partage ses émotions avec quelqu'un.

-Je savais même pas que c'était possible, tu me montreras comment ça marche ?

-Euh te montrer, je sais pas, et si tu veux des explications Ewald pourrait en donner de meilleures, mais je pourrai toujours essayer si ça t'intéresse… »

Al' a un sourire, puis demande d'un ton taquin (même si je devine que c'est une vraie question) :

« Et du coup, qu'est-ce que tu ne partages qu'avec moi ? »

Je prends le temps de réfléchir deux secondes avant de répondre, en français :

« Cette langue, déjà. Je crois qu'elle est précieuse pour nous deux, chacun à notre façon. »

Alphonse hoche la tête, l'air plus sérieux, et je continue en anglais :

« Notre goût de l'adrénaline et une promenade nocturne sur les toits aussi. Tu imagine Arthur ou Ewald là haut ? »

Nous rigolons tous les deux à l'idée du serpentard, toujours soigné et prudent en train de ramper dans la boue pour éviter des caméras ou en train d'escalader la grue sans protection magique. Je ne sais pas si j'ai rassuré Alphonse, mais c'est à ce moment là qu'Ewald nous rejoint, et il sourit en arrivant.

« Content que tu sois réveillée, Vivian. Tu te sens comment ?

-Sale, j'aimerais bien prendre une douche, et apparemment je n'avais pas le droit d'y aller sans que tu nous expose ton dernier plan pour surveiller la Vivian. »

Ewald ne se donne pas la peine de relever, et se contente de dire d'un ton neutre :

« Je vois. Le plan est simple : je veux que tu restes en connexion avec moi, et l'un de nous sera à la porte de la douche en attendant que tu es fini. Si à un moment on t'appelle et que tu ne réponds pas nous nous réservons le droit d'ouvrir la porte. On y va ? »

Je fronce les sourcils, mais je ne proteste pas. Continuer à me montrer docile, encore un peu… Il faut juste que je trouve une faille. Ça finira par arriver. Et il ne faut pas que je leur donne de raison de se méfier davantage.

Une fois enfin seule dans la salle de bain (autant qu'on peut lettre avec un lien émotionnel permanent avec un serpentard) je me déshabille et entreprends de fouiller la pièce, au cas où Ewald ou Alphonse auraient laissé passé un objet utile pour moi. La salle est assez grande, au passage, et le sol est dallé de marbre veiné de vert. Le mobilier est argenté et assez réduit. Il y a un miroir (sur pied, je vous prie), j'espère pas enchanté (je trouve ça méchamment creepy, des filles du dortoir en utilisent qui les complimentent sur leur coiffure). Dans le doute, je ne m'en approche pas trop. Il y a un lavabo avec quelques produits d'hygiène. Je vois une brosse à dent posée dessus, celle d'Alphonse j'imagine. Je ne sais pas comment les sorciers font pour se brosser les dents, on aurait dû voir ça en CD2M, ça aurait été utile… Bref, à part ça il y a surtout une immense baignoire en marbre qui prend tout un coin de la pièce, avec une fenêtre qui donne vue sur le jardin derrière, bien entendu. Un petit meuble à côté supporte une serviette sèche qui m'est probablement destinée. C'est pas brillant. À défaut de mieux je me mords et je donne quelques coups de poing (pas trop fort pour ne pas faire trop de bruit) dans le sol. Ça ne suffit pas à me détendre, mais c'est mieux que rien.

La douche me fait du bien, mais je ne m'y attarde pas trop, stressée par l'idée que l'un des garçons est juste derrière la porte à m'attendre. Lorsque j'en sors il est déjà presque l'heure de déjeuner, et nous nous dirigeons vers la salle à manger. Comme la veille, la grand-mère d'Ewald est absente, et le repas est à nouveau plaisant et délicieux, même si je ne mange pas tant que ça. Je n'en ai pas envie. Et je n'oublie pas, malgré le tourbillon de nouveautés, quel est mon but. J'envisage de piquer un couteau, mais ce sera sans doute remarquer, et ils ne sont pas super aiguisés. J'imagine qu'il va me falloir attendre plus longtemps...

Après manger Ewald nous amène à l'extérieur, et nous découvrons une partie du grand domaine de la famille Carter. Ou Slide ? Je n'ai pas osé demandé à Ewald lequel de ces noms est celui de sa mère. Quand Alphonse ne sera pas là, peut-être. Je préfère juste poser les questions personnelles quand je suis tranquille avec la personne qui m'intrigue. Bref, lorsque nous sortons du manoir nous découvrons d'abord un charmant jardin à la française, avec des bancs blancs pour se reposer et de jolies arcades. Il y a même une petite mare avec de jolis nénuphars, au détour d'une haie. En poursuivant notre chemin nous découvrons une petite forêt qui dissimule la dépendance occupée par la grand-mère d'Ewald. Nous ne nous en approchons pas. Nous nous limitons à faire un tour du manoir, de toute façon, plutôt que de s'enfoncer sur les terres. Nous sommes presque revenus à notre point de départ lorsque nous atteignons un potager situé près d'une porte assez discrète donnant accès au manoir. Ewald nous explique qu'il est tenu par les elfes de maison, qui prennent plaisir à entretenir la terre et à en tirer la subsistance de leurs maîtres.

La visite finie, puisqu'il nous reste plusieurs heures de jours, Ewald nous propose de faire un peu de Quidditch. Nous avons tous les trois ramené nos balais de Poudlard, et Alphonse a l'air tout de suite motivé par la proposition. Pour ma part, ça m'est un peu égal, il faut bien s'occuper et j'aime bien voler. Et puis, qui sait, sur un malentendu je pourrais peut-être malencontreusement tomber de mon balais ou me faire décapiter par une branche ?

Le terrain de Quidditch n'est pas un vrai terrain à proprement parler, il n'y a qu'un but, mais ça suffira pour nous trois. Ewald propose surtout de lâcher un vif et de voir qui l'attrapera en premier. Alphonse insiste pour qu'un cognard soit de la partie pour pimenter les choses, et je me dis que ça me fournira un prétexte pour tomber. Ma « joie » est de courte durée, car Ewald sort ensuite ses bracelets enchantés pour l'escalade et me force à les enfiler, assortissant le tout d'un sort de glu perpétuelle.

« Pour pas qu'ils ne tombent accidentellement de tes bras. »

Je le déteste.

On s'amuse quand même, certes, j'avais un peu oublié qu'Ewald est attrapeur. Alphonse est meilleur au rôle de gardien, mais il vole très bien. Je ne démérite pas, je pense, je suis naturellement à l'aise sur mon balais, mais il me manque l'expérience d'Alphonse et la capacité d'analyse d'Ewald pour être totalement à leur niveau. Et puis bon, ils ont des bras plus longs que les miens. C'est de la triche. Je réussis néanmoins à attraper le vif une fois, contre deux pour Alphonse et trois pour Ewald.

Nous rentrons au manoir pour nous doucher avant le repas, et je fais quelques étirements avant, suivie au final par mes deux compagnons, même si Alphonse trouve que les vacances sont faites pour se reposer. Le repas se passe comme les précédents, et il est bientôt l'heure de regagner nos chambres. Mes deux glandus de compagnie proposent une bataille explosive, mais je leur dis que je préfère lire tranquillement, dans l'espoir qu'ils relâchent un peu leur surveillance… Après tout, personne n'a vidé ma lame des quelques lames qui doivent toujours s'y trouver. Trop peu accessibles, malheureusement, pour les récupérer discrètement sous la surveillance de quelqu'un. Quoi qu'il en soit, mon plan échoue. Ils finissent par s'installer sur une petite table basse, téléportée là par les elfes de maison, devant une partie de dominaris qu'ils me font la grâce de pas commenter trop fort, au moins. Je fais vaguement semblant de lire, mais le cœur n'y est pas. Soudain, je regrette d'avoir brûlé mon carnet bleu. J'aimerais pouvoir écrire. J'aimerais mourir, aussi, ou à défaut me couper, mais hey, c'est beau de rêver. Vu que je n'ai pas de meilleure option, je finis par sortir un stylo et du papier de mon coffre, et les garçons relèvent la tête de leur partie, intrigués, avant de se désintéresser de moi après s'être assurés que je ne faisais rien de dangereux.

Les mots ne viennent pas à moi, alors je le marque sur la feuille. J'y laisse un brouillard de gribouillis, de mots en vrac et de vagues dessins. « Je ne sais pas quoi dire. » « J'ai perdu mes mots. » « Muette » « Tumultes ». Je dessine un phare, à un moment, comme celui qu'il manque dans ma tête pour me guider dans mon brouillard. Je dessine des flammes brûlantes comme mon esprit fou. Et je dessine des lames, une corde avec un nœud coulant, une bouteille de poison, une seringue. Et je joue à imaginer comment je pourrais me tuer avec ce qui est à ma portée. J'écris encore, d'autres mots, en français, au dos de ma feuille.

Égarée dans un brouillard de mots
Intangibles gouttelettes d'eau
Que je rêve d'attraper
Si je pouvais m'y abreuver

Et ne plus être muette
Me couper aux arrêtes
Des souvenirs qui me brûlent
Ma douleur est ridicule

L'exutoire est interdit
Même mes mots me fuient
Ne reste qu'une feuille morte
Que le vent emporte

À un moment, les garçons finissent leur partie, et Alphonse, curieux comme toujours, me demande ce que j'ai écrit. J'hésite un instant, mais je finis par lui tendre la feuille, lui enjoignant de ne lire que le poème, gardant un bout du papier entre les mains pour éviter qu'il ne le retourne et qu'il ne voie les dessins.

« C'est… Joli, même si je n'y comprends pas grand-chose. » finit-il par lire.

« Je vais aller dormir, à demain Viv'.

-Bonne nuit. » je réponds, accompagnée par Ewald.

Une fois le gryffondor sorti, le serpentard s'assied près de moi, au bord du lit.

« Les elfes de maison veilleront sur toi cette nuit. Si tu as besoin de moi n'hésite pas à venir me réveiller, ou à demander à Jamy d'apparaître, il pourra me réveiller à ta place. N'hésite surtout pas, d'accord ? Ça ne me dérange pas.

-C'est obligé, l'elfe de maison ?

-Il ne sera pas vraiment dans la chambre, il a juste un moyen de surveiller magiquement, c'est acceptable pour toi ?

-J'imagine... » je grogne, avec une absence d'enthousiasme que je ne cherche pas du tout à dissimuler.

« Tant mieux. » sourit Ewald. « Est-ce que tu accepterais de me montrer ton poème, à moi aussi ?

-C'est en français, tu ne vas rien comprendre.

-On peut essayer un exercice, si ça ne te dérange pas.

-À savoir ? » je demande, vaguement intriguée.

« Nous établissons notre lien et tu lis le poème dans ta tête en essayant de m'en transmettre le sens.

-Pourquoi pas... » je réponds spontanément.

La lecture du poème est étrange. Je sais que par notre lien Ewald perçoit aussi les émotions qui me traversent, dans une certaine proportion, et c'est une expérience extrêmement intime de me dire qu'il comprend mes mots comme je les comprends moi. Je n'ai pas le moindre doute qu'il sache ce que mes mots veulent dire, même si ils sont en français. Quand j'ai fini, il rompt doucement le lien avant de tendre la main vers le papier. Je me sens hésitante et fragile quand lui laisse prendre. Je ne le regarde pas quand il voit tous les dessins évoquant mes vœux de mort. Je me blottis juste davantage sous la couverture. Il finit par plier soigneusement le papier avant de passer son bras au-dessus de ma tête et de le poser doucement sur la table de nuit.

« Ça finira par aller, Vivian. Je n'accepterai pas qu'il n'en soit autrement. Je ne t'abandonnerai pas. »

Sa main se pose près de la mienne, comme une invitation. Je la prends doucement, et il la serre.

« Merci d'avoir partagé ton poème avec moi. » ajoute-t'il, par voie (ou voix?) télépathique.

Sans que je n'ai besoin de le demander il reste là, à me donner la main, jusqu'à ce que je m'endorme.

Je me réveille plusieurs fois pendant la nuit, et je fais de mauvais rêves lorsque je parviens à dormir. Je ne peux m'empêcher de regretter qu'Ewald ne soit pas resté plus longtemps auprès de moi. Et je me hais pour cette pensée. Je ne veux pas m'attarder sur le niveau de réconfort que sa présence me procure, ni sur le léger apaisement qu'elle m'apporte. Je ne veux pas m'ouvrir encore davantage. Je ne peux pas. Sauf la gorge, bien sûr, ce serait volontiers, encore faudrait il que ces saloperies « d'amis » arrêtent de me surveiller H24.

xxx

« Il a neigé ! Il a neigé ! Viens voir Vivian ! »

J'émerge péniblement, une aura meurtrière prenant sans doute forme autour de moi car Alphonse s'arrête brutalement à l'entrée de ma chambre.

« Euh, désolé, je t'ai réveillée ?

-Effectivement. » je lâche, le plus froidement possible (c'est de circonstance).

Je saisis mon deuxième oreiller pour le propulser de toutes mes forces vers Alphonse. Il esquive le projectile sans problème, ce qui est assez vexant. Mon regard est attiré par mon livre sur ma table de chevet. C'est tentant. Dommage que je respecte trop les livres. Mais ça, Al' n'est pas obligé de le savoir. Je brandis l'ouvrage d'un air aussi menaçant que possible avant de siffler :

« Tu as trois secondes pour sortir. Trois.

-Désolée Viv', désolé… Mais il a neigé ! »

Je respire profondément, et pose à regret mon livre avant de lui balancer un nouvel oreiller (puisque de toute façon je ne vais pas pouvoir me rendormir). Il esquive à nouveau, mais pas Ewald qui entre à cet instant précis dans la pièce, l'air inquiet.

« Tout va bien ? J'ai entendu du bruit et... » L'oreiller interrompt sa phrase à cet instant précis.

« C'est la faute d'Alphonse, il m'a réveillé ! Venge toi comme tu veux, Ewald ! » je crie tout de suite, pour me dédouaner.

« Hé ! C'est toi qui a lancé l'oreiller ! » proteste Alphonse

« Tu l'avais cherché. » juge Ewald.

« C'est ça, mettez-vous à deux contre un !

-Tu veux peut-être un duel, Bludfire ? » demande sournoisement Ewald.

Alphonse pâlit légèrement.

« Ça ira. » fait il, de mauvais gré.

« Je préfère ça » sourit Ewald, avec l'air d'un oiseau venant de manger un canaris. « Enfin, si vous êtes tous les deux réveillés, je propose un petit déjeuner.

-J'arrive ! » braille Alphonse, et mes tympans le maudissent.

« Pars devant, je m'occupe de Vivian » soupire Ewald, sans doute épuisé lui aussi par tant d'enthousiasme.

Une fois seuls, Ewald referme la porte et a la bonne grâce de ne pas tirer les rideaux, laissant mes yeux s'adapter tranquillement à la pénombre. Je me change sous mes draps, toujours aussi agacée de la surveillance constante à laquelle je suis soumise, et assommée par le manque de sommeil. Au moins, le serpentard reste plutôt silencieux, ce dont je lui sais gré. Nous rejoignons ensuite Alphonse dans la salle à manger, la mère d'Ewald ne partage pas le petit-déjeuner avec nous.

Une fois nos estomac remplis, nous sortons pour faire une bataille de boules de neige, un passage obligatoire d'après Alphonse qui a perdu dix ans avec l'apparition du manteau blanc. Nous nous poursuivons en criant et en riant dans les allées du jardin à la française, et bien malgré moi je dois admettre que je m'amuse. Ça me fait du bien de rire. En arrière-plan, mon cerveau se demande combien de temps il me faudrait pour mourir d'hypothermie, certes. Mais à part ça, je m'amuse, et nous assistons même au spectacle rare d'un Ewald débraillé. Je m'assure qu'Alphonse reçoive plus que sa part de boules de neiges pour me venger du réveil brutal. Je pousse même le vice jusqu'à attendre qu'il soit sous un arbre pour provoquer la chute de toute la neige accumulée dans ses branches d'une boule bien placée. En passant près d'un creux dans le terrain, je réalise qu'il s'agit de la mare et un plan vicieux me vient à l'esprit.

D'un frôlement de pensée, j'attire l'attention d'Ewald et je lui expose mon plan. Le serpentard trouve l'idée de faire tomber Alphonse dans la mare assez drôle, assurant qu'il saura le réchauffer avec sa baguette si besoin. Avec la complicité de mon ami nous parvenons à attirer Alphonse, pris dans le jeu, jusque sur la fine couche de neige sur la glace… Et avec un grand craquement, le sixième année va dire bonjour aux algues. Il ne doit pas trop souffrir de la rencontre, car il ressort instantanément de l'eau (peu profonde) et se met à me courir après comme un forcené, proférant des menaces. Leur impact est bien diminué par les bégaiements et les tremblotements dus au froid, mais du coup il réussit à m'attraper car il est difficile de pleurer de rire et de courir en même temps (et encore une fois, il a l'avantage d'avoir des jambes plus longues). Ewald trouve la situation amusante, mais finit par intervenir avant que je ne fasse la connaissance intime de la mare à mon tour. Il réchauffe le gryffondor d'un coup de baguette, et nos jeux se poursuivent jusqu'à ce que la faim nous creuse le ventre.

En rentrant au manoir nous sommes accueillis par la mère d'Ewald qui a l'air d'avoir suivi nos jeux de loin. Elle nous taquine sur notre apparence déchevelée, et Ewald lisse ses vêtements d'un air presque embarrassé qui disparaît lorsque Rosemary éclate de rire. Elle rit, et c'est la première fois depuis que nous sommes là, je crois. Elle rit, et son fils a un air presque surpris, qui se transforme vite en un sourire heureux. Malgré moi, je m'interroge à nouveau sur cette femme énigmatique qui a subi un sort similaire au mien, d'une certaine façon.

Le repas se passe dans une ambiance conviviale, et je suis presque triste lorsque Alphonse annonce qu'il ne devra pas trop tarder à partir. Il va fêter Noël dans sa famille, en France. J'ai un pincement de cœur en pensant à mon pays d'origine, et y penser me renvoie forcément à mes souvenirs. Je deviens plus silencieuse, mais dans les effusions du départ personne ne le remarque. Le gryffondor repart par cheminette, et nous l'accompagnons tous jusqu'au salon (sauf la grand-mère, évidemment, mais je doute qu'Alphonse n'en soit trop attristé). Lorsque les flammes vertes disparaissent après l'avoir englouti, je ressens une sensation de vide et de soulagement à la fois. Vide, parce qu'il prenait de la place, l'air de rien, mais aussi en repensant à la France, à mon passé. Soulagement, parce que maintenant il n'y a plus qu'Ewald pour veiller sur moi. Et je finirai bien par tromper sa vigilance. J'ai une pensée à la fois doucement triste et profondément réconfortante. Si tout va bien, c'est la dernière fois que je voyais Al'.

xxx

« Je marche, je grimpe, je m'assieds pour me relever, les mots ne sortent de moi que par mes doigts. Presque jamais vraiment par ma voix. Et ceux qui comptent restent là, puisque toi tu n'es pas là. Mais à vrai dire je n'ai pas besoin de toi. J'existe quand même. Je suis là, dans mon monde de silence. Les mots sont scellés par mes lèvres fermées, et ne font que tourner dans mon esprit, ou plutôt la sensation de ces lèvres closes étaye la forme et est ma pensée. Elle devient un point. Comme celui ci. »

-Extrait d'un document sur une clé USB appartenant à Aurore Berger-


Quand je tire le texte de fin de chapitre de mes archives plutôt que de l'écrire sur le moment j'ai toujours peur de l'avoir déjà utilisé xD
Bref, j'espère que le chapitre vous aura plus, j'espère réussir à publier le dernier avant Mai, mais je ne vous promets rien, comme d'hab.
Un grand merci à celleux qui laissent des reviews, c'est vraiment précieux pour moi.

Sur ce je vais dormir, à la prochaine!