Bonsoir les genstes!

Voici un nouveau chapitre, à nouveau pas relu, mais en contrepartie ça reste une fois par mois!
En espérant que vous l'appréciez, il me tarde de savoir ce que vous penserez des "révélations".

Une nouvelle fois un grand merci à celleux qui reviewent, on se retrouve en bas!


Nous arrivons au manoir par cheminette. Le temps de retourner sur le chemin de traverse et d'attendre notre tour pour rentrer, j'ai eu le temps de paniquer. Est-ce qu'il va me dénoncer à quelqu'un ? Confier mon cas aux adultes ? Comment m'a-t'il retrouvée, à nouveau ? Je dissocie beaucoup, j'ai l'impression d'être dans une sorte de brouillard, loin de mes pieds qui avancent inéluctablement vers la discussion qui va forcément avoir lieu, sauf si bien sûr il n'en a plus rien à foutre parce que c'était trop.

J'arrive en premier dans le salon, et il me suit de près. Je ne bouge pas, attendant qu'il fasse le premier pas. À quoi bon. Et je ne sais même pas où il veut qu'on aille. Son visage est fermé, et il se met en route sans faire de commentaire. Je le suis jusqu'à la bibliothèque. Il me dit d'attendre cinq minutes, puis il invoque Jamy, lui enjoignant de ne pas me quitter des yeux jusqu'à ce qu'il revienne. Il m'explique qu'il doit prévenir sa mère qu'on est rentrés. Je ne peux m'empêcher de me demander si il va lui dire ce que j'ai fait. Cette simple idée me donne la nausée. Je fais un effort conscient sur moi même pour ne pas craquer et commencer à hyperventiler devant l'elfe de maison. Presser les longues plaies sur mes avant-bras m'aide beaucoup. Le tissu est humide sous mes mains, et je suis heureuse qu'il soit noir. Malgré tout, je réalise que mes paumes doivent être rouges de sang et je me demande comment les nettoyer avant qu'Ewald ne le remarque. Je les essuie discrètement sur mon pantalon, noir lui aussi, en espérant que ça suffise. Je bascule sans cesse entre colère et panique. Je suis en colère contre Ewald de m'avoir forcé la main ainsi. Je suis en colère contre moi-même de ne pas m'être tuée et de l'avoir laissé me retrouver. Comment il a fait ? Comment il y arrive à chaque fois ? Je suis en colère contre lui d'avoir forcé mon esprit. Étrangement, je ne me sens pas violée par cette intrusion, mais elle me fout quand même la rage.

Et en parallèle, je continue à me demander si il aurait sauté. Je ne pense pas, mais il a quand même réussi à me faire douter, là bas. Mais pourquoi il aurait fait ça ? En vrai, il s'est sans doute dit que ce serait un moyen de pression efficace, après tout il en sait suffisamment sur moi pour savoir que mes amis sont un excellent moyen de pression. Je me hais de l'avoir laissé en savoir autant. Mais dans tous les cas, il n'aurait pas sauté. Il est intelligent. Il a choisi l'option la moins risquée pour lui. L'option qui ne nécessitait pas qu'il utilise la magie en présence de moldus, par exemple. Oui, maintenant que je comprends ça, tout est limpide. Il s'est bien joué de moi pour parvenir à ses fins. Bien sûr, il tient à moi, il l'a déjà prouvé. Pour autant, il ne tient pas à ce point à moi. C'est logique. Je continue à triturer mes avant-bras, un peu malgré moi.

Enfin, la porte de la bibliothèque s'ouvre, pour livrer le passage à Ewald. Il a l'air soulagé de me voir. Il a aussi l'air fatigué. Il congédie l'elfe de maison avant de me faire signe de le suivre. Il me guide jusque dans ma chambre. Là, il ferme soigneusement la porte avant de s'asseoir au bord de mon lit, attendant visiblement que je le rejoigne. Je m'assois à mon tour prudemment, légèrement, prête à m'enfuir.

Pendant encore quelques instants, le silence nous enveloppe, puis Ewald se tourne vers moi en tendant les mains vers mes bras. Je me tends, tout de suite, mais il me dit, pour me tranquilliser :

« Je vais juste soigner tes plaies. »

J'envisage de lui demander « Quelles plaies ? » mais je n'ai même pas envie de me fatiguer. Il doit interpréter correctement mon silence, puisqu'il ajoute avec un soupir :

« Tes mains sont rouges et le tissu de ton tee shirt est mouillé. »

Je ne commente pas, mais cette fois je ne me dérobe pas lorsqu'il se rapproche et saisit ma main droite avec douceur. Il remonte délicatement ma manche, et je le vois pâlir un peu à la vue de la longue balafre que j'ai faite, du pli du coude au poignet. Au lieu de la soigner tout de suite, il attrape mon autre bras pour révéler l'autre plaie. Elle est très similaire à la première, mais moins droite, plus en diagonale. Il a l'air un peu soulagé et je comprends qu'il avait peur de trouver une blessure encore plus profonde que la première. Toujours avec douceur, et sans un mot, il soigne les plaies l'une après l'autre, avant de lancer un sort pour faire disparaître tout le sang. Il va jusqu'à nettoyer aussi mes mains et mes vêtements. Lorsqu'il a fini, il ne reste sur mes bras que de longues cicatrices blanches et fines qui, je le sais, disparaîtront en quelques jours. Il me dévisage quelques instants et je baisse les yeux, gênée. Je remets nerveusement mes manches sur mes bras, plantant nerveusement mes ongles dans la peau de mon bras gauche.

« Donne moi ta lame, s'il-te-plaît. »

Je sursaute presque à la demande d'Ewald, mais je m'exécute doucement, sans me fatiguer à protester. Il la prend doucement, en faisant attention à ne blesser aucun de nous deux, et contemple un instant sa paume ouverte et la lame à l'intérieur.

Puis il referme le poing, serrant jusqu'à ce que ses jointures blanchissent. Je tressaille. Un mince filet de sang coule de son poing fermé.

« Arrête ! » je lui crie, me précipitant pour lui enlever la lame. Avant que je ne l'atteigne, il soupire, et ouvre le poing.

« Ne t'inquiète pas. » Il pose la lame sur la table de nuit, doucement, avant d'observer distraitement la paume de sa main. Deux lignes rouges la marquent désormais.

« Ça fait mal. » observe-t'il d'un ton neutre.

Avant que je n'aie le temps de dire quoi que ce soit, il agite sa baguette autour de sa main, refermant la plaie.

« Désolé pour ça. » soupire-t'il.

Il est vraiment étrange en cet instant, et je ne suis pas certaine que même lui ne comprenne son comportement. Moi-même, je suis sous tension, une boule de nerfs électrisée, et je ne me contrôle qu'à grand peine, entre ma panique d'avoir à nouveau échoué à me tuer et de ne pas savoir ce qu'il va faire par rapport à ça, et la scène qui vient de se dérouler. Je suis encore sur le lit, à mi-chemin entre ma place et mon compagnon, figée dans mon geste suspendu de lui venir en aide. J'aimerais le prendre dans mes bras, en cet instant. J'aimerais en être capable. Et en même temps, j'aimerais m'enfuir. Je ne peux pas. À nouveau, il me dévisage, et je sais que ça y est, il va me dire qu'il a prévenu les adultes, des psychomages, ou juste qu'il va m'engueuler pour ce que j'ai fait. Il relève les yeux vers moi, et à nouveau je détourne le regard, par honte ou par peur qu'il voie dans mes yeux le tourbillon d'émotions qui m'agite.

Une nouvelle fois, Ewald me surprend.

« Tu m'as posé une question tout à l'heure. Tu m'as demandé comment ça se faisait que ma mère n'aie jamais rencontré Arthur. Tu es toujours intéressée par la réponse ? »

Surprise, je m'agite. On ne va vraiment pas parler de l'éléphant, que dis-je, de la baleine bleue dans la pièce ? On va parler de sa mère comme si il ne venait pas de me faire du chantage pour ne pas que je ne me tue enfin ? Néanmoins, il attend une réponse, alors je hoche la tête.

« J'aimerais toujours savoir. » je réponds, doucement, et je comprends lorsqu'il ne se détend pas que ce qu'il va dire est important. Mes soupçons sont confirmés lorsqu'il agite sa baguette, éteignant la lumière d'un geste.

« J'espère que ça ne te dérange pas. Ce sera juste plus facile… Pour moi.

-Ne t'inquiète pas » je lui répond sur un ton doux qui se veut rassurant.

« Tant mieux. » il répond, et j'imagine ses lèvres dessiner un pauvre sourire. « N'hésite pas à t'installer confortablement.

-Ça ira. » je réponds.

« Mon plus vieux souvenir date de quand j'avais trois ou quatre ans. C'est ma grand-mère qui me présente aux elfes de maison et qui m'explique que je vais devoir leur donner des ordres. »

Je me tais, le laissant dérouler son histoire même si je ne comprends pas où il veut en venir.

« Lorsque j'étais enfant, ma mère passait beaucoup de temps enfermée dans sa chambre. Elle faisait de son mieux pour me consacrer du temps, mais c'était toujours imprévisible. J'aimais les moments que je passais avec elle, elle me regardait jouer, ou elle me tenait la main pendant qu'on se promenait dans le parc du domaine… Elle me lisait des histoires, aussi, des contes qui finissaient toujours bien, et je me suis souvent réveillé avec sa main dans mes cheveux. Des fois, il lui arrivait de me chanter des berceuses. Elle a une très jolie voix. Mais je n'ai pas de souvenir d'elle entretenant le manoir, et elle ne quittait jamais le domaine. De fait, assez rapidement, c'est moi qui a dû m'occuper de la maison. Je disais aux elfes quoi faire, et j'écoutais leurs rapports. Je ne savais pas ce qu'était le problème de ma mère, mais je sentais qu'elle était fragile, que je devais faire attention. Grand-mère m'a toujours dit qu'elle était malade, les rares fois où j'ai posé des questions. Alors, je prenais soin d'elle, parce que je l'aimais beaucoup. C'est ma grand-mère qui s'est occupée de mon éducation. Elle m'a enseigné à lire et écrire, la généalogie de la famille de ma mère, et je n'ai compris que plus tard pourquoi elle parlait peu de mon père, à part pour dire que le sang de sa famille était aussi pur que le notre. Ma mère, elle, ne m'a pas beaucoup parlé de mon père non plus. Elle m'a dit qu'il était mauvais et qu'il méritait d'être en prison. »

Ewald reprend son souffle, et je ne l'interromps toujours pas.

« Ma grand-mère m'a aussi appris quoi dire aux elfes de maison, comment diriger la maison, comment me tenir en société… Elle m'a amené à des galas et à des dîners officiels quand j'ai su comment me comporter correctement. Elle m'a initié au duel aussi, dès que j'ai eu suffisamment de connaissances en magie. Elle m'a enseigné les bases des magies de l'esprit. Néanmoins, elle n'était pas là tout le temps, elle avait énormément d'obligations. Alors, quand j'étais seul, je lisais aussi beaucoup. J'ai appris beaucoup de choses sur l'étiquette, la magie et d'autres domaines encore pour que ma grand-mère et ma mère soient fières de moi. Je ne voyais pas grand-monde à l'époque. »

Je me note pour plus tard de lui demander quelle a été sa première manifestation de magie accidentelle, je suis curieuse. Je ne sais toujours pas où il veut en venir, mais je reste suspendue à ses lèvres, même si j'éprouve une pointe de tristesse à la pensée de l'enfance solitaire qu'il a vécue. Il y a plein de choses qu'il ne dit pas, mais je comprends déjà mieux la maturité et le sérieux, la raideur, dont il fait preuve si souvent.

« La plupart des gens que je voyais étaient d'autres sang-purs, ou des gens importants du gouvernement les quelques fois où ma grand-mère m'a amené à des dîners officiels. J'ai dû faire bonne figure en toute occasion, sans toujours savoir où je mettais les pieds. Enfin… Ce n'est pas que de ça que je voulais te parler, mais je voulais poser le cadre j'imagine… Et sans doute retarder le moment pour te parler du jour où tout a changé. »

Il soupire. Moi, je suis suspendue à ses lèvres, ma curiosité prenant le pas sur la tornade d'émotions en moi.

« Le souvenir que je t'ai montré, où je parle avec ma grand-mère et où elle m'apprend que mon père a violé ma mère, tu t'en souviens ?

-Oui. » je réponds d'un ton neutre. Bien sûr que je n'ai pas oublié. Comment l'aurais-je pu ?

« Ça s'est passé la veille de mon départ de Poudlard. Et si ça c'est passé, c'est parce que ce jour là a été particulier. Parce que ce jour là, ma mère a essayé de se tuer, et c'est moi qui l'ai trouvée. C'est depuis ce jour là que je vois les sombrals. »

Mon ami s'interrompt, comme si il cherchait ses mots, et j'ai envie de lui donner la main, mais je reste immobile. Incapable, comme toujours, de bouger. Comme si le faire pourrait rompre le charme. À la place, j'offre, car je ne peux pas ne pas le faire, même si je veux savoir :

« Tu n'es pas obligé de me raconter ça si c'est trop difficile, Ewald.

-Ça va aller. Je veux, j'ai besoin que tu comprennes. » sa voix est douloureuse, je l'entends même si il chuchote. Je ne suis pas aussi sûre que lui que c'est une bonne idée pour lui de me parler de tout ça.

« Que je comprenne quoi ?

-Ce que je ressens, que tu me comprennes moi, je crois. Je suis sûr de moi.

-Okay. » je réponds doucement.

« Bien sûr si ça te trigger dis le moi, je ne veux pas te faire de mal. » se corrige-t'il

« Ne t'inquiète pas pour ça, ça ira » je fais, avec un faible sourire, même si il ne pourra pas le voir dans le noir.

Nous laissons quelques instants s'écouler dans le silence, puis le serpentard reprend le fil de son récit.

« Jusqu'à ce jour là, je ne savais pas ce que ma mère avait, je pensais qu'elle était de faible constitution, malade, je la savais fragile mais je ne savais pas de quelle façon. Cet après-midi là j'étais allé faire les courses avec ma grand-mère sur le chemin de traverse. On aurait pu se faire livrer, bien sûr, mais c'est une sorte de tradition et c'était l'occasion de se montrer en société. Quand je suis rentré, j'ai voulu montrer la plume que grand-mère m'avait achetée à ma mère. Je suis monté dans sa chambre, mais elle n'était pas là. J'ai invoqué Fredy pour savoir si il l'avait vue, mais il ne savait pas, alors il a jeté un sort pour la trouver. Il m'a dit qu'elle était dans la salle de bain de sa chambre. Je suis allé voir, parce que je trouvais bizarre qu'elle ne m'aie pas répondu quand je la cherchais. J'ai frappé à la porte, et elle s'est entrouverte, parce qu'elle n'était pas fermée à clé. »

Ewald reprend sa respiration, et je sens qu'il est bouleversé. Je n'ai pas l'occasion de lui dire de prendre son temps, parce qu'il reprend d'une voix neutre, et je comprends qu'il a fait appel à son occlumencie.

« Ma mère était dans la baignoire. Elle portait une robe toute simple, qui était sans doute blanche à l'origine, et elle baignait dans son sang. Je me suis précipité vers elle, sa peau était froide, je l'ai sortie de l'eau et j'ai cru qu'elle était morte. Il y avait du sang partout. Elle s'était coupé profondément, du poignet au coude. »

Je tressaille à la description des blessures, si similaires à celles que je me suis infligées plus tôt. Je m'en veux.

« Sur le moment, je n'ai pas senti sa respiration, et j'ai hurlé, pendant quelques instants j'étais incapable de faire quoi que ce soit, je ne savais pas quoi faire, parce que ma mère était morte et de toute évidence de sa main. »

Les mots d'Ewald se bousculent sur sa langue, l'occlumencie ne suffit pas à masquer toutes les émotions qui l'ont pris ce jour là, ou peut-être qu'il ne veut pas tout masquer.

« Heureusement j'ai repris mes esprits assez vite et j'ai appelé Fredy, qui a tout de suite pris les choses en main, prenant le temps d'appeler Jamy pour qu'il prévienne ma grand-mère avant de soigner ce qu'il pouvait. Il ne savait que refermer les blessures, mais juste ça était vital. Ma grand-mère est vite arrivée, et elle a amené ma mère sur le champ chez le Médicomage familial. »

Une nouvelle pause dans le récit, mon ami prend le temps de respirer à nouveau avant de continuer, et ma main se rapproche maladroitement de la sienne, mais je suis trop loin pour le toucher et je suis comme frappée par un sort d'immobilisation. Je le laisse continuer à dérouler son récit.

« Je suis resté seul deux heures. J'étais vraiment persuadé que ma mère était morte, je ne savais pas pourquoi, je ne savais pas quoi faire, et les elfes de maison étaient occupés à tout nettoyer, par ordre de ma grand-mère. Alors, je suis resté dans le salon, avec mes vêtements toujours tâchés, à attendre que ma grand-mère revienne. Quand elle est rentrée, elle a paru surprise de me voir là, mais elle m'a dit que ma mère était tirée d'affaire, que je l'avais trouvée à temps. Ensuite seulement, elle m'a dit que j'aurais pu changer de vêtements, quand même.

-Sérieusement ? » je l'interromps, un peu malgré moi.

« Oui. » fait Ewald, et je sens le sourire triste dans sa voix.

« Elle a été éduquée comme ça, à préserver les apparences à tout prix, et je ne la blâme pas pour son réflexe, même si il était blessant. Quoi qu'il en soit, elle m'a ensuite amenée voir ma mère. Après que je me sois changé, bien sûr. Elle était inconsciente, mais je suis resté avec elle plusieurs heures avant que ma grand-mère ne me ramène au manoir. C'est à ce moment là qu'a eu lieu la discussion que je t'ai montrée, de mon souvenir. Ce n'était pas la première tentative de ma mère, mais ça, je l'ai su plus tard. Enfin, c'est pour ça qu'elle n'a jamais rencontré mes amis. Elle a mis beaucoup de temps à aller mieux. Ces dernières années, je savais que son état s'améliorait, de façon générale, mais ça reste compliqué. Elle a commencé à voir un psychomage, et je crois que ça l'a aidée. Néanmoins, je ne pensais pas qu'elle allait… Aussi bien. Je ne l'ai jamais vue aussi souriante et reposée que cette semaine. Peut-être que j'ai trop voulu la protéger, que grand-mère a trop voulu la protéger… Je me fais quand même du souci pour elle, et j'aurai préféré ne pas lui imposer tous ces bouleversements, honnêtement, mais c'est la seule solution que je voyais.

-Tu n'avais pas besoin de faire ça. » Une boule se noue dans ma gorge, culpabilité et rancœur mêlées. « Tu n'aurais pas dû m'amener ici.

-Je ne pouvais pas te laisser mourir. Et tu aurais préféré que je te dénonce à madame Pomfresh ?

-Non, bien sûr que non ! Tu sais très bien ce que j'aurais préféré.

-Et c'était hors de question. » La voix d'Ewald est ferme.

Je n'ai pas envie de me laisser porter par la colère, pas après tout ce qu'il vient de me révéler. Ce n'est pas mon moment, pas celui de mes reproches, de mes dramas. C'est le sien, celui de ses confidences qu'il vient de m'offrir. Alors, je lui pose une autre question.

« Tu as déjà parlé de tout ça à quelqu'un ?

-Si tu poses la question, c'est sans doute que tu as déjà deviné la réponse. »

Je tressaille.

« Arthur sait que ma mère est dépressive et fragile. Il sait ce qu'a fait mon père. Mais c'est tout. C'est la première fois que je raconte ce qu'il s'est passé ce jour là. »

Je n'ai rien à répondre à ça. Une nouvelle fois, les mots me manquent. J'effleure son esprit pour le laisser entrevoir mes sentiments, reconnaissance et culpabilité (de lui faire remuer ça, de lui avoir rappelé ces souvenirs par mes cicatrices, d'être comme je suis), amour aussi, d'une certaine façon. Amour au sens de tendresse, de tenir à quelqu'un. Parce que je tiens à lui. Je crois bien que c'est mon ami le plus cher, en cet instant, et cette pensée est comme un électrochoc. Mon ami le plus cher, ça a toujours été Quentin. Et quitte à ce que ça soit quelqu'un d'autre, ça aurait dû être Arthur, mon premier ami magique, si semblable à mon amour perdu ! Et pourtant c'est ce Serpentard qui s'est le plus approché de moi, qui est toujours fermé et prudent, et qui m'offre malgré tout des pans de lui comme je partage des bouts de moi que je n'aurais pas cru montrer. Confiance. C'est ce que je ressens, malgré tout, malgré ma colère qui reste en sommeil, en retrait, attendant d'éclater. Ma main effleure son épaule, tout ce que je peux offrir pour lui faire sentir que je suis là. Son esprit touche le mien.

« Merci. Ça va aller. » Et il me transmet son sentiment de confiance à lui, celui qui me dit qu'il ne regrette pas ce qu'il a partagé, et qu'il sait que je garderai précieusement ses mots.

Quelques instants encore, le silence nous enveloppe, un silence plus calme. Nous sommes tous les deux pensifs, je crois. Et puis, je finis par poser la question qui brûle mon esprit.

« Tu aurais sauté ? »

Il se retourne vers moi, surpris. Il prend un instant pour réfléchir, puis admet :

« Je n'en ai aucune idée.

-Vraiment ? »

Ma question est superflue, car je sais qu'il est sincère, et sa réponse m'a impactée avec violence. Ce que je veux vraiment savoir, c'est comment il peut ne pas savoir, plutôt que si c'est vrai. Il se retourne vers moi, s'asseyant en tailleur sur le lit.

« Vraiment. J'étais paniqué, à ce moment là, et je ne pouvais plus penser correctement. J'ai cru que je n'arriverais pas à temps, et quand je t'ai vue c'est la seule chose à laquelle j'ai pensé. Pour être honnête, maintenant, avec le recul, je sais que je ne le ferais probablement pas si j'ai le temps de réfléchir. Parce que même si je tiens à toi, ça ne sert à rien qu'on meure tous les deux, et je tiens à ma vie, et je ne veux pas blesser les gens à qui je tiens. Je ne veux pas que ma mère ne se suicide alors qu'elle commence à peine à sourire tous les jours. Mais si tu étais morte, ç'aurait été ma faute. La tienne aussi, bien sûr. Mais il était juste que je lance toutes mes ressources dans la bataille.

-Tu n'es pas responsable de moi.

-En te sauvant, et en prenant les décisions que j'ai prises, je le suis devenu. J'ai choisi de l'être. Et je ne regrette pas mon choix.

-Comment tu m'as trouvée ? » je souffle, autant pour changer de sujet que parce que je désire ardemment connaître la réponse.

« Je ne suis pas sûr que tu devrais le savoir. Ça pourrait encore être utile. »

Ma colère ne devait pas être si loin, car elle enfle soudainement en moi, comme un tsunami.

« De quel droit tu me caches ça ? Tu penses que je me sens comment, moi, à savoir qu'à tout moment toi ou les autres pouvez connaître ma position ?!

-Vivian. J'ai dit que je ne pensais pas que c'était une bonne idée, pas que je ne te dirai pas.

-Désolée... » je m'excuse, malgré ma colère. Il est fatigué. Il a déjà été pas mal remué aujourd'hui, et son masque habituel n'est qu'un vague souvenir.

« Ce n'est rien… Ta colère est légitime. J'utilise une variation d'un sort d'orientation, le Pointe-moi. Ça me permet de me servir de ma baguette comme une boussole qui me montre dans quelle direction tu es. C'est très pratique.

-Et j'imagine que tu ne me diras pas comment m'en protéger ?

-Tout juste. » répond Ewald avec une pointe d'humour dans la voix.
Je ne proteste pas. À quoi bon ?

À ce moment là, mon ventre gargouille, me rappelant que nous n'avons pas vraiment mangé à midi et qu'il se fait tard. Le son brise la tension qui pesait sur nous jusqu'à présent, et je ne sais pas lequel de nous deux rit en premier.

« Tu as raison, nous n'avons rien avalé depuis le salon de thé, et je crois qu'il est trop tard pour souper avec ma mère.

-Honnêtement, je n'aurais pas voulu de toute façon. C'est pas grave, je préfère rester là.

-On va quand même manger, hein ? Tu as envie de quoi ? Je vais appeler Fredy.

-Je ne sais pas trop… Un ice tea et de la flammekueche, c'est possible ? Oh ! Et du cristal cake ? » je demande avec une mine suppliante.

« Euh, sans doute. » répond Ewald, semblant un peu surpris.

Il invoque ensuite l'elfe et lui demande de ramener deux portions de ce que j'ai demandé, et l'elfe disparaît en promettant de faire au plus vite. Quelques minutes plus tard il revient, deux assiettes fumantes dans les bras, faisant léviter nos verres. Il propose de nous amener une table et des chaises, mais le serpentard lui dit que ce ne sera pas la peine. L'être magique a l'air surpris, mais se plie aux caprices de son maître. Nous nous asseyons par terre, mangeant avec les doigts, et c'est agréable, même si voir Ewald dans une telle posture est surréaliste. J'ai l'impression que quelque chose s'est brisé, ce soir. Je ne sais pas à quel point les événements de l'après-midi lui ont fait du mal, et je ne sais pas non plus si le spectre des souvenirs qu'il a évoqués plus tôt n'est pas plus pesant.

Une fois notre dessert avalé, je dis à Ewald que je dois me doucher. Évidemment, il ne me lâche pas d'une semelle, et je ne prends pas le risque de sortir ma dernière lame de ma malle. L'idée de tenter de me couper, ce soir, me semble être une forme de trahison. Ce n'est pas l'envie qui me manque, pourtant. Je me sens toujours tellement coupable, et j'ai toujours tant envie de mourir. Pourtant, je m'astreins à « bien » me comporter, suivant docilement mon gardien, et me restreignant même à donner un seul coup de poing furtif dans le mur pour me défouler. Un record pour moi, je crois bien.

Après ma douche, nous regagnons ma chambre, et je m'allonge pour lire. Ewald s'installe dans le fauteuil pour m'imiter, et je me demande combien de temps il compte rester. Peu à peu, je commence à vraiment fatiguer. Le serpentard est toujours là.

« Je vais essayer de dormir. » je fais.

« Très bien. C'est sans doute mieux. La journée va être animée, demain. » répond Ewald.

Il glisse soigneusement un marque-page dans le livre qu'il lisait avant de venir le déposer sur ma malle (vu qu'il m'appartient). Il s'assoit au bord de mon lit, du côté opposé à moi, et reste silencieux quelques instants. Je pose mon livre à mon tour, puis m'absente pour aller aux toilettes. Lorsque je reviens, j'ai la surprise de le trouver toujours là. Je m'installe dans mon lit sans commenter, un peu gênée. Il éteint la lumière avec sa baguette, et le silence nous environne brièvement. Je me demande pourquoi il ne bouge pas, lorsqu'il me demande :

« Est-ce que ça te dérange, si je reste un peu ? »

Sa voix est un peu fragile, et je me fige un instant. Puis, je me redresse, et je tends mon esprit vers lui, en même temps que ma main. Elle s'emboîte dans la sienne au même moment où notre lien se forme. Je sens qu'il est toujours sur le fil du rasoir (sans mauvais jeu de mot, ou presque) après l'après-midi que nous avons passée. Ses souvenirs flottent à la surface de mon esprit à côté du moment où il m'a empêchée de mourir, et de celui où il a vu mes avant-bras. Je ne dis rien, me contentant de serrer sa main.

« Tu devrais t'installer un peu mieux, je suggère avec timidité. Tu vas te faire mal à rester tordu comme ça. »

J'espère qu'il ne sent pas la peur que mon invitation provoque en moi. Je pense qu'il comprend qu'implicitement je l'autorise à partager mon lit pour la nuit. Une part de moi est terrorisée. L'autre s'en veut de lui avoir fait mal, de l'inquiéter toujours. Le reste est un mélange confus de colère d'être toujours en vie, d'affection pour lui et de besoin d'être rassurée. J'ai besoin de réconfort, moi aussi. Même si je ne l'admettrai pas. Même si cette simple pensée me renvoie à la nuit où mon frère m'a violée, surtout combinée à la pensée fugace que j'ai eu dehors, quand je me disais qu'on devait nous prendre pour les membres d'une même fratrie. De ma main libre, je griffe les plaies sur mon torse, aussi discrètement que possible. Heureusement qu'Ewald ne les a pas vues. Ça me calme un tout petit peu, suffisamment pour que je ne me mette pas à paniquer et à suffoquer.

Mon compagnon finit par suivre mon conseil, allongeant ses jambes parallèlement à moi, même si il s'adosse au mur plutôt que de s'allonger. Sa main lâche la mienne le temps qu'il s'installe, avant de la chercher à nouveau, me laissant le choix d'accepter le contact ou non. Je joins mes doigts aux siens, et ce contact, m'apaise et me remue à la fois. Je suis triste. J'aurais aimé que les choses soient différentes, j'aurais aimé ne jamais le connaître, ne jamais vivre, et pourtant je tiens à lui, et pourtant je suis reconnaissante qu'il soit à mes côtés ce soir. Son pouce me caresse le dos de la main, comme un réflexe, et si je suis surprise je ne dis rien. Ce n'est pas désagréable.

« Essaye de dormir, Vivian. »

Je n'ai pas envie de parler, alors je lui envoie une vague d'assentiment, suivie d'une injonction à ne pas tarder à faire de même. En effleurant son esprit je sens qu'il essaye de faire le tri dans ses pensées, et il me fait comprendre que c'est sa priorité pour l'instant. Je sombre lentement mais doucement dans le sommeil, sans que la main d'Ewald ne quitte la mienne.

xxx

« Mes mots passés continuent à me hanter, ils me manquent, ces fragments de mon ancienne vie qui m'appartiennent et que je ne relirai jamais. Mes mots pour mes maux, mes rêveries et mes étoiles, enfouis sous une couche de poussière qui a la forme d'un nouveau corps. Un corps qui est le mien ? Ce n'est pas un hasard si il est une copie aussi proche que possible de l'original. Comment se sentir soi ? Je crois que si je pouvais les relire, mes mots du passés, mes écrits, je pourrais pour un instant me retrouver dans mes souvenirs. Mes mots sont ma mémoire, sont mes sentiments expulsés par l'encre plutôt que par le sang, et parfois ils me manquent, depuis l'autre côté de ma barrière de mort traversée seulement par des bribes de souvenirs. »

-Écrit dans le carnet bleu de Vivian Éris-


Et voilà! Alors, que pensez vous de ce qu'a raconté Ewald?

À la prochaine!