Bonjour à toustes!

Voici enfin un nouveau chapitre, riche en émotions. J'espère qu'il vous plaira!

Normalement, je devais pouvoir publier le prochain plus rapidement, parce que je suis enfin débarassé.e de mon enfer personnel (aka la formation que je suivais), et que je vais avoir du temps libre cet été! Bon, pas de promesses hein, pour celleux qui me suivent depuis longtemps vous connaissez la fiabilité de ce genre d'annonces...

Je tiens à remercier les gens qui m'ont laissé des reviews, ça motive (surtout la dernière que j'ai reçues sur les bonus, ça m'a donné un bon boost!).

Je vous laisse profiter du chapitre, on se retrouve en bas, et je souhaite de bonnes vacances à celleux qui en ont!

Micro résumé du chapitre précédent: Les amis de Vivian l'ont amenée en France, et elle se retrouve devant Quentin, celui qu'elle aimait avant de mourir. Enjoy!


Pendant les quelques instants où je reste là, incapable de faire un geste, mes pensées sont tellement nombreuses qu'aucune n'arrive à se frayer un chemin jusqu'à ma conscience. C'est trop. Comment ont-il osé.. ? Quentin me regarde.

« Vous n'aviez pas le droit. » je bredouille, avant de faire la seule chose dont je suis capable.

D'un coup sec, je me dégage de la main d'Ewald, et je m'enfuis. Je cours, le plus loin possible de ce café, de mes amis, je m'enfuis loin de mon passé qui m'attend. Je n'arrive pas m'éloigner beaucoup, car le sens la panique qui monte en moi. Je me recroqueville dans une ruelle, haletante, mais pas seulement à cause de ma course. J'hyperventile, roulée en boule à côté d'une poubelle. Ils n'avaient pas le droit ! Quentin m'a vue. Il m'a tellement manqué ! Il n'avaient pas le droit. Il ne devait jamais savoir. Qu'est-ce qu'ils lui ont dit ? Je ne peux pas. Je ne peux pas le revoir, je ne veux pas le revoir. Ils n'avaient pas le droit. Il n'avaient pas le droit, il va encore être blessé, ou alors il n'en a rien à foutre. La douleur que je ressens en pensant ça est physique. Mais je le sais déjà, pourtant, qu'il s'en fout. Je le sais depuis que je l'ai appelé, ce soir là, depuis que j'ai sauté. Putain, pourquoi je suis toujours pas morte ? Pourquoi ?

Ma main tâtonne avec difficultés à la recherche de ma lame, que j'ai enveloppée dans un mouchoir et mise dans ma poche. Je halète toujours, la gorge tellement serrée que presque aucun air ne parvient à mes poumons. Si seulement ça pouvait me tuer. Il faut que je disparaisse avant que les autres ne me trouvent, avant qu'ils ne ramènent Quentin ici. J'aurais dû me tuer la nuit dernière, quand j'étais dans la chambre, et tant pis pour le trauma quand ils auraient trouvé mon corps. Tout, plutôt que de devoir me confronter à Quentin à nouveau. Il n'a pas besoin de ça. J'étais enfin sortie de sa vie, alors quel besoin avaient-ils à venir le chercher ? A-t'il seulement eu son mot à dire ? C'est quoi, leur putain de plan ? Je les hais, à ce moment. Mes doigts trouvent enfin ma lame, et j'entreprends de la débarrasser du mouchoir. C'est compliqué, parce que mes mouvements sont saccadés, et j'arrive à peine à me concentrer. Mes pensées fusent comme des balles, leur impact ne me laisse pas indemne, et le sang qui en sort me noie encore davantage dans le chaos de mon esprit.

J'entends à peine les pas précipités d'Ewald, qui s'accroupit à côté de moi. J'entends à peine sa voix alors qu'il prononce mon prénom. Je ne réagis pas. Je le déteste. La lame enfin libérée tombe dans ma main, mais je ne peux plus la planter dans ma gorge, parce que sa magie m'en empêcherait. À la place, je la serre dans mon poing, espérant que ça m'aidera au moins un peu. Doucement, Ewald pose sa main sur mon épaule. Irrationnellement, je lui en veux d'être si délicat, de ne pas me donner une raison de plus de le haïr. Sa main me force à faire face à sa présence à mes côtés, et malgré moi, je l'entends à nouveau.

« Ça va aller Vivian, ça va aller. Respire profondément, concentre toi sur ma respiration. Ça va aller, ok ? »

Sa main glisse un peu dans mon dos pour me prodiguer des caresses apaisantes. Je me calme suffisamment pour lui cracher, entre deux respirations hachées.

« Vous n'aviez pas le droit ! »

Sa main continue à me caresser, comme si de rien n'était, mais je sens son regard sur moi.

« Pas le droit de quoi ?
-Te fous pas de moi ! Quentin n'a plus rien à voir avec tout ça ! De quel droit vous m'amenez ici, pour le voir ? Est-ce qu'il sait seulement qui je suis ?
-Il sait. »

Les mots sonnent comme une condamnation, et je n'entends pas la suite de ses explications. Il sait. Ils ont osé dire à Quentin que j'étais en vie. Une colère violente me fait trembler des pieds à la tête, et ma respiration s'accélère à nouveau. Si il sait, pourquoi il est là ? Pourquoi remuer le couteau dans la plaie ?

À nouveau, j'entends des bruits de pas précipités à l'entrée de la ruelle, et les voix mêlées d'Arthur et d'Alphonse qui demandent à Ewald si je vais bien. Je les hais. Le Serpentard leur demande de ne pas s'approcher tout de suite, de me laisser me calmer.

« Aurore ? »

À nouveau, je me fige. Sa voix est devenue un peu plus grave, mais je la reconnais toujours. Ma respiration se calme un peu, malgré moi. Je sens Ewald se redresser un peu, et je lève la tête. Je n'en ai pas envie, mais je lève la tête. Je distingue la silhouette de Quentin se rapprocher doucement, et derrière lui Alphonse et Arthur, immobiles à l'entrée de la ruelle. Je baisse les yeux avant de croiser leur regard. Je me mets à pleurer plus normalement, levant à nouveau les yeux vers la silhouette de Quentin, qui s'est immobilisée à quelques pas de nous. Ewald se tient toujours à côté de moi, dans une attitude protectrice, mais il a l'air très attentif à ce qui est en train de se jouer. Il semble de ne pas savoir quoi faire, entre continuer à faire rempart de son corps et laisser mon ancien amour approcher. Mon corps, lui, n'est pas si indécis, et mes lèvres me trahissent.

« Quentin. »

Mes sanglots redoublent, et pourtant je me lève. J'ai oublié les autres. Ma main lâche ma lame dans ma poche, et j'avance d'un pas. Derrière moi, je devine qu'Ewald fait de même, mais je n'y fais pas attention. Je ne peux plus fuir.

« Danlael. Tu m'as tellement manqué. » je chuchote, en français. Ce prénom, je l'ai gardé en moi pendant onze ans. Ce prénom, personne ne l'a jamais entendu sinon lui. C'est juste un surnom que je lui ai donné, que j'ai inventé et qui lui a plu. On utilisait nos noms secrets seulement dans notre correspondance. C'est à son tour de se figer un instant, alors que je fais encore un pas dans sa direction, hésitante.

« C'est vraiment toi. Aurore, c'est vraiment toi. »

Sa voix est chargée d'autant d'émotions que celles qui tourbillonnent dans ma tête, et une larme solitaire dévale sa joue. Lentement, il ouvre les bras, comme avant, lorsqu'il m'apprivoisait, comme une invitation. Je m'y jette avec violence, et il me serre fort contre lui, me soulevant de terre dans le mouvement.

Ma joue est pressée contre sa poitrine, mon corps blotti contre le sien. Mes jambes ne touchent plus le sol, et c'est une sensation étrange, car nous faisions presque la même taille, avant. L'odeur familière de son corps me fait vite oublier ce détail, et me renvoie tellement en arrière. Je n'aurais jamais cru me retrouver à nouveau dans ses bras. Je ressens tellement de choses que je ne sais plus ce que je ressens. Tout ce que je sais, c'est que je suis incapable de le lâcher pour l'instant. Je me cramponne à lui comme pour éviter de me noyer, et ce faisant je me noie encore davantage dans mes émotions.

Je ne sais pas combien de temps nous demeurons enlacés, car le temps semble s'être figé. Il finit néanmoins par me reposer à terre, doucement, et recule d'un pas. Il a pleuré un peu. Je ne l'avais jamais vu pleurer auparavant. Il me regarde, de haut en bas, et je le dévisage en retour. Il a vieilli. Il a quelques rides, là où je ne lui en avais jamais vu, et son visage a perdu les quelques rondeurs qu'il avait encore à l'époque. Ses cheveux sont bien coupés, aussi, et j'ai un petit sourire en réalisant combien mes pensées sont incongrues.

« Ça va ? » me demande Quentin, d'un ton inquiet. Il n'a pas tort. Mon amusement balance entre hystérie et détente, je ne saurais même pas comment expliquer ça. Je réponds néanmoins, sans m'attarder sur le déséquilibre de mon esprit.

« J'étais en train de me dire que tu t'es coupé les cheveux. »

Le visage de mon ancien ami reflète son incompréhension avant qu'il n'éclate de rire. Malgré moi, je me mets à rire aussi, parce que la situation est tellement absurde. En onze ans, j'espère bien qu'il a réussi à aller voir un coiffeur !

Le rire de Quentin s'interrompt brusquement lorsque son regard se pose sur ma main droite. Soudain, il a l'air triste. Je suis son regard, comprenant tout de suite le problème. C'est dans cette main que j'ai serré ma lame, et du sang ruisselle encore entre mes doigts. Prise dans le chaos émotionnel, j'avais oublié. Je baisse les yeux pour ne pas voir son visage.

« Désolée. » je marmonne.

Les autres ont bien sûr suivi toute la scène, et avant que Quentin ne puisse réagir Ewald s'approche et explique en anglais qu'il va me soigner et récupérer ma lame. Mon ancien meilleur ami s'écarte un peu pour laisser le Serpentard faire son œuvre, et je ne résiste pas. À quoi bon ? Le visage d'Ewald est fermé, mais je ne sais pas si il est en colère contre moi ou envers lui même, car il a failli. Je lui en veux toujours pour Quentin, alors je ne le remercie pas. Une fois qu'il a fini, il me demande :

« Tu veux qu'on retourne au café, pour que vous puissiez discuter ?
-Je préférerais être plus tranquille.
-On peut se promener au bord des quais » intervient Quentin dans un anglais approximatif.

Encore une surprise. Mon Quentin à moi savait à peine dire « Bonjour, comment ça va ? » dans ma nouvelle langue natale. Sa proposition est bonne, néanmoins, et je marmonne mon approbation. Tout notre petit groupe le suit, moi à côté de lui et les autres derrière.

Nous marchons en silence. Pour ma part, c'est parce que je ne sais juste pas quoi dire. J'ai envie de lui demander pourquoi il est là, savoir ce qu'on lui a dit exactement, mais je n'ose pas, pas avec tous les autres autour, pas avec mes mots qui s'emmêlent dans ma tête. Je sens qu'Ewald cherche le contact avec moi, et je suis à deux doigts de lui refuser, mais je finis par m'ouvrir.

« Comment tu te sens, Vivian ? »

Plutôt que de répondre avec des mots, je lui balance pêle-mêle la colère, le sentiment de trahison, la peur et toutes mes incertitudes d'un coup, assaisonnées de la seule certitude que j'ai : j'aurais dû mourir plus tôt. Il trébuche, manquant de tomber, surpris par l'afflux d'émotions. Il se rattrape néanmoins, sans utiliser la main secourable qu'Alphonse lui a tendue.

« Je suis désolé que l'on t'aie prise au dépourvu comme ça. Je suis désolé de ne pas t'avoir laissé le choix. Mais on ne savait pas quoi faire d'autre. On ne voulait pas te trahir en parlant de toi aux adultes.
-Alors vous avez décidé d'aller emmerder quelqu'un qui vivait sa vie tranquille ? Il n'a rien à voir avec tout ça, il a déjà donné. Si il en a encore quelque chose à foutre de moi, ça va juste le faire souffrir !
-On ne savait pas quoi faire. Tu aurais vraiment préféré qu'on y mêle madame Pomfresh et tes parents ?
-J'aurais préféré que vous me laissiez crever. »

Je réponds, pour ne pas admettre qu'à choisir, oui, je préfère qu'ils aient prévenu Quentin. Parce que c'est quelque chose que même à moi même je ne veux pas admettre. Être à côté de lui est extrêmement douloureux, mais me soulage dans le même temps. J'ai l'impression qu'une pièce du puzzle de mon cœur brisé a retrouvé sa juste place.

Nous arrivons rapidement au port. Une fois là bas, Ewald entraîne les autres à l'écart, faisant fi des protestations d'Arthur qui s'inquiète pour moi. Il me transmet par voie mentale qu'ils ne seront pas loin, et je sens sa réticence à l'idée de s'éloigner. Oh, il essaye de la cacher, mais je sais que ce plan ne lui plaît pas vraiment.

Je me retrouve seule avec Quentin. Nous faisons quelques pas en direction d'un banc, où je m'assois. J'ai une belle vue sur les bateaux d'ici. Comme à son habitude, Quentin reste debout. Je ne sais pas comment commencer la conversation, mais mon ami me surprend en rompant le silence le premier :

« Aurore, j- je voulais m'excuser. »

Il a l'air de chercher ses mots, et je ne l'interromps pas, même si je me demande pour quoi il pourrait bien vouloir présenter des excuses. Si quelqu'un en a à faire ici, c'est moi. Je lève les yeux vers lui, mais il évite mon regard.

« Je suis tellement désolé de t'avoir laissée tomber. Je t'ai trahie, alors que je t'avais promis d'être là pour toi. Je suis désolé. Pardon, Aurore. »

Je reste sans mots, sans voix pendant quelques instants. Je sens dans son ton tout le poids de sa culpabilité. C'est la première chose qu'il me dit depuis qu'il m'a prise dans ses bras, c'est donc que c'est primordial pour lui. Mais, des excuses ?

« Tu n'as aucune raison de t'excuser. Tu m'as donné plus que tu n'aurais dû, plus que je ne le méritais, tu m'as aidé en faisant de ton mieux. C'est à moi de m'excuser. Je t'ai pris de ton temps, de ton énergie, pour rien. Je suis morte alors que tu as tout fait pour m'en empêcher. Si quelqu'un a abandonné l'autre, c'est moi.
-Aurore. Tu n'as pas d'excuses à présenter. Tu as fait de ton mieux, et tout le temps que je t'ai donné je l'ai fait de bon cœur. Tu étais ma meilleure amie, j'ai juste joué mon rôle. Et après je t'ai laissée tomber. C'est normal que je m'excuse. »

Entendre que « j'étais » sa meilleure amie, au passé, me fait mal. On ne s'est pas vus depuis onze ans, il ne savait pas que j'étais en vie et c'est sans doute une façon de parler, mais mon cœur l'interprète malgré tout comme un rejet. J'enferme ce sentiment à triple tour au fond de moi avant de répondre, protégée par mes murailles mentales bancales.

« Tu est humain. C'est normal de ne pas pouvoir être là à cent pour cent, c'est normal d'en avoir marre, d'être las. Je sais que tu avais l'impression que rien ne changeait, que j'étais toujours bloquée. Bien sûr que tu étais découragée. Quentin, tu ne portes pas la responsabilité de ma mort. C'est moi qui ai choisi de boire mon poison, de sauter de ce putain de toit. Moi, pas toi. Toi, tu as décroché quand je t'ai appelé, même si tu étais fatigué, même si tu en avais assez, parce que tu voulais m'aider. Tu n'as rien à te reprocher. Tu es humain. C'est tout. »

Je crois chacun des mots que je prononce, même si ils occultent la tristesse, la douleur de m'être sentie rejetée. Je comprends pourquoi il ne pouvait pas être toujours là, je comprends pourquoi il ne pouvait plus gérer tout ça. Mon cœur ne le comprendra jamais. Mais malgré tout ça, ce que je dis est vrai. En dépit de tout, il a quand même essayé d'être présent. Je le regarde, parce que je veux que mes mots l'atteignent. Je lis sur son visage qu'il essaye d'assimiler ce que j'ai dit, et j'ai envie de pleurer. À quel point à-il vécu dans la culpabilité ?

« J'aurais dû faire mieux. Je sais que tu as raison, mais j'aurais dû faire mieux, et ça n'enlève rien au fait que j'ai failli au pire moment. Je suis désolé. Être humain, ce n'est pas toujours suffisant, tu sais ?
-C'est pour ça que je ne voulais pas t'appeler. Je ne voulais pas te laisser une chance, parce que je ne voulais pas que tu vives avec l'échec. Mais je t'avais fait une promesse.
-Et je te la demanderais à nouveau, même si je suis indigne de confiance. Parce que tu as une nouvelle chance, et même si c'est égoïste je ne veux pas te perdre à nouveau. »

Je reste sans voix quelques instant. Mon cœur bouleversé réchauffé par cette profession de foi. Il ne veut pas me perdre à nouveau ?

« Tu tiens encore un peu à moi alors ? » j'ai voulu le faire sonner comme une blague, mais mes insécurités sont bien trop audibles dans ma question. Quentin me répond immédiatement :

« Bien sûr ! Tu es la personne qui a eu le plus d'impact dans ma vie, même davantage que Tessa. Tu es la seule avec qui j'ai échangé des poèmes, la première à recueillir tant de mes confidences… Comment ça pourrait être différent ?
-Ça fait onze ans, tu aurais eu le temps de m'oublier. Ou de me détester aussi, après ce que j'ai fait. » je mets de côté la mention de « Tessa », mais je poserai la question après. J'ai juste davantage besoin, pour l'instant, de comprendre. Quentin secoue la tête, l'air tiraillé entre la douleur et l'affection.

« J'ai passé les onze dernières années de ma vie à regretter de pas avoir été à la hauteur, à chaque fois que je pensais à toi. Et même si je n'ai pas fait que penser à toi, parce que j'ai continué à vivre, j'y ai pensé souvent. Certaines des décisions de ma vie, je les ai prises en pensant à toi. Après ta mort, j'ai essayé d'aider d'autres personnes. J'ai aussi programmé un chatbot pour lutter contre la dépression.
-Tu fais de l'informatique ? » je demande, me concentrant cette fois ci volontairement sur le détail plutôt que sur l'essentiel, parce que je ne sais pas quoi répondre à ça.
-Oui, je suis programmeur, je me spécialise dans l'intelligence artificielle. »

La phrase résonne bizarrement après la conversation qu'on a eue. On se tait quelques instants, et j'essaye d'imaginer ce qu'a été sa vie, ces onze dernières années. Je n'arrive pas à poser la question, néanmoins, car j'ai l'impression qu'on en a pas fini avec les explications. De fait, j'aimerais bien savoir comment il s'est retrouvé ici, déjà, et qu'est-ce que les autres lui ont dit exactement. C'est lui qui rompt le silence, alors que j'essaye de rassembler mon courage pour lui poser la question, les mots au bord des lèvres sans oser les laisser s'envoler.

« Tu t'es faite de bons amis. »

Je me contente d'un haussement d'épaule pour toute réponse. Je n'ai pas franchement envie de penser à mes amis pour l'instant. Je suis bien trop en colère. Quentin le voit, évidemment, et me demande :

« Qu'est-ce qu'il y a ?
-Ils n'auraient jamais dû te dire que j'étais en vie. » J'ajoute, très vite, en réalisant qu'il pourrait mal comprendre ce que je veux dire : « Je veux dire, je n'ai rien contre toi, au contraire, tu m'as tellement manqué, je ne peux même pas te dire à quel point ! Je-je tiens tellement à toi, ça me déchirait de ne plus te parler mais ils n'auraient pas dû.
-Pourquoi ? »

Sa question a des accents de sincérité, mais je me demande dans quelle mesure il ne comprend pas mes raisons. Le connaissant, il veut sans doute que je verbalise ce que j'insinue. C'est fou de voir à quel point toutes ces habitudes de conversation reviennent vite, à quel point se refondre dans leur moule est aisé. Je m'y glisse avec un mélange de douleur et du sentiment de rentrer chez moi.

« Tu ne comprends vraiment pas ?
-Je ne suis pas sûr de comprendre, et j'aimerais que tu me dises tes raisons plutôt que de me perdre en théories.
-Il n'auraient rien dû te dire, parce que tu as déjà suffisamment donné. Parce que tu avais mérité qu'on te foute la paix avec mes conneries. Pour toi, j'étais morte, et tu pouvais laisser ça derrière toi. De quel droit ils ont cru qu'ils pouvaient te balancer tout ça ?! »

Quentin reste silencieux un instant, avant de répondre :

« Peut-être qu'il se sont simplement mis à ma place. Je suis heureux qu'ils l'aient fait. C'est… C'est un miracle pour moi d'avoir cette seconde chance. C'est vrai, en te pensant morte j'ai poursuivi ma vie, j'ai progressé, évolué… Mais je ne t'ai pas oubliée. Je n'ai jamais oublié la pire erreur de ma vie. Et je pensais que c'était un poids que j'aurais à porter toute ma vie, sans espoir de rédemption. Je n'ai jamais osé le dire aux autres, tu sais ? Que j'avais eu une chance de t'arrêter, et que je ne l'avais pas saisie.
-Tu n'as pas de raison de te sentir coupable. Tu as fait ce que tu pouvais à ce moment là.
-Dis moi la vérité, Aurore. Ce soir là, est-ce que j'aurais pu t'arrêter ? Si je n'avais pas été si égocentré, bien sûr. »

Je dois réfléchir un peu avant de répondre, et lorsque je réfléchis je n'ai pas envie de lui dire la vérité. Parce que sa culpabilité me fait mal, et que je ne vais pas l'arranger. Pourtant, je forme tout de même mes mots, à contrecœur, parce que maintenant qu'il me sait en vie, je ne veux pas lui mentir.

« Je ne sais pas. Je ne sais pas, parce qu'avant ce soir là j'avais pensé à me tuer, mais je n'étais jamais passée à l'acte. Mais je suis montée sur ce toit, et j'avais écrit mes lettres d'adieu. J'avais tout préparé. Pourtant, c'est vrai, je t'ai appelé, et je crois que c'était pas seulement pour tenir ma promesse. C'était peut-être encore laisser une chance à ma vie. Je ne sais pas. À ce moment là, tout était confus, et j'avais tellement besoin que ça s'arrête. Peut-être que je te laissais une vraie chance de m'arrêter, mais je ne sais pas ce que tu aurais pu dire qui m'aurait stoppée à ce moment là. Je crois… Je crois que j'avais une confiance aveugle en toi, et que je pensais inconsciemment que tu étais capable de miracles. Mais, Quentin ? Tu as fait de ton mieux. Tu ne peux pas vivre avec autant de culpabilité toute ta vie. »

Mon ami prend quelque temps pour digérer tout ce que je viens de lui dire, avant de répondre.

« Merci de te préoccuper de ça, mais je pense que cette culpabilité est importante. Elle me rappelle mon tort et m'a servi de moteur pour ne plus commettre de telles erreurs. Quoi qu'il en soit, je suis heureux que tu sois en vie, que tu sois là.
-Je ne peux pas en dire autant. » je réplique, malgré moi. « Je suis heureuse de te voir aussi, mais ça n'aurait pas dû avoir lieu. ». Un début de révélation me vient doucement, mais j'essaye de l'enfouir aussi profondément que je peux dans mon esprit.

« Pourquoi ça ne devrait pas ? Pour moi, ce qu'il se passe ici et maintenant est juste. Mon sentiment est sans doute égoïste, parce que je suis heureux de pouvoir me rattraper, de rétablir l'équilibre, et de revoir ma meilleure amie. Mais même pour toi, même si tu n'es pas forcément capable de l'admettre, je crois que tu avais besoin de ça, non ? Tu as de bons amis, qui veillent sur toi, et qui ont préféré tout miser sur ton passé plutôt que de trahir ta confiance en demandant de l'aide à des personnes que tu ne veux pas voir intervenir. Aurore, même si tu dis que j'ai déjà donné, qu'on aurait dû me laisser tranquille, je fais partie de ton histoire, et tu ne peux pas le nier. Et si tu veux bien, je continuerai à en faire partie. De toute façon, je sais que tu es en vie maintenant, et il est hors de question que je te perde une seconde fois.
-C'est ironique de dire que « si je veux bien » tu feras partie de ma vie, avant de me nier le droit de partir.
-Si tu as quelque chose contre moi, ou qu'on se rend compte que notre lien ne supporte pas toutes les différences qui nous séparent maintenant, je trouverais normal que nous rompions le contact. Par contre, il est hors de question que je te laisse mourir. Il est hors de question que tu trouves un prétexte pour me sortir de ta vie si le seul but est que tu puisses te tuer.
-Qu'est ce qu'ils t'ont dit exactement ? »

Quentin soupire.

« Tout, je suppose. Alphonse m'a expliqué que vous êtes des sorciers, même si il n'a pas su me dire comment tu as pu te réincarner. Il m'a aussi dit comment vous êtes devenus amis, qui tu étais pour lui… Il m'a raconté le soir où tu as essayé de te tuer à nouveau. Et pour les coupures. »

Il a l'air triste en disant ça, un peu. Moi, je suis glacée. Alors, il sait vraiment tout. Tout ce qu'il peut en tout cas. Néanmoins, un détail me marque :

« C'est Alphonse qui t'a raconté tout ça ?
-Il m'a contacté par internet, avant de demander à me voir en vrai, pour me parler de toi. Je pensais vraiment que c'était un canular, mais je ne voyais pas trop où était le piège, et je ne voulais pas risquer de rater une chance.
-Et tu l'as rencontré. » Ce n'est pas vraiment une question, mais je veux entendre la suite.

« Oui. Il est venu jusque ici, et il m'a fait une démonstration de magie pour me prouver qu'il ne mentait pas, avant de me raconter son histoire. Après ça, nous nous sommes organisés pour que cette rencontre aie lieu. Ni lui, ni tes autres amis ne savaient plus quoi faire d'autre. Ils tiennent à toi, Aurore. Ils t'aiment. »

Je reste de bloquée sur les implications des révélations d'Alphonse. Il a pris le risque de faire de la magie devant un moldu. Il sait pertinemment quelles sont les sanctions prévues pour ça, exactement comme moi, à cause de son amour pour Azmi, la basketteuse moldue. On s'est renseignés ensemble à la bibliothèque. Il n'a pas osé prendre le risque de briser le Secret devant elle, malgré ses sentiments. Et là, il l'a fait pour moi. Il a sans doute pris des précautions, je peux imaginer Ewald lui prêtant ma baguette (enfin, celle du pédophile) pour éviter la Trace, mais il l'a fait.

« Tout va bien, Aurore ? »

Je sursaute, tirée de mes pensées par Quentin. J'ai envie de lui répondre que oui, mais je suis un peu trop en colère pour être crédible. Et j'ai pleinement conscience que ma colère vient de ma peur rétrospective pour Alphonse.

« Est-ce que tu as une idée des sanctions qu'Alphonse aurait pu recevoir pour ce qu'il a fait ? »

Quentin hausse vaguement les épaules.

« Il m'a dit que c'était risqué, mais il n'est pas entré dans le détail.
-On aurait pu lui briser sa baguette, et le bannir du monde magique. Tout ça juste pour t'avertir. Putain, même les autres sont en danger avec ces conneries ! Si un jour quelqu'un apprend qu'ils ont brisé le Secret auprès d'un moldu, intentionnellement… »

Quentin prend le temps d'assimiler les nouvelles informations avant de répondre d'un ton apaisant :

« Je ne parlerai jamais, et je doute que tes amis ne commettent ce genre d'erreur. »

Je me calme un peu, parce que je sais qu'il a raison. Pourtant, le fait qu'ils aient pris ce risque est déjà beaucoup trop.

« C'est vrai, mais ils n'auraient jamais dû faire ça.
-C'était le seul moyen que je croie ce qu'Alphonse avait à me dire.
-Il me semble avoir déjà exprimé mon opinion sur ce point. » je grogne
-Ce qui est fait est fait. » offre Quentin.

Je respire profondément, et décide de changer de sujet. Je sais bien que je ne gagnerai pas, là dessus. Quentin a l'air persuadé que nous voir est une bonne chose, et même si je pense que les autres ont eu tort, je ne peux m'empêcher d'être heureuse de lui parler à nouveau. Cette rencontre semble être un miracle pour nous deux, même si ce n'est pas pour les mêmes raisons. Il me croyait morte, et il a une deuxième chance, et moi je croyais ce genre de retrouvailles interdites à jamais.

« Qui est Tessa ? »

Quentin est surpris par ma question impromptue, mais il me répond quand même une fois qu'il a rassemblé ses pensées.

« C'est ma compagne. »

L'emploi de ce mot me fait bizarre, et me rappelle qu'il a presque trente ans à présent. Comme il n'a pas l'air décidé à élaborer, je lui demande :

« Hé, tu ne peux pas t'arrêter là ? Comment vous vous êtes rencontrés ? Ça fait longtemps que vous êtes ensemble ? Vous êtes mariés ? »

Quentin secoue la tête avec un léger sourire, et je sens l'atmosphère se détendre un peu. Il s'assoit à côté de moi sur le banc, et demande :

« C'est maintenant qu'on se raconte nos vies alors ?
-Si tu veux bien partager tout ça avec moi.
-Bien sûr. Par contre, ma mémoire ne s'est pas vraiment améliorée depuis le lycée, et je ne sais pas trop ce qui t'intéresse… Donc ce ne sera sans doute pas très complet, n'hésite pas à me poser des questions…
-Pas de problème. » je souris.

J'attends quelques instants, en silence, mais Quentin ne se lance pas. À la place, il avoue :

« Je ne sais pas par où commencer… Qu'est-ce que tu veux savoir ?
-Tout ? » je réponds du tac-au-tac avec un léger rire, avant de redevenir sérieuse.

« Tu peux peut-être commencer au moment où je suis morte ?
-Tu es sûre que tu veux parler de ça ?
-C'est plutôt à moi de te poser la question, non ? Ce n'est pas moi qui en ai souffert. »

Quentin se tait quelques temps, tournant son regard vers la mer, à nouveau incapable de me regarder dans les yeux. Je crois un instant qu'il ne va pas me répondre, mais il finit par prendre la parole d'une voix lente et un peu distante, cherchant ses mots.

« Quand tu es morte… Quand tu as raccroché, j'ai été inquiet, et j'ai essayé de te rappeler, mais tu n'as pas répondu. J'ai honte, mais j'ai fini par me recoucher. J'ai mal dormi, et j'ai vraiment paniqué le matin, quand tu ne répondais toujours pas à mes appels. J'ai appelé ton père, il m'a dit que tu n'étais pas dans ton lit. »

Mon père. Je n'ai pas pensé à lui depuis bien longtemps, sauf en passant, comme ça. Le mentionner me ramène en arrière. Je n'ai pas le temps de m'arrêter bien longtemps pour penser à lui, car Quentin ne s'est pas arrêté de parler.

« C'est à ce moment là que j'ai compris que tu étais morte. Et en même temps, je refusais d'y croire, alors je t'ai cherchée, partout où je pouvais, jusqu'à ce que ton père me rappelle. On avait retrouvé ton corps. Je… Après ça, c'est moi qui ai prévenu les autres. Florian, Maeva, Élias… Je suis allé à ta crémation. J'ai fait mon possible pour respecter tes dernières volontés. »

Il se tourne vers moi pour m'offrir un faible sourire à ce moment là, avant de détourner à nouveau le regard.

« J'ai rencontré Mélanie. »

Il doit sentir mon regain d'intérêt, parce qu'il se tourne à nouveau vers moi, même si ses yeux évitent les miens.

« Elle a refusé de prendre quoi que ce soit venant de toi. »

Je suis surprise de ne ressentir qu'un léger pincement au cœur. Ça fait tellement longtemps qu'elle m'a éjecté de sa vie que j'ai réussi à prendre de la distance, on dirait.

« Je vois. »

Se méprenant peut-être sur la neutralité de ma voix, Quentin ajoute, possiblement pour me rassurer :

« Elle avait l'air d'aller… Assez bien, d'être plutôt mûre, de savoir où elle allait dans sa vie.
-Tant mieux. » mon sourire est sans doute un peu triste, mais je suis sincère. Au moins une personne qui va bien. « Comment les autres l'ont vécu ?
-Mal. On a mis des années à retrouver un équilibre. Florian ne m'a pas beaucoup parlé, mais ça se sentait qu'il était impacté. Lui et Élias s'en voulaient tellement de ne pas avoir remarqué à quel point tu allais mal… Et Maeva… Après ça, elle s'est détachée de plus en plus de ce qui l'entourait. On est tous restés ensemble pendant longtemps, et je crois qu'on n'avait plus vraiment de contacts en dehors de notre groupe. Parce que personne ne comprenait, sans doute. J'ai rompu avec Célia. »

Ça me fait mal de les imaginer tous comme ça. Je me doutais bien qu'ils souffriraient un peu de ma mort, mais on ne se connaissait que depuis un an ou deux, après tout. Certes, j'étais très attachée à eux, à notre groupe de rejetés, mais je m'attache toujours trop aux gens. Toujours davantage qu'ils ne s'attachent à moi. Alors, je ne pensais pas que ma mort les affecterait comme ça. J'ose demander :

« Ils sont devenus quoi ?
-J'ai perdu le contact avec Florian vers la fin de mes études, mais il avait trouvé du boulot comme ingénieur dans des mines de charbon. Il disait que ça collait parfaitement avec sa vraie nature de nain. »

Quentin et moi échangeons un sourire léger. Je n'ai pas oublié nos séances de jeu de rôle, au lycée.

« Maeva… Je ne sais pas trop ce qu'elle devient, je crois qu'elle a suivi une formation en poterie mais qu'elle n'arrivait pas à trouver de travail, et elle n'osait pas se lancer à son compte… Je ne sais pas trop où elle en est, ça doit faire au moins deux ans que je n'ai pas eu de nouvelles. Je suis toujours en contact avec Élias, par contre. C'est mon meilleur ami… Pour être honnête, il est le seul avec qui j'ai une relation amicale durable. Tu me connais, j'aime ma tranquillité et je ne ressens pas vraiment le besoin de me sociabiliser. Il est dans l'informatique, comme moi. Il est resté sur Lyon, mais on fait souvent des projets ensemble, et on se voit de temps en temps. Il vient me voir, demain. »

Élias… Je l'ai toujours beaucoup apprécié, et c'est sans doute de lui que j'étais la plus proche, après Quentin. C'est grâce à Élias que je l'ai rencontré, d'ailleurs. J'aimerais bien le revoir. Cette pensée me prend au dépourvu, et je l'écrase tout de suite sans ménagements. Ça ne me suffit pas de gâcher la vie de Quentin ? Élias a fait son deuil, il n'a pas besoin de ça. Et puis, il ne savait rien sur moi à l'époque. Il ne comprendrait pas. Il faudrait lui expliquer, et ça ce serait bien sûr si il croyait en ma réincarnation. Je secoue la tête pour chasser ces pensées, reconnaissante que Quentin continue à parler.

« Pour ma part, j'ai fait des études d'informatique, aussi, et je me suis spécialisé en intelligence artificielle. J'ai rencontré Tessa lors d'un voyage à Londres. Elle est allemande, et architecte. On s'est plu, on a continué à se voir, quand on pouvait… Ça m'a pris du temps d'accepter de me lancer dans une nouvelle relation. »

Quentin pose ses yeux partout, sauf sur moi. Il a quelque chose à dire, mais il ne sait pas si il peut me le dire. Je reconnais son comportement, même après tout ce temps.

« Je ne sais pas de quoi il s'agit, mais tu peux me le dire, Quentin. »

Il essaye visiblement de se calmer, et j'attends en silence.

« Je… Je ne croyais pas avoir le droit à l'amour, pas après ce que j'ai fait. »

Il a toujours eu du mal à avouer des vérités sur lui. Et j'imagine que le fait que celle ci puisse me blesser n'arrange pas les choses.

« J'imagine que tu t'en doutes, mais je ne suis pas d'accord avec ça. »

Quentin soupire.

« Je sais. Mais j'ai fini par l'accepter. Ça fait sept ans maintenant. On a fait un voyage autour du monde, tous les deux. Tu te rends compte ? Et on a acheté une maison ici, en Bretagne. »

Il sourit en me racontant ça, et je souris aussi.

« Je suis heureuse pour toi. »

Et je suis sincère, à nouveau. J'ai laissé passé ma chance de vivre à ses côtés en sautant de ce toit, je le sais depuis longtemps. Et si je n'avais pas sauté… Il n'était pas pour moi, de toute façon. Alors, le savoir heureux malgré tout est un vrai cadeau, qui passe un peu de baume sur ma culpabilité croissante d'être morte.

« Vous êtes allés où ?
-On a vu plein de pays ! On est allés au Canada, aux État-Unis… Mais ce que j'ai préféré, c'était le Japon ! »

La discussion se poursuit, et je prends plaisir à entendre Quentin me raconter sa vie. Il n'a pas passé ces dix dernières années à tourner en rond, comme moi. Il a avancé. Il a créé des souvenirs brillants, bâti sa relation, qui a l'air solide, et je note tous les détails qui me montrent qu'il a changé. Il me regarde en face quand il me parle. Les mots qu'il utilise pour parler de Tessa sont simples, mais me font ressentir toute l'importance de cette fille que je commence à avoir envie de rencontrer. J'ai toujours un peu mal, évidemment, a l'idée d'avoir perdu ma chance avec lui, mais… Ce n'est plus la personne que j'aimais. Ce n'est plus notre temps, surtout. Quentin a avancé, et je suis restée en arrière. J'en suis toujours au même point. Je mens à mes amis et j'essaye de mourir. Et le pire, c'est que je ne saurais pas faire autrement. Comment vivre lorsque son passé nous revient toujours dans la figure ? Je ne pourrai jamais échapper aux souvenirs de mon frère. Je ne pourrai jamais échapper à mon esprit. Je sais, la drogue existe pour ça, ou l'alcool. Mais ça ne résout rien, et je ne serais pas moi sans mes souvenirs, sans savoir qui je suis. Ce n'est pas pour moi.

« Et toi alors ? »

Je sursaute légèrement, interrompue dans mes pensées par la question de Quentin.

« Moi ?
-Tu me racontes ta vie ? »

Je hausse les épaules.

« Je crains que ça ne soit pas aussi intéressant que la tienne, mais je veux bien essayer.
-Tu plaisantes ? Tu fais de la magie ! Comment ça pourrait être ennuyeux ? »

J'ai un petit rire, avant de commencer :

« Okay, okay. Et bien, euh… Je suis née à Lyon, mais mes parents sont britanniques et je vis à Londres. Je suis fille unique. Mes parents ont fini par s'habituer à mon intelligence « incompréhensible », et ils sont plutôt sympa. Ils sont assez aisés aussi, et j'ai grandi avec une gouvernante pour me tenir compagnie, Mrs Winston. Elle est adorable mais beaucoup trop envahissante.
-Comment ça ?
-C'est qui qui va aller au parc avec Mrs Winston ? Laisse la porte ouverte, Vivian-Éris, je t'aiderai à t'essuyer le popotin ! » je fais avec une voix de fausset, imitant la gouvernante.

Quentin rougit, puis éclate de rire. Je le tape.

« Tu rigoles, mais j'ai souffert, okay ?! »

J'ai vraiment souffert en plus, au début, mais maintenant tout ça me fait rire aussi. C'est pas pour autant que je peux le laisser se moquer de moi tranquillement, d'abord.

« J'ai retrouvé mes souvenirs quand j'avais un peu plus de trois ans. »

Cette phrase nous fait reprendre notre sérieux, et je lui raconte tout, rapidement sans trop le regarder. Les coupures, la solitude, le manque, les crises de larmes, le sommeil qui fuit. La solitude encore, l'incompréhension sur pourquoi je ne suis pas morte. Mes envies de mort que je n'ai pas satisfaites de crainte de devoir me réincarner à nouveau. Le sentiment d'être piégée. Ma découverte de la magie, aussi, et son contexte particulier.

« Pour être honnête, je pense que si j'avais découvert la magie autrement, ç'aurait pu être une échappatoire. J'aurais pu aimer ce monde, et ça aurait pu m'aider, peut-être. Mais là, tout ce que j'ai vu, c'est une explication potentielle à ma résurrection, et une nouvelle piste à creuser… Et en vrai, je te dis ça mais mon passé aurait finit par me rattraper de toute façon.
-Rien ne t'empêche d'apprécier la magie maintenant. Et puis, j'ai l'impression que c'est fun, non ?
-Rien ne m'empêche d'apprécier la magie, et de vouloir crever. Ça ne sert à rien d'en parler de toute façon. »

Et avant que Quentin ne puisse répliquer, je lui parle de mes apprentissages solitaires, des rares visites d'Arthur, puis de mon entrée à Poudlard. Je lui raconte ma rencontre avec Scorpius, les filles du dortoir, ma rencontre avec Ewald, puis avec Alphonse. Je lui parle de mes vacances avec Al', du moment où mes parents ont appris pour le pédophile, de la course d'obstacles, de la chasse aux lucioles. Je parle beaucoup d'Ewald, au final, parce qu'au fur et à mesure c'est avec lui que j'ai passé le plus de temps, et c'est lui qui est parvenu à me percer à jour. Je lui dis aussi à quel point Arthur m'a souvent fait penser à lui. Enfin, je lui raconte mes souvenirs effacés par le sorcier mystérieux qui m'a fait vivre, et ma tentative de suicide, puis le séjour chez Ewald. Je lui dis à quel point la vigilance constante de mes amis me pèse, et à quel point aussi je m'en veux de leur infliger ça.

« Renonce à mourir, Aurore. Comme ça, ils seront heureux, et tu pourras le devenir toi aussi. »

Soudainement, je me rappelle pourquoi j'avais souvent envie de le frapper. Lui et ses réponses simplistes, stupidement optimistes…

« Ce n'est pas comme si je pouvais oublier tout, tu sais ?
-Je ne dis pas que ce serait facile. Mais tu es en vie, même si c'est contre ton gré. Tu es en vie, et tu es aimée. Tu finiras bien par mourir de toute façon, à ton heure. Tant que tu vis, il y a un espoir. Tu pourras toujours mourir plus tard, mais tu ne peux vivre que maintenant. Si tu meurs, tu ne pourras pas ressusciter si tu change d'avis. »

Il a toujours sorti ses putains de phrases optimistes, avant de me lâcher des trucs plus profonds, plus passionnés. Pourtant, je ne peux pas être d'accord avec lui. Je n'ai pas envie de vivre, c'est aussi simple que ça.

« J'ai déjà donné pour la vie.
-Je ne crois pas que tu lui aies vraiment donné une chance, à partir du moment où tu as pensé à mourir. Tu as juste décidé que tu en avais assez, et tu as tout mis en œuvre pour que ça cesse. »

Doucement, la colère monte en moi. Il ne peut pas me foutre la paix ? Comme si je n'avais pas essayé, essayé à en saigner, épuisée à survivre, à faire tout ce que je pouvais. J'ai essayé, et j'ai juste fini par arrêter les frais lorsque j'ai compris que ça ne me menait qu'à davantage de douleur.

« Tout ce que tu crois n'est pas la vérité, je réponds sèchement
-Quelle est la vérité, selon toi ? » sa question sonne sincère, ouverte. Il a toujours été comme ça.

« La vérité, c'est que j'ai essayé, j'ai tout fait pour tenir bon, pour être forte. Mais la vérité, c'est aussi que ça ne sert à rien de s'acharner pour un futur hypothétique, si il ne vient jamais.
-Et pourtant, tu es toujours là.
-Bien contre mon gré.
-Mais tu l'es, et c'est une chance. Tu as essayé. Tu as lutté seule tellement longtemps… Mais essaye, encore une fois. C'est la seule voie qui pourra te mener au bonheur. Et tu n'est plus seule. Je suis là, et surtout tes amis sont là. »

J'ai un rire bref et sec à l'écoute de sa « seule voie qui mène au bonheur ». Le mieux que je puisse faire, c'est survivre. Je n'ai plus jamais vraiment vécu, depuis Jérémy.

Je ne réponds pas tout de suite à la tirade de Quentin. Peu importe ce que je dis, il ne voudra pas comprendre. Ou plutôt, je sais d'expérience que même si il comprenait, il continuerait à pousser pour que je vive, il refuserait d'admettre que ma volonté de mourir est compréhensible. C'était déjà comme ça, à l'époque. Et il m'avait aussi dit qu'il serait là, jusqu'au jour où il ne l'a pas été. Je n'ai pas envie de lui rappeler ça de toute façon. À quoi bon lui faire mal ? Il admettrait son tort, sans démordre de l'idée de me faire vivre. Finalement, je botte en touche plutôt que de répondre au fond de son message.

« Je suis contente que tu sois là.
-C'est réciproque. » sourit-il, avant d'ajouter, ayant sûrement suivi un chemin de pensée proche du mien. « Et je te promets que cette fois-ci, je ne commettrai pas les mêmes erreurs. Même si on habite loin, on restera en contact. Et on continuera à se voir, d'accord ?
-Je doute d'avoir le choix. » je plaisante, d'un ton faussement fataliste.
« Tu l'as toujours, me répond Quentin sérieusement. Mais encore une fois, interdiction de t'éloigner de moi si c'est juste pour me protéger. Je suis engagé dans cette relation, et maintenant que je te sais en vie il est trop tard pour toi pour fuir. »

Je lève les yeux au ciel.

« J'ai bien compris, ne t'inquiète pas. »

Je m'apprête à ajouter quelque chose, mais je remarque qu'Ewald s'est rapproché de nous, attendant qu'on le remarque. Arthur et Alphonse sont à quelques pas derrière lui, à portée de voix.

« Je suis désolé de vous interrompre, mais il commence à se faire tard. » La voix d'Ewald est neutre, et je me demande à quoi il pense.

Quentin hoche la tête, et se relève.

« Effectivement… Je n'ai pas vu le temps passer. Ça va aller, Aurore ? » les mots qu'il m'adresse sont en français, et je réponds en français.

« Je survivrai. » Je me tourne ensuite vers Ewald pour lui demander : « C'est quoi le plan ?
-Nous avons un portauloin pour rentrer au manoir. On ne savait pas comment la rencontre se passerait, donc on a prévu de rentrer aujourd'hui. Si vous souhaitez vous revoir, on organisera quelque chose, d'accord ? »

Je hausse les épaules. Je doute fort d'avoir le choix de toute façon. Je peux difficilement m'inviter chez Quentin, qui devrait expliquer à Tessa pourquoi il ramène une gamine de onze ans à la maison. En plus, il doit voir Élias demain. J'ai un pincement de cœur en pensant à lui, mais je ne peux pas le revoir. Pas maintenant. Il faudrait le mettre dans le Secret, donc le mettre en danger, et encore une fois ça remuerait la vie de quelqu'un qui a fait son deuil depuis des années. Mais je l'aimais bien, à l'époque…

« Le portauloin part dans combien de temps ?
-Une trentaine de minutes. Il faudrait qu'on s'éloigne de la ville avant qu'il ne s'active.
-Je vais vous amener. » répond Quentin.

J'ai un petit rire amusé, me faisant à nouveau la réflexion de combien il est étrange de l'entendre parler anglais. Évidemment, il me demande ce qui m'amuse, et me donne un petit coup de coude amical lorsque je lui explique.

« J'ai quand même eu onze ans pour apprendre, je te signale ! »

Je rigole avec lui, mais intérieurement j'ai un petit choc au rappel de ces années perdues. Onze ans, c'est long. Est-ce que nous allons vraiment pouvoir rester amis ? Il a eu le temps de faire tant de choses, de changer, d'évoluer, et à présent nos vies suivent des trajectoires si éloignées… Pourtant, lorsque nous discutions tout à l'heure, j'avais le sentiment que nos âmes, au moins, étaient toujours liées. Pas comme si rien ne s'était passé, mais comme si notre lien n'avait pas été affaibli par les années. Quelque part, je crois que nous avions tous les deux attendus ce miracle…

Je garde ces réflexions pour moi alors que nous marchons tous de concert vers la voiture de Quentin. Il marche à côté de moi, échangeant quelques plaisanteries avec Alphonse. Je sens l'attention d'Ewald sur moi, pendant qu'il bavarde à voix basse avec Arthur. Je les déteste tous, mais mon cœur est quand même gonflé d'affection pour eux. Je les hais et je suis reconnaissante dans le même temps de m'avoir permis de revoir Quentin.

Je passe le trajet à l'avant de la voiture avec mon ancien ami, et nous ne parlons que de sujets légers. Je lui raconte quelques anecdotes drôles de ma vie à Poudlard, il évoque son boulot et ses clients étranges (il en voit des choses, en tant que freelance). Il nous conduit jusqu'à une petite colline près de la mer, et nous descendons tous ensemble de la voiture. Il nous reste encore une dizaine de minutes avant le départ. Ewald demande à parler avec Quentin, et je me demande ce qu'il veut lui dire. La tristesse commence à enserrer mon cœur, à l'idée de partir. Arthur essaye de faire la conversation avec moi, me demandant si je suis contente d'avoir renoué avec mon ami, si je vais bien… Je ne réponds que par monosyllabes, regardant dans le vague. Je n'ai pas vraiment envie de parler.

Ewald et Quentin finissent par revenir, et Quentin glisse quelques mots à Alphonse avant de remercier collectivement mes amis d'être là pour moi, et de lui avoir donné la chance de me revoir. Ensuite, sans nous concerter, nous nous éloignons un peu du groupe tous les deux pour nous dire au revoir. Une fois le groupe disparu derrière un repli de la colline, nous nous arrêtons. Je le regarde une dernière fois en silence, essayant de graver son image dans mon esprit. Il se tait aussi, même si je ne sais pas à quoi il pense.

« Tu vas me manquer. » j'admets
« On va se revoir. » sourit Quentin. « Et dans moins de onze ans !
-Y a intérêt ! » je réplique, malgré l'hypocrisie de ma répartie.

Il a un petit rire, avant de se rapprocher de moi, m'ouvrant ses bras. Je m'y blottis, respirant à nouveau son odeur à pleins poumons, et il me chuchote :

« Je t'aime. »

Je t'aime. On échangeait ces mots, avant ma mort, avant qu'il ne sorte avec Célia. Combien j'ai espéré les entendre avec le poids de l'amour plutôt que celui de l'amitié, à l'époque… Et maintenant, les entendre à nouveau me désarme complètement. Je réprime mes larmes, mais quelques unes s'échappent quand même de mes yeux quand je lui réponds.

« Je t'aime. »

Mes mots ne sont plus motivés par l'amour, non plus, du moins pas romantique. Ils n'en sont pas moins vrais. Si il y a une certitude en moi, après c'est onze ans, c'est que je l'aime toujours. Je l'aime comme un ami, mais je l'aime.

Je m'arrange pour essuyer discrètement mes larmes en rompant le câlin, et Quentin me dit :

« Merci d'avoir survécu, Aurore. Je tiens à toi, et tes amis aussi. Parle leur, d'accord ? Parle moi aussi. On sera là. Et on se reverra.

-Merci. » je réponds simplement, parce que je ne sais pas quoi dire. Je ne sais même pas pourquoi je le remercie exactement, mais je sais que je suis reconnaissante pour sa présence, son amitié, et le temps qu'il m'offre. Je me sens coupable aussi, de ne pas savoir si je lui accorderai ce qu'il demande, si je resterai en vie, même assez longtemps pour qu'on se revoie…

Nous rejoignons les autres sans plus parler, et je l'enlace une dernière fois avant d'empoigner le portauloin avec mes amis de Poudlard. Il s'éloigne de quelques pas et reste seul sur la colline, à nous regarder disparaître.

xxx

« J'ai toujours aimé mes amis davantage que ma famille. Mes amis, je ne les ai pas vraiment choisis, contrairement à ce que dit l'adage. On s'est choisis après que la vie nous aie jeté sur le chemin les uns des autres. Mais c'est avec mes amis que je partage ma vie, que je partage mes secrets, surtout. J'ai toujours eu une distance avec ma famille, je ne saurais dire vraiment pourquoi. À l'origine, avant le viol, ils étaient totalement corrects. Ils faisaient attention à moi, m'encourageaient dans mes réussites, me soutenaient dans mes échecs… Pourtant, j'ai toujours gardé une certaine distance. »


Et voilà, fin du chapitre!
Il me tarde d'avoir vos retours dessus, que pensez vous de Quentin? De leur discussion? Qu'imaginez vous pour la suite?

On se retrouve dans quelques temps, merci d'avance à celleux qui prendront le temps de laisser une review!