Chers lecteurs et lectrices, ceux qui ont lu le premier chapitre ne seront aucunement surpris de ce que leur réserve le second. Cependant, je me permets de vous mettre en garde : c'est incroyablement violent, horrible, et déprimant au-delà de tout…Bonne nouvelle : ce devrait être le climax, le pire moment de mon histoire.
Donc, AVERTISSEMENTS ! VIOLENCE EXTRÊME ! TORTURES ! HUMILIATIONS !
Par ailleurs, je voudrais aussi rappeler que, dans de nombreux pays, les châtiments corporels judiciaires et éducatifs perdurent.
À ceux qui me feront remarquer qu'ils sont pratiqués en cas de crimes graves, je répondrai tout d'abord que cela m'est totalement égal. Je ne me bats pas pour les droits humains pour ajouter immédiatement « sauf bien sûr dans le cas où… » La civilisation, c'est avant toute chose ne pas se montrer barbare avec les barbares.
Ensuite, c'est tout simplement faux. Dans certaines régions du monde, on coupe la main des voleurs. Voleurs qui, pour beaucoup, sont exactement dans la même situation qu'Emma, dans mon histoire. Ils volent pour survivre. Et les châtiments contre lesquels je me bats peuvent être infligés pour la simple raison que les condamnés ont osé élever leurs voix ou leurs écrits contre leurs gouvernements.
Maintenant que c'est dit, bonne lecture. Et si vous craignez que cela ne vous fasse du mal, de grâce ne lisez pas !
Regina, sans réfléchir, prit la jeune femme dans ses bras, l'embrassant dans une étreinte légère au niveau de la taille et la serrant doucement contre elle. La juriste eut à peine le temps de sentir le poids, la réalité corporelle de ce jeune corps tremblant et terrorisé. La condamnée la repoussa presque violemment, de sorte qu'elle tomba en arrière, se rattrapant habilement avant de se retrouver assise, sur le sol crasseux de la petite cellule.
Tout, ensuite, se passa très vite. Elle vit la détenue ouvrir la bouche, dans un cri d'horreur qui lui resta au fond de la gorge. Et Booth apparut, menaçant et vociférant. Emma esquissa le geste absurde de fuir.
Elle se jeta à quatre pattes, en direction non pas de la grille, car elle ne cherchait qu'à s'éloigner du gardien, mais de l'autre coin de sa geôle, soit des toilettes. Elle progressa sur les mains et les genoux, jusqu'à ce qu'elle eût dépassé son matelas de plastique orange. Le garde-chiourme avait commencé à hurler, aboyant des insultes et des ordres, à l'instant-même où la reprise de justice avait repoussé son avocate.
« Espèce de petite pute ! Arrête ça tout de suite, tu entends ! Je vais te mater, moi ! » Oubliant, dans son affolement, l'état déplorable de son séant, Emma se retourna et tomba sur les fesses. Un hurlement strident, qui devait hanter Regina pendant de longues années, déchira l'air. La jeune voleuse ne put faire autrement que de rouler sur le côté, pour épargner sa peau et ses muscles, et se cogna la tête contre le rebord du lavabo, répugnant de saleté.
Elle resta là, coincée entre la cuvette des toilettes et l'évier, à genoux, haletant d'épouvante et de douleur. Comme dans un cauchemar, la cadette des sœurs Mills vit le gardien se saisir de sa cravache, entendit le bruit caractéristique des scratchs lorsqu'il s'en empara pour la lever bien haut, au-dessus de sa tête. La magistrate se mit maladroitement debout, tendit une main, cria : « Non ! ». C'était trop tard. Le coup était parti. Le bruit de la sanglade, assorti d'un cri perçant, indiqua qu'il avait atteint sa cible. À l'épaule sans doute.
Autour de la geôle, les détenus réagirent aussitôt. Regina entendait, sans y prendre réellement garde, leurs commentaires inspirés. « Ouhhh…y a du rififi, on dirait ! » « C'est Swan qui se rebelle ! » « Ou alors c'est la bombe qui lui sert d'avocate ! » « Ce cochon va se les taper toutes les deux ! » Au premier coup de cravache, une exclamation enthousiaste s'était élevée : « Vas-y, mec ! Plus fort ! » Et, s'adressant à Emma : « T'aimes ça, les raclées, on dirait ! »
Un deuxième coup tomba. Le cri, cette fois, fut si assourdissant qu'une des voix venues de l'extérieur s'écria : « Hé, Booth ! Tu n'as pas le droit de la tuer ! » D'une manière tout à fait surprenante, le garde perdit soudain de sa superbe. Il baissa son arme, se pencha vers l'avant, regarda, sans pouvoir déterminer où il avait atteint la jeune fille. Comme elle se protégeait convulsivement la tête entre les bras, il se précipita sur elle en sifflant avec agacement : « Mais c'est pas vrai ! Montre-moi ta gueule, petite garce ! » Il l'attrapa par une épaule, l'obligea à se retourner, lui saisit le menton entre deux doigts, avec une moue dégoûtée. Au moment où il la forçait à le regarder, Regina eut un haut-le-corps. Le coup de cravache avait touché le visage. Une balafre ensanglantée traversait à présent la face d'ange. C'était passé tout près de l'œil droit. Le cerbère la repoussa légèrement en arrière, et elle se rencogna contre la cuvette, sous l'évier, en le dévisageant avec terreur.
La pénaliste étouffa son inquiétude pour sauter sur l'occasion. « Les coups au visage avec un instrument sont interdits par le code de l'Éducation et de la Correction ! Article 2, alinéa 10 ! » Elle se sentait presque à bout de souffle. Tandis que le tortionnaire réajustait les scratchs qui maintenaient sa cravache en place, tout en jetant des coups d'œil troublés à la prisonnière, elle observa Emma. La blessure saignait un peu. Booth parut rassuré en constatant que la jeune voleuse écarquillait les deux yeux. Il avait bien failli lui en crever un. Mais il avait eu de la chance.
« Je vous ai défendue, Maître ! » répondit le garde. « Elle vous a agressée. » Il parlait à présent du ton d'un homme qui n'est pas du tout sûr de lui. Autour d'eux, les prisonniers s'étaient étrangement tus. Un silence d'autant plus angoissant qu'il indiquait que ceux-ci, très intéressés, écoutaient de toutes leurs oreilles, tâchant de saisir sans les voir la suite des événements.
Au moment où Regina ouvrait la bouche pour répondre, elle entendit des pas derrière elle, se retourna. C'était Davis. Dans le doute, probablement, il avait dégainé son pistolet. Sans entrer dans la cellule, il demanda, s'adressant à Booth : « Qu'est-ce qui se passe ici ? »
C'était un soldat moins expérimenté et subalterne. Il était également plus humain, ne semblait pas, selon l'opinion de la juriste, prendre du plaisir lorsque c'était à lui de fouetter les « enfants », ne frappait pas de toutes ses forces, sans aller jusqu'à amortir les coups. L'avocate avait le plus grand mal à comprendre comment on pouvait exercer un pareil métier sans une bonne dose de sadisme. Nécessité faisait loi, sans doute…
« T'occupe ! » lui répondit Booth. « Je gère. Retourne à l'entrée. Webb est là ? » « Oui. » rétorqua simplement le gardien. « Bon. Tu m'attends et c'est tout ce que tu dois faire. J'amène la gamine dans une minute. » Davis répondit d'un hochement de tête. Mais avant de faire demi-tour, il jeta un coup d'œil hésitant, vaguement interrogateur, à Regina.
Cette dernière, une fois que les pas se furent éloignés, se tourna à nouveau vers la grosse brute qui avait blessé sa cliente, et reprit la conversation comme si elle ne s'était jamais interrompue. « Emma Swan m'a à peine effleurée, Officier ! Vous le savez. Elle ne m'a pas fait le moindre mal. Votre réaction était totalement disproportionnée. Et… » ajouta-t-elle en désignant la vieille caméra fixée dans un coin, au plafond, « les images le montreront. »
Elle savait parfaitement ce qu'elle faisait. Le tortionnaire aimait son métier. Il tenait à sa place comme à la prunelle de ses yeux. Il ne se ferait sans doute pas renvoyer mais il écoperait d'un blâme, au minimum. Par ailleurs, il craignait plus que tout de ne plus être dans les bonnes grâces de George King. Regina vit le cerbère se mordre les lèvres, réfléchir. Emma, toujours ployée, agenouillée sur le sol, l'entaille qui barrait à présent son joli visage suintant mollement, les regardait tous deux, fixant ses yeux apeurés tantôt sur l'un tantôt sur l'autre. Finalement, Booth tenta une parade. « Vous vous êtes approchée trop près d'elle. Vous n'êtes pas censée la serrer contre vous, comme ça. »
L'avocate s'y attendait. Elle regarda encore une fois, à la dérobée, sa malheureuse cliente. Sa blessure ne semblait pas dangereuse. Elle la désinfecterait après l'exécution, comme elle en avait obtenu le droit. Le plus urgent était de lui épargner les pénalités qui la menaçaient. Cela pouvait aller jusqu'à dix brûlées supplémentaires, sur un corps déjà poussé dans ses derniers retranchements. Si Regina l'avait pu, elle aurait négocié chaque coup, individuellement. Elle s'approcha tout près du garde, malgré la profonde répugnance que lui inspiraient son haleine vineuse, son regard torve, son expression perverse, afin de n'être entendue que de lui…et peut-être d'Emma. « Eh bien…disons que je ne signalerai pas l'incident. Et vous ne ferez pas de rapport défavorable…et surtout…pas de pénalité. » En réalité, un rapport défavorable n'aurait fait que se rajouter à la pile qui trônait déjà sur le bureau d'Eugène King. Il n'existait pas, à proprement parler, de réglementation sur les contacts entre clients et avocats. Il ne s'agissait que d'une ligne de conduite, de recommandations. Mais, en argumentatrice chevronnée, la juriste savait qu'il lui fallait des éléments de marchandage, pour être crédible et garder la main.
Il la considéra longuement. Son expression était peut-être la plus méprisante qui lui eût jamais été adressée. Non pas qu'elle s'en souciât le moins du monde. Il hocha la tête, et la magistrate dut se maîtriser pour ne pas pousser un immense soupir de soulagement. Cependant, comme pour compenser sa défaite, et comme elle se tenait tout près de lui, il fit, du bras gauche, le tour de son corps, et lui tapota la croupe à plusieurs reprises, tout en la vrillant du regard. Elle serra les dents, le laissa faire.
Enfin, il se dirigea vers Emma, qui, poussant un petit cri, se contracta. Mais avant qu'il eût pu l'empoigner, Regina s'interposa. « Les condamnés ont le droit d'être escortés de leur avocat. » assura-t-elle. Il eut un geste d'exaspération, mais capitula aussitôt, se dirigea vers la porte, la franchit, et attendit derrière la grille. « Dépêchez-vous, merde ! » siffla-t-il. « Il est tard. »
La belle brune dirigea toute son attention vers sa cliente. « Il faut y aller, Emma. » murmura-t-elle d'un ton désolé, tout en récupérant son attaché-case. À sa grande surprise, la petite se redressa docilement. D'ordinaire, il fallait plus de persuasion. Elle se mouvait bien entendu avec peine. Elle chancela en se mettant debout. La juriste la prit très doucement par le coude, pour l'aider. La jeune voleuse lui emboîta le pas, tout en boitillant et en geignant de douleur, lorsqu'elle se dirigea vers le couloir. Elle la regardait avec une expression étrange.
Elle marchait si lentement, chavirant à chaque pas, tant il lui était difficile de garder aux pieds ses sabots de plastique, qu'elle eut le temps, avant d'avoir rejoint Booth, de murmurer à l'adresse de sa défenseuse : « Pardon, Maître. Je ne voulais pas vous pousser. » C'était donc pour cela qu'elle se montrait si coopérative. Regina se força à sourire, rassurante. « Ne vous inquiétez pas. Vous ne m'avez pas fait le moindre mal, Emma, je vous assure. » Mais il n'était pas si simple, de tranquilliser cette orpheline, victime de la société depuis sa naissance et abandonnée de tous. Son dossier indiquait qu'elle avait été découverte au bord d'une route de campagne du Maine, en plein hiver, alors qu'elle était âgée de quelques heures. « Partez pas…s'il vous plaît…Revenez la semaine prochaine. » « Emma, cela ne m'a même pas effleuré l'esprit ! » assura la belle brune. « C'est de ma faute. Je n'aurais pas dû vous prendre dans mes bras, comme ça, sans prévenir. »
Lorsqu'elles furent dans le couloir, aux côtés de l'homme qui venait de taillader une jeune fille au visage, Regina lui décocha un regard qui indiquait clairement qu'il n'avait pas intérêt à toucher sa protégée avant qu'ils ne soient dans la salle d'exécution. Elle enroula son bras droit autour du corps amaigri. La détenue était nettement plus grande qu'elle. Pourtant, lorsqu'elle s'arc-bouta, se servant d'elle comme d'un appui sans toutefois oser s'adosser complètement, la magistrate eut l'impression de mener un petit enfant à l'échafaud.
Au moment-même où Booth refermait la grille, dans un fracas métallique, tous les prisonniers semblèrent se réveiller en même temps. Des cris d'enthousiasme s'élevèrent, tout le long du couloir. « Quelqu'un va avoir très, très mal au cul, on dirait ! » « Qu'est-ce que je donnerais pas pour voir ça ! » « On se revoit bientôt, Blondie! » « Essaie de pas gueuler toute la nuit, cette fois, tu nous empêches de pioncer ! »
Regina dut escorter sa cliente, boitant à chaque pas, tout le long de cette marche de la honte institutionnalisée. La condamnée gardait la tête baissée. Son avocate l'entendait, à travers les acclamations et les onomatopées ordurières, respirer laborieusement. Lorsqu'elles furent arrivées au bout du couloir, où les attendaient Booth, Webb et Davis, tous trois armés jusqu'aux dents, la jeune voleuse lui murmura à l'oreille : « Moi, je crie jamais comme ça quand y en a un qui part dans la salle d'exécution. » Elle accompagna cette déclaration d'un hochement de tête, tout en scrutant intensément le visage de madone. La belle brune se rendit compte qu'elle craignait de ne pas être crue. « J'en suis sûre, Emma. » chuchota-t-elle à son tour.
Webb était chargé de garde. Il s'assit à la petite table, se préparant à une longue veille. Ce fut Booth qui ouvrit la porte avec sa clef, tout en grommelant : « On y va maintenant ! On a assez perdu de temps et j'aimerais commencer mon week-end. » Davis se plaça derrière les deux femmes, comme pour les empêcher de fuir. Lorsque tous quatre commencèrent à longer le couloir, la prisonnière se pencha encore une fois à l'oreille de son avocate et chuchota faiblement : « Il est en colère. Il va frapper fort… » Son ton suggérait qu'elle s'en voulait, d'avoir empiré sa situation. Et peut-être aussi celle de son avocate. La juriste avait l'impression qu'une pierre tranchante avait élu domicile au fond de sa gorge. « Il frappe toujours de toutes ses forces, Emma. Rien de ce que vous pourriez faire ne changera ça. » Le garde-chiourme, sans cesser de marcher virilement devant elles, tourna la tête et leur décocha un regard furieusement méprisant. Il avait entendu.
La salle d'exécution, heureusement ou malheureusement, était toute proche. Le garde assermenté dut une nouvelle fois avoir recours à son trousseau de clefs pour en ouvrir la lourde porte, insonorisée. Il entra, brailla : « Amène-toi, Swan ! » Regina sentit que sa cliente enfonçait ses talons dans le sol. Elle avait été trop docile jusqu'ici. C'était le retour de bâton. Si elle opposait de la résistance, elle risquait les fameuses pénalités que sa défenseuse venait de réussir à lui épargner. L'avocate resserra doucement, prudemment, sa prise autour de la taille étriquée, et dit à voix basse : « Allez-y, Emma. Ce sera plus vite fini. » La jeune délinquante se mit à pleurer en sourdine. Ses mains étant encore libres, elle en profita pour s'essuyer les yeux en reniflant discrètement. La cadette des sœurs Mills se fit la réflexion qu'il fallait véritablement avoir un cœur de pierre pour ne pas en être attristé. Elle aperçut, du coin de l'œil, Davis, qui entrait. Il regarda la prisonnière à la dérobée. Ce fut extrêmement bref mais la belle brune eut l'impression que son regard insaisissable exprimait une vague pitié. Ce fut lui qui se chargea de fermer la porte à clef.
Le moment était venu. Booth s'approcha de la prisonnière. Cette dernière baissa la tête, se recroquevilla, mais parvint à rester debout. Lorsqu'il fut tout près des deux femmes, il s'adressa d'un ton cassant à la pénaliste. « Arrière, Maître Mills. Votre place est là. » Et il désigna un coin de la pièce où trônait une chaise de bois, à destination des avocats venus assister au supplice de leurs clients.
Regina savait qu'il était hors de question, dès cet instant, qu'elle restât en contact avec sa protégée. Elle lui pressa donc une dernière fois l'épaule, puis rejoignit à reculons l'angle de la salle, non sans avoir adressé à la petite blonde un dernier : « Courage, Emma ! Je serai là tout le temps. » La jeune femme tourna la tête vers elle. Les larmes dégoulinaient à nouveau sur ses joues pâles. Des tics nerveux traversaient son joli visage, de manière désordonnée et imprévisible. Mais lorsque le garde cria : « Tends les mains, petite salope ! », elle tressaillit et obéit aussitôt.
La pénaliste se mordit les lèvres. Il n'y avait rien à faire. Les plaintes pour insultes adressées aux détenus par les gardiens étaient automatiquement classées sans suite. Encore une délicatesse, issue du siècle dernier, qui semblait avoir irrémédiablement péri.
Booth attacha ensemble les poignets trop maigres à l'aide d'une sangle de cuir. Il donna un à-coup violent, ce qui fit gémir la prisonnière. Regina se rendait compte qu'il était fou de rage, d'avoir été pris en défaut, et que, ne pouvant s'attaquer directement à elle, il allait déverser sa colère sur Emma.
Tandis que le plus expérimenté des gardiens procédait aux préliminaires qui préludaient à l'application de la sentence, Davis se dirigea vers un petit bureau, situé dans le coin opposé à celui où se tenait l'avocate, et sur lequel avaient été placées à l'avance quelques pages agrafées, ainsi qu'un stylo. Au-dessus de lui, au plafond, était fixée une caméra dont la lumière rouge indiquait qu'elle fonctionnait. D'un coup d'œil, la pénaliste avait vérifié, dès leur entrée dans la pièce, le bon état de marche de l'appareil. C'était un garde-fou d'une importance primordiale, qui empêchait les bourreaux de dépasser certaines limites.
En plein milieu, fixé au sol, trônait le banc d'exécution. Regina évitait, tant que faire se pouvait, de le regarder. C'était une vision effroyable, qui cristallisait tout ce qui, selon elle, depuis si longtemps, avait mal tourné au sein de cette misérable humanité, qu'elle s'acharnait pourtant à défendre. Il s'agissait d'une sorte de banquette, placée essentiellement à la verticale. Quatre barres de fer sortaient du plancher, soutenant un support rectangulaire, recouvert de faux cuir. De là partaient deux montants, de fer également, légèrement en oblique, sur lesquels étaient solidement rivées quatre sangles pourvues de solides boucles, deux de chaque côté. Une planchette, placée en pente, également enveloppée d'un revêtement et équipée d'un ceinture plus large, marquait l'endroit où l'installation se courbait complètement, où deux barreaux métalliques, soutenus par des supports inamovibles, eux aussi pourvus de courroies, partaient à l'horizontale, puis se rejoignaient, vers le mur du fond, en direction de la juriste.
Au moment où Booth poussa la jeune fille entravée vers ce gibet des temps modernes, la magistrate la vit encore enfoncer ses talons dans le sol, se préparant à freiner des quatre fers. Elle réagit aussitôt. Il ne fallait surtout pas que sa cliente résiste, surtout pas donner au bourreau l'occasion d'infliger des pénalités. « Ne luttez pas, Emma. Je vous en prie. Avancez. » dit-elle d'une voix claire. Le gardien lui jeta un regard excédé. Il aurait voulu, lui, avoir à astreindre la condamnée, et il connaissait l'ascendant qu'exerçait sur ses clients la ténor du barreau. Comme par miracle, la malheureuse cessa instantanément de faire front, et se dirigea en boitant pitoyablement vers l'instrument de torture. Quand elle fut arrivée au milieu de la pièce, Booth aboya, s'adressant à son collègue : « Davis, baisse la planche du dessous. Cette mioche a les jambes qui n'en finissent pas. » Sans hésitation comme sans enthousiasme, le soldat obéit, et fit descendre le support inférieur de dix bons centimètres, l'arrimant avec un bruit sec, qui fit sursauter la détenue. Après quoi, le subalterne retourna à son poste, sous la caméra.
Le bourreau saisit Emma par les épaules, lui fit faire brutalement demi-tour, si bien qu'elle chancela et faillit tomber. Elle fit soudain face à son avocate, et ancra ses yeux de jade, étincelants de détresse, dans les prunelles noires. Pour lui signifier qu'il fallait prendre place, Booth lui asséna une formidable claque sur l'arrière-train, lui arrachant un hurlement de douleur. Comme un robot, elle s'agenouilla sur la planche de faux cuir.
Le garde l'installa, avec des gestes brutaux. Il s'assura que ses genoux reposaient bien fermement sur l'appui inférieur, poussa encore une fois sur ses fesses, la faisant crier à nouveau, pour lui presser le ventre sur le support du milieu, de sorte qu'elle se retrouva penchée en avant. Ses sabots trop grands lui pendaient toujours imparfaitement aux pieds.
Elle se mit à sangloter bruyamment lorsque Booth commença à l'attacher. Il la garrota tout d'abord au niveau de la taille, à l'aide de la grosse ceinture prévue à cet effet. Regina poussa un soupir de soulagement quand ce fut fait. Emma ne pouvait plus se débattre. Plus aucune pénalité n'était à craindre, à moins qu'elle ne se mette à insulter ses bourreaux. Mais la juriste connaissait suffisamment sa protégée, à présent, pour savoir qu'elle n'en ferait rien. En revanche, les promesses et les supplications vaines allaient bientôt débuter.
Ce fut quand le cerbère se mit à lui attacher les genoux et les chevilles aux barres qui couraient le long de ses jambes qu'elle commença. « S'il vous plaît… » dit-t-elle. Le garde ricana. La prisonnière chercha maladroitement à se retourner, ce qui était rendu totalement impossible par ses liens. En la voyant se tordre pour porter ses mains entravées à sa taille et tirer gauchement sur l'épaisse sangle, Davis quitta à nouveau son poste. Se dirigeant vers elle, il lui saisit doucement les bras, sans rien dire, et les lui attacha au barreau supérieur transversal, au niveau des poignets, puis il lui assujettit également les coudes.
Pour des raisons évidentes, la jeune fille prit le parti de s'adresser plutôt à Davis. « S'il vous plaît… » répéta-t-elle. « Je suis désolée. Je regrette. » Le militaire se retourna sans lui adresser un regard, reprenant son poste. « Je…j'avais faim… » continua-t-elle en élevant la voix. Le ricanement sarcastique de Booth lui répondit. Comme si elle pensait ne pas avoir été comprise, elle se mit à parler vite et fort, tournant la tête d'un côté, puis de l'autre, s'adressant tantôt à Booth, tantôt à Davis, tantôt à Regina. « Mais j'aurais quand même pas dû…Je le ferai plus, c'est promis. Si j'ai rien à manger, je mangerai rien… »
Les yeux de Maître Mills s'emplirent de larmes de désespoir, qu'elle ravala avec rage. Comment en était-on arrivé là ? « Emma, c'est inutile ! » tenta-t-elle. Mais il n'y avait rien à faire. « Non… » continua la jeune fille. « Vous pouvez me relâcher, je vous assure. J'ai compris la leçon cette fois… »
Ce fut à ce moment précis que Booth se saisit de son pantalon de toile verte maculé de sang et le baissa d'un geste brusque, aux genoux. La condamnée réagit d'un cri. « Non ! » supplia-t-elle. Regina ouvrit la bouche…mais, pour une fois, ne trouva rien à dire. Sa cliente lui faisait face. Ses jambes étaient visibles et la magistrate pouvait voir ses longues cuisses amaigries, d'une blancheur alarmante. Les pans de l'uniforme trop grand pendaient. L'administration ne fournissait bien sûr pas de sous-vêtements.
Emma avait commencé à se débattre, tirant inutilement sur ses jambes, sur ses bras enchaînés. S'adressant à présent uniquement à son avocate, elle cria : « Nooonnn…Maître Mills…les laissez pas…empêchez-les ! Je peux pas ! Je peux pas plus ! …J'ai compris la leçon…Je le ferai plus, c'est promis ! Juré ! » Les larmes aux yeux, la pénaliste avança d'un pas vers sa protégée, mais fut arrêtée par la voix du garde-chiourme. « Restez où vous êtes, Maître Mills ! Ou sortez ! » Il avait raison. C'était le protocole. L'avocate ne pouvait pas s'approcher à moins de deux mètres de la condamnée, durant l'exécution. Elle reprit aussitôt sa place, debout dans son coin, eut recours aux mots plutôt qu'aux gestes. « Emma ! Ne tirez pas ainsi sur vos liens ! Vous allez vous blesser ! » Puis, en désespoir de cause, elle risqua : « Nous sommes vendredi. Songez donc que vous aurez le week-end, ensuite, pour vous reposer. » Ces mots semblaient lui brûler la gorge. Elle éprouvait de la honte à avoir recours à de tels arguments. Le week-end pour se reposer ? Deux jours à ne pas subir, parmi toutes les atrocités auxquelles elle était quotidiennement soumise, les pires d'entre elles ?
Comprenant que sa défenseuse ne pouvait rien pour elle, la suppliciée cessa de parler et se mit tout simplement à vociférer sans suite, en se tordant autant que le lui permettaient ses entraves. Booth se dirigea vers un meuble roulant métallique, de ceux qu'utilisent les infirmières. Il ouvrit l'un des tiroirs. Celui-ci contenait un assortiment de verges. Il souriait vaguement en les examinant. Il semblait hésiter. Enfin, il en choisit une, longue, épaisse et souple. Dans un autre tiroir, il sélectionna deux pinces à linge. Se dirigeant à nouveau vers la condamnée, il retroussa la basque de son uniforme, lui dévoilant le postérieur, et fixa soigneusement le pan de tissu dans le dos. La jeune fille, dès qu'elle sentit l'air frais sur sa peau écorchée, brailla de plus belle.
« Bon, on va pas y passer la nuit ! » dit Booth à l'adresse de Davis. Sans faire de commentaire, ce dernier saisit le maigre dossier placé sur le bureau et, le levant à hauteur de ses yeux, lut d'un ton formel. « Emma Swan ! Vous avez été jugée par la cour suprême du Massachusetts et reconnue coupable de vol caractérisé, de vagabondage et de défaut de situation administrative. Vous avez été condamnée à la fessée, pour un total de deux mille coups de verge. Vous avez, en ce vendredi 17 octobre 2162, reçu six cent coups, ainsi que deux pénalités de dix coups chacune. Vous allez à présent recevoir les cinquante coups suivants réglementaires. » Durant la totalité de cet exposé, la voix enrouée de la détenue envahit la pièce de ses hurlements de désespoir.
Regina, depuis sa position dans le coin, observait Booth. Celui-ci, toujours placé derrière la jeune fille, avait les yeux rivés sur les petites fesses martyrisées, que l'aînée des sœurs Mills ne pouvait pas encore apercevoir. Mais elle savait à quoi s'en tenir. Par ailleurs, elle constata une fois de plus que le regard torve du gardien, son front suant, ses pupilles dilatées, ne laissaient aucun doute sur son état d'esprit. Davis conclut, après avoir jeté un œil sur l'horloge fixée au mur. « L'exécution commence à 20h27. » Après quoi, il reposa le feuillet sur le bureau et se plaça au garde à vous.
Booth indiqua subtilement que le supplice avait débuté en assénant à la malheureuse deux claques retentissantes, épouvantablement sonores, une sur chaque fesse. Un double cri de douleur s'éleva. Le garde recula de quelques pas, assujettit bien solidement la verge dans sa main droite, visa, leva le bras. Il souriait de toutes ses dents. Emma hurla encore un « Nonnnnnnnnnnnn » assourdissant, qui fit se dresser littéralement les cheveux de Regina. Et la première sanglade tomba. La détenue rejeta la tête en arrière, vociféra : « Aïe ! »
La magistrate était placée de façon à ne pas apercevoir le fessier de sa cliente durant le supplice. Elle ne pouvait voir que son visage torturé. Mais elle savait que le petit derrière vulnérable était courbé vers l'avant, de façon à s'offrir le mieux possible à la raclée, que la position de la condamnée tendait la peau, que le geste du bourreau, au moment du premier coup, indiquait qu'il avait visé bas, pour toucher le pli sensible, qui séparait les fesses des cuisses, que son mouvement ample caractérisait une escourgée assénée horizontalement, de manière à balafrer la totalité du postérieur déjà si affreusement meurtri.
« Un » cria « Davis ». Changeant d'angle, Booth frappa encore. Regina vit que le coup partait du haut, atteignant essentiellement la fesse droite et traversant à coup sûr la première zébrure. « Deux ». Emma se décrocha la tête pour mieux s'égosiller, recommença à supplier : « Non ! Assez ! Maître Mills ! Maître Mills, aidez-moi ! » La juriste se mordit les lèvres, se retenant de sangloter de toutes ses forces. Il valait mieux ne commencer à compter à rebours que vers la fin de l'exécution : « Plus que quinze, Emma… », « Plus que dix… » encouragerait-elle d'ici quelques minutes.
Et la fessée se poursuivit. Booth changeait de méthode pratiquement à chaque coup. Il reculait d'un pas, avançait, se plaçait vers la droite, puis vers la gauche, comme un peintre élaborant une toile. Il y avait de la passion dans la façon dont il s'acquittait de sa tâche. Ses yeux étaient rivés sur ce morceau de corps, auquel il s'efforçait de causer le plus grand mal possible. La voix neutre de Davis comptait. Regina, s'efforçant de couvrir le bruit vibrant des coups de verge et les hurlements de douleur, criait de temps à autre de pauvres encouragements. « Tenez bon, Emma ! » « Je suis là, je suis avec vous ! »
La jeune fille commençait, à force de vociférations, à perdre sa voix. Ses cris se changeaient, par intermittence, en râles d'agonie, qui évoquèrent à la magistrate certains mourants, dans d'antiques tranchées, issues d'antiques guerres, dans d'antiques films qu'elle était à présent la seule à regarder. Par instants, la malheureuse se relâchait complètement, laissant pendre sa pauvre tête, ses longs cheveux d'or noyés de crasse cachant son visage tel un rideau. Alors, elle cessait de crier et se contentait de pleurnicher, de geindre. Elle prononçait, dans ces moments-là, des paroles sans suite. Regina avait cru, lors de la première exécution, à des prières. Mais elle savait à présent que l'enfant perdue invoquait sa mère, cette inconnue qui l'avait abandonnée immédiatement après l'avoir projetée dans ce foutu monde. La pénaliste, entre deux coups de verge, entendit : « Maman…reviens me chercher…aide ta petite voleuse… »
Mais ensuite, la tête blonde se redressa, et Emma se cambra de toutes ses forces. Regina, de là où elle était, vit, tel un éclair ensanglanté, la marbrure rouge laissée par le coup de cravache. Une marque de plus. Garderait-elle une cicatrice ? Il semblait impossible, en tout cas, que les deux mille coups auxquels elle avait été condamnée ne l'impactent pas à vie. L'estocade suivante arracha à la jeune fille un beuglement de bête blessée. Elle adressa son cri au plafond, hurla : « Non ! Pitié ! Arrêtez ! Tuez-moi ! »
Ce ne fut qu'après qu'elle s'abandonna complètement. Son corps, ses bras, se desserrèrent. Sa tête pendit comme celle d'un lapin écorché. Ses muscles semblèrent soudain incapables de la porter. Seul le banc sur lequel elle était attachée la soutenait encore. Elle ne cria pas au coup suivant mais sa respiration s'accompagna d'un borborygme qui évoqua immédiatement à son avocate ce bruit qu'émettent les chevaux, lorsqu'ils ont été poussés à leur extrémité.
Booth marqua une pause au trente-cinquième coup. Il était en sueur tant il avait jusque-là accompli son devoir avec conviction. Se dirigeant vers le meuble roulant, il y déposa la verge, puis revint à pas lents vers sa victime, un sourire rêveur aux lèvres. Regina entendit sa cliente murmurer : « Pardon…le ferai plus… » Comme la brûlée suivante tardait à arriver, la tête dorée se releva, les yeux de jade, injectés de sang, se fixèrent sur la pénaliste, et la jolie voix, toute cassée, demanda : « C'est fini ? » La belle brune avala bruyamment sa salive. « Non, Emma. » répondit-elle. « Je suis navrée. Il reste encore quinze coups. »
Outre la désolation, provenant de sa profonde empathie, qu'elle ressentait pour sa cliente, le spectacle déplorable de ces châtiments la ramenait toujours à sa propre enfance, ponctuée, comme toutes les enfances qui se déroulaient sous le règne de « Bene castigat », de fessées et de coups de trique. Rien de comparable, bien sûr, mais elle se souvint néanmoins de la détresse, du découragement qui accompagnait la fin d'une punition. Lorsque le bourreau, un professeur, une surveillante, sa propre mère, annonçait « plus que dix coups », « plus que six coups », cela signifiait toujours qu'il ou elle se préparait à frapper plus fort.
L'avocate s'était attendue, à ce stade, à un regain de vigueur, à ce que la jeune fille recommence à se débattre, mais au contraire, elle sembla se relâcher plus encore, laissant pendre sa tête, ses bras, ses mains, comme si elle n'avait plus ni muscles ni nerfs. « Pas votre faute. » répondit-elle.
Entretemps, le bourreau s'était arrêté derrière la condamnée et considérait les fesses flagellées avec une expression proche de la satisfaction que procure un travail bien fait. La magistrate prit une profonde inspiration. Elle savait ce qui allait suivre.
Lorsqu'Emma sentit la main du gardien, là où toute la souffrance du monde semblait avoir élu domicile, son corps parut s'électriser. Elle se crispa si soudainement, après le morbide alanguissement causé par son épuisement physique et émotionnel, que cela ressemblait à un tour de magie macabre. Sa tête se redressa une fois de plus, montrant la zébrure qui barrait son visage, ses yeux s'écarquillèrent d'épouvante, et, fixant sa défenseuse, elle l'appela à son secours : « Nooonnnnnn…..Maître Mills ! Le laissez pas me toucher ! » A son grand dam, Regina ne put s'empêcher de verser quelques larmes, mais, s'éclaircissant la voix, elle parvint à répondre : « Je suis désolée, Emma, je ne peux rien faire. Ce sera bientôt fini. Respirez, essayez de ne pas vous affoler. »
De derrière sa victime, Booth adressa un clin d'œil narquois à celle qu'il considérait à la fois comme un caillou dans sa chaussure et l'une de ses meilleures distractions. Il caressa et tapota les fesses de la prisonnière. Celle-ci, loin de se calmer, comme le lui avait conseillé son avocate, se débattit de toutes les forces qui lui restaient, plus encore que lorsqu'elle avait été entravée. Elle hurla, poussant des plaintes lamentables, secouant le siège sur lequel elle était attachée avec tant de force que le métal vibra dangereusement dans le sol. Elle se remit même à supplier, à faire des promesses qu'on ne lui demandait pas. « Pardon ! Pardon ! Pardon ! Me touchez pas, s'il vous plaît ! Battez-moi mais me touchez pas ! Je volerai plus ! Je volerai plus jamais ! » Mais ses liens étaient solides, inébranlables, et son pauvre corps martyre restait bien en place, permettant à son tortionnaire de lui frotter et de lui tripoter longuement le fessier, ce qu'il fit avec un rictus satisfait. Il y avait quelque chose de stupéfiant, dans la réaction de la petite. Orpheline, trouvée au bord de la route, ballotée de foyers en familles d'accueil depuis sa naissance, elle ne pouvait qu'être accoutumée aux coups, aux humiliations, à la nudité forcée et aux contacts mortifiants. C'était le cas de tous les autres clients dont l'avocate s'était occupée, y compris les adultes dont elle avait assuré le suivi au début de sa carrière. Sauf qu'Emma semblait ne pas s'être habituée.
Regina ouvrit la bouche pour prodiguer des paroles apaisantes, réconfortantes, mais ne trouva plus rien à dire. Elle éprouvait un sentiment de déchéance, à entendre sa cliente s'excuser, alors que c'était toute la société, le gouvernement tout entier, avec ses lois et ses préceptes de terreur, qui auraient dû ramper à ses pieds pour lui demander pardon.
Se plaindre du fait que Booth touche ainsi le postérieur d'une condamnée aux châtiments corporels, durant une fessée, équivaudrait presque à protester parce qu'il ne lui disait pas bonjour. C'était admis, et pas seulement pour les criminels. Les professeurs qui avaient puni la juriste, à l'école puis au pensionnat, lui avaient tous, ainsi, infligé des attouchements. Cela accentuait le sentiment de turpitude que toute fessée, en plus de faire mal, et très mal, devait susciter. Le souvenir d'un enseignant proche de la retraite, qui, jusqu'à ses dix-sept ans, soit l'époque où elle était entrée à l'université, n'avait pas perdu la moindre occasion de la trousser sur son bureau, lui revint en mémoire. Il plaçait toujours, dans sa classe, les garçons à l'avant, les filles à l'arrière, de sorte qu'elle sentît sur elle les regards masculins durant la correction, et aussi durant la traditionnelle période d'exhibition qui suivait. Parfois, il chargeait ses élèves mâles de compter les coups.
La voix de Booth la ramena brutalement à la réalité. Mais c'était à Davis, qu'il s'adressait. Se tournant vers son collègue, qui depuis sa place, dans le coin opposé à celui de Regina, voyait le derrière torturé, il dit sur le ton de la plaisanterie : « T'as vu ça, mec ? T'as déjà vu un cul aussi bien rossé, sérieux ? Et pas une seule trace de sang. C'est la marque des professionnels, non ? » Le plus jeune des gardes ne répondit pas. Il leva seulement, brièvement, les yeux. Il y avait dans son regard une sombre morosité, mâtinée d'un léger mépris.
Le bourreau tournait le dos à la magistrate. Pourtant, elle put sentir qu'il était vexé. Vexé de ne pas avoir été admiré pour ses talents de tortionnaire sadique. Aussi, comme par représailles, se retourna-t-il vers Emma, et, levant à nouveau la verge, déclara : « C'est maintenant, qu'elle va saigner. On va finir en beauté. » La menace était si terrifiante que la détenue hurla, de sa voix brisée, avant même que l'instrument ne touche sa peau.
Regina regarda, avec un profond sentiment d'impuissance, la fin de l'exécution. L'enfant martyre ne se débattit plus. Elle paraissait avoir abandonné, et consacrait toute son énergie à pousser des cris étranglés. Sa tête pendait par moment lamentablement, au point que la pénaliste se mit à craindre pour ses cervicales. Mais parfois, elle levait le visage, commençait à hurler un mot, qu'elle ne parvenait pas à finir : « Au… », « Par… », « Arr… », et alors la magistrate apercevait, comme dans un flash, la marque rouge laissée par le coup de cravache. Ensuite, la sacrifiée se relâchait si complètement, que Maître Mills croyait un instant, espérait, qu'elle avait perdu connaissance. L'évanouissement eût été un répit. Mais Emma ne s'évanouissait jamais, durant une raclée. Sa résistance stupéfiait la belle brune. Aucun de ses clients n'avaient subi de telles tortures, aussi intensives, aussi régulières. Pourtant, elle avait déjà assisté à des fessées de cinquante coups de verge. Personne ne supportait cela sans tourner de l'œil, et cela incluait les garçons, endurcis jusqu'aux os, âgés parfois de plus de vingt ans. De toute façon, la syncope était une fausse miséricorde, car la juriste savait pertinemment que, dans un des tiroirs du petit meuble qui contenait les instruments de torture, se trouvait un flacon de carbonate d'ammonium, destiné à ranimer les condamnés. Quel intérêt, en effet, de tourmenter quelqu'un qui ne ressent pas la douleur ?
La jeune femme se souvenait des châtiments corporels dont elle avait elle-même écopé, avant d'atteindre l'âge de la majorité, fixé alors à vingt et un ans. Ayant fréquenté les établissements les plus huppés de Boston, elle avait goûté, à l'école primaire, à la férule, à la canne à partir du collège. Sa mère, elle, possédait un assortiment choisi d'instruments. Mais ses pires corrections n'avaient jamais excédé trente coups, au grand maximum. Et surtout, elles restaient exceptionnelles. Elle se souvenait de la douleur cuisante, de l'impression d'arrachement que produisaient ces fouettées répétées, et avait le plus grand mal à comprendre comment sa frêle cliente supportait de tels tourments sans défaillir.
Le dernier coup tomba, en produisant un bruit de déflagration. Emma poussa un ultime cri, si étouffé qu'il ressemblait presque à un gémissement. Davis annonça : « Cinquante ! La peine est exécutée ! », d'une voix forte. Booth recula, contempla son œuvre d'un œil torve. Il était en sueur. Tournant sans un mot le dos à sa victime, il se dirigea vers le meuble roulant. Un rouleau d'essuie-tout y était posé. Il en arracha un morceau, essuya posément la verge, jeta le papier dans la corbeille. De son coin, Regina vit distinctement les taches écarlates qui maculaient la serviette.
L'absence des éclats sonores provoqués par les flagellations, celle des nombres égrainés par le jeune garde, mettaient en exergue les cris de la condamnée. Celle-ci continuait, tantôt à s'époumoner, autant que sa voix cassée le lui permettait, tantôt à sangloter, tantôt à geindre, comme si la raclée n'avait pas cessé. Davis regarda Regina, lui tendit sans mot dire le document sur lequel il avait lu la condamnation, ainsi que le stylo. Quittant son coin sur des jambes flageolantes, la belle brune traversa la pièce, s'appuya sur le bureau pour signer à la place réservée aux avocats, attestant ainsi que la punition avait été accomplie.
Après avoir soigneusement rangé la verge dans le tiroir, Booth se saisit d'un autre objet, et, se tournant vers la juriste, lui dit d'un air narquois : « J'imagine que vous voulez vous servir de ça, à présent, Maître ? » Elle dut lâcher à la hâte papier et stylo, avancer précipitamment de deux pas, pour attraper à la volée le petit flacon qu'il lui avait lancé. Il s'agissait du produit désinfectant, destiné à assainir les plaies laissées par la verge. En général, les avocats ne profitaient guère du droit qui leur était octroyé, à savoir appliquer eux-mêmes le produit sur les écorchures de leurs clients. Mais Regina avait scrupuleusement signé la clause qui lui accordait l'exclusivité de ce geste, empêchant du même coup Booth et ses acolytes de toucher la petite juste après ses fessées. Bien sûr, elle s'était d'abord assurée que c'était le désir d'Emma elle-même.
La rage étouffait la jeune femme. Si elle n'avait pas rattrapé la bouteille, celle-ci serait tombée, se serait brisée au sol. Ce n'était pas à cette heure qu'elle aurait pu obtenir un autre flacon de la part de l'administration pénitentiaire. Le gardien venait, sans la moindre hésitation, de prendre le risque de priver Emma de soins élémentaires, et de la laisser contracter une infection.
Tout en serrant la petite fiole dans sa main tel un trésor, elle se dirigea à grands pas vers le meuble, qu'elle ouvrit sans mot dire. Elle y trouva, Dieu merci !, un chiffon propre. Au moment où elle sentit Booth s'approcher d'elle, par derrière, elle fit brusquement volte-face.
Elle était nettement plus petite que lui. Mais son regard noir et brillant figea le gardien. « Officier, je me permets de vous conseiller de ne pas tenter de me toucher…pas plus que de toucher ma cliente, maintenant que l'exécution est terminée. » Le garde-chiourme devint rouge comme une betterave. Il la toisa quelques instants. Elle ne perdait aucunement contenance, le front bas, les lèvres serrées. Une veine battait au niveau de son long cou de statue antique. Finalement, il recula, lui tourna le dos avec un haussement d'épaules.
En s'approchant d'Emma, qui poussait toujours, de temps à autre, de faibles cris, Regina l'entendit dire, à l'adresse de Davis : « Ah ! Les bonnes femmes ! T'as vu comme elle se croit égale à nous ? » Le silence lui répondit.
Regina s'immobilisa. Elle avait traversé la petite pièce pour aller chercher le chiffon, et voyait à présent le fessier martyrisé de sa cliente. Elle avala durement sa salive.
Elle avait assisté à deux mises à mort par le fouet. C'était un châtiment rare, fort heureusement, réservé aux meurtriers pervers et aux violeurs d'enfants. Le cursus universitaire qui menait aux fonctions qu'elle occupait impliquait une confrontation directe, avec tous les aspects de la justice. Le deuxième homicide légal, comme elle préférait les nommer, dont elle avait été témoin, avait été appliqué sur un client du cabinet King & Mills. Elle avait suivi toute la séance, avec ses collègues. Tous estimaient qu'il était de leur devoir d'être présents. Le condamné, un infâme salopard, de l'avis de Regina, avait mis plus de trois heures à mourir. Elle rêvait parfois encore de ses hurlements, de la vision de son corps nu, déchiqueté comme s'il avait été la proie de chiens enragés.
Sans qu'elle puisse se l'expliquer, le spectacle de la chair de sa cliente, de plus en plus ravagée à mesure que s'écoulaient les semaines, lui faisait presque le même effet. Les coups de verge tout neufs formaient une sorte de quadrillage bordeaux, sur un fond cramoisi. Mais il ne s'agissait là que de la dernière couche. D'anciennes marques étaient également visibles, à divers degrés de cicatrisation. Cela ressemblait à des strates, aux cercles de l'enfer, au détail près que, plus on s'approchait de la surface, plus terribles étaient les dégâts. Emma saignait, bien sûr. L'hémoglobine dégouttait paresseusement le long de ses cuisses, et avait commencé à imprégné le tissu de son pantalon vert sombre.
Lorsque la magistrate s'approcha d'elle, la jeune fille émit un feulement rauque, empreint de toute l'épouvante du monde, et articula presque distinctement : « Noooooooon ! Pas encore ! Le…ferai…plus… » Elle devait reprendre son souffle entre chaque mot. Sa respiration semblait tellement poussive que Regina s'inquiéta de l'état de ses poumons.
La belle brune s'immobilisa immédiatement : « Emma, c'est moi ! » dit-elle distinctement. Sa propre voix lui parut étrangère. Comment pouvait-elle parler avec tant de flegme ? Ce n'était plus de la déformation professionnelle, mais une seconde nature. « C'est Maître Mills, Emma. C'est fini. Je voudrais pouvoir m'approcher de vous. » Les plaintes s'arrêtèrent net. La tête blonde tâcha de se tourner vers l'arrière, afin d'apercevoir sa défenseuse. « Maître Mills ? » prononça la voix rauque, toute éraillée.
La juriste sentait, derrière elle, la présence des deux gardes. Elle entendait les soupirs agacés de Booth, qui trouvait certainement que tout cela durait bien trop longtemps. Il serait pourtant grassement payé pour ses heures supplémentaires. Il devait avoir hâte de rentrer chez lui, pour se consacrer à son rôle de tyran domestique. Regina savait qu'il avait une femme et deux enfants, un garçon et une fille. Mais, outre le fait qu'elle avait bien l'intention d'accorder à sa malheureuse cliente tout le temps dont elle avait besoin pour adoucir, ne serait-ce qu'à peine, ses souffrances, elle se faisait secrètement une joie de contrarier cette brute épaisse.
« Oui, c'est Maître Mills, Emma. Puis-je m'approcher de vous ? » La condamnée continuait à se tordre lamentablement le cou. La pénaliste fit hâtivement le tour du sinistre banc, déposant au passage le flacon de désinfectant et le chiffon sur une petite tablette, qui y était fixée. Elle se plaça devant la pauvre créature, afin qu'elle puisse la voir sans se faire, en prime, un torticolis.
Dès qu'elle le put, Emma la regarda comme un ange tombé du ciel. L'avocate se mordit les lèvres. Elle avait du mal à comprendre comment la petite lui conservait sa confiance, alors qu'elle venait d'assister à l'abominable séance de torture à laquelle on l'avait soumise sans lever le petit doigt. La lumière artificielle des néons illuminait crûment la face blême, barrée de cette blessure rouge. Le joli visage lui parut encore un peu plus dévasté, encore plus proche de la mort, qu'une demi-heure auparavant.
Regina aurait voulu lui passer la main dans les cheveux. Mais elle n'osait pas la toucher plus qu'il n'était strictement nécessaire. « C'est fini ? » demanda la détenue. La juriste ne put que hocher la tête. « Y en a eu cinquante ? » s'enquit-elle. Là encore, la belle brune acquiesça. « On aurait dit plus… » fit remarquer la malheureuse en laissant tomber sa pauvre tête. Mais tout de suite après, elle la redressa, regarda sa défenseuse, sa seule alliée. « Vous allez me détacher ? » fit-elle, pleine d'espoir. Mais la magistrate, pour toute réponse, extirpa de la poche de sa veste de tailleur son téléphone portable, le montrant à sa cliente, qui réagit immédiatement en secouant la tête. « Nooon… » supplia-t-elle. « Me photographiez pas comme ça, s'il vous plaît…Détachez-moi. » Aussitôt après avoir prononcé cette requête suppliante, elle poussa un gémissement atroce, recommença à se débattre dans ses liens.
Tout en se faisant la réflexion que l'énergie, la force vitale d'Emma Swan, étaient ahurissantes, la pénaliste fit immédiatement appel à ses talents d'argumentatrice. C'était son métier, sa fonction sacrée. « Emma, je vous assure que je comprends. Je ne SAIS pas… » articula-t-elle encore une fois, soigneusement, afin d'être parfaitement comprise, « …mais je COMPRENDS. » La prisonnière cessa de lutter. Elle avait recommencé à sangloter, à se lamenter d'une façon déchirante. De temps à autre, de petits cris de douleur lui échappaient. « Ces clichés sont indispensables, je vous assure. Je n'agis que dans votre intérêt. Il faut me faire confiance. » Entre deux plaintes, la malheureuse releva la tête, la regarda avec un étrange regard, que Regina ne put définir. « Je vous fais confiance. » murmura-t-elle. Puis, laissant pendre son chef, comme si son crâne était trop lourd pour elle, elle dit : « D'accord. »
Sans lui demander de se répéter, la magistrate brandit son appareil. Alors qu'elle se préparait à immortaliser le pauvre visage de chérubin écorché vif, la voix odieuse de Booth se rappela à son bon souvenir. « Son mignon derrière justement puni, tant que vous voulez, Maître ! Mais si vous prenez une seule photo de sa jolie petite gueule, je vous promets de rajouter une bonne dose de coups de verge la prochaine fois. Un prétexte pour une pénalité, ça se trouve toujours. » La belle brune ne répondit pas, ne tourna pas la tête. Elle avait failli oublier la marque au visage, ainsi que le pacte qu'elle avait conclu avec le diable. Emma, elle, ne réagit aucunement. Elle semblait se concentrer sur sa respiration, qui faisait penser à celle d'une asthmatique en pleine crise, entrecoupée qu'elle était de piaillements de douleur.
Regina fit à la hâte le tour de sa cliente, prit deux clichés de son postérieur dévasté, s'assurant de saisir les rigoles de sang qui dégoulinaient le long des cuisses blafardes. Ensuite, elle replaça son téléphone dans sa poche. « Emma, » commença-t-elle. Elle avait appris à employer le plus souvent possible le prénom de ses clients. C'était une façon de leur rendre une identité. De les humaniser envers et contre tout. « Emma, j'ai besoin de vous soigner. Vous savez qu'il faut que vos plaies soient désinfectées, pour éviter l'infection. Pour ça, il va falloir que je vous touche. Et…je vais vous faire mal, je suis désolée. » Contrairement à ses attentes, la jeune fille répondit immédiatement. Elle n'avait toujours pas perdu connaissance, semblait même ne s'être dissociée à aucun moment. « Allez-y. » murmura-t-elle. Là encore, ne pas l'obliger à se répéter. Une seule déclaration de consentement suffisait.
L'avocate s'approcha doucement mais résolument, humecta généreusement le chiffon d'alcool. Elle prit une profonde inspiration avant d'appuyer le linge humide sur la fesse droite. Elle savait ce qui allait se passer. Emma hurla avec ce qui lui restait de voix. Durant toute la durée de l'opération, Regina prodigua ce qu'elle pouvait, de consolation, d'encouragement. « C'est bientôt fini. Vous êtes fantastique, Emma. Admirable. Extraordinairement forte. »
La cadette des sœurs Mills éprouvait rien moins que de la honte, à oindre ainsi d'alcool les fesses torturées, à causer à sa pauvre cliente des souffrances supplémentaires, à outrager encore un peu plus sa dignité. Néanmoins, elle acheva sa besogne avec précision, n'oubliant aucune lésion. Lorsqu'elle eut fini, la jeune fille ahanait de manière alarmante. On aurait pu croire à un incident grave, imminent, comme un infarctus ou un angor. Faisant le tour du pauvre corps entravé, la pénaliste désinfecta également avec soin, en prenant bien garde à utiliser un coin de chiffon propre, la blessure au visage. La détenue releva docilement la tête, lui facilitant le travail.
Regina reboucha ensuite à la hâte le flacon, le déposa sur la tablette, avec le linge imbibé de taches rouges, et demanda, en s'adressant à la jeune fille : « Puis-je vous rhabiller, Emma ? » « Oui, s'il vous plaît ! » répondit-elle aussitôt.
La juriste détacha les deux pinces à linge, les déposa sur la tablette. Le pan du vêtement retomba à mi-cuisse. Ensuite, elle remonta avec mille précautions le pantalon. La prisonnière cria lorsque le tissu, raide à force d'être imprégné de son sang, qui commençait à sécher, effleura sa peau. C'était malheureusement aux gardiens de la détacher. Booth s'approcha, bousculant l'avocate sans ménagement. Se saisissant du flacon de désinfectant, il le porta à hauteur de ses yeux, scruta, puis déclara : « Vous avez encore presque vidé la bouteille ! Cette gamine coûte une fortune à la société, rien qu'en antiseptique ! » Regina ne se donna même pas la peine de répondre, se contentant de lui lancer un regard dégoûté. Il était du devoir de l'administration de pourvoir la quantité nécessaire de produit, avant toute exécution.
Alors que le garde-chiourme se dirigeait vers la détenue, son collègue le prit de vitesse, au grand soulagement de la pénaliste. « Je vais le faire ! » déclara Davis, et avant que son aîné ait pu s'interposer, il défit d'abord les liens qui entravaient les jambes d'Emma, puis sa taille, et enfin ses bras et ses mains. Il dénoua également la courroie qui maintenaient ses poignets attachés.
Regina se précipita. Elle savait qu'une fois libre (c'était bien sûr une façon de parler), la jeune fille ne pourrait en aucun cas tenir seule sur ses jambes. Et il était dans ses droits de revendiquer l'exclusivité à pouvoir l'assister, durant le périple qui la ramènerait en cellule. Elle était prête à se faire un tour de rein, si cela pouvait épargner à sa cliente un contact avec ses bourreaux.
Elle la rattrapa au moment où l'enfant martyre glissait le long du sinistre banc. Elle réussit à la saisir par le milieu du corps, à l'encourager à se retourner et à s'appuyer sur elle. Emma s'arc-bouta péniblement, en geignant de souffrance. Malgré son amaigrissement, elle était nettement plus grande que son avocate, et elle pesait un certain poids. Mais la belle brune était rompue à ce type d'exercice. Elle savait comment soutenir les jeunes gens fraîchement fessés. Elle enroula un long bras autour de ses épaules, affermit bien solidement le sien autour de la taille étroite, sans approcher du séant. « Appuyez-vous sur moi, Emma. N'ayez pas peur ! » dit-elle de sa voix la plus rassurante.
Elle accorda quelques secondes à la malheureuse, afin qu'elle reprenne son souffle et se prépare à marcher jusqu'à sa cellule. La tête blonde pendait pitoyablement. La respiration de l'enfant martyre était sifflante, poussive, entrecoupée de gémissements qui s'achevaient presque en cris, et elle semblait vouloir, sans l'oser tout à fait, enfouir son visage dans le cou cuivré de sa défenseuse.
Booth regarda ostensiblement sa montre : « Bon ! J'ai fini ma prestation, moi. Dépêche-toi, Swan ! » Encore une fois, Regina le foudroya du regard, mais ravala sa colère. S'adressant à Davis, elle demanda poliment : « Officier, auriez-vous l'amabilité de prendre mon cartable pendant que je raccompagne ma cliente ? » Le jeune garde répondit d'un signe de tête et récupéra l'attaché-case, dans le coin de la pièce.
Tout le monde se mit en marche. Les deux gardiens suivaient la juriste et la détenue. C'était un véritable chemin de croix. Emma mit près de dix minutes à parcourir les quelques dizaines de mètres qui les séparaient de sa geôle. Elle claudiquait lamentablement, manquant sans cesse de perdre ses sabots, trébuchant et vacillant de souffrance. Lorsque Booth ouvrit la porte du couloir, et que les deux femmes commencèrent leur laborieux cheminement, devant les cellules des prisonniers, ce fut, en pire, le même concert tonitruant de hurlements de loups, d'aboiements, d'applaudissements et d'invectives.
« Alors, blondinette, tu t'en es pris plein le derche ? » « C'est quand, ton anniversaire, déjà ? Tu vas nous manquer ! Comme cadeau, t'aura droit à l'échafaud ! » « J'ai hâte de voir l'étendue des dégâts, dimanche, pendant la douche ! Tu vas te faire tripoter, Blondie! » « En tout cas, t'as de la chance d'avoir une avocate aussi sexy, ma salope ! Elle me fait triquer presque autant que toi ! »
Regina ne réagit en rien, se contenta de murmurer à l'oreille de sa protégée : « Ne les écoutez pas. » Mais elle se fit en même temps la réflexion que c'était inutile. La souffrance était très certainement la seule préoccupation de l'infortunée.
Une fois dans sa cellule, Emma, chose incroyable compte tenu de son état, accéléra le mouvement tant qu'elle put, en direction de sa paillasse. La juriste l'aida de son mieux à s'étendre, ce qui n'alla pas sans quelques cris. Mais finalement, la reprise de justice put s'affaler sur le côté, face au mur. Une fois couchée, elle dissimula son visage dans ses mains et recommença à pleurer. La magistrate était à bout de souffle. Elle avait mal au dos, aux reins. Elle se redressa un instant, au moment-même où la porte grillagée se refermait derrière elle. Se tournant vers le couloir, elle constata que Booth et Davis se tenaient tous deux derrière la porte. L'aîné des garde-chiourmes consulta encore une fois sa montre : « Il ne vous reste plus que cinq minutes, Maître Mills. » dit-il d'une voix forte. « Vous avez perdu tellement de temps à lui photographier et à lui peloter le cul qu'il faut conclure, maintenant ! » La répartie fit rire plusieurs détenus des cellules avoisinantes. Davis, lui, le visage toujours impassible, tendit à l'avocate son attaché-case à travers les barreaux. Elle s'en saisit, puis se tourna vers Emma.
Cette dernière tremblait de tout son corps et sanglotait pitoyablement. Son pantalon était encore plus maculé de taches vermeilles qu'avant l'exécution. Le cœur au bord des lèvres, Regina s'approcha d'elle, lui dit avec douceur : « Je vais vous donner un peu d'eau. » Elle ouvrit son cartable, en extirpa un gobelet en plastique. En effet, les prisonniers buvaient d'ordinaire directement au robinet placé dans leurs geôles. La belle brune estimait qu'il était de son devoir d'épargner à ses clients torturés de devoir se déplacer après une exécution. Aussi avait-elle pris l'habitude de toujours transporter un verre incassable.
Elle alla remplir le récipient à l'évier. L'eau était grise. S'agenouillant au bord de la paillasse, elle encouragea la jeune fille à relever la tête, ce qu'elle fit, non sans émettre plusieurs geignements de souffrance. Dès qu'elle sentit contre ses lèvres les rebords du gobelet, Emma but avec avidité. Elle vida le récipient, murmura un pauvre « merci », reposa sa tête sur le matelas de plastique.
L'avocate avait l'impression physique que son cœur était brisé dans sa poitrine. Elle caressa doucement les mèches blondes, demanda : « Vous en voulez encore ? » « Non merci, Maître Mills. » répondit l'enfant martyre. « Je voudrais dormir. Mais je crois pas que je vais y arriver. Quand il fait noir, après, on dirait que je ne peux plus penser qu'à la douleur. Je pleure. Je peux pas m'empêcher de crier, de temps en temps. Et les autres détenus m'engueulent. »
« Deux minutes ! » aboya Booth. Regina avait bien l'intention d'employer jusqu'à la moindre seconde. Elle continua à caresser doucement la tête de sa cliente. Machinalement, parce que cela faisait partie, selon elle, de ses fonctions, elle écarta les mèches sales et dorées, cherchant à voir le cuir chevelu. Son geste s'interrompit, à peine une fraction de seconde. Elle avait aperçu un point noir, qui sautait entre les fils d'or. Histoire d'en avoir le cœur net, elle fouilla en d'autres endroits la chevelure crasseuse. Cette fois, elle en était sûre. Emma avait fini par attraper des poux. Ou des puces. Ou les deux. Elle savait que cette affection ne pouvait provenir que du contact humain.
Les douches, donc. Chaque dimanche, sa cliente était mêlée à d'autres prisonniers, garçons et filles, ces dernières en bien moins grand nombre. Nus et grelottants, ils faisaient la file, jusqu'à être poussés sans ménagement dans la salle d'eau, où deux gardiens les bombardaient d'eau froide, à l'aide d'un tuyau d'arrosage.
Elle avait assisté à deux douches carcérales, l'une chez les adultes, l'autre chez les enfants, durant ses études. Cela faisait partie intégrante du cursus. Elle n'avait aucun mal à imaginer sa pauvre cliente, avec les avanies que lui faisaient sûrement subir, en ces occasions, ses codétenus. Comme elle n'entrait en contact avec ses pairs que le dimanche, la contamination avait dû avoir lieu à ce moment.
Regina se garda bien d'avertir Booth et Davis de la condition capillaire de sa protégée. Le seul remède qui lui serait proposé consisterait en une tonte complète, assortie d'un rasage des parties génitales. Emma avait besoin de tout sauf de cela. L'élégante dame, dans son tailleur chic, ne laissa rien paraître, et continua à caresser la chevelure malpropre, de sa main manucurée. Elle avait souvent été confrontée, dans son métier, à la présence de parasites, et conservait en permanence, chez elle, les produits qui permettaient de s'en débarrasser. Elle se ferait un traitement, le soir-même, avant de dormir.
« Vous avez le week-end pour vous reposer, maintenant, Emma. » offrit-elle en guise de consolation. L'infortunée, sans cesser de sangloter, hocha la tête pour montrer qu'elle avait entendu.
Le bruit de ferraille de la porte se fit entendre, et la pénaliste poussa un profond soupir. « Il est l'heure d'y aller, Maître. » dit Davis de son ton neutre. S'attarder pouvait signifier un rapport défavorable, ce qui revenait à prendre le risque qu'on lui retire le dossier Swan. Aussi la belle brune se leva-t-elle à regret.
Après avoir récupéré son attaché-case, elle vérifia soigneusement que son téléphone était dans sa poche, puis dit d'un ton désolé : « Au revoir, Emma. » À travers ses pleurs, la prisonnière répondit sans se retourner : « Vous reviendrez ? » « Bien sûr ! » se hâta de répondre la juriste. « Je suis votre avocate. Rien ne me dissuadera de défendre vos intérêts et de vous assister. » « Merci. Au revoir, Maître. » balbutia la détenue.
La mort dans l'âme, Regina fit volte-face, se dirigea vers la porte, que Davis tenait ouverte. Au moment où elle franchissait le seuil pour pénétrer dans le couloir, Booth lui tapota la croupe en disant d'un ton sarcastique : « Allons, allons ! » Elle serra les dents, se fit la réflexion que Davis ne se permettait jamais pareille privauté, gratifia par conséquent ce dernier d'un léger signe de tête. Certainement pas un remerciement pour ses bons offices. Mais il valait mieux le garder, plus ou moins, de son côté.
Elle se retourna une dernière fois avant de se diriger vers la sortie, regarda Emma. Elle ne voyait à nouveau que son dos gracile, qui semblait englouti dans l'uniforme vert. Sa cliente tremblait irrépressiblement, semblait parcourue de spasmes irréguliers, laissait entendre des gémissements, des pleurs, de petits jappements de chiot rudoyé. Elle avait l'air si anéantie. Ce ne fut qu'à cet instant que Regina réalisa que, malgré le caractère extrême de l'épreuve qu'elle venait de traverser, la malheureuse n'avait pas vomi son sandwich. C'était une infime victoire. Le genre de succès qui lui permettait d'avancer.
Enfin, elle se dirigea vers la sortie. Elle eut l'impression soudaine de manquer d'air. Les odeurs fétides qui s'échappaient des cachots, l'horrible lumière factice, qui illuminait cet océan de misère humaine, devinrent tout à coup insupportables, et elle hâta le pas. Ce fut Booth qui la raccompagna, sans qu'elle lui accorde un regard. Alors qu'ils approchaient de la porte, il se pencha, si près qu'elle sentit son souffle alcoolisé dans son cou. « Justice a été rendue, et bien rendue, Maître ! Au plaisir de vous revoir lundi. » Elle ne répondit pas. Elle se sentait si épuisée que cela ne lui demanda même pas d'effort.
Au moment où le cerbère ouvrait la porte de l'aile N, elle entendit la voix de Davis, qui proclamait : « Extinction des feux ! » Subitement, toutes les lumières s'éteignirent. Derrière elle, c'était les ténèbres. Le couloir qui menait au grand hall était encore éclairé. Juste avant que le portail ne se referme, un long gémissement s'éleva. Cela provenait du fond du couloir. Elle reconnut immédiatement le timbre rauque de sa cliente. Le râle s'acheva en un hurlement désespéré. Regina perçut encore les voix multiples des détenus, qui s'élevaient pour protester contre les manifestations de douleur de cette pauvre créature, qui troublaient leur inconfortable sommeil.
La porte se referma dans un grincement sinistre, juste après qu'eut fusé la première insulte.
