Regina se réveilla graduellement, baignant dans une impression de félicité telle qu'elle n'en avait jamais connue. Emma n'avait plus eu de terreur nocturne. Cependant, elle s'était un peu agitée vers trois heures du matin, gémissant et pleurant, son doudou serré contre elle, un poing crispé contre sa propre poitrine, l'autre agrippant la bretelle du déshabillé de sa bienfaitrice.

N'ayant pas la moindre expérience de ce genre de situation mais mue par un instinct venu on ne sait d'où, l'avocate avait prestement rallumé la lampe de chevet, ce qui lui avait permis de voir l'expression désespérée du joli visage endormi, les larmes brillantes qui mouillaient les joues pâles. Elle avait simplement posé une main douce sur l'épaule de l'orpheline, avait pressé affectueusement et avait prodigué, en guise de soin, des paroles. « Tout va bien, ma petite Emma. Tu es avec moi. Dans ton lit. Et nous dormons ensemble. » Les sourcils beiges s'étaient froncés et, dans un mélange d'émerveillement et de surprise, Regina avait vu la face d'ange se relever vers elle, les narines palpiter. Telle un chiot, Emma recherchait son odeur. Elle avait souri dans son sommeil, retrouvé sa sérénité, s'était paisiblement rendormie.

Éveillée par les rayons d'un pâle soleil d'hiver, qui filtraient à travers les rideaux, la belle brune sentit sur sa cage thoracique un poids délicieux. En prenant garde de ne pas troubler l'enfant trouvée, elle baissa la tête. La jeune fille dormait profondément, le torse de Vénus de son hôtesse en guise d'oreiller, un bras passé autour de sa taille. Elle ne suçait plus son pouce et respirait lentement, profondément. Ses cheveux d'or étaient répandus sur la poitrine de la magistrate, lui chatouillant le visage. L'attendrissement fut la première émotion. Regina déposa prudemment une main sur la tête blonde, caressa, tout en musant une berceuse espagnole, que son père, mi-italien mi-hispanique, lui avait apprise.

Emma murmura dans son sommeil, pressa son visage contre la poitrine fastueuse, et sa main droite vint se poser sur un sein opulent. L'avocate sursauta légèrement, étouffa un gémissement. La dentelle fine de son déshabillé ne la protégeait guère. Elle sentit les longs doigts calleux presser son sein droit. Sans le vouloir, peut-être, le pouce raboteux effleura son téton, qui réagit instantanément, devint dur comme une pierre vive, au point d'en être douloureux. Le désir renaissait, en un éclair.

La situation était complexe. D'un côté, elle aurait voulu demeurer ainsi, l'être nouvellement aimé endormi contre elle, très longtemps. De l'autre, son besoin était inassouvi depuis des heures. Et la tension familière, ce raidissement qui prenait sa source en haut de sa vulve, faisant palpiter et pulser sa chair, était revenue en force. Elle avait l'impression insupportable d'abuser d'un ange endormi.

Très, très lentement, elle déplaça la main aventureuse, tout en la pressant amoureusement. Lorsque l'orpheline émit un geignement de protestation, elle dirigea, avec une douce autorité, le poing fermé de frustration vers les lèvres gercées. La tactique réussit à merveille puisqu'Emma, troquant un réconfort contre un autre, enfourna fougueusement son pouce et se mit à le sucer avec application.

Manoeuvrant comme s'il s'était agi de désamorcer une bombe, Regina parvint à s'extirper de la douce étreinte. Sur la pointe des pieds, elle sortit dans le couloir. Il était huit heures. Elle ne se souvenait pas s'être réveillée aussi tard, de toute sa vie. Elle commença par se rendre dans sa propre chambre, afin de récupérer le babyphone, puis se dirigea vers la salle de bain. Une bonne et longue douche assortie d'une séance de masturbation…c'est ce qu'il lui fallait.

Au bout d'une demi-heure, elle fut prête, vêtue avec décontraction. Elle avait bien entendu décommandé sa femme de ménage jusqu'à nouvel ordre et rangea son appartement. Les rares sons émanant du babyphone semblaient indiquer qu'Emma dormait toujours. Après avoir hésité, elle appela Catherine, qui répondit au bout de deux sonneries seulement.

- Salut ! Alors, comment s'est passée la nuit ?

L'avocate ne put répondre immédiatement. Elle avait eu l'intention de tout dire à son amie. Elle se sentait perdue et la conscience aigüe qu'elle avait besoin d'aide la taraudait. Mais cela ne rendait pas les choses plus faciles.

- Euh…il…il s'est passé beaucoup de choses. Je…tu as un peu de temps ?

Le ton du médecin changea immédiatement.

- Mon premier patient arrive dans une demi-heure.

La femme de loi avala sa salive. Elle ne savait par où commencer, était tentée de ne pas tout révéler. Un sentiment de honte, une certitude de faire fausse route, l'assaillaient. Comment allait réagir son amie ? Au bout de quelques secondes de silence, la voix de Catherine se fit entendre, inquiète.

- Regina ?

Et la belle brune se mit à pleurer doucement dans le combiné. Qu'exprimaient exactement ces larmes ? De la confusion avant toute chose.

- Regina ? Mon Dieu ! Mais qu'est-ce qui se passe ? Elle est toujours chez toi, dis ?

La belle brune retrouva la parole, avec difficulté.

- Ou…oui…oui. Elle dort. Elle est encore très fatiguée, je pense.

- Elle a de la fièvre ? Son état s'est aggravé ?

- Non. En fait je crois qu'elle va beaucoup mieux, déjà.

Une pause, au bout du fil, indiqua que le docteur en médecine réfléchissait.

- Alors il s'est passé quelques chose cette nuit…

Encore une interruption silencieuse, peuplée des reniflements de l'avocate.

- Elle s'est montrée agressive, c'est ça ? Tu es blessée ?

- Non ! Rien de tout ça !

Catherine perdit patience.

- Bon, tu craches le morceau, s'il te plaît ! J'ai pas toute la journée !

Regina prit une grande inspiration.

- Elle…elle a voulu coucher avec moi…

Le silence, cette fois, se prolongea, et la magistrate eut le besoin de le meubler à tout prix.

- Elle a fait un cauchemar. Je me suis précipitée dans sa chambre. Je l'ai prise dans mes bras pour la consoler. Et elle s'est mise à m'embrasser et à me faire des propositions.

Elle dut s'interrompre pour sangloter un peu, le plus discrètement possible. Il ne fallait à aucun prix réveiller Emma. La voix inquiète de son amie, à la fois sécurisante et culpabilisante, se refit entendre.

- Dis-moi que tu n'as pas cédé…

Elle dut prendre sur elle pour ne pas donner à son inflexion un timbre outré. Il n'était plus temps de jouer la vertu.

- Non ! Non, je te le jure ! Je t'en fais le serment sur la mémoire de mon père. Mais j'ai failli…j'ai vraiment failli…Je lui ai expliqué pourquoi il ne fallait pas.

- Ça a dû être un fameux morceau de littérature !

Regina eut, à travers ses larmes, un petit rire nerveux. Comme l'humour caustique de sa complice de toujours lui faisait du bien ! Après quoi, elle poursuivit, les mots s'entrechoquant.

- Elle…elle m'a raconté des choses. Elle a vécu des horreurs, Catherine. Pire que je ne le pensais. Et encore, je ne sais rien, sans doute. Il va falloir dénoncer tout ça…Mais je ne sais pas, je ne sais plus. Peut-être que je ne suis pas la bonne personne pour m'occuper d'elle.

- Regina, je te préviens ! Si ton coup de fil est une tentative de me la refiler comme un paquet, ne te fatigue pas. Je ne vais pas imposer ça à Jim ! Je ne me suis jamais engagée à un truc pareil. Et d'ailleurs elle ne voudrait p…

« Non ! » l'interrompit l'avocate. « Non, non, non ! Ne crois pas ça ! Je…je sais que je dois…je suis responsable, maintenant. Il est trop tard. Et je ne peux pas renoncer à mes projets. D'ailleurs, même elle, elle compte dessus. Elle me prend pour la sauveuse de l'humanité ! »

Son débit se faisait de plus en plus rapide. Sa voix, tout en s'efforçant à grand peine de limiter le niveau de décibels, montait dans des fréquences frôlant l'hystérie. Le timbre posé et pragmatique de son amie l'interrompit encore.

- Bon ! J'annule mes rendez-vous et j'arrive.

Cette annonce, étrangement, eut l'effet de la calmer.

- Non. Ne fais pas ça. Nous avons besoin de nous retrouver, toutes les deux, de toute façon. De parler. Et puis, la vie continue. Tes patients ont besoin de toi. Ce que je demande, ce sont des conseils.

Quelques secondes de silence, pleines de réflexion.

- OK…dis-moi d'abord comment s'est terminée la nuit.

Regina inspira, eut l'impression qu'elle prenait son élan.

- Je lui ai dit « Je t'aime ».

Un long silence accusateur, puis…

- Mais c'est pas vrai ! Qu'est-ce qui t'arrive, enfin ? Tu es devenue folle ? Tu la connais à peine !

Distraitement, la représentante du cabinet King & Mills sentit une larme couler sur sa joue gauche.

- Je sais…je sais…Je n'ai jamais vécu ça. Je ne sais pas d'où ça vient. C'est…tu sais, comme dans les contes de fées. J'ai le sentiment que c'est elle, que c'est mon amour véritable. Que nous sommes faites l'une pour l'autre !

- OK…Tu délires complètement. Tu es au courant que ça n'existe pas, d'accord ? Une relation amoureuse, ça se construit patiemment, pas à pas. Et ça, c'est dans le cas où les personnes concernées sont parfaitement saines de corps et d'esprit. Ta petite poupée sauvée des eaux, là…je t'ai dit que l'âge n'était pas le problème…mais des problèmes, il y en a à la pelle. Elle est loin d'être saine de corps. Je n'ai pas besoin de te l'expliquer ! Quant à son esprit…on est d'accord que, biologiquement, elle n'est pas une enfant, mais je ne donne pas cher de son âge mental ! Et bien entendu, tu vas me dire que c'est réciproque…

Regina jeta un œil au babyphone, posé sur la table du salon, comme si elle pouvait visuellement vérifier que sa protégée dormait encore.

- Elle m'a dit qu'elle m'aimait aussi…mais…Catherine, tu n'as pas besoin de m'expliquer que c'est ridicule. Je le sais. Mais ça ne m'empêche pas de ressentir ce que je ressens. On ne peut pas lutter contre les sentiments ! Nous avons développé un complexe ! Une sorte de folie à deux. La sauveuse et la sauvée.

La généraliste s'apaisa soudain. Sa voix se fit nettement moins autoritaire.

- D'accord…je comprends…Et je vois bien que tu saisis la situation et les erreurs qui ont été commises. C'est quand, le rendez-vous chez le psy ? Et c'est qui, d'ailleurs ? Je le connais peut-être…

L'avocate hésita à répondre à cette question, pourtant simple.

- C'est…Archie Hopper.

- Archie ! Tu blagues ? Tu es restée en contact avec lui ?

- Non…Je l'ai retrouvé grâce à Interbook.

- Et on peut savoir pourquoi tu m'as fait des cachotteries ?

- Euh…il s'est passé tellement de choses, ces derniers jours. Je savais qu'Emma aurait besoin d'une thérapie. Je me suis souvenue de lui. Il partageait nos idées. Je ne voulais pas d'un de ces psychiatres acquis au gouvernement, qui l'aurait culpabilisée encore plus en la persuadant qu'elle a mérité toutes les horreurs qui lui sont arrivées. Il n'est pas connu du tout, bien sûr…ses méthodes ne sont pas à la mode, c'est le moins qu'on puisse dire. Mais je lui ai téléphoné et je lui ai expliqué la situation. Il a accepté tout de suite. Le premier rendez-vous est pour demain après-midi. Il ne doit pas avoir beaucoup de patients.

- Bien…je me souviens parfaitement de lui. Il était adorable. Tu vas le rappeler, lui raconter ce qui s'est passé, lui demander des conseils et lui dire que c'est d'une thérapie à deux dont vous avez besoin…

Regina en resta abasourdie.

- Catherine…Je…c'est très gênant.

- Tu m'as demandé mon avis, je te le donne. Je me fiche que ce soit gênant. La thérapie le sera plus encore. Ma vieille, tu te rends compte du merdier dans lequel tu t'es mise ? Il te faut de l'aide ! Et tout de suite !

La femme de loi se pinça l'arête du nez. Après tout, c'était bien à ce genre de conseils, sans aucune concession, qu'elle s'était attendue. « D'accord… » fit-elle d'une voix de vaincue. Son amie, à l'autre bout du fil, ne semblait pas trop triomphante.

- Bon…Tu vas suivre ce qu'il te dit à la lettre, d'accord ? Il sera toujours temps de s'apercevoir qu'il n'est pas si bon que ça, et de chercher ailleurs s'il le faut. Mais dans l'immédiat, tu ne peux pas te fier à ton propre jugement, tu entends ? Tu dois t'appuyer sur quelqu'un.

- D'accord, d'accord…Je l'appelle dès qu'on a raccroché.

- Bien…Je te quitte alors. Et n'hésite pas à me rappeler au moindre problème. Même si je suis avec un patient, je répondrai.

- Entendu…Merci…Merci, Catherine.

La voix de la généraliste se fit presque tendre.

- Pas de quoi, ma vieille. Essaie de ne pas trop t'en faire. Nous avons tous besoin d'aide à un moment ou un autre. Tu peux compter sur moi.

Et le cliquetis du combiné qu'on raccroche retentit. Elle ne lui avait même pas dit au revoir.

Regina se rendit d'abord, à pas feutrés, dans la chambre d'amis, dont elle poussa la porte avec mille précautions. La petite blonde dormait toujours à poings fermés, son doudou contre elle, son pouce en bouche. Bon…le coup de fil ne devrait pas durer plus d'une demi-heure. Revenue au salon, tremblant d'émotion, elle composa le numéro du psychiatre.

Emma ne fit irruption qu'un peu avant dix heures, l'empreinte de la taie d'oreiller décorant sa joue droite, le visage rouge de sommeil, les yeux tout embrumés, la démarche pataude, son doudou dans les bras. L'avocate, qui l'attendait au salon, déposa son livre, se leva précipitamment et s'avança vers elle, un sourire aux lèvres. L'émoi avait resurgi à la vue de cette créature si dissemblable. Archie Hopper lui avait dit que seule la personne qui éprouve le sentiment était en mesure de l'identifier, donc de le nommer. C'était bien de l'amour…la question de sa pérennité, de son bien-fondé ou de sa profondeur était un autre sujet.

« Bonjour, Emma. Vous avez bien dormi ? » L'orpheline fit un arrêt brusque, comme si on l'avait frappée. Ses yeux se remplirent de larmes. La magistrate ne comprit pas immédiatement sa réaction. « Tu…vous…Pardon, je suis désolée…Je…j'aurais dû demander avant de te…de vous… dire « tu ». » La belle brune comprit un peu tard son erreur. Tous les conseils de Archie Hopper clignotant en rouge dans son esprit, elle posa doucement une main sur une épaule osseuse. « Non…c'est moi qui m'excuse. D'ailleurs, je t'ai tutoyée la première. Je te propose officiellement de le faire. » La jeune fille eut un sourire un peu indécis, hocha la tête. Puis, son regard se tourna vers la belle main hâlée, posée sur son bras. Elle avait bien entendu senti le changement d'attitude, car son visage expressif conserva une expression troublée, presque effrayée. Ce ne serait pas facile.

« Il faut que nous te pesions…allons à la salle de bain, veux-tu ? » Elle hocha la tête, suivit sa bienfaitrice, telle une enfant intimidée. Regina se détourna pendant qu'elle se déshabillait, évita soigneusement de la regarder nue, ne se focalisant que sur les chiffres qui apparaissaient sur le cadran de la balance, les notant soigneusement. Du coin de l'œil, elle vit la jeune fille enfiler à nouveau son pyjama, s'emparer de sa couverture. Elle s'appuyait bien un peu aux meubles, poussa quelques gémissements, mais y parvint seule. La belle brune n'aurait jamais imaginé un tel progrès, si rapide. Dès que l'ancienne délinquante fut vêtue, elle la regarda attentivement. Son attitude avait changé, était redevenue crispée, pleine de méfiance. Le visage d'ange se chiffonna, eut une grimace douloureuse, se mordant la lèvre inférieure. Elle souffrait. La soulager était le plus urgent.

« Je vais te refaire une injection. Allons dans ta chambre. » La tête baissée, elle la suivit en silence, s'allongea sur le ventre, découvrit son épaule, ne réagit en rien au moment de la piqûre. Seulement, elle poussa un soupir quelques secondes plus tard, et son corps se détendit comme celui d'un animal que le vétérinaire endort.

Le docteur Hopper avait dit qu'il ne fallait pas la priver de tout contact, que la tendresse n'était pas un mal, qu'il fallait seulement essayer de faire en sorte que les messages soient clairs. Aussi, Regina la gratifia-t-elle d'une caresse légère, sur la tête. La douleur avait vraiment dû revenir en force à son réveil, car elle mit près d'une minute, respirant profondément dans son doudou, à se tourner sur le côté. Les beaux yeux verts plongèrent dans les siens, la transperçant, comme de coutume, jusqu'au fond de l'âme. « Merci » murmura-t-elle. Tout en souriant, l'avocate répondit : « De rien…il est normal que tu sois soulagée. Tu y as droit, comme tout le monde. Et à ce propos, il faut que je te soigne. Je vais chercher les remèdes que Catherine t'a prescrits. Et nous devons discuter. » À cette annonce, Emma avala sa salive, resserra convulsivement sa couverture contre elle. Ses yeux se remplirent de larmes et elle eut un sanglot. La femme de loi lui posa une main sur l'épaule. « Ne t'inquiète pas, je t'en prie ! Il ne t'arrivera rien de mal. Je vais continuer à m'occuper de toi. Et surtout, surtout, tu n'as rien à te reprocher ! » Elle se détendit légèrement.

La magistrate réfléchit quelques instants. « Emma, il serait préférable que tu te laves, avant que je t'applique les produits nécessaires. Te sentirais-tu capable de prendre une douche ? » Elle hésita. Il fallait préciser. « Seule ? » La petite fronça les sourcils mais acquiesça.

Avec son efficacité coutumière, Regina prépara tout ce qu'il fallait dans la salle de bain, constata avec bonheur que sa protégée ne semblait pas éprouver de grande difficulté à se mouvoir, lui expliqua le fonctionnement de la douche, puis la laissa, refermant délicatement la porte derrière elle.

Revenue dans la chambre, elle relut les prescriptions, disposa avec soin les différents remèdes sur la table de chevet. L'ancienne détenue revint prestement de la salle de bain, vêtue de son pyjama. Elle n'était bien entendu pas habituée à prendre son temps pour se débarbouiller. Ses cheveux étaient à peine humides, ce qui montrait qu'elle n'avait pas jugé utile de les laver. De toute façon, il faudrait lui refaire un shampoing anti-poux le soir-même.

Après l'avoir à nouveau fait étendre sur le côté, Regina procéda, comme Catherine l'avait fait durant l'examen, du haut vers le bas. Elle commença par jeter un œil sur le cuir chevelu, écartant délicatement les cheveux d'or. « Les poux ne sont pas revenus. Ce soir, je te ferai un autre shampoing, mais je pense vraiment que nous en sommes venues à bout. » déclara-t-elle. La jeune fille hocha la tête. Les yeux écarquillés d'appréhension, elle se laissait faire, n'osant visiblement pas interroger sa bienfaitrice.

La juriste lui demanda de tourner la tête vers le haut, puisqu'il n'était toujours pas question de la faire étendre sur le dos, et entreprit d'appliquer les divers soins du visage. Tirant sur ses paupières, elle lui versa trois gouttes de collyre, dans chaque œil, puis lui appliqua la pommade sur la joue, où s'estompait l'hématome pâlissant. Après quoi, décidant qu'il valait mieux ne pas lui toucher la bouche, elle lui demanda de s'enduire elle-même les lèvres de baume. L'orpheline obéissait à toutes ses injonctions, avec un empressement qui faisait peine à voir. On eût dit un enfant en disgrâce, cherchant à regagner l'amour d'un parent revêche. Tout en accomplissant ce qui était devenu pour elle un devoir sacré, l'avocate se lança dans la tâche ardue d'expliciter la situation.

- Les choses ont changé entre nous, depuis cette nuit, Emma…Tu le sens bien, n'est-ce pas ? Ce n'est pas de ta faute, en aucun cas. Mais c'est un peu la mienne. J'ai téléphoné à un psychiatre, que j'ai connu à l'université. C'était un condisciple de Catherine, mais il s'est orienté vers une spécialisation différente et nous avons perdu contact.

La jolie voix rocailleuse se fit entendre. À peine un murmure.

- Un psy…Tu…tu crois que j'suis folle, c'est ça ? Qu'ils m'ont rendue folle ? Les internats, les maisons de correction, les familles d'accueil, la rue, la prison… ?

C'était une réaction attendue, issue de préjugés venus du fond des âges. Cependant, là où ses clients, d'ordinaire, exprimaient de la colère et de la vexation, l'enfant martyr semblait plutôt éprouver du chagrin.

- Non…pas du tout…je ne te crois pas folle. En fait, je trouve que tu t'en sors remarquablement bien. Mais tu as des soucis psychologiques. Le contraire serait étonnant. Les psychiatres, les psychologues, les psychanalystes, les psychothérapeutes, etc…tout ce qui commence par « psy », en fait, ne servent pas seulement à soigner les « fous », comme tu dis. Ils peuvent aider les personnes qui souffrent mentalement. Les aider à mettre de l'ordre dans leurs pensées, leurs sentiments, leurs traumatismes. Leur permettre d'aller mieux et d'avancer dans la vie.

Comme à son habitude, la petite blonde écoutait de toutes ses oreilles, les sourcils froncés, se concentrant pour comprendre. Regina avait fini les soins du visage. Avant de poursuivre le traitement, elle décida d'achever la conversation. Les deux femmes se regardaient, l'une assise sur le bord du lit, l'autre étendue sur le côté, les yeux plantés dans ceux de sa protectrice.

- J'avais déjà pris un rendez-vous pour toi, demain…un premier rendez-vous. Mais…je lui ai téléphoné pour lui parler de ce qui s'était passé cette nuit, et lui demander des conseils.

Elle omit volontairement le fait qu'elle avait agi ainsi sur les conseils de Catherine, sans être sûre que ce soit la chose à faire. La petite avait tellement d'éléments avec lesquels composer, déjà…Emma rougit légèrement en comprenant que son comportement séducteur avait fait l'objet d'une discussion téléphonique, avec un homme qu'elle ne connaissait pas, mais se contenta de hocher la tête.

- Acceptes-tu d'aller avec moi à ce rendez-vous ? Il faut que nous lui parlions toutes les deux. La première séance est fixée à demain, 15h. Son cabinet n'est pas tout près mais je te donnerai une ampoule de morphine juste avant, pour que tu puisses t'asseoir dans la voiture.

Emma cligna des yeux, sembla devoir réfléchir avant de comprendre qu'on venait de lui demander son consentement mais, finalement, répondit.

- Euh…oui…bien sûr…si tu crois que c'est ce qu'il faut faire…

Le beau visage de l'avocate s'illumina de son sourire solaire.

- C'est merveilleux, Emma.

Elle failli ajouter « ma chérie », « mon trésor », « mon ange », ou un autre de ces petits mots d'amour dont le docteur Hopper lui avait pourtant dit qu'il valait mieux se défaire jusqu'à nouvel ordre. Aussi redevint-elle sérieuse, ce que l'orpheline perçut immédiatement. Cette dernière se crispa un peu, fronça les sourcils, se mordit les lèvres.

- En attendant…je te demande pardon de t'avoir dit « Je t'aime », de t'avoir proposé de dormir ensemble, de t'avoir appelée « ma puce », « ma petite »…ce genre de choses. Je sais que tu ne m'en veux pas, au contraire. Et il est certain que tu n'attendais pas d'excuses. Mais je te les dois quand même, car tu as besoin de guérir, aussi bien psychologiquement que physiquement. Jusqu'à ce que nous ayons vu le psychiatre, il faut que nous nous appelions par nos prénoms, que tu dormes seule, dans ton lit, et que nous évitions de trop nous toucher.

À son grand chagrin, les yeux verts se remplirent de larmes. Mais l'enfant des rues baissa la tête, eut un signe d'approbation.

Que dire ? Regina se contenta de lui poser une main sur l'épaule et de presser doucement.

Il restait les soins du corps. C'était délicat, car le désir qu'elle avait ressenti lors du malencontreux épisode nocturne encore tout récent ne demandait qu'à ressurgir. Cependant, comme le lui avait fait remarquer le psychiatre, la malheureuse dépendait d'elle de ce côté, entièrement. Il n'était donc pas question de se dérober. Il fallait aborder l'opération avec un œil clinique, comme elle l'avait fait de nombreuses fois, en prison, après une exécution, tout en lui parlant aussi doucement, avec autant d'empathie qu'elle l'avait fait alors.

L'avocate fit donc s'étendre son ancienne cliente sur le ventre, lui ôta délicatement son haut de pyjama, lui enduisit le dos et les épaules de pommade à l'arnica, tout en la massant légèrement, ce qui sembla la détendre. Elle sentit, sous ses doigts habiles, les muscles crispés se relâcher graduellement. Après quoi, elle lui demanda de sa voix douce de baisser son pantalon. Elle lui avait, selon les indications de Catherine, appliqué la pommade à la cortisone la veille, avant la nuit. Il ne lui restait donc qu'à désinfecter les innombrables plaies qui semblaient vandaliser les fesses dévastées. C'était une tâche ardue, tant elle craignait de provoquer à la malheureuse davantage de souffrance. Mais la morphine était d'une telle efficacité, sur cet organisme inaccoutumé au moindre élément chimique, qu'Emma ne sursauta même pas, lorsque la solution antiseptique pénétra dans sa chair. À son grand soulagement, la juriste constata qu'elle parvenait à jouer ce rôle d'infirmière sans émoi d'ordre sexuel, comme elle avait pris l'habitude de le faire dans sa profession. L'opération achevée, elle lui fit remonter son pantalon, l'aida à réenfiler son haut. Restaient les pieds, qu'elle désinfecta également et enduisit de baume. Les autres remèdes devaient être administrés par voie orale. Il était donc temps de nourrir l'enfant martyr.

À l'annonce du petit déjeuner, l'orpheline se redressa sur les coudes et la regarda d'un œil effaré. Le repas du matin avait pratiquement été banni de toutes les institutions qui prenaient en charge les déshérités. « Les gens ordinaires mangent trois fois par jour, Emma. » lui expliqua-t-elle patiemment. « Et tu dois absolument reprendre du poids, des forces. Tu as besoin de te réalimenter, de fournir à ton organisme les vitamines, les protéines et tous les nutriments dont il a besoin… » La bouche ouverte comme un poisson hors de l'eau, elle acquiesça machinalement, se leva sans trop de difficulté.

Regina avait tout prévu, comme à l'accoutumée. Elle n'eut plus, une fois l'enfant des rues installée sur son traversin, qu'à cuire quatre œufs brouillés au fromage, qu'elle plaça devant elle, agrémentés d'une immense tasse de chocolat chaud, d'une pile de toasts et d'une salade de fruits frais. Ensuite, elle disposa sur la table de salon beurre et confitures diverses (maison bien sûr), et un petit bol de crème fouettée, destinée aux fruits.

L'orpheline ne protesta plus mais ses yeux, agrandis comme des soucoupes, en disaient long. Elle dévora tout ce qui fut placé devant elle, sans élégance aucune. La juriste se contenta de déposer une main douce sur son bras lorsque sa célérité lui laissait craindre un étouffement. Alors, la jeune fille s'efforçait avec peine de freiner sa voracité. De son côté, la belle brune s'accorda deux œufs et un toast. Elle aussi avait besoin de forces.

Ce ne fut que lorsque le petit déjeuner fut avalé qu'elle lui présenta, avec un grand verre d'eau, les médicaments et compléments alimentaires qui restaient à prendre. Comme pour la récompenser de sa bonne volonté, elle lui proposa une seconde tasse de chocolat, qui fut acceptée avec empressement.

Tout en sirotant sa boisson, avec une lenteur qui suggérait que sa faim était, pour le moment, apaisée, Emma posa sa question, de manière inopinée.

- Et la télé ?

La main de l'avocate, qui tenait par l'anse une tasse de café sans sucre, s'immobilisa à mi-chemin, entre la table de salon et ses lèvres.

- Euh…qu'est-ce que tu veux dire, exactement ?

L'enfant abandonnée cligna des yeux. Elle sembla, un instant, se demander si elle n'avait pas rêvé une partie de leurs échanges.

- Ben…t'as…t'as dit que t'allais me faire passer à la télé…tu sais…pour faire comprendre aux gens que…que c'est pas bien, de fouetter les condamnés, même s'ils ont volé…et aussi qu'il faut être plus gentil avec les enfants.

Regina s'était reprise. Elle avala une gorgée de café.

- Oui…je n'ai pas oublié. C'est en cours. Mais il faut absolument que tu ailles mieux. Il faudrait au moins que tu puisses t'asseoir. Cela dit, étant donné la vitesse à laquelle tu guéris, je pense que mon projet pourra se réaliser plus tôt que prévu.

La jeune fille avait fini son chocolat et la regardait, de ses beaux yeux limpides.

- Je guéris très vite. Je me sens déjà beaucoup mieux. J'ai pas l'habitude de…

Elle eut un geste vaste, désignant l'appartement.

- …d'être au chaud…de manger tellement…et tellement bien…d'être propre…de dormir dans un lit…surtout un lit comme ça…et puis…

Cette fois, elle désigna sa protectrice, d'une main ouverte, pleine de déférence. Elle inclina même la tête, très légèrement, comme pour la saluer.

- …et d'avoir quelqu'un qui s'occupe de moi.

Elle garda les yeux rivés sur sa tasse vide. Ses longs doigts rougeauds restaient serrés autour de la luxueuse faïence, comme pour profiter encore de la chaleur résiduelle qui s'en dégageait.

- Alors…je serai vite prête.

La magistrate l'observait avec la plus grande attention.

- Emma…tu as hâte de le faire ?

La petite blonde réfléchit quelques instants, puis acquiesça doucement.

- Ça me fait peur. Mais oui, je voudrais que ce soit aujourd'hui.

Regina réfléchit. Elle aussi, avait besoin d'avancer, le plus vite possible.

- Eh bien, je contacterai Sydney Glass aujourd'hui. C'est un journaliste, que j'ai un peu fréquenté à l'université…Toutes mes connaissances, hormis mes contacts professionnels, datent de cette époque, pratiquement. Il travaille pour une chaîne indépendante. Le gouvernement a toujours clamé haut et fort protéger la liberté d'expression. C'est pourquoi il existe encore quelques chaînes de télévision et de radio contestataires. Il fait partie du comité de programmation, a beaucoup d'influence, et serait ouvert à l'idée de t'accorder un temps d'antenne, je pense. Le problème, c'est qu'ils ont peu de spectateurs. Je réfléchis aux moyens de contourner cet écueil. Et j'en parlerai à Sydney.

La journée se déroula lentement et sans ennui. Sensible à tout ce que lui avait dit sa protectrice, Emma gardait une distance respectueuse. Graduellement, sa gêne sembla se dissiper. Le temps s'était éclairci. Il faisait froid mais sec. Aussi, dans le souci de lui faire prendre l'air, l'avocate emmena-t-elle sa protégée sur son vaste et confortable balcon, après l'avoir soigneusement emmitouflée dans une robe de chambre, lui avoir couvert les pieds d'épaisses chaussettes et de pantoufles, les mains de gants fourrés, la tête d'une chapka, et avoir enrobé le tout d'un immense châle, ce qui donna à la jeune fille l'aspect d'un bonhomme de neige. Debout, appuyée sur la rambarde, elle contempla durant une bonne demi-heure la ville de Boston, telle qu'elle ne l'avait jamais vue. La terrasse était élégamment meublée. Regina lui expliqua qu'au printemps, elle fleurissait avec soin les balustrades et les immenses bacs à fleurs, compensant ainsi l'absence de jardin, qui, parfois, lui pesait.

Emma prit fidèlement tous ses médicaments, se plia à toutes les recommandations médicales. Elle dévora le déjeuner, le goûter, le dîner, avec la même faim, insatiable. Son joli visage reprenait quelques couleurs, et à la fin de la journée, la balafre et l'hématome n'étaient plus que des ombres, un mauvais souvenir.

La magistrate profita de ce jour serein, sans obligation autre que le repos et la guérison, pour lui parler également de chirurgie, et du projet qui s'était formé dans son esprit de la débarrasser définitivement des cicatrices qui, sans une opération, ne manqueraient pas de la marquer à vie. Bien entendu, l'enfant abandonnée commença par s'affoler et s'enquérir des prix. Mais Regina semblait avoir appris en détail comment lui parler, comment la persuader. L'idée de récupérer un corps intact la faisait pleurer d'espoir, et la reconnaissance lui serrait la gorge, au point de lui couper la parole.

Fidèle à sa promesse, la juriste téléphona longuement à Sydney Glass, tandis qu'Emma faisait la sieste, bien au chaud dans ce qui était désormais son lit. À son réveil, elle lui exposa sans fard, devant une tasse de thé et des sablés maison, le résultat de leur conversation. Le journaliste se disait emballé. Critiquer les pratiques éducatives et judiciaires du gouvernement était un de ses vieux rêves, mais personne n'avait le cran de s'attaquer à tel tabou. Regina lui offrait enfin une opportunité. Et quelle opportunité ! Il devait bien sûr en parler d'abord à ses collègues. Et il fallait trouver un moyen de faire de la publicité. Les chaînes fards refuseraient à coup sûr de promouvoir la concurrence…le bouche à oreille était la solution. Mais il fallait procéder avec tact et stratégie. Il avait promis de la recontacter, avec un plan d'action.

L'avocate proposa également à la jeune fille une séance de lecture, qui fut acceptée avec un empressement craintif et émerveillé. Comme Les raisins de la colère avaient été évoqués avant l'œuvre de Proust, et qu'il s'agissait d'une entrée en matière moins ardue, la belle brune lut, lentement et avec cœur, le premier chapitre, s'interrompant pour fournir l'une ou l'autre explication. Emma s'était installée sur le côté, allongée sur le canapé, sa bienfaitrice dans l'un des fauteuils, tout près. Ne plus adopter des postures qui pouvaient être mal interprétées, ne pas chercher à se toucher à tout prix…et pourtant, le poids de la tête blonde, sur ses genoux, lui manqua. Le soir, l'ancienne délinquante prit un bain. Il fallait bien reconnaître qu'elle avait encore besoin d'aide, aussi Regina lui fit-elle un second shampoing anti-poux, mais elle se lava seule. Après les soins qui devaient précéder le sommeil, elle se déclara épuisée. Aussi, la juriste renonça-t-elle à lui montrer un film ce soir-là.

Il fallait encore lui appliquer des baumes, sur diverses parties du corps, et lui faire une injection de morphine, qui devait être la dernière. Dès le lendemain, le traitement prendrait la forme de solution buvable. La belle brune prodigua ses attentions avec conscience et efficacité. La jeune fille, chaudement et confortablement installée, semblait déjà sur le point de s'abandonner au sommeil, lorsque sa jolie voix rauque amena sa protectrice à se rasseoir sur le bord du lit.

- T'es sûre que tu veux pas dormir avec moi ?

Les beaux yeux d'émeraude s'entrouvrirent, dardant sur Regina un éclair vert. Cette dernière eut une envie violente de tendre une main, de caresser une joue pâle, d'enfouir ses doigts dans une forêt de cheveux blonds, mais se retint à grand peine.

- Il ne faut pas, Emma…

À son grand désarroi, elle se mit à pleurer doucement, s'essuyant les yeux à la hâte.

- Pardon…je…j'veux pas te…te faire…comment on dit ? …du chantage…

Bouleversée, l'avocate se mordit la lèvre inférieure.

- Tu ne me fais aucun chantage. Tu es fatiguée. Il s'est passé tellement de choses, dernièrement.

L'enfant des rues se calma, prit une grande inspiration.

- J'ai cru un moment…que toi et moi…qu'j'avais finalement trouvé…mais j'ai tout gâché, la nuit dernière.

Cette fois, la juriste n'y tint plus. Les contacts n'étaient pas interdits. Il fallait seulement les doser. Elle déposa la main droite sur un bras, à la fois gracile et robuste. Instantanément, la jeune fille ferma les yeux, soupira. Un sourire rêveur apparut sur ses lèvres fines. Elle était si cruellement privée de touché bienveillant, de toute marque d'affection, et ce depuis sa naissance.

- Tu n'as pas tout gâché, Emma. Qui sait ce que l'avenir nous réserve ? Il faut seulement être patientes. Et en parler au Dr Hopper, demain.

Les yeux de jade se rouvrirent et elle regarda dans le vide, une lueur angoissée au fond des pupilles.

- J'ai peur du psy…il va me demander de raconter…il va me poser des tas de questions…et j'ai pas envie de répondre.

La main délicate de Regina pressa doucement le coude, dans un mouvement qui se voulait apaisant.

- Il ne faut pas avoir peur. Il n'y a rien à craindre. C'est pour toi, pour que tu ailles mieux, que nous allons le voir. Si tu ne veux pas parler de quelque chose, il faudra le dire, tout simplement.

Cette explication sembla la rasséréner. Ses yeux se fermèrent.

- Dors, à présent. Le babyphone est toujours là, tu vois…

Regina désigna l'objet, sur la table de nuit. Les paupières lourdes se relevèrent péniblement. L'ancienne détenue hocha la tête.

- Si tu fais un cauchemar, je viendrai…mais il faut que tu dormes seule, cette nuit.

« Oui. » fit-elle avec toute la bonne volonté d'un enfant qui cherche à faire plaisir.

L'avocate acheva de la border, résista à l'envie de lui déposer un baiser sur le front, lui souhaita une bonne nuit et éteignit la lumière. Au moment où elle refermait la porte derrière elle, elle entendit la voix rocailleuse, à peine audible : « Je sais qu'tu veux pas que j'le dise mais j' t'aime… »