25 octobre

Il se sentait tremblant. Nauséeux et stressé aussi. Akaashi prit une profonde inspiration avant de la relâcher. Il était déjà venu à la caserne pour son entretien d'embauche, après son stage dans ce même lieu. Il connaissait l'endroit, il n'avait aucune raison d'être anxieux.

Presque aucune.

S'efforçant de garder son calme, il reprit sa marche et entra. C'était son premier jour, il ne devait pas être en retard. D'un geste qu'il voulait souple, Akaashi entra dans le hangar. Face aux véhicules rouges vifs, l'excitation et la joie gonflèrent son coeur. Il était là où il voulait être, où il devait être, il en était persuadé. Convaincu, il continua son pas et s'arrêta devant une nouvelle porte. Elle donnait sur la salle de repos et ses collègues s'y trouvaient certainement.

Le dos droit, la tête haute et le visage figé dans un masque d'ennui, Akaashi actionna la poignée de porte. L'odeur du café et des viennoiseries éclata à son nez, tout comme les rires et bavardages à ses oreilles. Un peu gauche, il resta sur le pas de la porte sans savoir que faire. Trop discret pour s'annoncer, il se décida à faire quelques pas, non sans tenter de trouver quelqu'un qu'il connaissait.

Une tignasse blanche et noire se détacha aisément de la foule. Son coeur battit plus fort, il avala sa salive aussi discrètement qu'il le put. Quand il se décida à ouvrir la bouche, deux yeux dorés se posèrent sur lui. Sa voix l'abandonna quand il se leva vers lui, un sourire éclatant sur le visage.

— Akaashi !

Surtout, ne pas baver, songea-t-il quand son interlocuteur s'approcha.

— Bokuto, s'entendit-il répondre.

Déjà en tenue, pantalon et haut moulant, tout était là pour dévoiler le corps parfait de Bokuto. Il ne put le détailler plus longuement que l'homme était déjà sur lui, le prenant dans ses bras. Aussi troublé que gêné, Akaashi espéra que les autres ne lui souhaiteraient pas la bienvenue de cette façon et que personne ne remarquerait les légères rougeurs qui coloraient son visage.

— Qu'est ce que tu fais là ? Encore un stage ? Tu vas bien ?

Bokuto l'assaillait de questions sans lui laisser pour autant le temps de répondre.

— La ferme Bokuto, il est trop tôt pour ton cinéma, tu m'donnes mal au crâne.

Akaashi adressa un merci de la tête à Kuroo, il ne l'avait jamais autant apprécié qu'à cet instant précis.

Il jeta un coup d'oeil à sa montre, presque huit heures, il ne s'était pas encore réellement présenté et n'avait pas enfilé sa tenue. Bien qu'il n'appréciait pas être le centre de l'attention, Akaashi réunit son courage et s'éclaircit la voix :

— Akaashi Keiji, je suis le nouvel infirmier de la caserne.

L'annonce provoqua un moment de flottement.

— On est le combien aujourd'hui ?

La question décontenança Akaashi qui répondit néanmoins :

— Lundi vingt-cinq Octobre.

Bokuto compta quelque chose sur ses doigts avant de frapper du poing sur la table. Tsukishima sursauta et fusilla du regard son supérieur hiérarchique. Adressant un « bienvenue » à Akaashi, il ramassa ses affaires et quitta la pièce pour s'éloigner de la prochaine agitation.

— Avec les conneries de la diva on a complètement oublié ton arrivée, s'excusa Kuroo : « On avait pourtant tout prévu. »

Le sourire qui déforma son visage alarma Akaashi, qui déglutit. Il savait que les nouveaux venus étaient brimés. Savoir que c'était Kuroo qui préparait son bizutage noua son estomac. Si les « conneries de la diva » accaparaient assez l'équipage, peut-être passerait-il à côté de ça et qu'il survivrait plus facilement à son intégration. Il fit de son mieux pour garder espoir à ce sujet, tandis que Bokuto lui saisissait l'avant bras.

— Akaashi, suis moi ! Je vais te faire visiter la caserne !

Akaashi cligna plusieurs fois des paupières, interdit. Sans pouvoir répondre, il se fit entraîner dans le hangar par lequel il était arrivé.

— Du coup, là c'est le hangar ! Tu viendras ici quand tu auras bipé et là, c'est ton véhicule ! Il pointa du doigt une kangoo rouge : « Avec un peu de chance, tu m'auras comme conducteur ! Kuroo râle à cause de ma conduite, trop sportive, il paraît ! Mais t'inquiètes, c'est pas vrai, il est pire ! »

Akaashi ouvrit la bouche, il avait effectué un stage de trois semaines au sein de la caserne, il la connaissait déjà. Des étoiles dans les yeux, Bokuto grimpait déjà en haut du véhicule d'incendie. Akaashi referma sa bouche, sans rien dire. Il se sentait incapable d'arrêter l'enthousiasme de Bokuto.

— Ce beau gosse, c'est le véhicule le plus stylé de la caserne ! Il tapa du plat de la main sur le camion, Bokuto ressemblait à un gosse devant un sapin de Noël : « Ne crois pas Daichi quand il dit que c'est l'échelle, il ment ! »

Akaashi hocha la tête en signe d'écoute. Espérant lui faire plaisir, il le suivit ensuite jusqu'à la salle de sport. En chemin, ils croisèrent Kuroo qui gloussa devant son air dépité.

— Ici c'est la salle de sport ! Si tu cherches Iwaizumi, y'a de fortes chances que tu le trouves ici. Sinon, c'est qu'il est avec Kuroo et moi, Bokuto marqua une pause quand la porte de la salle s'ouvrit sur quelqu'un Akaashi ne connaissait pas : « Eh ! Yamaguchi ! »

Le petit Yamaguchi sursauta et se couvrit instantanément de sueur.

— Tu connais Akaashi ? demanda joyeusement Bokuto.

Vraisemblablement mal à l'aise, Yamaguchi balbutia quelques mots. Bokuto ne remarquant pas l'état de panique qu'il créait chez le garçon, il continua :

— C'est notre nouvel infirmier ! Tu vas voir, il défonce tout !

Après une grande tape dans le dos de Yamaguchi, qui vola presque à travers la pièce, Bokuto tourna les talons et entraîna Akaashi, n'attendant pas de réponse. Passant dans la salle de repos, avec coin cuisine et jeux, Bokuto lui montra à nouveau les vestiaires d'un rapide geste de la main. Les « rouges » pour les tenues de feu, les « bleus » pour les autres. Ce dont Akaashi n'avait pas à se soucier, il devait toujours aller dans le même, lança Bokuto comme pour le rassurer. Sans souffler, il l'emmena au premier étage.

— Les chambres sont ici, je sais pas avec qui t'es mais Oikawa te le dira… Oh, faut que je te le présente, il aurait dû être là à ton arrivée !

Sans pouvoir répondre, une nouvelle fois, Akaashi se fit entraîner au second étage, où se situait tous les bureaux de leurs supérieurs. Lors de son stage, c'était l'adjudant chef Nekomata qui était le plus gradé après le chef de centre.

Bokuto tambourina longuement à la porte, et malgré l'insistance de ce dernier, elle resta close. Akaashi nota la boite aux lettres qui semblait à craquer à côté de la porte. Profitant du silence de son collègue, Akaashi demanda :

— Nekomata n'est plus là ?

C'était un chef respecté et un homme sympathique. Cependant, il ne l'avait pas assez côtoyé pour oser dire qu'il le connaissait.

Bokuto haussa les épaules :

— Ben, il se fait vieux quoi, maintenant qu'y'a Oikawa, il fait moins d'trucs, ils se sont arrangés comme ça.

De ce qu'Akaashi savait, Bokuto était pompier volontaire dans un autre centre avant d'arriver ici. Nekomata était le seul chef qu'il avait connu en tant que professionnel. Il devait être difficile de passer sous les ordres de quelqu'un d'autre.

— En tout cas, je crois que je t'ai fait le plus gros de la visite…

Akaashi l'interrompit :

— À ce propos… Tu te souviens que j'ai passé trois semaines dans ce centre ?

Bokuto réfléchit quelques secondes, avant de lâcher un « oh » et de rire maladroitement. Une main dans les cheveux, il s'apprêta à s'excuser quand leur bip sonna. Akaashi vérifia l'appareil à sa ceinture, puis releva la tête. Bokuto venait de disparaitre de la plateforme.

Interdit, Akaashi se pencha sur le garde-fou et le vit courir deux étages plus bas en direction des vestiaires.

Rapide

Son bipeur sonna de nouveau. Vibrant avec force, Akaashi revint dans la réalité. Il jura intérieurement et dévala les escaliers à son tour.

Il sauta les dernières marches, nota les différentes personnes qui s'activaient et s'élança à son tour. Il esquiva habilement deux collègues, rentra dans le vestiaire et tomba nez à nez sur Bokuto, torse-nu. Figé quelques secondes, son regard se perdit sur les abdominaux de son collègue. La bouche soudainement sèche, Akaashi détourna le regard en s'excusant platement, puis referma la porte. Le rire de Kuroo résonna juste avant qu'il ne la claque.

Il ravala son agacement et regarda rapidement son bipeur, il avait sonné depuis trois minutes, le véhicule devait quitter la caserne au maximum dix minutes après qu'ils aient reçu l'appel. Il devait se dépêcher pour rester dans les temps.

Akaashi enfila précipitamment sa tenue et fourra dans ses poches quelques paires de gants, un stylo et de dirigea vers le standard où il prit sur le télex l'ordre de départ*. Il y jeta un rapide coup d'oeil avant de se diriger vers le VSM**, tandis que le VIDP*** sortait de la caserne. Il se figea quelques secondes en voyant Kuroo. Son binôme aurait dû prévenir du vestiaire « bleu » prévu pour le secourisme, non du « rouge ».

— J'ai cru que t'arriveras jamais, sourit ce dernier.

Décontenancé, Akaashi déglutit :

— Tu étais dans le vestiaire rouge.

— Toi aussi, répondit du tac au tac Kuroo éludant sa question implicite, l'air narquois.

Akaashi parut ennuyé. Il ouvrit la portière passagère, s'installa dans le véhicule et boucla sa ceinture. Kuroo fit de même et se mit à siffloter.

— Tu ne démarres pas ?

Kuroo haussa les épaules et jeta un coup d'oeil à sa montre.

— Ta belle-gueule n'ouvrira pas la porte alors on a au moins cinq minutes devant nous.

Ignorant son regard fixe et moqueur, Akaashi resta de marbre en songeant qu'effectivement, les premiers intervenants venaient de partir. Ils devaient arriver avant eux sur le terrain pour ouvrir le chemin, que ce soit pour sécuriser les lieux ou enfoncer les portes en cas de malaise.

Kuroo s'étira comme un chat en prenant son temps, puis mit le contact et quitta la caserne. Gyrophares et sirènes allumés, Kuroo slalomait entre les voitures. Usant de son klaxonne régulièrement pour se frayer un chemin, Akaashi, angoissé, s'agrippa de toutes ses forces à la poignée de la voiture et pria pour arriver entier sur les lieux. Si extérieurement il ne dégageait rien, intérieurement il était en proie à la panique et insultait de tous les noms d'oiseaux qu'il connaissait Kuroo.

Profitant d'un grand boulevard, Kuroo se pencha devant Akaashi et attrapa quelque chose dans la boite à gants.

— Bordel regarde la route ! Cria Akaashi alors que Kuroo donnait un grand coup de volant, insultant « ces connards de merde » qui lui refusaient la priorité.

— Si tu veux que j'la regarde, t'as qu'à m'l'indiquer, râla-t-il en lui donnant la carte****.

Akaashi se mordit la lèvre et se fustigea. Il aurait dû le faire dès le départ, mais voir que Kuroo était son binôme l'avait pris de court.

Ils tournèrent une nouvelle fois sur la droite et Akaashi aperçut les gyrophares des autres camions stationnés.

Kuroo se gara à côté de l'ambulance, prêt à repartir et ils descendirent tous les deux du véhicule.

Ils prirent rapidement les sacs à l'arrière du véhicule et se précipitèrent dans l'immeuble, gravissant les marches deux par deux pour accéder le plus rapidement possible au troisième étage.

Lorsqu'ils y arrivèrent, Bokuto leur fit un signe de tête. Kuroo débarrassa Akaashi de son sac et le laissa entrer en premier. Désormais dans son élément, Akaashi s'approcha de la victime allongée à même le sol, au bord de l'inconscience. Tsukishima s'écarta tandis qu'Iwaizumi parcourait ses notes du regard et lâcha platement :

— Les pupilles étaient réactives à notre arrivée, Sat à 96, tension à 8.4, glycémie à 1,2mmol/l, non régulée par le sucre ou les pâtes.

Penché sur la victime qui n'excellait pas les quinze ans, Akaashi s'agenouilla à sa hauteur, son visage était blême, couvert d'une pellicule de sueur.

— Bonjour madame, est ce que vous m'entendez ? Il perçut un léger hochement de tête : « vous êtes diabétique » demanda-t-il, nouvel hochement de tête : « vous avez un traitement ? »

N'obtenant aucune réponse, Akaashi réitéra la question, qui resta à nouveau sans réponse. Fronçant les sourcils, il tendit une main vers Iwaizumi :

— Iwaizumi, ta lampe, ordonna-t-il.

Les regards se tournèrent vers lui, il passa outre. Personne ne lui connaissait un tel ton, mais ils s'y feraient.

Iwaizumi s'exécuta. Akaashi agita le faisceau lumineux devant les yeux de la victime qui ne réagirent pas. Tsukishima comprit la situation et se pencha aux côtés d'Akaashi. Il sortit lui aussi un style de sa poche et l'utilisa pour pincer l'ongle de la jeune fille.

— Elle ne fait pas semblant, conclut-il.

Akaashi héla Kuroo pour qu'il lui apporte son sac. Il n'avait pas le temps de reprendre les constantes de la jeune fille. C'était une urgence vitale, son cerveau manquait de sucre.

Avec dextérité, Akaashi prépara une perfusion de glucose tandis que Tsukishima découpait la manche de la jeune fille. Préparant le terrain à l'infirmier, il désinfecta rapidement le creux du coude et posa un garrot.

Après avoir passé une paire de gant, Akaashi tâta l'intérieur du bras, trouva une veine, piqua sans hésiter, posa un cathéter et le relia à la perfusion.

Du coin de l'oeil, il aperçut Tsukishima s'en saisir.

Le sucre fit effet immédiatement. La jeune fille reprit lentement conscience et balbutia des mots inintelligibles. Tout en prenant ses constances, Akaashi lui explique ce qu'il venait de se passer d'un voix calme :

— Vous avez fait une grosse chute de glycémie, il marqua une pause pour trouver sa tension à l'aide de son stéthoscope : « on vous a perfusé du glucose, il faut vous transporter à l'hôpital pour passer des examens. Vous êtes suivie quelque part ? »

— À Aoba.

Akaashi lança un coup d'oeil équivoque à Tsukishima. Il hocha la tête et quitta la pièce avec Yamaguchi pour ramener le brancard. Tout en restant attentif, Akaashi nota les nouvelles constantes de la victime sous l'oeil avisé d'Iwaizumi. Lorsqu'ils remontèrent, il l'éloigna d'un pas et les observa mettre la jeune sur le brancard. Il les suivit jusqu'au véhicule. Tsukishima amarra le brancard et s'installa à l'arrière du véhicule.

— Je transporte avec vous, lança Akaashi sans laisser le choix à Iwaizumi.

Alors qu'il montait à son tour, Bokuto l'interpella et lui adressa une grande tape dans le dos, amicale.

— T'as géré Akaashi.

Il hocha brièvement la tête sans se retourner et boucla sa ceinture. Les joues teintées de rouge, alors que les portes du véhicule se refermaient derrière lui, il espéra que personne ne le remarque.


* Le télex est un document envoyé par le 18 par le biais d'un fax, c'est l'ordre de départ de l'intervention. Il contient : le motif du départ, les informations notables sur la victime et l'adresse de l'intervention.

**Véhicule de Secours Médicalisé, c'est le véhicule de l'infirmier.

*** Véhicule d'Interventions Diverses et de Présignialisation

**** Les pompiers n'utilisent pas de GPS pour se rendre sur les lieux d'interventions car ceux-ci ne montrent pas les sens interdits et les couloirs de bus qu'on le droit d'utiliser les pompiers.