29 octobre

Oikawa s'étira. Une bonne douche après une course à pied faisait le plus grand bien ! Il sortit de sa cabine torse-nu, une serviette sur la nuque. Son sac à la main, il s'arrêta pour y trouver son portable. Seize heures passées, pile l'heure pour boire un chocolat chaud et voir si Kuroo allait prendre une douche. Sa manie d'avoir un seul casier avait des avantages et pas seulement pour lui. Diabolique, il sourit en songeant à la teinture et n'entendit pas la porte s'ouvrir.

Iwaizumi entra, aperçut Oikawa sur sa droite, et s'avança vers les cabines de gauche en priant qu'il ne l'ait pas vu.

Oikawa verrouilla son téléphone et s'apprêtait à le poser lorsque son regard se posa sur Iwaizumi qui s'engouffrait dans une cabine de douche.
— Tu as besoin que je vienne te savonner le dos, Iwa-chan ?
— Mais va t'faire foutre Bakawa !
— Déjà des mots d'amour ? Je ne t'imaginais pas si entreprenant Iwa-chan !

Oikawa étouffa un rire en imaginant le sergent se décomposer dans sa cabine.

Iwaizumi serra les dents, les poings, avant de rouvrir la porte d'un grand coup et de lui jeter sa bouteille de savon.

— Putain, mais pourquoi tu m'emmerdes autant ? T'as pas assez avec Kuroo ? gronda-t-il. Tout en récupérant la bouteille par terre, Oikawa haussa les épaules, soudainement

sérieux. Quelques secondes passèrent, une main sur la hanche, la seconde sous le menton, il lâcha :

— Je ne sais pas... C'est différent avec toi.
— Différent ? Différent de quoi ? T'es putain d'chiant dans les deux cas ! Rends-moi mon savon !

Oikawa prit quelques secondes pour réfléchir, en proie à un dilemme intérieur, il doutait de la conduite à tenir pour ne pas froisser le sergent.
— Tu te souviens de ce que tu m'as dit dans l'ascenseur ? demanda-t-il.
— Non, nia Iwaizumi.

Oikawa ignora la mauvaise foi cuisante du sergent et continua :

— Si j'avais eu plus de forces, et si le contexte avait été différent, je t'aurais embrassé.

Impossible. Absurde. Inimaginable. Trop abasourdi, Iwaizumi lista tous les synonymes qu'il connaissait. C'était improbable. Inconcevable. Stupide même ? Il fut incapable de prononcer le moindre mot, son cerveau venait de l'abandonner, comme les couleurs de son visage. Il ouvrit la bouche, mais aucun son n'en sortit. Il la referma.

Le manque de réaction du sergent provoqua une foule de sentiments contradictoires chez Oikawa qui alternait entre la peur et l'amusement. Il fit quelques pas en direction d'Iwaizumi et lui tendit la bouteille de savon :

— Tu ne voulais pas récupérer ton savon, demanda-t-il pour détendre l'atmosphère.

— Toi, commença Iwaizumi : « Toi... Tu s'rais gay ? »

Alors qu'Oikawa s'apprêtait à répondre, leurs bips retentirent. Iwaizumi, encore habillé, quitta en premier les douches. Oikawa rassembla rapidement ses effets et lui emboita le pas, le suivant jusqu'aux vestiaires rouges. Agacé, Iwaizumi s'arrêta sur le pas de la porte et lui jeta un regard noir :

— On a pas l'temps pour tes conneries, là.

Oikawa le contourna silencieusement, un sourire aux lèvres et s'engouffra dans le vestiaire. Il enfila une tenue de feu sous les yeux étonné de son équipe. Aucun n'eut le temps de faire un commentaire qu'il se dirigeait vers le standard où il récupéra le télex.

Il jeta un coup d'oeil à l'ordre de départ, feu de parc de stationnement couvert, puis il monta à l'avant du véhicule, laissant pantois ses hommes. Il leur adressa un signe de la main et Tanaka démarra, tous gyrophares dehors.

A mi-chemin, ses hommes râlaient de plus en plus fort. Tous se demandaient pourquoi c'était lui qui était monté à l'avant du véhicule et non Nekomata. Amusé, Oikawa se retourna et leur lança un regard rieur.

— C'est un accord entre Nekomata, le chef de centre et moi-même. Il se fait vieux, il est fatigué, alors j'assurerai un départ sur deux pour qu'il puisse souffler, dit Oikawa avant de se remettre face à la route, il s'adressa alors à Tanaka : « La prochaine à droite, ce sera sur notre gauche. »

Tanaka négocia un virage serré, les pneus du véhicule crissèrent sur le bitume. À la demande d'un capitaine, il amena la tonne au plus proche de l'entrée du parking et serra le frein à main.

— Kuroo, Iwaizumi, avec moi, on descend dans les sous-sols, ordonna Oikawa : « Bokuto, Yaku, vous montez en reconnaissance dans les étages et vous évacuez. Quand c'est fait, vous descendez directement au moins trois, le feu a pris à ce niveau d'après nos informations. »

Lorsqu'il eut terminé de parler, Oikawa enfila sa cagoule et se dirigea vers l'escalier de secours. Il entendit alors Iwaizumi s'emporter après Kuroo. Il s'apprêtait à se retourner quand une phrase l'interrompit dans son élan :

— Bordel Kuroo, joue pas au con, j'te dis qu'on peut lui faire confiance !

Oikawa ne s'attarda pas plus longtemps, il avait entendu le plus important. Le coeur gonflé de joie, il enclenchait la poignée de porte lorsqu'une main se posa sur son épaule. Il se retourna et fut surpris de voir Kuroo, Iwaizumi sur les talons.

— On descend jamais seul, on t'a pas appris ça à l'école, chef ?*

Oikawa ignora la pique du sergent et ouvrit la porte. Un épais nuage de fumée s'en dégagea alors qu'il la refermait.

— Changement de programme, Oikawa soupira et attrapa sa radio, : « Rez de chaussée enfumé, préparez le LCPS** et un secteur de tri***, le binôme d'attaque part en reconnaissance, je regagne la tonne. »

Les trois hommes se regardèrent un court instant.

— Vous descendez directement au moins trois, vous placez la ligne de vie et vous revenez, on vous prépare les moyens d'extinction, pas de risques démesurés.

Le binôme d'attaque hocha la tête avant de se cappeler****. Kuroo fut le premier à s'engouffrer dans l'épais nuage de fumée, vite suivi par Iwaizumi qui s'était relié à lui.

Kuroo progressait à l'aveugle dans les escaliers, la fumée était si dense malgré le faisceau lumineux de sa lampe qu'il ne parvenait pas à voir à un mètre devant lui. Arrivé à l'étage indiqué par le lieutenant, il ouvrit lentement la porte, n'y jetant qu'un bref coup d'oeil pour essayer de localiser le feu. Il cria pour se faire entendre d'Iwaizumi :

— On y va, amarre toi !

Ils s'engouffrèrent dans le niveau et firent une halte près de la porte. Iwaizumi attacha la ligne guide***** à ce qu'il reconnut être une poubelle et ils partirent à la recherche du feu.

Kuroo ne mis pas longtemps à trouver le foyer de l'incendie. Il s'était déclaré sur une voiture et s'était étendue à ses voisines. Il passa un message à la radio tandis qu'Iwaizumi attachait la seconde extrémité de la ligne :

— Feu localisé, on remonte !

Resté à la surface, Oikawa envoya l'information au poste de commandement. Alors qu'il vérifiait le bon amarrage des tuyaux au camion, sa radio grésilla :

— On est au cinquième, plus de victimes, on redescend !

— Dépêchez vous, le BAT****** remonte chercher les tuyaux, répondit-il à Bokuto.

Du coin de l'oeil, Oikawa évalua la situation.

Le binôme formé par Bokuto et Yaku avaient évacué pas loin de douze personnes, toutes plus au moins intoxiquées par la fumée, deux étaient brûlés. Des ambulances avaient été demandées en renfort pour évacuer les victimes vers l'hôpital le plus proche. Pendant ce temps, Kuroo et Iwaizumi étaient descendus au moins trois et avaient localisé le feu. Aucune fuite, aucun mort, ravie de ne pas avoir de tensions dans l'équipe, Oikawa sourit une nouvelle fois : L'intervention se passait bien, plus qu'il ne l'espérait.

Il passa un message radio au poste de commandement :

— Demande l'autorisation d'envoyer mes hommes au feu avec moyens d'extinction.

— Autorisation accordée Lieutenant.

Il acquiesça dans le vide pour lui même

— Tanaka ! La tonne est opérationnelle ?

Le conducteur fit le tour du véhicule et regarda les niveaux de l'engin, maintenant raccordé à la seconde tonne de l'intervention. Elle servait de point de liaison entre l'arrivée d'eau et la tonne des Corbeaux.

— Ouais pas d'soucis de mon côté. Vous envoyez quoi ?

Oikawa fronça les sourcils. Il disposait de mousse et d'eau. Chacun avait ses avantages et ses inconvénients. Il pesa brièvement le pour et le contre.

— On va envoyer la mousse.

Tanaka ouvrit la bouche pour rétorquer, mais le regard que lui lança Oikawa le fit taire instantanément.

— Ça fait un moment que ça crame la dessous, on va pas prendre de risques, si on envoie l'eau on va les faire sauter.

Le conducteur haussa les épaules, pas convaincu. Nekomata envoyait toujours de l'eau. Ça coutait bien moins cher au département. À la rigueur, il envoyait de l'eau dopée******, mais rarement la mousse directement.

Dans un grand fracas, la porte s'ouvrit sur Kuroo et Iwaizumi qui, malgré l'équipement lourd sur leurs épaules, coururent jusqu'à la tonne.

Oikawa cria pour se faire entendre des deux hommes :

— On envoie la mousse !

Ils hochèrent la tête sans faire de remarques, ce qui surpris à la fois Oikawa et Tanaka. Le lieutenant savait qu'il devait ça à l'intervention d'Iwaizumi.

Dès que Bokuto et Yaku furent à leur niveau, Kuroo et Iwaizumi s'engouffrèrent dans le bâtiment. Les deux binômes descendirent rapidement les trois étages, tirant le tuyau qu'avait préparé Tanaka.

— On est au foyer, envoyez la mousse !

Oikawa fit un signe de tête à Tanaka qui enclencha le dispositif. Le tuyau se mit à gonfler tandis que la mousse l'emplissait peu à peu.

Oikawa passa un nouveau message radio :

— Dès que vous avez fait redescendre la température, j'envoie l'eau. Aspergez le sol et le plafond en priorité !

À l'autre bout de la radio, Kuroo haussa un sourcil septique. Ils avaient toujours fait les extinctions depuis le point d'embrasement, ce qui lui semblait bien plus logique. Mais il n'était pas le chef, alors soit.

— On va attaquer le sol et le plafond, tiens toi prêt !

Iwaizumi surpris, s'encra dans le sol, mobilisant tout son poids pour maintenir contre lui le tuyau tandis que Kuroo ouvrait la vanne. La pression envoyée les fit reculer de quelques centimètres. Iwaizumi adapta sa position, il se rapprocha de Kuroo et mît un genoux à terre.

Restés en retraits, Bokuto et Yaku étaient tendus. Prêts à bondir au moindre pépin.

Kuroo orienta la lance vers le sol par accoup, le couvrant d'une épaisse mousse blanche que la chaleur faisait crépiter. Il savait que s'il aspergeait trop longtemps l'asphalte, la vapeur que produirait le contraste de température le brûlerait.

Entre la chaleur ambiante et l'effort fourni, le binôme d'attaque était en nage. La sueur qui dégoulinait sur leurs visages tendus leur piquait les yeux.

La lance fut orientée vers le plafond, rendant la température ambiante plus supportable. Kuroo diminua le débit et se saisit de sa radio d'une main :

— Vous pouvez envoyer l'eau, hurla Kuroo pour se faire entendre, le masque étouffant les sons et sa voix.

Il sentit le tuyau tressauter dans ses mains, l'épaisse mousse blanche se fit moins dense avant d'être remplacée par de l'eau. Il rouvrit sa vanne et fit un geste de la main à Iwaizumi. Ils entraient enfin en mouvement. Toujours attachés à la ligne guide, le binôme s'enfonça un peu plus profondément dans le parking, aspergeant à tour de rôle les voitures sur leurs gauches et celles sur leurs droites. Un bruit d'explosion parvint à leurs oreilles, ils se jetèrent au sol.

— Vous avez entendu, hurla Kuroo.

— Ça venait de derrière ouais ! Iwaizumi pointa de la main une épaisse porte métallique.

Kuroo braqua sa lampe sur la porte, cherchant un logo qui pourrait lui indiquer la nature de l'explosion.

— C'est la sortie, hurla Yaku en montrant le panneau lumineux accroché au dessus de la porte : « Y a des distributeurs automatique, ça doit être les canettes ! »

— Prévenez Oikawa, on continue d'avancer !

Iwaizumi sur les talons, Kuroo reprit son avancée et aspergea les dernières flammes qui courraient sur les véhicules. Ils passèrent le niveau à la caméra thermique, cherchant un quelconque foyer qui aurait pu leur échapper. Kuroo regarda chaque véhicule, chaque cloison, chaque ventilation.

— Iwaizumi, t'as fait les relevés ?

Il braqua l'appareil dans plusieurs direction avant de relever le regard vers Kuroo :

— Relevés non significatifs !

— Derniers foyers éteints, relevés CO non significatifs, en attente des ordres, brailla Kuroo à la radio.

— Ok, remontez, on envoie la ventilation !

Kuroo et Iwaizumi rejoignirent le second binôme et remontèrent les escaliers ensemble. Une fois à la surface, ils retirèrent rapidement leurs masques et casques avant de se laisser tomber au sol, lessivés.

Pour eux, l'intervention se terminait là. Ils n'avaient pour l'instant plus rien d'autre à faire que le reconditionnement du matériel, mais ça, ça pouvait bien attendre un peu.


* Utiliser chef dans le cas d'Oikawa qui est lieutenant revient à lui cracher dessus. Kuroo dégrade Oikawa en l'appelant comme ça.

** Lot Coussin Pneumatique de Sauvetage, c'est un coussin dressé en bas des immeubles pour réceptionner toute personne prête à sauter

*** Le secteur de tris est une zone où les victimes sont triées par ordre de priorité de prise en charge.

**** fait d'enfiler le masque de l'Appareil Respiratoire Isolant

*****La ligne guide est une corde avec des noeuds espacé de manière plus au moins régulière. Si en passant la main, on sent trois noeuds, puis un, cela veut dire qu'on se rapproche de la sortie, on se met "sur son trente et un", si au contraire, on sent un noeud puis trois, on s'approche du feu, le chiffre treize portant malheur.

****** Binôme d'attaque, celui qui part au contact de l'incendie

******* De l'eau avec une légère proportion de mousse