6 novembre

Oikawa déposa le seau d'eau au sol et sourit. Il s'étira, s'avança de nouveau vers la rambarde, et attendit. Kuroo, comme à son habitude, était arrivé plus tôt que lui, avait encore prit sa place de parking et devait encore en rire à l'heure actuelle, malgré la journée déjà passée.

Oikawa s'était donc amusé à poser un bloque-roue sur ce qu'il aimait appeler "son déchet". Chose qui le rendrait certainement en colère mais qu'il ne verrait pas, puisqu'ils ne partaient jamais au même moment. De plus, ce n'était que pour se venger de la place de parking, pas des trente-six réveils cachés dans sa chambre. Parce que oui, il avait eu le temps de compter durant sa longue nuit blanche lors de la dernière garde.

Il avait attendu toute la journée le moment propice pour faire sa seconde facétie. Ils s'étaient croisés toute la journée, partant à tour de rôle en intervention. Oikawa n'avait pas eu le temps de mettre son plan en exécution avant vingt heures. Heure à laquelle Kuroo rentrait de sa dernière intervention. Lorsqu'il quitta l'ambulance et se montra en contrebas de la barrière. Oikawa jeta un regard au seau qu'il avait remplis d'eau, de sucre et de colorant alimentaire… Rouge. Il savait qu'il lui avait pourri les cheveux, Kuroo s'était vengé en lui pourrissant sa nuit et donc son superbe teint. Maintenant, il allait lui renvoyer l'ascenseur en lui pourrissant sa peau et ses fringues.

Il jubila un instant et posa le seau d'eau sur la rambarde, attendant le moment adéquat pour le faire basculer. Lorsque Kuroo fut positionné en contre-bas du garde-fou, Oikawa fit basculer le contenu du seau. Dès que le contenu toucha Kuroo, Oikawa se recula de quelques pas et fila se barricader dans son bureau. Il tourna deux fois le loquet et baissa les stores. Il valait mieux que Kuroo ne le trouve pas avant quelques temps.

Quand Kuroo comprit ce qu'il venait de se passer, il leva la tête, calme. Puis, une tornade de sentiments l'envahit, prédominé par la colère.

— Enculé de Diva !

Il hurla si fort que toutes les têtes se tournèrent dans sa direction, qu'Iwaizumi sortit de la salle de sport, et qu'après de longues secondes de calme, plusieurs portes s'ouvrirent au second étage.

Oikawa allait prochainement mourir.

Sugawara et Yaku entrèrent dans la salle de repos. Interdit quelques instants, ils éclatèrent de rire malgré le silence de mort qui régnait. Le regard noir que leur jeta Kuroo ne fit que redoubler d'intensité leur hilarité, et même le regard navré de Bokuto ne le calma pas.

— Je crois qu'Oikawa a un problème avec le rouge, railla Yaku, les larmes aux yeux.

— Va te faire foutre !

— C'est la couleur qui va le mieux à Kuroo, même dans leurs conneries, il lui donne ce qu'il lui va le mieux au teint, explosa Sugawara.

— Au fond, il est pas si méchant, il te jette ce qui te va le mieux, renchérit Yaku.

Tant pis pour ses heures de sommeil, songea Yaku, voir Kuroo dans cet état méritait de perdre quelques nuits.

— Les gars… Vous devriez vous calmer… lança Bokuto, inquiet.

Sans un mot, Kuroo se retourna et se dirigea vers les douches. Il se rassura : Au moins, ces chaussures avaient été épargnées.

Il se dévêtit avant même de rentrer dans une cabine et délaissa ses vêtements trempés au sol. La porte s'ouvrit au même moment et Iwaizumi entra.

— L'eau était pas trop froide ? se moqua-t-il gentiment.

Kuroo grimaça, passa un doigt sur sa joue et le lipa.

— Pas si froide, mais sucré. Et rouge. Putain, c'est vraiment un connard, j'galère pas assez avec mes cheveux comme ça, pesta-t-il en rentrant dans une cabine.

Iwaizumi se cala non loin et haussa la voix pour se faire entendre malgré le jet d'eau et la porte close.

— Tu lui as fait quoi, c'te fois ?

— Presque rien ! C'était gentillet, j't'assure !

N'y croyant absolument pas, Iwaizumi jeta un regard désabusé à la porte.

— La seule personne avec qui t'as été gentillet, c'est Bokuto. Et encore, même avec lui t'abuses parfois.

— J'suis toujours gentil avec toi ! rétorqua-t-il du tac-o-tac.

— Parce que t'as trop peur que j'te frappe.

Le silence confirma sa réponse, il entendit Kuroo pester contre le sucre et se shampouiner une nouvelle fois.

— Alors ? reprit-il

— J'ai juste planqué quelques réveils dans sa chambre, à la dernière garde !

Iwaizumi soupira, se décolla de la porte et reformula :

— T'as juste empêché un supérieur de dormir, effectivement, c'est pas comme si l'être humain avait besoin de sommeil.

L'eau coula une nouvelle fois, puis s'éteint à nouveau.

— C'est pas pour une nuit, et il vient de me colorer la peau, en plus de mes cheveux, cet enfoiré ! A côté, moi, ça laisse aucune trace !

Levant les yeux au ciel, Iwaizumi s'apprêta à répliquer quand son bipeur sonna. Il jeta un coup d'oeil à la notification. Il partait sur une ambulance en chef d'agrée. Iwaizumi quitta la pièce au pas de course et se dirigea vers la standard où il récupéra le télex à la volée avant de se rendre à l'ambulance. Tsukishima et Yamaguchi s'y trouvaient déjà. Il s'assit côté passager et lu l'ordre de départ :

— On part sur une détresse respiratoire chez un enfant de six ans sans antécédents.

Lorsque toutes les portes furent fermées, Yamaguchi actionna le deux tons et le gyrophare, puis lança l'ambulance dans les rues de la ville.

L'intervention se déroulait à quelques rues de la caserne. Ils mirent seulement quelques minutes à arriver sur les lieux. Iwaizumi descendit le premier de l'ambulance et ouvrit les portes arrières, attrapant à la volée le sac d'oxygénothérapie. Tsukishima attrapa l'aspirateur de mucosité et le sac de secourisme. Ils grimpèrent les trois étages de l'immeuble et furent accueillit par une femme, en état de panique.

— On venait de le coucher quand il s'est mis à hurler qu'il n'arrivait pas à respirer !

— Où est-il ? demanda Iwaizumi avec calme.

La femme les conduisit à travers l'appartement jusqu'à la chambre. Alors que Tsukishima s'approchait de l'enfant, Iwaizumi prit la femme par le bras et la conduisit jusqu'à la porte de la chambre.

— Il vaudrait mieux que vous attendiez ici, vous voir paniquer serait contre productif madame.

— Mais c'est mon enfant !

Yamaguchi, resté en retrait, prit la relève d'Iwaizumi auprès de la mère de famille, le laissant regagner la victime.

Il regarda Tsukishima faire son bilan.

— Tension à 13.6, pouls à 160, O2 à 90, Tsukishima releva le t-shirt du garçon et regarda sa respiration, : "Balancement thoraco abdominal. »

Iwaizumi se tourna vers la mère de famille.

— Il a déjà fait des crises d'asthmes ? demanda-t-il.

— Non jamais. C'est grave ? Qu'est-ce je peux faire ?

Alors qu'Iwaizumi s'apprêtait à répondre, l'équipe du SMUR s'engouffra dans la chambre, intimant à la femme de quitter la pièce le temps qu'ils auscultent l'enfant. Elle continuait de parler, très vite, et il l'entendit continuer malgré la porte fermée.

— Aucun antécédent d'asthme, pouls rapide, saturation basse, balancement*.

Le médecin posa quelques questions à l'enfant et prit à son tour les constantes.

— Pouls à 162, O2 à 90. Pas de variation.

Iwaizumi pris en note les nouvelles constantes et s'adressa au médecin.

— On fait quoi ?

— Aucun facteur aggravant, la sat n'a pas l'air de bouger. On reprend les constantes et s'il n'y a pas de mouvement, vous mettez sous O2 et vous transportez jusqu'à Aoba en pédiatrie.

Iwaizumi hocha la tête et envoya Yamaguchi chercher le brancard.

— Pas de changement, murmura Tsukishima, le stéthoscope encore dans les oreilles.

La radio du médecin se mit à grésiller. Il s'écarta un instant.

— Écoutez, au vue de la situation, on vous laisse transporter.

Tsukishima fronça les sourcils.

— La saturation est vraiment basse il fa…

— Vous êtes médecin ? lâcha le médecin du SMUR.

— Non, pas encore, mais...

Le médecin lui coupa la parole :

— Passez vos diplôme et on en reparlera.

Alors que Tsukishima s'apprêtait à rétorquer, Iwaizumi posa une main sur son bras.

— Laisse, il est censé savoir ce qu'il fait, lâcha-t-il en observant l'homme.

Le médecin ignora la pique, rangea son matériel et partit.

Yamaguchi et Tsukishima emboitèrent le pas au médecin avec le brancard. Alors qu'ils descendaient la victime, la mère les suivit. Iwaizumi s'arrêta un instant :

— On transporte à Aoba, préparez toutes ses affaires et on vous prendra en charge à votre arrivée.

— Mais qu'est-ce qu'il a ? Vous savez ? Je peux venir avec vous ?

— Pour le moment, nous le transportons pour de la détresse respiratoire. Le médecin l'a vu, et nous allons faire au plus vite jusqu'à l'hôpital.

— Mais je peux pas venir avec vous ? lança-t-elle dans un ultime appel de détresse.

Iwaizumi savait que c'était son travail, mais c'était difficile de rester de marbre face à une mère apeurée. Il lui tint l'épaule quelques secondes :

— Vous êtes en état de stress, voir de panique. Si vous venez et qu'il vous voit comme ça, ça pourrait aggraver son état.

Elle hocha la tête en guise d'assentiment, bien que ses yeux brillaient de larmes, elle n'en lâcha pas une seule. Iwaizumi apprécia son courage et continua :

— Comme je vous l'ai dit, prenez ses affaires et conduisez prudemment. Votre mari est là ?

— Il ne va pas tarder, je l'ai appelé...

— S'il n'est pas loin, vous pouvez l'attendre et rejoindre l'hôpital après... Je dois vraiment partir, madame.

La femme lui adressa un léger sourire et le remercia tandis qu'il s'élançait au pas de course.

Lorsqu'il arriva en bas de l'immeuble, le brancard était amarré. Iwaizumi jeta un coup d'oeil à l'intérieur du véhicule et ferma les portes. Il rejoignit Yamaguchi à l'avant.

Yamaguchi mit le contact et prit la direction de l'hôpital. La circulation était moins dense qu'au départ, permettant à Yamaguchi d'évoluer dans la ville avec plus de fluidité. Alors qu'il prenait un virage, Iwaizumi entendit un cri retentir de l'arrière du véhicule :

— Il rentre en arrêt !

Le sang d'Iwaizumi ne fit qu'un tour, il hurla à Yamaguchi de marquer l'arrêt. L'ambulance fit quelques mètres et monta sur un trottoir, s'arrêtant au milieu de celui-ci. Iwaizumi se précipita hors du véhicule et ouvrir la porte coulissante.

Tsukishima était à califourchon sur le brancard et exécutait un massage cardiaque. Iwaizumi agrippa sa radio et passa un message d'alerte.

— VSAV 1, victime en arrêt, à l'angle du Boulevard et de la Cinquième, demande un SMUR en urgence ! cria-t-il.

Il ouvrit en vitesse les tiroirs de l'ambulance et attrapa à la volée le ballon à valve unilatérale qu'il appliqua sur la bouche de l'enfant. Lorsque Tsukishima eut fait ses quinze compressions, il marqua une pause, laissant le temps à Iwaizumi de faire les deux insufflations avec le ballonnet. Ils gardèrent ce rythme jusqu'à l'arrivée du SMUR. Un nouveau médecin s'engouffra dans l'ambulance.

En arrêt depuis dix minutes, aucune réaction au massage.

Le médecin fit s'écarter Iwaizumi et passa de l'adrénaline dans les veines de l'enfant. Voyant les bras de Tsukishima faiblir, Iwaizumi le remplaça sur le brancard et reprit le massage. L'adrénaline n'ayant aucun effet sur l'enfant, le médecin l'intuba.

Aucun des massages ne faisant effet, le SMUR ordonna à Yamaguchi de les conduire à l'hôpital.

— Continuez le massage, il faut sauver les organes, ordonna le médecin.

Iwaizumi serra les dents, continuant d'appliquer à intervalles réguliers des compressions sur la cage thoracique de l'enfant. Lorsqu'ils furent arrivés à l'hôpital, des infirmiers vinrent prendre sa relève.

Iwaizumi les regarda s'éloigner. Comme bloqué dans son propre corps, il fut incapable de bouger même quand le brancard disparut de sa vision. Il avait déjà perdu des personnes, malheureusement, il n'était pas médecin, seulement pompier. Il se mordit la langue à cette réflexion et se tourna vers Tsukishima.

Ce dernier était resté près de leur véhicule, les bras croisés et le visage baissé. Yamaguchi était à ses côtés, silencieux. C'est lui qui l'avait forcé à se taire. S'il ne l'avait pas fait, l'enfant serait peut-être encore vivant. Son estomac se retourna, il prit une grande inspiration et s'avança vers ses collègues.

— On rentre, je conduis.

Sans un mot de plus, il s'installa dans l'ambulance. Il attendit que les deux hommes fassent de même et démarra. C'était le premier enfant que perdaient Tsukishima et Yamaguchi, et il n'avait aucune idée de quoi leur dire. Ça faisait parti du métier, il le savait, eux aussi. Les mots étaient parfois inutiles, et là, Iwaizumi s'avait que c'était le cas. Y comprit pour lui. Ce n'était que le troisième qu'il perdait en six années de service, et ça ne l'aidait pas pour autant. C'était toujours le troisième de trop.

Ils finirent par arriver à la caserne dans un silence glacial. Ils descendirent ensemble. Le premier à rentrer dans la salle de repos fut Tsukishima, suivit de Yamaguchi. Le premier ignora royalement ses collègues et monta les escaliers deux par deux. Yamaguchi l'observa, défait.

Sugawara fut le premier à comprendre, se lever et à s'avancer.

— Qu'est-ce qu'il s'est passé ? demanda-t-il.

Incapable de répondre, Yamaguchi baissa la tête, ses larmes coulèrent d'elles-mêmes. Iwaizumi s'approcha, posa une main sur la tête de Yamaguchi et répondit :

— Un enfant. On a perdu un gosse.

Il frotta les cheveux de son collègue une dernière fois et s'écarta. Sugawara prit le relai en l'attrapant par les épaules et en l'amenant jusqu'au coin cuisine. C'était dur. Chacun réagissait à sa manière, sans pour autant que ce soit la bonne ou la mauvaise.

Yaku prépara du chocolat chaud et une partie de leur troupe s'ameuta dans la cuisine. Kuroo s'approcha d'Iwaizumi, lui donna une tape amicale sur l'épaule et monta aux chambres. Tsukishima avait plus besoin d'aide que lui, c'était certain. Bokuto vint à son tour mais ne fit aucun commentaire. Il savait qu'Iwaizumi ne parlerait que s'il le voulait. Il était là, et son ami le savait, c'était le plus important.

Iwaizumi refusa le chocolat chaud que lui proposa Yaku et s'enferma dans la salle de sport. Plus en colère que triste, il s'avança vers les punching-ball, enfila des gants de boxe et se mit à frapper. Il imagina pendant plus d'une heure la tête de se foutu médecin, ainsi que les mots qu'il aurait pu dire pour le convaincre ou aider Tsukishima. Au bout de deux heures, il fit une pause, souffla un coup, bu, et recommença. À la troisième heures, il finit par s'asseoir et reposa ses bras. Douloureusement chaud, il sentit ses muscles crier sous l'effort pour porter sa bouteille d'eau. Cela lui fit étrangement du bien.

Epuisé, il tourna la tête et nota les quelques personnes encore présentes. Minuit venait de passer, et aucune nouvelle intervention n'avait sonné pour lui. Fatigué, il défit ses gants et décida d'aller se doucher.

L'eau chaude lui fit un bien fou, et il somnola même sous le jet. Sa conscience le ramena à l'ordre après un moment, et il en sortit, ensommeillé.

La présence d'Oikawa, près de la porte, ne le raviva pas. Il s'approcha et, quand il fut a porté de bras, Oikawa lui posa une main sur l'épaule.

L'air sérieux de son lieutenant lui fit froncer les sourcils.

— Je… il s'arrêta un instant et sembla chercher ses mots « Ma porte est toujours ouverte. » lâcha-t-il.

Iwaizumi hocha la tête en guise d'assentiment.

Oikawa hésita. Devant l'absence de réaction d'Iwaizumi, il le prit un instant dans ses bras puis le relâcha avant de quitter la salle de bain.

Surpris, Iwaizumi n'esquissa pas un geste et le regarda partir bêtement. Il serra le poing après quelques secondes et baissa la tête. Oikawa était un idiot, mais un idiot sympathique. S'il était venu jusque là, ce n'était pas simplement par devoir professionnel, il le savait. Et savoir qu'il était aussi bien entouré lui dénoua légèrement l'estomac.

Remuer plus longtemps cette histoire ne servirait à rien, de toute manière, il était incapable de penser.


* Le balancement thoraco-abdominal est un signe correspondant à un mouvement paradoxal de l'abdomen. Durant l'inspiration, pendant la contraction du diaphragme, l'abdomen s'expend et la cage thoracique se rétracte. La respiration est alors inefficace, le VC étant réduit pour un effort musculaire accru.