7 novembre
Iwaizumi se réveilla en sueur, une nouvelle fois. Assis dans son lit, il se frotta le front, les yeux et attrapa son portable. Il était cinq heures trente. Au final, il avait été incapable de dormir plus de trente minutes consécutives. Agacé, il décida de se lever. Akaashi dormant encore, il sauta souplement du lit et vérifia qu'il ne le réveilla pas. Rassuré que ce ne soit pas le cas, il récupéra quelques vêtements et sortit de la chambre. Quelques-uns de leurs collègues en douze heures étaient dans la salle de repos. Il les salua d'un geste et alla se servir un café. Sachant qu'il n'avait rien à faire, et qu'hier soir, il avait déjà trop tiré sur son corps, Iwaizumi décida de s'asseoir devant la télé. Comme Sugawara dormait, ce n'était pas un téléfilm de Noël, et il pourrait toujours zapper comme il le voudrait.
Il ne sait pas à quel moment il avait commencé à somnoler, mais lorsqu'il reprit conscience, la pièce de vie commençait à se remplir avec le personnel du tour trois. Il jeta un bref coup d'oeil à l'horloge qui indiquait maintenant huit heures moins le quart. Il étira ses lombaires et avala d'une traite son café froid. Il grimaça.
Tandis qu'il attrapait une pomme pour croquer dedans, Nobuteru fit son apparition à la porte et l'interpella.
— Iwaizumi, dans mon bureau, tout de suite.
Il serra les dents. L'intervention de la veille était forcément remontée jusqu'aux oreilles du chef de centre. Ils ne perdaient pas une victime tous les jours, et encore moins un enfant.
Il opina et emboita le pas à son supérieur, montant sans broncher l'escalier qui le séparait des bureaux. Nobuteru entra en premier dans la pièce et l'invita à faire de même. Alors qu'il s'apprêtait à fermer la porte, une main l'en empêcha. La porte se rouvrit sur Oikawa qui lui adressa un léger sourire en entrant à son tour dans la pièce. Il ne lui adressa pas plus qu'un regard.
Le chef invita Iwaizumi à s'asseoir, chose qu'il fit. Oikawa resta quant à lui adossé au mur, près de la porte. Il n'avait pas pipé un mot.
— J'ai cru comprendre que la fin de soirée avait été compliquée, lâcha Nobuteru.
Iwaizumi serra une nouvelle fois des dents et acquiesça. Il n'avait rien à répondre à ça.
— Est-ce-que tu peux m'expliquer ce qu'il s'est passé ? demanda Nobuteru, : « Je ne t'ai pas convoqué pour te faire la morale, personne n'aurait pu prévoir... ça. »
— Si j'avais insisté un peu plus, il serait peut-être encore là, souffla Iwaizumi en crispant ses mains sur les accoudoirs du fauteuil.
Il s'obstinait à fuir le regard de son supérieur, fixant avec détermination ses rangers.
— Tu ne peux pas prévoir ce genre de chose, Iwaizumi. Le SMUR vous a demandé de transporter sans eux, tu n'as fait qu'obéir.
Le sergent haussa les épaules, il ne l'entendait pas de cette oreille. La culpabilité était trop lourde à porter.
— Justement ! Tsukishima a essayé de parler, et je l'ai empêché, si ça s'trouve...
Iwaizumi se tut en se mordant la lèvre inférieure. Il croisa ses bras douloureux sur son torse et se renfrogna.
— Il existe une cellule psychologique... Si tu en éprouve le besoin, ils sont au courant de ce qu'il s'est passé hier.
Il balaya la proposition d'un revers de la main.
— Vous vouliez m'dire autre chose, chef ?
— Je comprends que tu ne veuilles pas en parler à un psy, mais si jamais tu en ressentais le besoin, le Lieutenant Oikawa et moi-même sommes là pour ça.
Oikawa qui était resté en retrait et silencieux jusqu'à présent hocha la tête à l'affirmative, une expression neutre sur le visage.
— Ouais, j'sais, il marqua une pause : « merci. »
Nobuteru se releva de son fauteuil et fit des pas en direction de la porte. Il s'arrêta un instant et lança un regard à Iwaizumi.
— Ça va aller, chef, lança-t-il pour le rassurer.
Iwaizumi salua son supérieur et quitta son bureau, Oikawa sur les talons. Ils se regardèrent un instant sans rien dire. Lorsqu'Iwaizumi se tourna vers les escaliers, une main se posa sur son épaule.
— Tu comptes rentrer directement chez toi ? demanda Oikawa, : « Parce que sinon… Je connais un café sympa pas très loin d'ici. »
Ne se formalisant pas de la main sur son épaule, Iwaizumi hésita un instant. Il n'avait pas dormi de la nuit, mais être seul chez lui ne changerait rien à son mal être et ne le ferait pas dormir non plus. Au moins, le lieutenant avait pour mérite de lui changer les idées. Même si c'était, jusqu'à présent, en lui cassant les pieds.
— Pourquoi pas, dit Iwaizumi en haussant les épaules, : « Faut qu'j'aille me changer avant. »
Sans attendre son lieutenant, il descendit les escaliers et alla jusqu'à sa chambre. Akaashi n'y était plus, il s'y changea donc et descendit au niveau inférieur. Oikawa l'y attendait, détendu.
Sans un mot, il entama le pas et ils allèrent jusqu'à sa voiture. La moto de Kuroo était encore présente, il devait dormir. Iwaizumi laissa son regard s'attarder sur le rouge vif de la voiture mais ne fit aucune remarque, il n'avait pas envie de se battre maintenant.
— Je te présente mon bébé ! Installe-toi, on en a pas pour longtemps de toute manière.
Oikawa jeta un coup d'oeil en coin à Iwaizumi, vérifiant qu'il ait bien mis sa ceinture. Il mis le contact et fit ronronner le moteur, un sourire béat sur le visage. Il sentit le regard d'Iwaizumi, lourd de jugement.
— Vous êtes vraiment les mêmes, lâcha Iwaizumi.
La remarque amusa et agaça Oikawa.
Il quitta sa place de parking et s'engouffra dans la circulation. Iwaizumi fut étonné de voir le lieutenant respecter les limitations de vitesse et les distances de sécurité. Il l'aurait imaginé plus imprudent. Comme lui avait dit Oikawa, ils ne mirent pas longtemps à atteindre le café.
— Des… Donuts ? Iwaizumi haussa un sourcil, intrigué, : « C'est pas trop gras pour toi, ça ? »
— Qu'est-ce que tu insinues ? Que je suis gros ? s'offusqua Oikawa.
— Non, que t'es une diva qui doit faire attention à tout, lâcha-t-il platement.
Oikawa l'ignora, poussa les portes du café et fut accueillit par une serveuse, qui le reconnut immédiatement.
— Oh, Oikawa, contente de vous voir ! Vous auriez dû appeler, on vous aurait préparé votre table !
Iwaizumi nota qu'Oikawa, en avançant, avait changé de posture. Il le voyait adresser des sourires aux différentes serveuses, il minaudait, ce qui eut le don de l'agacer.
— T'es obligé de faire ça ? lança Iwaizumi une fois assis.
Oikawa lança un énième sourire avant de répondre :
— Non, absolument pas, il feuilleta distraitement la carte, : « Mais elles aiment ça. »
— Sérieusement ?
— Oui, elles aiment se sentir importantes, alors à chaque fois, je prends un peu de mon temps pour parler avec elles, il haussa les épaules, : « Une idée de ce que tu veux manger ? »
Iwaizumi prit la carte, tout lui paraissait trop sucré, mais une exception ne pouvait pas lui faire de mal.
— Si j'savais pas que t'étais idiot, j'pourrais très mal interpréter c'que tu dis. Celui au chocolat noir nappé de miel à l'air pas mal, avec un café... Et toi, tu prends quoi ?
— Du chocolat noir, Oikawa grimaça : « Je prends toujours la même chose, un donuts au kinako, un glacé à la fraise et une grande tasse de chocolat chaud. »
Iwaizumi posa la carte et laissa son regard vaguer sur son collègue. Oikawa était un bel homme, c'était refuser l'évidence que de le nier. Il l'imaginait bien passer des heures dans la salle de bain. Ses farces avec Kuroo l'amusaient assez pour qu'il ne s'en mêle pas, mais ça lui prouvait qu'il pouvait certainement s'entendre avec lui. Ajouter à ça que maintenant, il était certain que son lieutenant avait des goûts enfantins, ça le fit sourire très légèrement. Oikawa était une personne bien étrange. Etrange, mais attachant. Il baissa le nez sur la table au moment même où il songea ça. Il fronça les sourcils et mit ses pensées sur son manque de sommeil.
— Tu viens souvent ici, alors ? lança-t-il pour tenter d'effacer ses idées.
— Avant chaque prise de garde oui, Oikawa prit une serviette et se mit à la plier distraitement avant de reprendre, : « Pépé m'a toujours dit que le petit-déjeuner était le repas le plus important de la journée, c'est resté. »
— Pépé ? Tu... Iwaizumi referma la bouche, puis la rouvrit : « Qui est pépé, sans indiscrétion. »
Oikawa lança un sourire amusé à Iwaizumi. Il ne le connaissait pas si curieux.
— C'est indiscret, Iwa-chan, mais je vais te répondre, il déplia la serviette et posa l'origami devant lui, : « Mes parents n'étaient pas souvent à la maison quand j'étais enfant, pépé était leur majordome, il m'a pour ainsi dire, élevé. »
Faisant fi de ce surnom stupide, Iwaizumi posa un coude sur la table et son menton au creux de sa main. Aujourd'hui, il mettrait absolument tout sur le compte de la fatigue si l'idiot lui faisait quoi que ce soit comme remarque désobligeante.
— Donc tu viens d'une famille de bourges... Tes parents travaillent toujours trop, je suppose.
Oikawa gloussa.
— Ça dépend ce que tu entends par « bourges », mais on peut dire ça je suppose... il haussa les épaules avant de reprendre, une expression plus sérieuse sur le visage; « Ma mère est secrétaire d'état, elle a un logement de fonction, elle ne rentrait presque que pendant ses vacances. Mon père passait le plus clair de son temps à l'étranger, il gère les ressources humaines et la com' de sa boite, ce qui l'a emmené à partir souvent aux États Unis. »
— Wow. À côté, j'ai l'air de rien, sourit Iwaizumi.
La remarque d'Iwaizumi surprit Oikawa.
— Le boulot de tes parents ne définit pas qui tu es, Oikawa fit un mouvement de main pour passer à autre chose, : « Pourquoi tu es rentré chez les pompiers ? »
La question le prit au dépourvu.
— Je… Je voulais juste aider les gens. Je me voyais mal rendre la justice et j'ai pas la tête à faire médecin. Mon père m'a proposé de faire un stage, les pompiers peuvent commencer à l'âge de quatorze ans en tant que jeune sapeur, j'ai accepté et j'y suis resté.
— Ça te va bien je trouve, pompier.
— Moi, j'suis étonné que tu sois là-dedans. T'as fait une grande école, non ? Pourquoi là-dedans et pourquoi atterrir ici ? T'avais pas d'autres choix ?
La serveuse les interrompit un instant pour prendre leur commande.
— Comme d'habitude pour moi, lâcha Oikawa avec un sourire, : « Pour mon collègue ce sera un café noir et un donuts au chocolat noir nappé miel. »
Il la remercia et la congédia d'un sourire avant de retourner son attention vers Iwaizumi.
—Tu vas te moquer de moi c'est certain... Quand j'étais petit, je suis monté sur le toit de notre résidence, et je n'ai jamais su comment redescendre. J'ai paniqué et me suis mis à pleurer, alors pépé à appeler les secours, commença à raconter Oikawa, légèrement embrassé : « Lorsque je les ai vu arriver avec la grosse échelle, j'ai tout de suite arrêté de pleurer. J'étais admiratif. Ce jour-là, j'ai su que je deviendrais pompier. »
La serveuse déposa les deux plateaux et s'éloigna rapidement.
— Pour ce qui est de l'école... Tu sauras, mon cher Iwaizumi, que j'ai terminé major de promotion, lâcha Oikawa, visiblement fier de lui : « J'avais le choix en terme de casernes. Si j'ai rejoins celle des corbeaux, c'est pour pépé. Quand il a pris sa retraite, il a emménagé à quelques rues de la caserne. Travailler là-bas me permet de le voir régulièrement. »
Iwaizumi retint un rire à l'anecdote. Cependant, la raison du choix de sa caserne étouffa sa moquerie dans l'oeuf. Il avait compris qu'Oikawa était un quelqu'un de bien, mais il ne pensait pas qu'il pouvait être aussi sentimental.
— Je t'avoue que j'ai bien envie de me moquer, mais quand on est gosse, on fait tous des choses idiotes.
Iwaizumi prit sa tasse et réchauffa ses mains avec, avant de reprendre :
— Pépé à l'air d'être quelqu'un de bien, souffla-t-il avec un sourire.
Oikawa acquiesça, il porta le beignet à ses lèvres, croqua dedans et demanda :
— Tu connais Kuroo et Bokuto depuis longtemps ? Vous avez l'air proches.
— Ouais. On l'est. J'les ai rencontrés lors de la formation pour devenir pro'. Ils se connaissaient déjà, et, va savoir pourquoi, ils m'ont tout de suite adopté. Bokuto est vraiment quelqu'un de bien quand il est pas... En badmode, prie pour jamais voir ça. J'sais que tu t'entends pas avec Kuroo mais... Il fixa Oikawa dans les yeux : « Je trouve franchement que vous vous r'ssemblez sur certains points, vous êtes des sales gosses tous les deux. »
Oikawa fit mine d'être outré et prit une moue boudeuse.
— T'as l'art d'attirer les sales gosses alors, il jeta son dévolue sur une nouvelle serviette qu'il entreprit de plier, : « Tu parais froid mais tu as l'air de t'entendre assez bien avec tout le monde, finalement. »
Ce fut au tour d'Iwaizumi d'être surpris, cette fois.
— Froid ? Hm... Disons que j'ai l'habitude d'être entouré d'idiot, il bu une gorgé et grignota son donuts. Ce fut meilleur que ce à quoi il s'attendait : « Alors j'évite de trop parler, mais apparemment, ça les éloigne pas pour autant. » sourit-il : « Sinon, je suis simplement pas démonstratif de base, contrairement à toi. »
Oikawa se contenta de regarder Iwaizumi. Il semblait de moins mauvaise humeur qu'à son entrée dans le café. La constatation mit du baume au coeur à Oikawa qui déplia son nouvel origami. Il le tendit à travers la table à Iwaizumi.
— C'est pour toi, souffla-t-il en lui adressant un sourire.
Iwaizumi termina son donut, s'essuya les doigts et s'en saisit. Il l'observa longuement, avant qu'un sourire n'étire ses lèvres :
— C'est censé représenter quelque chose ? taquina-t-il.
— C'est une grue, s'offusqua Oikawa, : « Ça représente beaucoup de choses. »
Iwaizumi le regarda, interrogatif, Oikawa reprit donc :
— Tu ne connais pas la légende des milles grues ?
— Non… C'est connu ?
— Plutôt oui, il marqua une pause, : « La légende dit que si on plie mille grue dans l'année en faisant un voeu à chaque fois et qu'on les relie par un fil, notre voeu de bonheur, d'amour ou de longévité sera exaucé », il termina son donuts, « la personne qui détient le senbazuru* est souvent quelqu'un de spécial. »
— Qui le détient ? Pas celui qui la fait ?
Oikawa baissa son regard sur son chocolat chaud qu'il se mit à touiller.
— Toujours d'après la légende, on confectionne le senbazuru pour un être qui nous est cher. La guirlande symbolise un peu cet attachement.
— Oh.
Iwaizumi joua longuement avec l'origami, tout en prenant garde à ne pas le froisser. C'était une jolie légende.
— Tu en as déjà fait une ? s'entendit-il demander.
— Non, je n'ai pas encore trouvé d'être spécial à qui offrir mon voeu, murmura Oikawa.
Iwaizumi observa la grue, il avait demandé à Oikawa ce que c'était par pure taquinerie, on voyait parfaitement ce que c'était. Il avait dû passer de longs moments à en faire.
— Tu as mis combien de temps à apprendre à faire ça ?
— Pas très longtemps, mentit Oikawa.
Iwaizumi le fixa, peu convaincu.
— T'es doué dans tout ce que tu fais, c'est ça ?
Oikawa afficha un large sourire, le même qu'il faisait dès qu'il entrait quelque part et qui déplaisait à Iwaizumi.
— T'as tout compris, Iwa-chan !
En réalité, Oikawa avait passé des nuits entières à confectionner ces grues durant son enfance. Souhaitant à chacune d'entres elles voir ses parents revenir. Avant la millième, il s'était rendu à l'évidence : il fallait bien plus que des oiseaux de papier pour faire rentrer ses parents.
Iwaizumi leva les yeux au ciel, peu convaincu.
— Si t'as fini, j'aimerais rentrer.
Il se leva, paya leurs consommations et sortit sans même attendre Oikawa. Contrairement à son habitude, il se dépêcha de le rejoindre.
— Je te ramène ? proposa-t-il.
Iwaizumi fourra une de ses mains dans ses poches, l'autre prise par l'origami.
— Non c'est bon, j'habite pas si loin et j'ai envie de marcher.
Il se détourna pour entamer son pas, avant de s'arrêter et de regarder Oikawa. C'était une tentative grossière de lui changer les idées, ou au moins de lui remonter le moral, et c'était réussit. Désormais, Iwaizumi ne pouvait nier la gentillesse de son lieutenant. Ça restait un emmerdeur de premier ordre, mais pas un connard finit. Il toussota pour se donner contenance et lança :
— Merci. Pour le café, et le reste, et euh... La grue, fit-il en la désignant, maladroitement, il ajouta : « À la prochaine ? »
Oikawa lui sourit.
— À la prochaine, prononça-t-il si bas qu'Iwaizumi crut rêver.
Il lui fit un signe de la main et s'éloigna à son tour.
* guirlande formée par les milles grues
