12 novembre
Il ne se rappelait plus à quel moment de la soirée il avait commencé à avoir si chaud. Akaashi, qui avait déjà enlevé son manteau et son pull, défit les deux premiers boutons de sa chemise. Il agita sa main devant son visage pour créer un mince filet d'air.
— Tout va bien ? s'inquiétât Bokuto.
Bokuto était proche d'Akaashi, beaucoup trop proche. C'était certainement lui qui lui tenait aussi chaud, songea-t-il. Il but une gorgée dans son verre.
— C'est fou, murmura-t-il pour lui-même.
Il avait le sentiment que cette bière était interminable. Il bu une nouvelle gorgée.
— T'as pas l'air dans ton assiette, renchérit Bokuto en se dandinant.
— Tu me donnes chaud, souffla Akaashi.
Kuroo, assis à côté de lui, manqua de s'étouffer avec son whisky en entendant ces mots. Il s'attira un nouveau regard noir de Tsukishima.
— C'est pas moi qui te donne chaud, c'est la bière, rigola Bokuto en tendant son jus de fruit à Akaashi.
Il le remercia poliment et bu une bonne gorgée. Il avait l'affreuse impression que sa bière ne se terminerait jamais.
Akaashi avait écouté les différentes discussions, rythmées entre les anecdotes de la caserne et celles des couples. Il avait noté également que Tsukishima et Kuroo semblaient en froid et qu'Oikawa avait l'air plus proche physiquement d'Iwaizumi qu'au début de leur soirée.
Il reposa les yeux sur son verre et soupira. Kuroo l'avait forcé à prendre une seconde bière, et depuis il avait l'impression que tout allait très vite en étant très lent.
Kuroo l'observa et sourit. Il ne pensait pas qu'on pouvait si peu supporter l'alcool et s'il n'était pas aussi sadique, il aurait pu le prendre en pitié. Dommage, ce n'était pas le cas.
Tsukishima lui donna un nouveau coup de coude.
— Quoi ? demanda-t-il un peu plus sèchement qu'il ne l'avait voulu.
— Change de place avec moi.
— Pourquoi ?
Tsukishima soupira, se leva et le força à bouger. Bien que mécontent, Kuroo obtempéra. Il n'avait pas envie de trop attirer l'attention lui aussi.
— Si tu lui reprends un quatrième verre, je t'assomme, grogna Tsukishima.
— Oh, et tu me traîneras jusqu'à la maison, lança Kuroo dans son oreille.
— Je te laisserais plutôt dans la benne la plus proche, lâcha-t-il, stoïque.
Kuroo fut outré, agacé mais loin d'abandonner, il sourit malicieusement. Approchant son tabouret de son amant, il glissa une main sur sa cuisse à l'insu de tous et prit son verre de l'autre.
— Je peux savoir ce que tu fous ? lâcha Tsukishima, les dents serrés.
— Je te l'ai dit, j'ai plus que toi à embêter. Tu l'as cherché.
Ils s'observèrent en chien de faïence de longues secondes. Kuroo en profita pour se pencher, remonter la main vers son aine et ajouter :
— Akaashi est presque ivre, Bokuto est déjà au courant et les autres ne font pas attention, tu veux vraiment qu'on nous regarde alors que personne ne voit rien ?
Tsukishima se mordit les lèvres et serra les poings sous la table. Kuroo avait raison, les couples à leur gauche ne pouvaient rien voir à moins de les fixer, Iwaizumi et Yamaguchi étaient déjà au courant alors ils s'en moquaient et Oikawa semblait trop absorbé par Iwaizumi pour ne serait-ce que les regarder.
— Tu es le pire chieur que je connaisse, lâcha-t-il finalement.
— Tu m'as quand même choisi.
— Et je me demande encore pourquoi.
Kuroo commença à caresser sa cuisse, fit mine de réfléchir et lança :
— Parce que je suis beau, sympathique et affectueux ?
— Prétentieux.
— Je connais mes charmes. Et je n'en ai pas honte.
— C'est un reproche ?
— Une remarque.
Akaashi bouscula Tsukishima, sans le vouloir et sans même y prendre prêter attention. Le couple coupa court à leur future dispute et se tourna vers lui, il semblait soudainement joyeusement fatigué.
Bokuto passa une main dans son dos.
— Akaashi ? demanda-t-il.
Akaashi plongea son regard dans le sien.
— On t'a déjà dit que tes yeux ressemblaient à des pépites d'or ? murmura Akaashi : « Ils sont si singuliers. Je les adore. »
— Merci ! Bokuto passa sa main sur sa nuque, légèrement embarrassé.
Kuroo rit discrètement, Tsukishima le foudroya du regard. Akaashi, qui n'avait absolument pas remarqué qu'ils le fixaient, ajouta :
— Je pourrais les regarder pendant des heures.
— Akaashi, tu te sens bien ? demanda à nouveau Bokuto.
— J'ai chaud... marmonna-t-il.
Hésitant, Bokuto posa finalement une main contre son front. Il ne lui parut pas fiévreux, mais Akaashi soupira de bonheur.
— Tu as les mains fraîches, ça fait du bien.
Satou, près d'eux, le scruta quelques secondes, attira Bokuto vers elle et lui conseilla de l'emmener aux toilettes pour qu'il se passe un peu d'eau sur le visage. Parfaitement d'accord, Bokuto entraîna Akaashi à sa suite, qui se laissa faire.
Il entendit le rire de Kuroo, suivit d'un geignement de douleur de sa part quand ils passèrent derrière eux. Bien qu'adorant son meilleur ami, il remercia Tsukishima intérieurement.
Bokuto ouvrit la porte, tira Akaashi et referma derrière eux. Sans attendre, Akaashi se pencha au dessus du lavabo et fit couler l'eau. Il mouilla sa nuque et ses joues, puis soupira. Il respirait déjà mieux et la quiétude des wc soulagea son crâne.
— Tu te sens mieux, demanda doucement Bokuto, près de lui.
— Je crois.
Akaashi passa une main humide dans ses cheveux et observa son reflet. Il lui semblait débraillé. C'est qu'il devait l'être, songea sa conscience. Quand est-ce qu'il avait enlevé son pull ? se demanda-t-il. Bokuto bougea dans son champ de vision, il l'observa à travers la glace. Sa précédente question disparut quand il tomba à nouveau dans les yeux dorées de son collègue.
— Akaashi ?
— Oui ?
— Tu avais l'air perdu.
— Je crois que je le suis.
Bokuto fronça les sourcils :
— Qu'est-ce que tu veux dire ?
Akaashi ouvrit la bouche pour répondre, puis la referma sans rien dire. Il se pencha une nouvelle fois au-dessus du lavabo, s'aspergea entièrement le visage cette fois, puis se redressa. Bokuto eut la gentillesse de lui tendre du papier alors qu'il se laissait glisser contre un mur. Il ferma les yeux et laissa son crâne collé contre la faïence. Il sentit plus qu'il ne vit Bokuto s'asseoir près de lui.
Quand il rouvrit les yeux, Akaashi fut incapable de dire combien de temps s'était écoulé. Quelques secondes, des minutes ou des heures, mais il n'était plus dans la même position qu'au départ. Surpris, il se décala et leva la tête, Bokuto baissa la sienne au même moment. À quelques centimètres l'un de l'autre, ils se fixèrent en silence. Le coeur d'Akaashi battit si fort qu'il eut l'impression de redescendre soudainement et s'écarta vivement.
— Pardon je me suis endormi je crois, lâcha-t-il si vite que Bokuto ne comprit qu'un mot.
— Oui, tu t'es endormi, affirma-t-il.
Il rangea son téléphone dans sa poche et continua un peu plus gaiement :
— Mais c'est pas grave, t'as dis que tu supportais mal l'alcool alors c'est pas étonnant. Tu vas bien ? T'as l'air vachement pâle.
Akaashi, livide, balbutia quelque chose d'inaudible avant de se reprendre :
— J'ai dormi... Sur ton épaule ? Longtemps ?
— T'inquiète, elle est solide, rit-il en faisant quelques mouvements circulaires : « Moins d'une demi-heure. T'as dormi moins d'une demi-heure. »
Ne pouvant devenir plus blême, Akaashi demanda d'une voix blanche :
— Les autres sont venus ?
— Kuroo et Tsukki, ils étaient inquiets, mais ils sont repartis.
Bokuto pesa le pour et le contre, puis décida d'omettre la dispute du couple devant lui. Kuroo les avait prit en photo, Tsukishima, déjà énervé s'était... Encore plus énervé. Bref, une broutille de plus entre les deux et Tsukishima avait dû partir du bar dans la foulée.
— Kuroo a dû les prévenir que t'allais bien, personne d'autre n'est venu, ajouta-t-il après quelques secondes : « On y retourne ? Promis, je te prends un verre d'eau au passage. »
— Volontiers, lâcha Akaashi en attrapant la main tendue.
Il prit tout de même une grande inspiration et réajusta sa chemise. Il préféra ignorer comment il avait pu penser à se débrailler autant et s'apprêta à suivre Bokuto quand une pensée l'arrêta :
— Bokuto ?
Ce dernier se retourna.
— Je… Je n'ai rien dit de bizarre ? s'inquiéta-t-il.
— T'as dis que tu aimais mes yeux, répondit Bokuto avec un grand sourire.
— Eh bien... Ça parait si bizarre que ça de les trouver jolis ? bafouilla Akaashi.
Bokuto haussa les épaules, il ne s'était pas posé la question.
— C'est pas à moi qu'il faut demander ça, il rit doucement, : « Si ça peut t'rassurer, moi aussi j'adore tes yeux. »
Akaashi sentit la chaleur remonter d'un seul coup jusqu'à son visage. Il lâcha un vague « merci » et passa devant Bokuto, la tête baissée :
— On devrait y aller, les autres vont s'inquiéter.
Après une dizaine de pas, Akaashi regretta presque d'être sorti des toilettes. Outre la musique plus forte que ce qu'il pensait, Satou était parfaitement visible et dansait joyeusement sur la table, Michimiya l'accompagnait au sol et Sugawara les observait, dépité. Il avait sûrement tenté de la faire descendre, sans succès. Sawamura faisait un nouveau bras de fer contre Tanaka et si Yaku baillait, c'est que Tanaka devait perdre depuis de longues minutes.
L'absence de Kuroo et de Tsukishima l'intrigua, mais il n'y prêta pas plus attention que ça et s'approcha de la table. En le voyant passer, Oikawa se pencha un peu plus vers Iwaizumi :
— En couple, ces deux là, ou alors, ils vont pas tarder à l'être !
Iwaizumi les fixa, puis demanda :
— Et qu'est-ce qui t'fais dire ça ?
— Il l'a bouffé des yeux toute la soirée, lâcha Oikawa, : « Et puis, ils sont toujours ensemble. »
— Lequel a bouffé des yeux l'autre ? Akaashi semble à moitié bourré et Bokuto est un idiot qui fixe tout le monde, sourit Iwaizumi. Ce n'était pas le plus flatteur pour ses collègues, mais pousser et écouter les raisonnements d'Oikawa était un nouveau jeu qu'il appréciait.
Oikawa passa un doigt sur ses lèvres, songeur.
— Je suis certain que l'infirmier en pince pour Bokuto. Ça crève les yeux. Tu veux parier ?
— Comme tu l'as dis, ça à l'air de crever les yeux, alors non. Mais il vient pas de la haute comme toi ? C'est pas censé être mal vu, chez vous ?
— En général ça passe mal oui. Surtout que ses parents ont une réputation à entretenir.
Iwaizumi se tourna vers lui :
— Tu les connais ?
— Je les ai déjà croisés à des galas de bienfaisance oui. Ma mère est une donatrice pour la fondation que gère son père, un homme assez dur, je crois.
Suite à son affirmation, Iwaizumi fixa Akaashi. Si ce que disait Oikawa était vrai, cette histoire promettait d'être problématique.
— Et sinon, tu crois que Tanaka va renoncer avant d'atteindre les cinquante défaites ou pas ? continua Oikawa sur une note plus légère.
— Borné comme il est, il est capable d'atteindre les cents voir les milles, tu veux dire...
Ils rigolèrent en silence un instant, et Oikawa reprit :
— Combien de temps avant que Sugawara descende Satou de la table ?
Iwaizumi regarda sa montre. Il était plus de minuit passée et le bar allait fermer d'ici deux heures. Il imaginait mal Sugawara attendre jusque là.
— Trente minutes ?
— Autant de temps ? J'aurais parié sur moins.
— Qu'est-ce que tu veux parier ?
Iwaizumi se surprit lui-même, il n'était pas si joueur que ça, mais dans l'ambiance festive, il y avait quelque chose de surréaliste.
— Un cinéma, répondit Oikawa du tac au tac.
C'était à ses yeux une super sortie. D'autant plus qu'il souhaitait par-dessus tout voir le dernier film à l'affiche.
— Deal, accepta Iwaizumi. Un cinéma, ce n'était pas excessif, et puis, au pire, il n'entendrait pas Oikawa parler pendant l'heure puisqu'il serait obnubilé par le film.
— Et toi ? Qu'est-ce que tu souhaites parier ?
— Organiser une journée avec les gamins du quartier à la caserne, lâcha-t-il platement.
— Le pouvoir des officiers, plaisanta Oikawa, : « Mais ça me convient. ».
Oikawa porta son verre d'eau à ses lèvres et en bu quelques gorgées. Son regard ne lâchait pas Satou. Il espérait la voir descendre de la table assez rapidement. Il s'adossa à la banquette et jeta un coup d'oeil à la montre d'Iwaizumi. Plus que vingt deux minutes avant qu'il ne perde. Oikawa espérait sincèrement emporter son pari. Une sortie au cinéma serait l'idéal pour passer un bon moment avec Iwaizumi.
La déesse de la chance fut avec lui, Satou manqua de glisser et se rattrapa de justesse. N'y tenant plus, Sugawara l'attrapa par la taille et la descendit contre son gré.
— Ah ! Oikawa lança un nouveau regard vers la montre d'Iwaizumi, heureux : « Dix sept minutes, j'ai gagné ! »
— Seulement parce qu'elle a faillit tomber, répliqua Iwaizumi.
Oikawa balaya les propos d'Iwaizumi d'une main.
— Tu me dois un cinéma, il baissa le ton pour se faire entendre uniquement par le sergent : « Iwa-chan. »
Iwaizumi tiqua au surnom.
— Si tu le veux vraiment, fais gaffe à comment tu m'appelles, ShittyKawa.
Le lieutenant s'offusqua et s'apprêtait à répondre quand Sugawara prit la parole :
— Bon, je crois qu'on va rentrer nous, s'excusa-t-il en maintenant sa conjointe vacillante par la taille : « Merci pour cette soirée, c'était ma foi, fort agréable. »
Sugawara adressa un signe de main à ses collègues et entraina Satou, prenant soin de l'accompagner dans toute la traversée du bar. Un bruit attira leur attention, et Bokuto se précipita derrière eux. Il tira Kuroo de justesse avant qu'il ne tombe, ce dernier se redressa, tituba jusqu'à leur banquette et se laissa tomber contre le dossier
Il marmonna quelques mots avant de soupirer :
— Fatigué, grogna-t-il en descendant le verre d'eau que venait de se faire servir Akaashi.
— Désolé, lança Bokuto pour son ami.
Akaashi hocha la tête et se leva :
— Je vais y aller, de toute manière. Merci encore pour cette soirée, elle était excellente, lança-t-il assez fort pour que tout le monde l'entende.
Bokuto jeta un regard à Akaashi puis à Kuroo. Il souhaitait pouvoir ramener les deux chez eux, mais avant qu'il n'ait pu dire quoi que ce soit, Michimiya lança :
— On va te ramener, Akaashi ! Tu es venu en transport en commun, non ? Ce sera plus sûr avec nous, sourit-elle.
Akaashi la fixa, surpris, mais accepta volontiers.
— Cela ne vous ennuie pas ?
— Pas du tout, il faut bien une raison pour que Daichi s'en aille également, râla-t-elle plus bas alors que son conjoint continuait d'écraser volontiers Tanaka.
— Akaashi ! Bokuto fit les quelques pas qui le séparaient de son ami : « Donne moi ton numéro. »
— Tu as de quoi noter ?
Bokuto récupéra son téléphone dans son jean et le déverrouilla. Il le tendit à Akaashi, qui nota rapidement les dix chiffres, se fit sonner et lui rendit son téléphone.
— Dis moi quand tu es arrivé, j'en dormirais pas de la nuit sinon, souffla Bokuto en lançant un regard à Akaashi.
Agréablement surpris, Akaashi sourit franchement, le baume au coeur :
— C'est promis.
Pour l'une des premières fois de sa vie, Bokuto sentit son coeur rater un battement.
