20 novembre

Il pleuvait légèrement quand il entra dans le cinéma. Iwaizumi défit sa capuche et ébouriffa ses cheveux, déjà en batailles. Son téléphone affichait 19h45, il était plus en avance qu'il ne le pensait, la pluie lui avait forcé le pas. Le dernier message d'Oikawa datait de deux heures, pour lui rappeler sa promesse ainsi que l'heure de la séance, le tout, souligné d'un smiley. Malgré sa réticence pour ce film là, Oikawa avait argué qu'en ayant gagné le pari, Iwaizumi n'avait le choix. Et il avait comprit, par la même occasion, qu'Oikawa adorait les extra-terrestre et tout ce qui s'en approchait de près, ou de loin. Fait assez... Perturbant, qu'Iwaizumi décida de classer dans la catégorie « insolite ».

À 19h52, n'ayant pas de nouvelles d'Oikawa, il décida d'acheter les places et de l'attendre près de la porte, à l'intérieur. La pluie s'accentuait, et il espéra que son lieutenant n'ait pas eu d'accident.

Bien qu'ils n'étaient pas de garde, Iwaizumi savait que la journée avait été longue pour les pompiers. Les intempéries soudaines de la matinée et de l'après-midi avaient surpris de nombreuses personnes.

À 19h56, Iwaizumi prit une nouvelle fois son portable et hésita à l'appeler. S'il était en route, c'était une mauvaise idée, et s'il lui posait un lapin, il ne répondrait pas.

Iwaizumi fronça les sourcils et serra son téléphone. À quel fichu moment il pouvait penser que cette sortie était une sorte de... rendez-vous ? Il remit les mains dans les poches, tourna le dos aux portes et ancra son regard dans l'une des nombreuses télévisions.

Il avait perdu un pari stupide, il allait voir un film stupide, avec une personne... qu'il appréciait. Merde, qu'il le veuille ou non, il appréciait vraiment Oikawa, sinon, il n'aurait jamais accepté ça. Faire les choses à contre-coeur, ce n'était pas son style, il était trop honnête pour y arriver. Et maintenant, il se retrouvait à attendre cet idiot, -parce que oui, Oikawa pouvait et était un idiot quand il s'y mettait-, à l'intérieur d'un cinéma avec des places déjà payées en priant qu'il ne lui soit rien arrivé. Iwaizumi soupira, passa une main sur son visage puis dans ses cheveux. Il se sentait stupide, il n'aimait pas ça, et il venait d'être certain que cette situation n'était pas anodine. Enfin, si, elle était censé l'être, mais avec les insinuations d'Oikawa, elle ne lui semblait pas. Il ferma le poing, reprit son téléphone et s'apprêta à appuyer sur son nom. Après tout, il saurait vite s'il se moquait de lui ou non, comme ça, et si c'était le cas, il allait l'encastrer quelque part.

— Iwa-chan !

Iwaizumi tourna la tête, Oikawa arriva à sa hauteur, trempé mais tout sourire.

— Désolé, j'ai eu du mal à me garer, et il y a un monde fou à cette heure-là, je ne pensais pas.

Iwaizumi le fixa longuement, sans répondre.

— Ils vont passer une chouette soirée, les collègues, plaisanta Oikawa en se dirigeant vers le kiosque à pop-corn : « Tu veux quelque chose ? »

De retour sur Terre, Iwaizumi rangea son portable et le suivit.

— Pop-corn salé, j'ai déjà prit les places et la séance va commencer, il est vingt heures, lâcha-t-il platement.

— Tu as des goûts vraiment étrange ! Oikawa s'adressa à la vendeuse : « Un pop-corn salé et un sucré s'il vous plait. Avec une bouteille d'eau, merci. »

— Tu veux vraiment parler de goûts étranges ? Parce que ton film à l'air d'être le pire du siècle.

Oikawa s'offusqua.

— On ne l'a même pas encore vu ! Tu jugeras après.

Dépité, il prit son sachet pendant qu'Oikawa payait et rétorqua :

— Pas besoin d'être Tarantino pour voir qu'à la bande d'annonce, c'est mauvais.

Ils se dirigèrent vers leur salle.

— Je te laisse choisir la place ?

Iwaizumi sourit, la salle était entièrement vide. Sarcastique, il lança :

— C'est sûr que là, j'ai le choix.

Il s'avança vers le milieu et choisit la place la plus centrée. Les publicités défilaient, et ils eurent le temps nécéssaire pour se mettre à l'aise avant que le film ne débute.

— Si la bande annonce ne suffisait pas à te convaincre, et la salle vide non plus, j'me demande si tu s'ras pas capable d'apprécier le film quand même alors qu'on est sûr qu'il va être mauvais...

Oikawa asséna un petit coup de coude à Iwaizumi.

— T'es vraiment méchant Iwa ! Profite de notre rendez-vous, lâcha gaiement Oikawa.

Iwaizumi s'étouffa avec son pop-corn à la réplique. Oikawa gloussa et lui tendit la bouteille d'eau.

— Je sais que je te fais de l'effet, mais je ne m'attendais pas à celui-là.

— Tu m'tueras un jour ! s'étrangla Iwaizumi.

Oikawa ouvrit la bouche, puis la referma. Il sourit tristement et tourna la tête vers le mur :

— J'ai failli réussir, effectivement, tu devrais te méfier de moi.

Iwaizumi le fixa quelques secondes, referma la bouteille et prit une grande inspiration discrètement. Cette histoire était derrière lui, il pensait que c'était aussi le cas pour son lieutenant. Il laissa la bouteille dans le coin de son siège et posa la main sur les cheveux d'Oikawa. Ce dernier tourna les yeux vers lui, la mine sombre.

— J'suis vivant, commença Iwaizumi : « C'est tout ce qui compte, alors range ta tête de chien battu. Et t'as intérêt de r'garder ce film, parce que j'ai pas payé pour rien, même si c'est un navet. » Il lui frotta vivement les cheveux, au point de lui secouer la tête et le faire pester. Râlant contre « cette brute » qui en plus avait défait sa « magnifique coiffure », un sourire naquit quand même sur le visage d'Oikawa.

La salle se plongea dans le noir et les deux hommes tournèrent la tête vers la projection. Durant la séance, Oikawa jeta quelques regards à Iwaizumi. Il l'entendait soupirer et l'avait vu plusieurs fois lever les yeux au ciel. Il devait trouver le film nul. Et même si cela lui coutait, Oikawa était bien obligé d'admettre qu'il n'avait pas tort. Malgré son attrait pour les Aliens, Oikawa n'avait pas réussi à accrocher. Partiellement à cause du sergent, mais surtout parce que les scènes étaient sur-jouées et les effets spéciaux... Bidons.

Lorsque le film se termina près de deux heures plus tard, Iwaizumi retint un soupire de soulagement. C'était le plus gros navet qu'il avait eu l'occasion de voir cette année, et il ne manquerait pas de le rappeler au lieutenant.

Ils quittèrent la salle en silence. Dehors, la pluie s'était arrêté. L'odeur de l'humidité leur emplit les narines, les flaques énormes et les torrents qui coulaient le long des routes prouvaient que le déluge venait de cesser.

— Ton film était... Nul, lâcha Iwaizumi en levant la tête au ciel.

Le ciel se dégageait peu à peu.

Oikawa se mordit la langue, un sourire étira ses lèvres et il lâcha sur le même ton :

— Effectivement.

Ils s'observèrent longuement suite à sa réplique, avant d'exploser de rire tous les deux.

— Plus jamais ça, lâcha Iwaizumi.

— Plus jamais ça, confirma-t-il.

— Sérieusement, si je tenais pas mes paris, je s'rai parti dès le début !

— Ça va, ça va ! La prochaine fois, j'en choisirai un mieux !

— La prochaine fois, c'est moi qui choisis, ouais. J'suis pas assez fou pour retenter le coup.

Oikawa bouda quelques secondes, mais ne tint pas longtemps. Iwaizumi sous-entendait qu'il y aurait une prochaine fois, ça lui chauffa le coeur. Il fit quelques pas hasardeux et changea de sujet :

— Avec ce qu'il est tombé, les gars doivent avoir bien bougé... Je suis curieux de voir la montée d'un des fleuves.

L'hypnotisant mouvement de l'eau était un spectacle que beaucoup appréciait, Iwaizumi inclus. La mer n'était pas loin, et quand les grosses pluies tombaient chez eux et en amont, les fleuves qui y débouchaient prenaient des allures de torrents et de flots puissants. La nature rappelait à quel point elle pouvait être dévastatrice.

— Y'a pas eu de débordements, si ? demanda Iwaizumi.

— On aurait bipé sinon. Je ne pense pas.

Iwaizumi entama son pas.

— J'suis curieux aussi, mais on reste sur nos gardes. Pas la peine d'aller faire les cons et de se noyer.

— Comme si on pouvait être aussi stupide !

Il ignora le regard éloquent d'Iwaizumi et le suivit jusqu'à l'une des berges les plus proches. Les étoiles apparaissaient timidement derrière les nuages, mais il était certain que l'orage n'était plus là. Iwaizumi remit sa capuche. Sous la lumière des lampadaires, les ombres tranchaient son visage. La buée s'échappait de ses lèvres à un rythme régulier. Quand il tourna la tête vers lui, il s'arrêta, Oikawa fit de même, sans le quitter du regard.

— Oikawa.

— Oui ?

— Si j'ai un truc sur la gueule, tu f'rais mieux d'me l'dire et d'regarder où tu vas.

Dans l'incompréhension, Oikawa eut une moue désappointée et tourna les yeux devant lui.

— Oh.

Le lampadaire se trouvait à cinquante centimètres de lui. Il eut un rire gêné et fit un pas de côté pour l'esquiver.

— J'étais perdu dans mes pensées.

— Tu f'rais mieux d'éviter, ça à pas l'air de te réussir quand tu marches, se moqua Iwaizumi en reprenant sa route.

— Est-ce que tu es incapable de dire une chose gentille ou est-ce que c'est un privilège que tu me réserves ? râla Oikawa, boudeur.

Et cette fois, il regarda bien devant lui.

Iwaizumi haussa les épaules, Bokuto pleurnichait souvent à cause de ça, lui aussi.

— J'suis pas très doué pour être gentil.

— Je suis sûr que tu peux l'être.

— T'es l'genre de type à râler parce que je l'suis pas et à se moquer de moi le jour où je l'serais.

Ils arrivèrent près d'un pont. Ils descendirent sur l'une des berge où un sentier bétonné longeait le fleuve, entouré d'herbe et de cailloux. Comme prévu, l'eau se déversait avec puissance et frappait dans différents rochers habituellement visibles.

— Je plains les plongeurs cette nuit. Elle a l'air froide, ça me tente pas du tout.

— En parlant de plongeur... T'es chef du GRIMP alors que t'as peur du vide. Pourquoi pas avoir demandé à être chef des Plongeurs, plutôt ? lâcha Iwaizumi en s'approchant d'un caillou.

— Parce que Tabeta semblait tenir à ce poste. Et toi, pourquoi le GRIMP ?

— Parce que c'est cool. Et que j'aime les défis. Et que Kuroo est un idiot qui a réussit à m'entraîner là-d'dans avec Bokuto, soupira-t-il en souriant.

Il jeta sa pierre et fit six ricochets malgré l'eau tumultueuse.

— Comment tu fais ça ? s'exclama Oikawa.

— Des ricochets ? Avec une pierre et une main. Suffit d'en trouver une plate, ajouta-t-il quand Oikawa lui lança un regard agacé. Il trouva une pierre plate et demanda : « T'es capable de te salir les mains ? »

Oikawa la tendit pour toute réponse. Iwaizumi lui donna la pierre, en prit une pour lui et s'avança :

— T'as juste à l'envoyer en faisant en sorte que le côté plat touche l'eau le plus parallèlement possible.

Il lança sa pierre, qui fit sept ricochets, regarda Oikawa et sourit :

— Ça devrait pas être compliqué pour quelqu'un qui est doué dans tout.

Fierté oblige, Oikawa leva le menton, s'approcha à la même hauteur qu'Iwaizumi et tenta le coup. Il réussit à en faire trois. Heureux comme un gosse, il s'extasia.

— C'est que des ricochets, tu sais ? osa Iwaizumi.

— Du premier coup !

— Je t'ai trouvé un bon caillou.

— Tu essaies de diminuer ma réussite ?

— J'dis juste que j't'ai trouvé un bon caillou.

Par orgueil, Oikawa se mit en tête d'en chercher un lui-même. Iwaizumi le regarda faire, amusé. Il en trouva un, renouvela l'expérience et réussit à en faire quatre.

— Tu vois !

— Trop fort, ironisa Iwaizumi.

— J'arrive à en faire autant que toi en moins de quatre essais.

— T'es vraiment un gamin, t'es au courant ?

Oikawa lui tira la langue, il leva les yeux au ciel. Incapable de l'arrêter, et n'en ayant pas envie, Iwaizumi l'observa. Habillé avec une grosse écharpe, un long manteau et de jolies chaussures, il allait hurler quand il se rendrait compte qu'elles étaient boueuses. Ses cheveux, malgré qu'il se soit plaint, étaient encore coiffés. Son nez retroussé, ses lèvres pleine et la délicatesse de son visage lui donnaient la possibilité d'être mannequin. Oikawa correspondait aux beautés typiques de la société.

— T'as vu ? s'écria Oikawa.

Iwaizumi sortit de sa contemplation.

— Non.

— Tu regardais pas !

— Non.

— Iwa-chan ! Qu'est-ce que tu faisais, alors, hein ?

— T'as les chaussures pleines de boue.

Oikawa resta interdit quelques secondes, puis s'exclama :

— Oh non, je ne veux pas quelles restent tâchées, pépé va me tuer !

Iwaizumi se tourna et étouffa un rire.

— Pourquoi tu ne me l'as pas dit avant !

— T'avais qu'à pas descendre. Ou vouloir aller dans la boue, tout simplement.

— Je voulais voir l'eau ! Tu t'es approché, dans l'herbe, et dans la boue, monsieur-on-doit-faire-attention !

— T'es puéril.

— Mes chaussures sont probablement fichues, se justifia Oikawa.

Iwaizumi retourna sur le chemin, Oikawa pleurnichait toujours.

— Peut-être que tu peux les ravoir, fit-il alors qu'ils atteignaient la route et le passage piéton. L'eau s'écoulait toujours en abondance sur chaque côté de la chaussée et les flaques ne manquaient pas. Oikawa passa devant lui, et, tournant le dos à la route, il commença à râler alors qu'une camionnette arrivait.

— Iwa-chan, le cuir est une ma-…

— Oikawa, le coupa-t-il.

Il ouvrit la bouche pour répondre quand la camionnette passa près d'eux.

Les flaques d'eaux se changèrent en une immense vague. Vague qui fut projetée sur eux. Trempé, Oikawa baissa la tête, mortifié.

Iwaizumi tenta de ne pas rire, il se tourna, mais ses épaules secouées le trahirent. Oikawa s'éloigna de plusieurs pas de la route, Iwaizumi fit de même. Seul son bas de pantalon avait été touché, ce qui ne le gênait pas le moins du monde.

— Tu comptes rire jusqu'à quand ? demanda platement Oikawa, contrarié.

— Désolé, mais ta tête... s'esclaffa Iwaizumi.

— Je peux pas monter dans ma voiture comme ça, pleurnicha-t-il pour toute réponse.

— Trop loin pour rentrer à pied ?

— J'habite dans un lotissement à la périphérie, alors oui, c'est beaucoup trop loin, bougonna-t-il.

Iwaizumi prit quelques inspirations pour se calmer. Le feu piéton passa au vert, il traversa et entraîna Oikawa à sa suite.

— Aller, viens chez moi, j'vais te prêter des fringues.

— Tu ferais ça ?

— Si tu te tiens à carreau et que t'arrêtes de chouiner, ouais.

Oikawa ferma la bouche et posa une main dessus. Un sourire éclaira son visage, mais il resta silencieux, comme demandé. Iwaizumi avait beau être brusque, au fond, Oikawa le trouvait adorable.