22 novembre
Bokuto s'arrêta devant l'immeuble et le fixa d'un air mauvais. Akaashi s'arrêta près de lui, sans comprendre. Ils avaient bipé sur une personne restant à terre suite à une chute, qui semblait s'être en réalité cassée le fémur, et venait d'arriver sur les lieux.
— Un problème ? demanda Akaashi.
— Ça pue.
Akaashi cligna plusieurs fois des paupières, essaya de détecter une quelconque odeur sans y parvenir.
— Je... Tu es sûr ?
Bokuto se tourna vers lui, l'air mécontent.
— J'vais servir à rien et les gars vont s'éclater. C'est nul. L'inter' pue.
Akaashi resta interdit quelques secondes, Bokuto continua donc :
— L'immeuble fait dix étages. Si y'a vraiment quelqu'un qui s'est pété le fémur au dernier, on va s'faire chier pour le descendre par les escaliers.
Et encore, si on peut le faire, râla-t-il en reprenant son avancée.
Akaashi réajusta son sac, qu'il sentait déjà trop lourd, et le suivit. Il avait à peine commencé ses séances de sport avec Bokuto et il en avait encore des courbatures. Ils entrèrent. Comme annoncé, il n'y avait pas d'ascenseur et ils prirent les escaliers. Mécontent, Bokuto les monta deux par deux, Akaashi tenta de suivre son rythme, difficilement. Arrivé au quatrième, Bokuto se tourna vers lui :
— Tu veux que je prenne ton sac ?
— Ça ira merci, mais je veux bien qu'on aille un peu… Moins vite.
Bokuto s'excusa et ralentit la cadence.
— T'as encore des courbatures à cause de l'entraînement, non ? Donne-le.
— Je veux y arriver, et je vais y arriver, affirma Akaashi, têtu.
Bokuto n'insista pas. Ils gravirent les six étages restants, non sans mal dans le cas d'Akaashi qui dû reprendre son souffle une fois. Bokuto, comme pour leur entraînement, l'encouragea du mieux qu'il put.
Lorsqu'ils arrivèrent, Bokuto lui donna une tape sur l'épaule et passa la porte. Ils furent accueillis par Sugawara.
— C'est... Un gros gabarit, murmura-t-il avant qu'Akaashi ne pénètre dans le salon.
Akaashi fronça les sourcils et vit, avachit sur son canapé, un homme d'une quarantaine d'année en obésité morbide. Il plaignit un instant ses collègues à qui il incomberait de le descendre.
— Bonjour monsieur, je suis l'infirmier.
Une plainte passa la barrière de ses lèvres alors qu'Akaashi passait le brassard à son bras pour prendre sa tension. Il la nota machinalement sur son document et prit ses autres constantes.
— Vous avez mal monsieur ?
— Il hurle dès qu'on essaie de le déplacer, marmonna Yaku : « Il a balbutié quelques mots à notre arrivée mais plus rien depuis. »
Akaashi se retourna et jeta un coup d'oeil à Bokuto. Il était en train de discuter avec Sugawara.
— Ouais, j'pense qu'il faut demander les gars là. Même avec moi j'suis pas certain qu'on le descende. La baie vitré est plus large que la porte, en plus.
Akaashi prépara machinalement une perfusion d'antalgique et prépara le bras de l'homme. Il chercha du bout des doigts une veine à piquer au creux du coude, chercha une seconde fois avec insistance et maugréa.
— Je ne vais pas pouvoir passer par le bras, lâcha l'infirmier.
Sugawara interrompit sa conversation avec le sergent et s'approcha à grandes enjambées d'Akaashi.
— Comment ça ?
Akaashi expliqua brièvement la situation. Le réseau veineux était dissimulé par une épaisse couche de graisse, ce qui l'empêchait de trouver une veine à piquer.
— Je tente la main, sinon faudra appeler un médecin et passer par une voie veineuse centrale.
Sugawara hocha la tête et resta aux côtés d'Akaashi pendant qu'il tâtait sa main. Il ne trouva rien sur la première, se saisit de la seconde et commença la palpation. Il poussa une petite exclamation lorsqu'il en sentit une rouler sous ses doigts. Il désinfecta le terrain et piqua.
L'antalgique ne mit que quelques minutes à agir.
— Qu'est ce qu'on fait maintenant ? demanda Akaashi.
— Tu vas enfin voir le GRIMP en action, lâcha platement Bokuto, visiblement déçu de ne pas en être.
Akaashi posa une main sur son épaule et la pressa doucement avant de retourner auprès de la victime, presque inconsciente désormais. Il prit un pouls au niveau de sa jugulaire et constata une nette amélioration, preuve que le médicament soulageait l'homme.
La radio de Sugawara grésilla. Il entendit distinctement la voix de Sawamura.
— On est en chemin avec le lieutenant, on monte directement au toit et on le descend.
— On vous le coque ? demanda Sugawara.
Sawamura répondit par l'affirmative et à ces mots, Nishinoya s'élança hors de l'appartement, Bokuto sur les talons. Ils remontèrent quelques minutes plus tard avec la coquille et la pompe. Bokuto étendit le matelas de sable sur le sol et l'approcha au maximum du canapé.
— On l'fait rouler ? tenta Bokuto.
Sugawara lui lança un regard réprobateur et demanda :
— Tu te sens de prendre le haut seul si je m'occupe du bas avec Yaku ?
Bokuto haussa les épaules.
— On l'tente et on avise.
La perfusion à la main, Akaashi monta sur le canapé et essaya de ne pas gêner ses collègues dans leurs mouvements. Ils s'y reprirent à plusieurs reprises, lutèrent quelques minutes, mais l'homme termina sur le matelas. Ils poussèrent un soupir de soulagement.
— Ne comprimez pas le bras, il faut laisser le produit passer, lâcha l'infirmier à ses collègues.
Nishinoya et Bokuto acquiescèrent et rabattirent les rebords du matelas. Sawamura passa une sangle dans les poignées et maintint une pression dessus pendant que Bokuto décompressait le matelas. Lorsqu'il devint aussi solide que du béton, Bokuto retira la pompe, s'approcha de la baie vitrée et ouvrit grand les fenêtres. Il regarda en bas et fit de grands mouvements de bras. Akaashi comprit que le GRIMP était arrivé.
Kuroo sortit du véhicule d'un mouvement souple et répondit à Bokuto d'un geste.
— La nuit est belle, lança-t-il à Iwaizumi qui venait de sortir à son tour.
Sawamura les rejoignit, accompagné d'Oikawa.
— Pas de vent, pas de nuage, un immeuble de dix étages... continua-t-il.
Iwaizumi prit les équipements, leur donna et répondit :
— Quoi, tu vas râler et pleurer que tu vas t'endormir ?
— Dis, tu crois que lequel de nous deux arrive le premier là-haut ?
Blasé, Iwaizumi le fixa :
— Arrête tes conneries de suite.
— Quoi, j'vais pas demander ça à Oikawa, y'a aucun défi à le faire. Puis même si y'avait du défi, il oserait pas le relever et encore moins monter là-haut, argua-t-il d'un air narquois.
Le lieutenant s'approcha, un air mauvais. Iwaizumi soupira, et Sawamura attendit de voir jusqu'où ils oseraient aller.
— Je peux savoir ce que vous sous-entendez, sergent ? gronda doucement Oikawa, une main sur la hanche.
— Que vous sortez d'une école, que vous venez à peine de commencer sur le terrain et, oh... Que vous avez peur du vide. Ironique pour le chef des GRIMP.
Railleur, Kuroo cala son équipement et prit ses sacs, tout en continuant de le défier du regard.
— Je suis en parfaite forme physique, pesta Oikawa.
— Ça, c'est que vous dîtes.
— Iwaizumi, lança sèchement Oikawa : « Ton équipement. »
Surpris, Iwaizumi le dévisagea.
— Quoi ?
— Donne moi ton équipement.
— Vous allez sérieusement jouer à qui à la plus grosse alors qu'on est sur une inter' ? s'exclama-t-il.
— Sergent, c'est un ordre.
— Et si vous vous cassez la gueule dans les escaliers ? pesta Iwaizumi : « Sérieusement, les gars ? »
— Ok, on sait que vous vous détestez, mais là, vous abusez, ajouta Sawamura.
Kuroo et Oikawa les ignorèrent. Ils n'avaient pas la moindre idée d'à quel point la rancune commençait à les ronger. La journée porte ouverte avec les enfants qu'ils préparaient les forçait à travailler main dans la main et discrètement. Ce qui était... Difficile. Très difficile. Kuroo ne se gênait pas pour lui mettre tous les travers de ses questions en pleine tête, et Oikawa ne pouvait rien lui rétorquer, parce qu'en plus, ce chieur avait raison. Il lui rendait bien en calmant ses ardeurs avec les budgets et possibilités restreintes. Cependant, ils se supportaient de moins en moins.
Oui, cette course stupide était... vraiment stupide. Surtout sur une intervention, mais peut-être qu'ils éviteraient de se battre dans les prochains jours grâce à ça. Après tout, ils étaient incapables de se parler calmement. Un jour peut-être. Mais aujourd'hui ne le serait pas.
La main tendu vers Iwaizumi, il attendit qu'il lui donne ses équipements. Après un regard noir de sa part, il finit par les lui laisser et s'engagea dans l'immeuble sans eux. Il eut la décence de bloquer la porte pour qu'elle reste ouverte malgré tout.
Après quelques instants, Oikawa fut également prêt.
— J'ai hâte de te voir pleurer.
Oikawa ignora la pique, souleva les sacs et s'avança vers le trottoir. Un coup d'oeil à sa montre, ils étaient arrivés il y a quatre minutes. Ils avaient une intervention à faire, pas le temps de traîner.
— Tais-toi et prépare-toi à morfler. Sawamura.
Resté derrière eux, et plus que mécontent, Sawamura lui lança un regard irrité comme réponse.
— Compte jusqu'à trois.
Kuroo s'approcha de lui, se mit également à sa hauteur et sourit.
Du balcon, Bokuto se pencha un peu et siffla.
— Un problème ? lança Akaashi en s'approchant.
— J'sais pas, mais j'crois que Kuroo et Oikawa vont... Les deux hommes en contre-bas s'élancèrent : « Faire la course ? » proposa-t-il, les sourcils froncés.
Quand Akaashi se pencha à son tour, ils avaient déjà disparu et Sawamura s'engageait à son tour dans l'immeuble. Confus, il réfléchit à voix haute :
— Ce n'est pas une urgence vital, et je sais qu'il faut quand même se dépêcher si ça ne l'est pas, mais une course ? Oikawa n'a pas même pas besoin de monter, en plus, si ?
Bokuto se redressa et grimaça :
— Kuroo se plaint de plus en plus d'Oikawa ces derniers temps.
Akaashi passa de confus à désabusé.
— Ils n'oseraient pas se défier bêtement sur le lieu d'une intervention, n'est-ce pas ?
Bokuto se mordit la lèvre et leva les yeux vers le toit. La tête d'Iwaizumi venait d'y apparaître. À son silence, Akaashi comprit que si, ces deux abrutis étaient parfaitement capables de faire ça.
— Dès qu'ils sont là, j'prépare les points et on arrive, clama Iwaizumi : « La victime est prête ? »
— Ouais, plus qu'à l'amener à la fenêtre.
Des bruits de martèlement firent tourner la tête à Iwaizumi. Il se leva et fixa la porte du toit. Kuroo la passa en premier, dérapa sur le sol et évita de tomber de justesse. Oikawa déboula à son tour, hors d'haleine. Il fit quelques pas de plus, posa lourdement les sacs et posa ses mains sur ses genoux.
Kuroo, encore sous le coup de l'adrénaline, haleta :
— Tu... M'as épaté.
Oikawa releva les yeux vers lui. Son corps hurlait et il n'arrivait pas à reprendre son souffle correctement, mais il réussit à afficher un maigre sourire. Kuroo venait, pour la première fois depuis leur rencontre, de lui faire un compliment.
— Toi aussi. Je te hais. Toujours, souffla-t-il difficilement.
— Moi aussi.
Ils se sourirent mutuellement.
— Maintenant que vous avez fini de casser les couilles, on peut bosser ? lança Iwaizumi, plus qu'agacé par leur puérilité.
Il récupéra son sac et commença son travail.
En contrebas, Bokuto trépignait et soupirait.
Quelques minutes supplémentaires s'ecoulerent durant lesquelles il ne se passa rien. Puis, une paire de jambe apparut à la fenêtre, et Kuroo tout entier s'engouffra dans l'appartement, sa traditionnelle tenue de feu noire et jaune ayant été remplacée par une tenue d'un rouge flamboyant.
— Oya ! lança-t-il gaiement.
Akaashi, qui tenait encore la perfusion, se déplaça une fois de plus pour ne pas gêner.
— Z'avez fait la course, hein ? demanda Bokuto, un regard jaloux sur la tenue de Kuroo.
— Yep', et devines qui a gagné ?
Bokuto roula des yeux, resta silencieux, et s'approcha de la victime. Kuroo le suivit et il tirèrent la coquille tant bien que mal en direction de la fenêtre et la montèrent sur une nacelle métallisée. Ils harnachèrent la coquille et la relièrent aux câbles qu'avait descendu Kuroo. Kuroo s'attacha à son tour et tendit la main à Akaashi :
— La perfusion, lâcha-t-il : « J'pense pas que tu descendes avec nous. »
Akaashi tendit le médicament au sergent et le regarda tirer à trois reprises sur la corde. Corde qui ne tarda pas à se tendre. Bokuto guida la coquille au dessus du balcon et fit signe à Kuroo.
— Soit pas trop jaloux, se moqua-t-il.
— Bien sûr que j'le suis, j'te déteste même, bouda Bokuto.
La réplique fit rire Kuroo, une main sur la victime, l'autre sur son baudrier, il entreprit une descente lente.
L'infirmier avança jusqu'au balcon, s'installa près de Bokuto et se pencha au dessus de la barrière. Il sentit la main du sergent agripper sa veste.
— Tu d'vrais pas te pencher comme ça, souffla Bokuto sans quitter le vide des yeux.
Akaashi regarda, impressionné, la descente de Kuroo. Le voir se mouvoir avec autant de facilité était un spectacle incroyable.
— C'est impressionnant, avoua Akaashi alors que Kuroo était presque arrivé à mi chemin.
Bokuto lui adressa un franc sourire.
— D'en haut c'est pas mal aussi, mais le mieux, c'est la place de Kuroo. C'est vraiment fou comme sensation, sentir le vide sans avoir peur. Je sais que moi, j'me sens libre quand j'suis là haut.
La noirceur qui tintait le regard de Bokuto au début de l'intervention semblait s'être envolée pour laisser place à de l'admiration. Akaashi songea qu'il préférait voir cette étincelle dans ses yeux.
— Ça doit être sympathique, en effet.
Sugawara les héla, ils devaient redescendre, l'intervention était terminé pour eux.
— C'est plus que magique, lâcha Bokuto : « Y'a pas de mot pour décrire ça. »
Kuroo était presque arrivé en bas. Akaashi se détacha du balcon et ramassa ses affaires.
Bokuto, de meilleure humeur qu'à la montée, prit le sac des mains d'Akaashi et le passa sur une épaule. N'ayant pas la force de se battre et ne voulant pas casser la bonne humeur de Bokuto, il commença à marcher devant lui.
— Je n'ai jamais fait d'escalade, mais je veux bien te croire, sourit Akaashi.
— Si tu veux, moi j't'apprends à monter ! Devant son air interrogatif, Bokuto continua : « L'escalade, on en fait souvent avec Iwaizumi et Kuroo. Faut se maintenir en forme et tu pourras découvrir comme ça ! »
Akaashi arrêta de marcher suite à la proposition. Bokuto faillit lui rentrer dedans.
— Ça va pas ?
— C'est que, commença Akaashi en se tournant vers lui : « Tu t'occupes déjà de mes entraînements… »
— Ça t'embête ?
— Non ! Non...
Akaashi se remit en route et continua :
— C'est que, je n'ai pas envie d'abuser de ta gentillesse, lâcha-t-il finalement.
Cette fois, ce fut Bokuto qui s'arrêta. Kuroo et Iwaizumi lui rabâchaient sans cesse qu'il était trop gentil, et qu'il se faisait tout le temps avoir à cause de ça. Pourtant, personne, à part eux, ne lui avait jamais dit ça, et encore moins lancé qu'ils avaient peur d'en abuser.
N'entendant plus de pas derrière lui, Akaashi se tourna.
— Bokuto ?
Figé, ce dernier le fixa et répéta sans réfléchir :
— T'as peur d'abuser de ma gentillesse ?
Interdit, Akaashi réfléchit à toute vitesse. Si Bokuto avait mal prit ce qu'il venait de dire, il regretterait longtemps ses paroles, et dans ce cas-là, il devait s'excuser au plus vite.
— Pardon. Je ne voulais pas te vexer, mais tu es vraiment une personne gentille. Et les gens sont pas forcément tous gentils, justement, et je... Je... Désolé, lâcha-t-il finalement.
Ne sachant que faire d'autre, il resta les bras ballants face à son collègue. Il avait l'impression d'avoir empiré la situation. Quelle phrase nulle !
— Tu m'as pas vexé, c'est juste que...
Bokuto descendit quelques marches et continua :
— Personne m'a jamais dit ça. Même Kuroo et Iwaizumi. Ils gueulent que j'suis trop gentil mais ils ont jamais dit qu'ils avaient peur d'abuser de ça, il se mit à rire doucement : « Ça m'a fait bizarre. Je crois pas qu'on s'était déjà inquiété d'abuser de moi. »
Akaashi respira à nouveau normalement, il ne sut même pas quand est-ce qu'il avait arrêté.
— T'es vraiment quelqu'un de bien, Akaashi ! s'enthousiasma Bokuto.
Plein d'entrain, il lui tapa l'épaule.
— Je fais de mon mieux... plaisanta Akaashi : « On ferait mieux de se dépêcher, ils doivent nous attendre. »
Il reprit sa marche, soulagé que la situation soit claire. Dos à Bokuto, il ne vit pas son regard tendre ni son sourire triste.
