08 décembre

D'un mouvement lent, Iwaizumi abattit son bras sur sa table de nuit. À tâtons, il chercha son portable, le trouva, l'alluma. L'écran afficha cinq heures vingt six, il soupira. Trois minutes venaient de s'écouler. Trois putain de minutes. Il en avait marre. Délaissant son téléphone sur le coin de son lit, il se tourna et tenta de retrouver le sommeil, en vain.

Il répéta le même geste après ce qui lui parut une éternité. Il était cinq heures trente deux. Iwaizumi retourna son coussin et tenta de se caler un peu mieux. Nouvel échec.

Il était réveillé depuis trois heures et, ne s'étant endormi qu'à minuit passé, il estimait qu'il manquait trop de sommeil pour pouvoir enchaîner sur sa garde. Tout ça à cause d'une foutue personne : Oikawa. Il avait beaucoup à dire sur cet idiot, mais franchement, là, tout de suite, ce n'était que des insultes qui lui venaient à l'esprit. Ça, et des choses lubriques.

Iwaizumi gémit, ses rêves érotiques lui revinrent en tête, il se redressa vivement. Tant pis pour son sommeil, il ne le retrouverait pas de toute manière, et là, une douche froide s'imposait.

Quand il sortit de sa salle de bain, il ne sentait pas particulièrement mieux, mais au moins propre. Le Fauve se jeta sur ses pieds, avant de s'enfuir en courant. Il l'insulta copieusement, mais lui servit tout de même sa pâté qu'il attendait patiemment, caché sous le meuble près de l'entrée. Il ignora l'origami en forme de grue en papier posé dessus et ignora le fait qu'il le gardait stupidement pour une raison obscure.

Tentant de voir le côté positif, il décida aussi que ça l'avait assez réveillé pour qu'il tienne au moins la journée et que huit café devraient suffire à l'y aider. Il entama le premier dans la foulée et réfléchit. Il avait passé ces trois derniers jours à tenter de le faire, en vain. Les faits ne changeaient en rien : Il allait entamer sa garde à huit heures précises, comme tous les quatre jours. Elle allait durer vingt quatre heures, comme d'habitude, et il allait être coincé sous le même toit qu'Oikawa pendant ce laps de temps.

— P'tain de merde, râla-t-il doucement.

Son portable dans la main, il ouvrit le dernier message que lui avait envoyé son lieutenant. Contrairement à ses extravagances quotidiennes depuis qu'ils avaient échangés leurs numéros, le dernier SMS remontait à la soirée d'anniversaire d'Akaashi et se contentait d'un très sobre : « Si tu as besoin de parler, je suis là. ».

Il se mordit la langue. Bien sûr qu'il avait besoin de parler, il n'avait aucune idée de quoi penser à son sujet, mais parler d'eux entre eux, c'était... complètement con, non ?

Non. Pas tant que ça, personne n'allait leur donner la recette miracle pour dissiper ses questions et faire en sorte que tout s'éclaircisse dans la foulée. Il posa son téléphone sur la table et s'étala sur sa chaise. La tête en arrière et les bras pendants, il en avait déjà marre. La seule solution qui s'imposait et qu'il trouvait logique, c'était d'aller voir Oikawa et lui dire clairement que c'était trop le bordel dans sa tête, et que... sérieux, une histoire avec son lieutenant, ça craignait un max. Surtout quand ils se connaissaient depuis trois mois. La dernière fois qu'il était allé trop vite, ça s'était mal fini, il n'avait pas envie de retenter l'expérience. Pas tout de suite, encore moins en mélangeant boulot et vie privée.

Passant sa langue sur ses lèvres, leur baiser lui revint en tête. Putain que ça avait été bon. Au point de pouvoir devenir accro' après une seule dose. Il serra les dents et secoua la tête pour chasser cette idée.

Dans tous les cas, il devait voir Oikawa. Et avant de prendre leur garde. Ou au début. S'il ne lui parlait pas, ça allait foutre un bordel monstre, et Iwaizumi le savait. Sauf qu'il avait beau le savoir, il n'avait pas pour autant envie de le faire.

— Si Dieu existe, qu'il me donne la force, murmura-t-il ironiquement.

En guise de réponse, Le Fauve lui attaqua une main. Surpris, il se redressa vivement.

— Putain d'Fauve !

Le chat monta souplement sur la chaise voisine et se lécha la patte, avant de le fixer d'un air hautain.

— J'aurais jamais dû t'sauver !

Ignorant l'énervement de son maitre, il miaula puis roula sur lui-même. Iwaizumi se leva, il avait bien compris qu'il ne devait pas rester là.

— J'te nourris et c'est comme ça que tu m'remercies, pesta-t-il auprès de son animal.

Dans un geste puéril, il bascula la chaise pour le faire tomber, puis débarrassa sa table. Terminant sa vaisselle, il se rappela l'épisode des donuts. Oikawa lui avait affirmé déjeuner dans ce café tous les matins avant sa garde. Si c'était réellement le cas, sachant qu'il aimait prendre son temps, il devait sûrement s'y rendre pour l'ouverture, à sept heures.

Un coup d'oeil à son téléphone lui apprit qu'il avait largement le temps de se préparer. Il fustigea contre son insomnie, non sans se dire qu'au moins, il réglerait son problème avant d'aller à la caserne.

À sept heures dix, Iwaizumi arriva dans la rue du café. Il n'avait pas osé envoyer de message à Oikawa, il pria simplement pour le trouver là. Mobilisant le peu de courage qu'il avait, il entra directement dans le café et s'arrêta après quelques pas.

Oikawa était assis à la même table que la dernière fois, un chocolat chaud et un donuts devant lui, les yeux rivés sur son téléphone portable.

Iwaizumi le trouva plus pâle qu'à l'accoutumée, et plus fatigué, mais toujours aussi élégant. Bien que son assurance se soit fait la malle, il s'approcha, les deux mains dans les poches et s'arrêta à quelques pas de la table.

— C'est occupé ?

Son ton lui parut plus agacé qu'il ne l'avait voulu, il se mordit la langue mais n'ajouta rien.

Oikawa releva les yeux de son téléphone et tourna la tête vers lui, sidéré. Il ouvrit la bouche et la referma.

— Non, lâcha-t-il, trop surpris pour répondre autre chose.

Iwaizumi s'assit et attrapa la carte, il grimaça devant tant de sucre et soupira. Une serveuse arriva, il commanda un simple café noir et releva les yeux vers Oikawa. Il prit une grande inspiration et lâcha :

— J'suis désolé. Pour la dernière fois. Dans les toilettes. Et pour l'absence de réponse. Par message.

Iwaizumi s'insulta mentalement. C'était vraiment mauvais, mais l'intention était là, tenta-t-il de se réconforter.

Oikawa s'enfonça dans son fauteuil et croisa les bras sur sa poitrine :

— Tu es vraiment nul pour les excuses.

Il encaissa la remarque silencieusement. La serveuse déposa son café et repartit. Il touilla par réflexe.

— J'ai pas à l'faire souvent… marmonna-t-il : « Je… J'ai tenté de réfléchir ces derniers jours. ».

Il releva les yeux et ajouta :

— Si tu m'dis que c'est un exploit, j't'insulte.

Oikawa sourit, moqueur, mais ne pipa mot.

— Et ouais, malgré tout, j'suis toujours autant paumé, finit Iwaizumi.

Oikawa le regarda un moment, partagé entre l'envie de rire et celle de pleurer.

— Paumé ?

— Paumé. Depuis qu'tu... qu'on s'est. Enfin, voilà.

Il le fixa, insolent.

— Embrassé ?

Il croisa ses mains sous son menton, un sourire au coin des lèvres.

— T'es qu'un putain de chieur, souffla-t-il, impulsif.

— Ça ne t'a pas plus ? répondit Oikawa, redevenu sérieux.

— C'est pas le propos.

— Donc ça t'a plu, il fronça les sourcils, : « Alors c'est quoi le soucis ? »

Iwaizumi baissa la tête, prit son café et en bu une gorgée. Il tenta de reprendre constance, sans succès. Se sentant agacé, il fit attention à poser délicatement sa tasse.

— T'es mon boss et on s'connait depuis trois mois.

Oikawa leva les yeux au ciel. Il s'était attendu à plusieurs possibilités, mais pas à celles-là.

— Rien ne t'interdit de fréquenter ton supérieur, tu sais ?

Iwaizumi se crispa. Bien sûr qu'il le savait, c'était une excuse inutile.

— Quant aux trois mois…

— La dernière fois, le coupa Iwaizumi : « Ça s'est mal fini parce que ça a été trop vite. » lâcha-t-il de but en blanc, la tête basse.

Oikawa fit la moue et réfléchit un instant, il poursuivit son petit déjeuner avant de reprendre :

— Qu'est-ce qui te conviendrait alors ?

Il releva les yeux, Oikawa grignotait tranquillement en attendant sa réponse. Iwaizumi resta bête quelques secondes. Il ne s'attendait pas à une telle prévenance de sa part, ou une quelconque attention. Même s'il ne le rejetait pas réellement, si Oikawa était sérieux, il ne montrait aucun abattement.

— Franch'ment... J'en sais rien, s'entendit-il répondre : « J'en sais foutrement rien. » il marqua une pause et continua « J'sais juste que j'étais bien comme ça », il souffla.

Ils se regardèrent un instant. Iwaizumi sentit le regard d'Oikawa le sonder jusqu'au plus profond de son âme. Le contact le brûla, il le rompit en baissant les yeux.

— Si c'est pas trop te demander, est ce qu'on peut continuer comme avant encore un peu ? les mots étaient prononcés faiblement, « J'ai pas envie d'te fermer les portes, ou d'te donner de faux espoirs. Mais t'es super attirant, j'peux pas le nier, et la relation qu'on partageait... Je veux juste continuer et voir c'que ça peut donner. »

Il n'était pas clair dans ce qu'il disait, mais ses sentiments ne l'étaient pas non plus, il avait fait au mieux.

Oikawa se contenta de regarder Iwaizumi. Incapable de dire quoique ce soit, il tendit le bras à travers la table et glissa ses doigts autour des siens. Il y exerça une faible pression, qu'Iwaizumi lui rendit, avant de le relâcher, doucement. Il espéra que le contact apaise le sergent.

— Du coup, qu'est ce que tu attends de moi ? murmura Oikawa qui ne l'avait pas lâché des yeux.

Iwaizumi releva le regard et soutint celui de son lieutenant.

— J'veux juste que tu sois toi, que tu continues à être... Aussi chiant. Qu'on continue à se voir, à se parler, à…

Iwaizumi s'interrompit, mal à l'aise avec le fait d'étaler ses sentiments, il plongea son regard dans sa tasse de café, les dents serrées.

— Et pour le défi ? demanda Oikawa après quelques secondes.

— Ça peut attendre encore un peu, il souffla et tritura sa tasse : « Mais j'espère bien que tu le relèveras. »

Le poids qui pesait sur les épaules d'Oikawa s'était partiellement envolé. La conversation n'avait pas été des plus agréables, mais elle se terminait au moins sur une bonne note. Iwaizumi ne s'était pas positionné, il souhaitait du temps parce qu'il se sentait bien dans la relation qu'ils partageaient. Il ne le repoussait pas totalement. Et ça, c'était la plus belle chose qu'il pouvait apprendre aujourd'hui.