6 janvier

Bokuto jeta un énième regard au plan affiché à l'intérieur du bus. S'il ne s'était pas trompé, il descendait dans deux arrêts. Il avait eu la permission de quitter l'hôpital en milieux de matinée, avait du attendre une petite heure de plus pour voir le médecin et signer les papiers. Il avait immédiatement appelé Kuroo et s'était fait insulter de tous les noms d'oiseaux qu'il connaissait lorsqu'il avait refusé qu'il vienne le chercher. Il avait tut la raison.

Incapable de dire à Kuroo qu'Akaashi était venu le voir pour s'excuser, et lui déclarer ses sentiments. Il se voyait mal lui dire qu'il avait décidé de se pointer chez lui à l'improviste. L'estomac noué par l'appréhension, il demanda l'arrêt et descendit du bus. Il resta bloqué quelques minutes, le visage balayé par des bourrasques de vent enneigées.

Il se claqua les joues pour se donner du courage et fit quelques pas en avant, ses pieds faisant crisser la neige qui s'était déjà bien accumulée sur la chaussée. Il était monté dans le bus sur un coup de tête et n'avait même pas réfléchit à ce qu'il pourrait dire à Akaashi lorsqu'il se trouverait en face de lui.

Que lui aussi l'aimait ? Que c'était un abruti ? Qu'il le détestait quand même un peu malgré tout ? Qu'il fallait qu'il sache qui était réellement cette femme ? Pourquoi il était avec elle s'il l'aimait ? Bokuto se prit le crâne entre ses deux mains et frotta ses cheveux. Il avait trop de questions à lui poser ! Dans quel sens les mettre ? Bokuto s'accroupit, en plein milieu de la rue. Il avait froid, il se sentait encore mal et il n'était même pas certain qu'Akaashi ne se moquait pas juste de lui.

Bokuto déglutit, il devait se reprendre ! Le médecin lui avait fait un sermon, Tsukishima également. Il allait faire l'effort de manger convenablement et s'occuper de ses problèmes ! De toute manière il n'en avait qu'un et il s'appelait Akaashi. Il s'insulta mentalement de se perdre dans une idée aussi simpliste, et se releva avec un soupir.

Au moment où il regarda devant lui, deux personnes s'approchèrent, bras dessus, bras dessous. Il reconnut aisément Akaashi, ainsi que Shimizu. Figé, une tornade de sentiments contradictoires lui retourna le coeur et le ventre.

Ce fut Shimizu qui le remarqua la première, elle glissa quelques mots, et Akaashi se tourna vers lui. Calme, son regard passa de la surprise à l'inquiétude. Il ouvrit la bouche.

— Non.

La voix de Bokuto claqua.

Akaashi resta hébété. Il s'avança d'un pas. Bokuto en recula d'un. Le coeur en vrac et les larmes aux bords des yeux, Bokuto le voyait clairement. Il était proche d'elle, il était fiancé avec elle et il se moquait de lui.

— J'te déteste.

Il se détourna et s'élança. Il entendit Akaashi hurler son nom, puis jurer, mais ne se retourna pas.

D'un geste rageur, Bokuto essuya les larmes qui coulaient sur ses joues. Sa tête lui faisait mal et son coeur encore plus, à bout de force, des mouches devant les yeux, il s'arrêta et se laissa tomber sur un banc. Sa capuche remontée sur sa tête, seuls les soubresauts de ses épaules auraient pu trahir l'état dans lequel il se trouvait. Les mains tremblantes, il sortit son téléphone de sa poche, composa par réflexe celui de Kuroo, l'effaça et le tapa une seconde fois. Partagé entre son besoin de lui parler et la honte qu'il ressentait. Il appuya sur le téléphone vert, Kuroo décrocha au bout de deux sonneries. Après un instant, il prit la parole, la voix ensommeillée :

— Oya ?

Bokuto ouvrit la bouche, incapable de prononcer le moindre mot, il la referma et laissa exploser son chagrin. Il entendit vaguement Kuroo jurer et une porte claquer. Il pleura de longues minutes et gémit plusieurs fois de douleur avant de pouvoir articuler difficilement :

— J'ai trop mal.

Présentement, il avait même envie de mourir tellement son coeur le faisait souffrir. S'il avait eu le sentiment de toucher le fond les jours précédents, là, il était forcé d'admettre qu'il n'en était rien. La douleur qui lui barrait le ventre était incomparable à ce qu'il avait pu ressentir avant.

Il lui était impossible d'ouvrir la bouche sans provoquer un nouveau flot de larmes, Bokuto regroupa ses jambes contre son torse et enfouit son visage dedans. La neige commençait à s'accumuler sur ses épaules, il avait froid, mal et se sentait misérable. Il entendit des pneus crisser non loin de lui et l'appel avec Kuroo se coupa. Un bruit de portière, puis des bruits de pas qui se rapprochent. Il leva la tête et avant qu'il n'ait le temps de réagir, Kuroo était agenouillé devant lui.

— Kōtarō ?

Un sanglot lui répondit. Il prit une grande inspiration, l'attrapa par les bras et demanda :

— T'es capable de t'lever ? On va choper la mort dans la neige, faut qu'tu viennes.

Ignorant ses nausées, Bokuto se releva, vacilla mais tint bon. Le visage tourné vers le sol, il marcha à l'aide de Kuroo jusqu'à son vieux tacot et grimpa dedans.

— J'veux rentrer chez moi, articula-t-il faiblement.

Kurro serra le poing.

— J'te ramène, j'vais même te faire des Yakiniku.

Complètement gelé, dans son t-shirt et son short, Kuroo roula du mieux qu'il put jusqu'à chez Bokuto. Difficile de conduire avec des tongs en pleine hiver, mais l'appel l'avait trop surpris pour qu'il réfléchisse à ses vêtements. Quand il dû remettre les pieds dans la neige, Kuroo grimaça. Il aida Bokuto à sortir du véhicule, le tint par les épaules et l'aida à rentrer dans son immeuble.

Insultant Akaashi de tous les noms, parce que, même sans que Bokuto ne dise quoi que ce soit, il était certain que son état était de sa faute.

Au même moment, Akaashi jura une nouvelle fois.

— Désolée, j'ai appuyé trop fort ?

Akaashi grommela, récupéra la compresse et l'appuya lui-même sur son front. Entre le coup de boule d'hier et la rencontre avec le verglas quelques minutes plus tôt, il allait être ridicule avec ses différentes bosses.

— Alors… C'est lui, Bokuto Kōtarō ?

Il hocha la tête.

— Il est plutôt bel homme, sourit Shimizu : « Peut-être un peu puéril, par contre ? »

Akaashi grimaça :

— Il m'a entendu dire des choses étranges, disparaitre dans la foulée, revenir comme une fleur, lui déclarer mes sentiments, repartir sans attendre sa réponse et aujourd'hui, il te voit à mon bras. Je comprends qu'il puisse mal réagir, souffla Akaashi.

Shimizu resta interdite.

— Eh bien, reprit-elle après quelques instants : « Qui êtes-vous et qu'avez-vous fait d'Akaashi Keiji ? »

— Tu te moques de moi ?

— J'essaie d'en plaisanter. Mais effectivement, tu dois vraiment l'aimer pour être aussi...

— Stupide ? tenta Akaashi, amer.

— Je pensais plus à irréfléchi, déclara-t-elle d'une voix douce : « Toi qui ne te laisse jamais guider par tes sentiments, tu n'arrives plus à t'en démêler, c'est déroutant. »

Il soupira et retira la poche de glace de son front. Il avait voulu rattraper Bokuto, mais avait glissé dans la foulée, et avait failli s'assommer. Le temps de reprendre ses esprits, il avait disparu.

— Je ferais mieux d'aller cher lui, il ne doit rien comprendre et s'il croit que je suis avec toi, ça va créer un malentendu énorme.

—Tu veux que j'attende pour déclarer l'annulation de nos fiançailles ? demanda-t-elle : « Que tu aies quelque chose à quoi te raccrocher s'il t'envoie sur les roses. »

— Tu es une horrible personne, parfois, décréta Akaashi.

Elle ne cilla pas.

— Tu serais aussi logique moi si tu n'étais pas aussi tourmenté, se justifia-t-elle : « Tu sais que je t'apprécie et que je te comprends assez pour ne vouloir que ton bien. Si votre relation ne débute même pas, il est peut-être inutile de te mettre ta famille à dos pour le moment, c'est tout. J'espère bien que ce ne soit pas le cas, mais… »

— Il faut se préparer à toutes éventualités, je sais, termina-t-il à sa place.

Ils se connaissaient depuis l'enfance, leur éducation avait été similaire et Akaashi pensait exactement comme Shimizu, jusqu'à ce qu'il rencontre Bokuto et tombe amoureux.

— Non, je compte bien rompre les fiançailles, tu peux l'annoncer à ta famille aujourd'hui même. Que ça fonctionne ou pas, je dois m'assumer, si je ne le fais pas, je m'enchaîne moi-même et je refuse d'accepter ça. La famille Akaashi n'aura plus d'héritier si ça leur déplait. J'ai un travail, un toit et je subviens à tous mes besoins... il haussa les épaules : « C'est une vie modeste, mais ça me convient. »

Shimizu le contempla. Un peu plus âgée que lui, elle se souvenait encore de l'enfant timide et réservé. Elle lui posa une main sur ses cheveux et les frotta doucement.

— Je suis plus un enfant, soupira-t-il.

— Je crois que j'ai du mal à m'y faire. Tu pleurais souvent dans mes jupes quand nous étions petits, je suis un peu triste de te voir prendre ton envol.

Il attrapa sa main et la serra dans la sienne.

— Ça ne veut pas dire qu'on ne se verra plus, tu sais que je te considère comme ma famille.

— Je sais, et tu auras sûrement encore besoin de moi de toute manière.

— Je suis un grand garçon.

— Même les grands garçons ont besoin de leur grande soeur de temps en temps, répliqua-t-elle dans un sourire.

Akaashi sourit doucement. Il se sentait vraiment idiot, mais Shimizu ne le jugeait pas. Elle prenait en compte les choses, tentait de les comprendre, donnait son point de vue en cas de besoin, et l'aidait de son mieux.

— Il faut vraiment que j'aille le voir.

— Tu veux que je te dépose ?

Akaashi jeta un coup d'oeil par la fenêtre. Avec ce temps, les bus passaient difficilement, il y avait eu des annulations.

— Je veux bien, mais je préfère éviter que tu me déposes juste devant chez lui.

Elle sourit et accepta. Ils descendirent ensemble, Akaashi donna l'adresse de la rue adjacente au chauffeur et ils démarrèrent. Il fut sur place en une quinzaine de minutes. La neige ralentissait considérablement le trafic.

Il sortit de la voiture, et se pencha une dernière fois avant de fermer la portière.

— Kiyoko…

— Ne me remercie pas. J'ai ajouté un peu plus de pagaille à celle qu'il y avait déjà, c'est la moindre des choses que je puisse faire pour toi.

Akaashi la salua dans un regard tendre, puis s'éloigna sans rien ajouter. La voiture démarra dans la foulée, il l'observa se fondre dans la circulation avant de se décider à avancer. Connaissant le code de Bokuto, il entra et monta jusqu'à sa porte.

Il leva sa main pour toquer, puis se ravisa. Il avait beau garder sa fierté devant Shimizu, la phrase de Bokuto et son regard triste lui serraient le coeur. Il prit une grande inspiration et frappa à la porte. S'il continuait à ressasser ainsi, il n'arriverait jamais à résoudre ses problèmes.

La porte s'ouvrit après quelques secondes.

Akaashi blêmit.

Kuroo lui faisait face, complètement nu avec une unique serviette autour de la taille.

— Qu'est-ce que tu fous là ?

Akaashi se reprit :

— Je suis venu voir Bokuto.

— Il est occupé.

— Pas par toi puisque t'es là, je veux lui parler.

Kuroo sourit mauvaisement. Il se pencha légèrement dans l'encadrement de la porte.

— Effectivement, il n'est plus occupé par moi, murmura-t-il sur le ton de la confidence.

Akaashi se décomposa. Kuroo en profita :

— Je t'avais dis que je ne te laisserai plus l'approcher.

Kuroo ferma légèrement la porte. Les yeux brillants de larmes d'Akaashi le firent hésiter. Il venait d'être très dur. Pour autant, il lui avait laissé une chance qu'il avait gâché. Quand il ferma la porte, il entendit Akaashi murmurer.

— C'était qu'un putain de malentendu, bordel.

Il ne la rouvrit pas.