22 février

Kuroo fronça les sourcils. Aujourd'hui, Oikawa brillait par son absence. Ils l'avaient vu brièvement au rassemblement du matin, au repas du midi et le voyait redescendre seulement maintenant, à dix neuf heures trente passées. Lui qui, d'ordinaire, passait du temps avec eux, s'était enfermé dans son bureau toute la journée. En général, Oikawa profitait de la prise de garde pour échanger quelques mots avec chacun de ses hommes, les aidants mêmes dans leurs tâches quotidiennes, aujourd'hui, il avait distribué ses ordres et les avait laissé là. Il n'était pas non plus venu les voir de l'après-midi, n'avait pas prit son traditionnel chocolat chaud et ne s'était pas moqué d'eux en constatant le film que leur faisait subir Sugawara. C'était étrange, presque inquiétant.

Il le vit jeter un regard vers la cuisine, grimacer, aller s'asseoir à table et y poser son ordinateur. Il échangea quelques mots avec Yaku puis riva ses yeux sur son écran, coupant court à la discussion. Le repas du soir serait servit plus tard, ça ne devait pas l'arranger.

Kuroo le toisa un instant, puis reporta son regard sur Iwaizumi, avachit dans un canapé. Il le fixa pendant une minute et quarante secondes. Iwaizumi ne daigna pas relever la tête, alors qu'il devait pertinemment sentir son regard, il le sentait toujours.

Il y avait anguille sous roche, Kuroo ne pouvait pas laisser passer ça. Sachant pertinemment qu'Iwaizumi ne voudrait pas le suivre juste parce qu'il le lui demandait, et ayant envie de l'emmerder un peu, il vola son téléphone en passant près de lui et courut à l'étage avec.

Il rit aux insultes qui fusèrent, mais fut heureux de le voir débarquer dans sa chambre quelques secondes après lui.

— Ferme la porte, lâcha-t-il en lui lançant son téléphone.

Iwaizumi l'attrapa au vol, grogna, mais fit ce qu'il lui avait demandé.

— Tu pouvais pas m'dire que tu voulais me parler, tout simplement ?

— T'as fait quoi à Oikawa, hein ?

Iwaizumi se figea, interdit, il le fixa longuement :

— Pardon ? finit-il par lâcher.

— Il est toujours avec nous après le rassemblement, et il passe toujours une bonne demie heure minimum dans la salle de vie à l'heure de son chocolat. Aujourd'hui, ça a pas été le cas et il a même fui dans son bureau juste après le repas. A aucun moment il n'a entamé la discussion, seulement répondu aux autres et il a même pas cherché à te regarder ou juste à te parler, donc… Y'a un problème et c'est sûrement d'ta faute.

— C'est lui qui m'ignore et j'sais même pas pourquoi ! se défendit Iwaizumi.

Le regard que lui lança Kuroo le piqua.

— Hé ! J'lui ai envoyé des messages depuis la dernière garde et il m'a pas répondu !

Kuroo croisa les bras, plissa les yeux et demanda :

— Il aurait pas essayé d'te parler, à tout hasard et genre... Tu l'aurais ignoré ?

— Nan. Ecoute, j'ai la tête dans le guidon entre l'hosto' et ma mère. Tu sais comment elle est en plus, mon père est censé sortir demain et tout va bien d'après ses exams mais elle mange rien si j'l'oblige pas. J'lui ai envoyé un message, il m'a pas répondu, ni au deuxième. J'allais pas m'pointer chez lui pour m'prendre un vent, puis c'est pas comme si j'avais eu l'temps d'le faire.

Levant les yeux au ciel, Kuroo soupira et se passa une main sur le visage. Après la discussion qu'il avait eu avec Oikawa, il était certain que le lieutenant avait dû tenter de lui parler. Peut-être pas le jour-même, mais c'était improbable qu'il lui fasse la tête pour rien.

— Attends… commença Kuroo : « T'as reçu l'appelle de ta mère en pleine nuit ? »

— À cinq heures du mat', pas vraiment la nuit, explicita Iwaizumi : « Pourquoi ? »

— Et genre, t'as pas vu Oikawa avant de partir de la garde ? Pas du tout ? Tu l'as pas prévenu ? Il est pas au courant ?

Iwaizumi ouvrit la bouche pour rétorquer, s'arrêta, puis la referma.

— Merde.

— J'en conclu que tu l'as vu.

— Putain ! Ça va, y'a la relève qu'est arrivée avant huit heures, j'en ai profité et j'ai voulu m'barrer, il est arrivé et il m'a dit qu'il voulait m'parler mais comme j'avais promis à ma mère de la rappeler et d'me bouger pour la rejoindre, j'lui ai dit qu'j'avais pas l'temps pour ses conneries…

— Ton mec et ton couple ne sont pas des conneries, soupira théâtralement Kuroo : « On m'dit que j'suis un con, mais moi, c'est volontaire au moins. »

— J't'emmerde !

Kuroo lui jeta un regard dépité.

— Tu peux essayer, en attendant, c'est toi qu'est dans la merde. T'es au courant que t'as jamais montré un signe affectif à la diva depuis que t'es avec quand t'es en notre compagnie ? Ou encore que t'as jamais clairement dit que t'étais avec ? Ah ouais, et aussi que tu l'as présenté comme chasse gardée plutôt que comme ton mec ? Et apparemment, tu lui as jamais dit que tu l'aimais, aussi ? Assez difficile de savoir sur quel pied danser quand ton mec est autant affectueux avec toi solo, puis aussi distant en dehors, non ? Même hors caserne, j'veux dire.

Le monologue de Kuroo le laissa pantois. Le silence s'installa dans la chambre et dura trop longtemps aux yeux de Kuroo.

— J'dois te frapper pour que tu réagisses ? lâcha-t-il, médusé.

— Ta gueule ! Attends… Laisse moi l'temps de… Comment tu sais ? Je… 'tain mais fait chier ! Il t'a parlé de ça ? Pourquoi il m'a rien dit avant toi, d'abord ? tempêta Iwaizumi.

— Bah j'sais pas, peut-être parce que quand il a essayé là, il s'est fait jeter et qu'il s'attendait à ça ?

— J'venais d'apprendre que mon père était à l'hosto !

L'expression indifférente de Kuroo l'énerva d'autant plus. Ok, il avait bien comprit que c'était pas une bonne excuse, mais merde quoi !

— Putain, mais il pense quoi au juste ? Que j'joue à un jeu ?

— Ou juste que t'aimes le baiser ? Ou que t'assumes pas ?

— Mais bien sûr que non, bordel ! J'suis pas un…

Il se mordit la langue, si, il était un connard fini quand on écoutait les dires de Kuroo. Fulminant contre lui-même, Iwaizumi serra le poing et le fracassa contre le mur. Sans un mot de plus, il sortit de la chambre, évita habilement un collègue, poussa la porte si violemment qu'elle heurta le mur et entra dans la salle de repos. Quelques personnes étaient présentes, ce dont il n'avait rien à foutre, il n'en cherchait qu'une. Oikawa, assit à table et plongé dans un énième rapport, releva tranquillement les yeux. Tout comme ses collègues.

La colère afflua comme une vague. Mue par cette dernière, il s'approcha vivement d'Oikawa et le saisit par le col.

— Alors t'as sérieusement pensé que j'm'amusais ? s'exclama Iwaizumi.

Les yeux écarquillés, Oikawa resta coi quelques secondes. Trop surprit pour comprendre quoi que ce soit, il bégaya quelques mots avant de reprendre constance :

— De quoi tu parles ?

Comme brûlé, il le relâcha. Prenant appuie sur la table, Oikawa fronça les sourcils et plongea son regard dans le sien, décidément, il ne comprenait rien à son charabia.

C'en fut trop. Animé par l'animosité, son coeur parla plus vite que sa tête et il s'entendit hurler :

— De ces putains d'histoires de baise qui le sont pas ! Comment t'as pu penser que j'étais pas sérieux ? Bien sûr que j't'aime espèce d'abruti !

Suite au silence de la pièce, il regretta immédiatement ses propos. Exactement comme ce jour-là.

Trop abasourdi pour réagir, Oikawa le regarda bêtement. Iwaizumi s'insulta mentalement. Il venait de faire la pire scène qu'il pouvait devant tous ses collègues. Attrapant le bras d'Oikawa, il le tira et l'entraîna vers les vestiaires.

Oikawa fit quelques pas puis s'immobilisa.

— Quoi ?

Iwaizumi se retourna.

— Quoi, quoi ?

— Répète.

— Tu t'moques de moi ? souffla-t-il.

Leurs collègues les observaient, le calme ambiant lui fit serrer les dents. Oikawa le fixait également, abasourdi. Il se pencha à l'oreille d'Oikawa et répéta plus bas :

— Je t'aime.

Il se recula dans la foulée, les oreilles rouges, puis, sans attendre sa réaction, l'entraîna à sa suite. Par automatisme, Oikawa le suivit. L'information atteignit finalement son cerveau lorsque la porte des vestiaires se referma derrière eux. Il jeta un regard à Iwaizumi, nota ses oreilles rougies et l'attira contre lui. L'étreignant, il enfouit son visage dans son cou et le serra fort dans ses bras. Iwaizumi lui rendit son étreinte.

— Mon père est à l'hosto'. J'suis parti aussi vite la dernière fois parce que j'étais en panique. Ma mère… Bon, tu verras quand tu les rencontreras. Désolé. Mais j'suis sérieux, pour nous. Apparemment j'ai pas l'air mais si. J'le suis.

Oikawa serra un peu plus ses bras autour d'Iwaizumi.

— Il va bien ? s'inquiétât-il, le visage toujours contre son cou.

— Péritonite. Plus de peur que de mal, ils l'ont gardé mais il doit sortir demain. Sauf que ma mère en mange plus, malgré qu'on la tanne et que même lui, lui dise de le faire.

Oikawa pinça des lèvres et s'excusa de ne pas avoir été présent.

— J'suis désolé de pas l'avoir dit clairement. J'vais faire un effort sur le communication, mais c'est vraiment pas mon fort…

Il se redressa, planta son regard dans celui d'Iwaizumi et caressa sa joue. Iwaizumi en profita pour ravir ses lèvres chastement. Oikawa, pas du tout dans cette optique, passa ses bras autour de son cou et l'embrassa avec envie.

— J'ai envie de te faire l'amour, là, maintenant, souffla-t-il.

Le coeur d'Iwaizumi rata un battement. Il ne l'avait encore jamais vu si pressé.

— Retiens toi. J'viens déjà de faire un sketch devant les gars. On va éviter de leur donner plus à dire, grommela-t-il sans pour autant se défaire de son étreinte.

Oikawa fit la moue et laissa courir ses lèvres contre son cou :

— Justement… On est plus à ça près non ?

Iwaizumi inspira longuement. Oikawa savait se montrer persuasif, mais franchement, ce n'était pas le moment.

— Tu peux pas te tenir au moins jusqu'à cette nuit ? J'viens d'avouer devant la garde entière que je… Que je t'aime et donc qu'on était ensemble. Et donc que j'suis gay. Ça va jaser.

— T'as pas intérêt à dormir avec Akaashi cette nuit, gronda Oikawa.

Iwaizumi retint un rire.

— Promis.

Il s'éloigna d'Oikawa et s'approcha de la porte. Il s'arrêta devant cette dernière, angoissé. L'homosexualité n'était pas spécialement bien vue ni dans leur pays, ni dans leur métier. Il espérait vraiment que ça ne change rien. Entre ça et le fait que c'était avec son idiot de supérieur qu'il sortait…

Oikawa s'avança jusqu'à lui, passa ses mains sur ses épaules et embrassa sa nuque :

— Ce sont tes collègues mais aussi tes amis, je ne pense pas qu'ils te jugeront là-dessus, il le poussa doucement : « Si tu agis normalement, tout ira bien, et dans le pire des cas… Je suis là. »

Heureux de sa dernière remarque mais pas convaincu pour deux sous, Iwaizumi prit une profonde inspiration et poussa les portes du vestiaires. Le pas moins assuré qu'à l'accoutumée, il rejoignit ses collègues et fut surprit de voir, malgré leur étonnement évident, des sourires bienveillants au milieu d'une discussion animé.

— J'y croyais plus, souffla Sawamura.

— Parce que toi, tu savais ? s'exclama Nishinoya.

— Je regrette souvent d'aller aux douches. Y'a trop de choses qui se passent là dedans.

Certains lui jetèrent des regards interloqués, d'autres détournèrent les yeux.

Iwaizumi jeta un regard mécontent à Oikawa, mais finit par soupirer. Il avait raison, tous semblaient accepter. La main d'Oikawa glissa dans la sienne. Le coeur réchauffé et l'esprit soulagé, il finit par sourire doucement.