04 mars

Iwaizumi poussa la porte du hangar et salua rapidement les collègues qu'il croisa. Sans s'attarder plus que ça, il grimpa les deux étages qui le séparaient des bureaux et s'enfonça dans le couloir. Arrivé devant la porte de Nobuteru, il toqua trois fois et attendit un court instant avant qu'il ne lui fasse signe d'entrer.

Depuis qu'il avait reçu la demande de son chef, Iwaizumi n'avait eu de cesse de se questionner. Qu'avait-il pu faire pour être convoqué dans le bureau de son chef de centre ?

Deux options s'étaient faites évidentes : le blâme qu'il avait prit quelques temps auparavant ou la relation qu'il entretenait avec son supérieur.

Et aucune des deux options ne lui donnait envie de franchir le seuil de la porte.

Il avala sa salive, prit une profonde inspiration et pénétra dans le bureau.

— Iwaizumi, entre, assieds-toi.

Il salua rapidement son supérieur et s'assit face à lui.

— Le lieutenant Oikawa m'a fait parvenir les résultats des ICP que vous avez passé à votre précédente garde, Nobuteru marqua une pause durant laquelle il accrocha le regard d'Iwaizumi qui s'accorda un bref soupir de soulagement : « Comme a chaque fois, tu as eu d'excellents résultats aux différents tests, néanmoins… »

Nobuteru croisa les mains sur son bureau et soupira :

— Ta souplesse ne s'est pas améliorée, à chaque fois que tu as passé le test, ton score d'agilité frôlait la limite. Je suis navré, mais tant que tu n'auras pas amélioré cette qualité essentielle, tu ne pourras plus assurer de départs à la tonne…

Iwaizumi vit les lèvres du chef bouger mais aucun son ne parvint à ses oreilles. Son cerveau avait déconnecté dès que l'information était parvenue à ses oreilles. Il n'était pas rentré chez les pompiers pour l'incendie mais s'était découvert une réelle passion pour cet aspect de son métier. C'était quelque chose qui avait le don de le faire vibrer à chaque fois. Il n'y avait qu'un incendie pour emplir son corps d'adrénaline de cette façon et c'était une sensation dont il ne pouvait plus se passer. Savoir qu'il ne pourrait plus ressentir ça lui donna envie de crier.

— Comment ça « plus aucun départ à la tonne » ? S'entendît-il répéter d'une voix blanche au bout de quelques instants.

— Tant que tu n'auras pas gagné au moins un centimètre sur la planche, tu n'assureras plus aucun départ a l'incendie. Le CTA a déjà été prévenu et tu es d'ors et déjà passé inapte dans le logiciel, le chef marqua une pause et leva rapidement les mains en l'air « Mais ne t'en fais pas ! Rien n'est définitif, dès lors que tu auras repassé les tests et obtenu de meilleurs résultats, tu seras réintégré. »

Incrédule, Iwaizumi dévisagea Nobuteru. En six années, son score tout juste à la moyenne n'avait posé aucun problème, il serra les dents et les poings.

— C'est à cause du blâme c'est ça ? demande-t-il aussi calmement que possible.

— Non, rien à voir. C'est juste que ce manque de souplesse peut devenir problématique. Et avec tous les sapeurs qui se sont blessés récemment, je ne préfère plus prendre de risques.

Iwaizumi pinça des lèvres. Nobuteru le congédia d'un signe de la main. Il se releva sans se faire prier et quitta le bureau en tachant de ne pas claquer la porte.

Il jura et insulta le monde entier, surtout Nobuteru, dans une rage silencieuse avant de sortir de la caserne d'un pas vif. Il ignora complètement ses camarades, et ne s'arrêta qu'après avoir dépassé l'enceinte de la caserne. Mars venait de commencer, le soleil de l'après-midi chauffait son visage.

Plus qu'en colère. Déçu, désappointé et frustré, il décida d'aller courir plutôt que de rentrer chez lui. Ça, plus le fait qu'il s'arrêterait pour faire quelques exercices de musculation. Il devait extérioriser tout ça, sinon, il finirait pas démolir quelqu'un. Ou quelque chose. Il couru jusqu'au parc où il avait l'habitude de s'entrainer avec ses amis et fit quelques exercices sur les différents appareil. Son téléphone sonna, il l'ignora, continua et pesta lorsqu'il l'entendit à nouveau sonner. Il se décida à le regarder après moultes appels et jura quand il vit l'heure.

Il avait tellement ressenti le besoin de se défouler qu'il n'y avait pas prêté attention et était resté au parc bien plus longtemps qu'il ne l'imaginait. Dix huit heures trente étaient passées, et le tour complet devait se retrouver à dix-neuf heures au bar de Matsukawa. Entre le temps de rentrer, se laver, se changer et d'y aller, il finirait forcément en retard. Et concrètement, il n'avait même pas envie d'y aller. Las, il envoya un message concis à Oikawa "Pars sans moi." puis se mit en route vers son appartement.

Malgré la fraîcheur de Mars, Iwaizumi prit une douche froide pour tenter de redescendre, ce fut un échec.

Il se prépara en vitesse, attrapa une paire d'écouteurs et claqua sa porte d'entrée. Son bus passait dans moins de cinq minutes, il n'en avait pas une à perdre. Il lança au hasard une musique d'un groupe de rock américain, monta le volume et fit un signe de la main au chauffeur lorsqu'il passa près de lui.

Le trajet lui parut à la fois court et interminable.

Il inspira un grand coup. Sawamura leur avait demandé à tous de venir, ils avaient supposé que leur ami et collègue avait quelque chose à leur annoncer. Iwaizumi se claqua les joues, posa une main sur la poignée de porte et pénétra dans le bar. Malgré ce qu'il lui était tombé dessus plus tôt dans la journée, il ne pouvait se permettre de gâcher le moment. La joie et la bonne humeur ambiante lui nouèrent l'estomac, il esquissa tout de même un sourire lorsque Sawamura s'approcha de lui et l'abandonna lorsqu'il s'écarta.

Tâchant de se comporter normalement, il salua rapidement ses collègues et s'accouda au comptoir. Une main se posa sur le bas de son dos. Il se tourna légèrement vers Oikawa et tenta de sourire, sans réussite.

— Outch. Qu'est-ce qu'il s'est passé ? demanda Oikawa.

— Le rendez-vous avec Nobuteru. T'es pas au courant de ce qu'il voulait m'dire ? grinça-t-il.

— Et comment je le serais ? Je n'étais pas là à ce que je sache.

— Il aurait pu t'en parler avant... J'suis interdit de tonne.

Oikawa resta planté un instant sans rien dire. Il cligna plusieurs fois des yeux.

— Comment ça ? Pourquoi ?

— Les ICP. Apparemment mon manque de souplesse est dangereux, Iwaizumi commanda une bière et la porta à ses lèvres, il poursuivit, mauvais : « Mais faut pas qu'j'm'en fasse, c'est pas définitif. C'est ce qu'il m'a dit. Ah ! Pas comme si un an à attendre pour les repasser et donc être niqué pendant un an, ça paraissait pas définitif. Quel connard. »

Oikawa posa une main sur la sienne et la pressa doucement, le regard désolé.

— Je peux faire quelque chose ? Tu veux que j'essaye de lui parler ? proposa-t-il, « Si ça n'a pas posé problème jusqu'à présent, il doit y avoir une solution. »

— Mouais. Apparemment c'est parce qu'y'a pas mal de blessures et qu'il veut plus tenter le diable. J'pense pas que ça changera quoi que ce soit qu'tu t'en mêles et... Iwaizumi se mordit la lèvre : « Te vexe pas mais j'ai peur que ça empire la situation maintenant qu'la caserne sait qu'on est ensemble. »

— Pourquoi empirer ? Tu as pris une quelconque remarque à ce sujet ?

— Nan. Mais j'en ai déjà eu avant avec mon ex', alors autant éviter de chercher les emmerdes. J'préfère vivre ma vie tranquillement dans mon coin.

Iwaizumi attrapa sa bière, se tourna complètement et lui embrassa la tempe, il continua :

— Désolé d'avoir ignoré tes appels au fait, j'étais perdu dans mon sport. Trop énervé avec ces conneries.

Oikawa fronça les sourcils et croisa les bras sur sa poitrine.

— Si tu prenais une remarque à ce sujet à la caserne, parle-m'en, il inspira un grand coup et passa une main sur sa nuque : « Quitte à ce que tu sois énervé, il faut que je te dise, j'ai reçu un mail de Nobuteru ce midi. Apparemment, mes plannings ne sont pas assez diversifiés. »

— Pas assez diversifiés ? répéta-t-il.

— Oui, les engins sont toujours armés en fonction de vos préférences, souffla-t-il : « Sawamura aime les départs divers, Suga' préfère conduire la deuxième ambulance, Tsukishima préfère quand tu es son chef de secourisme... Tout ça, je m'y suis adapté, et apparemment, il ne faut pas. » il joua nerveusement avec son verre : « Vous êtes pompiers, pas pompiers à la carte, et vous devez partir sur tout, tout le temps. »

— T'essaie d'me dire quoi, au juste... ?

— Que tu ne vas plus assurer de départ en chef d'agrée ambulance avant un moment.

Le visage d'Iwaizumi se décomposa. Il reposa sa bière sur le comptoir, posa ses deux mains contre et baissa la tête en expirant longuement. Il avait envie de tuer Nobuteru.

— Donc en plus de m'niquer à l'incendie, ce bâtard me retire c'que j'aime le plus ?

Oikawa grimaça mais acquiesça.

— Tu ne devrais pas me parler de lui comme ça, il essaya de temporiser : « Quant à ce que je viens de te dire... Kuroo va se retrouver équipier, Yaku chef d'équipe, Tsukishima et Yamaguchi partiront au feu, l'ambulance deux aura un nouveau conducteur... Tous les armements changent, tu n'es pas le seul désappointé. »

— J'ai l'droit de t'parler de lui comme j'veux hors taf, pesta-t-il : « Tu comptes annoncer ça à la prochaine garde j'suppose ? »

Oikawa jeta un regard circulaire à la salle :

— Je ne pense pas que ce soit le bon moment, donc oui, mais si on m'en parle avant, je ne chercherais pas à le cacher, il haussa les épaules et bu une gorgée : « Va falloir que je recommence tout mon planning, si même chef d'équipe tonne tu ne peux plus l'assurer. »

— Donc demain, j'peux même pas profiter de toi... Tu crois que si j'me casse maintenant en prétendant qu'j'suis malade, ça passe ? J'vais pas t'nir la soirée.

Oikawa leva la main et frotta tendrement sa tête.

— Si tu as besoin que je laisse mon travail de côté pour une journée, je peux le faire, je serais toujours capable de rattraper ça les jours d'après, il lui sourit : « Quant au reste, ça s'est un peu prévu à la dernière minute, tu peux toujours attendre de savoir pourquoi on est là, puis on s'excuse et on s'éclipse, il comprendra parfaitement. »

— Ça dépendra pour quoi on est là, grommela Iwaizumi, il soupira, fit quelques mouvements pour détendre son cou et jeta un regard à son amant : « Bon, quand faut y aller… »

Ils prirent leur verre et s'avancèrent jusqu'à la table. Presque toute la garde y était présente. Iwaizumi en profita pour saluer ceux qu'il n'avait pas encore vu et s'assit. Oikawa resta près de lui et posa une main sur sa cuisse.

Ils s'immiscèrent dans une conversation avec Akaashi et Yaku, jusqu'à ce que Nishinoya fasse taire tout le monde.

— Bon, Sawamura ! Balance l'info', qu'est-ce qu'on fête ? s'exclama-t-il joyeusement.

Tous les regards se braquèrent sur Sawamura qui leur parut étonnamment heureux.

— Comme vous le savez déjà, puisque la plupart d'entre-vous étaient présents ce jour-là, ça fait deux ans que Michimiya a accepté de m'épouser, sous les cris de Tanaka et Nishinoya, il montra rapidement et fièrement son alliance qu'il portait quotidiennement malgré les risques du métier : « A presque trente ans, on a commencé à se dire qu'il serait temps... D'agrandir la famille. » les yeux s'arrondirent : « Et ça a été beaucoup plus simple que prévu, alors j'voulais juste vous dire que dans six mois, on se réunira une fois de plus, mais cette fois-ci pour féliciter Yui de son travail. »

Le tour resta silencieuse de longues secondes, avant que Nishinoya et Tanaka hurlent et sautent sur Sawamura. La table manqua d'être renversée au passage. Akaashi eut le réflexe de la tenir tandis que Yaku tentait de les faire lâcher le sergent. Kuroo se tourna presque immédiatement vers Sugawara :

— Avoue t'étais déjà au courant et t'es le parrain ?

— On peut rien te cacher...

— On s'en moque du parrain, le gosse aura tellement de tontons qu'il s'en préoccupera pas ! lança joyeusement Bokuto.

Kuroo explosa de rire à la remarque, Sugawara fut outrée :

— Hé ! Le parrain a un statut spécial, je serai son préféré que tu le veuilles ou non, argua-t-il.

Bokuto s'offusqua. Un argumentaire entre les deux débuta, arbitré par Kuroo sous les yeux ennuyés d'Akaashi. Chacun félicita Sawamura. Dans les mots, comme dans les geste, à grand coup de poings dans l'épaule ou de tape amicale. La soirée reprit son cours, dans une bonne humeur et une joie communicatives. Iwaizumi profita d'une troisième tournée pour s'éclipser et se rendit sur la terrasse. Le printemps ne tardait pas. Bien que la nuit était encore fraîche, les températures étaient supportables.

Matsukawa s'y trouvait, assis sur un tabouret et le nez dans son téléphone. Iwaizumi s'approcha, ouvrit le paquet de cigarette et en prit une sans demander la permission.

— Votre table avait l'air vachement joyeuse, le bonheur des autres t'emmerde à ce point ? se moqua Matsukawa en relevant les yeux.

Il l'alluma, prit une bouffée et lui souffla la fumée dans le visage.

— J'ai eu que des mauvaises nouvelles, c'est la première bonne depuis que j'suis levée. Laisse moi digérer tout ça, ok ?

— De là, à reprendre une clope…

— J't'emmerde.

— Dis tout à tonton Mattsun…

Iwaizumi leva les yeux au ciel. Il s'apprêta à répondre quand Kuroo débarqua :

— Bordel, j'viens de parler à la Diva, tu savais pour les plannings et les changements ? J'suis même plus chef de binôme, la loose ! Wow, attends, la dernière fois que j'ai pris une clope, t'as gueulé pendant deux jours…

Kuroo récupéra à son tour le paquet et s'en alluma une.

— Donc j'suppose que t'es au courant pour le planning, reprit-t-il en avalant la fumée.

— Ouais. Et j'ai été viré de la tonne en plus par Nobuteru. Aujourd'hui même. Ah et du coup, de l'ambulance aussi comme Oikawa a dû changer tous les plannings.

La cigarette figée à quelques centimètres de ses lèvres, Kuroo resta bête.

— Ah ouais, journée de merde. Tu gagnes.

— Hé, y'a une bonne nouvelle dans cette journée, votre pote va être papa, lança Matsukawa.

— Au moins une bonne chose, effectivement… soupira Iwaizumi en reprenant une bouffée.

— Non mais je rêve !

Ils se tournèrent tous les trois vers Oikawa, qui venait d'arriver.

Kuroo et Iwaizumi se regardèrent entre eux, puis leurs cigarettes, puis Oikawa.

— T'en veux une ? tenta Kuroo dans un sourire.

Oikawa parcourut les quelques mètres qui les séparaient et profita d'être le seul debout pour les regarder de haut.

— Qu'est ce que vous avez pas compris dans « Et se garder de tout ce qui pourrait nuire à sa santé » ?, gronda-t-il en pointant du doigts les deux cigarettes : « Il faut peut-être rendre cette déontologie plus claire pour que vous en saisissiez le sens ? »

Il croisa les bras sur sa poitrine et ajouta à l'intention d'Iwaizumi.

— T'as intérêt à prendre une douche quand on rentrera, c'est vraiment quelque chose qui ne me plaît pas, l'odeur du tabac froid.

— Promis.

— J'suppose donc que t'en veux pas, affirma Kuroo dans un rire.

— Fais gaffe, il me reste une place en tant que conducteur d'échelle, ce serait dommage que tu y sois piqué non ? répondit Oikawa, agacé.

L'hilarité de Kuroo s'arrêta net. Si Oikawa lui faisait ça, il ne sortirait qu'avec cet engin, autant dire qu'il ne ferait rien pendant les prochaines gardes. Il écrasa le bâton sans même le terminer et grommela :

— Ok, ok, tu gagnes, mais sache que c'est grave de la triche.

Oikawa se contenta de souffler du nez.

— Je venais vous voir car les autres commencent à se demander ce que vous faites, n'oubliez pas que c'est la soirée de Sawamura et que vous aurez tout le temps de pester pendant votre tour.

— Oui, monsieur, bien monsieur, se moqua Kuroo en se levant.

Il salua d'un geste Matsukawa et rentra sans demander son reste. Malgré la désapprobation d'Oikawa, Iwaizumi termina tranquillement sa cigarette sous ses yeux.

— Aller, on y retourne. Si vous avez le temps, v'nez vous asseoir avec nous, lança Iwaizumi à Matsukawa.

Il se leva et passa une main sur la hanche de son amant. Prêt à l'embrasser, deux doigt l'en empêchèrent.

— Alors comme ça tu fumes ? demanda-t-il avant d'écarter ses doigts.

— Seulement quand j'suis en colère, et qu'y'a Matsukawa dans le coin, souffla-t-il : « J'ai arrêté en entrant chez les pro'. »

Oikawa soupira.

— C'est bien d'avoir fait cet effort, mais je ne plaisantais pas tout à l'heure, l'odeur du tabac c'est, il grimaça : « Pas pour moi. Désolé. »

Iwaizumi fit la moue mais n'ajouta rien. Il glissa sa main dans celle d'Oikawa et l'entraîna à l'intérieur. C'était la soirée de Sawamura, il se devait d'être présent pour son ami et laisser le reste de côté.