26 mars
— On tient l'bon bout les gars !
Tanaka mit la tronçonneuse en route une fois de plus, encocha le tronc et commença la découpe. Yamaguchi qui avait écarté les lignes électriques s'assura qu'elles ne soient pas balayées par le vent et projetées contre la tronçonneuse. En retrait, Iwaizumi supervisait l'intervention.
Les violents vents de fin d'après-midi avaient couchés plusieurs arbres. C'était le quatrième qu'ils tronçonnaient en moins de deux heures, et bien que cette intervention là était plus intéressante de par la présence des lignes électriques, ça restait une intervention de merde. Il soupira et envoya son pied dans un caillou.
— Quand Tanaka a terminé on regroupe ça où ? demanda Yamaguchi.
Iwaizumi évalua le secteur d'un rapide coup d'oeil. Un mouvement sur l'autre rive attira son attention. Au vue de la taille, un gosse avait passé les rambardes de sécurité et s'était approché du vide.
— Espace dégagé, écarté du passage, facile d'accès pour être déblayé par la commune, lâcha-t-il platement, le regard toujours rivé sur le gamin.
Il entendit vaguement son collègue acquiescer. Les bras croisés sur la poitrine et le regard perdu sur l'autre rive, il soupira de soulagement en voyant l'enfant se tourner en direction des rambardes. Il le vit glisser, chuter, et disparaitre de son champ de vision.
— Bordel !
Rapidement, Iwaizumi dépassa ses collègues et s'approcha de la rive. Aucun signe du gamin.
— Un gosse à l'eau ! cria-t-il : « Finissez seuls et appelez les renforts ! »
Un signe de tête lui répondit alors qu'il ôtait rapidement sa tenue de feu, ne gardant sur lui que son legging et son maillot. Sans réfléchir, il dévala le talus et pénétra dans la rivière. L'eau glacée lui mordit les pieds, il serra les dents. Il s'avança et se crispa alors que l'eau commença à lui lécher la taille. Un pas supplémentaire et il n'eut plus pied. La rivière était traitre, le sol instable s'était écroulé par endroit, il était totalement possible d'avoir de l'eau aux genoux et ne plus avoir pieds du tout deux pas plus loin. À ça s'ajoutait le courant et la fraîcheur du mois de Mars... Il pria pour que le gamin sache nager un minimum.
— Gamin ! hurla-t-il.
Aucune réponse. Iwaizumi inspira longuement et nagea en direction de l'autre rive et légèrement dans le sens du courant. Le gamin avait dû être emporté, il ne servait donc à rien d'aller là où il l'avait vu chuter. L'adrénaline aidant, Iwaizumi parvint à mobiliser assez de forces pour atteindre l'autre rive, le courant le poussa à nager en direction de la mer. Feignant de ne pas sentir le brûlure dans ses poumons et le froid qui lui barrait les membres, Iwaizumi continua sa progression, hurlant régulièrement à plein poumons.
Au loin, un bruit de sirène lui fit entendre que les renforts arrivaient.
Il inspira goulûment et plongea une nouvelle fois la tête sous l'eau, lutant pour garder les yeux ouverts, il tâcha de discerner la présence ou non d'un quelconque gamin. Rien. Il jura, remonta à la surface et lança un bref coup d'oeil autour de lui. Un point ambulant attira son attention, à quelques mètres de lui sur sa gauche. Sans se poser de question, Iwaizumi nagea jusqu'à lui et fut soulager de comprendre que c'était le gamin. D'un geste rendu brusque par le froid, Iwaizumi le retourna et constata avec effroi qu'il ne respirait pas. Du mieux qu'il put; Iwaizumi l'attrapa sous les bras et le tracta. Nageant pour deux, fatigué par l'effort et engourdit par le froid, il mit ce qui lui sembla être une éternité à rejoindre la rive dont il venait. Plus facile d'accès que l'autre, il nagea jusqu'à sentir le sol sous ses pieds et poussa un soupir de soulagement en voyant ses collègues courir dans sa direction. Difficilement, Iwaizumi releva le gamin et le souleva hors de l'eau. Le pas lourd, il avança jusqu'à la terre ferme, allongea le gamin et s'écarta rapidement, Tanaka le releva auprès de l'enfant et commença le massage.
Une main se posa sur son épaule, puis une seconde et on le secoua :
— T'es GRIMP pas SAV, t'aurais jamais dû plonger !
Iwaizumi essaya de répliquer mais il claquait tellement des dents qu'il lui était impossible de parler. Sugawara passa une mains sous son bras et l'aida à remonter le talus qu'ils avaient dévalés. Sans lui laisser le choix, il le conduisit jusqu'au véhicule des SAV, attrapa avec précipitations plusieurs plaides et une couette de survie. Il lui ordonna de se déshabiller.
— Garde juste ton caleçon et enlève tout le reste, tu vas attraper la mort sinon lâcha Tanaka.
Lucide malgré le froid, Iwaizumi jaugea qu'il se réchaufferait plus vite en étant nu et se déshabilla sans gêne. Il attrapa rapidement les couvertures et s'enroula dedans.
— J'peux mettre le chauffage à l'arrière si t'as trop froid, ajouta Tanaka.
Iwaizumi secoua la tête et béni Sugawara lorsqu'il ajouta la couverture de survie autour de ses épaules. Il lui fallut cinq bonnes minutes pour être capable de faire une phrase sans se mordre la langue.
— Le gosse ?
— Vivant et pris en charge par l'ambulance, Sugawara posa une serviette sur sa tête et lui frictionna les cheveux : « Kuroo nous dit de te dire qu'il « te défonçera quand tu ramèneras ton cul à la caserne ». »
— Dis-lui que j'ai déjà quelqu'un qui s'en occupe, rétorqua-t-il mi-amer, mi-moqueur.
Sugawara haussa les sourcils et se mit à rire.
— Ce genre de chose ne me regarde absolument pas, souffla-t-il lorsqu'il eut retrouvé son calme : « Attends toi à ce que le Lieutenant te sermonne, il avait pas l'air ravi quand Yamaguchi a passé le message radio. »
— S'il me sermonne juste, j'serai heureux...
— Il avait plus l'air de vouloir atteindre à ta vie, avoua Sugawara : « Mais ça lui passera, tarde pas trop à aller le voir je pense. S'il doit te courir après pour te parler ça risque te le tendre encore plus. »
Iwaizumi grimaça. Il était certain qu'il n'aurait pas besoin de le chercher, il devait l'attendre de pied ferme avec Kuroo. La réelle question était de savoir lequel des deux allait l'achever.
— On te ramène, affirma Sugawara avant de se tourner vers Tanaka : « Je vous laisse ramener le VIDP, on se retrouve à la caserne. »
Tanaka jeta un coup d'oeil à Iwaizumi, qui restait, malgré les ordres de Sugawara, son chef. Il opina. Tanaka quitta le véhicule et referma les portes. Il tapa deux fois sur l'arrière du véhicule qui se mit à vrombir.
Iwaizumi pria le long de la route pour pouvoir au moins prendre une douche avant de se faire engueuler. Quand ils arrivèrent dans le hangar et qu'il posa le pied au sol, il comprit que ça ne serait pas le cas.
Oikawa et Kuroo étaient postés l'un à côté de l'autre, le regard rivés sur lui. Les voir de front face à quelqu'un était flippant, et encore plus quand il savait que la cible, c'était lui-même. Il regretta le temps où ils se chamaillaient. Il les observa, il nota qu'ils bloquaient le chemin vers la salle de vie, et donc vers les douches.
— J'ai vraiment b'soin d'me doucher, j'suis à poil et j'ai froid, lança-t-il en guise de salut.
— Pas mon problème, Oikawa jeta un regard à Kuroo et lâcha, devant son air résolu : « Pas le sien non plus. »
Iwaizumi s'approcha, tenta de les contourner, sans succès. Il leur lança un regard noir :
— Bougez-vous le cul de gueuler au lieu d'attendre, 'tain, j'me les gèle !
— Ça ne serait pas arrivé si tu avais mis ta combinaison... commença Oikawa avant de s'arrêter : « Ah, mais je suis bête. Tu n'en as pas. Puisque tu n'es pas sauveteur aquatique ! » il se tourna vers Kuroo : « Mon bureau est disponible, il est douillet, et il y fait chaud. Ou bien le hangar, moins confortable, sujet aux courants d'airs, avec du passage. Une préférence ? »
— Le hangar, évidemment, sourit-il sadiquement : « Après tout, il a été capable de se jeter dans une rivière en crue complètement gelée, alors garder les deux pieds sur du béton froid devrait être tenable. »
— Le gosse allait crever ! J'pouvais pas l'regarder clamser, si ? Sans dec' !
— Sauver ou périr c'est la seule chose que tu as retenu ? Non parce que, si réellement c'est ça... Je peux te donner des cours du soir et t'expliquer les nuances de notre adage, railla Oikawa : « C'était stupide et inconscient. Et c'est pas comme si tu avais eu un sauveteur aquatique sous la main non ? » Il se tourna vers Kuroo : « Tanaka n'a pas passé cette formation ? »
— Eh bien, non seulement il a passé cette formation, mais en plus, il l'a réussie haut la main et est l'un des meilleurs de la ville, minauda Kuroo : « Ah, mais je crois, cher Lieutenant, que notre sergent ici présent a oublié ce détail. »
— Mais j'vous emmerde ! Ok, j'ai pas réfléchi, ok j'aurais pu agir autrement, mais quand j'l'ai sorti de l'eau, il respirait plus alors merde ! Maintenant, j'veux prendre une douche, me réchauffer et après, si vous voulez me faire chier, allez-y !
— Si on l'fait après, t'en auras rien à foutre. Et là, tu comprends à quel point c'est chiant quand tu m'fais ça, non ? sourit Kuroo.
— Tu m'en voudrais, Kuroo, si j'envoyais Iwaizumi se faire former chez les SAV ? les interrompit Oikawa : « Il semble avoir un réel attrait pour l'eau, d'abord la rivière, maintenant la douche, il faut penser à une reconversion. »
Iwaizumi le foudroya du regard.
— Tu avais un problème avec les douches, et t'as toujours un problème avec les douches, il passa entre eux, les bouscula au passage et chuchota : « C'était une question de vie ou de mort, j'le referais s'il fallait et si vous êtes pas contents, allez vous faire foutre. »
Kuroo emboita son pas, Oikawa sur les talons :
— Dans ce cas là, faut que j'te suive dans les douches…
— Fallait me prévenir dès le départ que tu étais ouvert à ça, Iwa-chan !Je n'aurais pas repoussé tes amis, ajouta Oikawa.
— Iwa-chan ? nota Kuroo tandis qu'ils passaient dans la salle de vie, ils arrivèrent dans les douches : « Sans dec', mais c'est adorable, ça… »
Iwaizumi grinça des dents, rentra rapidement dans la douche et ferma le loquet derrière lui. Il jeta les couvertures sur le dessus des parois, ouvrit le jet d'eau et insulta le monde.
— Un problème, Iwa-chan ? taquina Oikawa.
— Je crois qu'il vient de se rendre compte qu'il n'a pas pris de change ni son gel douche, ricana Kuroo.
Iwaizumi se tourna, ses couvertures venaient de disparaitre, il jura tandis que Kuroo continuait :
— Et je crois qu'il vient aussi de se rendre compte qu'il allait devoir chercher tout ça complètement à poil et trempé, et donc devoir nettoyer juste après le sol qu'il aura lui-même mouillé.
Impudique, il ouvrit la porte et jeta un regard noir à Kuroo. Ce dernier lui rendit, un sourire goguenard sur le visage, tandis qu'Oikawa avait une main devant sa bouche, faussement choqué.
— Je suis scandalisé par tant de débauche.
Iwaizumi l'ignora. Complètement nu, il se rendit dans le vestiaire et revint avec ses affaires, sous les rires des deux énergumènes.
— On peut te frotter le dos, si tu veux, s'amusa Kuroo.
— Cassez-vous, putain !
Hilares, il les entendit s'esclaffer encore un peu, avant que le silence ne reprenne ses droits. Il termina tranquillement sa douche et soupira de bonheur d'être sec et propre. Quand il sortit de la cabine, Oikawa était encore là, adossé aux lavabos, les bras croisés.
— T'as réellement un problème avec les douches, lança Iwaizumi.
Oikawa sourit mais ignora la remarque. Il s'approcha et le prit dans ses bras.
— Ce que tu as fait était vraiment stupide, il se recula et le fixa sérieusement : « Certes, c'était une urgence vitale, et c'est pour ça qu'en tant que lieutenant, je t'ai simplement passé un savon rapide, mais ne refais plus jamais ça. Réfléchis un peu, je ne serai pas aussi sympathique la prochaine fois. »
Iwaizumi baissa les yeux, légèrement honteux.
— Ouais, j'comprends. Désolé de vous avoir inquiétés.
— Il n'empêche que tu les enchaines en ce moment, alors fais attention. Les excuses sont inutiles quand on ne change pas de comportement.
La pique s'encocha en plein coeur. Iwaizumi grommela quelque chose d'inaudible et tourna la tête. Son Lieutenant n'avait pas tort, presque même raison. Il soupira et frotta les cheveux d'Oikawa. Il affirma une nouvelle fois qu'il ferait plus attention et s'engagea vers la salle de pause. Il était certain qu'il ne ferait plus d'erreur dans les prochains mois, celles-ci lui servants de leçon. S'il avait su qu'il n'aurait pas l'occasion d'en faire d'autres, il se serait peut-être abstenu.
