14 avril
Iwaizumi soupira et reposa sa manette.
— T'es nul aujourd'hui, se moqua Kuroo en croisant les bras derrière sa tête, tout sourire.
Iwaizumi lui lança un regard las, se leva et alla dans sa cuisine. Il attrapa deux tasses qu'il remplit de café, sans même prendre la peine de demander à son ami. C'était une règle d'or, Kuroo ne refusait jamais un café, peu importe l'heure, tant qu'il était noir, et sans sucre.
Il tournait en rond depuis dix-sept jours, et même si le calvaire touchait à sa fin, puisqu'il reprenait enfin le travail le lendemain, quelque chose le taraudait. En dix-sept jours, il avait vu ses amis se relayer pour lui tenir compagnie et ne pas le laisser seul, comme s'il avait eu besoin de ça. Que ce soit Hanamaki, Matsukawa, Kuroo, Bokuto, Yaku ou même Akaashi et Tsukishima, ils étaient tous venus à un moment donné pour lui changer les idées. Le seul qu'il avait plus croisé que vu, c'était Oikawa.
— Qu'est ce qu'il a encore, pesta Iwaizumi à l'intention de Kuroo.
Il était persuadé qu'il l'avait vu plus que lui ces derniers jours. Les quelques gardes qui s'étaient déroulées sans lui jouant pour beaucoup, certes.
— Et là, je suis supposé être frappé par la lueur divine et savoir de qui tu m'parles ! railla Kuroo.
— Oikawa, tu veux qu'ce soit qui d'autre.
Il déposa les café avec un peu trop de virulence sur la table basse.
— C'est moi qui suis mis à pied mais c'est lui qu'ça emmerde le plus, j'te jure. Je l'ai presque pas vu d'puis le conseil, marmonna Iwaizumi en buvant une grande gorgée de café.
— Ah ? s'étonna Kuroo.
Il haussa les épaules, changea de canal sur la télé et mis une chaine musicale quelconque.
— Ouais, enfin, si, on s'croise le soir, il arrive tard, a pas l'temps de manger qu'il s'endort et repart très tôt, il m'a dit qu'il était très occupé, j'vois ça.
— Qu'est-ce que tu insinues là ? demanda Kuroo, totalement sérieux, les bras croisés sur ses genoux et le regard rivé sur son ami.
Iwaizumi prit une grande inspiration et expira lentement.
— Rien, je dis juste que je le vois plus, qu'il passe tout son temps à... À je sais même pas en fait, et ça m'fait chier.
Il reçu une tape derrière la tête alors que Kuroo se relevait. Il attrapa son téléphone dans la poche de sa veste et Iwaizumi le vit taper un message.
— J'ai conscience qu'il a beaucoup de boulot, d'ailleurs c'est impressionnant, j'imaginais pas ça comme ça d'être lieutenant, il passe son temps le nez dans les papiers, souffla Iwaizumi, il reprit agacé de nouveau : « Et j'peux comprendre qu'il ait des choses à faire à côté, mais… »
Il fronça les sourcils, posa sa tasse et croisa les bras sur sa poitrine.
— Mais ça t'emmerde parce que c'est ton mec et que t'avais besoin de lui, poursuivit Kuroo, le regard à nouveau posé sur son téléphone, il tapa un autre message et reprit : « Et que tu comprends pas qu'il soit pas avec toi en ce moment plutôt que moi. »
Piqué, Iwaizumi du admettre qu'il avait raison. Bien qu'il appréciait et remerciait sincèrement la présence de Kuroo, c'est d'Oikawa dont il avait besoin.
— Bon, bouge de là, on va chez lui.
Iwaizumi se leva et fit quelques pas avant de se stopper net.
— On va pas débarquer à l'improviste chez lui, si ça s'trouve il est occupé.
Kuroo, déjà dans le couloir en train de mettre ses chaussures leva un oeil vers Iwaizumi.
— Et alors ? Depuis quand ça te dérange que quelqu'un soit occupé quand t'as quelque chose à dire.
Touché. Iwaizumi détourna le regard et mis ses chaussures en marmonnant. Il vérifia avant de partir les gamelles du Fauve, attrapa sa veste et claqua la porte d'entrée.
En silence, ils se dirigèrent vers la place de stationnement qu'occupait Kuroo et grimpèrent dans la voiture. Il quitta sa place de parking et s'engouffra dans la ville, naturellement. Iwaizumi tiqua.
— Comme ça s'fait que tu sois venu en voiture ? D'habitude tu viens à pieds ou en moto.
Kuroo haussa les épaules.
— Il aurait fallut que j'fasse le plein, et j'avais pas ma carte sur moi, flemme de remonter.
Iwaizumi fronça les sourcils, et même si cela lui parut étrange, il ne fit aucune remarque. Ils se moquaient de Bokuto, mais Kuroo pouvait être lunatique aussi, par moment, à des degrés bien moindre, mais quand même. Kuroo mit son clignotant et pénétra la nationale, ils quittèrent la ville, les grandes étendues vertes remplaçant peu à peu les immeubles gris. Iwaizumi ferma brièvement les yeux et profita un instant de la musique que diffusait l'autoradio de Kuroo. Il pouvait lui reprocher plein de choses, mais certainement pas d'écouter de la merde. Il les rouvrit, prêt à lui indiquer la sortie à prendre, mais fut surprit de voir Kuroo déjà engagé.
— J'rêve où tu sais exactement comment on va chez Oikawa ?
Un sourire étira les lèvres de Kuroo alors qu'il se rabattait. Il ignora la question, tourna une fois sur la droite , deux fois sur la gauche, puis il pénétra dans le lotissement d'Oikawa, sous le regard incrédule d'Iwaizumi. Il freina, adaptant sa conduite à un lotissement et continua d'avancer. Iwaizumi le vit se pencher plusieurs fois sur la gauche pour lire le numéro des maisons.
— Il habite au cent dix neuf, marmonna Iwaizumi.
— Je sais.
Kuroo se gara au frein à main devant la maison d'Oikawa, faisant pleuvoir des injures auxquelles il répondit par un sourire.
— J'peux savoir à quel moment t'es v'nu chez mon mec, gronda Iwaizumi.
Le fait qu'il sache s'y rendre était quelque chose qu'il pouvait à la rigueur comprendre, Kuroo avait fait des recherches sur Oikawa, et ça ne l'étonnerait pas plus que ça qu'il ait apprit où il habitait et qu'il soit venu voir ça de lui même. Mais là, lorsqu'il le voyait évoluer dans son jardin, il sentait que c'était plus que ça. Et ça ne lui plaisait pas. Sans prendre la peine de sonner, Kuroo ouvrit le portillon, prit l'allée qui menait jusqu'à la maison et toqua à la porte.
Iwaizumi ouvrit la bouche, estomaqué, lorsque Kuroo pénétra dans la maison sans même y avoir été invité. Que lui le fasse, c'était une chose, parce que lorsqu'il venait, Oikawa l'attendait et s'attendait à le voir entrer, en plus, il lui avait donné une clé. Mais que Kuroo le fasse... Avant qu'il n'ait le temps de réagir, Kuroo était à l'intérieur et avait déjà retiré ses chaussures.
Perdu, Iwaizumi s'annonça et rentra à son tour dans la demeure. Il retira ses chaussures et rangea sa veste dans le placard, sans prendre la peine d'y mettre celle de Kuroo. Il fronça les sourcils lorsque plusieurs voix qu'il connaissait parvinrent à ses oreilles. Sans un mot, il traversa le couloir et regarda, surpris, son amant attablé avec Sugawara et Akaashi.
— Expliquez-vous en vitesse, il est au bord de la syncope j'crois.
Oikawa sursauta et releva son nez d'un tas de documents, visiblement, il ne les avait pas entendu approcher. Lorsqu'il se tourna vers eux, Iwaizumi le trouva étonnamment pâle et cerné. Il croisa les bras sur sa poitrine et attendit, planté au milieu du salon, qu'Oikawa dise ou fasse quelque chose.
Oikawa ouvrit la bouche, la referma, jeta un regard aux papiers puis à Iwaizumi. Ces dix-sept jours avaient été épuisants. Il avait mené de front ses gardes et les recherches qu'il faisait pour sortir Iwaizumi du viseur de leur chef de centre. Persuadé que cet acharnement était dû à son homosexualité fraîchement avouée, il avait passé en revu chaque conseil de discipline, chaque blâme et chaque sanction pour pouvoir comparer avec ce qu'Iwaizumi avait pris.
Sugawara, fin observateur n'avait pas mis longtemps à comprendre ce que préparait Oikawa et lui avait parlé de deux sapeurs qui étaient partis sans explications après s'être mis en couple. Ils avaient été mis en contact et Oikawa leur avait demandé de venir témoigner de ce qu'ils avaient subis.
Il se frotta les yeux et s'étira pour tacher de mettre en ordre les mots dans son esprit. Au vue du regard que lui jetait Iwaizumi, il avait intérêt à vite s'expliquer. Il inspira longuement, prêt à prendre la parole lorsque Akaashi le devança :
— Ça fait dix sept jours qu'Oikawa retourne la caserne pour constituer un dossier contre le chef de centre.
Iwaizumi haussa un sourcil.
— Comment ça « constituer un dossier contre le chef de centre » ? J'comprends pas.
Oikawa soupira et posa sa tête sur sa main.
— Je suis persuadé que tout ça, ça découle du fait que tu sois gay, et je suis aussi persuadé qu'il ne te lâchera pas tant que tu n'auras pas quitté la caserne d'une façon ou d'une autre, il souffla : « Et je ne peux pas le laisser faire ça. »
Iwaizumi posa son regard sur Oikawa, puis sur la table qui, bien que grande, croulait sous les papiers. Incapable de réaliser l'ampleur de ce qu'était en train d'accomplir son amant, il s'approcha, interdit, et laissa courir son regard sur les documents sans trop oser s'attarder dessus. Des coups de surligneurs, des rayures et des annotations de son amant barraient la plupart des papiers.
— Le secret professionnel s'est envolé dès que Kuroo est rentré dans cette pièce, tu peux les regarder, marmonna Oikawa : « Mais ne les déplace pas, j'étais en train de les trier quand… » il haussa les épaules et jeta un coup d'oeil à Kuroo.
Iwaizumi se retourna et lança un regard noir à son ami.
— Parce que t'étais au courant toi aussi ? pesta-t-il pour la forme.
— Tu crois qu'j'ai pas r'marqué qu'il venait pas te voir ? Et que sa tronche était de plus en plus fatiguée à chaque fois que j'le croisais ? Quand j'ai compris qu'il mijotait un truc j'pouvais pas rester sans rien faire, bouda Kuroo.
— Ok, tout l'monde est au courant sauf moi ?
— Ne le prends pas mal, soupira Oikawa : « Je ne voulais pas te donner de faux espoirs, si ça ne menait à rien. Et si on apprend que tu m'as aidé... Que quiconque m'a aidé, ça peut foutre en l'air le dossier. »
— Alors pourquoi tu m'en parles maintenant ?
— Parce que tu ne vas pas bien d'après Kuroo…
— En même temps, j'vois pas mon mec pendant plus d'quinze jours au pire moment sans savoir pourquoi, coupa Iwaizumi.
Oikawa le regarda, las, puis termina :
— Et parce que j'ai reçu un mail confirmant la tenue d'un conseil contre Nobuteru. Donc ça devrait mener à quelque chose.
Iwaizumi s'adossa au canapé et croisa les bras.
— Même s'ils le sanctionnent, le prochain chef peut être pareil si c'est pas pire que Nobuteru, lâcha-t-il.
— On en sait rien, fit Akaashi : « Ne soit pas si négatif. »
— Je n'aurais qu'à passer capitaine, ajouta Oikawa : « Rien d'impossible, en somme. » ironisa-t-il.
Sugawara, Akaashi, Kuroo et Iwaizumi le fixèrent avec des yeux ronds.
— J'pensais pas que t'étais fatigué à ce point-là, lâcha Kuroo.
Oikawa farfouilla dans ses tas organisés, attrapa l'un des dossiers et l'ouvrit. Ils virent tous le titre en gros « Concours externe de capitaine de sapeur pompier professionnel ».
— T'es pas sérieux, souffla Iwaizumi après quelques secondes.
Kuroo prit le dossier et vérifia le reste des pages.
— Aux grands maux, les grands remèdes, souffla Oikawa.
— Putain, il l'a vraiment rempli, le con, lâcha Kuroo.
— Tu te sens de repartir à l'école pendant presque deux ans ? demanda Sugawara.
Oikawa haussa les épaules en guise de réponse, et reprit son dossier sous les marmonnements de Kuroo.
— J'aime l'idée qu'on m'appelle mon capitaine, sourit-il.
— Tu veux pas qu'on t'appelle seigneur, non plus ?
— Si tu veux, tu le peux, sourit Oikawa en rangeant son dossier.
Il y eut un léger silence, Iwaizumi s'avança vers la cuisine et se servit un verre d'eau. Ils retournèrent dans le tri de leur papier jusqu'à ce qu'il lance à Oikawa :
— Mais je croyais que t'aimais ton taf ?
— Bien sûr que je l'aime. Mais si je l'apprécie autant c'est pour l'aspect relationnel et je ne peux pas concevoir ni accepter qu'un chef puisse faire ça à ses propres hommes, donc… Le plus simple c'est que je le devienne.
La fatigue lui fit ajouter :
— Je gère déjà un tour et pas le plus facile, alors trois de plus…
Les quatre hommes restèrent interdits quelques secondes.
— Mais on t'emmerde ! lança Kuroo le premier.
Oikawa ne répondit même pas, termina de trier ses papiers et de faire ses piles de feuilles. Il se leva finalement, s'approcha d'Iwaizumi et l'embrassa tendrement.
— Faîtes comme chez vous, moi, j'ai dix-sept jours de sommeil à rattraper. À demain, lâcha-t-il alors qu'il montait les escaliers d'un pas lourd.
Ils le suivirent tous du regard, puis s'observèrent entre eux. Kuroo eu un sourire, puis commença à loucher un peu partout.
— Si tu fourres ton nez quelque part ici, j'te l'arrache, lui lança Iwaizumi.
— T'es beaucoup trop rigide.
Sugawara soupira et se leva.
— Bien, maintenant que notre hôte est parti, je vais également prendre congé.
— Je vais faire de même, lâcha Akaashi : « Bokuto devient intenable », ajouta-t-il en désignant son portable.
Sugawara sourit à la remarque. Il avait appris dans la semaine pour leur couple suite au dossier qu'ils montaient, et ce fut son manque de surprise qui les avait étonnés. Sugawara décida de ramener Akaashi, et Kuroo les suivit. Cinq minutes plus tard, Iwaizumi était à nouveau dans le salon, seul. La pile de papier le ramena dans la réalité. Le travail qu'avait accompli Oikawa en une quinzaine de jours était colossale, il se sentit coupable de ne pas l'avoir aidé, bien que reconnaissant. Il se promit de le détendre de toute les manières possibles dès qu'il aurait récupéré.
