21/04/2022

Iwaizumi bailla.

— Comment peux-tu être si détendu ? lâcha Oikawa, les deux mains cramponnées à son volant.

— J'suis pas détendu, je baille parce que j'suis fatigué.

Oikawa lui jeta un regard irrité, mais ne répondit pas. Il s'engagea sur le parking de la caserne et se gara. Il activa le frein à main et bascula sa tête en arrière.

La main d'Iwaizumi trouva la sienne et la serra légèrement dans un geste de réconfort.

— Ça va aller. T'as un dossier en béton, t'as répété des dizaines de fois, listé tous les arguments... Il va pas faire le poids, affirma Iwaizumi.

Oikawa sourit au geste et aux paroles. Il caressa lentement ses doigts.

— Oui, mais c'est pas toi qui vas devoir parler d'un sujet qui te touche personnellement, en étant complètement détaché, à tes grands chefs, Oikawa soupira : « Et puis... Si je me plante, tu risques ton poste. De quoi être nerveux, non ? »

Iwaizumi se détacha, vérifia qu'il n'y avait personnes aux alentours et se pencha sur Oikawa. Il l'embrassa rapidement et lança :

— J'trouverai un autre boulot, ma vie s'arrêtera pas là. Tant qu'tu restes avec moi, ça ira.

Profitant du choc de ses propos, il ébouriffa les cheveux d'Oikawa et ajouta :

— Aller, bouge, on va être en retard, fit-il en descendant de la voiture.

Oikawa resta bête un instant, regarda son amant s'éloigner et quitta précipitamment la voiture. Il fit de grandes foulées pour se mettre à son niveau, lui attrapa le bras puis la nuque et l'embrassa avidement. Les joues encore rouges de la déclaration, Oikawa rompit le baiser, caressa du pouce la joue de son amant et le devança. Il poussa la porte du hangar, s'y engouffra et marcha jusqu'à la salle de réunion. Nobuteru, déjà arrivé, attendait dans le couloir, les bras croisés sur la poitrine. Malgré tout, Oikawa le salua poliment, Iwaizumi sur ses talons le toisa et ne lui adressa pas un mot. On leur ouvrit la porte. Nobuteru pénétra le premier dans la salle, s'assit sur le fauteuil isolé et attendit patiemment que tout le monde prenne place. Face à lui s'installèrent Oikawa, le Colonel Sato, chef du groupement Sud-Est et Fujimoto, représentant du Contrôleur Général. En retrait sur sa droite, Iwaizumi et deux sapeurs dont il gardait un vague souvenir.

— Messieurs, Fujimoto salua brièvement les hommes présents dans la pièce et s'assit, claqua les feuilles sur le bureau et distribua un document à ses deux voisins de table, : « Le conseil se réunit en ce jour à la demande du Lieutenant Oikawa et à l'encontre du Commandant Nobuteru. », il fit un signe de tête à Oikawa : « Nous sommes ici pour débattre du dossier constitué par le Lieutenant Oikawa à qui je laisse maintenant la parole. »

Oikawa inspira longuement, se leva et quitta sa place. Le pas assuré, il distribua un feuillet à chaque personne dans la pièce, Nobuteru et témoins compris. Puis retourna à sa place, inspira une nouvelle fois et commença sous le regard encourageant de son amant :

— Tout d'abord, veuillez m'excuser pour le dérangement occasionné, chaque personne dans la pièce hocha la tête, : « Je vous ai réuni en ce jour pour vous faire part de la gêne que j'ai ressenti le jour où je me suis rendu compte que mon chef de centre, le Commandant Nobuteru, jugeait avec partialité ses hommes pour leur orientation sexuelle. »

Il tâcha d'ignorer le regard que posa son chef de centre sur lui et poursuivit :

— Le Sergent Iwaizumi, ici présent, s'est vu punir de manière injuste certains de ses actes suite à son coming-out au sein de la caserne. Avant d'être arrêté, je sais que des conseils de disciplines ont été tenus et que le sergent y a été jugé à ce moment là, mais comme vous le verrez sur les six premières pages du dossier que je vous ai remis, le motif de jugement et la sanction qui en ont découlé étaient inédits pour notre caserne.

Le chef de groupement et le représentant du Contrôleur général regardèrent attentivement les six premières pages du feuillet. D'un signe de la main, le représentant invita Oikawa à poursuivre.

— Le même homme, en plus d'une mise à pied d'une durée de quinze jours pour avoir secouru une victime, s'est vu privé de départ à l'incendie suite à ses ICP. Son score, à la limite de l'acceptable à la souplesse depuis son entrée à la caserne, s'est soudainement vu poser problème. Vous trouverez en pages sept, huit et neuf, une liste de sergent, ou ayant été sergent, avec un score similaire mais qui ne se sont jamais vu privés de ce droit.

Une nouvelle fois, les pages se tournèrent. Le regard d'Iwaizumi accrocha celui d'Oikawa. Il lui adressa un bref sourire et remis son nez dans le feuillet.

Nobuteru ne manqua pas de remarquer l'acte.

— Lieutenant Oikawa, qu'elle est la nature de votre relation avec le sergent Iwaizumi ? demanda-t-il, imperturbable.

Décontenancé un instant, Oikawa se ressaisit et répondit avec flegme :

— Le sergent Iwaizumi est mon conjoint.

Le représentant du contrôleur général, déjà au courant, se contenta d'hocher la tête. Contrairement au chef de groupement qui les regarda tour à tour, surprit.

— Ne craignez vous pas que vos sentiments aveuglent votre jugement ? demanda Sato.

— Je suis capable de faire la part des choses. À la caserne, nous sommes un chef et son subordonné. Preuve en est le blâme et la mise à pied. Cependant, côtoyer le sergent en dehors m'a ouvert les yeux sur ce qu'il se passait entre ces murs. Et ça, je ne peux le laisser couler, que ce soit pour mes hommes actuellement, pour ceux qui viendront, ou pour ceux qui l'ont subit. À ce propos, je vous présente les anciens sergents Kikuchi et Nomura.

Les deux hommes à la droite d'Iwaizumi se levèrent, les saluèrent et se rassirent.

— Ils ont tous deux été sapeurs ici, sous les ordres du chef de centre Nobuteru, pendant six ans. Il y a cinq ans, ils nous ont quitté. Je vous ai joint leurs dossiers si le coeur vous disait de le regarder. Ce qui est en train de se dérouler suit le schéma de ce qu'ont vécu ces deux hommes.

Oikawa arrête un instant de parler, jeta un regard à Nobuteru puis aux deux hommes.

— Est-ce que leurs visages vous disent quelque chose ? Demanda-t-il à son supérieur.

— Vaguement, oui.

Nobuteru croisa les bras sur sa poitrine.

— Est-ce que vous savez, que suite à ce qu'ils ont vécu au sein de cette caserne, l'un de ces hommes a définitivement quitté le milieu des pompiers ? Tandis que le deuxième a changé de département, et même de région.

Sato leur lança un regard :

— Le lieutenant Oikawa dit vrai ? Les hommes hochèrent la tête : « Pourquoi ? Si ce n'est pas indiscret. J'ai le compte rendu de votre entretien avec le Contrôleur Général, mais j'aimerais vous l'entendre dire devant tout le monde. »

Les deux hommes se regardèrent un instant. Kikuchi se leva et s'approcha du chef de groupement :

— Nous étions pompiers depuis trois ans lorsque nous avons commencé à nous fréquenter. Nous étions dans deux tours différents et avions appris à nous connaître lors des saintes barbes et des fêtes nationales. J'étais dans le tour un, mon conjoint dans le trois. Nous avons fait avec pendant près d'un an, ils échangèrent un regard et un sourire « Lorsque nous avons décidé d'emménager ensemble, en fin d'année, pour la logistique, nous avons décidé que j'intègrerais le tour trois, en déclarant de ce fait notre couple à mon chef. Malheureusement, cette demande n'a pas aboutie, problème d'effectif du tour un, chose que nous avons parfaitement compris. Sauf que, suite à ça, mes départs à la tonne se sont espacés, je récoltais des sanctions et blâmes à tour de bras, j'ai été mis à pied près d'un mois pour une erreur bête en intervention. Lorsque mon conjoint est allé voir le chef de centre pour mettre les choses au clair, nous avons été cordialement invités à partir. Souhaitant tout deux partir dans la région de Kyoto, nous avons bénéficié d'une recommandation pour précipiter notre départ. » l'homme inspira longuement et posa son regard sur Oikawa « Nous n'avons pas pensé qu'accepter ce pot de vin pour partir pourrait avoir ce genre de conséquences. Nous étions jeunes et n'avons pensé qu'à notre intérêt personnel. »

Sato le remercia et Kikuchi retourna s'asseoir aux côtés de son conjoint. Leurs mains se lièrent. Nobuteru tiqua, grimaça légèrement et détourna rapidement le regard. Oikawa s'assura que ses deux supérieurs aient vu la réaction du chef de centre et sourit intérieurement en comprenant que c'était le cas.

— Autre chose à ajouter, Lieutenant ?

Fujimoto le tira de ses pensées. Il s'excusa brièvement.

— Oui, excusez moi, je réfléchissais, Oikawa tourna son attention vers Nobuteru : « Je voulais aborder un aspect personnel de ma vie, puisqu'elle a été mise sur le tapis par Nobuteru. », Oikawa jeta un regard à son amant : « Il m'a été compliqué de fréquenter le Sergent, car celui-ci craignait les réactions de ses collègues. Le fait que je sois son supérieur a aussi joué là-dedans, mais ce que j'ai retenu, c'est qu'il craignait les réactions que pourrait engendrer son homosexualité. Je me suis alors intéressé un peu plus aux autres sapeurs, tout tours confondus, et certaines personnes m'ont confié ne pas oser se montrer de crainte du jugement, ou de crainte de se faire renvoyer. »

Théâtralement, Oikawa se redressa et posa son regard tour à tour sur ses supérieurs.

— Est-ce que vous trouvez ça normal, que vos subordonnés soient obligés de se cacher au sein de leur propre famille de crainte d'être jugés ou brimés ? Oikawa expira longuement : « Je trouve ça anormal qu'une profession, qui se veut portée sur des valeurs familiales, de cohésion et de respect mutuel, pousse ses hommes à se cacher. »

Oikawa lança un regard à Nobuteru et s'assit.

— C'est terminé pour moi, je vous rends la parole, Fujimoto.

Le représentant du Contrôleur Général regarda Nobuteru, puis Iwaizumi et les deux anciens sapeurs. Il se leva, invita toutes les personnes présentes à faire de même :

— Nous allons maintenant délibérer en privé et viendrons à votre rencontre lorsqu'une décision aura été prise.

D'un signe de main, Fujimoto éconduisit les hommes et ne restèrent dans la salle de réunion plus que lui, Sato et Oikawa. Il approcha la chaise qu'occupait Nobuteru quelques instants auparavant. Il s'installa face à ses deux supérieurs et attendit que l'un deux prenne la parole en premier.

— Je propose que nous regardions une fois de plus les différents éléments mis en avant par Oikawa.

Sato approuva l'idée. En silence, ils parcoururent avec attention chaque blâme, compte rendu de conseil et rapport sélectionné par Oikawa. Lorsqu'ils eurent terminé, Fujimoto referma son livret, passa ses mains sur son visage et soupira.

—Qu'en pensez-vous, Colonel Satou ?

Il referma à son tour le livret, posa ses mains à plat sur le bureau et planta son regard dans celui d'Oikawa :

— Votre dossier est… Complet. On voit que c'est quelque chose qui vous tenait à coeur.

— Venez passer une garde en notre compagnie, vous comprendrez mieux mon attachement pour ces hommes, répondit Oikawa.

— Nous avons tous les trois notés le regard qu'a jeté le Commandant lorsque les deux hommes se sont tenus la main, n'est-ce pas ?

Oikawa et Fujimoto firent « oui » de la tête.

— Je crois qu'à partir de ce moment, nous avions la réponse à notre question, continua Sato.

Fujimoto les regarda à tour de rôle, jeta un nouveau coup d'oeil au feuillet et reprit la parole :

— Alors nous sommes tous les trois d'accords pour dire que Nobuteru doit-être sanctionné, il inspira longuement : « Que proposez-vous ? »

— Je suis de l'avis qu'il ne vaut mieux pas ébruiter cette affaire, Fujimoto hocha la tête, d'accord avec lui : « Cela pourrait avoir de graves conséquences sur le service d'incendie et de secours. Est-ce qu'il ne serait pas plus... Convenable de régler ça en interne ? »

Leurs regards se posèrent sur Oikawa. Préparé à cette éventualité, il ne s'en offusqua pas.

— C'est une option que j'avais envisagé, avoua Oikawa, il sortit le récépissé de dépôt de candidature au concours et le tendit aux deux hommes : « C'est pourquoi j'ai pris la liberté de m'inscrire au concours de capitaine de sapeurs pompiers. »

Ebahis, ses deux supérieurs se contentèrent d'écarquiller les yeux :

— Si je réussi les concours d'entrées et sors promu de l'école, j'aimerais récupérer le commandement de ma caserne, lâcha finalement Oikawa.

Il passa de longues secondes durant lesquelles personne ne dit un mot. Oikawa les regarda à tour de rôles et se demanda s'il ne devait pas leur claquer les joues pour les faire réagir. Sato secoua finalement la tête.

— Vous êtes quelqu'un de surprenant, Lieutenant Oikawa, quelqu'un d'ambitieux et de surprenant, il tourna la tête vers Fujimoto et s'adressa à lui : « Que pensez vous de cette proposition ? Personnellement, je n'y vois aucun inconvénient. »

— C'est le genre d'accord qu'on m'a donné le droit de signer, répondit-il tout en fixant Oikawa : « Vous êtes certain que c'est ce que vous voulez ? Vous vous engagez pour dix huit mois d'études, et gérer un centre n'est pas de tout repos, vous aurez de lourdes responsabilités. Vous en avez bien conscience ? »

Oikawa hocha la tête.

— Je me suis bien renseigné avant de prendre cette décision, ce n'est pas quelque chose que je propose à la légère et c'est en toute connaissance de cause que je vous ai fait cette proposition.

Fujimoto lâcha un « je vois », s'excusa et quitta la pièce. Il revint quelques minutes plus tard :

— J'ai parlé de votre proposition au Contrôleur Général, il l'accepte à une condition : personne ne doit être au courant de ce qu'il s'est passé dans votre caserne. Nous vous léguons sa direction à la seule et unique condition que vous taisiez l'homophobie de votre ancien chef de centre.

Oikawa grimaça.

— C'est d'accord pour moi. Qu'en est-il de Nobuteru ? Parce qu'il ne peut décemment pas quitter la caserne sans motif valable.

— Il va être muté aux ressources humaines.

Oikawa regarda l'homme, sidéré, se demanda un instant s'il était sérieux et fut forcé de constater que oui, il l'était.

— Aux ressources humaines ? C'est une... il se mordit la lèvre et souffla : « Ce n'est pas sérieux, si ? »

— C'est l'un des rares postes où l'on ne posera pas de questions. Mais que vous soyez rassuré, il n'aura aucune responsabilité, expliqua Fujimoto.

Oikawa planta ses yeux dans les siens. Certain qu'il disait la vérité, il reprit :

— J'ai fait préparer par mon avocat un document à compléter avec les termes de notre accord. Une protection pour les deux parties, Oikawa fit un rapide signe de la main : « Si cela ne vous dérange pas, j'aimerais que nous remplissions ce document et gardions un exemplaire chacun, pour se couvrir mutuellement. »

Sato et Fujimoto furent à peine étonnés qu'Oikawa ait pensé à ce genre de chose. Ils complétèrent le document et le signèrent à tour de rôles. Quand tout fut réglé, Oikawa rangea soigneusement son exemplaire dans sa pochette et tendit les leurs à ses deux supérieurs.

— Je suis heureux de voir que nous avons pu trouver un accord, conclut-il : « Je m'occuperai personnellement du Sergent Iwaizumi, il ne dira rien. »

Oikawa fut désigné pour aller chercher les hommes dans le couloir. Il sortit, stoïque, et leur demanda d'entrer à nouveau. Quand tous furent à leur place, Sato prit la parole :

— Après consultation avec mes collègues et le Contrôleur Général en personne, il a été décidé que le Commandant Nobuteru serait démis de ses fonctions de chef de centre et qu'il serait muté aux ressources humaines. De plus, il a été convenu que si le lieutenant Oikawa sortait diplômé de l'école de Capitaine, il reprendrait le commandement de la caserne des corbeaux. En contre-partie, il est demandé à tous les partis de garder le silence sur les agissements du Commandant Nobuteru ainsi que son changement de poste.

Tous se regardèrent, avant d'acquiescer silencieusement.