Bonjour à toutes et à tous !
Merci à Cassye pour sa review, et merci aux lecteurs anonymes !
Si vous êtes ici aujourd'hui, c'est que je n'ai pas trop gaffé lors du chapitre précédent, j'en suis contente !
Recommandation musicale pour ce chapitre : Baldur's Gate 3 Main Theme, de VioDance ! Une artiste Youtube réalisant majoritairement des covers au violon.
Réponses aux reviews :
Cassye : Merci pour ton retour et contente que le précédent chapitre t'ai paru crédible. Oui, Astarion est au milieu de trois grosses personnalités, mais il n'est pas en reste et saura se défendre, pas d'inquiétude pour lui ! Les interactions au sein du groupe sont mes passages favoris à rédiger.
Je vous souhaite une bonne lecture !
Chapitre 09
A votre santé
Le bruit des tambours révéla qu'ils étaient parvenus à destination. Suite à leur discussion matinale, les aventuriers s'étaient empressés de lever le camp afin de poursuivre leur route en direction du repaire des gobelins. Les créatures n'avaient pas particulièrement fait dans la discrétion, et au détour d'un chemin le refuge leur apparut. D'après les gravures, il s'agissait d'un ancien temple de Seluné, même si l'édifice avait connu des jours meilleurs. Les gobelins avaient construit des plateformes en bois là où se trouvaient autrefois des effigies de la déesse. Des tambours de guerre, des pièges de pics et de rocs et des tonneaux - dont les contenus étaient déjà fortement entamés - occupaient le reste de l'espace.
" Seluné, crachat Ombrecoeur. Comme si nous n'avions pas suffisamment de problèmes…
- Rappelez-vous du plan, répéta doucement Nymuë. Nous sommes des âmes éveillées. Nous avons une audience avec leur cheffe, Minthara. Tout va bien se passer.
- Cela dépend surtout de vous.", rétorqua Lae'zel.
Ils s'avancèrent vers les gobelins gardant l'entrée principale. Un worg était allongé sur le sol de pierre, ennuyé et affamé. Il montra les crocs à leur approche, espérant enfin arrivée l'heure du repas.
" Pousse-toi, Griff ! ordonna la sentinelle. Laisse passer la drow."
Nymuë le dévisagea, dans une attitude qu'elle espérait ferme et sévère. Ces créatures-là, elles aussi, portaient la marque des cultistes autour de leur œil gauche.
" Que se passe-t-il ici ? demanda-t-elle en désignant le vacarme venant de l'intérieur du temple.
- Nos hommes sont en train de célébrer un raid, madame ! lui répondit le gobelin. Nous sommes revenus victorieux, et nous avons même capturé un duc ! Et ouais ! On voulait le ramener pour le cuir à la broche, mais Minthara a dit qu'il valait mieux l'envoyer ailleurs. Alors à la place, on cuisine un de ces satanés pillards !
- Des pillards ?" releva l'elfe noire, dissimulant tant bien que mal son dégoût.
A leur arrivée, ils avaient été assaillis par une odeur de brûlé si forte qu'ils avaient dû étouffer une quinte de toux. A la lumière de cette révélation, l'image associée était encore pire.
" Ouais, un groupe de voleurs ayant tenté de pénétrer dans le temple, grogna la créature. On en a capturé trois, mais le dernier était dans un sale état, alors on s'est dit qu'on pouvait tout aussi bien le manger. Mais les boss préparent un raid, et quelque chose me dit qu'on aura bientôt plus que du nain à se mettre sous la dent…"
Nymuë jeta un coup d'œil à ses compagnons, retenant son souffle. Le gobelin faisait sûrement référence à l'expédition ratée d'Aradin ! Ne restait plus qu'à espérer qu'ils ne soient pas actuellement en train de renifler Halsin…
" Et les deux autres ? interrogea-t-elle. Vous leur avez réglé leur compte ?
- Non m'dame, Minthara voulait les interroger. Mais l'premier est mort ce matin, not' bourreau étant connu pour sa… poigne.
- Et puis, il avait déjà bu un tonneau de bière, ajouta une autre sentinelle.
- Minthara était pas contente, ça pour sûr. Elle l'a jeté aux araignées, et il a beuglé pendant une heure au moins. J'ai cru qu'il me passerait l'envie de profiter d'la fête. Mais il a fini par canner, alors tout va bien.
- Et le dernier ? s'enquit prudemment la jeune femme.
- Ah ouais, lui. Il arrêtait pas de se transformer en ours, on pouvait pas le questionner. C'est que not' bourreau, il parlait pas l'ours m'dame vous comprenez.
- Seulement l'araignée, ricana Astarion, dans son dos.
- Voilà. Aux dernières nouvelles, on hésitait à le laisser dans les geôles, ou à le jeter dans la fosse à purin.
- Parce qu'ils ont une fosse à purin ? s'étouffa Ombrecoeur. Qu'est-ce que ça doit être, quand on voit l'état général de leur camp…"
Les aventuriers pénétrèrent à l'intérieur du temple, digérant ces nouvelles informations. Halsin avait survécu au désastre de l'opération des mercenaires. Seul un archidruide aurait le réflexe de se transformer en ours au beau milieu d'un clan infesté de gobelins ! Ils allaient devoir se hâter, l'autre issue - à savoir, un fossé à déjections - n'étant guère séduisante.
Les festivités battaient leur plein dans la cour centrale, en témoignait la course effrénée d'une poule, talonnée par trois gobelins. L'étrange équipe traversa le pont au-devant des compagnons, et poursuivit sa chasse vers l'extérieur du camp. Un claquement sec, suivi d'un hurlement de frustration, leur apprirent que Griff venait de trouver son déjeuner.
Nymuë haussa les épaules, indécise quant à l'attitude à adopter, et s'avança. Elle fit à peine un pas qu'un violent étau lui prit la tête. La décharge mentale était d'une telle puissance qu'elle tomba à genoux. Son parasite frétillait, son esprit se déchirait ; elle réalisa avec horreur qu'elle était incapable de bouger. L'air autour d'elle en était comme solidifié, pesant de tout son poids sur ses épaules et la clouant au sol. La jeune femme crue entendre ses camarades s'effondrer à leur tour… Mais l'espace autour d'elle disparut, remplacé par un vide infini.
Là, dans le noir, un appel désincarné s'adressa à elle :
" Entends ma voix. Obéis à mes ordres."
Le commandement était irrésistible. A travers les ondes lacérant sa raison, Nymuë reconnut cette autorité écrasante lui ayant permis de faire plier les cultistes à sa volonté. Mais, cette fois-ci, sa puissance était décuplée à l'infini… et dirigée contre elle.
Une vision émergea dans le néant, trois silhouettes se dressant comme unique source de clarté au cœur des ténèbres. Un elfe en armure, figure d'autorité et de pouvoir ; un séduisant jeune homme au sourire avenant ; et une jeune femme au teint pâle, et aux yeux plus clairs encore…
" Ils sont mes Élus. Ils parlent en mon Nom. Aide-les dans leur quête du prisme, et tu auras mérité ta place à leurs côtés, en mon auguste présence."
Un gémissement derrière elle lui indiqua la proximité d'Ombrecoeur. La prêtresse luttait pour reprendre le contrôle de son corps, ses doigts bataillant avec l'ouverture de son sac-à-dos. Là, une lumière aveuglante dissipa l'obscurité ; la voix perdit de sa puissance et la pression sur les épaules de Nymuë s'évanouit.
Elle risqua un regard derrière elle : l'étrange artefact de la demi-elfe flottait dans les airs. Elle pouvait sentir l'énergie prodigieuse émanant de ses runes. Chassant la douleur. Repoussant l'intrusion.
" Mon pouvoir grandit, murmura l'Inconnue. Mes forces se rassemblent. Le jour du jugement est proche…"
Le camp gobelin réapparut sous leurs yeux, tout en cris, gesticulations et relents fétides. C'était comme s'éveiller après un long rêve, aux détails frappants de précision. Nymuë aurait pu croire avoir tout imaginé… si l'effroi, dans les yeux de ses compagnons, n'était pas l'exact reflet du sien. Son regard se posa sur l'artefact, toujours en lévitation ; son éclat s'éteignit brusquement et il retomba dans les mains d'Ombrecoeur.
" Ne me regardez pas comme ça, objecta la prêtresse, sous le choc. J'ignore totalement ce qui vient de se passer, tout comme vous. Nous devrions reprendre notre route.
- Et ignorer ce qu'il vient de se passer ? rétorqua l'elfe noire.
- La voix s'est tue, intervînt Lae'zel, réduite au silence par cette… relique gith. Que fait une demi-elfe en possession d'un objet pareil ?"
Nymuë dévisagea Ombrecoeur, reprenant progressivement son souffle. Non, cette fois-ci, pas de dérobade. La prêtresse était libre de rester discrète sur sa religion et de prier la déesse Ténébreuse si elle le souhaitait, mais des explications sur cet objet étaient nécessaires. D'autant plus que cette voix spectacle semblait à sa recherche, elle-aussi…
Sa camarade plia sous le poids de son regard, et soupira :
" Je ne sais pas ce que c'est… Pas exactement, en tout cas. Ce dont je suis sûre, c'est qu'il est important et que je dois le ramener à Baldur's Gate. Quoi qu'il en coûte.
- Cela a-t-il un lien avec votre foi, Ombrecoeur ?" demanda doucement Nymuë.
Son interlocutrice acquiesça :
" Je vis au sein d'une communauté réunie dans un cloître secret, dédié à Shar, au cœur de Baldur's Gate. Je faisais partie d'un groupe envoyé pour récupérer l'artefact… et désormais, il ne reste plus que moi. Je ne peux pas me permettre d'échouer. Et… je ne peux rien vous dire de plus.
- Tout le monde a ses petits secrets… persifla Astarion.
- Je ne peux littéralement rien dire, répliqua la prêtresse en lui adressant une oeillade furieuse. Cette mission requérait la plus grande discrétion, à tel point qu'une partie de notre mémoire a été effacée, afin que nous ne puissions trahir la confiance de Shar."
"Peut-on réellement appeler ça confiance, songea Nymuë, si le prérequis est l'amnésie ?"
Elle ne développa pas sa pensée, toutefois. Les yeux d'Ombrecoeur, loin d'être remplis d'ardente dévotion comme la veille, semblaient presque désespérés. Sa mémoire n'était qu'un ensemble d'éclats de verre, les restes d'un miroir dans lequel elle ne parvenait plus à se refléter. Cette quête était son unique espoir d'en recomposer les morceaux :
" Si je parviens à retrouver mon contact en ville, poursuivit la demi-elfe, mes souvenirs me seront rendus. En attendant, je ne peux que protéger l'artefact au péril de ma vie. J'ignore tout de ses particularités… Ou pourquoi cette "Absolue" semble à tout prix vouloir le retrouver.
- Maintenant, nous savons pourquoi ces cultistes recherchaient des survivants du Nautiloïd, je suppose.", avança Astarion.
Nymuë réfléchit à toute allure : si cette déité, l'Absolue, avait un lien avec leur parasite… et qu'elle cherchait par tous les moyens à les retrouver, ainsi que le prisme en leur possession…
Cette mission, au cœur d'un camp d'adeptes, se révélait beaucoup plus dangereuse que prévue.
" Vous avez volé cet artefact à mon peuple ! hurla Lae'zel, la main sur son épée.
- En effet, cracha Ombrecoeur avec hargne. Et j'ai vu comment votre "peuple" a massacré les miens, sans la moindre pitié. J'ai perdu tous mes compagnons d'armes ce jour-là, et je refuse de les avoir vus mourir en vain.
- Vous allez répondre de votre crime envers les githyankis !
- Ça suffit ! s'écria l'elfe noire. Avez-vous conscience d'où nous sommes, et des enjeux auxquels nous faisons face ? Si nous voulons survivre à ce qui nous attend dans ce temple, nous ne pouvons pas nous permettre de nous entre-déchirer !
- Sans compter, ajouta le roublard, que sans cet artefact, l'entretien avec cette petite déité n'aurait pas tourné à notre avantage…
- Très bien, siffla la guerrière. Une trêve est acquise pour le moment. Mais je vous le promets, Ombrecoeur, que nous réglerons nos comptes.
- Avec plaisir.", provoqua l'intéressée en réponse.
Au centre de ce conflit, le prisme reposait dans ses paumes, silencieux et presque inoffensif.
Pour combien de temps ?
Les gobelins avaient aménagé la cour centrale du temple en une vaste salle des fêtes. Un parcours d'obstacles avait été construit sur la gauche du monument, l'objectif étant de faire franchir la ligne d'arrivée à un gallinacé le plus vite possible (d'où, ils le supposaient, la course-poursuite avec une poule).
Le reste de la place était garnie de tables et de chaises, amassées devant une estrade pour le moment vide. Un gigantesque chaudron, près de la porte menant à l'intérieur du temple, était rempli à ras-bord d'une liqueur si forte que passer à côté suffit à leur faire monter les larmes aux yeux. Il était fort à parier, d'ailleurs, que les créatures n'en étaient pas à leur premier chaudron. Deux gobelins se disputaient, le premier assurant au second que le cadavre de pigeon qu'il tenait dans ses bras était une authentique poule et qu'il serait fou de ne pas miser sur elle. Trois autres encore, se tenaient à bout de bras en chantant une chanson paillarde, aux paroles toutefois incompréhensibles.
" Doux chaos, soupira Astarion. Respirez-le à plein poumons.
- Tchk. Si nous devons nous battre, ces gobelins sont dans un état trop pitoyable pour que le combat soit intéressant.
- Je n'en suis pas si sûre, rétorqua Nymuë. Ils sont certes ivres morts, mais ils restent très nombreux…
- Ou alors, suggéra Ombrecoeur, plutôt que d'avoir recours à un combat, nous éliminons le plus gros de la menace… subtilement."
A la dérobée, elle leur montra une fiole dans son sac à dos. Lors de leur entretien à la conclusion malencontreuse avec Nettie, la prêtresse avait profité de la confusion pour subtiliser à l'apprentie le poison dont elle était si fière. Depuis, elle l'avait étudié, reconnaissant effectivement qu'il s'agissait d'une préparation fort élaborée :
" Mortel et indolore, leur expliqua-t-elle, mais long à agir. La druidesse souhaitait que nous l'avalions avant de dormir, histoire de mourir paisiblement dans notre sommeil…
- Donc, si par hasard le contenu de cette fiole tombait dans ce chaudron… commença le roublard, esquissant un sourire ravi.
- … Le plus gros de l'armée gobeline serait éliminé d'ici quelques heures, acheva l'elfe noire. Le temps pour nous de récupérer Halsin et de nous enfuir. C'est brillant, Ombrecoeur !
- Il m'arrive de l'être.", lui répondit fièrement son interlocutrice.
Mais comment administrer le poison ? Les allers-retours au chaudron étaient plus que fréquents, et les gobelins avaient beau être éméchés, ils n'étaient pas aveugles. Nymuë jeta un coup d'oeil à Astarion, qui agita le doigt d'un air réprobateur :
" Oh que non, darling. Je ne vais certainement pas me jeter dans la gueule du loup. Ce corps a fait pleurer d'émotions trop de poètes pour terminer dans une fosse à purin.
- La preuve que l'on publie n'importe qui, siffla-t-elle en réponse. Vous êtes celui avec le plus d'adresse. Mettons que nous organisions une distraction… Pensez-vous être assez rapide ?"
Le vampire réfléchit, une grimace témoignant avec mauvaise grâce du bon sens de ce plan :
" Je suppose… que si ces sales petites bêtes sont soudainement obnubilées par autre chose… Alors il ne me faudrait pas longtemps pour verser la toxine dans le chaudron.
- Vous avez une idée en tête ?" s'enquit Ombrecoeur en observant Nymuë.
Oh, une idée, la jeune femme en avait une, oui. Elle lui retournait le ventre et faisait trembler ses mains, mais après tout ce n'était pas la première fois qu'elle avait à faire ce genre de chose. A combien d'occasions avait-elle rassemblé les foules, attirant l'attention et les regards, pendant que Revan et ses hommes faisaient circuler la marchandise ? Jusqu'à sa première grosse mission, quelques années plus tôt, où les choses avaient mal tourné. Ce jour-là, elle avait juré à Revan qu'elle ne jouerait plus jamais de son instrument.
Ses mains effleurèrent le violon offert par Alfira, caressant la plume bleue accrochée au manche. Lors des dernières nuits de camp, elle l'avait examiné sous toutes les coutures, allant même jusqu'à correctement l'accorder… Mais l'engin n'avait encore émis aucun son.
Ses yeux papillonnèrent vers l'estrade. Était-elle réellement prête à prendre l'archet de nouveau, à sentir sous ses doigts le chant des cordes coincées dans le chevalet ? Ou était-elle encore cette adolescente tremblant de peur sous les cris de haine du public, cette femme brisée jetant son instrument dans les bras de Revan afin qu'il l'emporte au loin ?
Il n'y avait qu'une seule façon de le savoir.
" Tenez-vous prêt.", ordonna-t-elle à ses camarades.
D'un bond, elle fut sur la scène de fortune. Quelques gobelins se mirent au garde-à-vous, pointant d'avance du doigt leur camarade, à l'affût de potentielles remontrances. Mais elles ne vinrent pas.
A la place, Nymuë saisit le violon dans son dos, et pressa son visage sur la mentonnière. Son cœur battait à tout rompre ; son archet tremblait. Ses spectateurs, peu nombreux et légèrement intrigués, commençaient à s'amasser devant elle en quête des meilleures places.
Elle ferma les yeux, et son index frappa les cordes en un accord simple, qu'elle accéléra progressivement. Puis elle leva son archet et le fit danser.
Le tumulte de la fête cessa d'exister autour d'elle ; son esprit était dans les mouvements de sa baguette, au cœur des pincements de doigts le long du manche. Comme autrefois, elle se sentit glisser, elle-aussi. Ses jambes valsaient, son corps se tendait au rythme des entrechats. Les ouïes de son appareil libéraient ses notes, ses pieds les appuyaient : c'était là qu'elle commençait, et là qu'elle se terminait.
Elle crut vaguement, à un moment, entendre quelques tambours l'accompagner. Mais ce fut seulement lorsque des murmures se manifestèrent qu'elle réintégra le monde alentour.
" Le boss, chuchota plusieurs petites voix, y a le boss Dror Ragzlin."
Son premier réflexe, à la fin de son morceau, fut de bondir en arrière : devant la scène, il n'y avait pas trois, mais cinquante gobelins, tous recroquevillés et la tête levée vers elle. L'un d'eux tenait sa chope penchée vers lui, et le contenu coulait désormais allègrement à côté de sa bouche grande ouverte. A l'arrière du régiment, les mouvements étaient plus nerveux ; un immense hobgobelin à la peau rouge fendait les rangs.
Nymuë plissa les yeux ; un frémissement subtil à l'arrière de son crâne la lia au guerrier l'espace d'une seconde. Ce n'était pas comme avec les autres adeptes, dont elle pouvait maîtriser les pensées d'une simple pulsion. L'écho dans son esprit reconnaissait un pouvoir jumeau au sien. Cet homme, ce leader gobelin, avait un parasite, lui-aussi.
Sa conscience s'ouvrit subrepticement à elle, tel un paysage dont elle aurait une vision fugace. "Elle sentit les relents de bière dans sa bouche, et le goût de bile de son âme. L'image changea, et elle le vit s'incliner devant l'elfe en armure aperçut plus tôt auprès de l'Absolue. L'inconnu mentionna la quête d'une arme redoutable, et les récompenses promises à qui la trouvera. Les yeux du hobgobelin brillèrent comme des diamants."
" Une autre âme éveillée drow, grinça Dror Ragzlin, sardonique. Comme s'il n'y en avait pas déjà assez comme ça…"
L'elfe noire ne répondit pas, observant la foule à la recherche de ses compagnons. L'espace autour du chaudron était désert et les gobelins recommençaient déjà à se servir.
" Je dois toutefois avouer, poursuivit leur chef, que ce n'est pas tous les jours qu'on a le droit à un tel spectacle. Vous avez réussi à me convaincre de rejoindre ces pouilleux. Un toast, pour votre hymne en l'honneur de l'Absolue !"
Sans un mot, il s'empara de la coupe tout juste remplie d'un de ses hommes, malgré l'exclamation dépitée de ce dernier. Une autre fut apportée à Nymuë qui la saisit avec hésitation.
C'est quand elle se pencha qu'elle aperçut ses camarades ; à l'arrière de la troupe gobeline, ils l'observaient avec inquiétude. Croisant son regard, Astarion pointa du doigt son verre et secoua vigoureusement la tête.
Le poison. Ils avaient réussi, en fin de compte. Et au vu des lampées enthousiastes des créatures, personne n'avait remarqué leur stratagème. La jeune femme jeta un regard anxieux à son gobelet ; à quel point refuser de boire serait-il vu comme un affront par le hobgobelin et ses hommes ?
Ombrecoeur avait parlé de la qualité de la toxine. En aucun cas elle n'avait fait mention d'un antidote. Se concentrant, l'elfe noire tenta de faire appel aux bribes de sa magie ; celle-ci lui répondit chaleureusement, comme une amie depuis longtemps quittée et qui, à nouveau, refaisait surface. Pas aussi forte ou fulgurante qu'autrefois ; pas aussi malléable que son instrument. Cependant…
Nymuë sourit à Dror Ragzlin, avant de lever sa coupe à ses lèvres. D'une traite, l'hobgobelin et ses hommes l'imitèrent et burent son contenu. Et la jeune femme les accompagna jusqu'à la dernière goutte.
Du moins, c'est ce qu'ils virent. Les yeux plissés, les lèvres soigneusement éloignées de son gobelet, l'elfe noire se concentrait pour maintenir son illusion. Cette école de magie n'avait jamais été sa spécialité, mais elle devait avouer que ce tour lui avait servi à quelques occasions. Notamment lorsqu'il s'agissait de s'enfuir et d'orienter ses poursuiveurs dans une impasse. Cependant, elle n'avait jamais réalisé ce numéro de prestidigitation devant une audience aussi nombreuse ; les traits tirés, elle sentit la sueur couler sur son front alors que les gobelins buvaient leurs dernières gorgées.
Puis, elle dissipa son sort, tout sourire et son verre désormais vide. Les créatures poussèrent des cris de joie, saluant sa performance sous de grands hourras. Nymuë s'inclina avec grâce, avant de faire mine de trébucher ; elle pouffa et désigna sa coupe, ce qui augmenta l'hilarité de son public qui s'empressa de se verser une deuxième dose… ou une vingtième.
Lorsque la jeune femme rejoignit ses compagnons, ils l'accueillirent avec un regard appréciateur :
" Qui aurait cru que vous aviez ça en vous ? lui lança Astarion.
- Vous ne plaisantiez pas quand vous disiez être artiste ! s'exclama Ombrecoeur. Bravo, c'était très futé ! Les gobelins n'y ont vu que du feu.
- Plutôt tolérable.", jugea Lae'zel.
Nymuë leur sourit, avant de se tourner à nouveau vers Dror Ragzlin. Celui-ci observait leur petit groupe, une seconde chope à la main. Il la leva en leur honneur, et les aventuriers le saluèrent d'un geste de la tête.
" Un de moins."
Notes de fin :
Et voici pour cette semaine ! Ca y est, je commence à introduire un peu de musique dans cette histoire, ça fait plaisir !
Est-ce que je m'éclate à chaque fois à écrire les dialogues gobelins ? Très certainement. Dans mes parties de jeu de rôle, tous les gobelins que nous croisons sont systématiquement débiles et premier degré, et je crains que ça ait beaucoup déteint sur les échanges rédigés pour cette fiction !
Sachez que le coup de l'empoisonnement est tout à fait possible dans le camp gobelin ! Et que, lors de mon playthrough, j'ai vraiment distrait les foules avec Nymuë jouant de la musique, tandis qu'Astarion allait déposer du poison dans leurs réserves... Dror Ragzlin, par contre, ne peut pas être éliminé à ce stade du jeu, c'est un rajout de ma part pour gérer avec les trois leaders gobelins.
Prochain chapitre, peut-être bien l'apparition de Minthara ?
Je vous remercie pour votre lecture, n'hésitez pas à me faire vos retours, cela me motive beaucoup et m'aide à m'améliorer. A bientôt !
