« Tu es né ici, mais ton sang est de là-bas. Un jour, mon trésor, tout sera à toi. Les vagues, le sel, la pluie. Les tempêtes et les éclairs. Tu seras seigneur du voyage et roi de tout ce qui est libre. C'est une promesse, Harry. »


L'homme était livide, vêtu de noir. Une longue face blanchâtre encadrée de cheveux gras, qui semblait flotter dans l'obscurité.

-Si vous produisez le moindre son, murmura-il en entrouvrant à peine ses lèvres flasques, je vous tuerai. Vous allez obéir rigoureusement à mes ordres. Dans le plus grand calme.

L'inconnu semblait articuler des angles et des pointes effilées à chacun de ses mots, qui se resserraient autour du cou d'Harry pour l'empêcher de respirer. Le garçon tenta de bouger, et découvrit qu'un poids douloureusement posé sur ses jambes le lui interdisait. Sa respiration accéléra. Il essaya de rassembler ses esprits, de se souvenir d'où il se trouvait, de ce qu'il se passait, mais la baguette qui s'enfonçait au creux de sa gorge interdisait toute lucidité. L'homme pâle, sa longue face morte, était tout ce à quoi Harry arrivait à penser.

Finalement se furent les ronflements paisibles de Souillé, son elfe de maison, qui le ramenèrent à la réalité. Souillé, qui dormait roulé en boule au pied du lit d'Harry.

Il était à la maison. Dans sa chambre, dans son grand lit à baldaquin. A la fenêtre, exposé par les épais rideaux pourpres qu'Harry avait oublié de tirer, une tempête hurlait à en fracasser les carreaux. Un éclair cisela des ombres dans les traits anguleux de l'homme pâle au-dessus d'Harry, sans illuminer la moindre vie dans son regard.

Une giclée de peur éclaboussa les pensées du garçon et acheva de le réveiller. Que faisait un homme qu'il ne connaissait pas chez lui, dans son lit?! Harry découvrit enfin qu'il essayait de crier, ou peut-être d'appeler à l'aide, mais la main que l'homme plaquait contre ses lèvres l'en empêchait. Un son suraigu vacilla hors de sa gorge lorsque son bourreau se rapprocha encore un peu. Il sentait le sang. Harry découvrit enfin avec terreur que l'adulte avait posé un genoux en travers de ses jambes, pour l'empêcher de remuer. Le gamin tenta douloureusement de secouer la tête, au bord des larmes, mais la main de l'intrus pesait sur lui avec tout son poids d'adulte.

Harry ne pouvait rien.

-Contrôlez votre peur, grinça lentement son agresseur, ou je la contrôlerai pour vous. Cela sera douloureux, j'en ai peur. Et mémorable. Silence et docilité, sur le champ.

Harry se tut et se rallongea sous lui, tremblant. Un instant, il resta ainsi, à découvrir son bourreau avec de grands yeux vert émeraude débordants d'incompréhension.

Puis le regard d'Harry devint froid comme des tessons de bouteille et il mordit de toutes ses forces. Complètement prit au dépourvu, l'homme dû arracher sa main à un Harry soudain déterminé à la garder aussi longtemps que possible. Une saveur métallique jaillit entre les dents du jeune sorcier lorsque l'inconnu rejeta son nez de vautour en arrière en sifflant furieusement de douleur. Le sang brilla sous la lune, et il vint une seconde à Harry l'idée absurde qu'Agatha, la gouvernante, allait le punir pour avoir tâché ses draps.

-Mon père entendra parler de ça!, haleta Harry d'une traite avant de prendre une gifle en plein visage.

Père n'aimait pas beaucoup Harry. Père n'aimait pas grand choses à part ses albums photos de Poudlard et astiquer tout ce qui portait les armoiries familiales. Mais le garçon savait qu'il n'existait aucun moyen pour des cambrioleurs d'entrer au manoir Potter et de toucher à l'héritier puis s'en sortir. Cet homme avait posé les mains sur le petit fils de Fleamont Potter, ce serait une question d'honneur, Grand-Père serait impitoyable.

-Vous êtes le fils de votre père sans le moindre doute, maugréa l'homme pâle en le saisissant par la nuque cette fois-ci. Debout.

-Mon grand-père connaît le Ministre de la Magie, balbutia Harry. Je suis un Potter. Si vous... mett... mettez vos mains...

-Oh, si vous saviez. Je suis on ne peut plus au fait de votre généalogie.

Harry gémit de douleur tout bas lorsque l'homme le traîna presque hors de son lit, mais il éprouva un bref soulagement à ne plus sentir l'inconnu peser sur lui. Tout plutôt que de rester au lit avec lui. Harry tremblait comme une feuille tandis que l'intrus essuyait sa main en sang sur lui, maculant de rouge la chemise de nuit d'Harry, mais le garçon n'essaya plus de faire du bruit. Par miracle, Souillé dormait encore, pelotonné comme un chat sur le plancher, en serrant contre lui le torchon qui lui servait de toge. Souillé n'était pas exactement gentil, mais l'elfe de maison était la seule personne au manoir avec qui Harry avait droit à un peu de vraie bonté de temps en temps. Harry ne voulait pas qu'on lui fasse de mal. Il comprit trop tard que son regard l'avait trahi quand il revint sur l'homme pâle.

-Docile, siffla celui-ci. Et les dommages superflus ne seront pas nécessaires.

L'inconnu avait laissé une traînée de boue dans son sillage sur le plancher, et il portait une robe noire qui faisait presque penser à celles des histoires de Grand-Mère.

Non. Ça, c'était impossible.

-Vous serez pendu comme un Moldu pour m'avoir touché, balbutia quand même Harry. Je le ferai moi même, vous...

Harry fut plaqué contre le mur et la baguette revint, entre ses omoplates cette fois-ci, pendant que des mains glacées palpaient les pans de sa chemise de nuit. Harry n'avait jamais sa baguette sur lui, même pas dans sa chambre. Elle prenait la poussière dans un étui en ébène ouvragé, et Grand-Père ne la faisait sortir de son bureau quand pour l'heure des leçons hebdomadaires. Le garçon sentait son cœur battre si fort qu'il craignait presque d'être puni pour ce vacarme là. Les paroles suivantes flottèrent à son oreille dans un souffle rance, insensées:

-Où est Lily ?

-Que... quoi ?

-Votre mère, petit imbécile. Lily Potter. Vous qui aimez tant parler de votre famille. Où... est...elle?

Personne n'aurait posé cette question, même quelqu'un qui n'avait pas connu les Potter depuis très longtemps. Il n'y avait jamais eu de Lily Potter dans cette maison, Harry n'avait même pas connu sa mère, ou plutôt il n'en gardait qu'un souvenir hésitant, vacillant, un sourire qui disparaissait dés qu'il y pensait trop fort. Et ces quelques mots, qui lui revenaient parfois en rêve. Une voix douce et amusée, une voix de chansons, qui sentait la mer et le soleil : « Un jour, mon trésor, tout sera à toi...». Jamais on n'avait parlé à Harry comme ça, avec une voix empreinte de douceur, ou de cette joie toute simple. Peut-être même qu'il avait tout inventé. Il n'en avait jamais parlé à personne - il n'aurait eu personne à qui le dire, de toutes façons. Harry avait un an quand elle était partie, du jour au lendemain, sans la moindre explication. Juste après que Père et elle aient échappés à Voldemort in extremis, à Godrick's Hollow.

-Je n'en sais rien, lâcha enfin Harry le souffle court. Et si... si... même si je savais je...

-Le Léviathan. C'est elle qui l'a?

-Le... le quoi ?

-L'héritage Ouranos, elle l'a volé, n'est-ce pas?

Et soudain, tout devint encore plus étrange. La porte de la chambre d'Harry s'ouvrit à la volée, et l'ombre d'un autre intrus s'écoula sur le sol. Harry se sentit prit de nausée. Un instant, il regarda autour de lui les manuels empilés sur son bureau par ordre alphabétique, les bandes dessinées cachées sous son lit qui dépassaient un peu parmi les vieux vêtements à jeter et les baveboules, et il se demanda presque s'il était vraiment encore à la maison. C'était impossible d'entrer. La sécurité c'était l'obsession de Grand-Père. Combien étaient-ils? Et qu'avaient-ils fait de Père, de Grand-Mère? Soudain le garçon eut envie de hurler, réveiller Souillé, réveiller toute la maison, juste pour les entendre crier et savoir qu'il n'était pas tout simplement le dernier Potter, seul au monde.

-Nous avions décidés de commencer le garçon tous ensemble, Severus, maugréa tout bas le nouveau venu.

Harry ne le voyait pas bien, rien qu'une silhouette noire qui se découpait dans la pâle lueur du couloir, mais sa voix était plus jeune que ce qu'il aurait cru, pas plus de dix huit ans... et il écrivait. Il écrivait vraiment, penché sur ce qui ressemblait à un journal. Quelque-chose chez ce garçon éveillait en Harry une peur glaçante, bien plus profonde que « Severus ». Harry n'avait pas la moindre idée de ce que c'était, être « commencé », mais il en avait la chair de poule.

-Juste le temps d'apprêter notre invité d'honneur, grinça Severus entre ses dents. Le père ne vous suffit plus pour patienter ?

Il avait aussitôt écrasé la tête d'Harry contre le mur à l'instant où son complice avait fait irruption, et Harry réalisa douloureusement que Severus ne lui avait pas encore vraiment fait mal avant cet instant. L'adolescent à la porte leva le nez de son cahier et une lueur de plaisir étincela dans ses yeux. Il parcourut Harry du regard avec une voracité qui fit froid dans le dos au garçon.

-Il est tout à fait près ainsi. Douze ans, n'est-ce pas?

On aurait dit qu'il griffonnait tout ce qu'il disait.

-Douze ans et la propriété du Seigneur des Ténèbres, Jalousie, rétorqua Severus un étrange avertissement dans la bouche. Corps et âme.

-Je suis étrangement sûr de connaître les volontés du Seigneur des Ténèbres.

-Même à présent?

Jalousie releva lentement la tête comme un serpent prêt à mordre.

-Il a peut-être changé. Mais pas moi, murmura la silhouette avec délice. Descends l'enfant en bas, c'est un ordre.

Et il repartit.

-Je ne peux que vous recommander la docilité, Potter, souffla Severus d'une voix où Harry croyait soudain presque percevoir un soupçon de peur. Une tendre docilité quoi qu'il arrive si vous voulez voir le jour se lever.

Mais Harry n'écoutait même plus, même les horreurs.

Le Seigneur des Ténèbres.

L'esprit d'Harry était devenu blanc, tout simplement blanc à ces mots, incapable d'assimiler plus longtemps les informations. Ce n'était pas un cambriolage. Ce n'était pas autre chose non plus. C'était son cauchemar rien qu'à lui, celui qu'aucun autre garçon ne connaîtrait jamais. Vous-Savez-Qui l'avait retrouvé. Harry était mort, Severus aurait aussi bien pu le tuer dans son sommeil. Voldemort était là. Il était chez Harry, en bas. Un instant le garçon eu la vision de Vous-Savez-Qui patientant poliment dans le petit salon réservé aux invités, attendant qu'on annonce Harry pour le tuer. Quand enfin le garçon s'entendit articuler des mots, il fut lui-même surpris de n'entendre ni hurlements, ni supplications :

-Je veux m'habiller, lâcha-il dans un filet de voix tremblant.

-Il sera bien inutile de se faire beau pour Lui, murmura Severus.

Harry aurait voulu lever la tête pour défier le Mangemort du regard, mais il avait trop peur que ses yeux ne montre que l'horrible terreur qui le glaçait.

-Je m'habille, imposa Harry le regard rivé au sol en respirant à peine, ou je deviendrai fou. J'vous mordrais, j'vous grifferai jusqu'au sang. Je volerais la baguette et je... je me... je me tuerais tout seul.

Lui-même, il ne savait pas si c'était cette dignité de Potter qu'on lui avait inculqué qui le poussait à ne pas faire face à son ennemi en chemise de nuit, ou si c'était le petit garçon en lui qui cherchait désespérément à retarder l'horreur d'une minute ou deux. C'était peut-être juste la façon dont l'adolescent au journal avait regardé Harry dans sa chemise de nuit.

A sa grande surprise, Severus fit un geste agacé du bout de sa baguette pour l'y autoriser.

-Hâtez-vous, grinça-il. Ou je vous traîne à Ses pieds tout à fait nu.

Harry ne comprenait pas par quel miracle ça avait marché mais il ne se le fit pas redire deux fois. Ironiquement, c'était quasiment la première fois qu'il s'habillait tout seul, sans Souillé ou un autre serviteur pour le faire à sa place. C'était peut-être insensé, à la limite du comique, mais le garçon mit ses plus beaux vêtements. Sa chemise de soie blanche qu'on ne lui mettait que lorsqu'une fille avec un nom important venait dîner (marier Harry dans ces conditions s'annonçait déjà un cauchemar, disait souvent Grand-Père), le pantalon noir qu'il avait dû porter à la visite du Ministre de la Magie, ses mocassins cirés qui lui faisaient mal aux pieds, même le ruban que Grand-Mère le forçait parfois à porter avec parce que c'était un cadeau de tante Mafalda. Harry avait lu une fois que les gens faisaient ça parfois avant un suicide.

Est-ce que c'était ce qu'il faisait?, se demanda-il en mettant ses lunettes. Il se préparait à mourir? Un instant le monde vacilla, un engourdissement soudain se propagea dans ses jambes et Harry comprit que la terreur manquait lui faire perdre connaissance. Alors qu'il allait éclater en sanglots, la poigne de son ravisseur revint sur sa nuque, impitoyable.

-Vous n'avez pas le droit de mettre les mains sur moi, croassa encore Harry comme si ce jeu avait des règles.

-Attendez quelques minutes, nobliau, fit Severus en le poussant vers la porte. Vous allez comprendre ce qu'il reste de vos droits.

Harry aurait voulu se dire qu'il reverrait sa chambre un jour. Que demain, rien de tout ça n'aurait plus d'importance. Mais au dernier moment, du bout du pied, il jeta un vieux t-shirt sur Souillé en priant pour que ça puisse compter d'offrir un vêtement à un elfe qui ne le savait pas.

Harry passait mentalement en revu tout ce qu'il avait fait, encore et encore. Il avait mordu, menacé, il avait rué un peu quand on l'avait mit contre le mur, et peut-être même qu'il avait un peu regardé dans les yeux le deuxième type, Jalousie. Oui, il ne s'était pas soumis. Il n'avait pas supplié, même pas pleuré. Alors tout allait bien, pas vrai? S'il était courageux, tout irait bien, forcément.

Le Mangemort lui fit descendre les escaliers de marbre blanc dans un silence de mort, à peine perturbé par les murmures d'effroi des tableaux sur le chemin. La baguette de Severus s'enfonça profondément entre ses omoplates pour l'obliger à avancer, et le gamin se demanda confusément pourquoi il ne le soumettait pas à l'imperium, s'il le voulait tant docile.

-Anima anarcki, articula froidement Severus.

-Que... quoi?

-Répétez-le. Je veux vous l'entendre dire.

-C'est... c'est une formule. Non, je le dirai pas.

Ce n'était même pas vraiment du courage. Simplement, Harry avait tellement peur de ce qu'on lui ferait s'il était docile que c'était se débattre qui le rassurait. Il ne pouvait s'empêcher de se dire qu'il aurait voulu que Grand-Père soit là, et pas parti en voyage d'affaires à Londres, même si c'était stupide et que lui au moins était en sécurité. La baguette dans son dos commença à le brûler dangereusement.

-Peut-être le dirais-je pour vous?, murmura Severus. Répétez.

-Qu'est-ce que vous allez faire à ma famille? Ils n'ont rien fait, ils...

-La formule, Potter.

-Allez vous faire foutre, s'enhardit le garçon. Mon grand-père...

Il couina lorsque Severus lui fouetta le dos d'un sort.

-...nous pendras tous comme des Moldus, lâcha Severus, je me souviens. Un garçon de douze ans enlevé en pleine nuit devrait se contenter de trembler, Potter. De trembler et de retenir la formule, si ce n'est pas trop demander à un petit idiot qui n'a jamais connu l'école.

Grand-Père frappe plus fort que ça, songea le gamin, les épaules brûlantes. Mais il tint sa langue.

Enfin, ils approchèrent du salon.

C'est là qu'Harry entendit le premier hurlement.