Bonjour à tous ! J'ai lutté bec et ongle pour réussir à sortir ce chapitre, donc, j'espère qu'il vous plaira. Aujourd'hui, on met notre nez dans du trafic de fisstech et on s'occupe de dissonance cognitive qui tourmente Geralt de Riv.
Donc, j'espère que ça sera à votre goût.
Merci à Sebfrega pour son passage dans le coin et à Misstykata.
Je vous dis à très bientôt.
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La nonne dans sa robe rouge attendait au même endroit que la veille, toujours avec le même visage inquiet.
- Comment se porte ma grand-mère ? demanda-t-elle à la sorceleuse.
- Elle s'en remettra. Elle cachait dans sa cave une noctule et elle était sous son contrôle au point de croire qu'il s'agissait de son fils.
- Mon dieu, c'est horrible.
- D'ici demain, la suggestion télépathique devrait ne plus faire effet. En attendant, soyez attentive et soutenez-la. A son âge, qui peut dire les conséquences d'une telle intrusion.
- Je vous en remercie, sorceleuse. Shani avait raison à votre sujet, vous êtes une femme très généreuse.
- Nan, seulement une idiote stupide et rêveuse, un peu trop utopiste.
Ann fut surprise de voir la femme lui prendre ses mains avec délicatesse en souriant doucement.
- Dans ce monde violent, nous avons besoin de gens comme vous, de gens qui osent croire en de lendemains meilleurs et les imaginer. Je prierai pour vous et votre camarade.
La sorceleuse ferma les yeux et inspira profondément, ne réagissant même pas quand la nonne lui embrassa le front. Doucement, elle reprit ses mains et s'éloigna, la mâchoire crispée alors qu'elle luttait contre ses larmes.
Elle avait besoin d'un verre.
Elle continua de marcher, toujours cachée sous sa cape, essayant de se concentrer sur autre chose. L'absence de répercussion, par exemple. Elle avait croisé Siegfried récemment et le regard hostile qu'il lui avait jeté disait clairement qu'il savait parfaitement comment Yaevinn avait pris la fuite. Albina lui avait dit aussi que le bruit courait sur leur possible implication dans l'évasion des elfes. Pourtant, personne n'était venu les voir pour leur toucher deux mots à ce sujet.
Rien.
Pas d'enquête, pas d'interrogatoire.
Et pourtant, des gens avaient fini au bout d'une corde pour moins que ça.
Dans son idée, quelqu'un devait retenir les chiens avec de bons arguments pour empêcher de les voir condamnés. Quelque chose lui disait que ça devait être Triss.
C'est là qu'elle vit Geralt venir vers elle en soupirant profondément.
- Ah ? C'est pas une bonne journée pour toi non plus ? commenta-t-elle aigrement.
- Shani m'est tombée dessus alors que j'allais chercher l'enfant, puisque Triss m'a rappelé que tant qu'il ne serait pas avec elle, il serait un danger pour lui et les autres.
Le Loup Blanc était bien au courant de l'opinion de son homologue sur les magiciennes, pas besoin de son reniflement sarcastique.
- Et que voulait Shani ? demanda la brune en emboitant le pas de son camarade qui retournait vers l'hôpital.
- Elle voulait savoir ce que je faisais chez Triss et m'a dit qu'elle a décidé d'adopter le garçon qui est aussi un de ses patients. Qu'il est hors de question qu'elle le laisse entre les mains de la magicienne qui n'y connait rien de toute façon aux enfants puisqu'elle ne peut pas en avoir. Pour le coup, je dois choisir à qui je dois le confier.
- J'admets qu'attaquer la stérilité des magiciennes est un coup très bas, mais c'est typique de Shani, commenta la brune.
- Cela ne te dérange pas, toi, la stérilité ?
- Hunhun ! répondit tranquillement la sorceleuse en secouant la tête. Quand j'étais gosse, et je dis, vraiment gosse, on n'a pas cessé de me dire que je portais le sang d'un monstre, d'un démon, que je n'aurais jamais dû venir au monde. Je me suis longtemps accrochée à cette idée et pour le coup, je me disais que je ferai le nécessaire pour être le dernier de ma lignée. Mon homme n'était pas stérile, mais presque, donc, si l'idée d'avoir des enfants nous venait, ça serait forcément l'adoption. Et vu le nombre d'orphelin dans le monde, c'était une bonne idée. Alors, la stérilité des mutations de sorceleurs, je la prends beaucoup mieux que la majorité des nôtres.
Ils s'arrêtèrent devant les portes de l'hôpital et Ann se tourna vers Geralt.
- Tu vas confier l'enfant à qui ? On peut pas dire que le travail de sorceleur soit idéal pour élever un gosse, donc, tu dois forcément le confier à l'une de ces dames.
- J'y réfléchirai quand j'aurai le gamin.
- Tu le connais ?
- Alvin ? Je l'ai rencontré dans les faubourgs. Je l'ai même sauvé d'une meute de barghests. Je peux confirmer qu'il soit une Source, puisqu'il est entré en transe deux fois devant moi. La première fois, involontairement, il s'est mis à léviter avant de sortir mot pour mot la prophétie d'Ithlinne. La seconde fois, il s'est fait la voix de la Bête pour dire comment la gérer, mais la sorcière Abigail avait forcé la transe cette fois-là.
Ann se mordilla le pouce pour réfléchir.
La Prophétie d'Ithlinne, ça lui parlait, mais d'où… ah, oui !
- « Le Blizzard du Loup approche, l'ère de l'épée et de la hache, le temps de la Lumière Immaculée, le Temps du Froid Immaculé, le temps de la Folie, le temps du Mépris. Tedd Deireadh, l'Age Ultime. Le monde périra dans la glace et renaîtra sous un nouveau soleil. Né à nouveau du Sang Ancien, d'Hen Ichaer, d'une graine plantée... Une plante qui ne poussera pas : elle prendra feu. » C'est ça ?
Geralt hocha la tête.
Oui, elle se rappelait de pourquoi ça lui semblait familier. Elle l'avait entendu dans la bouche de Eilhart et elle s'était renseignée par la suite, dans les livres de l'école du Chat. Elle savait aussi que les premiers signes du refroidissement global était en marche. La prophétie avait parlé du sang des Aen Seidhe qui coulerait en masse et cette ère de racisme en faisant couler beaucoup, du sang elfique. Il y avait aussi d'autres signes. Cent ans en arrière, on pouvait trouver des citrouilles et des tournesols en Kovir, un royaume portuaire tout au nord du continent connu, juste avant la ligne montagneuse infranchissable. Aujourd'hui, les plages du royaume se recouvrait de glace en hiver, chose qui n'arrivait pas avant. Les citrouilles et les tournesols, on n'en voyait plus.
Mais entendre cette chose de nouveau mentionnée, ça avait de quoi inquiéter. Si un gosse ressortait la prophétie, pour elle, ça sonnait comme un avertissement. Un avertissement qui lui disait que sous peu, ils allaient se cailler les miches très sévèrement.
Ses pensées s'envolèrent de son cerveau quand ils passèrent les portes de l'hôpital St Lebioda. Il fallait trouver l'enfant à présent.
Trouver Jaskier n'était par contre pas dans le plan. Comment avait-il fait pour passer la garde ? L'accès n'était pas censé être interdit pour éviter la propagation ?
- Geralt ! Portgas ! Je vous cherchais justement ! s'exclama le barde.
Les deux mutants échangèrent un regard avant de se reconcentrer sur Jaskier qui se mit à chanter les louanges d'une soignante :
- Je n'avais pas la moindre idée que l'infirmière Natala était une telle source de passion. Vous avez vu la façon dont elle se penche sur ses patients ? Et ces yeux…
- Ce sont des volontaires de l'église du Feu Eternel, elles ont fait vœu de chasteté et célibat, alors, arrête ton char et viens-en aux faits, coupa Ann. Tu nous veux quoi ?
Jaskier eut une moue avant de leur expliquer la situation :
- Eh bien, j'étais venu pour distraire Natala avec une charmante conversation quand j'ai dépassé ces deux gars bizarres qui traînaient avec eux ce garçon qui hurlait et criait… Alpin ou Albin je crois qu'il s'appelait.
La D. se frappa le visage et glissa longuement sa main le long de sa peau en soupirant.
- C'est pour ce gosse, Alvin, qu'on est ici, grogna Geralt.
- Eh bien, vous serez fier de moi, parce qu'en dépit du danger, j'ai décidé d'aider cet enfant et je les ai suivis. Ils l'ont attiré dans cette maison, là-bas, dans le ghetto.
- Tu as raison, je suis impressionné, répondit le Loup.
Le ton de voix ne permettait pas de savoir s'il était sincère ou s'il se montrait particulièrement sarcastique.
- Je te l'avais dit ! sourit fièrement le brun. Cette fois, il faut que je t'accompagne, c'est l'histoire parfaite pour une chanson. De toute façon, vous avez besoin d'un guide. On y va ?
- Montre la route.
Jaskier passa entre les deux mutants et ouvrit la porte de l'hôpital. Le trio partit en courant vers le quartier non-humain pour rejoindre une maison voisine du squat d'Ann. Le barde fini par s'arrêter et leur montra la porte. La pirate marcha jusqu'à elle et appliqua sa main dessus pour sentir l'intérieur.
- Parfait, attends ici et n'entre pas tant que les combats ne sont pas terminés.
- Tu me dis toujours d'attendre dehors ! Pas cette fois ! Je viens avec vous ! Je vais mettre au point un nouveau genre de balade, les chants de guerre !
- Si je voulais de la musique, je me tournerais vers un tone dial, Jaskier. Reste dehors, t'es pas coupé pour le combat, lui dit clairement Ann.
- Je préfère que tu ne sois pas à proximité quand on sortira les glaives, renchérit le plus vieux.
Le barde soupira.
- D'accord… je présume que la poésie requiert des sacrifices.
- Je ressens quatre idiots de force faible et un enfant dans la première pièce. Il y a d'autres hommes en chemin qui viennent de plus loin, annonça la pirate.
- Dépêchons, recommanda Geralt.
Il était vraiment pressé de maîtriser les mêmes capacités de sa camarade.
Ann recula de deux pas avant de revenir vers la porte et d'y mettre un bon coup de pied, la faisant voler de ses gonds pour finir à plat sur le sol.
Jaskier eut un léger sifflement devant la démonstration de force. Cela montrait bien qu'elle avait plus sa place ici que lui. Elle fonça immédiatement sur un côté de la porte pour s'attaquer à un homme qui se tenait à côté. Geralt fonça directement vers le fond où les trois autres étaient en train de martyriser le pauvre garçon.
- Couches-toi, ordonna le blanc en commençant à attaquer les bandits avec l'emblème de la Salamandre tatoué sur leur front.
Le petit blondinet se jeta à terre, les mains sur la tête, pendant que le Loup Blanc faisait chanter l'acier en de grands cercles autour de lui, faisant rapidement sauter des têtes quand il ne coupait pas des membres.
Une fois le calme revenu, Ann et Geralt se précipitèrent vers le petit garçon. Il était blond. Blond foncé, comme s'il se préparait à avoir une couleur tirant plus sur le brun ou le châtain une fois qu'il serait plus grand. Et il avait de grands yeux sombres, brillants et effrayés.
- Hey, koneko-chan, tout va bien ? demanda doucement Ann.
- Merci d'être venu me chercher… souffla le gamin en reniflant.
- C'est fini maintenant, tout va bien se passer, rassura Geralt en posant une main sur l'épaule du garçon en haillon.
- Ils sont morts ?
Ils regardèrent tous les trois les corps qui se vidaient de leur sang par terre.
- Oui, ils ne nous ont pas vraiment laissé le choix.
- Vous êtes qui ? demanda le garçon en regardant Ann.
- Je suis une sorceleuse de l'Ecole du Chat. Anabela D. Portgas, dit le Chat Noir.
Le garçon pencha la tête sur le côté en fronçant les sourcils de perplexité.
- Pourquoi l'homme derrière vous rigole-t-il ?
Ann se retourna, mais il n'y avait personne derrière elle.
- Il vous ressemble, mais il est plus grand que vous et avec une grande moustache noire.
Roger… dire qu'il lui avait fallu plus de trente ans dans ce monde pour faire la paix avec son géniteur. Et voilà que ce gars ne trouvait rien de mieux à faire que de la hanter.
- Il dit que vous vous appelez Ace, continua le garçonnet.
- Je ne suis plus Ace mais j'espère le redevenir. Ne parlons pas de ça.
De toute façon, Jaskier arriva à cet instant pour apprécier les dégâts.
- Eh bien, ça fait beaucoup de sang tout ça…
Il s'arrêta derrière les deux sorceleurs, face à l'enfant de tout juste une dizaine d'années tout au plus.
- Et voilà le garçon. Vous voyez ? Qu'est-ce que vous feriez sans moi !
- Geralt ! appela Ann à voix basse en tournant la tête vers une porte du fond.
- Oui, je les entends aussi. Les renforts arrivent. Jaskier, prends l'enfant et amène-le loin d'ici.
- Vous les entendez ? s'étonna le barde avant de se ressaisir. D'accord mais je l'amène où ?
Pas le temps de réfléchir plus, mais le mutant savait ce qui serait le mieux pour un enfant.
- Confie-le à Shani. Elle saura quoi faire. Triss sera mécontente mais je ne peux pas m'en occuper maintenant.
- Comme tu veux, mais j'éviterais d'enrager une magicienne si j'étais toi.
- Je me chargerai de Merigold, maintenant, dépêche-toi de partir, informa Ann.
Jaskier tendit une main à Alvin. Le garçon regarda Geralt qui hocha la tête pour lui faire comprendre que c'était bon, et l'enfant se releva pour prendre la poigne du barde et le suivre dehors, jusqu'à chez Shani. Juste à temps, parce qu'une dizaine de bandits débarquèrent à cet instant pour se charger d'eux.
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Shani était heureuse que Geralt ait prit la bonne décision en lui confiant l'enfant. Et elle fut encore plus contente de savoir que c'était Ann qui allait expliquer la situation à Triss. Mais plus il parlait à la jeune rousse, plus le sorceleur avait l'impression que ce simple geste avait eu une importance toute particulière pour son amie. Surtout quand elle commença à parler d'eux :
- Tu sais, j'ai beaucoup réfléchi à nous deux… au futur…
- Shani…
Elle voulait en venir où avec son commentaire ?
- Contrairement à cette sorcière, je ne peux pas lire dans tes pensées, donc, si tu veux me dire quelque chose, fais-le.
- Shani… je dois y réfléchir… je ne suis pas normal…
- Arrête de jouer le mutant ostracisé, je déteste ça, rabroua la rousse.
Elle soupira et lui prit ses mains en souriant timidement, ses joues prenant une légère teinte rouge.
- Prends ton temps pour réfléchir, et quand tu te seras décidé, tu pourras me donner un cadeau symbolique… un anneau par exemple.
Le message était écrit en gros, très gros, aucun risque qu'il le loupe.
- Si tu ne me donnes rien, je le comprendrais parfaitement, mais ne t'en fais pas, je peux attendre.
Elle se hissa sur la pointe des pieds et embrassa tendrement le mutant.
- Je t'aime, Geralt.
Il voulut lui dire quelque chose, répondre à sa déclaration d'amour, mais elle posa sa main sur ses lèvres.
- Prends ton temps. Tu logeais où jusqu'à maintenant ?
- Ann a un squat dans le quartier non-humain.
- Venez ici, ça sera plus confortable.
- Je lui en parlerai. Je… je dois y aller.
Shani se contenta de rire alors que le mutant quittait la chambre en se passant une main sur sa face couverte de cicatrices de ses années de combats contre les monstres.
En bas, il trouva Alvin assis avec Jaskier à la table. En le voyant, le barde se leva et vint rejoindre son camarade.
- Quelques chose ne va pas ?
- Shani est…
Il soupira en se massant le nez. Les émotions, les sentiments, tout ça, c'était un domaine encore très inconnu pour lui, même à plus de quatre-vingt-dix ans. Il était tellement habitué à ne presque rien ressentir, qu'il ne savait pas comment réagir devant ce qui lui passait par la tête.
- Je sais plus… finit par avouer le guerrier.
Jaskier passa un bras autour des épaules de son camarade et l'entraîna vers la porte.
- Allons-y, on ne peut pas parler des femmes l'estomac vide !
- Mais…
- Pas de mais ! Zoltan et moi nous nous étions mis d'accord pour aller boire un verre ensemble aujourd'hui.
Et la porte de chez Shani se referma derrière eux.
- Un mercenaire nain et un troubadour vagabond qui connait toutes les filles faciles du coin… je ne pouvais rêver meilleurs conseillers. Allons-y… se résigna le mutant.
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Triss était debout devant un pupitre pour lire un livre de magie quand Ann la trouva.
- Ah, Ann, heureuse de te revoir ! sourit Triss d'un air avenant en la voyant arriver.
- C'est pas réciproque, mais ce n'est pas important. Il a été décidé que le gamin, Alvin, resterait avec Shani. Et c'est pour le mieux.
Tout semblant d'amabilité s'envola du visage de la rousse alors qu'elle se détournait de son ouvrage pour marcher vers la D. qui la regarda venir les mains dans les poches et en souriant.
- Avez-vous la moindre idée de ce que vous avez fait tous les deux !? Vous avez condamné le sort de cette ville pour une stupide rouquine ! Je devrais te changer, toi et Geralt, en porc pour vous apprendre votre erreur !
- L'erreur, c'est d'essayer de détourner Geralt de la réalité. Tu sais très bien que c'est perdu d'avance, Merigold, mais tu insistes.
La brune marcha vers la magicienne jusqu'à se tenir nez à nez avec elle, même si la pirate était bien plus grande.
- Je ne suis peut-être pas une proche de Geralt, mais tout le monde, même des idiots comme Lambert ou Eskel, peuvent dire qu'il est trop têtu pour se détourner de son passé. De ce que toi tu veux le détourner. Ou plutôt de qui… je songe à l'infâme Yennefer de Venderberg, bien entendu. Tu crois vraiment pouvoir le tromper éternellement ? Tu te comportes comme une gamine jalouse qui croit encore aux contes de fées. Le pire dans tout ça, c'est que tu n'es qu'une manipulatrice. On sait très bien que si tu es ici, ce n'est pas pour aider Geralt, mais parce que tu es là pour les intérêts de la Loge de Magiciennes. Vous êtes des catins en belles robes avec de jolies pouvoirs qui complotent dans l'ombre le destin du nord.
- Ne parle pas de ce que tu ne sais pas, ragea Triss alors que ses mains s'illuminaient de pouvoir.
- Oh, mais t'en fais pas, j'ai assez subi Eilhart pour connaître ses préférences sexuelles et ses perversions les plus inavouables. Pourtant, parce que ça servait ses intérêts politiques, elle n'a pas hésité un seul instant à se faire sauter par ce bâtard graisseux de Dijkstra des services secrets de Redania. Si Adda n'était pas la reine des nymphomanes en dépit de son titre de princesses, on sait tous que le trône te serait revenu. Aujourd'hui, tu veux faire joujou avec un enfant, parce qu'une source à un pouvoir immense qui peut être utile à la Loge. Vous avez échoué avec Ciri, alors, tu te dis que tu peux réussir avec ce gamin. Qui vas-tu ensorceler pour arriver à tes fins ? Avec qui vas-tu baiser pour gravir les échelons pour la gloire de la Loge ?
Clac !
La tête de la mutante manqua de faire un tour complet sur son cou avec la puissance de la claque que venait de lui administrer Triss. Elle était furieuse et la magie crépitait autour d'elle comme si elle se retenait de jeter un sort à la D.
Tranquillement, sans se soucier du sang qui coulait par les griffures de sa joue, Ann fit rouler sa tête sur ses épaules.
Bam !
Triss termina à terre en se tenant le visage et la mutante souffla sur son poing avec satisfaction.
- Il faudra te lever un peu plus tôt pour manipuler un Commandant de Shirohige. Reste loin d'Alvin, sinon, tu te trouveras à faire connaissance avec une de mes lames. C'est mon seul avertissement, Merigold.
Et d'un envol de sa cape, Ann tourna les talons et ramena sa capuche sur son crâne. Elle allait rejoindre ses affaires et souffler un peu.
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Les deux hommes avaient retrouvé Zoltan à l'arrière de l'Ours Poilu pour cette discussion. Du moins, Geralt profitait plus du fait qu'on l'invitait à boire qu'autre chose. Heureusement qu'il était devenu prévoyant et qu'il avait quelques fioles de Larmes d'Epouses pour l'aider avec la gueule de bois qu'il aurait.
- Eh bien, notre chasseur de monstre n'a pas l'air dans son assiette, nota Zoltan en voyant la tête de six pieds de long que tirait le mutant d'ordinaire si impassible. Il s'est passé quelque chose ? Portgas a fait des siennes ?
- Rien que tu n'aies besoin de savoir, rétorqua le blanc en savourant sa boisson forte à la table du nain.
Ce fut Jaskier qui se désigna pour donner l'explication :
- Geralt est en pleine dissonance cognitive, ce qui donne naissance à une tension désagréable qui accompagne l'apparition de deux cognitions entrant en conflits, que ce soit des pensées ou des décisions…
- Tu racontes de la merde, Jaskier, pointa Geralt.
- Donc, si on traduit en langage commun, notre ami grognon est devant un choix où il ne sait que choisir, traduisit le nain. Et la dissonance à un rapport avec…
- Ma dissonance ne te regarde pas.
- C'est là où tu as faux, Geralt, pointa le barde. On est tes seuls amis, et les amis, ça s'entraide. Tu préfères demander de l'aide à Portgas peut-être ?
Geralt lança un regard au brun pour lui montrer qu'il n'était pas du tout amusé par l'idée.
- Tu vas voir, on va boire et tu sauras exactement quoi faire avec Shani.
Et il fit signe à une serveuse de leur remettre la même chose.
- J'ai comme un doute, lui dit Geralt.
- Ooouuuh, la vodka est parfaitement refroidie ! Messieurs, santé ! commenta Jaskier.
Et il leva son verre.
- Santé à toutes ces foutues dissonances ! salua Zoltan.
Et le trio s'envoya l'alcool. La vodka témérienne n'était pas l'alcool le plus fort, mais on le sentait passé.
- Mmmmh… rien de mieux qu'une bonne gorgée d'alcool, approuva Jaskier.
- Ouais, pas mal, accorda le mutant. Dis-moi Zoltan, pourquoi on boit dans des choppes, je suis pourtant certain d'avoir vu des verres par ici.
- Les problèmes sérieux ont besoin de solutions sérieuses. Les demi-mesures ne nous aideront pas, lui dit avec tout le sérieux du monde son ami nain.
- Je veux bien, mais…
Il attrapa la chopine de Jaskier et la lui retira des mains, ignorant le cri d'outrage du brun.
- Demi-mesure pour Jaskier, cependant. Il raconte déjà assez de merde comme ça.
Le barde se pencha au-dessus de la table et récupéra son verre des mains du mutant de l'autre côté.
- Arrête de pleurnicher comme une fille pourrie gâtée et crache le morceau.
Geralt soupira et but une nouvelle gorgée avant d'en observer les profondeurs d'un air perdu comme si l'alcool avait toutes les réponses à ses questions.
- Shani… est merveilleuse…
- Mais ? chercha le barde sous le regard amusé du nain qui se contentait de boire.
- Mais je suis un sorceleur. Je n'existe que pour tuer des monstres. C'est ma destinée.
- Me raconte pas de conneries sur la destinée, Geralt ! rouspéta Zoltan en frappant violemment sa chope sur la table. J'ai réalisé il y a longtemps que toutes ces histoires pathétiques de Ithlinne et sa bande sont la même merde que ces saloperies de dissonances.
- Tu as peut-être raison, mais soyons franc. Tu me vois en maçon ou fermier ?
Cela eut le mérite de faire réfléchir le nain.
- Hmm, nan, je suppose que je comprends où tu veux en venir…
- Putain ! jura Jaskier en reposant son verre après en avoir bu une gorgée. Je comprends pas ! Qu'est-ce que l'un à avoir avec l'autre ? Qui a dit que tu devais arrêter de tuer des monstres ! Regarde Portgas ! Elle s'est mariée et elle continue à suivre le Sentier comme vous dîtes !
- Elle a perdu son mec, ça aide pas mal aussi, rappela Zoltan. On sait pas si le monsieur, il lui a pas demandé d'arrêter ou quoi que ce soit. Elle a peut-être repris pour le retrouver. On en sait rien.
- Shani n'a rien dit contre, mais rien pour non plus, grommela Geralt.
Il but une énième gorgée d'alcool. Il se perdait dans toute cette affaire.
- Laisse-moi t'expliquer, Jaskier, dit sérieusement Zoltan. Ce n'est pas parce qu'une femme ne dit rien, qu'elle ne veut rien. En fait, elles disent souvent qu'elles veulent quelque chose quand, en réalité, elles veulent le contraire.
- Je lève mon verre à ta sagesse, lui dit Geralt en levant sa choppe, avant de grimacer avec la brûlure de l'alcool.
Zoltan fit un signe à la serveuse qui revint remplir leur verre et repartit avec l'argent pour s'occuper d'autres clients.
- Ouf ! souffla le barde. C'est assez fort pour te faire pleurer !
Il secoua la tête, cligna des yeux pour essayer de retrouver un peu de lucidité dans son alcoolémie, avant de poser son coude sur la table avec un doigt levé sérieux.
- Je vais vous dire ce qu'il se passe avec les femmes. On peut théoriser tout ce qu'on veut, mais on ne comprendra jamais ce qu'il se passe dans leur crâne. Il est tout bonnement impossible de comprendre les femmes !
- Très original, Jaskier, commenta sarcastiquement le sorceleur.
- Moque-toi tout ce que tu veux, mais tu ne me feras pas dire le contraire. Ton problème à toi est que tu ne sais pas ce que tu veux toi.
Le Loup Blanc releva un tout petit peu la tête de sa chopine pour voir son camarade.
- Et toi, tu ne sais pas de quoi tu parles, riposta le blanc.
- Je n'ai jamais eu de vraie famille, mais je suis un poète. Et je connais les gens. Dis-moi, veux-tu une famille oui ou non ?
- Jaskier, c'est pas aussi simple que ça…
- Réponds à ma question ! coupa le barde éméché. Tu sais ce que je veux dire. Si ce n'était pas pour ce bordel avec la Scoiat'ael, l'Ordre, la Salamandre et tout le reste…
Est-ce qu'il voulait une famille ?
Geralt se prit la tête dans les mains, rejetant ses longs cheveux dans son dos en soupirant.
- Si seulement tu pouvais savoir à quel point, Jaskier.
- Exact ! approuva Zoltan. La famille -hip- est le fondement de la société -hip- … oh et puis merde, j'ai le hoquet -hip- !
- Ce n'est pas vraiment ce à quoi je pensais. J'ai simplement envie de me poser, de m'installer…
- J'ai déjà entendu ce ton auparavant, reconnut le barde.
Zoltan, lui, il n'avait qu'une préoccupation : son hoquet et pour ça, la solution, c'était un nouveau verre. Jaskier, lui, il avait une autre idée en tête :
- Je sais ! Allons au bordel pour passer une nuit d'enfer !
- Jaskier, on parlait de ma vie de couple auparavant au cas où tu ne l'aurais pas saisi.
- Sans compter qu'ils me laisseront pas entrer, je suis une saloperie de non-humain, bougonna Zoltan.
- Il n'y a que le poids de ta bourse qui compte à la Demeure de la Nuit. En plus, la Matrone me doit un service. Allez, Geralt… Détends-toi un peu !
Il avait vraiment la tête de quelqu'un qui a envie d'aller voir une catin alors qu'il a déjà du mal à s'en sortir avec Shani ?
C'est pas Zoltan que ça dérangeait en tout cas !
- Ils ont des naines là-bas ?
- Bien sûr qu'il y en a ! C'est le meilleur bordel de tout Temeria ! Alors, Geralt, tu viens ?!
Toujours aucune réponse du mutant.
- Moi j'te dis, rien de mieux qu'un détour par un bordel pour t'aider à réfléchir clairement.
La tentation était forte, très forte…
Le sorceleur soupira et sortit de sa besace à élixir le remède contre l'alcool. Il l'avala cul sec et retint une grimace. Il y voyait plus clair désormais.
- Allez-y sans moi, j'ai des choses à faire. Merci pour l'invitation et le verre.
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Ann releva la tête quand Geralt entra avant de retourner à son sac qu'elle était en train de fouiller.
- Tu t'es disputé avec une brouxe pour avoir des griffures pareilles ? demanda l'homme en s'accroupissant auprès de sa camarade
Doucement, il lui prit le visage dans sa main gantée de cuir et l'observa. La joue gauche était parcourue de trois longues griffures profondes, suintantes de sang, allant jusqu'à déchirer les lèvres au passage.
- C'est moins grave que ça en a l'air, mais j'admets que finalement, les jolis ongles de Merigold ne sont pas là que pour faire joli. J'ai été peut-être un peu garce dans ce que je lui ai dit, mais au moins, j'ai été claire et honnête. Et si elle n'avait pas la magie, elle aurait dû se balader avec un coquard gros comme un œuf de poule, expliqua Ann. Toi, tu as bu récemment, par contre.
- Jaskier et Zoltan m'ont pris en otage. J'aurais dû aller la voir moi.
La D. haussa des épaules.
- J'avais des trucs à lui dire qui me démangeaient pas mal, pas besoin de te la mettre encore plus à dos. L'important est que l'enfant soit en sécurité et heureux.
- Shani nous propose de nous installer chez elle tant qu'on est à Wyzima.
Le Chat Noir éclata de rire.
- Et tenir la chandelle ? Nan, vas-y sans moi.
- T'es certaine ?
- Je ne suis pas un membre de ta meute, Geralt, tu n'as pas à t'en faire pour moi.
- Et la tienne est où, hein ?
Ann soupira profondément en cessant de fouiller dans son sac, le regard dans le vide.
- Morte par ma faute certainement. La journée a été riche en émotion et on doit encore fait notre travail. Si tu permets, je vais aller me coucher, bonne nuit, de Riv.
Elle se leva d'un bond pour lui tourner le dos et détacha ses cheveux. Comprenant le message, le Loup Blanc se releva et se dirigea vers ses propres affaires qu'il ramassa.
- Tu sais où me trouver.
- Hmhm.
Et Geralt quitta le squat.
Ann soupira profondément et se massa les tempes.
Le temps ne pouvait pas effacer la douleur.
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Ils s'étaient divisés les tâches. Elle se chargeait des marais, et lui il prendrait la base dans les égouts.
Ainsi, les choses iraient largement plus vite.
Ann savait aussi que s'il se passait quelque chose dans les marais, Vaska le saurait.
En entrant dans le village des briquetiers, la mutante remarqua immédiatement qu'il était étrangement vide. Bien heureusement, elle n'eut pas à chercher trop pour trouver la vieille femme assise sur une souche d'arbre.
- Bonjour Vaska, salua Ann en s'arrêtant devant elle.
- Salutation, répondit la vieille femme. Bien des choses ont changé depuis ta dernière visite. Des gens de la ville ont violé nos marais.
La mutante posa un genou à terre pour se mettre au niveau de la vielle dame, se penchant légèrement vers l'avant pour que ses glaives ne la dérangent pas.
- Qui sont ces étrangers ?
- Ceux-qui-sont-secs !
La sorceleuse hocha sérieusement la tête. Ceux-qui-sont-secs… ça l'aidait énormément.
- Ils ont chassé les bûcherons, et ils ont tué beaucoup d'entre eux. Ils ont enlevé les nôtres aussi. Les Seigneurs des Eaux sont en colères. Seuls les druides ont l'audace de rester dans leur clairière.
Ce qui expliquait pourquoi, l'autre jour, elle avait trouvé étrangement vide le camp des bûcherons et les puits d'argiles.
- Quelque chose d'autres à m'apprendre ?
- Il y a eu une grande bataille contre un homme à l'âme ardente et un seigneur elfe ! dit-elle avec une voix prophétique.
- Qui a gagné ?
La grand-mère se redressa fièrement.
- Nos Seigneurs furent victorieux. Qu'ils en soient bénis.
- Tu peux m'en dire plus ?
- L'homme avec l'âme ardente est venu avec ses frères vêtus d'acier. Ils ont enragé les Seigneurs et les eaux sombres les ont avalés. Celui qui marche avec légèreté dans les ombres et dont le cœur est consumé par la haine est allé leur faire face. Ils se sont rencontrés dans une bataille terrible et sauvage, tâchant les eaux de rouges. Qui a gagné, tu demandes ? Le Feu ou l'Ombre ? Je te l'ai dit et je te répète ma réponse : aucun.
- Merci, sourit Ann avec un sourire sauvage.
Bien fait pour les deux.
- Et si tu me disais un peu plus sur les problèmes que toi et ta caste rencontrez ?
- Des bandits avec le badge de la Salamandre forcent les miens à ramasser des herbes.
- Des herbes ?
Pourquoi la Salamandre avait décidé d'embaucher les briquetiers pour jouer les herbalistes ?
- Ils ont séparé les nôtres dans des groupes surveillés par des hommes armés.
- Et où sont-ils ?
- Je sais que l'un d'eux a été conduit près de la tour effondrée. Je t'en conjure, aide-nous, je te récompenserai !
Vu l'aide que lui avait apporté le Kezath qu'elle lui avait donné, Ann était prête à la croire sur parole.
- Et leur chef, Roland Blenheim, est un homme mauvais. Tue-le.
Blenheim… comme son frère Commandant. Triste coïncidence.
- Il ne vivra pas un jour de plus.
Et elle se releva.
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.
Ann ralentit le pas en s'approchant de la tour effondrée quand elle perçut de son Haki la présence des villageois. Doucement, elle s'avança en marchant courbée, se rapprochant autant que possible sans se faire repérer. Dans les roseaux, elle finit par s'accroupir.
Du bident.
Les villageois ramassaient les fleurs rosées de bident.
La fleur qui entrait dans la composition du fisstech comme un ingrédient essentiel. On reconnaissait le Junkie derrière cette action.
Elle écarta un peu les roseaux pour voir sans se faire prendre. Elle avait dans son champ de vision trois bandits arborant l'emblème de la Salamandre. Il y en avait certainement plus, mais le brouillard l'empêchait de voir plus loin. Elle ferma les yeux et expira calmement, cherchant quelqu'un dont la voix et la présence répondraient de façon plus puissante à son Haki, preuve d'un semblant de force obligatoire pour quelqu'un qui manie les armes. Outre les trois qu'elle voyait déjà, une quatrième présence se manifesta, comme un orbe de lumière faible au travers la brune au milieu des lucioles qu'étaient les villageois.
La mutante retira ses lames de ses cuisses et doucement, elle se prépara.
Le temps s'immobilisa pendant un long instant, juste troublé par les bruits de l'eau et de son souffle alors qu'elle se préparait à frapper.
Elle se releva brusquement et envoya ses dagues se planter dans la nuque de deux des bandits, les tuant sur le coup. Le temps que les deux autres réagissent et Ann avait déjà sorti son glaive et tournoya sur elle-même pour couper un bras, puis une tête, transformant en Mr Patate ses adversaires.
Tranquillement, elle secoua son arme pour en faire tomber le sang et la rangea.
- Juste à temps ! soupira un briquetier alors que les autres se préparait à rentrer chez eux.
- Rentez chez vous, c'est fini ici.
- Puissiez-vous ne jamais craindre la sècheresse !
Pour un enfant de la mer, ce serait un comble.
- Vous savez quoi que ce soit des hommes qui s'en sont pris à vous ?
- Ils nous ont obligé à ramasser des herbes pour faire du fisstech. Ils ont caché un groupe dans une grotte, pas loin de l'ancien camp des bûcherons.
Confirmation, la Salamandre avait mis son nez dans le trafic de drogue au-delà de la consommation.
- Je m'en charge, partez.
La grotte près du camp des bucherons ? Elle la connaissait, c'était là où elle avait créché, elle en était certaine.
Elle regarda autour d'elle, ramassa ses dagues et hocha la tête, avant de partir à la poursuite des briquetiers pour s'assurer qu'ils ne se feraient pas bouffer entre temps par des monstres. Même si maintenant qu'elle y pensait, les marécages semblaient vraiment très silencieux, comme si quelqu'un avait juste retiré tous les monstres des environs pour les mettre en stand-by.
Quand les hommes furent rentrés chez eux, elle repartit en courant vers la cave qu'on lui avait indiquée. Oui, confirmation, c'était bien là où elle avait logé précédemment. Elle s'arrêta devant l'entrée et s'accroupit. Elle ramassa dans l'herbe ce qu'elle reconnut comme une plume de cocatrice.
Ces idiots avaient enfermé des villageois avec des cocatrices ? Finalement, ce n'était pas que les elfes qui étaient cons pour faire des conneries de ce genre.
Doucement, elle entra dans la grotte et plissa les yeux pour percer l'obscurité sur le chemin avant de s'arrêter en voyant des lanternes posées sur le sol contenant des bougies qui diffusaient une lueur vacillante sur les villageois qui avaient pour tâche de ramasser des champignons fluorescents des cavernes. En silence, elle s'approcha du groupe pour se cacher derrière une colonne naturelle puisqu'une stalactite et une stalagmite avaient fusionné. Le passage menant au sarcophage avait été comblé. Elle se demanda un instant si les loups avaient fui, s'ils avaient été tués, ou simplement enfermé avec les cocatrices de l'autre côté du mur de briques qui coupait le passage. Si c'était le dernier cas, ils devaient être morts depuis longtemps.
La mutante tira son glaive et s'avança dans l'obscurité pour se rapprocher d'un des gardes. Elle jura mentalement quand son pied percuta un caillou, la faisant repérer. Plus le temps de réfléchir, elle tira son glaive et fonça à l'assaut. Dans les cris de peur des otages, elle perçut la voix d'un enfant.
Raison de plus pour en finir vite.
Elle envoya voler à l'autre bout de la pièce un des bandits avec un Aard bien senti et utilisa Axii pour transformer en allié temporaire un second, lui permettant de réduire le nombre d'adversaires à affronter en même temps. La chance fit que la rencontre avec le mur de la grotte fut fatale pour l'homme volant.
Enfin, le dernier corps tomba, laissant une sorceleuse lasse derrière.
- Allez tout le monde, en rang, je vous ramène chez vous, réclama Ann en posant sa lame en travers de ses épaules. Quelqu'un peut me dire quelque chose d'intéressant sur les derniers groupes ou sur les activités de ces charmants messieurs ?
- On est passé par un camp avant d'être séparé. Certains sont partis vers la tour et d'autres vers le camp des bûcherons.
Si elle avait su, elle aurait pu couper par chez eux avant de venir ici. Elle remonta le rang que formèrent les briquetiers à sa demande avant de rencontrer un petit garçon bien familier.
- Le messager des Seigneurs me relève et arrache mes chaînes ! clama l'enfant avec un sourire.
- Enfin on te retrouve gakki. Tu sais que tout le monde se faisait du souci à ton sujet ?
- Je me suis retrouvé assis sur des berges étrangères, pleurant au souvenir de ma terre natale.
- Je sais pas ce qu'on a mis dans ton biberon, mais ça devait être autre chose que du lait ou même du fisstech.
- Béni soit celui qui brandit le glaive contre mes ennemis.
- Même si des décennies après, ça me fait toujours autant chier de l'admettre, je suis physiquement une femme, gakki. Et tu vis pas dans une société suffisamment avancée et évoluée pour accepter les transgenres donc, évite d'utiliser le masculin, je veux pas d'ennuis.
- Qui est au-dessus des Seigneurs ?!
Avec agacement, elle attrapa l'enfant par le col de sa chemise et le refourgua à l'un des briquetiers. Elle frappa du mieux qu'elle pouvait dans ses mains et fit un grand signe du bras pour qu'ils la suivent, les ramenant à l'extérieur, puis chez eux, avant de prévenir Vaska en personne sur le retour de leur agneau perdu.
Et la gentille grand-mère n'avait pas bougé de son siège.
- J'ai retrouvé l'enfant perdu.
- Tu as mes remerciements, Chat Noir.
- Il plane pas mal, non ? Vous avez mis du fisstech dans sa bouillie ?
- Il a été prédit que celui qui comprendrait les Seigneurs serait solitaire dans la foule, car ses pensées refluent comme la marée…
Ah oui, c'est vrai, c'était un Innsmouth bis ici, pas de quoi être très surpris.
- … né d'une mère noyée, il conduira ceux qui marchent sur la route des Seigneurs vers le royaume des profondeurs.
- My pleasure. En attendant, j'ai encore un groupe de briquetiers à aller chercher et ça sera fini. Quoi que ce soit à dire ?
- Je te remercie pour ta bravoure. Sache que si tu dois et oses détruire le camp de ces bandits où se cache leur chef, j'ai cru comprendre que les druides surveillaient la Salamandre. Le Hierophant saura quelque chose.
- Merci. Je vais m'occuper du dernier groupe.
Enfin, elle revint sur ses pas. Elle commençait à en avoir plein les bottes de courir d'un bout à l'autre des marécages.
La situation fut gérée rapidement là-bas aussi, mais ça n'aida pas la frustration qui commençait à l'envahir. Si elle n'était pas obsédée par l'idée d'empêcher ce grand naïf de Geralt de se faire manipuler par la Loge, elle aurait laissé tomber pour reprendre sa route.
Elle apprit néanmoins un fait intéressant. La Scoia'tael n'était plus dans les marais. La Salamandre avait pris possession des lieux et il faudrait beaucoup de monde pour les en faire sortir.
Point négatif, la soi-disant récompense de Vaska. La Bénédiction des Seigneurs des Eaux. Qu'est-ce qu'elle en avait à foutre !
Pleurant presque de frustration, elle quitta encore une fois le village avant d'avoir la tentation d'en faire un second Rivia et de faire brûler tout ça.
Elle remercia la clairière d'être toujours aussi paisible pour lui calmer les nerfs un minimum. Mais pas assez pour se plier aux gentillesses sociales et aux bonnes manières avec le Hieropant qui n'avait rien demandé.
- Qu'est-ce que tu sais sur la Salamandre, jii-san ?
Le vieillard et chef des druides haussa des sourcils devant l'interpellation pour le moins cavalière de la femme, mais lui accorda son attention :
- Bienvenue Chat Noir. Je sais ce qui te mène jusqu'à moi. Je l'ai entendu dans le vent et vu dans les yeux des animaux.
- Hiérophant, je suis pas de très bonne humeur actuellement. Donc, dîtes ce que vous avez à dire avant que je ne pète une durite.
- Je sais que tu veux entrer leur base secrète, mais elle est trop bien gardée, même pour quelqu'un de ta réputation.
- C'est une proposition d'aide ?
- Possible. Leur chef veut qu'on utilise la magie de la Nature pour servir ses intérêts. Je peux proposer un rendez-vous là où nous aurons plus de chance. Mais j'ai besoin de vous avant ça.
- Pour ? demanda Ann en sentant une migraine s'emparer de son crâne.
- J'ai besoin d'un champignon psilocybe. Ils poussent dans une cave gardée par des cocatrices et… où allez-vous ?
- Décharger ma frustration sur des cocatrices, répondit la mutante qui avait déjà fait demi-tour.
Elle détestait la Temeria.
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Geralt prenait en charge la base dans le quartier du temple. Et quand il était question de fisstech, il y avait quelqu'un sur qui il pouvait compter pour avoir des renseignements : Jethro.
Et comme il s'en doutait, le soldat était bien imbibé de poudre quand il allait le voir dans les prisons.
- Toi ! Atchooo ! On doit parler !
Et le garde renifla.
- Et à quel sujet ? Tu comptes me jeter de nouveau dans les égouts peut-être ?
- Ah-chooo ! éternua le garde. Voilà comment ça marche ! Je décris un boulot, et si tu refuses, je te remets en cellule !
Il croyait vraiment être impressionnant comme ça ? Il n'avait même pas l'équilibre nécessaire pour ne pas vaciller. Et parler ainsi était la mauvaise méthode à utiliser contre Geralt.
- T'aimes les jeux ? demanda le sorceleur avec froideur.
- Pardon ?
- Je parie que je peux te coupez le nez avant ton prochain éternuement.
- Un peu nerveux aujourd'hui, non ? Ecoute, je sais que les gars avec l'écusson de la Salamandre sont après toi.
Et un éternuement et un !
- Je sais où on peut les trouver. Occupe-toi d'eux et c'est la fin de tes emmerdes. Et au passage, tu me rendras service. C'est ok ?
Et encore un autre !
- On verra. Dis-moi ce que tu sais.
- La Salamandre a pris le contrôle de presque la totalité du trafic de drogue. Si personne ne s'oppose à eux…
- En quoi ça me concerne ?
Il n'était pas consommateur et il connaissait même la formule pour faire du fisstech de bien meilleure qualité que ce qui était vendu dans les rues. Bien utile les connaissances des sorceleurs en herbologie et concoction d'élixir. Une dose de Quebrith, trouvable dans la mandragore, le souffre ou le fruit de balisse, trois d'Hydragenum trouvable dans le gui, le bident ou l'aloès du loup et enfin du Vermillion généralement présent dans le feainnewedd, la pyrite ou l'aconit.
Pas sorcier de faire du fisstech.
- Eh oh ! Ils sont après toi ! rappela Jethro. Détruis-les, prends les informations dont tu as besoin et reviens ici. Oh et rassemble toute la drogue que tu trouveras comme preuve !
Pour qu'il puisse la consommer ou pire, la revendre à son compte. Mais oui mon gars… il serait bien tenté d'y mettre le feu à ces réserves de poudre blanche, mais Meis aurait besoin des preuves en effet pour l'inculpation. M'enfin, Jethro avait un bon point : la Salamandre les voulait, lui et Ann, morts, et eux, ils voulaient la tête de Azar Javed.
- Un de mes informateurs m'a parlé d'un dealer du nom d'Angus qui a récupéré tous les anciens clients de Colemann. Il travaille dans les bas-quartiers. Apparemment, il traîne du côté de la taverne. On doit absolument savoir où il se procure sa marchandise.
Et Geralt tourna les talons.
Il avait un dealer à retrouver.
Et le gars n'était pas du genre discret puisqu'il tenait le mur à côté de la taverne, comme tout bon voleur, revendant sa marchandise comme s'il vendait du poisson sur les quais.
- T'es qui toi ? demanda le voyou en voyant le sorceleur.
- Aucune importance. T'es Angus ? se renseigna le mutant.
- Qu'est-ce que ça veut dire ce putain de « aucune importance » ?
Il avait le choix entre plusieurs méthodes pour avoir ses informations, mais Geralt n'avait pas l'intention de jouer les gentils aujourd'hui.
- Tiens-toi bien, couillon et dis-moi qui te fournit.
- T'as aucune idée de l'erreur monumentale que t'es en train de faire ! Ce sont des affaires qui te dépassent !
- Crache le morceau. Qui te fournit ?
Pour appuyer la menace, le sorceleur porta une main à son arme.
- Suce-moi ! J'me casse !
Charmant.
Tout comme le poignard qu'il allait lui mettre dans la gorge. D'une main ferme, profitant de la force supérieure que lui accordait son entraînement, il se saisit du col du voyou et l'embarqua avec lui dans l'entrepôt abandonné où il avait aidé Meis il y a déjà quelques semaines. Là, il trancha la gorge du voyou à l'abri des regards et le fouilla méticuleusement pour trouver un laissé-passé, une clef et un peu d'argent. Il se doutait d'où il pourrait trouver les fournisseurs, juste avec l'allure de la clef. Il en avait déjà vu quelques-uns de semblables en arrivant ici. Et elles ouvraient les grilles des cryptes des égouts. Cette enquête commençait sérieusement à lui fatiguer les nerfs. Cela ne lui rapportait rien en plus. Il avait dézingué bien assez de noyeurs et noyadés pour être plein, niveau ingrédients, donc, même pour ça, aller dans les égouts n'était plus que de la fatigue pour ses nerfs.
Après, la troupe de noyeurs sur ses talons lui fut utile. Les gardes à l'extérieur de la planque étaient si stupides qu'ils attaquèrent la foule de mort-vivants aquatiques sans réfléchir plus. Cela leur coûta la vie.
Mais qui était-il pour juger la stupidité des gens ?
Bon, certes, il dut faire rouler des têtes dès qu'il traversa la grille, mais au moins, il pouvait évacuer sa frustration. Il sauva même un pauvre alchimiste nain qui devait travailler sur la fabrication du fisstech pour ne pas se faire passer à tabac.
Pour le coup, quand Jethro rassembla une petite équipe pour rejoindre le mutant dans les égouts, il n'y avait que quelques survivants effrayés et blessés face à un mutant frustré qui en avait marre de cette affaire.
Comme il avait été dit durant la réception : rien de mieux que des mutants pour faire le sale boulot. Il trouva néanmoins quelque chose d'intéressant en fouillant la base. Des papiers lui disant où il y aurait possibilité de trouver le chef des opérations.
Ce massacre l'avait bien déchargé mais Jethro, qui attendait devant la grille, décida juste d'appuyer sur le mauvais bouton pour rallumer la colère du sorceleur :
- Bon travail, sorceleur ! Y'a quelques morts, mais je vais faire comme si j'avais rien vu !
- Légitime défense, répondit Geralt.
Ce qui était vrai. Si on ne l'avait pas attaqué, il n'aurait pas eu à lever son glaive.
- En tout cas bien joué. La communauté est bien mieux sans ces gars. Retour à nos affaires, vous savez où est le patron de cette fabrique ?
- Le responsable est Gellert Blenheim.
- Parfait ! Je vais mettre en lieu sûr les preuves et la drogue ! Ah-choom ! Dans le but de protéger la population, bien entendu ! Toi, va t'occuper de ce Gellert !
C'était trop pour Geralt, il était temps de montrer qu'il était peut-être un mutant tueur, mais il n'était pas stupide et certainement pas quelqu'un à manipuler :
- Quel plan excellent. Peut-être que je devrais tuer tous ceux impliqués dans le trafic de fisstech ? Ou seulement laisser entendre à Vincent de la perquisition en cours ?
- Qu'est-ce qui va pas avec toi ! T'as eu ce que tu voulais, non ?!
- C'est la seule raison qui fait que je suis encore en train de parler. Mais ne me donne plus d'ordres. Compris ?
- Comme une cloche, assura le soldat. Mais on doit toujours s'occuper de Gellert.
- Le fisstech te détruit le cerveau. Je vais le faire.
Et le Loup Blanc s'éloigna, ne loupant certainement pas l'insulte que lui envoya Jethro dès qu'il eut le dos tourner. Pourquoi on devait forcément lui jeter des ordures à la figure en rapport avec ses mutations ? Ils ne pouvaient pas, pour une fois, l'insulter sur autre chose.
Le Loup continua sa route dans l'eau croupie. Il savait où trouver son homme. Il devait seulement l'y attendre. Encore un jour où il devait faire rouler des têtes humaines plutôt que celles de monstres. Il avait été modifié spécialement dans le but de chasser les créatures qui menaçaient les hommes depuis la Conjonction des Sphères. Les humains, ce n'était normalement pas son problème. Pourquoi est-ce qu'il fallait qu'il se retrouve impliquer dans cette affaire ?
Il arriva à la porte qui permettait de sortir des égouts en direction des marais. Une porte non-utilisée généralement parce qu'il fallait rapidement mettre la main sur une barque une fois dehors. Là, il s'assit par terre, contre le mur, ses glaives entre ses jambes, appuyés à une de ses épaules.
Il allait attendre Gellert ici et ensuite, il irait voir si Ann s'en sortait de son côté. Une chose était certaine, s'il prenait Jethro la main dans le sac à dealer du fisstech, il le tuerait.
.
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Un putain de champignon de merde.
Et cinq foutus plumes de cocatrice.
Enfin, six, si on comptait celle qu'Ann s'était accrochée à un de ses dreads. La couleur de la plume lui rappelait vaguement celle de Marco. Rien ne pouvait changer le mal du pays qui lui tordait les tripes depuis tant d'années déjà.
M'enfin, juste pour ça, elle avait dû retourner à l'autre bout des marais dans la grotte précédente pour récolter l'ingrédient dont avait besoin le Hierophant pour l'appât à la Salamandre, et elle en avait profité pour récolter les plumes de cocatrices pour le contrat du greffier de l'hôtel de ville.
Il accepta sans un mot le champignon et alla rejoindre un chaudron de pierre à proximité pour préparer une potion avec.
- J'enverrai le résultat par les oiseaux afin de les attirer à un lieu de rendez-vous, expliqua le chef des druides.
- Personne ne m'en voudra si je me tape une sieste sur une branche d'arbre ?
- Personne.
Ann regarda autour d'elle à la recherche de l'arbre avec les branches les plus larges et alla rejoindre celui au centre de la clairière. Elle retira en grognant ses glaives de son dos avant de sauter pour s'accrocher à la première branche à sa portée, puis se hisser debout dessus. En équilibre, elle monta sur une autre branche et s'allongea dessus avant de fermer les yeux, les bras croisés sur son visage pour réduire la lumière du soleil.
Cela lui ferait un bien fou pour ses nerfs.
Elle se réveilla avec le soleil couchant et s'étira de son mieux en baillant avant de sauter de son perchoir. Elle alla retrouver le Hierophant qui était en train de s'occupait d'une wyverne et s'inclina profondément devant lui, le surprenant.
- Je veux présenter mes excuses pour ma mauvaise humeur et mon comportement désagréable de tout à l'heure.
- C'est oublié, assura le druide. Vous vous sentez mieux, c'est l'essentiel. Vous aviez l'air d'en avoir bien besoin.
- Oui… j'en avais vraiment besoin.
Ann regarda autour d'elle et soupira.
Qu'est-ce qu'elle donnerait pour rester dans un endroit aussi paisible éternellement. Pas de jugement, pas de conflit, pas de monstre à tuer. Mais elle savait qu'elle aurait la bougeotte, et qu'à un moment ou un autre, elle devrait se remettre sur la Voie.
- J'ai profité de votre sommeil pour envoyer un message au leader du groupe de la Salamandre dans les marais. Je leur ai donné rendez-vous dans l'ancien camp des bucherons. Mon compagnon et moi vous accompagnerons, c'est le minimum qu'on puisse faire.
Quand il parla de compagnon, il montra la wyverne à ses côtés.
- C'est la première fois que je vais me battre dans le même camp qu'une wyverne, commenta la mutante.
- Nous partons quand vous voulez.
- Je prends mes glaives et mes élixirs et je suis à vous.
Vu qu'il risquait d'y avoir du monde, elle allait éviter le Tonnerre. Le Loup ferait très bien l'affaire.
Et elle alla au combat.
Sauf que les choses ne se passèrent pas comme prévu. Pour sa plus grande hilarité.
Contre une dizaine de bandits de la Salamandre et leur chef Blenheim, ils étaient un groupe hétéroclite composé d'une mutante, d'un druide, non pas d'une, mais de deux wyvernes et enfin de trois kikimores guerrières.
Autant dire que le combat fut assez amusant au final !
Aussi, quand Geralt la retrouva, assise sur la carcasse puante d'une kikimore, après qu'il ait chassé une grosse wyverne royale et ramassé des ingrédients pour quelques contrats. Il fut assez surpris de la voir en train de ricaner.
- Oh ! Geralt ! T'as loupé un combat épique ! s'exclama-t-elle avec un entrain presque enfantin.
- Plus intéressant que le graveir qui parle ?
- Les druides sont badass comme on dit chez moi ! T'imagine ! Le gars m'a accompagné au combat avec deux wyvernes et il a charmé au passage ces kikimores ! La Salamandre n'a rien vu venir ! C'était dément !
Pendant un instant, ce n'était plus une mutante qu'il voyait, mais il eut l'image fugitive d'une fille bien plus jeune, aux cheveux cendrés, presque blanc, souriant de toute ses dents avec des yeux d'un vert émeraude brillant de curiosité et de joie enfantine.
- Geralt ?
Le mutant cligna des yeux pour voir qu'Ann s'était rapprochée pour le regarder dans les yeux.
- Tu t'es perdu où ?
- Nulle part. Rentrons à Wyzima.
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Geralt revint à la Demeure de la Nuit pour se renseigner au sujet de la jeune femme sur la demande de son frère qui pensait qu'elle devait être contrôlée par un vampire. Et pour le confirmer, il avait besoin de s'adresser à la Matrone. La femme en question était à l'étage et ne recevait personne d'ordinaire. Et le garde dans l'escalier s'en assurait. Seulement voilà, le regard et la façon de parler du vigile en disait long sur lui. Un accro au fisstech. Finalement, en avoir toujours sur soi était une bonne idée, parce qu'un sachet de la poudre lui ouvrit les portes de l'étage supérieur et ainsi, une audience avec la Matrone.
Mais dès qu'il posa les pieds à l'étage, son médaillon se mit à vibrer pour l'avertir d'un danger très important. Une très belle femme aux longs cheveux noirs et à la peau blanche se tenait devant une coiffeuse où elle finissait de se préparer pour la journée, assistée par quatre jeunes femmes rousses tout aussi belles et pâles avec des robes moulantes de très bonne qualité.
- Maman, on peut jouer avec lui ? demanda l'une des rousses en regardant Geralt de la tête au pied.
La brune le remarqua et termina de se préparer avant de se lever et d'aller à sa rencontre à quelques distances de son grand lit à baldaquin.
- Ce n'est pas très poli d'entrer ainsi sans invitation, vous ne trouvez pas ? pointa la Matrone avec un visage sans âge, parfait et impassible.
- Je suis ici pour affaire, annonça tout aussi froidement Geralt.
- Et en plus un refus de répondre à une question… Le Geralt de Riv, dont j'ai entendu parler, était un sorceleur des plus courtois.
- Mes excuses, madame, mais j'ai perdu la mémoire.
- Je sais, sorceleur. Cela fait un moment que je suis tes exploits.
- Pourquoi cet intérêt ?
La tristesse se dessina sur les traits de la femme alors qu'elle baissait la tête en fermant les yeux.
- Mon ancien amant, que je n'ai jamais pu oublier, vous voyait en ami. Il est mort en vous aidant à vaincre un ennemi puissant. Mais c'était il y a longtemps.
Elle inspira profondément et releva la tête une fois qu'elle eut repris contenance.
- Qu'est-ce qui vous amènes ici ?
La mission n'était plus qu'une idée secondaire dans l'esprit du Sorceleur. Il était devant un fragment de son passé et il voulait le saisir.
- Vous mentionnez des temps passés… pouvez-vous me parler de votre homme ?
- Je n'ai jamais dit que c'était un homme, pointa la femme. Vous étiez un de ces amis et il parlait beaucoup de vous. Cependant, Regis buvait trop, nous nous sommes donc séparés. Cela l'a presque tué. Des paysans en colère l'ont attaqué. Une fois qu'il eut retrouvé la santé, il mena une vie solitaire jusqu'à votre rencontre.
- Navré de ne me souvenir de rien.
La brune agita la main pour dire de ne pas s'en faire.
- Ne vous en faîtes pas. Je suis heureuse de savoir qu'il est mort entouré d'amis. De véritables amis. Est-ce pour cela que vous êtes venu me voir ainsi ?
Ah oui, c'est vrai, la raison de sa présence à l'origine.
- Il y a des vampires par ici, une de vos filles a été mordue dans le cou...commença Geralt.
- Je peux nommer des créatures très ordinaires qui peuvent laisser des marques de ce genre, lui répondit la femme en allant s'asseoir dans son siège, tournant momentanément le dos à Geralt.
- Le frère de cette demoiselle dit qu'elle n'aurait jamais travaillé dans un bordel de son propre fait. Il pense qu'elle a été ensorcelée.
Il savait où était le vampire coupable, son médaillon le lui disait et elle s'était trahie seule. Elle devait juste se dévoiler.
- Han ! s'exclama la femme. Et vous le croyez ?! Ne soyez pas si naïf ! Elle vit comme une princesse ici ! Elle porte la soie la plus cher et les clients sont prêts à vendre leur domaine pour une seule nuit avec elle ! Elle a des serviteurs et un confort que vous ne pouvez même pas imaginer !
Elle se releva et revint vers Geralt, les mains jointes pour insister sur le sérieux de ce qu'elle disait. Plus elle se rapprochait, plus le médaillon de tête de loup se mettait à vibrer.
- Son frère désire l'offrir en mariage à un vieil imbécile avec des hémorroïdes plus gros que… Peu importe !
La femme inclina la main sur côté, prenant un ton doux, bas et plaisant à l'oreille, loin de son agacement précédent.
- Elle, de l'autre côté, veut être une princesse de la nuit. Un fruit interdit éternellement jeune. Le rêve de Wyzima tout entière.
- Et comment vous savez tout ça ?
Le regard ambré du sorceleur disait clairement à la brune de laisser tomber les masques. Elle le fixa un instant, tournant assez sur elle-même pour lui offrir son profil, puis retourna s'asseoir sur son siège au pied de son lit avec une grâce inhumaine.
- Je l'ai senti en buvant son sang. C'est la confirmation que vous cherchiez, n'est-ce pas ? Mais sachez que je ne tue pas. Le sang me revigore, comme le fait l'alcool pour les mortels. Mais je ne fais de mal à personne. A côtoyer l'une de mes filles, vous devriez vous en être rendu compte, n'est-ce pas ?
- Albina, devina le mutant.
- Exactement. Mes filles et moi buvons le sang de nos clients. Nous ne tuons jamais. Le sang est le paiement de nos services. Tout le monde est content, tout le monde y gagne.
- Et la fille aux yeux bleus ?
La vampire haussa des épaules.
- Elle m'a appelé d'elle-même. Dans ses rêves, ses fantasmes. Elle aspirait à la liberté… et à la beauté éternelle.
Elle soupira, le regard dans le vague, avant de revenir au sorceleur.
- Nous ne sommes pas des monstres, Geralt. Laissez-moi vous offrir un échange. Une nuit avec mes filles en échange de la tranquillité et l'oubli toute cette affaire.
- Et si je refuse ? s'enquit le mutant.
Son regard parcourut rapidement la pièce. En comptant la Matrone, elles étaient quatre. Cela serait compliqué. Seuls les vampires les plus évolués pouvaient prendre apparence humaine. Et du lot, les plus faibles restaient les Alpyres. En combat individuel, on pouvait les vaincre, mais en groupe, c'était bien plus compliqué. Voire même du suicide.
- Quelqu'un mourra, répondit calmement la vampire. Vous, moi, la fille… est-ce la bonne chose de choisir la mort, même celle d'un vampire ?
Il fallait qu'il réfléchisse rationnellement à la situation.
Il était devant un groupe de vampires qui habitait la ville depuis longtemps. Pourtant, il n'y avait aucune demande d'éradication, rien pour avoir leur vie. Ces créatures étaient donc pacifiques. De là à dire si oui ou non la fille en bas avait été envoûtée par cette femme…
Il la regarda dans les yeux en cessant de faire les cent pas. La brune subit l'examen sans broncher.
Il était impossible que la fille aux yeux bleus ait été changée. C'était un mythe absolument faux qui était entretenu pour l'amusement des vampires. Ils étaient une espèce à part entière et pour devenir vampire, il fallait naître vampire. Les chances que la demoiselle en bas en soit une étaient de l'ordre de zéro.
Mais restait la possibilité de l'hypnose. Cependant, à sa connaissance, rien ne le justifiait. Elle n'était pas là pour les nourrir, puisque c'était le rôle des clients. A moins que la jeune humaine ait un penchant pour les femmes que tout le monde ignorait, elle n'avait aucune raison de venir un jour ici et découvrir la nature des courtisanes. Elle ne leur rapportait rien. Elles avaient déjà une réputation bien à elles, des clients d'une fidélité sans faille. La présence de la fille aux yeux bleus n'avait aucun avantage pour elle, donc, aucune raison de l'ensorceler.
La Matrone disait donc vraie.
- Très bien, je vous crois. Je vais vous laisser, leur dit Geralt.
Avant qu'il ne s'en aille, son oreille capta des bruits d'armures et des pas dans l'escalier.
Il se retourna et fit face aux nouveaux arrivants. Le frère et son groupe de camarades de la Rose Ardente.
- Traître ! Je savais qu'il ne fallait pas faire confiance à un sorceleur ! agressa le chevalier.
C'est toujours très agréable de se voir traiter ainsi.
- Que me vaut cette intrusion, chevalier ? demanda la Matrone en faisant face aux hommes en armures qui venaient d'envahir son domaine.
- Je vous ai suivi, sorceleur ! Vous vous êtes allié avec un vampire, donc, vous allez mourir avec !
- Ne faîtes rien de stupide, demanda Geralt avec un geste apaisant. Personne n'a besoin de mourir ici.
- Vous vous êtes comporté comme un monstre stupide, sorceleur ! Il est temps de faire face à votre punition !
Des bruits de courses leur parvinrent et la fille aux yeux bleus débarqua à l'étage.
- Arrêtez ! Vous n'avez aucune chance face à nous ! cria-t-elle.
- Nous ?! s'étrangla Patrick en regardant sa sœur. Ma chère sœur, nous sommes ici pour te sauver ! Pour lever ce maléfice qui te retient !
La Matrone rit en s'avançant pour se mettre à côté de Geralt, face à Patrick.
- Il n'y a aucun enchantement. Votre sœur est ici par sa propre volonté. Elle refusait simplement de passer sa vie à faire la vaisselle et à écarter les jambes pour un vieil homme au bord de la tombe.
- Assez de mensonge ! A l'attaque ! hurla un de soldat qui accompagnait Patrick.
- Attendez ! demanda Geralt.
Une des courtisanes assises près du feu de la cheminée émit un sifflement menaçant.
- Elle a raison, défendit le mutant. Il n'y a aucun enchantement, la présence de votre sœur ne leur rapporterait rien qu'elles ne possèdent déjà. Votre sœur a choisi cette vie seule.
- Vous venez de creuser votre propre tombe, sorceleur.
Eh bien, puisque l'homme ne voulait pas entendre raison, l'acier y arriverait. Avec résignation, Geralt se saisit de son glaive et le tira de son fourreau.
- J'en ai peut-être creusé une, mais pas pour moi.
Et il fonça à l'assaut.
Il se battait contre des humains, ceux qu'il devait protéger. Et à côté, il avait choisi de protéger une Brouxe et des Alpyres, des vampires, des monstres. Le genre de chose qu'il devait chasser et détruire normalement. La raison même de sa transformation en mutant.
Le monde à l'envers.
Il venait littéralement de briser le code des sorceleurs. Au milieu des hurlements et de la magie des vampires, il s'était aligné du côté des monstres pour prendre des vies humaines.
Le dernier corps finit par tomber et la fille aux yeux bleus monta lentement à l'étage pour les rejoindre. Mais Geralt n'avait d'yeux que pour le corps du chevalier mort à ses pieds.
- Je regrette que ça se soit fini ainsi, soupira la brouxe en reprenant sa forme humaine avec ses filles Alpyres. Ces hommes vous avez certainement promis de l'or. Je pourrais partager une partie de mes profits en plus de mon offre précédente.
Le mutant leva lentement les yeux vers la femme.
- Et maintenant ?
- Les affaires vont reprendre leur cours, nous devons juste faire disparaître les corps.
- Et elle ?
Il se tourna vers la blondinette qui regardait avec une haine claire le corps de son frère.
- Son choix. Mais je pense qu'avec tout ça, elle a bien mérité un peu de repos, n'est-ce pas ?
La brouxe s'avança vers la blondinette qui la remercia d'un geste de la tête et se laissa aller dans l'étreinte de la vampire quand elle la prit par les épaules.
- Donc, il n'y avait vraiment aucun sortilège.
- Comment pourrais-je le savoir ? je n'en ai jeté aucun, en ce qui me concerne.
Elle laissa la blondinette et revint vers Geralt.
- Les sortilèges peuvent parfois être difficile à distinguer de la fascination.
Geralt soupira et rapporta son regard vers les hommes au sol.
Il avait tué des humains, alors qu'il aurait dû tuer des monstres.
- Vous avez choisi le moindre mal entre deux maux, Geralt, lui dit la brouxe comme si elle devinait ses pensées. De temps à autre, on doit le choisir pour éviter un mal encore plus grand qui rode dans l'ombre.
Le sorceleur se détourna de la femme et se rapprocha de la fille aux yeux bleus sur le chemin pour s'en aller.
- C'était la première fois que je voyais le glaive d'un sorceleur à l'action, et j'espère ne pas le revoir, souffla la jeune femme en se frottant ses bras pour combattre sa chair de poule.
- Votre frère est mort, rappela Geralt.
La blonde eut un reniflement dédaigneux.
- Il n'a eu que ce qu'il méritait. Cet idiot a failli ruiner ma vie.
- Aucun regret ?
- Aucun. Vous n'avez aucune idée des horreurs que j'ai vécues avant de lui échapper.
Le mutant jeta un regard vers le cadavre que les alpyres étaient en train de transporter pour l'entasser sur les autres.
- Il ne vous tourmentera plus.
- Merci, sorceleur. Merci… pour votre humanité.
Et elle alla rejoindre les autres femmes, laissant le sorceleur seul à seul avec ses pensées.
