Bonjour à tous !

Merci encore d'être présent au rdv pour la suite de l'aventure de nos sorceleurs favoris. On se rapproche de la fin du chapitre II du jeu 1 et donc, de la fin de la traque de la Salamandre.

Merci encore à Misstykata pour ses commentaires et réactions (cette fille est un personnage d'animé, j'en suis certaine désormais) et à Sebferga pour son commentaire et sa présence sur ce nouveau x-over.

Je vous dis donc à bientôt pour la suite. Et attention à ne pas sortir durant les prochaines pleines lunes. On sait pas ce qui traîne dehors.

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Elle n'avait peut-être pas emménagé chez Shani, mais elle venait régulièrement pour les nouvelles ou simplement voir l'enfant. Mais aussi pour profiter de leur table. Ann avait eu dans l'idée de recopier les documents qu'ils avaient récupérés sur les frères Blenheim. Quand Geralt lui avait demandé pourquoi, elle avait simplement dit que c'était une vieille habitude et qu'elle n'aimait pas rester dans le noir. Elle faisait donc un maximum pour réunir des informations afin de ne pas se faire doubler.

- Dis… pourquoi tu as un médaillon différent de celui de Geralt ?

Ann leva le nez du message crypté qu'elle était en train de recopier pour regarder Alvin qui la fixait avec curiosité de là où il était assis sur son petit lit. Shani lui avait trouvé des vêtements plus corrects qui faisait désormais du gamin un garçon comme les autres.

- Mon médaillon ? Il est en forme de chat parce que je viens de l'école du Chat. Regarde.

Elle retira le médaillon en argent de son cou et le lui donna. L'objet vibrait férocement entre les mains de l'enfant.

- C'est normal qu'il bouge ? demanda le gamin avec fascination.

- Oui, c'est parce qu'il réagit à la magie et tu en as beaucoup en toi.

Et elle retourna à ce qu'elle faisait, laissant le gamin examiner avec passion l'amulette.

- Si tu veux me poser des questions, installe-toi en face, ça sera plus pratique que si tu restes dans mon dos, lui dit Ann en montrant de sa plume la chaise de l'autre côté de la table.

Timidement, le garçon vint s'asseoir en face de la sorceleuse et lui rendit le médaillon. Ann reposa sa plume pour le passer à son cou et se remit à écrire.

- Il y a beaucoup d'écoles ? demanda Alvin.

- J'en connais quatre, mais peut-être qu'il y en a plus. On se distingue par notre entraînement et nos mutations, nos histoires et même nos codes. L'Ecole du Loup de Geralt est connue pour être la plus traditionnelle, la plus proche de ce qu'était la profession à sa création. Une entité neutre qui protège les faibles contre les monstres sans jamais prendre parti pour un camp. Tout le contraire de mon école qui s'occupe de tout, sauf de ses affaires et ça a fini par leur porter préjudice… ça et la majorité qui est sociopathe, quand les autres sont psychotiques.

Elle leva le nez pour regarder le garçon devant elle.

- Nous, les Chats, on ne va pas très bien dans nos têtes, traduisit-elle dans un langage plus compréhensible pour le gamin.

Et elle revint à ce qu'elle faisait. C'était un résumé tordu, grossier, mais Alvin était peut-être un peu trop jeune pour comprendre les nuances et les différences.

- Je pensais qu'il fallait être un garçon pour être sorceleur, c'est ce que tout le monde dit.

- Les Chats sont les seuls à accueillir à bras ouverts les femmes dans leurs rang. Je crois même qu'on a eu des elfes dans notre histoire. Mais je sais aussi que les Loups ont failli avoir une femme parmi les leurs.

- Ah bon ?

- Hmhm. J'ai dû partir pendant qu'elle était encore en pleine Epreuve du Choix. Y'a eu plein de trucs qui se sont passés, donc, elle n'a pas pu continuer son entraînement, mais dans d'autres conditions, elle serait devenue la première femme de l'école du Loup.

Et elle mit un point final à ce qu'elle écrivait.

- Fini. On continuera notre conversation un autre jour. Ja ne gakki.

Elle roula les copies après les avoir laissées sécher un instant, puis se leva et sortit. Elle devait trouver Geralt.

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Leuvaarden était content pour les documents qu'il allait envoyer à ses experts en codes. Et il envoya les sorceleurs en balade, soi-disant qu'ils les tiendraient au courant de leur prochaine cible.

En partant, ils échangèrent un regard.

Ils allaient trouver eux-mêmes le moyen de décoder ce document.

Cependant, les hommes de Leuvaarden étaient plus rapides et efficaces qu'eux, parce qu'ils étaient encore en train de se casser les dents sur le sujet qu'ils reçurent un message du marchand disant qu'ils avaient des nouvelles. À ça, Ann avait jeté sa plume en bougonnant, marmonnant quelque chose au sujet de quelqu'un portant l'étrange nom de Izou.

Ils avaient donc traîné leur carcasse respective de mutant jusqu'au New Narakort pour voir Leuvaarden et ainsi connaître la prochaine cible.

Et il s'agissait de la dernière cellule de la Salamandre dans le Quartier Marchand. Et pour compliquer les choses, c'était en plein cœur d'une zone sous haute surveillance dont l'entrée était interdite.

Les deux sorceleurs échangèrent un regard en apprenant ça, avant de regarder à nouveau le gros bonhomme.

- Cependant, nous avons un informateur dans les officiers de garde qui parcourent les rues. Il répondra à un mot de passe. Dîtes-lui Le lys n'a pas encore été brûlé.

- Je commence à en avoir marre de vos conneries d'espions, informa Geralt.

- Et il vous répondra Trois lys en font un. Il devrait vous aider à accéder à l'endroit.

- J'ai jamais rien entendu de plus stupide, siffla Ann. Rien à foutre, tu t'y colles, je veux rien à voir avec ça. Je préfère passer un mois avec des kikimorrhes ou chasser un nouveau catoblépas que faire ces conneries.

Son camarade se contenta de rouler des yeux et tourna les talons.

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Puisqu'Ann n'avait pas l'intention de l'aider sur ce coup-là, il dut errer au hasard dans les rues à la recherche des officiers. On ne pouvait pas les louper, quand ils étaient là, avec leur grosse armure intégrale. Mais sortir ce mot de passe ridicule devant des boites de conserves armées, ce n'était pas une très bonne idée.

Le premier gars lui demanda tout simplement s'il voulait des fleurs.

Le second reconnut qu'il s'agissait d'un mot de passage, et manqua de peu d'envoyer Geralt à l'échafaud en l'accusant d'un complot, mais il laissa tomber parce qu'il devait se faire décorer par la princesse Adda en personne pour son aide à la répression du terrorisme de la Scoia'tael. Et si le garde s'y intéressait autant, c'est parce qu'identifier un Scoia'tael ou un de leur soutien, ça payait plus que combattre des kikimorrhes.

Ce fut au troisième essai qu'il eut une réponse. Le gars trouva juste marrant de le faire mariner un peu plus avant de lui donner la réponse. Enfin, il lui donnait le plan d'action.

- A minuit, mon unité pénètrera dans les égouts pour vous aider à traverser. On gardera vos arrières mais seulement pour deux heures.

Plus facile de sacrifier des mutants que des soldats.

Ann disait qu'elle arriverait à passer, sans l'aide de la garde, et qu'elle le rejoindrait de l'autre côté, à côté, Geralt se demandait encore pourquoi il prenait la peine de faire les choses comme on le lui demandait, mais il se plia aux règles du jeu. Il retrouva donc à minuit l'agent et son groupe dans les égouts. Ils installèrent une échelle pour atteindre une grille grossière qui donnait sur la zone contrôlée.

- Les gars de la Salamandre ne devraient pas tarder. Ils ne savent pas qu'on est là, mais ils sont vigilants. Apparemment, ils ont un invité de marque.

L'échelle fut installée et le Loup la monta.

Une fois de l'autre côté, il entendit vaguement un « bonne chance » … et le retrait de l'échelle.

Pourquoi n'était-il même pas surpris de se retrouver seul dans cette mouise ?

Il regarda la zone en quarantaine autour de lui, cherchant un signe lui disant où aller, parce que le coin était absolument vide et mort.

Il entendit quelqu'un siffler et leva le nez pour voir une silhouette sur un toit avec des glaives plein le dos.

Ann.

Elle marcha sur les tuiles des maisons riches, restant courbée sous la pleine lune pour ne pas se faire surprendre, avant de sauter dans la rue à deux pas de Geralt, se rattrapant avec souplesse. Là, elle se redressa pour le rejoindre.

- Une idée d'où il faut aller ? lui demanda-t-elle.

- Du tout, on va devoir chercher à l'aveuglette.

S'éloignant de la barricade, marchant chacun d'un côté de la rue, ils longèrent les maisons pour essayer de trouver celle où la Salamandre pouvait se cacher. Finalement, au bout d'une énième maison, le Loup Blanc s'arrêta et tendit l'oreille. De l'autre côté de la porte, malgré le son étouffé, il percevait des éclats de voix et le bruit typique d'armes qui se balancent quand on marche. Il fit un signe de la main à sa camarade qui le rejoignit et doucement, ils tournèrent la poignée qui leur résista.

- C'est là où mon passé de pirate est utile, chuchota Ann.

Elle posa un genou à terre et jeta un œil dans la serrure avant de sourire d'un air malicieux. Elle sortit alors de sa botte une pince fine et très plate qu'elle enfonça dans la serrure.

- J'avais demandé ça, il y a quelques années, à un artisan nain. C'est pratique pour ouvrir des portes dont la clef est encore sur la serrure, expliqua-t-elle.

Elle manipula l'intérieur de la grosse serrure avec sa pince avant qu'un clic ne lui réponde. Elle rangea sa pince et Geralt poussa la porte qui s'ouvrit en grinçant légèrement, comme pour les empêcher de réussir leur mission.

Bien heureusement, la chance leur sourit puisqu'ils ne furent pas repérés, leur permettant d'entrer dans la baraque. Ils refermèrent la porte derrière eux et s'avancèrent lentement le long du couloir avant de s'arrêter en percevant une conversation.

- Encore un moment... disait quelqu'un.

- Accélère, lui répondit une autre personne.

- C'est bon, on peut commencer. Akhay'ala ambra ku'rr !

Leurs médaillons s'agitèrent, preuve qu'on faisait usage de magie.

- On a une image, constata l'homme qui avait lancé l'incantation.

Les deux sorceleurs échangèrent un regard. Une image de quoi ? Ils visaient quoi ?

- Elle est trouble. Nous ne pourrons peut-être pas contacter les Redaniens aujourd'hui.

Redania ? Il se passait donc bien quelque chose de l'autre côté de la frontière nord. Ils avaient des forces chez les voisins ?

- Faut que j'y aille doucement, le cristal commence à surchauffer. Je vais essayer de corriger la corrélation magique.

Et enfin, l'annonce de la réussite, suivie par une voix masculine vaguement dédoublée et déformée.

« Je vous salue »

- Salutation, seigneur.

« Assez de formalité, que voulez-vous ! »

Ann et Geralt échangèrent un regard et le Loup Blanc s'avança d'un pas le long du mur pour jeter un bref regard de l'autre côté, avant de revenir à couvert. Il articula le mot "miroir". C'était, avec les mégascopes, l'outil magique par excellence.

- Nos bases militaires dans tout Wyzima sont réduites en miettes une à une. Cela peut être un coup d'espion Nilfgaardien.

Ann échangea sa place avec Geralt et jeta à son tour un bref coup d'œil dans la pièce. Le miroir était au fond, dans l'angle, avec un mage à proximité debout devant un pupitre et un grimoire éclairé à la bougie. Entourant vaguement une table, elle percevait quatre hommes dans la pénombre magique. Et elle savait qu'il y en avait encore plus sous leurs pieds. Mais impossible de savoir qui était leur interlocuteur dans le miroir, l'orientation de l'objet ne le leur permettait.

« Donc, vous nagez dans le purin. Pourquoi me contacter ? »

- Seigneur, nous demandons une assistance financière.

« Pourquoi je vous aiderais ? »

Le ton de voix était autoritaire, du genre de ceux qui ont l'habitude de voir leurs ordres exécutés. Et l'accent typiquement redanien, sans parler de hautain.

- Notre connaissance mutuelle… travaille avec des gens proches de vous.

« Me prenez-vous pour un fou ? »

- Mais seigneur-!

« Vous avez perdu la tête. Toutes vos expériences, le trafic de fisstech… Je ne vous aiderai pas. »

Geralt bougea légèrement et se figea quand son talon cogna une armoire derrière lui.

- Shh ! Vous avez entendu ? Dans le couloir ! réagit quelqu'un.

Pas le temps de réfléchir. Les deux mutants sortirent leurs glaives. Les têtes allaient rouler. Sans la moindre intelligence ni cohérence, ils se jetèrent sur les sorceleurs. Vu l'espace réduit du couloir, se battre à deux n'était pas une bonne idée, Ann laissa donc son camarade gérer la masse de corps suicidaires qui fonçait vers eux. Elle se contenta de faire une glissade entre les jambes des hommes au combat pour se relever derrière le troupeau et de trancher la gorge du magicien, le coupant en pleine invocation. Sur lui, elle trouva une étrange pierre magique qu'elle se contenta de glisser dans sa poche, le temps que son camarade en finisse. Enfin, c'était le plan avant que les renforts ne sortent du sous-sol.

- C'était le dernier, confirma Ann quand un énième corps tomba au sol.

Des applaudissements dénaturés leur parvinrent. Les deux sorceleurs se regardèrent et se tournèrent vers la salle qu'ils avaient finalement rejointe. Le miroir était toujours actif. Un homme en armure était dedans. L'image étant en noir et blanc, donc, à part qu'il avait le crâne rasé, une petite moustache et la peau claire, il était difficile de dire plus. Outre peut-être qu'il était jeune. Très jeune, malgré ce que laissait croire sa petite moustache. Et peut-être aussi l'armure. Sa posture droite et sa façon de les regarder criaient la noblesse. Chose que l'armure de bonne facture disait déjà.

« Bravo ! Un massacre impressionnant ! Et moi qui craignais qu'ils ne m'ennuient avec les suppliques incessantes, mais ils ont réussi à se montrer divertissant après tout… »

Oui, un noble, l'espèce la plus arrogante que le monde n'ait jamais portée. Un rictus haineux et menaçant retroussa les babines d'Ann tel un chat en colère, tandis que Geralt se rapprochait du miroir.

- Qui êtes-vous ? demanda froidement Geralt.

« Radovid. Et je n'aime pas être interrompu. »

- Ecoutez, Radovid, je me fiche pas mal de ce que vous aimez. Vous feriez mieux d'expliquer votre lien avec la Salamandre, parce que je peux vous assurer qu'on se verra face à face un jour ou l'autre.

Un rire sans joie, quasiment moqueur, s'échappa de l'homme dans le miroir pendant son face à face avec Geralt.

« Hahahahaha ! Personne ne m'a pas parlé ainsi depuis longtemps ! Je vous aime bien, vous allez directement à la jugulaire. Je vous dirais bien qui je suis, mais pas par peur. Je n'ai rien en commun avec la Salamandre, absolument rien. J'ai songé, il fut un temps, à les utiliser, mais j'ai changé d'avis. »

- Un putain de politicien raciste de merde, comme tous les autres, cracha Ann.

« Oh ! Que vois-je, l'infâme Chat Noir nous fait l'honneur de sa compagnie ! » se moqua Radovid quand Geralt se tourna à moitié pour voir sa camarade, ce qui permit au miroir de voir aussi Ann.

La D. lui adressa un magnifique bras d'honneur.

« Aussi vulgaire que le dit la rumeur. Avant cette grossière intervention, nous parlions donc sérieusement, entre hommes, de ce que je voulais faire avec la Salamandre. »

Devant la façon dont Radovid dénigra Ann à cause de son genre, il pouvait s'estimer chanceux d'être dans un miroir et non pas en face à face, parce qu'elle lui aurait arraché et les yeux, et les bijoux de famille.

« Je voulais les utiliser comme un outil politique, sorceleur. »

- Pouvez-vous être plus clair ?

Radovid regarda un de ses gantelets avec indifférence.

« Je peux, mais je ne le ferai pas. Les actions de la Salamandre ne me conviennent pas dans l'immédiat, et c'est suffisant pour ce que vous devez savoir. Cela fait donc de nous des alliés dans l'immédiat. Bonne chance, sorceleur, dans votre quête et avec cette femelle impertinente derrière vous. Oh, et saluez Adda pour moi, voulez-vous ? »

Avec un grand rire, il disparut du miroir qui retrouva sa surface limpide. Geralt s'en détourna et attrapa la pierre magique qui avait servi de catalyseur pour le sortilège. Ann s'avança et brisa d'un bon coup de pied le miroir.

- Une idée de qui était cet homme ? demanda Geralt en glissant la pierre dans sa poche.

- Ouais. J'en connais qu'un seul de Radovid, et j'admets qu'il fait grand pour son âge et que la moustache le vieillit pas mal. C'est le nouveau roi de Redania. À le voir, on lui donne tout juste dix-huit ans, grand maximum, mais il n'en a que quinze.

Le Loup Blanc haussa un sourcil.

La moustache jouait pas mal. Avec peut-être l'armure. Ouais, la moustache et l'armure.

- Allons-nous-en, recommanda Geralt.

Et il se dirigea vers la porte, suivi par une mutante rageuse. Sauf que le Loup eut tout juste le temps de faire un pas au dehors qu'il recula et se tourna à moitié vers sa camarade pour lui faire signe de rester discrète. Doucement, elle se faufila entre lui et la porte pour jeter un œil au dehors. A l'angle de la rue, un groupe de bandits de la Salamandre était en train de passer tranquillement en file indienne, comme si le quartier leur appartenait. L'un d'eux se détacha du rang, se rapprocha d'un mur et sortit son pénis pour se soulager contre la façade, la vessie apparemment bien pleine.

Ann donna subitement un coup de coude à Geralt et lui montra le toit des maisons en face. Une ombre immense venait de passer sous la pleine lune avant de disparaître.

Doucement, le Loup Blanc tira son glaive et se rapprocha du retardataire pour lui trancher la gorge sans un bruit. Ann fonça à l'angle en entendant des hurlements et passa la tête de l'autre côté.

Les corps du groupe de bandits jonchaient à présent la rue, tous déchiquetés par une bête énorme et imposante, plus grande qu'un homme. Un mélange effrayant entre l'homme et le loup, avec un corps longiligne. La créature imposante avait une fourrure noire couvrant partiellement ses gros muscles par quelques touffes dispersées çà et là, et des crocs énormes qui se teintaient de sang sous les coups de dents qu'il donnait à ses adversaires quand ses griffes ne faisaient pas le travail. Une fois le dernier homme à terre, il se dressa sur ses pattes arrière et poussa un hurlement de loup.

Un homme sortit d'une maison juste devant laquelle le massacre avait eu lieu. Une torche à la main, la démarche mal assurée, le riverain bien portant avait l'air clairement rond. Il remarqua la bête et le monstre se tourna vers lui en grognant. Geralt changea son glaive pour celui d'argent et s'apprêta à intervenir quand le monstre se rapprocha du civil qui se plaqua contre un mur de peur. Est-ce parce qu'il s'urina dessus ou parce qu'il ne lui paressait pas du tout appétissant ? Peu importe. Le résultat fut, qu'après l'avoir reniflé un instant, la créature se détourna, laissant le riverain tomber joyeusement dans les pommes.

- Je le prends par la gauche, toi par la droite, décida Geralt. On peut pas affronter un loup-garou n'importe comment.

- J'vais essayer de l'immobiliser, annonça Ann en sortant de sous son veston de cuir une longue chaîne en argent.

Marchant lentement, les deux sorceleurs se séparèrent pour prendre en tenaille le loup-garou. Ann enroula autour de son bras gauche une bonne longueur de la chaîne avant de faire tournoyer la longueur restante dans sa main. Les yeux de la créature montraient une intelligence humaine qui disait clairement que le combat serait rude et qu'elle savait parfaitement ce qu'ils cherchaient à faire.

Alors, le loup-garou prit la fuite, il passa entre les deux sorceleurs à toute vitesse, les faisant jurer car ils durent partir à sa poursuite. Avant qu'ils n'aient pu le rattraper, il arriva à un cul-de-sac fermé par une maison qu'il escalada agilement. Ann lança sa chaîne qui s'enroula autour d'une cheville du loup-garou qui fit la chose intelligente de ne pas tirer, mais de dérouler l'objet, le laissant tomber inutilement au sol pendant qu'il reprenait son ascension. Une fois sur le toit, il se tourna vers les deux sorceleurs et hurla à la lune, avant de se diriger vers un autre toit.

- Je le prends par en haut, toi par en bas ? proposa Ann en remettant la chaîne autour de son poignet.

- C'est bon pour moi.

Geralt se dirigea le long du mur pour suivre la progression du monstre depuis le sol, laissant à Ann la possibilité d'escalader à son tour la maison et de rejoindre le loup sur les toits. Le loup-garou sauta alors dans la rue, de l'autre côté des barricades.

Geralt se redressa en fronçant les sourcils et Ann se dépêcha de rejoindre le point d'où la bête avait sauté pour essayer de la voir.

- ABUNAI !

Elle se jeta brusquement à terre, juste à temps pour que le loup passe comme une comète au-dessus d'elle et fonce vers Geralt qui perdit l'équilibre en voulant l'éviter. Et bizarrement, le lycanthrope n'attaqua aucun des deux sorceleurs, préférant prendre le large.

Ils reprirent leur course avec le monstre qui escalada une nouvelle maison qui bordait la barricade de bois. Les deux mutants sautèrent par-dessus pour finir dans la cour d'une ancienne forge. Là, la bête sauta dans leur dos.

Ils étaient dans une arène faite de maisons, de chariots et de barrières en bois. Geralt se remit en garde pendant qu'Ann faisait toujours tournoyer sa chaîne en essayant de s'éloigner du champ de vision de la créature étrangement immobile qui les regardait sans laisser paraître de désirs quelconques de les attaquer.

- Grrrrr… Geralt… Portgas…

Les deux mutants se regardèrent.

Ils connaissaient le loup ?

- On se connait ? se renseigna Geralt en baissant légèrement son arme sans pour autant la ranger.

- Grrrrr… c'est moi… rrrrr… c'est moi… le capitaine Vincent !

- Ah. Ok, d'accord. Conseil, foutez en taule celui qui vous a dit que la pleine lune c'est bon pour la pousse des cheveux, parce que là, c'est un peu trop, commenta Ann en cessant de faire tournoyer sa chaîne.

- Cela explique vos courantes disparitions nocturnes, remarqua Geralt d'un ton neutre.

- Je surveillais vos arrières, expliqua le loup-garou. Ces imbéciles n'ont même pas pris la peine de sortir des égouts.

- Tu attends des remerciements ? demanda le Loup Blanc.

- Dites-moi seulement ce que vous avez appris.

Les deux mutants se regardèrent et Geralt hocha la tête pour sa camarade qui parla :

- Un groupe de la Salamandre était en conversation via téléprojection avec Radovid de Redania.

- Le souverain de Redania ! En voilà un support !

Le ton du loup-garou montrait, en dépit des grognements, de la colère et de la surprise.

- Il a refusé de les aider, soi-disant que même s'il a considéré l'option, il ne peut tirer aucun bénéfice politique de leurs actions, continua Geralt. Cependant, ils ont des amis en commun.

Lentement, les sorceleurs se redressaient en perdant leur posture de combat, mais les armes n'étaient pas rangées pour autant.

- Quoi que ce soit d'autre ? demanda le loup-garou.

- Rien de plus, lui répondit Ann.

- Nous sommes dans le même camp ! rappela Vincent entre ses grognements.

- On peut vous aider à briser votre malédiction, pointa Geralt.

- Grrrrrinutile. Il est bien plus facile de chasser les criminels comme ça. Rrrrr… et les criminels ont peur de ce terrible monstre qui défend les pauvres.

Un aboiement tenant lieu de rire s'échappa des mâchoires de Vincent.

- Jusqu'à ce que le monstre te dévore toi et que tu dérapes, lui rappela Ann. Sans parler que je pense connaître une pauvre femme qui se fait beaucoup de soucis pour toi.

- Pourquoi devrions-nous t'épargner ? demanda Geralt.

- Rrrrrpourquoi pas ?

- Tu tues des humains.

- Combien sont tombés sous ton glaive ?

Ann eut un rire en remettant sa chaîne autour de son ventre.

- T'es le Boucher de Blaviken, Geralt, ose nier que tu vaux mieux que lui, parce que là, il t'a eu ! se moqua la mutante.

Geralt lui adressa un regard noir mais rapporta son attention au loup-garou.

- Contrairement à vous, dedans, je ne suis pas un monstre, leur pointa le loup-garou.

Ouch, ce n'était pas très sympa comme commentaire, ça.

- Tu as raison. Les apparences ne sont pas toujours la vérité. Ann ?

- Carmen aura ma tête si je le tue et j'aimerais pouvoir retrouver ce qu'on m'a volé et rentré chez moi un jour. Ce qui implique que je garde la tête en question sur mes épaules.

- Rrrrrrrrr… Merci. Je vous souhaite une bonne nuit.

Il se détourna des mutants et escalada une maison pour s'éloigner. Geralt soupira et rangea sa lame. Il tuait les humains et épargnait les monstres. D'abord des vampires, puis maintenant, le loup-garou. Il devrait peut-être songer à ranger son glaive.

- Geralt, viens voir.

Le Loup-Blanc tourna la tête pour voir qu'Ann avait ouvert la porte menant à une ancienne forge. Il la suivit à l'intérieur. Derrière le comptoir poussiéreux, des pierres étaient entassées, comme si quelqu'un avait démonté un mur. Mais rien dans les environs immédiats indiquait leur provenance.

C'est en descendant dans la cave qu'ils comprirent.

Ils étaient dans la "base secrète" de Vincent le Loup-Garou, d'après l'odeur qu'ils sentaient. Des armes à profusion, des boucliers, des uniformes et des armures de rechange, avec sur une table, des notes au sujet de divers criminels qui gangrénaient la cité. On aurait presque pu croire que le capitaine de la garde se prenait pour un super-héros.

- Pas très utile pour un loup-garou, mais au moins, ça met l'ambiance, commenta Ann en regardant autour d'eux.

- Et les pierres viennent de là, remarqua Geralt en montrant qu'un des murs de la cave donnait directement sur les égouts puisqu'il avait été en partie démonté pour montrer les eaux coulant légèrement en contre-bas.

- Geralt… Je… je peux te demander un service ?

Le Loup-Blanc se tourna vers sa camarade qui se frottait la nuque avec embarrassement.

- Je… je veux pratiquer le désenchantement de Vincent. C'est le compagnon de Carmen, et elle risque sa vie avec lui ainsi. Je… je voudrais l'aider.

- A ce stade, tu en sais plus sur le désenchantement que moi qui suis amnésique.

- Ce n'est pas ça. J'ai besoin de temps. Avec ce qu'on a récupéré, il faudra moins d'une semaine à une magicienne pour analyser les informations et nous embarquer dans une nouvelle mission. Seulement voilà, dans le pire des cas, il me faudra trois mois pour tenter toutes les options existantes pour lever la malédiction. Tu peux très bien me dire d'aller me faire voir, je le comprendrais, mais… d'un côté, j'ai envie d'aider Carmen, et de l'autre, je dois tellement à Vesemir que je juge comme un devoir de tuer l'assassin de Leo.

- Et si on rentrait se coucher ? Il est tard, on y réfléchira demain à tête reposée.

Ann hocha la tête. C'était plus sage à faire.

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Geralt avait décidé de tout remettre à Leuvaarden et Triss, raison pour laquelle ils se rendaient à la taverne du Quartier Marchand. Ann était déçue, mais elle comprenait. Elle profiterait du peu de temps qu'il faudrait pour analyser les objets afin de prendre Carmen entre quatre yeux et lui dire quoi faire. Si elle avait du temps après, elle reviendrait la voir et se pencherait sérieusement sur l'affaire.

Mais Geralt avait raison, la Salamandre ne pouvait pas attendre, c'était trop dangereux ; qui pouvait dire ce que ça leur coûterait d'attendre ?

Triss récupéra les deux pierres, l'une mauve et l'autre en ambre pour les examiner minutieusement.

- Ce sont des télécommunicateurs. Elles gardent une trace de chaque échange, finit par dire Triss en levant la pierre ambrée à la lumière. Avec de la chance, on pourra trouver leur base générale dans Wyzima !

- Il vous faudra combien de temps pour faire parler cette pierre, Triss ? demanda Leuvaarden.

- Résine.

Tout le monde regarda Ann qui se grattait pensivement la cicatrice qu'il lui restait après la claque de Triss.

- Ce n'est pas un caillou, une pierre, mais de la résine fossilisée.

- Peu importe, Triss, dîtes-moi combien de temps il vous faudra.

- Une petite semaine maximum, répondit la magicienne avant de regarder la dernière pierre.

- Et je ne peux pas rester.

Tout le monde regarda Geralt avec perplexité.

- Comment ça, vous ne pouvez pas rester ? s'étonna Leuvaarden.

- Triss, que ça te plaise ou non, je dois quand même avertir Vesemir que nous avons une piste et ce qu'il en est de Berengar et Ann, dit Geralt en regardant la rousse. Sans parler que Eskel et Lambert sont toujours dans la nature à se fatiguer pour rien, alors qu'ils étaient revenus pour hiverner et donc se reposer. Donc, je pense qu'il est grand temps que je retourne à Kaer Morhen pour le tenir au courant.

- Je peux t'ouvrir un portail et… commença Triss.

- Tu ne me feras pas passer un portail tant que je serai vivant.

Ann regarda son partenaire comme si elle le rencontrait pour la première fois. Il venait sérieusement de lui donner l'excuse dont elle rêvait pour s'occuper du cas de Vincent et Carmen ? Elle avait une dette envers lui pour ce qu'il venait de faire !

- Et vous, Portgas, vous pouvez gérer cela seule ? demanda Leuvaarden.

- Nop. Pas avant les trois prochains mois maximums. J'ai un truc très important à faire qui nécessite que je reste sur place et que je ne parte pas à la poursuite de bandits sans savoir comment ça va se finir.

Si Leuvaarden eut l'air déçu, Triss plissa les yeux de suspicion.

- Et quelle est cette tâche si importante qui nécessite de laisser de côté la traque de criminels ? demanda la rouquine.

- Traque-les toi-même, magicienne. Ce que je fais ne regarde que moi. Je suis ici pour aider Geralt, c'est tout. En son absence, je retourne à ma vie.

- Ah, et, s'il te plaît, Triss, pourrais-tu essayer de localiser la source de la toute dernière communication, je te prie ? Je serais curieux de toucher deux mots à leur dernier interlocuteur, demanda t-il.

La femme hocha la tête et le blanc se tourna vers sa camarade.

- Il est temps quand je prenne la route. Plus vite je serai parti, plus vite je serai de retour.

Ann allait élever un autel à la gloire de Geralt. Vraiment.

- Essayez de revenir vite, on ignore ce que fera la Salamandre en votre absence ! encouragea Leuvaarden.

- Embauchez donc des mercenaires, ils seront toujours plus fiables que deux sorceleurs. Au revoir.

Et il tourna les talons, bientôt suivi d'Ann.

Celle-ci attendit qu'ils soient dans la rue pour le prendre par les bras et le regarder longuement dans les yeux. Geralt resta immobile, attendant de savoir ce qu'elle voulait, quand elle parla enfin :

- Merci.

Un simple mot qui disait bien plus qu'on ne pourrait le croire.

- De rien. J'ai de la route à faire.

- Transmets mon bon souvenir à Vesemir et prends garde à l'hiver. Tu seras en plein dedans quand tu arriveras à Kaer Morhen.

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En arrivant devant le bordel, Ann ne fit pas dans la dentelle et attrapa Carmen par le bras, la coupant dans une discussion avec un potentiel client.

- Toi et moi, on doit parler.

Et sans lui laisser la possibilité de protester, elle l'embarqua avec elle, non pas dans le bordel, mais jusqu'à son squat dans le quartier non-humain. Là, la mutante referma la porte sur elles et la catin se dégagea.

- Qu'est-ce qui te prend ?

- C'était quoi hier soir ? rétorqua Ann.

- Je comprends pas ta question.

- La lune était comment hier soir ?

- Elle était… pleine… oh mon dieu

Carmen porta ses mains à sa bouche, ses yeux s'agrandissant d'horreur.

- Coup de bol pour toi, on a bel et bien rencontré Vincent et on l'a laissé partir. Ton homme est vivant, tu peux recommencer à respirer.

- Tu étais obligée de me faire peur ainsi ? s'indigna la femme en se laissant choir contre un mur, une main sur le cœur.

- S'il était tombé sur quelqu'un d'autre, hormis Geralt et moi, ça n'aurait pas fini aussi bien. Il existe plusieurs méthodes pour lever une malédiction de ce genre. Tu as eu la confirmation que je t'avais demandé ?

Carmen se redressa et hocha la tête.

- Oui. C'est un sorcier qu'il avait fait pendre pour chantage, viol et inceste, qui l'a maudit avant que le bourreau ne fasse son travail.

- Ton homme peut être sauvé, alors. La première chose sur laquelle tu vas travailler est celle de la petite ciguë. Il faut faire une chemise avec cette plante qu'il devra porter chaque nuit jusqu'à la prochaine pleine lune incluse. L'autre méthode, qu'on peut accomplir rapidement, est une potion. Je vais de ce pas demander à Kalkstein de la brasser, elle devrait être prête avant la prochaine lune. Si la potion ne marche pas, on aura alors la chemise en ciguë.

- Et si ça ne marche pas non plus ?

- Eh bien, je jouerai les conseillères conjugales, parce que c'est la dernière méthode qui nous sera possible. Si le lanceur du sort était toujours vivant, j'aurais pu lui demander de lever la malédiction, mais ce n'est plus le cas. Si cette énième tentative ne marche pas, dans ce cas-là, il est incurable. Ton homme est un gars bien, Carmen, je le sais aussi bien que toi, mais il y aura toujours ce risque, qu'il perde de vue son devoir et laisse la bête prendre le dessus, alors, faîtes bien attention. Il faudra aussi renoncer à l'idée d'avoir des enfants.

- Tu me l'as dit, oui, tant qu'il sera sous le coup de la malédiction, tout enfant né de notre union prendra le risque d'être un loup-garou.

- Si ça arrive, je suis prête à aider. Je peux pas décemment laisser un enfant comme ça grandir dans une ville pourrie jusqu'à la moelle par le racisme. Je suis prête à le prendre avec moi.

- Et en faire un sorceleur ? Et puis quoi encore !

- Non, simplement pour m'assurer qu'on ne vienne pas un jour le chasser à cause de sa différence et je doute que les mutations des sorceleurs soient compatibles avec la lycanthropie. Ça sera la seule option si tu veux pas que l'enfant soit tué. Tu m'as bien comprise, Carmen ?

La brunette soupira et hocha la tête.

- Tu remercieras Geralt à son retour pour son aide. Sans lui, je n'aurais pas eu le temps de m'occuper de toi et ton homme. Maintenant, va le voir. De mon côté, je dois faire un détour chez l'herboriste pour m'assurer qu'on aura assez de ciguë pour lui faire une chemise. Ensuite, j'irai voir Kalkstein.

- Je gagne pas des mille et des cents, mais je paierai pour les dépenses. Merci pour tout ce que tu fais pour nous, Ann. Merci infiniment.

Ann se contenta d'esquisser un sourire et regarda Carmen sortir. Elle resta seule un moment à se suçoter une lèvre, avant de relever la tête avec une idée.

Elle sortit à son tour de chez elle, salua de la main Albina et remit sa capuche sur sa tête en suivant de loin Carmen qui marchait à grands pas pour aller se rassurer en rendant visite à Vincent Meis qui devait avoir repris son service. Cependant, Ann n'avait pas l'intention de rendre visite à la garde. Non, elle, ce qu'elle voulait, c'était voir Thaler.

Elle pénétra dans la boutique de l'espion pour le voir en train de négocier sec avec un des envoyés du boucanier. Elle les salua d'un geste de la tête et alla s'adosser à un mur en attendant. Quand le client partit, Ann retira sa capuche et s'avança vers le comptoir.

- Tu tombes bien, j'ai du nouveau pour toi. Mais avant, tu veux qu'on fasse affaire ? s'enquit Thaler en s'accoudant à son comptoir.

- Qu'est-ce que tu penses de « j'te gratte le dos, tu m'grattes le mien » ?

- Tout dépend des termes.

- J'ai besoin, pour lever une malédiction, d'une énorme quantité de feuilles de petite ciguë. Bien plus que je pourrais ramasser, en sachant qu'il me faut ça avant le mois prochain. Un tonneau devrait être suffisant.

- Ça fait beaucoup de feuilles, ça. Et tu proposes quoi en échange ?

- On est d'accord que tu ne peux pas prouver l'implication de De Wett dans l'affaire des faux édits royaux, n'est-ce pas ?

- Hmhm, et ?

- Eh bien, les accidents, ça arrive tous les jours, donc, il pourrait bien lui arriver une malheureuse bricole avant que je ne quitte Wyzima. Vu que le comte est un chevalier de la Rose Ardente et qu'il ne quitte pas son avant-poste, ça sera pas facile, donc, n'attends pas à ce que ça soit fait demain. Sans compter que je me propose d'office pour le désenchantement d'Adda si elle fait une rechute. Et je le ferai gratuitement. Foltest n'aura pas besoin de débourser le moindre orin pour ça.

- Tu fais dans l'assassinat maintenant ? s'étonna Thaler en se redressant.

- Autant que toi dans l'espionnage.

Le receleur eut un reniflement hilare et lui tendit une main pour sceller leur marché, chose que fit Ann sans la moindre hésitation.

- Tu disais avoir du nouveau pour moi ? demanda-t-elle en s'asseyant sur le comptoir.

- Patiente, je reviens.

Et le petit homme alla rejoindre sa chambre pour fouiller dans ses affaires avant de revenir avec un parchemin.

- C'est ton gars ?

Il lui tendit le rouleau qu'Ann ouvrit. Le portrait n'était pas très fidèle et en noir et blanc, rendant le visage dessus très maigre, presque caricatural, cependant, il n'y avait pas à chipoter. Même le changement de coiffure pour en faire une longue crinière tressée, décorée de perles et coiffée sur le côté droit de son visage pour dévoiler le crâne rasé sur une large zone à gauche… tout ça ne changeait rien aux faits.

Soit Thatch avait un sosie, soit son frère avait changé lui aussi de sphère, ce qui expliquait la disparition de son corps. Mais pourquoi diable serait-il un vampire ? Il guérissait vite, elle le savait, tout le monde le savait, mais il n'avait rien montré ni dit au sujet de son vampirisme.

- Soit mon frère a un doppelgänger vampirique, soit il nous a pas tout dit sur lui.

- Ce Thatch-là était bien un mercenaire qui a fait un bref passage à Sodden pour avoir un rôle plus actif à Brenna. Il a empêché l'unité de Yaevinn d'attaquer l'unité médicale dans laquelle bossait Shani et que ton frère protégeait. Il l'a fait en lui pointant très justement que les médecins soignaient tout le monde, que ce soit les nordiques, les nilfgaardiens, les nains ou les elfes. Aujourd'hui, c'est un membre vétéran de la Scoia'tael. Il les a rejoints suite à la paix de Cintra et à l'envoi des officiers de la brigade de Vrihedd à Dillingen et Drakenborg. Il a été vu récemment traînant dans la vallée du Pontar, à Bondar. Le commandant Loredo, qui est en charge du comptoir de Flotsam, a mis sa tête à prix. Tu m'diras, ce gros porc a aussi foutu celle de Iorveth à prix, mais c'est pas ça qui dérange l'elfe.

Bondar, donc ?

Dès qu'ils en auraient fini avec la Salamandre, elle irait faire un saut à Kaer Morhen pour bien montrer à Vesemir qu'elle était vivante, ensuite, elle redescendrait…

- Tu as une carte par-là ? Du nord, pas de Temeria.

Thaler chercha sous son comptoir et sortit une carte du continent nordique, pour l'étaler sur le comptoir. Ann sauta de son siège et se pencha sur la carte. Elle ignora les petits états du nord-ouest, au-dessus de Redania, avec Caingorn, Kovir et Poviss, tout comme ceux au sud et sud-ouest de la Temeria comprenant Brokilon, Verden, Brugge et Sodden entre-autre. Elle posa son doigt sur Wyzima, un peu excentré par rapport au centre du pays. Du regard, elle remonta en diagonale vers l'est et arriva sur la bordure est de Kaedwen, définie par les Montagnes Bleues. Elle tira une dague et l'épingla sur la position approximative de Kaer Morhen, avant de reculer. Thaler déposa son doigt au centre de la carte, à un cheveu de la zone de réunion entre les quatre états principaux du nord, et surtout, très proche de la frontière avec Aedirn qui occupait la zone sud-est de la carte si on excluait Dol Blathanna qui lui avait été amputé suite à la paix de Cintra et Lyra tout au sud.

- Foltsam est là, Bondar est juste un peu plus au sud. Pourquoi tu veux aller te perdre dans les montagnes de Kaedwen ?

- Le vieil oncle Vesemir est un loup au visage de glace qui se fait du souci pour les louveteaux et le chaton. On est sa meute, donc, je peux bien lui faire plaisir et aller le rassurer, en lui montrant, avant l'hiver prochain, que je suis toujours en vie.

- Point accordé. Seulement, tu gagneras plus de temps à confirmer que ce Thatch, c'est bien ton frangin, en faisant un maigre détour par la Vallée du Pontar, plutôt qu'aller te perdre dans l'nord pour ensuite redescendre dans l'sud. Surtout qu'en plus…

Il suivit une ligne fluviale partant de Wyzima et s'arrêtant tout prêt de la frontière de Mahakam, prise en sandwich entre Temeria et Aedirn.

- Si tu prends un bateau, ça te coupera une bonne partie de la route à faire à pied.

- Et le temps gagné, je le perdrais à contourner Mahakam parce que j'ai pas envie de crapahuter en montagne. J'vais réfléchir à tout ça. Merci Thaler, j'te revaudrai ça. Le Chat Noir paye toujours ses dettes.

- J'te prends au mot, le Chat Noir. Ah, et un de ces quatre, tu pourrais pas chasser du catoblépas pour nous ? Ça nous faciliterait la vie.

- Une de ces saloperies m'a déjà troué la cuisse, merci. Il faudra vraiment se lever tôt pour me donner une bonne raison de me frotter de nouveau à ces horreurs. En plus leur viande est pas si bonne que ça.

- Tant pis. Je te ferai signe quand on aura tes feuilles.

Ann hocha la tête et reprit son arme pour refermer la carte en cuir et la rendre à Thaler. Elle devait aller voir Kalkstein à présent.

Heureusement, l'alchimiste avait laissé sa porte ouverte, ce qui permettait d'accéder au portail de téléportation. Ainsi, la mutante n'eut pas besoin de courir d'un bout à l'autre des marais. Elle voulait une potion, et pour un truc de ce calibre, aussi complexe que sa médication, il fallait que ce soit lui qui la fasse. Elle ne voulait pas empoisonner Vincent.

- Vous savez faire une potion contre la lycanthropie ? se renseigna Ann en interrompant l'alchimiste dans son étude passionnée d'un ouvrage.

- Je n'ai jamais essayé, lui répondit le scientifique.

- C'est pour l'amoureux d'une jeune femme. L'homme est maudit et je préfère pas recourir à mon glaive pour résoudre l'affaire. Seriez-vous capable de faire cette potion, donc ? J'ai pas les compétences, je foire déjà un tiers de mes élixirs. Je ne préfère pas m'en charger.

- Dans d'autres circonstances, j'aurais refusé, mais je dois beaucoup à vous, et à votre camarade Geralt. Revenons dans mon laboratoire, voulez-vous ?

Et sans attendre, il passa devant dans le téléporteur et Ann le suivit sans discuter.

Dans son laboratoire, Kalkstein était déjà en train de fouiller ses affaires.

- Eh bien, j'ai les instruments et les ingrédients, sans compter la recette. Je vais pouvoir m'y mettre. Revenez demain, elle sera prête.

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Ann était passée chez Shani, pour s'excuser de l'absence de Geralt. Après tout, c'était de sa faute si le Loup Blanc était parti. La rousse ne lui en avait pas trop voulu, disant que le sorceleur lui avait expliqué, en rentrant hier soir, pourquoi il le faisait. Pour compenser, la mutante se proposa pour surveiller Alvin quand Shani travaillait à l'hôpital. Son aide fut très appréciée, surtout quand il fallait savoir que Jaskier s'était proposé mais que le barde s'y prenait comme un manche avec les enfants. Le blondinet était un garçon intelligent et curieux. Malheureusement, Ann ne savait pas si c'était un coup des défunts parents du gosse ou des adultes qu'il avait côtoyés avant de finir chez Shani, mais le gamin avait déjà l'esprit rempli des préjugés contre les elfes. Les deux femmes lui avaient déjà dit plus d'une fois qu'il ne fallait pas jouer à La Chasse à l'elfe, même s'il gagnait presque toujours quand il avait le rôle du Grand Maître, ou même si les autres enfants du quartier y jouaient aussi.

Quand Ann retourna enfin chercher sa potion, Alvin la suivant sur ses talons par curiosité, Kalkstein l'attendait déjà.

- J'ai fini la potion, mais il faudra qu'elle la lui donne elle-même, après qu'elle y aura ajouté une de ses larmes. La potion a besoin d'une larme de vierge pour marcher.

- Attendez, vous avez jamais rien dit au sujet d'une larme de vierge ! protesta Ann.

- Vous avez dit une jeune femme, je pensais qu'elle n'était pas encore mariée, lui dit l'alchimiste.

- Mais sortez un peu, Kalkstein, y'en a de moins en moins des femmes qui restent vierges jusqu'au mariage !

- Une larme de vierge est d'une importance capitale ! N'allez pas me faire croire que c'est si difficile que ça à trouver !

Ann allait lui répondre quand deux idées lui virent en tête.

- Vierge, comme celle qui n'a jamais vu le loup, ou juste une femme qui a encore son hymen ?

Parce que si c'était le second cas, vu qu'elle avait lutté becs et ongles une fois que Philippa se soit lassée d'elle, elle pouvait prétendre avoir un hymen intact. Elle ne remercierait jamais assez le fait que personne n'ait encore inventé les strap-ons et autres sex-toys, sinon, elle était certaine qu'elle aurait perdu cette virginité-ci chez Eilhart.

- Une pureté digne d'un saint !

Ouais, non, elle ne correspondait pas.

Ann baissa les yeux vers Alvin avec un air pensif.

- Une catégorie d'âge ? Un sexe particulier ?

Kalkstein dut saisir l'idée puisqu'il regarda lui aussi Alvin.

- Il fera parfaitement l'affaire.

- Merci en tout cas. Et sortez un peu le nez de vos livres, ça vous fera du bien.

La mutante offrit sa main à l'enfant en prenant la fiole dans l'autre, avant de revenir chez Shani.

- De quoi vous parliez ? demanda le gamin sur le chemin.

- De choses d'adultes que tu as encore tout ton temps pour découvrir et apprécier.

- C'est pourquoi la potion ? C'est pour transformer quelqu'un en sorceleur ?

- Non, ça marche pas comme ça les mutations, Alvin. C'est bien plus long, difficile et douloureux. Ça, c'est pour aider une femme dont l'amoureux est maudit.

Ils passèrent la porte du domicile de Shani et Ann referma la porte, avant de prendre l'enfant sous les bras et de l'asseoir sur son lit, pour s'agenouiller devant lui avec un regard sérieux.

- Dis-moi, petit chat… est-ce que quelqu'un t'a déjà touché à des endroits privés. Comme les fesses, la bouche ou le petit soldat ?

L'enfant la regarda sans comprendre pourquoi elle posait ces questions et secoua la tête à la négative.

- Est-ce que quelqu'un t'a déjà touché de façon bizarre quand tu ne voulais pas ?

- On m'a donné des coups, enlevés… ça correspond ?

Une bonne nouvelle pour ce gamin.

En souriant, elle lui caressa les cheveux.

- Tu veux bien m'aider ? J'ai besoin d'une larme de quelqu'un comme toi. Avec ça, la potion sera complète et je pourrai ensuite aider l'amoureux maudit.

- Je peux vraiment aider ? s'étonna l'enfant.

- Oui, mais seulement si tu me donnes une larme.

- Mais pourquoi pas une des tiennes ? Pourquoi forcément les miennes ?

- Parce que je suis mariée et que j'ai fait plein de bêtises avec mon mari qui font que les miennes ne servent à rien. Tu comprendras de quoi je parle que tu auras une amoureuse. C'est le même genre de bêtises que Geralt doit faire avec Shani, mais ça reste entre nous, d'accord ?

- Hm !

- Pour les larmes, il y a une chose très efficace. On fait une surprise pour Shani et on prépare à manger ? Comme ça, tu sauras comment faire, et peu importe ce que la vie te réserve, tu seras débrouillard !

Alvin se leva de son lit d'un bond, faisant rire la sorceleuse. Elle posa la fiole de la potion sur la table et sortit quelques légumes et de la viande, faisant participer Alvin pour qu'il sache comment s'y prendre. Elle n'était pas la meilleure des cuisinières, mais elle savait se débrouiller un minimum. Et ça, ça n'avait pas de prix. Elle se mit derrière Alvin pour l'aider à couper les oignons sans se faire mal, et en profita pour recueillir ses larmes quand ça lui attaqua les yeux, avant de l'aider à se les laver.

Pour le coup, Ann faisait deux heureuses. Shani avait un repas chaud de fait en revenant le midi pour manger avec Jaskier, et Carmen aurait dans l'après-midi la potion pour Vincent. Donc, dans l'après-midi, après avoir fait jurer au barde de ne pas lâcher Alvin des yeux, Ann retourna au bordel pour voir que Carmen avait déjà acheter de la petite ciguë qu'elle commençait à coudre. Pas encore suffisamment pour faire une chemise, mais c'était un début.

- J'ai vu avec Thaler, il devrait avoir dans le mois un baril entier de ciguë, annonça Ann. On s'est arrangé, donc, tu n'auras rien à payer. En attendant, voici la potion. On saura le mois prochain si elle a été efficace.

- Comment est-ce que je peux te remercier ? demanda Carmen en prenant la fiole.

- Dis à personne que j'ai fait ça gratuitement, c'est mauvais pour le commerce.

- Je m'assurerai que Vincent la boive.

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Vesemir était en train de couper du bois pour le feu quand Geralt arriva à Kaer Morhen. Il descendit de cheval et regarda son mentor qui débitait le bois pour la cheminée du bastion.

- De retour, Geralt ? Des nouvelles ? demanda le vieux sorceleur en rejetant sa crinière poivre et sel derrière son épaule.

Quand on savait que l'homme avait déjà plus de deux siècles derrière lui, si ce n'est plus, on pouvait apprécier la longévité qu'offraient les mutations, puisqu'il n'avait pas l'air d'avoir plus de soixante, soixante-dix ans. Et encore.

- Je suis revenu pour rendre service. J'ai retrouvé Ann, elle t'envoie le bonjour au passage, lui dit le Loup Blanc.

- Tu évites de la chercher, j'espère.

- Wyzima arrive toute seule à lui mettre le nez dans des situations qui réveille son caractère volcanique. Triss nous a rejoints, donc, ça n'arrange pas les choses. Elles ont dû se disputer sévèrement, parce que depuis, Ann a une sévère griffure qui va de la tempe jusqu'à la joue gauche et qui lui entaille les lèvres. Un peu plus, et Triss la défigurait suffisamment pour qu'elle puisse ressembler à Eskel.

- C'était à prévoir, c'est pour cela qu'Ann n'est pas restée à Kaer Morhen quand il s'est avéré qu'on aurait besoin d'une magicienne avec Ciri.

Qui diable était donc Ciri pour que Vesemir lui en parle lui aussi ?

- En attendant, Ann est sur un cas qui lui demande du temps, et comme à côté, Triss fait pression sur nous avec la Guilde des Marchands en nous utilisant comme des outils, je lui en ai acheté en disant que je devais revenir te tenir au courant de notre avancée.

Vesemir eut un soupir las, certainement pas surpris de ce que lui disait Geralt.

- Cependant, l'affaire avance. Le mage qui nous a attaqués et volés se nomme Azar Javed et il s'intéresse de très près à ce qu'il se passe entre la Redania et la Temeria.

- Rentrons, nous serons mieux autour du feu pour discuter, avec une fiole de Mouette Immaculée en main, invita l'ancien.

- Eskel et Lambert ont donné de leurs nouvelles ?

- Pas pour l'instant, mais je ne suis pas surpris.

Geralt embarqua sa jument à l'écurie et rejoignit Vesemir dans le bastion afin de se réchauffer après le voyage et lui raconter les dernières nouvelles.

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La fiole n'avait pas marché, ce qui laissait donc l'option de la petite ciguë. Heureusement, Thaler avait livré à temps le tonneau, donc, Carmen avait toutes les feuilles nécessaires pour la confection du vêtement depuis le temps, permettant, dès le lendemain de la pleine lune, d'exiger de Vincent qu'il porte le vêtement tous les soirs. Ann ne savait pas si elle devait s'attendre à voir la garde faire une descente un de ses quatre dans son squat ou si elle devait féliciter la patience de Vincent avec Carmen.

Le mois s'écoula lentement.

La nouvelle pleine lune se rapprochait à une vitesse léthargique et Ann sentait déjà dans ses os l'envie de bouger, de reprendre la route. Elle se rappelait de pourquoi elle ne restait jamais longtemps inactive comme ça.

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- Ann n'est pas amnésique, elle sait guérir quelqu'un de la lycanthropie, commenta Vesemir assis au coin de l'immense cheminée du bastion.

Geralt cessa de siroter l'alcool de sorceleur qu'était la Mouette Immaculée et secoua la tête.

- Tu m'as mal compris. Ann se charge du désenchantement, c'est un fait, mais on était surpris de voir que l'homme était si lucide et droit dans ses bottes en dépit de la malédiction.

Le mentor hocha la tête et se laissa aller un peu plus contre la table derrière lui et Geralt qui leur servait de dossier puisqu'ils étaient assis par terre sur des peaux de bêtes.

- Dans la formation des sorceleurs, il est dit qu'il est absolument nécessaire de désenchanter le loup-garou ou de le tuer. Mais comme toujours, le monde ne se base pas forcément sur le manuel. Beaucoup va dépendre du cœur et de la force mentale de l'individu. Il existe des loups totalement pacifiques qui vivent parmi les hommes, comme il y a des bêtes sauvages à abattre comme des monstres enragés. Les maudits avancent toujours sur cette ligne fine entre leur part humaine et animale. Certains ne sombrent jamais, d'autres rapidement.

Vesemir but une nouvelle gorgée de sa propre fiole.

- Si malgré toutes les tentatives, le désenchantement ne marche pas, il y aura tout autant de chance que quelqu'un soit un jour appelé pour venir abattre un loup-garou qui s'en prend aux innocents, qu'il y en aura pour que la vie continue. Rien ne peut dire combien de temps l'homme gardera l'esprit clair avant de s'enfoncer petit à petit dans l'instinct animal, et seul lui peut dire depuis combien de temps cela dure. Ma réponse est plus claire ?

- Je pense qu'Ann sera rassurée.

- Quand tu la reverras, dis-lui d'envoyer un message à Schrödinger. Même si je l'ai prise sous mon aile, elle reste son enfant surprise, c'est pas n'importe quoi comme lien, elle peut au moins faire ça. Il m'a demandé si j'avais eu de ses nouvelles récemment, quand je l'ai croisé en revenant à Kaer Morhen depuis Aedirn et comment elle se portait.

- Je transmettrai. Je devrais pas tarder à reprendre la route.

- Bonne traque. Je vais rappeler Eskel et Lambert. Revenez tous les deux dès que vous aurez retrouvé ces hommes de la Salamandre et nos secrets.

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En revenant le lendemain de la pleine lune, Ann comprit devant l'air triste de Carmen que la chemise de ciguë n'avait pas marché. Il était inutile qu'elle secoue la tête en la voyant venir, la mutante l'avait compris en la voyant aussi désespérée.

- Qu'est-ce qu'il s'est passé ? demanda tout bas Ann en se plantant devant elle pour la masquer de la vue de la rue.

- C'était terrifiant. J'ai fait tout ce que tu m'as dit, je me suis assurée qu'il la porte toutes les nuits pendant un mois entier. Hier soir aussi, il l'a mise, mais… la lune est apparue, et là, il s'est transformé en déchirant la chemise au passage, avant de s'enfuir…

Elle essuya une larme de désespoir.

Avec hésitation, Ann la prit dans ses bras et la laissa pleurer sur son épaule, lui frottant doucement le dos.

C'était une seconde solution qui ne marchait pas.

Il ne restait que l'option conseillère conjugale.

- Carmen, il reste une autre option. Viens, on sera mieux pour parler sur le port.

La catin essuya ses yeux et suivit la mutante. La D. passa un bras autour des épaules de la jeune femme pour l'amener avec elle jusqu'à la digue. Elles descendirent sur le quai et s'assirent toutes les deux sur le ponton de bois à regarder le marais à l'horizon, loin d'oreilles indiscrètes.

- La dernière solution, c'est celle de l'amour… commença Ann.

- On fait l'amour régulièrement, mais ça change rien, lui dit la femme en reniflant.

- Amour véritable, Carmen, je parle pas de sexe, mais de sentiment.

La femme soupira et baissa la tête sur ses mains qu'elle avait jointes sur ses cuisses pendant que ses pieds faisaient des cercles dans l'eau.

- Je sais qu'il ne m'aime pas. Parfois, quand il est en colère, il me traite de stupide pute.

- Il t'a déjà frappée ?

- Non, il n'est pas comme ça. Et ça me dérange pas qu'il m'insulte. C'est difficile d'ignorer, après tout, que je me prostitue et que tous les hommes du Quartier du Temple me sont passés dessus, sans parler des quelques voyageurs…

Un sourire tremblant et triste apparut sur ses lèvres alors qu'elle crispait ses mains pour ne pas trembler.

- Je ferai n'importe quoi pour lui ! Je suis prête à arrêter tout ça, devenir comme n'importe quelle femme ! J'ai appris à coudre pour réparer ses uniformes quand ils sont déchirés et je pourrais apprendre encore bien plus pour devenir une épouse parfaite !

Les larmes recommencèrent à couler sur les joues de la catin qui retenait à grande peine une nouvelle crise de sanglot.

Ann claqua sa langue avec agacement et prit Carmen par les épaules pour la forcer à la regarder dans les yeux.

- Ecoute-moi, Carmen. Plus tu parles, plus j'ai l'impression que c'est pas la lycanthropie de Vincent votre plus gros problème. Ce soir, quand il aura fini son service, tu vas le voir et tu lui parleras. Tu lui diras tout ce que tu m'as dit, à quel point tu l'aimes. Qu'il sache ce qu'il a, là, juste sous son nez. Tout ce que tu fais pour lui. S'il n'est pas un parfait saligaud, il réagira.

- Il… Il est tellement hésitant. Il hésite entre son travail et moi…

- Eh bien, il va devoir revoir ses priorités. J'irai lui toucher deux mots moi aussi.

- Tu crois que ça changera quelque chose ?

- Pour la malédiction, je sais pas, mais pour votre couple, ça fera des merveilles.

Un sourire aigre apparut sur le visage d'Ann.

- Tu parles à une femme mariée. Allez, sèche tes larmes et réfléchis à tout ce que tu vas lui dire pour lui remettre du plomb dans la cervelle.

Elle se leva et aida Carmen à en faire autant. Elle la raccompagna jusqu'au pont qui descendait vers les bas-fonds et le bordel, avant de se diriger vers le poste de Vincent, sa cape flottant derrière elle au rythme de ses pas colériques.

Vincent ne fut même pas surpris quand Ann débarqua pendant qu'il recevait le rapport d'un de ses hommes. La femme patienta en tapant du pied, jusqu'à ce que le capitaine de la garde soit libre.

- Qu'est-ce que ça sera cette fois, sorceleuse ? J'ai supporté une potion stupide et immonde, une chemise de feuille absolument ridicule… C'est quoi la suite de la mission du bizutage du chef de la garde, avant que je ne décide de ne plus chercher à comprendre ce que vous visez, toi et Carmen, et que je décide de te pendre ?

- La suite, c'est mon poing dans ta gueule de salopard, parce que tu mérites certainement pas Carmen. Donc, là, j'en ai rien à foutre que tu sois en train de bosser, mais si tu veux pas que tes hommes sachent pourquoi ta nana m'a appelée à l'aide, je te recommande fortement de me suivre.

Il plissa les yeux, mais accepta de se lever.

- Où allons-nous ?

- Pas loin. Nous allons emprunter sa cave à Thaler.

- La fouine receleuse, rien que ça.

- Ta gueule et suis-moi avant que moi, je ne perde patience.

Elle tourna les talons et ouvrit la marche, les bruits d'amure lui disant que Vincent était sur ses talons. Thaler fut certainement surpris de les voir tous les deux débarquer chez lui, même s'il se contenta de lever un sourcil pour tout commentaire depuis derrière son comptoir d'où il lisait une missive.

- On t'emprunte ta cave, j'ai quelques mots très sérieux à toucher à l'autre là, annonça la brune.

- Qu'est-ce que t'as fait pour enrager l'matou comme ça, Vincent ? s'étonna Thaler en essayant de ne pas rire devant la lassitude évidente du soldat.

- La sorceleuse-enquêteuse semble déterminée à jouer les sorceleuse-conseillère conjugale.

- Chose qui ne serait pas nécessaire si tu n'étais pas un tel con ! s'énerva Ann en se tournant d'un bond vers lui.

Elle pivota ensuite vers Thaler et lui pointa un doigt menaçant devant le nez.

- Notre accord ne tient plus si tu viens espionner, et tu peux être certain que tu pourras faire une croix sur la continuation de ta lignée quand j'en aurais fini avec toi !

Thaler leva les mains pour dire qu'il ne bougeait pas, et le duo contourna le comptoir pour passer dans le reste du logement et descendre rapidement dans l'immense cave pleine de marchandises et de documents.

- J'ai été gentil, je t'ai suivie et maintenant, c'est quoi le but ? demanda Meis.

- J'ai deux tableaux pour toi. Le premier, c'est un couple heureux, honnête l'un envers l'autre, avec peut-être un mariage et des enfants. L'autre, c'est une femme effrayée par et pour son homme dont le gros secret risque d'être découvert à tout instant et qui, s'il ne perd pas le contrôle de la bête en lui, finira scalpé ou au bout d'un glaive d'argent. En bref, soit tu continues en étant un loup-garou, malgré les risques, soit tu ouvres tes putains de paupières pour réaliser ce que tu as sous les yeux et saisir ta chance.

- C'est pas comme si j'avais le choix, lui pointa Vincent en roulant des yeux.

- Geralt m'a acheté du temps pour que je puisse essayer avec Carmen de lever ta malédiction, sombre idiot ! Tout ce qu'elle a fait, c'est pour essayer de sauver ta putain de vie ! Mais toi, à côté, tu sembles pas le vouloir ! Carmen pourra pas vivre éternellement en ayant peur que tu perdes le contrôle et que tu t'en prennes à elle ! Ni avec la peur qu'on découvre que tu es un loup-garou et qu'on veuille ta mort ! Tu dois choisir, ici et maintenant. C'est Carmen ou ta malédiction ! L'amour ou ta force surhumaine ! Ton humanité ou la bête !

- J'utilise cette malédiction pour lutter pour ceux qui en ont besoin.

- Mais jusqu'à quand !?

- Ecoute, je vais y réfléchir…

- Tu peux encore choisir, Vincent. Carmen t'aime de toutes ses forces, elle serait prête à mourir pour toi ! Tu n'as donc aucun sentiment pour elle dans ton cœur de pierre !

Vincent soupira et s'assit sur une caisse, la tête entre ses mains gantées.

Ann posa un genou à terre et le regarda sévèrement.

- Vincent. Soyons honnêtes. Il y a toujours un risque qu'on découvre la vérité à ton sujet. Nous savons très bien, autant l'un que l'autre, que ce n'est pas parce que tu défends les faibles et les pauvres qu'on t'épargnera. On ne verra que le loup, que la bête. Ta seule chance sera la fuite, en laissant tout ce pourquoi tu as travaillé. C'est Jethro qui te remplacera, et tu veux vraiment que cet accro au fisstech accède à ton poste ? Assis-toi avec Carmen et discutez. Dis-lui ce que tu ressens pour elle. Et fais ton choix. Dis-toi une chose, Vincent. Si un jour, je viens ici et que j'apprends qu'il y a un contrat pour ta tête, ne t'attends pas à ce que je sois indulgente. Tu auras laissé passer ta chance et brisé le cœur d'une femme qui a eu une vie difficile mais qui est prête à tout pour toi.

- J'vais réfléchir à tout ça.

- Très bien.

Elle se releva et remonta les marches pour sortir de la cave, retournant dans la partie boutique de chez Thaler. L'espion leva de nouveau le nez de sa lecture.

- Où est Vincent ?

- Il doit réfléchir à beaucoup de choses. Il devrait remonter d'un instant à l'autre.

- Est-ce que ça valait le coup ?

- Si je peux éviter qu'un sombre idiot comme Jethro ait une promotion, ça vaut le coup.

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Geralt savourait l'instant.

Lentement, il avançait sur le pont qui lui permettrait de quitter les faubourgs à l'abandon et de rejoindre Wyzima. Et plus il avançait, plus le soldat devant la porte qu'il avait choisie pour entrer dans la capitale se mettait à trembler. S'il n'avait pas encore appelé les renforts, c'était parce que l'homme qui se tenait à côté de lui n'était autre que Vincent Meis.

- Vous avez un bon sens du timing, Geralt de Riv, commenta le chef de la garde quand le sorceleur s'arrêta devant lui.

- Bonjour Vincent. La nuit a été bonne ? salua le sorceleur d'un ton neutre.

- Vous demanderez à votre camarade, répondit le soldat avec un visage de marbre. En attendant, auriez-vous l'obligeance de me dire pourquoi le soldat Mikul tremble depuis qu'il vous a vu à l'autre bout du pont ?

Le Loup Blanc adressa un regard noir au soldat qui faisait un effort surhumain pour ne pas se cacher derrière son chef.

- Disons qu'il m'a fait envoyer en prison sous de fausses accusations et qu'il sait aussi que deux sorceleurs sont au courant de sa tendance à forcer la moindre fille qui passe près de lui. Vu comment Ann m'en parle, je me demande presque s'il n'aurait pas essayé de la violer elle aussi. Si c'est le cas, je dois admettre qu'il a de la chance d'être encore en vie. Elle a brisé le bras d'un homme qui lui a pincé les fesses, après tout.

- Il-il-il… il raconte n'importe quoi ! se défendit l'homme quand son supérieur de tourna vers lui.

- Il n'a pas eu cette idée stupide de tenter sa chance avec moi.

Les hommes levèrent la tête pour voir une silhouette assise sur les créneaux au-dessus de la porte.

- Cependant…

La silhouette sauta à terre, devant la porte, et se redressa. La capuche tomba et Ann se tourna avec un regard meurtrier vers le soldat.

- … lui et quelques-uns de ses camarades se sont bien amusés avec une pauvre fille du nom de Hela, et l'ont mise enceinte. Son père n'a rien voulu savoir et l'a mise à la porte, laissant la pauvre jeune femme sans un sous, réduite à la prostitution.

- C'était pour rire ! se défendit Mikul.

- Oh, mais c'est encore pire dans ce cas, parce qu'on ne rigole pas avec ces choses-là, lui dit Vincent avec froideur. Et je connais très bien Hela, justement Mikul. Donne-moi tes armes, je pense que tu as plus ta place dans une cellule qu'ici. Toi, là, ouvre-leur la porte. Bon retour, sorceleur.

Le garde désigné ouvrit la porte pour les deux sorceleurs et ils entrèrent dans la ville, laissant Vincent gérer le désormais ex-sergeant.

- Rien n'est pire qu'un homme amoureux.

Ils s'enfoncèrent dans la ville pour aller honorer leur rendez-vous avec Leuvaarden et Triss.

- La pleine lune était hier, comment ça s'est passé ? demanda Geralt pendant qu'ils traversaient la rue. Tu permets, je vais aller saluer Triss et Alvin.

- Pense aussi à tes camarades Zoltan et Jaskier, ils sont toujours en ville, lui précisa Ann. Quant à Vincent… eh bien… J'ai vu Carmen ce matin, juste avant que tu n'arrives et elle m'a littéralement sauté dans les bras. Elle lui a dit à quel point elle l'aimait et tout le souci qu'elle se faisait pour lui. Ça a été suffisant puisqu'il a bien voulu donner une chance à leur couple en pleurant. Là, Carmen récupère ses affaires et va annoncer à la plus ancienne que c'est désormais elle, la matrone. Le Boucanier, Vincent est allé le voir hier soir, quand il a réalisé qu'il n'était pas transformé, et lui a dit que Carmen n'était plus une de ses filles, mais sa fiancée.

Un sourire mélancolique apparut sur le visage d'Ann.

- C'est pour voir des histoires finir aussi bien que je suis parfois contente d'être une sorceleuse. Sinon, comment va le vieil oncle Vesemir ?

- Il a envoyé un message à Eskel et Lambert pour les tenir au courant. Il m'a demandé de te dire que tu devais donner de tes nouvelles à Schrödinger.

Une grimace apparut sur le visage d'Ann.

- Un putain de sadique qui se serait que trop bien entendu avec mon putain de grand-père adoptif. J'vais l'faire, parce que c'est l'vieux Vesemir qui le demande, mais je dirai bien au deux que c'est la seule raison et que j'aurai préféré me pendre. Je devrais peut-être le faire, d'ailleurs.

Elle attrapa la chaîne de son amulette et l'entortilla pour ensuite le tirer vers le haut, simulant une pendaison, avant de tirer la langue. Geralt roula des yeux mais ne fit aucun commentaire.

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AN : Ceci est une remarque concernant le personnage de Radovid V de Redania, dit le Sévère. Il est de 1255, soit, deux ans de moins que Ciri qui est de 1253 (1251 dans le jeu mais je vais rester sur la date du livre). Certes, au vu de la particularité de la demoiselle, son apparence la rendant plus jeune que le souverain peut s'expliquer, mais là n'est pas le point. Le jeu deux commence en 1270. Soit, quinze ans plus tard. Ne vous fiez pas aux apparences qu'il en jeu, comme je l'ai souligné dans le chapitre, il est BIEN PLUS JEUNE qu'il n'y parait. Et je rappelle en passant qu'il s'intéresse à Adda qui est officielle de 1239, donc 31 ans.

Je veux aussi rappeler que nous sommes dans un monde différent du notre et clairement moyenâgeux. Ce qui nous choque aujourd'hui ne l'était peut-être pas autant à l'époque. Sans compter qu'on parle de royauté ici. Donc, voilà, faîtes-en ce que vous voulez.