Bonjour bonjour !
On se retrouve pour une nouvelle aventure. On passe à l'avant dernier acte du jeu 1. ET si vous avez pas vu précédemment le petit hint à ce sujet, là, vous allez être content pour beaucoup. J'espère donc que ce chapitre sera à votre goût et on se dit à bientôt.
Bises
Zia
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Généralement, quand les gens tombent du ciel, on se pose quelques questions, surtout quand cela se fait sans raison apparente et dans un bel effet de lumière. Pourtant, les villageois qui étaient assis sur la rive du lac n'accordèrent pas le moindre regard à Geralt et Ann, sauf une fillette blonde qui les regarda juste le temps de leur adresser un « shhht ». Et c'était compréhensible. Après tout, la clarté de la lune montante avait fait apparaître un mirage au-dessus des eaux calmes et limpides, dévoilant une cité immense et grandiose, d'une beauté exquise que le balai des libellules et des lucioles ne faisait que renforcer.
Les deux sorceleurs se relevèrent de l'herbe humide de la berge de l'immense lac devant eux et fixèrent silencieusement la majestueuse cité devant eux. Lentement, elle commença à s'effacer dans le silence paisible, laissant la nuit reprendre son cheminement. Enfin, quand la cité ne fut plus qu'un souvenir, les habitants se levèrent de là où ils s'étaient assis le long de la berge et rentrèrent chez eux.
Sauf la blondinette qui sautilla avec entrain droit vers les deux mutants.
- Vous êtes tombés d'un étrange trou dans le ciel, commenta-t-elle pour toute salutation.
- Brillante observation, jeune fille, répondit Geralt à la gamine.
- Mère disait que je suis une fille sociable !
Une orpheline, certainement, c'était peut-être pour ça que personne ne s'en faisait pour elle ou qu'elle ne rentrait pas. Ann regarda un peu plus autour d'elle. L'endroit inspirait une telle tranquillité. C'était tellement paisible. Un peu plus loin, elle nota une immense statue qui avait l'air de représenter une femme. On pouvait y accéder en marchant sur un petit pont de pierre. De l'autre côté, un chemin s'enfonçait entre quelques arbres et les villageois avaient disparu en le longeant, s'enfonçant très certainement plus loin dans l'île. Du côté du lac, si on suivait la rive dans la direction opposée de la statue, on trouvait une petite cabane de pêcheur et si on plissait les yeux, on pouvait presque voir un ilot au centre du lac.
- Je sais tout ! fit la demoiselle avec un grand sourire en attirant de nouveau sur elle l'attention de la sorceleuse. Demandez-moi !
- Où sommes-nous ? demanda Geralt.
- Eh bien, ici, c'est la berge du lac. Derrière les arbres, là-bas, c'est le village d'Eaux Troubles et encore derrière, y'a les champs avec un manoir abandonné.
La fillette s'était tournée à moitié pour leur montrer les directions du doigt avant de se tourner vers le lac et pointer l'ilot qu'Ann avait déjà remarqué.
- En demandant au Roi Pêcheur, on peut prendre une barque et accéder à l'île et si on pousse encore plus loin, on est à Wyzima.
- Tu sais vraiment beaucoup de chose, complimenta Ann en souriant.
Elle retira ses armes de son dos pour s'accroupir au niveau de la demoiselle pour être plus à sa portée. La gamine lui sourit avec une fierté évidente.
- Comment tu t'appelles ?
- Katrina !
- Quelqu'un s'occupe de toi ?
- Une des naïades de la Dame du Lac. Elle attend Saovine pour me transformer.
La brune fronça les sourcils. Le nom lui disait quelque chose…
- Samhain, dans le calendrier elfique, lui rappela Geralt.
- Aaaah oui ! Ouuuh ! Je fatigue ! Oui donc, elle attend fin octobre. Il te reste moins d'un an à profiter de ton humanité.
- Elle s'occupe de moi depuis que mes parents sont morts et elle a attendu tout ce temps avant de me le proposer. J'ai accepté.
Généralement, comme les dryades, les naïades ne demandaient pas la permission pour transformer une fille, mais soit.
- Quoique ce soit d'intéressant par ici ? demanda Geralt.
La lettre du Professeur disait qu'Alvin devait être ici. Donc, la Salamandre devait traîner dans les environs. La fillette savait peut-être quelque chose.
Rien de tout ça :
- Alina, la fille du chef du village, va bientôt se marier… pour l'argent, d'après la sorcière du village.
- Je vois, fit le Loup Blanc toujours debout en se massant le nez.
- La sorcière dit aussi que la sœur de Alina, Celina s'est entichée de Julian. C'est le fiancé de Alina et il vit à l'auberge jusqu'au mariage.
Elle jeta aux deux adultes un regard perplexe.
- Qu'est-ce que ça veut dire s'enticher ?
- Qu'elle est amoureuse de Julian.
La fillette ouvrit de grands yeux et frappa dans ses mains. En voilà une qui adorait les ragots.
- Ooooh ! Alors, Julian s'est entiché de Alina, mais Celina s'est entichée de Julian et Alina aime l'or de Julian mais elle s'est entichée d'Adam ! Les adultes sont si stupides !
La D. ne put que rire en secouant la tête. Elle aimait les enfants et leur simplicité. C'était peut-être pour ça qu'elle adorait Luffy. Parce que malgré le temps, il avait gardé sa fraicheur enfantine.
- Il n'y a pas à en douter, confirma Geralt. Sinon, cette ville, là, c'était quoi ?
- C'est le reflet d'une cité engloutie d'une ancienne race, souffla la fillette comme si c'était le plus grand des secrets. C'est plein de trésors et de monstres ! Maintenant, les hommes-poissons y vivent. Ils me font peur, mais celui qui s'occupe de la statue de la Dame a l'air gentil.
Elle montra la forme qui se mouvait sur la petite plateforme de pierre devant la statue.
- Tu peux sentir si c'est un Vodyanoi ? demanda Geralt à sa collègue.
- Ça en est un, confirma la D.
- … parfois, j'apporte du poisson aux elfes pauvres et malades, quand le Roi Pêcheur en attrape, continua la fillette. Et sur l'ile, on peut rencontrer la Dame, elle est encore plus belle que Alina. Et elle aussi, elle s'est entichée !
- Je me suis perdu quelque part ? demanda Ann en levant les yeux vers son collègue.
- Moi aussi, admit Geralt.
- Adultes stupides ! reprocha Katrina. Comment pouvez-vous vous occuper de nous quand vous êtes incapables de comprendre et que vous vous entichez tout le temps !
Les deux sorceleurs se regardèrent. Quelque chose leur disait que la gamine n'avait pas très bien compris le sens du verbe « s'enticher ».
- Des problèmes particuliers ici ? La rive n'est pas dangereuse ? demanda Ann.
- Ça va, assura la demoiselle. Parfois, les méchants hommes-poissons sortent hors de l'eau et chassent le gentil homme-poisson. Quand ça arrive, je me cache sous la hutte du pêcheur.
- Astucieux, complimenta le Loup Blanc.
- Bien évidemment, rétorqua la fillette.
Elle tourna la tête vers le côté et les sorceleurs remarquèrent une femme seule, nue, se tenant un peu plus loin sur le rebord de l'eau, la peau pâle tirant presque sur le vert et des cheveux sombres. Presque assez pour être confondue avec une brouxe.
- Elle m'appelle, dit la fillette.
- Alors vas-y, lui dit Geralt.
Et la gamine alla rejoindre en courant la naiade qui les salua de la tête avant de s'éloigner avec l'enfant.
- Je propose qu'on aille se coucher et qu'on réfléchisse à tout ça demain matin, proposa Ann en se remettant debout.
- C'est bon pour moi. Allons prendre une chambre à l'auberge.
Geralt se tourna vers l'intérieur des terres et commença à s'avancer avant de réaliser que sa camarade ne le suivait pas. Le Chat Noir s'était rapproché de l'eau et y avait trempé sa main, une étrange expression sur le visage. Elle resta avec un genou au ras de l'eau, observant les vaguelettes autour de ses doigts, avant de regarder les étoiles et la nuit tranquille, pour se relever et de se tourner vers son camarade.
- J'arrive.
Elle jeta un dernier regard à l'eau et hâta le pas pour rattraper le Loup Blanc.
L'herbe était verte sur les côtés du petit chemin blanc et caillouteux bordé de quelques clôtures. C'était d'un calme apaisant. Comme si on leur avait retiré un lourd fardeau qu'ils n'avaient même pas conscience qu'ils portaient. Tout était si paisible dans cette nuit claire. Ils traversèrent deux piliers de bois qui encadraient la route, les gravures sur leur surface illuminées par les bougies à leurs pieds.
Le chemin de petits cailloux laissa bientôt place à de la terre, comme un serpent brun qui ondulait entre les courbes des étendues herbeuses et fleuries pour rejoindre des huttes de terre et de pailles protégées du reste de la nature par des barrières et un petit portail. Des piquets avaient été plantés dans le sol, pour ensuite s'éloigner dans le lointain. On y avait accroché des couronnes de fleurs blanches et de long rubans blancs et saumon. Certainement là pour guider les invités jusqu'au lieu de mariage. L'enclos était certes trop petit pour contenir le village entier, mais il était impossible de confondre le spacieux bâtiment avec autre chose qu'une taverne. Ann avait soufflé un « yokatta » en le voyant et avait accéléré le pas pour le rejoindre.
Cependant, à peine passés la porte qu'une étrange surprise les attendait. En effet, retrouver Jaskier était certainement pas ce à quoi ils pensaient en arrivant, mais c'était une bonne chose. Le barde se leva de la table à laquelle il était assis pour discuter avec une jolie fille afin d'accueillir les deux mutants.
- Geralt ! Portgas !
- Jaskier, salua Geralt.
- Par les couilles de Kaidou, tu fabriques quoi ici, le barde ? s'étonna Ann.
Le musicien s'arrêta devant eux.
- Comment vous êtes arrivés ici ? Vous n'étiez pas en mission secrète pour éradiquer la Salamandre dans Wyzima ?
- Merigold nous a téléportés, répondit la D.
Elle se tourna vers son camarade mutant.
- Je vais nous prendre des lits.
Le Loup Blanc hocha la tête et la brune s'éloigna.
- Triss m'a téléporté, moi aussi. C'était incroyable ! raconta Jaskier. J'ai toujours voulu voir de quoi ça avait l'air !
Geralt regarda son ami un chouilla surpris.
- Elle a fait ça pour toi ? Ce devait être son jour de bonté ou elle s'ennuyait.
- Sinon, pourquoi Triss vous a téléportés ? Surtout Portgas, la trace de griffure dit qu'elles ne sont pas les meilleures amies du monde.
- Disons qu'elle m'a sauvé du baiser de la mort et qu'elle apprécie ou à besoin un minimum d'Ann pour l'embarquer au passage.
Le barde eut un air perplexe, puis pensif, se mettant clairement à réfléchir pendant qu'il faisait les cent pas.
- Intéressant. Je devrais peut-être l'utiliser dans ma prochaine balade.
Il frappa dans ses mains en reprenant son sérieux alors qu'Ann les rejoignait de nouveau.
- En tout cas, on peut dire que c'est un endroit merveilleux. Avant de me téléporter, Triss m'a dit qu'on devrait rester ici, du moins, le temps que la princesse Adda cesse de vouloir trancher vos gorges respectives.
- Cassandra est plus effrayante que cette nymphomane royale, commenta Ann. On a deux lits au fond, c'est bon.
- Je suis d'accord en tout cas avec l'idée. Et si tu nous parlais de cet endroit… en prose, de préférence, Jaskier.
Le barde éclata de rire et écarta les bras, montrant l'auberge somnolente dans la nuit encore jeune.
- C'est un endroit vraiment charmant avec une atmosphère magique. Les paysans semblent être des gens simples et heureux, tandis que les femmes sont… mmmm….
Son sourire mutin voulait dire plus que n'importe quel discours.
- Tu vas finir avec une MST, Jaskier, un de ces quatre matins à vouloir sauter toutes les filles du continent, lui dit avec lassitude Ann.
- MST ? répéta Jaskier.
- Maladie Sexuellement Transmissible. Comme l'Herpès, la Syphilis, la Gonorrhée plus connue sous le nom de Chaude Pisse, ou le SIDA… et j'en oublie certainement. Donc, Jaskier, à moins que tu veuilles finir par conquérir le continent avec tes bâtards au détriment de ta santé, tu ferais mieux de songer à garder ton pantalon en haut pour une fois. Contrairement à Geralt, tu n'as pas de mutation pour t'en protéger.
Les deux hommes regardèrent la femme croiser les bras d'un air satisfait, essayant de savoir si elle se foutait d'eux ou si elle était sérieuse.
- Je pensais pas que tu en savais autant en médecine, commenta son camarade de l'Ecole du Loup.
- Marco était tout aussi bon navigateur que médecin. Je l'ai suffisamment entendu faire la morale aux autres pour avoir retenu ça, se justifia la D. en haussant des épaules. En attendant, tu peux nous dire quelque chose de plus important sur les lieux ?
Jaskier soupira et se frotta la nuque, dévoilant dans son cou un suçon bien récent.
- Eh bien, il va y avoir un mariage, celui de Alina, une des deux filles du maire du village. L'heureux élu est Julian, un riche marchand de Kovir.
Il se retourna et montra un homme qui allait se coucher dans le semblant de dortoir de l'auberge.
- Il y a aussi une affaire de Vodyanois… compléta le musicien.
Ses yeux s'arrondirent brusquement alors qu'il claquait des doigts, se rappelant de quelque chose d'important.
- Dire que j'ai failli oublier de te raconter la dernière ! Alina s'occupe de Alvin !
Les deux mutants échangèrent un regard, puis fixèrent de nouveau le barde. Alvin…
- Notre Alvin ? se fit confirmer Geralt.
- Eh bien oui, à moins qu'on ait retrouvé son jumeau.
- Ou un Doppel qui se fait passer pour lui, pointa Ann.
- Non non, c'est le nôtre, confirma Jaskier. Ah, et Triss a dit qu'il faut qu'on le surveille puisque des gens sont après lui… ou un truc du genre.
- Merigold et sa manie de mettre son nez là où il n'a rien à y faire… soupira Ann. Elle veut pas non plus un Eternel Log pour Raftell, tant qu'elle y est ?
- Pardon ? s'enquit Jaskier.
- Rien, rien… je suis crevée, c'est tout. Je vais me coucher. Si vous me trouvez pas demain matin, c'est que je suis allée me débarbouiller dans le lac.
Et d'un pas digne, elle marcha jusqu'à la zone dortoir.
- Portgas… Triss m'a donné vos paquetages à toi et Geralt, informa le brun en la voyant s'éloigner.
Ann s'arrêta, soupira en renversant sa tête vers l'arrière et tourna les talons pour refaire face aux hommes.
- T'as rien oublié ? C'est bon ? Tu as tout dit ? demanda-t-elle avec aigreur.
- La journée a été longue, accorda Geralt.
Jaskier embarqua les deux sorceleurs à l'arrière, derrière le comptoir, là où les paquetages des mutants attendaient.
- Une idée de ce qu'il s'est passé à Wyzima quand nous sommes partis ? demanda le Loup Blanc pendant qu'Ann fouillait dans son sac en grommelant.
Le barde haussa des épaules.
- Qui peut savoir ? Triss m'a apparemment téléporté peu après que toi et Portgas furent partis en mission. J'ai néanmoins entendu que vous aviez fait un sacré bain de sang.
- Parfois, tuer est nécessaire, soupira le Loup Blanc en hissant son gros sac sur une de ses épaules.
Le barde regarda son camarade en fronçant les sourcils.
- Le prend pas mal, mais est-ce que tuer des gens est devenu un plaisir pour toi ?
Ann adressa un regard très lourd et très noir à Jaskier en se relevant, alors que Geralt répondait dans toute sa froideur caractéristique :
- Si on ne cherchait pas à me tuer ou à s'en prendre aux miens, je n'aurais pas à tuer des humains. C'est de la légitime défense.
- Il y a donc toujours autant d'enfoiré dans ce bas monde, commenta le barde d'un air blasé.
- T'as pas idée, lui répondit Ann. Messieurs, bonne nuit.
Et elle s'en alla avec son paquetage jusqu'au dortoir.
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Au réveil, déformation professionnelle oblige, Geralt s'était renseigné sur les environs auprès des tenants de la taverne. Seul, puisqu'Ann n'était plus dans le coin. Il apprit que la cité sous-marine avait été habitée par les ancêtres des habitants d'Eaux Troubles, jusqu'à ce que les dieux en aient assez de leurs péchés et la plonge sous l'eau. Les Vodyanois habitaient déjà dans les environs, mais quand la ville se retrouva sous les eaux, ils allèrent s'y installer. Jusqu'à présent, ils étaient pacifiques, mais récemment, ils avaient commencé à attaquer les rives, repoussant les chasseurs de trésors. A cela, l'homme que Jaskier avait présenté comme Julian s'était manifesté. Le futur marié avait eu des bons retours sur les sorceleurs de la part de son grand-père qui avait eu la vie sauve grâce à l'un d'eux, en échange d'une pièce. Cependant, il commençait à être à court de patience devant le non-avancement d'un contrat qu'il avait donné concernant l'affaire des Vodyanois.
Il y avait aussi des problèmes dans les champs avec des Spectres de Midi qui les hantaient. Des spectres nés du chagrin, de la chaleur et de la sueur des hommes travaillant aux champs. Des fantômes de femmes qui dansent dans les champs aux heures les plus chaudes de la journée pour attirer dans leur ronde les voyageurs imprudents qui meurent tous de fatigue. Celles-ci étaient encore gentilles. Les pires étaient celles apparues suite à la mort tragique d'une mariée peu avant son mariage. Celles-ci, avec de la chanson, on pouvait parfois les résonner, mais quand elles avaient totalement perdu l'esprit, il n'y avait plus rien à faire et elles devenaient alors un adversaire de taille, même pour un sorceleur. Mais cela voulait dire aussi qu'il y avait des Spectres de Minuit dans les environs. Et ça revenait au même que pour leurs cousines diurnes.
On lui parla aussi d'une affaire de cemetaur et de brouxe, mais apparemment, Berengar était sur l'affaire et nettoyait la crypte.
Décidément, il y avait trop de sorceleurs dans ce petit patelin tranquille.
En sortant pour aller retrouver sa camarade, le Loup Blanc fut surpris de se faire interpeler. En se tournant vers le sentier menant vers la rive du lac, il reconnut rapidement la chevelure orangée de la sorcière qu'il avait sauvée d'une mort certaine dans les faubourgs. Un bac d'eau en bois sur la hanche, elle rejoignit aussi vite que possible le sorceleur.
Abigail n'avait pas changé en apparence. Toujours aussi pâle avec les mêmes étranges bijoux au cou qu'avant et la même robe sombre à bustier.
- Décidément, Eaux Troubles va finir par ressembler à un bastion de sorceleurs. De mémoire, on n'a jamais vu autant des vôtres en un seul et même village qui ne soit pas le siège de votre école. Il y avait longtemps, Geralt, sourit la rouquine avec un ton joyeux et amical.
Ce ton en lui-même surprit le mutant. Il se souvenait d'une femme blasée, presque haineuse et effrayée, traitée en monstre et paria par la moitié des faubourgs et comme une simple paire de jambes à écarter par l'autre. Elle était loin celle qui préparait des potions et des charmes pour se venger des villageois. Cette fois, la sorcière semblait bien plus paisible.
- Je vois que tu as trouvé une nouvelle résidence.
- On m'a accueilli ici à bras ouvert, après tout, leur guérisseur est mort il y a deux hivers de ça.
Elle ouvrit la porte d'une maison à côté de la taverne de sa main de libre et invita le mutant à la suivre. En soupirant, elle posa l'eau dans un coin de sa hutte et se tourna vers Geralt avec un sourire malicieux :
- Si tu veux, je peux te raconter leur plus grand secret…
Finalement, elle n'avait pas changé, toujours à chercher la noirceur dans le cœur des gens.
- Tu n'as pas changé, reprocha le sorceleur.
Le sourire malicieux de la rousse s'agrandit alors qu'elle croisait les bras sur sa poitrine avec une certaine fierté pour lui répondre :
- J'ai développé un onguent spécial à partir d'une recette de leur ancien guérisseur. Cela fait briller le cuir de leur célèbre vache ! Ahahahhaha !
Elle ne pouvait que rire devant le semblant de visage ahuri que lui adressa Geralt.
Une vache ? C'était quoi cette histoire ?
Du pouce, la rousse sembla désigner quelque chose dans les terres.
- Eaux Troubles se fait connaître dans les foires agricoles pour leur magnifique vache qu'ils ont appelée Fraise. Elle a remporté plusieurs prix dans de nombreux concours. C'est une belle vache, mais avec mon aide, elle l'est plus encore !
Cela changeait des poisons et autres horreurs qu'il savait qu'elle avait préparés dans les faubourgs pour se défendre des habitants.
- J'ai changé, sourit paisiblement la rousse en se laissant aller contre sa table devant le sorceleur. En mieux, je le sens. Je le sais.
Elle inspira profondément et regarda les bosses herbeuses et fleuries au-delà des barrières.
- Cet endroit m'a aidée à laisser tout ça derrière moi. A aller dans le bon sens, la bonne direction. Et je te le dois.
- J'en suis content, lui répondit Geralt.
Il avait bien fait de la sauver dans les faubourgs, cela se voyait. Là où les habitants n'auraient pas évolué, elle, elle avait saisi l'occasion de devenir quelqu'un de mieux.
- Si tu cherches toujours le Chat Noir, je l'ai vue se baignant au lac tout à l'heure. C'est pour ça que tu es ici ?
- Non, je voyage avec elle en ce moment.
- Alors, que nous vaut la présence du célèbre Geralt de Riv ? Je ne pense pas que tu sois venu ici juste parce que je te manquais !
C'était une façon comme une autre de rappeler qu'ils avaient couché ensemble.
- Tu fais quoi à présent dans ce charmant patelin ?
- Oh, des choses bien plus agréables ! Mais je sers surtout de guérisseuse. On me demande aussi des aides. Que ce soit du côté des philtres d'amour ou des remèdes contre l'impuissance. D'ailleurs, j'aurais une question pour toi et ton savoir de sorceleur.
- Berengar a l'air d'être là depuis un moment, pourquoi ne l'as-tu pas consulté ? Et il y a Ann que tu viens de croiser, aussi. A moins que tu veuilles comparer les informations que l'on te donne ?
La sorcière eut une grimace et passa une mèche derrière son oreille.
- Berengar ne m'a pas laissé une très bonne impression, je préfère l'éviter. Je me méfie des hommes amers. Quant à la sorceleuse Portgas, quand je l'ai vue, elle avait l'air tellement heureuse dans sa baignade dans le lac que j'ai pas voulu lui gâcher son moment en l'embâtant avec ma question. Pendant un instant, elle avait l'air presque sereine. Pour être honnête, si elle n'avait pas eu cet immense tatouage dans le dos, j'aurais cru que c'était la naïade qui avait finalement décidé de prendre des couleurs.
- Je vois. Quelle est ta question ?
- Un des villageois a été attaqué par un garkain. Et chose étonnante, il souffre d'empoisonnement. J'arrive à contenir les effets, mais rien de plus. Je n'ai jamais entendu parler de garkain avec du poison, après, les monstres, ce n'est pas mon domaine, donc, je me dis…
Geralt caressa pensivement son menton.
- Les garkains sont une des espèces inférieures de vampires, comme les noctules. Mais elles n'ont certainement pas de poisons. C'est nouveau, ça…
Le Loup Blanc fronça les sourcils quand une idée lui vint.
- Les garkains ne s'attaquent pas qu'aux vivants, ils consomment aussi des cadavres. Celui qui a attaqué le villageois venait certainement de consommer un corps tout récemment. Essaye de voir si l'empoisonnement n'est pas dû à la cadavérine, Sinon, c'est que le mort a perdu la vie par empoisonnement et que le garkain, bien qu'immunisé, a servi de transmetteur au reste de la substance. Dans ce cas-là, il faudra retrouver le corps d'origine ou ce qu'il en reste. Qu'est-il advenu du garkain ?
- Avec un peu de chance, il doit être mort sous le glaive de Berengar. Merci pour les pistes en tout cas, je vois ce que je vais pouvoir faire à présent.
- Tu es loin, non, du village. Pourquoi ne pas vivre plus près ?
La sorcière secoua la tête avec un sourire blasé et passa dans une autre pièce pour revenir peu après avec du linge qu'elle jeta dans le baquet d'eau.
- Les sorcières ont toujours vécu à l'écart du village. C'est ainsi. Va plutôt t'assurer que le Chat Noir ne se mette pas une idée en tête. Cette femme à la fièvre du voyage et de l'aventure dans le sang, elle pourrait très bien disparaître et te laisser sans indice sur sa localisation.
Sympathique rappel à l'ordre. Mais il avait autre chose à faire avant. Ann était une sorceleuse adulte. Même s'ils s'occupaient ensemble de l'affaire de la Salamandre, elle pouvait se débrouiller seule et rien ne l'obligeait à rester avec lui.
Non, sa priorité du moment, c'était Alvin.
Il voulait s'assurer que Alina savait dans quoi elle s'engageait en adoptant un enfant avec un potentiel de Source.
- Je cherche une certaine Alina, tu sais où je peux la trouver ?
- Ah, donc ce n'était pas mon imagination, mais c'est bien le petit Alvin des faubourgs qu'elle a recueilli ?
- Hm.
- Dans le village. C'est une blonde un peu naïve qui se balade avec une couronne de fleurs dans les cheveux. Elle doit être en train de parler à tout le monde de son futur mariage. Honnêtement, avec le potentiel magique de l'enfant, je ne pense pas qu'un foyer de ce genre soit une bonne idée. Son don est puissant. Trop, même pour moi. Le mieux à faire serait soit de le confier à une magicienne, soit de l'inscrire à Ban Ard. Mais ce n'est pas à moi de prendre cette décision.
- Merci pour les recommandations en tout cas.
- C'est le minimum. Bonne journée et bon séjour parmi nous.
Le Loup Blanc la salua d'un hochement de tête et alla rejoindre le village en continuant le long du chemin. Il eut dû mal à trouver Alina, mais il apprit des choses intéressantes, comme le fait que des elfes avaient refusé la charité et que de toute façon, on ne les voulait pas ici. Il découvrit que le forgeron, en plus de vouloir construire une machine volante, gardait une succube sous le coude que son épouse souhaitait faire disparaître, et qu'un père de famille s'amusait un peu trop avec la naïade.
Il croisa aussi Celina, la jeune sœur de la mariée. Une demoiselle amère et jalouse de sa sœur qui aurait voulu avoir Julian pour elle.
Charmant.
Enfin, il trouva la blonde avec sa couronne de fleurs sur la tête et elle avait vraiment l'air dans les nuages. Et une tête un chouilla stupide, surtout avec ses tâches de rousseurs et ses deux tresses. L'incarnation de la naïveté.
Il eut la confirmation quand, reconnaissant son nom des balades de Jaskier, elle décrivit les sorceleurs comme des fringants chevaliers en armure au secours de la veuve et de l'orphelin, et du côté romantique de la profession, avec une histoire d'amoureux liés par le destin mais incapables de se retrouver… Il suffisait de voir Geralt dans son armure de cuir et son éternelle tête de six pieds de long, pour savoir qu'il y avait des années lumières entre les histoires du musicien et la réalité. Soit il devait toucher deux mots à son ami pour qu'il arrête de raconter des bêtises à son sujet, soit… eh bien, cette fille était totalement naïve. Pas l'idéal avec un enfant magique.
- Vous vous occupez de Alvin, c'est ça ?
- Oui. Il a des yeux si grands et si magnifiques… souffla-t-elle d'un air rêveur.
Ouais, nan, ce n'était pas une bonne motivation pour adopter un enfant.
- Malheureusement, mon futur mari refuse que nous l'adoptions.
Julian avait la tête sur les épaules, surtout.
- Je me suis occupé de lui pendant quelques temps. Je peux lui parler ?
Alina montra la porte de la maison derrière elle.
- Il était en train de m'aider à faire le ménage.
- Eh bien, je…
- Attendez ! J'ai une demande à vous faire. Si vous passez par l'auberge, auriez-vous l'obligeance de me dire comment se porte mon fiancé ? Et si vous ne croisez pas ma sœur au passage ? Je l'ai vu passé tout récemment et elle avait l'air si en colère…
- Pourquoi vous n'allez pas le voir vous-même ?
Elle croisa les mains devant elle en soupirant tristement.
- Nous avons eu quelques mots et il est très en colère. C'était au sujet d'Alvin. Julian désire que nous ayons nos propres enfants. Il veut envoyer Alvin au Temple de Melitèle ou alors le faire former en tant que sorceleur.
L'envoyer au Temple était aussi une bonne option. Mais en faire un sorceleur ? Non, pas une bonne idée. Alina s'éloigna de la maison, laissant Geralt entrer dedans sans difficulté pour y trouver Alvin qui rangeait un balai. Et le gamin fut ravi de voir le sorceleur.
- GERALT !
Il se précipita vers lui avec tout l'enthousiasme d'un garçon de huit ans.
- Content de te voir, Alvin. Comment vas-tu ?
Geralt s'agenouilla pour être au niveau de l'enfant.
- Eh bien… j'ai une nouvelle maison ! raconta le garçonnet. C'est mieux qu'à Wyzima, mais… tu me manquais.
- Tu aimes ici ?
- Oh oui ! Dis ! On va tuer des monstres ensemble ?!
Le Loup Blanc soupira et regarda très sérieusement le garçonnet.
- Alvin, combattre des monstres est très dangereux. Promets-moi que tu l'éviteras autant que possible.
- Oui, Geralt, je te le promets. Oh ! Et y'a des elfes dans les environs ! Il y en a une qui est si belle, mais elle s'est disputée avec le maire, Mr Tobias…
- Je sais, oui. Les villageois me l'ont dit.
- Dis, on peut jouer à la Chasse à l'Elfe ?
- On ne t'a pas déjà dit de ne pas jouer à ça ? Bon sang, je vais devoir avoir une sérieuse conversation avec toi et Alina.
- C'est pas Alina ! Ce sont tous les enfants qui jouent à ça. Et je suis toujours le Grand Maître !
- Tu dois vraiment arrêter de jouer à ça, Alvin, même si les autres enfants le font. Ce n'est pas un jeu correct.
- Mais j'adore ce jeu ! protesta l'enfant. Et je gagne tout le temps ! Enfin, presque…
- Alvin !
Geralt se surprit lui-même en réalisant qu'il avait élevé la voix.
- D'accord, j'arrêterai d'y jouer.
- Dis-moi plutôt comme tu es arrivé ici.
Le gamin se gratta la tête puis se mit à tripoter l'ourlet de sa tunique.
- Eh bien, je jouais avec Shani quand ces gens sont venus. Leur chef, il avait des lunettes noires et il a utilisé des mots bizarres que j'ai pas totalement compris.
- Et ensuite ?
- Shani s'est mise à hurler sur l'homme aux lunettes. Il lui a répondu qu'elle aimait des monstres et qu'il allait lui montrer ce que c'était un vrai homme…
Il n'aimait pas où allait cette conversation.
- Shani l'a insulté et elle l'a frappé dans les…
Le gamin ne dit pas où, mais la façon dont il serra ses mains devant son pelvis était explicite. Si cela avait été quelqu'un d'autre, Geralt aurait eu pitié de lui. Mais le Professeur l'avait cherché. Finalement, sa mort aurait dû être un peu plus douloureuse après ce qu'il avait voulu faire à sa petite-amie.
- Je vois. Est-ce qu'ils lui ont fait du mal ?
La voix de Alvin prit une tournure admirative.
- Oh non ! L'homme aux lunettes s'est mis à pleurer et les autres avaient peur de trop s'approcher d'elle pendant qu'elle les traitait de tous les noms !
- Shani est douée pour ça. J'ai presque pitié pour les hommes de la Salamandre. Mais continue.
- Je me suis enfui mais ils m'ont poursuivi. Pourtant je courrais si vite, mais j'ai fini par tomber et ils m'ont attrapé. Ils ont mis un sac sur ma tête et ils m'ont conduit quelque part…
La voix de l'enfant se fit plus faible, plus incertaine alors qu'il regardait le sol.
- J'avais peur, plus que dans les faubourgs. J'ai fermé les yeux et j'ai imaginé que j'étais loin, très loin de ces gens, quelque part de magnifique où le soleil brillait. Et c'est là que Alina m'a trouvé. Je mens pas !
- Je te crois, assura le sorceleur.
- Je veux pas retourner là-bas, Geralt !
- Je comprends…
- Je serai gentil ! Je te le promets ! assura l'enfant.
- J'en suis certain. Ann sera contente de savoir que tu vas bien. Soit sage, on viendra te voir plus tard.
- D'accord.
Il hocha la tête et quitta la maison, certainement pour aller jouer avec d'autres enfants des environs. Geralt sortit à son tour et trouva la future mariée en train de faire de la couture sur une chaise pas loin de sa porte.
- Est-ce que Alvin a eu un comportement étrange ?
- Haan… souffla la blonde en le regardant. Il m'a raconté des histoires horribles. Je l'ai cru délirant.
Venant d'un garçon qui avait ramené à la surface une prophétie durant une transe ce n'était pas bon signe.
- Qu'est-ce qu'il a raconté ?
- Une histoire d'âme condamnée à souffrir pour l'éternité à cause d'un amour non-réciproque. C'était si… si…
- Romantique, je vois, conclut Geralt.
Il tourna le dos à la femme sans un mot de plus et reprit la route vers l'auberge. Ann devait être de retour, depuis le temps. Sous le soleil montant de plus en plus chaud, ce qui était étrange en cette période de l'année, le sorceleur grimpa les monticules herbeux et fleuris pour redescendre de l'autre côté et ainsi, retrouver la route menant à l'auberge du village.
En passant les portes des barrières qui délimitait la zone, il vit la brune Celina en pleine conversation avec Julian, sous le grand arbre de la cour. Apparemment, la conversation n'était pas des plus joyeuses s'il en croyait le langage corporel. Julian fini par laisser la jeune femme derrière lui et retourna dans l'auberge, abandonnant une demoiselle clairement mal sur place. Essuyant un début de larmes, la fille du maire tourna les talons et se dirigea vers le village, donc, vers Geralt.
- Salutation, sorceleur, salua doucement la jeune femme.
- Bonjour à vous. Vous avez l'air triste, constata Geralt.
Elle renifla un instant et serra ses poings sur la jupe verte de sa robe de paysanne.
- Ma sœur va épouser un homme qu'elle n'aime pas ; je n'ai rien à me mettre pour le mariage parce que notre père a utilisé toutes ses économies dans la dot de sa fille chérie ; sans parler qu'il fait chaud comme l'enfer ! Mais sinon, tout va bien !
Et elle s'en alla en courant pour cacher son début de sanglot. Geralt la regarda partir avant de frotter son visage, passant sa main gantée de cuir sur la balafre rougeâtre qui traversait le côté gauche de son visage, épargnant miraculeusement l'œil. Il soupira et passa la porte.
Ann n'était toujours pas revenue, de ce qu'il vit en entrant dans la pièce, cependant, il fut interpellé par Jaskier qui lui demanda comme cela allait.
- J'ai vu Alvin, répondit succinctement la mutant.
- Ah, Alvin… attends…. Alvin ?! Oh zut ! jura le barde en blanchissant dramatiquement. Triss m'a demandé de faire quelque chose, elle a passé une heure à me l'enfoncer dans le crâne… Ah ! Ca y est ! Elle voulait qu'il porte une amulette en dimeritium.
Le sorceleur soupira.
- On ne peut rien te confier, Jaskier…
- Oh vraiment, c'est comme ça… Je viens de me rappeler que j'ai un paquet pour toi aussi.
- Un paquet ?
- Je ne sais pas, je l'ai peut-être perdu…
En clair, le barde était vexé et se détourna en croisant les bras.
- Arrête de bouder, Jaskier. Qu'est-ce que tu as pour moi ?
Le brun claqua la langue d'agacement et fouilla la besace qu'il avait à son épaule pour en sortir le médaillon pour Alvin et une lettre qu'il donna avec un sourire mutin à son ami.
- Une lettre de ta chérie.
- Shani ? Donne-moi ça.
Jaskier regarda en souriant le mutant impassible s'empresser de lui arracher des mains la lettre et le médaillon. Le métal de l'amulette devrait aider un grandement l'enfant. Ce ne serait certainement pas agréable pour l'enfant, mais ça garderait un maximum sous contrôle ses dons et ses capacités de Source lui facilitant la vie en dépit de l'inconfort. Il glissa l'objet dans sa besace à ingrédient et alla s'asseoir à une table pour lire la lettre qui sentait bon les herbes médicinales. Dans son courrier, Shani se faisait clairement du souci pour lui, allant jusqu'à dire qu'elle avait demandé à Jaskier de faire le messager pour qu'il prenne soin du mutant pour elle. Même si Ann était certainement avec lui (Shani n'avait pas l'air certaine du fait), elle savait que Jaskier avait toujours été un ami fidèle et que le Loup Blanc pouvait compter sur lui en cas de problème. Elle lui parla enfin de la disparition de Alvin et de son inquiétude pour lui. Elle supposait qu'il devait être à proximité d'une rivière ou d'un lac, puisque durant tout son temps à Wyzima avec elle, l'enfant avait tendance à aller se faufiler régulièrement sur le quai des marais.
Au milieu de la lettre, les mots laissèrent le Loup Blanc pensif.
« Je sais que tu apprécies cet enfant tout autant que moi. En fait, à nous trois, nous formons presque une famille, et je sais que quand les choses se seront calmées, tu parviendras à faire le point sur… tes sentiments. Tu ferais un père parfait pour Alvin. »
Et le message continua encore sur la même veine, avec Shani disant qu'elle l'aimait et qu'elle était certaine qu'il l'aimait autant. Elle cherchait un Happy Ending.
Il replia la lettre pensivement et soupira. Il devait y répondre rapidement. Rassurer Shani, et essayer de lui dire ce qu'il avait à l'esprit, éclaircir ses sentiments. Il leva la tête en voyant que Jaskier s'était assis juste devant lui, à la même table, souriant avec amusement.
- Tu as besoin de quelque chose ? demanda le barde.
- Je voudrais répondre à cette lettre.
Tout juste les mots eurent quitté ses lèvres qu'un parchemin apparut devant son nez, avec une plume froissée et une bouteille d'encre.
- Alors, tu vas la commencer comment cette lettre ?
Geralt regarda le barde, prit la plume, la trempa dans l'encre et regarda son parchemin. Comment pouvait-il commencer ça ?
- Hmmm… Donc… Chère Shani ?
- Je suis heureux de voir que votre histoire d'amour est en pleine éclosion, sourit le barde. Vraiment, ça fait plaisir à voir.
- Je n'ai pas envie de parler de ça, coupa le Loup Blanc en continuant d'écrire un peu. A présent quoi ? Quelques mots sur Alvin ?
- Elle a l'air attachée à l'enfant, je suis certain qu'elle doit se faire du souci.
- Et je peux lui parler de ce qu'il se passe ici à Eaux Troubles, renchérit le mutant en se mettant à l'ouvrage.
- Elle pourrait trouver ça intéressant, en effet. Finis ta lettre et adresse-toi au Roi Pêcheur, il devrait pouvoir la livrer à Wyzima sans difficulté.
Le Loup Blanc hocha la tête et continua son mot alors que Jaskier s'en allait faire une démonstration musicale à la demande de quelques villageoises. C'est en relevant la tête de son courrier que le mutant remarqua un peu plus loin que Julian était assis à une table à lire. Le sorceleur se leva, plia sa lettre pour sa petite-amie qu'il rangea dans sa bourse à élixirs avant d'aller à la rencontre du futur marié. Puisque c'était sa future femme qui voulait adopter Alvin, il devait lui parler. Quand l'homme sut qu'il était question de l'enfant, il regarda sérieusement le sorceleur en l'invitant à s'asseoir à sa table, avant de lui répondre :
- Il a besoin de quelqu'un qui s'y connaît en magie. Ni moi ou ma future épouse ne sommes aptes à être ses gardiens.
Il n'avait pas tort. Ils étaient des simples gens, pas des magiciens. Et si la sorcière du village disait qu'Alvin était trop puissant pour elle, alors, un couple fait d'un marchand et d'une paysanne ne risquait pas d'y arriver.
- Vous devriez en faire un sorceleur, continua le jeune homme.
Là par contre, c'était moins intelligent. Les sorceleurs, qu'ils aient complété ou pas totalement leur entraînement, ou qu'ils aient ou pas subi les mutations partiellement ou entièrement (voir parfois, pas du tout), étaient vu en lépreux. Certes, ce Julian ainsi que ce village faisaient exception, mais ce n'était pas un choix qu'on pouvait faire pour ensuite changer d'avis. Cela briserait le futur d'un garçonnet. Il serait condamné pendant de longues années à errer sur les routes, sans foyer, sans famille, à vendre le tranchant de ses glaives pour quelques maigres orins. Il ne pourrait jamais songer à se poser et avoir une femme et des enfants.
- Vous ne savez pas ce que vous êtes en train de proposer, lui dit froidement Geralt. Mais je suis d'accord pour le garder à l'œil, pour l'instant, de temps à autre, pour essayer de l'aider. Mais je ne peux pas en faire un sorceleur. Pas comme ça.
Il soupira et quitta l'auberge.
Il était temps de trouver Ann.
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La mutante n'était pas difficile à retrouver. En fait, on l'entendait avant de la voir. En arrivant vers les rives du lac, on percevait de plus en plus clairement sa voix qui chantonnait un air entraînant dans une langue totalement inconnue. Puis, la femme était enfin visible, assise sur des rochers en finissant de se rhabiller, les cheveux vaguement rassemblés au-dessus de sa tête pour ne pas dégouliner d'eau partout. Elle dû l'entendre ou le percevoir puisqu'elle arrêta de chanter pour le saluer joyeusement.
La voir si énergique et de si bonne humeur pouvait expliquer pourquoi Abigail n'avait pas voulu la déranger. Loin des machines à tuer sans émotion qu'étaient les sorceleurs en général, Portgas rayonnait de vie.
- Tu aimes le lac ? demanda Geralt alors que sa camarade le rejoignait.
- A défaut d'avoir connu ma mère, l'océan a pris son rôle, répondit la D. en sautant sur la rive aux côtés du Loup Blanc.
Elle se tourna vers le lac avec un sourire nostalgique.
- Ce lac est tellement grand et clair qu'il me rappelle la mer.
- Je vois.
La mutante se tourna vers son collègue pour savoir le programme.
- Eh bien, j'ai retrouvé Alvin et il a l'air de se porter assez bien. Et il s'avère que Berengar est ici. Il a pris un contrat pour s'occuper d'une affaire entre les Vodyanois et les habitants, mais ça traîne apparemment et rien n'a été fait. A part ça, outre le mariage et une rivalité entre deux sœurs… rien de bien passionnant.
- J'vais m'faire grave chier ici, soupira la femme. Donc, que faisons-nous ?
- Je propose qu'on se renseigne sur cette affaire de Vodyanois avant de rencontrer Berengar. On lui posera des questions sur la Salamandre et on verra s'il veut de l'aide pour son contrat après.
- Je vais rester sur tes talons jusqu'à ce que Javed soit un petit tas de chaire sanglante sur le sol, donc, je t'en prie, ouvre la voie.
- Commençons l'enquête, alors.
Dans leur quête, ils avaient besoin de parler au seul Vodyanoi qui n'était pas hostile dans les environs. Et c'était le prêtre qui vénérait la Dame du Lac et s'occupait de son autel. Et oui, avec sa parure riche et son immense chapeau bordeaux qui lui faisait une drôle de tête si on rajoutait son masque à oxygène, on pouvait bien voir que cet individu était un prêtre chez les Vodyanois. Bien qu'il dût être très dévolu à la Dame du Lac pour passer presque toute ses journées à en prendre soin.
Quand les deux sorceleurs s'approchèrent, la créature se tourna vers eux en les fixant de ses grands yeux de poissons.
- Hertsool Gool Bahl tahl Hooll ! Ooooooo ! Grao Lol ! leur dit le Prêtre Vodyanoi.
- … et nous sommes Geralt de Riv et Anabela D. Portgas, ravi de vous rencontrer, répondit le Loup Blanc.
Ann regarda son camarade avec surprise. Il avait à moitié oublié l'Ancien Langage mais il parlait le Vodyanoi ? Il avait son sens des priorités, le vieux loup lubrique.
- Dool Bool tohl grool ?
L'intonation disait que c'était une question, mais le D. n'avait pas la moindre idée de ce que ça pouvait être. Elle regarda son camarade pour une traduction et manqua de tomber à l'eau sous l'aveu que fit le blanc :
- Nous ne parlons pas votre langue.
Alors pourquoi il avait fait comme si c'était le cas ?!
En tout cas, cela n'offensa pas des masses le Vodyanoi :
- Daoelaol ! Votre langue, je parle très bien.
Cool, ils n'auraient pas besoin de jouer les mîmes.
- Nous aurions des questions pour vous, lui dit Ann.
La créature secoua la tête et montra la statue qu'il gardait avec un doigt.
- A genoux devant la Dame, amis. Pas à genoux, vous Dagonlaolbaltol, pas parler.
- Donc, on doit rendre hommage à la Dame du Lac ? demanda Geralt.
- Exact, répondit le Vodyanoi.
Ann leva le nez pour mieux voir l'immense femme taillée dans le marbre qui levait un bras devant elle, vers l'horizon, tel une guide. Elle inspira profondément en regardant le visage de pierre. Doux et tranquille. Comme ce village.
- Très bien.
Et sans poser plus de question, Geralt s'agenouilla.
La D. resta debout, à regarder la statue. Elle était une pirate, elle ne se soumettait à personne, elle ne courbait l'échine devant personne. Elle était son propre maître et ne rendait des comptes qu'à Shirohige… mais à quoi ça l'avancerait ici ? Sans compter que la sorceleuse ne croyait pas en la Dame du Lac, cela risquerait de rendre hostile le Vodyanoi et ainsi compliquer leur mission.
Elle soupira et finit par poser un genou à terre comme son camarade, la tête basse.
Que le prêtre voie ça comme il voulait, mais elle, elle ne s'engageait à rien. Elle ne faisait que saluer la beauté de la statue, rien de plus, rien de moins. Personne ne mettrait une laisse au cou du Chat Noir, pas même pour une stupide idée de foi. Elle ne resta à genou que le strict minimum, avant de se relever en même temps que son collègue.
- Parler ! invita le Vodyanoi avec une intonation satisfaite derrière son masque à oxygène. Gool bool tahl Hool !
- On a appris qu'il y avait des problèmes entre les habitants et les Vodyanois, et on aimerait savoir ce que disent les vôtres de tout ça, lui dit Geralt avec son calme froid si caractéristique.
- Gul ! Bul ! Humains grands ennemis de Vodyanois ! Engager machinsorceleur pour tuer Vodyanois. Machinsorceleur à la crypte. Nous aimer vouloir humains, cependant humains nagent dans nos eaux.
Ann regarda son camarade qui ne fit aucun commentaire sur le « sorceleur ». Quelque chose lui disait qu'il craignait cette rencontre avec Berengar.
Avec un « on reviendra », le Loup Blanc tourna les talons. Il voulait repousser la confrontation avec Berengar. Et le plus constructif, pour l'instant, était de rencontrer la divinité locale.
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Rencontrer la Dame du Lac qui vivait apparemment sur l'ilot était une bonne idée. Et pour cela, s'ils ne voulaient pas se faire attaquer par des Vodyanois mécontents, une barque serait plus sécurisée. Alors, il fallait demander au Roi Pêcheur son autorisation pour lui emprunter sa barque. Le vieil homme en haillon était assis sur des roches, à jeter une ligne à l'eau quand ils allèrent à sa rencontre. Il se contenta de leur adresser un « Hm » interrogatif en les voyant.
- Salutation, vous êtes le Roi Pêcheur, c'est ça ? se fit confirmer Ann.
- Mhmmmmm, confirma le vieillard en hochant la tête.
- Heummm… on est des sorceleurs et on a des questions sur les environs. Des monstres dans le lac ?
Le vieil homme eut une grimace pour accompagner son « hmmm ».
- Amphisbène ? Autre chose peut-être ? Quelque chose de plus gros et dangereux qu'une libellule, j'entends.
- Mmmm…
La sorceleuse lança un regard à son camarade disant clairement « aide-moi », ne sachant pas comment gérer un muet.
- Il n'y a donc que les Vodyanois pour causer des ennuis. Des noyadés peut-être ? Ou des noyeurs ?
- Mmmh… confirma le vieillard en hochant la tête avant d'agiter la main, l'air de dire un peu.
Les Vodyanois seraient plus compliqués, mais rien à craindre des autres créatures tant qu'il faisait jour, surtout s'ils n'étaient pas nombreux.
- Peut-on utiliser votre barque ?
- Mhm, acquiesça le vieil homme.
Et il retourna à sa partie de pêche, laissant Geralt hausser des épaules. Ann tourna les talons et alla rejoindre la barque qu'elle poussa aisément à l'eau avant de sauter dedans. Son camarade suivit le mouvement après avoir demandé au Roi Pêcheur s'il pouvait livrer la lettre pour Shani à Wyzima. Il prit les rames, laissant la pirate mettre la main à l'eau pour en observer les profondeurs avec une fascination évidente. La traversée fut d'un calme parfait, juste troublée par le bruit des rames et de l'eau. Et à leur grande surprise, ils réalisèrent que ce qui les accueillit devant l'îlot… c'était des nénuphars. C'était tout bonnement incroyable. L'eau était recouverte par les grandes fleurs blanches des plantes aquatiques qui étaient repoussées par le passage de la barque.
Il ne fut pas bien difficile de trouver la Dame du Lac.
Elle était assise sur un rocher, les regardant venir en silence. Elle portait une longue toge d'un blanc translucide qui mettait en valeur sa peau pâle tirant très discrètement sur le vert marin à l'instar de ses longs cheveux humides, rejetés en arrière, qui dévoilaient ses oreilles pointues. Elle était là, tranquillement assise sur son rocher à les regarder accoster la rive, les observant avec deux yeux anciens et sages au milieu d'un visage lisse et sans âge.
Tranquille, paisible… serein.
En la voyant, Ann saisit parfaitement que c'était vraiment… l'entité ? oui, l'entité qu'ils cherchaient. Et que c'était vraiment une déesse en dépit de sa ressemblance avec tout ce qui entrait dans le sac fourre-tout des nymphes comme les naïades, les dryades etc.
Et ce par un simple fait : elle ne parvenait pas à la sentir de son Haki.
Comme une illusion.
- Ton Kenbushoku ne te sert à rien avec moi Muire rhnawedd, sourit paisiblement la femme. A moins que tu préfères le terme de prince.
Sa voix avait une étrange qualité, comme un petit écho dans sa tonalité étrangement grave. Elle pivota sur son siège et se leva, ses pieds nues foulant le sable de l'ilot sans laisser la moindre empreinte alors que les deux sorceleurs étaient sur le sable, immobiles.
- Bienvenus à vous, Geralt et Ace, salua-t-elle en joignant ses mains devant elle.
- Mes excuses, mais je ne me rappelle pas de votre nom, dit Geralt alors que sa comparse était étrangement silencieuse à ses côtés.
- Simplement parce que tu ne le connais pas. Mais moi je te connais, de réputation.
- Je préfère vous avertir, mais Jaskier prend beaucoup de liberté dans ses balades.
- Je suis certaine de ma source, il est question de la sirène Sh'eenaz.
Les sourcils de Geralt se soulevèrent d'un micro millimètre pour signaler sa surprise.
- Sirène ?
- Oui, confirma la déesse. Pourquoi cette surprise ?
- Qu'est-ce qu'elle vous a dit ?
- Que tu as réussi à éviter un conflit entre le prince d'Agloval et les habitants de la cité sous-marine d'Ys. Grâce à toi et tes amis, les humains et les Vodyanois d'Ys arrivent à se tolérer.
- C'est encourageant, j'espère en faire autant ici.
- Sh'eenaz a mentionné ton intelligence, je t'invite donc à en faire usage.
- Qui es-tu, onna ? Comment sais-tu pour Ace ?
Geralt et la femme se tournèrent vers la D. qui avait plissé les yeux en portant sa main à son glaive d'argent. Pourtant, la Dame du Lac ne cessa pas le moins du monde de sourire.
- Si je ne me trompe pas, le terme megami serait plus approprié dans mon cas, que le simple onna. Un voyageur est passé ici il y a vingt ans, parcourant le continent de long en large à la recherche d'une personne assez cher à son cœur pour qu'il change de monde pour la retrouver. Je parle bien entendu du Phénix Marco. Si à cet instant, j'avais su que tu étais celle que l'on connait comme le Chat Noir, l'Incendiaire de Rivia ou Deith Ichaer, j'aurai pu plus facilement l'orienter.
La main d'Ann glissa de son glaive pour tomber mollement le long de son corps alors qu'elle fixait avec des yeux ronds la déesse.
- Mais j'en ai oublié de répondre à ta première question, bien que la réponse soit évidente. On me nomme la Dame du Lac. De nombreux chevaliers défendaient mon honneur autrefois, mais c'était il y a longtemps. Seul mon pauvre et malade Roi Pêcheur reste.
Lentement, comme si Ann était un animal qu'elle ne voulait pas effrayer, la Dame du Lac porta une main au visage de la sorceleuse et lui caressa sa joue.
- Avoir un phénix pour compagnon assure une fidélité à toute épreuve. Peu d'hommes auraient changé de monde en sachant qu'ils n'avaient pas d'assurance qu'ils reverraient leur terre natale ou le but même de leur voyage. Tu es un homme chanceux, très chanceux, enfant de Davy Jones.
Elle lui sourit avec tendresse, essuyant une larme sur la joue tachetée de la mutante qui avait l'air d'être frappée par la foudre.
- Ann ? appela Geralt.
La D. se réveilla et recula d'un pas en leur tournant le dos.
- Je vais faire un tour.
Et elle commença à s'éloigner.
- Je peux t'aider, si tu le veux, lui dit la Dame du Lac avant qu'elle ne soit trop loin. Je ne peux rien faire pour le cadeau de Davy Jones, mais je peux te permettre de redevenir Ace. Ah, et en retournant au village, passe donc chez mon Roi Pêcheur. Il garde quelque chose qui t'appartient et qui te permettra de savoir comment j'ai fait pour te reconnaître malgré les changements.
Ann se figea un instant, puis reprit sa marche pour disparaître dans les étendues sauvages au-delà de la plage. Geralt la regarda s'éloigner avec un froncement de sourcil, mais avant qu'il ne puisse la suivre, le Dame du Lac lui prit le bras et secoua la tête.
- Ce que je viens de lui dire est déjà assez dure comme ça, laisse-lui du temps. Tant que nous sommes ici, as-tu des questions ? Quelque chose me dit que oui, tu en as.
- Elle va s'en sortir ?
- Oh oui, tu n'as pas de soucis à te faire.
Elle se détourna de Geralt et se dirigea vers son rocher. Il resta un instant à la regarder s'éloigner, avant de la suivre et de lui demander de l'aide :
- Ma Dame, on dit que je suis revenu à la vie, mais j'ai perdu ma mémoire. Pouvez-vous m'aider ?
La femme s'immobilisa.
- Je sais que tu n'es pas revenu par simple hasard, pas plus qu'Ace a réussi à échapper à la mort. Mais tout d'abord, répond à ma question : crois-tu au Destin ?
- Oui, j'y crois.
Geralt fronça les sourcils. Généralement, lui et le Destin, ça faisait huit. Pourquoi cela était-il sorti avec autant de naturel et d'assurance ?
La Dame du Lac le regarda par-dessus son épaule.
- En répondant à ma question, tu as aussi répondu à la tienne.
- Le Destin m'a conduit ici ?
- Je ne suis pas maîtresse du Destin.
Elle s'assit sur son rocher et refit face à Geralt.
- J'ai vu votre passé et votre futur à tous les deux, cependant, je ne peux parler d'aucun des deux.
- Puis-je espérer être orienté sur la bonne route ?
- Très bien. Même si tu ne le sauras jamais, toi et les forces qui te propulsent, comme une feuille est emporté dans le vent, cela vaut le prix pour rester un homme décent.
- Je m'en souviendrai, Ma Dame. Et dîtes-moi, qu'est-il arrivé à vos protecteurs en armures brillantes ?
Un lourd soupir échappa les lèvres de la divinité.
- La faute revient à la légende du Saint Graal. Mes braves chevaliers, je ne sais pourquoi, étaient déterminés de partir à sa conquête. Ils disaient que c'était leur destinée de trouver le Saint Graal. Hélas, mes pouvoirs ne peuvent vaincre la destinée. J'ai échoué à guider ces pauvres hommes sur le droit chemin.
- Personne ne trouva le Graal ? devina le Sorceleur.
- Exactement. Connais-tu la légende du Saint Graal ?
- J'ai perdu ma mémoire.
- Parle à l'Ermite qui veille sur les tombes des plus braves de ces chevaliers. Même si ennuyeux, il connait la légende du Graal à la perfection.
- J'irai le consulter.
- Si tu reviens avec l'intention de t'embarquer dans une mission d'une importance capitale… crois-moi, je peux me montrer très déplaisante.
Ne pas offenser une déesse, alors.
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Geralt avait entendu parler des elfes qui avaient trouvés refuge à proximité. Des Scoiat'ael à n'en pas douter. Ce qu'il avait entendu lui disait clairement que l'un des gros problèmes dans ce conflit, outre le racisme des deux côtés de l'équation, c'était aussi l'arrogance de la race elfique. Clairement. Quand on est dans la merde, il n'y a que l'égo qui empêche un individu d'accepter la moindre mie de pain. Les villageois d'Eaux Troubles avaient voulu leur offrir un peu de leur repas, mais la fierté de cette vieille race leur avait fait refuser le présent. Pas avec un simple « non, merci », mais avec un silence haineux et hautain qui accompagnait un regard froid. Cette fierté était certainement une des raisons pour laquelle cette race était sur la pente de l'extinction.
En suivant la plage, il finit par trouver un campement devant une petite grotte. Deux elfes essayaient vaillamment de pêcher sans beaucoup d'efficacité. Un autre préparait une maigre wyverne qui venait d'être chassée, avec quelques baies et racines dans l'herbe à côté. A peine Geralt s'était approché de la grotte qu'une elfe en sortie. Une belle femme. Grande, mince, racée, ses longs cheveux noirs tressés dans une natte bien nette tombant dans son dos et deux autres plus fines juste devant ses oreilles. La noirceur de ses cheveux et de ses yeux faisait ressortir sa peau d'une pâleur d'albâtre qui ne semblait presque pas naturelle tellement le contraste était saisissant. Unique défaut à sa beauté, un nez qu'on avait cassé il fut un temps.
- Salutation Geralt, salua-t-elle avec une esquisse de sourire sur son visage sans âge, fin et altier.
- Salutation, elfe, répondit le sorceleur.
Encore quelqu'un qu'il connaissait d'avant son amnésie, pour qu'elle soit aussi familière avec lui ?
Le sourire disparut et elle fronça les sourcils en se rapprochant. Elle l'observa intensément, comme pour s'assurer qu'elle n'avait pas fait d'erreur sur la personne. Ayant la confirmation que ce n'était pas elle le problème, elle posa ses mains sur ses hanches, un air offensé sur le visage.
- M'as-tu oubliée ? Je veux bien admettre que beaucoup de temps s'est écoulé depuis notre rencontre à l'autre bout du monde, mais tout de même.
- J'ai perdu ma mémoire.
- Ah. Peu importe. Je suis Toruviel. Et je suis contente de te revoir.
Toruviel… ah oui, l'elfe qui avait fait cadeau à Jaskier de son luth elfique !
- Jaskier m'a parlé vaguement de toi. Je suis heureux de te… revoir, apparemment.
Un sourire revint sur les lèvres fines de l'elfe en armure de cuir avec ses décorations en queue d'écureuils. Elle avait l'air si mince, si épuisée…
- Qu'est-ce qui t'amène ici ?
- Le Destin, si j'en crois la Dame du Lac. La magie, si je prends en compte que mon voyage de Wyzima à ici m'a été offert par la magicienne Triss Merigold.
- Avec les aventures que vous les sorceleurs, vous vivez, il y aurait de quoi remplir des rayonnages entiers d'histoires.
Si on prenait en compte l'histoire fragmentée de Portgas et le peu qu'on lui racontait de la sienne, il était bien d'accord avec Toruviel.
- Je peux aider par ici ? Ma camarade de voyage est occupée sur l'île de la Dame du Lac, alors, autant me rendre utile jusqu'à ce qu'elle se décide à me rejoindre.
- Rare quand les sorceleurs se déplacent en groupe.
- Surtout deux sorceleurs ensemble. C'est Deith Ichaer qui m'accompagne.
- Oh. L'Incendiaire de Rivia. Sa réputation est aussi sombre que son surnom, j'espère que tu sais à quoi tu t'engages avec elle.
- Tu n'as pas vu son caractère.
Un maigre sourire à la fois amusé et blasé apparut sur le visage du Loup Blanc avant de disparaître. Cela surprit tellement son interlocutrice qu'elle en leva haut les sourcils.
- Tu veux bien éclairer ma mémoire défectueuse ? Où nous sommes-nous rencontrés ?
- Bien entendu, assura l'elfe. Nous avons fait connaissance sur les terres de Dol Blathanna, la Vallée des Fleurs… le plus bel endroit au monde. J'y ai donné à Jaskier son luth que j'espère qu'il conserve précieusement.
Elle se gratta la joue avec un sourire nostalgique avant de poser sa main sur le pommeau de l'épée elfique à sa taille.
- Notre rencontre m'a changée, et je ne parle pas que de mon nez, dit-elle avec un brin d'humour. Avant, je haïssais les humains sans exception. Mais tes mots ont jeté le doute dans mon esprit… et quand la guerre a apporté toute cette haine… j'ai réalisé qu'il y avait une autre solution.
Oh, donc, il avait fait des trucs assez bien dans sa vie s'il avait aidé une elfe à y voir plus clair.
- J'en suis heureux.
- Autant que moi, sorceleur.
Le sourire de Toruviel ne pouvait qu'accentuer un peu plus sa fatigue.
- Je peux rendre service ? s'enquit le Loup Blanc en réalisant l'état de son interlocutrice.
L'elfe soupira et hésita longuement. Puis, avec une voix qui disait qu'elle ravalait clairement sa fierté, elle lui avoua qu'elle et son groupe avaient bel et bien besoin d'aide :
- Nous avons des blessés, des malades et nous sommes affamés. Les négociations avec les locaux n'ont pas abouti. Notre dignité est tout ce qu'il nous reste, avec le maigre espoir que les renforts qui viendront à notre secours aient avec eux le meilleur guérisseur du continent et beaucoup de provisions.
- Dis-moi ce que je peux faire. Je peux aider à la chasse, s'il le faut.
- Pourrais-tu nous acheter du pain frais ?
Elle décrocha une bourse très légère et la donna à Geralt.
- J'ai vingt orins, ça devrait être assez pour cinq miches de pains. Nous pourrons regagner avec assez de forces pour reprendre nous-mêmes la chasse.
Les elfes et leur fierté…
Le sorceleur referma sa main sur la bourse.
- Je fais au plus vite. Ah, et Jaskier est à l'auberge, si tu veux aller lui dire bonjour.
- Ma priorité est mon groupe, mais j'essaierai de le voir. A défaut, demande-lui de prendre soin de mon luth et passe-lui mon bon souvenir.
- Je n'y manquerai pas.
Et sans un mot de plus, il se détourna de cette connaissance qu'il venait de retrouver et retourna vers le village. Il avait du pain à acheter après tout.
Sur le chemin, il s'arrêta chez Alina. Il devait donner à Alvin le médaillon et des nouvelles de son fiancé à la blondinette avec ses tresses. Avec son air ingénu, la future mariée lui raconta que l'enfant était pire qu'une anguille : il était partout et nulle part à la fois.
- S'il n'est pas dans le village ou ici, il sera sur la berge de la rivière, un peu plus loin à l'opposé du lac. Alvin aime passer du temps là-bas.
Mais combien de temps avaient-ils passés dans la tanière de la Salamandre pour avoir l'impression que cela faisait une semaine, si ce n'était plus, que la blondinette côtoyait l'enfant ? En attendant, la nana, elle n'était pas des plus responsables. Alvin était sa charge, elle devrait le surveiller plus attentivement.
Il l'informa ensuite de la tentative veine de Celina à charmer Julian.
- Celina peut être insupportable, mais elle changera, quand elle se décidera à se marier. Pour Julian, eh bien, il m'aime et aucune dispute, ni aucun discours ne peut changer les choses. Je voulais m'assurer qu'il allait bien, sans qu'il le sache ou pense que je me fasse du… souci. En tout cas merci.
Aaaah, les femmes…
Il devait confronter Berengar et se mettre au travail avant de se retrouver impliquer dans la préparation du mariage.
