Bonjour à tous ! Les beaux jours sont là, on commence à voir le bout de cette crise, alors, même s'il ne faut pas relâcher ses efforts, je pense qu'on peut se permettre de fêter ça avec un nouveau chapitre. Et un smpathique invité. Quand on arrivera au bout, je pense que vous aurez envie de compatir avec Vernon Roche. Ou Geralt. Si ce n'est les deux. Voir peut-être même Triss.

En tout cas, ça annonce de bonnes choses, je vous l'assure.

Sur ce, je vous souhaite une bonne lecture, n'oubliez pas la petite review qui fait toujours plaisir et à bientôt !

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Il fallait une semaine pour remonter le Pontar jusqu'à Flotsam.

Quelque part entre une forêt et un marécage, on pouvait dire que le comptoir commercial était très peu accueillant dans son atmosphère. On ne parle pas de la brume, du silence, des arbres hauts qui plongent les lieux dans un crépuscule gris perpétuel ou de l'eau vaseuse qui masque ses fonds et son danger. Ce fut un peu avant le port, à quelques lieues de la petite ville, que les Stries Bleues jetèrent l'ancre.

- Flotsam est un peu plus loin, derrière ces rochers, informa Roche en montrant les arches de roche qui plongeaient dans l'eau. Nous, on va débarquer ici et passer par la plage.

- Qui nous ? demanda Geralt.

- Toi et moi.

- Je viens aussi, informa Triss en les rejoignant sur le pont supérieur à quelques pas du gouvernail.

- Vous devriez rester derrière, nous ne sommes pas certains de l'accueil qui nous attend, recommanda Vernon à la magicienne.

Peine perdue. Non seulement Triss était une femme têtue, mais en plus, elle n'aimait pas qu'on la prenne pour une femme sans défense.

- C'est précisément pourquoi je veux venir avec vous, pointa la rousse. Il faut quelqu'un pour veiller sur vous.

Et elle tourna les talons pour débarquer.

- Elle a sa période ? demanda Vernon en se tournant vers Geralt.

Les magiciennes ne pouvant pas concevoir, le sorceleur doutait que Triss puisse subir ce genre de désagrément. Cependant, les deux hommes suivirent la rousse hors du navire alors que les hommes de Roche débarquaient un peu de matériel. Et donc, ils durent aller patauger dans la flotte qui leur arrivait aux mollets.

Eau froide et vaseuse.

Magnifique.

Le trio arriva enfin sur la plage et emprunta un petit passage entre la terre, le sable et les cailloux pour rejoindre le comptoir.

- Des nouvelles de ton informateur ? s'enquit Triss qui marchait devant avec Vernon pendant que Geralt fermait la marche.

Vernon secoua la tête, faisant voler un bout de son chaperon.

- Le port est bloqué. Certains marchands sont ici depuis des mois.

- Et les routes par la forêt ?

- Iorveth est le roi de ces bois.

Ils continuèrent de marcher, longeant un mur de pierres naturels menant au reste de la forêt, le tout sur un étroit chemin que l'eau essayait de dévorer par endroit. Le silence s'installa un instant durant leur marche, avant que le Commandant des Stries Bleues ne finisse par poser une étrange question qui résonna presque en écho dans le silence des bois :

- Où sommes-nous ?

- Dans une forêt ? lui répondit narquoisement Triss.

- Très drôle. Je veux dire à qui est-elle, cette forêt ?

- Iorveth, peut-être ?

La magicienne lui jeta un regard moqueur avant de reprendre :

- Je sais plus sur la Vallée du Pontar que tu ne le crois. Pour répondre à ta question, cette parcelle appartient à Foltest, qui l'a volée à Demavend il y a quelques années en arrière. Je crois que tu as participé à l'acte, non ?

Alors qu'ils se rapprochaient d'un tournant où la roche leur masquait le reste de la route, un son mélodieux leur parvint. Une flûte. Douce. Presque joyeuse, qui accompagnait les chants d'oiseaux. Vernon s'arrêta net, les yeux fixés vers les hauteurs, cherchant la provenance du son.

- Vous entendez ça ? se fit-il confirmer.

Triss et Geralt échangèrent un regard avant que la magicienne ne réponde par l'affirmative.

- Ça sent l'elfe, siffla le soldat.

Et il partit en courant, une main sur son arme, dépassant le tournant pour voir que le chemin commençait à grossir. Puis, il s'arrêta de nouveau, permettant à Geralt et Triss de le rejoindre.

En effet, il était bien question d'un elfe.

Il était assis sur un arbre renversé, en suspension entre le reste de la forêt et la rive du Pontar. Le soleil, qui réussissait à passer par une maigre trouée, illuminait sa stature par l'arrière, le mettant presque à contre-jour. En marchant, ils se rapprochèrent, afin de mieux voir l'elfe. Au vu de la tenue, Geralt l'identifia immédiatement comme un Scoia'tael. Pas parce qu'il avait une queue d'écureuil, parce qu'il n'en avait pas justement, mais parce qu'il portait une étrange armure. Un amalgame de diverses tenues défensives, lui laissant un lourd manteau couleur forêt, avec un petit plastron de cuir ne prenant que le haut de la poitrine, puis une cotte de maille descendant jusqu'à ses hanches pour le reste, avant d'être maintenu à la taille par une lourde ceinture de très épaisse mêlant marron, bleu et rouge, tout comme le cuir et le tissu. Il avait aussi une sangle descendant de l'épaule droite en diagonale jusqu'à disparaître dans la ceinture, portant tout du long une série d'écussons, comme des trophées. En remontant vers le visage, on tombait sur un faciès pointu, osseux, avec des pommettes hautes, et un intéressant tatouage sur un thème floral, du côté gauche de la gorge laissée découverte par le col large de sa tenue. Le nez était busqué, donnant un air fier au visage malgré l'œil sombre qu'il y avait au-dessus. Le second était masqué par le bandana rouge sombre, décoré de cuir, qui recouvrait ses cheveux noirs coupés courts (fait étonnant pour un elfe). Mais vu la façon dont le tissu descendait et était même cousu autour de l'oreille droite, sans parler de l'ignoble cicatrice qui allait du coin de la lèvre jusque sous le tissu… il était probable qu'il n'y ait justement plus d'œil et que le bandana cache la triste réalité. A sa taille, il avait une épée assez simple en comparaison à l'arc ouvragé dans son dos.

Tranquillement, l'elfe termina sa musique et se releva de son poste sur le tronc de l'arbre pour faire face au trio.

- Vernon Roche ! reconnut l'elfe. Commandant des Forces Spéciales depuis quatre ans déjà. Et serviteur du roi de Temeria. Responsable de la pacification des faubourgs de Mahakam ; Chasseur d'elfes, assassin de femmes et d'enfants. Deux distinctions pour bravoure sur le champ de bataille…

Et l'elfe applaudit narquoisement l'humain en bleu.

- Iorveth, un banal fils de putain ! agressa Vernon en braquant son doigt vers l'elfe.

Geralt n'avait pas besoin de la présentation. Le comportement de l'elfe était déjà un gros indice.

Les bras grands ouverts, Iorveth exultait presque.

- J'ai attendu tellement longtemps cette rencontre. J'ai fait des plans, préparé des pièges… et voilà que tu apparais dans ma forêt de ta propre volonté !

- Tu as porté assistance à l'individu qui a tué mon roi ! accusa Vernon en serrant un peu plus sa main sur son épée.

- Roi ou mendiant, quelle différence ? demanda l'elfe en se penchant légèrement vers eux depuis son perchoir. C'est toujours un dh'oine en moins.

Geralt sentait sa voix, qui était étrangement calme, sans laisser présager que l'elfe allait les attaquer. Mais il n'était pas stupide. Il s'était fait avoir une fois, pas deux. Désormais, même si ses sens ou le Haki étaient des outils très utiles, il ne laisserait plus tomber sa garde.

- Où est ton unité ? demanda calmement le sorceleur à l'elfe. Dispersée par une troupe de raide ?

- Ils sont exactement là où ils doivent être. Je peux t'assurer qu'aucun humain ne peut prendre par surprise un Scoia'tael.

Toruviel pouvait prétendre que le contraire était possible, pourtant, mais ce n'était pas le sujet. Et surtout, ne pas vendre qu'il savait était l'unité justement.

- Depuis quand les Scoia'tael embauchent des tueurs professionnels pour faire leur sale boulot ? Un dh'oine, pour en rajouter. Vous êtes tombés bien bas…

- Un tueur à gage, peut-être. Mais certainement pas un dh'oine, réfuta Iorveth en croisant ses bras.

- Tu accordes un peu trop d'importance à la race des gens.

- Parce que c'est la raison même de notre combat ! Nous avons des oreilles pointues, les vôtres sont rondes. Nous sommes peu, mais nous vivons longtemps, alors que votre espèce se multiplie comme de la vermine, même si heureusement, vous mourrez rapidement. Humains et elfes, essayant de prouver quelle forme est meilleure que l'autre. Quatre cents ans de tueries sur la forme du pavillon auriculaire !

Quand c'était dit comme ça, le combat qui déchirait les humains et les races anciennes avait l'air assez… stupide.

Geralt roula des yeux et ne put retenir son agacement. Il en avait marre de cette situation. Il était là pour le Tueur de roi, pas pour les Scoia'tael.

- Tu es juste un vieil elfe dans le corps d'un enfant, utilisant des mots intelligents pour masquer l'aveuglante vérité.

- Une vérité aveuglante, tu dis ?

- Cela n'a rien à voir avec la race ou la liberté. Ou même la vengeance. Tu es ici parce que quelqu'un de puissant te l'a demandé. Quelqu'un qui t'utilise. Cette personne a peut-être une couronne, un bâton magique ou est même à la tête d'une guilde… Mais soit certain que cela n'a rien à voir avec ta liberté, tes droits ou même tes oreilles. Nilfgaard t'a enculé une fois, maintenant, quelqu'un de nouveau le fait. Isengrim ? Findabair ? Un inconnu peut-être ? Est-ce que je me trompe ?

La haine brillait de plus en plus fort dans l'œil de Iorveth en plus de dégouliner de sa voix comme du poison :

- C'est une époque révolue. Personne n'utilisera plus les Scoia'tael.

- Tu parles à qui ? À moi ? À toi ? ... Ou peut-être aux archers dans les buissons ?

- ASSEZ DE CETTE MERDE ! s'énerva Roche qui bouillonnait en silence jusqu'à présent.

Et il jeta un couteau de lancer sur l'elfe qui l'esquiva agilement, presque comme s'il l'avait vu venir à l'avance.

- Spar'le ! cria Iorveth.

Il remonta vers le sommet de la petite falaise de pierre et brandit son arc. Le trio recula pour voir les elfes sortant des sous-bois avec des arcs en main. Ils allaient finir en pelote d'épingles. Triss fit un grand geste du bras en incantant avant de brandir la main devant eux, provoquant un éclat de lumière couleur feu qui resta sur sa paume, avant de former une bulle de protection autour d'eux, d'une couleur si pâle et si translucide qu'il était difficile de la voir dans la lumière. Les flèches percutèrent le bouclier et se changèrent en papillons de lumière.

Depuis les hauteurs, les elfes se regardèrent d'un air interdit.

- Ça devrait en décourager plus d'un, commenta Geralt en regardant leur protection.

Il se retourna vers Triss qui avait drastiquement pâli et qui semblait ailleurs.

- Tout va bien, Triss ?

- A merveille, répondit-elle alors que du sang lui coulait du nez.

Et elle s'effondra vers l'avant. Geralt lâcha son glaive pour la rattraper avant de l'allonger sur le sol. Le simple fait que la magie soit toujours active disait qu'elle était encore consciente, même si tout juste.

- Tu aurais dû ensorceler les archers, ils arrivent ! cria Roche en se retournant brièvement vers eux.

Geralt se releva et reprit son arme, prêt à affronter les Scoia'tael qui venaient vers eux en passant au travers la protection comme si elle n'était pas là.

- Prends Triss, je vous couvre. On ne peut pas rester ici.

- Elle est à bout, donc, faut plus s'attendre à voir d'autres putains de papillons ! grogna Roche en hissant la magicienne en travers de son épaule comme un sac de patates qui ne pouvait que marmonner un vague « s'passe quoi ?».

- On retourne au navire ?

- Non, il y en a encore plus de ce côté ! On doit se battre pour atteindre Flotsam !

Avançant aussi vite qu'il pouvait avec la femme sur l'épaule, Roche mena la route vers leur seul salut, laissant Geralt intercepter de son mieux le moindre elfe qui parvenait à se rapprocher, usant du glaive ou des signes.

- C'est toi Roche ? marmonna Triss avec une voix vaseuse. Retire ta main de mes fesses !

- Tu pensais que c'était qui ? s'enquit Roche.

S'il voulait bien avancer un peu plus vite au lieu de papoter, Geralt lui en aurait été très reconnaissant. Parce qu'il y avait beaucoup d'elfes et ils allaient finir par être sérieusement submergés. Mais non, c'était l'instant pause-café pour lui et Triss qui continuait avec ses reproches :

- Je ne suis ni un sac de farine, ni un de tes commandos ! Je suis une femme !

- Je l'avais remarqué.

- Urg… je vais être malade…

- Si vous ne vous dépêchez pas un peu, on ne sera pas malades, mais morts, insista Geralt en parant un coup d'épée.

- Au moins, je mourrais en tenant un beau cul ! rétorqua Roche en accélérant quand même un peu plus le pas.

- Pas le mien, parce que je vais tenir le sort… D'ailleurs arrête de me secouer comme ça, j'essaye de me concentrer.

Toujours en jurant, les deux hommes cherchèrent à fuir l'attaque de Scoia'tael, avant de réaliser avec horreur que la barrière commençait à leur dire merde.

- VITE ! cria Triss.

Les deux hommes firent une poussée de vitesse que le transport de Triss ne permettait pas vraiment. Et enfin, la civilisation. Une cloche sonna et quelqu'un cria « les Ecureuils attaquent »… ce qui, dit comme ça, était tout de même assez ridicule.

Donc, le comptoir était à la vue. Des soldats avec les lys de la Temeria brandirent des arbalètes pour affronter les elfes qui attaquaient, couvrant ainsi les trois voyageurs qui fonçaient vers la ville. Geralt poussa Roche avec Triss derrière des soldats et se retourna sur la route pour voir les elfes prêts à tirer, avec Iorveth parmi eux qui donna l'ordre d'un geste de la main de ranger les flèches, puis d'un geste de la tête de partir. Il n'était pas tout seul. Deux autres personnes se tenaient à ses côtés. Un homme dans une lourde cape couleur forêt avec la capuche rabattue sur son visage se tenait à la droite de Iorveth. Il était accroupi, une étrange épée entre ses mains, contre son épaule. Et une arme totalement inconnue à son autre épaule. L'autre homme qui se joint au chef de commando après le départ des autres elfes était le Tueur de roi. Malgré la distance, Geralt les entendit.

Le Tueur de roi connaissait le Loup Blanc d'avant son amnésie. Au point de connaître sa faiblesse.

Geralt voulut faire un signe à Vernon pour qu'il voit ça, mais le temps de tourner la tête pour parler à l'humain, et l'étrange trio avait disparu. A côté, Vernon reposa Triss sur ses pieds qui avait un chouilla meilleure mine maintenant que sa magie n'était plus active. Elle essuya le sang de son nez en jurant, le tout sous les regards des habitants et des travailleurs du comptoir, toujours sous la protection des arbalètes des soldats.

- Trop de magie d'un coup, c'est dangereux, assez pour tuer quelqu'un, commenta la magicienne.

- Tu as vu ça ? demanda Roche.

Ah, donc, lui aussi les avait vus, c'était une bonne chose.

- Oui, confirma Geralt au Commandant. Iorveth et le Tueur de roi. J'ignore qui est le troisième homme.

- Une sangsue, cracha Roche.

Il ne put dire rien de plus qu'un soldat vint les voir, maintenant que le danger était écarté.

- Vous allez bien ? Z'êtes qui ? demanda le garde.

- Je suis un sorceleur, répondit Geralt même si c'était évident.

Deux épées, cheveux blancs, yeux de chats et médaillon magique sur le poitrail. En effet. Assez évident.

- Emhyr var Emreis, marchand d'épices, annonça sérieusement Vernon.

Triss pinça les lèvres pour refouler le rire nerveux qui lui montait à la gorge et qui manqua de s'accentuer quand le garde ne réagit pas, se contentant de se faire confirmer que ce « Emhyr » était bien un commerçant.

- Dans l'épice, confirma Vernon avec une impassibilité à toute épreuve.

Le garde était-il stupide au point de ne pas avoir reconnu le nom que venait de sortir Vernon ? Bon sang, c'était celui de l'Empereur de Nilfgaard !

- Uh-huh… et la femme ? demanda le garde avec un air de poisson mort.

Triss ne s'embarrassa pas de chercher une histoire, elle décida de noyer le poisson :

- Mon bon seigneur, nous venons tout juste d'échapper à la mort… il nous serait fort aimable si vous pouviez nous indiquer un endroit où nous reposer. Nous nous expliquerons après un repos bien mérité.

Le garde haussa les épaules en rangeant son arbalète. Il se tourna vers l'artère terreuse et boueuse qui partait du port et menait vers des maisons basses et pauvres.

- Très bien. Alors, dirigez-vous vers la place du marché. Vous allez tout droit en suivant la grosse artère, puis vous tournez à gauche, vous pouvez pas vous tromper. Ou mieux, suivez la foule, vous arrivez juste à temps pour l'exécution. On pend des bons-à-riens… un nain et une sorte de barde. C'est sur la place que vous trouverez l'auberge, qui sert aussi de bordel.

L'air écœuré de Triss était impayable.

- Oh, un bordel, ça m'a l'air merveilleux. Merci mon brave.

Le garde haussa des épaules et s'éloigna. L'ouïe fine du sorceleur lui permit d'entendre que l'homme ne croyait pas du tout à l'histoire de Roche. Mais qui y croirait, de toute façon ?

- Donc, tu disais au sujet de l'individu avec Iorveth et le Tueur de roi ? s'enquit Triss alors qu'ils remontaient l'artère pour rejoindre la place du marché et se reposer.

Vernon jeta un œil autour d'eux et se dirigea vers un mur où des avis de recherches avaient été placardés. Il en arracha un et le mit sous le nez des deux autres.

- Thatch. Te fie pas à cette image, c'est un putain de vampire. Il se bat avec les Scoia'tael depuis la signature de la Paix de Cintra. Toujours avec Isengrim ou Iorveth. Si y'a bien un fils de putain que j'ai pas envie de croiser dans cette putain de forêt, c'est bien lui, cracha Vernon.

Geralt regarda l'image, se demandant où il avait déjà vu cet homme. Le dessin montrait un visage très maigre, très osseux. Le côté gauche du crâne était rasé, rabattant tous les cheveux sur la droite en une multitude de tresses décorées de perles. Un large arc de cercle dessiné pas loin de l'œil droit laissait supposer que l'homme avait une vilaine cicatrice.

Mais surtout, rien sur cet avis de recherche ne disait que c'était un vampire.

On devait être devant un vampire de la classe supérieur. Il n'y avait qu'eux possédait un don de polymorphie permettant de se faire passer pour des humains. Partiel pour les plus faibles, comme les Alpyres, ou plus prononcé pour ceux tout en haut de l'échelle, comme les ekimme et plus haut.

Ils continuèrent leur route, la prime jetée dans un coin de rue. Geralt remarqua néanmoins que l'on parlait de la pendaison. Et d'un espion. Quelque chose lui disait que l'homme de Roche s'était fait prendre. Ils passèrent une longue arche pour rejoindre la place du marché qui était noire de monde, tous réunis autour d'un échafaud. Quatre personnes et le bourreau étaient dessus. Quatre victimes d'une justice rapide. Ils parvinrent à se faire un chemin dans la foule pour arriver à proximité de l'échafaud, et ainsi, mieux voir les victimes en dépit de la foule assoiffée de sang. Sur la droite, c'était un couple d'elfes, pauvres, sales et effrayés. Sur la gauche, on avait…

Zoltan et Jaskier. Si le barde était toujours aussi flamboyant et coloré qu'à son habitude, Zoltan, lui, vu son manteau rapiécé, ne devait pas être dans la meilleure des formes.

Le bourreau se donnait littéralement en spectacle sur le sommet de l'échafaud.

- Zoltan… Jaskier… souffla Geralt.

- Mon informateur ! s'étrangla Roche.

- Merveilleux… soupira Triss en roulant des yeux.

- Quel est le plan ? demanda Vernon.

Geralt allait répondre quand son Haki se manifesta. Il porta une main à son glaive, mais des doigts se posèrent dessus, l'empêchant de dégainer.

- Shhh, calme, j'te veux pas d'mal, dit une voix à l'oreille du mutant.

Un murmure qu'il parvenait à entendre seulement grâce à ses sens.

- Geralt, c'est ça ? Tu veux libérer le nain et le barde, je me trompe ? Hoche la tête pour répondre.

Doucement, Geralt hocha la tête.

- Nos intérêts se rejoignent, moi, ce sont les deux elfes que je veux sauver. Alors, voici le deal. Tu fais diversion et je coupe les cordes. Je te demande juste de pas m'attaquer à vue, du moins, entre les murs du comptoir. Au moins que je puisse sauver les innocents. Si c'est bon pour toi, hoche de nouveau la tête.

Geralt inclina de nouveau la tête.

- Un plaisir de faire affaire avec toi.

La main se retira de son glaive et la présence s'éloigna. Le sorceleur la sentait passer entre les spectateurs. Il percevait même son odeur étrangement saline, le son de sa respiration et le bruit de ses pas, mais il n'arrivait pas à le voir.

Invisible.

Puis, l'aura disparut de son radar.

Bon sang, où était-il passé ?!

- Geralt ? appela de nouveau Roche.

- On improvise, lui dit le sorceleur en répondant enfin.

- Pas de mort.

Geralt hocha brièvement la tête, agitant légèrement sa demi-queue, avant de s'avancer un peu plus dans la foule. Il tendit juste un bras vers l'arrière pour empêcher Triss de le suivre.

- On va s'en charger, dit-il à la magicienne.

Et le Loup Blanc alla rejoindre Roche dans le premier rang. En le remarquant, Jaskier s'agita en dépit de la corde à son cou et de ses mains dans le dos, appelant son ami à l'aide. Mais ils ne purent s'approcher trop qu'un soldat les intercepta alors qu'ils étaient à présent au premier rang, entre une catin et un riche local.

- Recule, cheveux blancs.

Très bien, il fallait faire diversion, changer le cours des choses et l'attention de la foule qui avait soif de sang.

- Qu'est-ce qu'il se passe ici ? Pourquoi vous les pendez, ils n'ont pas l'air bien dangereux, s'informa Geralt.

- On les pend pour association avec les Ecureuils.

- Jaskier ? Un espion elfe ?

C'était le truc le plus stupide qu'il n'avait jamais entendu. D'accord, Jaskier était assez fin pour un homme standard, on pouvait confondre, mais depuis qu'il s'était laissé pousser la barbiche et coupé les cheveux, c'étaient moins flagrant.

- Le barde, on le pend pour débauche.

Cela coupa le sifflet du mutant pendant un instant. Qu'on associe ce terme au barde, il n'était pas surpris, vu la taille de son tableau de conquêtes, mais qu'on veuille le pendre pour ça ?

- Pardon ?

On devait lui faire une blague.

- La sentence a été décidée, il doit être pendu pour débauche !

Ah ben, merde alors, on était sérieux.

- Et on ne se moque pas de la sentence ! appuya le riche à la gauche de Geralt.

- Vous êtes sérieux ? s'enquit le sorceleur.

Il se tourna vaguement vers la foule pour regarder les civils amassés autour de l'échafaud, parlant assez fort pour que tout le monde l'entende :

- Ecoutez, tout le monde. Depuis quand avoir une forte libido est-il un crime dans le royaume libre de Temeria ? Sommes-nous au Nilfgaard ?

- Ta gueule ! lui cria le soldat.

Le mutant lui refit face et croisa les bras.

- Si tu te la boucles pas, monstre, je vais vite te recadrer ! Tu ruines le fun de tout le monde ici !

- C'est peut-être un monstre, mais il dit vrai, commenta un paysan. La débauche, c'est l'un de mes passe-temps favoris, et je veux pas qu'on me pende pour ça !

Le soldat secoua la tête, mais la catin avait son mot à dire :

- Monsieur le garde est passé une fois ou deux, mais il n'a pas eu l'air de trop s'amuser, dit la femme avec un sourire mutin.

- Casse-toi, Margot ! Retourne à ton bordel ! lui ordonna le soldat.

- Oh ! Je dois m'en aller ? D'accord. Mais écoutez tout le monde ! Il aime beaucoup parader, mais je peux vous assurer que sa verge n'est pas des plus vaillante ! Hah !

Cela fit rire pas mal les spectateurs.

- Arrêtez l'exécution, demanda Geralt.

- Ferme ta gueule ! Le chanteur doit être pendu et il sera pendu ! C'est un endroit respectable ici ! Si on exclut les putains et les sorceleurs !

- Surveille ta langue, le garde ! riposta un paysan. Je sais rien sur les sorceleurs, mais Margot est une femme décente !

- Bouclez-la tous ! Ou je ne réponds plus de mes actes !

- Il joue les gros durs, il montre qu'il a des couilles, mais vous en faîtes pas, tout le monde ! se moqua Margot. J'ai vu des moisissures sur elles !

Et elle se mit à rire.

Le soldat commençait clairement à perdre patience.

- C'est mon dernier avertissement Margot !

- Tu ne frapperas tout de même pas une femme, lui dit Geralt.

- Toi, t'es pas une femme !

Avant que le soldat ne puisse mettre à l'exécution ses menaces, un rire leur vint de l'échafaud.

Le vampire de l'avis de recherche y était, sans sa capuche. Par rapport au dessin, il était déjà moins squelettique et une mine bien moins féroce que sur le papier. Il avait une bouille amicale, même. Il avait des cheveux bruns roux et des yeux marrons tirant sur l'ambré. Sourire facile et petite barbiche. Une bonne tête. Si on excluait qu'il tenait le bourreau par la gorge, le soulevant facilement du sol sans même le regarder, il n'aurait pas donné l'air de pouvoir faire mal à une mouche.

- Quel fascinant spectacle, LaFleur. Je t'en prie, continue donc à essayer de te dépatouiller. D'ailleurs, puisqu'il semblerait que maintenant, la débauche soit un crime, j'annonce que j'en suis un fervent adepte !

Et négligemment, il jeta le bourreau droit sur le soldat au pied de l'échafaud avant de dégainer son sabre étrangement mince et fin. Il se dépêcha de couper les cordes alors que tout le monde se mettait à hurler devant sa présence et que les gardes réagissaient en fonçant à l'assaut.

Il poussa hors de l'échafaud Zoltan et Jaskier, ramassa les deux elfes pour les jeter sur ses épaules, avant de voir quelque chose derrière la foule.

- Loredo ! Tu m'excuseras de ne pas m'attarder ! Passe un bon souvenir à ta mère de ma part !

Et d'un bond, il sauta en l'air, juste à l'instant où les premiers gardes commençaient à l'atteindre, avant d'atterrir souplement sur la muraille qui séparait la ville de la forêt.

Un saut arrière, sans beaucoup d'élan et sans le moindre regard, le conduisant à franchir une telle distance. Impressionnant.

Un autre saut, et l'individu disparut dans les arbres avec les deux elfes. Déjà, les renforts dispersaient tout le monde en poussant sans ménagement les civils, laissant passer un autre soldat. Un homme rond, chauve et graisseux. Il portait une veste en cuir marron, avec des manches bouffantes orange et jaunes. Elle était ouverte sur une chemise de tissu blanc qui ne devait pas avoir été lavée depuis plusieurs mois. A son cou, une lourde chaîne en acier laissait pendre sur sa poitrine un médaillon du même matériel frappé des lys de Temeria. L'homme gueula à tout bout de champ qu'il voulait des explications, savoir pourquoi personne n'était intervenu pour arrêter le criminel et patati et patata. Geralt et Roche avaient déjà libéré Zoltan et Jaskier quand le nouveau venu envoya chier LaFleur qui bégayait depuis qu'il s'était pris le bourreau sur la tête.

- Toi, là ! Reste calme et sors pas ton arme ! ordonna le gradé en pointant un doigt ganté vers Geralt.

Il y avait assez de bordel comme ça, le blanc n'avait pas l'intention d'en rajouter en dégainant, même si Jaskier commençait à lui courir sur le haricot en se cachant derrière lui comme il le faisait. Le barde aurait pu faire comme Zoltan. Le nain avait levé les poings, prêt à vendre sa peau si on voulait lui remettre la corde au cou, mais non, le musicien préférait laisser le mutant se battre.

L'homme s'avança avec une étrange démarche dandinante vers le Loup Blanc qui se contenta de croiser les bras.

- Ici, soit on parle, soit on pend. Pour toi, qu'est-ce que ça sera ?

- La loi est de notre côté, lui pointa Geralt.

- C'est intéressant, parce qu'ici, à Flotsam, la loi, c'est moi, le Commandant Loredo !

Ah. D'accord, donc, c'était lui le chef de ce bordel. Pas très glorieux.

- Je suis pas d'accord, informa Vernon en s'avança. Je suis Vernon Roche, officier du Roi.

- Voyez-vous ça, commenta Loredo en regardant Roche des pieds à la tête. Les Stries Bleues, les chasseurs de non humains !

- Précisément. Quiconque soupçonné de collaborer avec les Scoia'tael tombe sous ma juridiction.

- Et c'est quoi le crime de Jaskier ? se renseigna le mutant.

- Il a brûlé une tour de garde ! Qu'est-ce qu'elle dit ta juridiction de ça ?

Vernon ne répondit rien.

- C'est bien ce que je me disais, commenta Loredo avant de revenir vers Geralt et Jaskier.

- C'est vrai ? se renseigna le mutant en regardant son ami par-dessus son épaule.

- Dis comme ça… mais je te jure que ce n'est pas ma faute ! se défendit le musicien.

- J'aurais préféré te donner une catin ou un voleur, mais ce putain de vampire s'est barré avec les deux !

De la main, Loredo montra là où auraient dû être les deux elfes à pendre.

- On peut commencer un nouveau spectacle, sanglant et sérieux cette fois, ou on peut arriver à un accord, continua Loreda.

- C'est-à-dire ?

Loredo se pencha vers Geralt, lui demandant juste une minute, avant de s'éloigner sur l'échafaud afin d'être vu et entendu de tout le monde, puis de se lancer dans un court discours :

- Écoutez-moi ! Vous avez dû entendre les rumeurs de ce qu'il s'est passé durant le siège du château de La Valette ! Malheureusement, elles sont vraies ! Le Roi Foltest est mort !

Cela eut le don de faire taire tout le monde.

- Il est fort probable que les Écureuils aient quelque chose à voir dans cette abominable affaire ! Aucun d'entre nous ne peut se sentir en sécurité ! C'est pour ça qu'aujourd'hui, des chariots d'armes circuleront dans la ville ! Je déclare l'état d'urgence ! Armez-vous et attendez les ordres pour venger votre défunt roi ! Maintenant dispersez-vous et rentrez chez vous !

C'est ce que tout le monde fit.

Geralt avait envie de vomir devant ce cinéma. Pour lui, c'était le meilleur moyen de préparer un pogrom contre les non-humains. Un Rivia bis. C'était comme si Loredo avait dit que les elfes et les nains qui vivaient dans la ville étaient les coupables de la mort de Foltest. L'affaire était peut-être réglée ici, mais les deux amis de Geralt n'étaient pas pour autant tirés d'affaire. C'est pour cela que Loredo donna rendez-vous dans la soirée à sa résidence pour en discuter.

- Ah et une dernière chose. Bienvenu à Flotsam sorceleur !

Et ce fut sur ces mots que l'homme s'en alla.

Pour le coup, plus personne n'était intéressé par une pendaison.

Les choses s'étaient calmées, le mutant pouvait s'intéresser à ce qu'il s'était passé auprès de Jaskier et Zoltan. Et pour Jaskier, c'était une cascade d'excuse et de trouille. Apparemment, il avait bel et bien mis le feu à une tour de garde par « accident ». Où était le rapport avec la débauche dans tout ça ? Allez savoir.

- On t'en doit une, Geralt, soupira Zoltan bien moins traumatisé que le barde par cette expérience désagréable. Allez, allons à la taverne. Viens Jaskier, tu as besoin d'un remontant, et pendant qu'on y est, je te raconterai une sympathique histoire sur l'hypocrisie locale, qui cache le vice sous un couche de courtoisie… sauf que rien ne peut masquer l'odeur.

Les deux ex-condamnés à mort entrèrent dans la taverne, suivis par Roche. Geralt voulut leur emboîter le pas, mais Triss l'arrêta un instant, faisant un vague geste vers les immenses arbres au dehors.

- Je n'ai rien dit, tant que Roche était là, mais j'ai déjà vu cet homme par le passé.

- Quand ? s'enquit le Loup Blanc.

- A Sodden. Il était avec un autre homme qu'il disait être son frère. Un certain Marco.

- Ce n'est pas le nom du meilleur médecin du Nord ?

- Le même homme, avant que ses prouesses médicales ne se répandent. A eux deux, ils m'ont certainement sauvé la vie. Sans eux, le fait qu'on dise que je suis la Quatorzième de Sodden n'aurait pas été un titre, mais une réalité.

- Et pourquoi tu me dis ça maintenant ?

- Cela m'avait frappé la première fois, mais sans plus, mais là, ça vient de prendre un tout autre sens. Tu as entendu son accent ?

Le Loup Blanc n'y avait pas vraiment fait attention, mais en y repensant, il devait admettre que l'accent était tout à fait exotique à ses oreilles. Et pourtant tout à fait familier.

- Ace, comprit le mutant.

- Exactement. Le même accent que Portgas. A défaut de se connaître, il est probable qu'ils viennent du même monde.

- Durant la fête que Shani a organisée, Ace a porté un toast à un certain Thatch, se remémora le Loup.

Triss fronça les sourcils en se rappelant de son ancienne rivale, mais ne s'attarda pas sur la jeune femme-médecin (qui n'était plus dans l'équation de toute façon) pour se concentrer sur l'essentiel.

- Tu penses qu'il s'agit de la même personne ?

- Disons que les coïncidences s'entassent. Il était à Sodden, peut-être, mais il était aussi à Brenna. Assez longtemps pour que Shani apprenne qu'il était amnésique.

- Donc, s'ils se connaissent, seul Portgas a la réponse.

La magicienne esquissa un maigre sourire.

- Ce n'est pas le genre de chose à faire remonter aux Stries Bleues. Espérons que Portgas ne débarque pas pendant que Roche sera ici.

Geralt était d'accord. Après, on se rappelait de la femme, de l'Incendiaire de Rivia. On ne ferait peut-être pas de rapprochement avec l'homme. Ils entrèrent donc dans la taverne, trouvant Zoltan attablé dans un coin, seul, à boire son verre.

- Où est Jaskier ? s'enquit le mutant.

- En train de parler à Roche dans une pièce à part, commenta le nain avec un geste évasif et blasé.

Les deux nouveaux venus s'assirent et ce cher Chivay salua Triss en levant un verre pour elle :

- Triss Merigold, toujours aussi renversante ! Même si je te trouve un peu pâlotte.

- Le prix de la magie, mais ça ira, rassura la femme avec un beau sourire. Heureuse de te revoir, toi et ta barbe, Zoltan Chivay.

- Est-ce que… commença Geralt.

BAM !

La porte opposée à celle par laquelle ils étaient entrés s'ouvrit, dévoilant le port. Un villageois en culotte courte se tenait dans l'embrasure, haletant et effrayé.

Derrière, on entendait une cloche qui sonnait une alerte.

- Sauvez-vous ! La bête attaque ! hurla le pauvre pêcheur.

Tout le monde se leva de son siège et les villageois prirent la fuite, laissant Geralt face à face avec la porte grande ouverte. Pas longtemps, parce que Triss monta à son niveau.

- Quelqu'un lance des sorts, on devrait aller voir ce qu'il se passe.

Le duo sortit donc.

Dehors, des tentacules grands comme une église s'agitaient dans l'eau, près des embarcadères, détruisant les barques à proximité et laissant une multitude de poissons morts en surface. L'apparence rugueuse des tentacules dirent à Geralt qu'il n'était pas question d'un zheugl qui se serait perdu dans les environs. L'un des tentacules attaqua un pauvre homme, l'entraînant sous l'eau avec lui, sans que personne n'ose aller à son secours, par peur de se prendre un mauvais coup. La créature allait revenir pour un second service quand une femme apparut sur le ponton, une aura bleu électrique l'enveloppant entièrement. Elle brandit ses mains vers le tentacule, l'électrocutant assez pour le faire retourner dans l'eau. Elle resta immobile un instant à surveiller l'eau, pour voir si le monstre allait revenir, avant de se détourner.

Même si les teintes étaient sombres, la coupe riche dans un tissu certainement cher détonnait clairement avec la pauvreté du comptoir. La brune avait un intéressant tatouage sous la gorge, un grand cercle, certainement runique, bien que le sorceleur n'y connaisse rien pour le confirmer ou non. Avec un très léger déhanché, elle vint vers eux, son aura s'évanouissant immédiatement.

Elle n'eut pas le temps de dire quoi que ce soit que les villageois l'accostèrent.

- Vous êtes quel genre de magicienne ? Vous en avez fait du bien pourtant ! Pourquoi vous l'avez pas aidé ! demanda un des villageois en montrant l'eau de la main pour signifier qu'il parlait du malheureux que la créature avait embarqué sur son passage.

La magicienne aux cheveux sombres les regarda sans la moindre expression, comme s'ils étaient indignes de son attention.

- Il finira bien par remonter, se contenta-t-elle de répondre.

- La bête l'a embarqué sous l'eau pendant que vous êtes restée là à regarder comme une vache à moitié morte !

- Surveille tes paroles ! s'agaça la femme.

Tout le monde se tourna vers Geralt et Triss quand ils arrivèrent enfin à leur niveau.

- D'où vient la bête ? s'enquit le mutant.

- Demandez-lui ! répliqua le villageois en montrant la brune.

La brune leva un bref sourcil en voyant le Loup Blanc.

- Geralt ?

- J'en conclus qu'on se connait déjà, supposa le mutant amnésique.

On va passer sur les commentaires de la galerie. Vraiment.

- Disons simplement que j'ai entendu parler de toi, se contenta de répondre vaguement la magicienne.

Le mutant se tourna vers le bord alors que le pêcheur s'indignait de nouveau :

- Maître Sorceleur ! C'est stupide ce que vous faîtes ! Ce truc a embarqué Sosek dans les profondeurs et vous êtes là à papoter avec la mamzelle !

Pour toute réponse, Geralt s'accroupit, son regard braqué sur l'eau trouble dans laquelle il plongea sa main gantée. Il ne la laissa pas longtemps. Seulement, en la retirant, le villageois manquant se retrouvait au bout, tenu par le col. Le mutant l'allongea sur le bois du ponton alors que quelqu'un d'autre sortait à la suite de la victime.

Yeux d'argent aux pupilles de chat ? Check.

Tâches de rousseur ? Check.

Cheveux noirs en dreads avec des plumes ? Check.

Médaillon de chat en métal sur la gorge ? Check.

- Pousse-toi, Geralt, demanda Ace en se hissant sur le ponton, dégoulinant d'eau.

Le Loup Blanc laissa la place au Chat Noir qui se pencha immédiatement sur l'homme inconscient. Il appuya vigoureusement sur sa poitrine à l'aide de ses deux mains, marmonnant quelque chose dans ce qui devait être sa langue d'origine, avant de se pencher vers le crâne et… de l'embrasser ?

- Mais vous faîtes quoi là ! s'indigna le villageois.

- Du bouche à bouche. Je force son corps à réagir pour qu'il recrache l'eau qu'il aurait pu avaler, tout en lui envoyant de l'air directement dans la gorge, répondit le D. sans se déconcentrer de ce qu'il faisait. C'est ce qu'on appelle la Réanimation Cardiopulmonaire ou CPR.

Et nouvelle dose de bouche à bouche, avant de recommencer un troisième tour.

Cette fois, il y eut une réaction. L'homme toussa, recrachant un peu d'eau. Immédiatement, Ace le tourna sur le côté, lui frottant le dos le temps qu'il recrache toute l'eau.

- Vous avez un guérisseur en ville ? demanda le D. en regardant les locaux.

- Y'a bien Anezka, elle est herboriste, répondit un homme.

- Ça devrait faire l'affaire.

Le mutant leva le nez vers les deux magiciennes.

- Vous pouvez lui sécher ses vêtements et s'assurer qu'ils restent chauds ? Il ne faut pas qu'il reste dans le froid et que sa température baisse.

Triss s'accroupit et murmura quelques mots en passant une main au-dessus de l'homme qui toussait toujours de l'eau. Ses vêtements se séchèrent immédiatement et émirent même une faible chaleur.

- Je pense que vous pouvez récupérer votre camarade, leur dit Geralt. Conduisez-le auprès de l'herboriste, il aura certainement besoin d'elle.

- Il faut le transporter à plat et la tête sur le côté, la bouche un maximum inclinée vers le bas, que l'eau puisse sortir, recommanda le pirate.

- Merci mon gars, remercièrent les villageois.

Les villageois récupèrent leur blessé et s'en allèrent. Ace se tourna vers Geralt, comme pour lui dire quelque chose, mais un nouveau venu, certainement un homme de pouvoir, débarqua. Pourquoi de pouvoir ? Parce qu'il avait une plume et un encrier attaché autour du cou, ce qui voulait dire qu'il savait écrire et qu'il avait les moyens de se payer une éducation, et ensuite, il était assez richement vêtu.

Son regard sur eux était calculateur.

- Je m'excuse d'interrompre, mais je suis Louis Merse et c'est moi qui me charge de tout ce qui est tâches administratives relatives à la chasse aux monstres de Flotsam.

Ace retira son armure de cuir en l'ignorant royalement. Comprenant son idée, Geralt lui prit le vêtement des mains, permettant à son camarade de retirer la chemise blanche qu'il avait en dessous et de l'essorer. Merse jeta un regarda un peu circonspect au D., mais continua son discours :

- C'est donc en cette qualité que je viens m'enquérir si vous souhaitez essayer de résoudre le problème de ce qui est apparemment un kayran, la bête qui bloque tout le trafic de cette rivière.

- Eh bien, sorceleurs, cela vous intéresse ? demanda la brune.

- Du tout. Je suis que de passage ! informa Ace. Je peux te laisser ma chemise, Geralt, je dois aller chercher ma barque et mes affaires, et comme je viens de l'essorer…

Sans un mot, le Loup Blanc récupéra le vêtement et d'un salto arrière, le D. replongea dans l'eau. Il refit rapidement surface et nagea agilement vers une barque à l'abandon un peu plus loin. Geralt ne s'en occupa pas, se reconcentrant sur la femme dans son dos, sans pour autant se retourner pour la regarder en face.

- Je ne vois pas en quoi ça vous intéresse. Soit je travaille seul, soit c'est avec un autre sorceleur, dt le Loup Blanc.

- Mais j'étais là d'abord, et je n'ai pas l'intention de céder ce contrat, informa la magicienne en croisant ses bras d'un air buté. C'est avec ou sans moi, comme disent les locaux.

Geralt se retint de lever les yeux au ciel.

- Je vais y réfléchir.

- Si vous décidez de prendre le contrat, mettez-vous d'accord et informez-moi de la suite. Madame de Tancarville a déjà commencé quelques négociations avec les marchands locaux, au sujet de la récompense…

- C'est exact, confirma froidement la brune.

- Dans ce cas, j'espère avoir rapidement un mot définitif sur cette affaire. Je vous souhaite une agréable journée.

Et il tourna les talons, disparaissant derrière les murailles de la ville.

- Maaa, même Lambert qui se lève du mauvais pied et avec une gueule de bois est plus chaleureux que ce type, commenta Ace en revenant sur le ponton pour y attacher une barque contenant tout son fatras.

- J'ai tendance à être plutôt d'accord avec la description, accorda Triss.

La brune se tourna vers l'ancienne conseillère de Foltest, l'engueulant presque :

- Triss, dois-je attendre encore longtemps pour que tu fasses les présentations ?

La voix de la rousse disait clairement que cela lui coûtait un bras de la faire, mais elle s'y plia :

- Messieurs, voici Sheala de Tancarville, conseillère de la reine Zulika de Kovir.

- Et quel est le nom de monsieur ? demanda Sheala en regardant Ace qui se rhabillait.

- Hiken me va très bien, répondit laconiquement le D.

- Kovir est bien loin au nord par rapport à ici, commenta Geralt en attirant de nouveau l'attention de la brune sur lui.

- Exact. J'avais des doutes sur l'intérêt de ce voyage pour voir ce kayran, mais ce que nous avons vu aujourd'hui m'a prouvé que j'ai bien fait de me déplacer.

- Vous êtes venue pour trouver quelques ingrédients ? demanda Triss avec un ton à la fois soupçonneux, froid et accusateur.

Ace se détourna des sangles de son armure pour regarder la rousse qui foudroyait sa collègue du regard. Le D. leva les yeux vers Geralt qui haussa les épaules pour toute réponse.

- Triss Merigold de Maribor. Toujours aussi brillante, commenta Sheala avec sarcasme.

- La réponse est donc… ? s'enquit le Loup Blanc.

- Yeux de trolls, venin de goules, sang de vierges, cita la brune. Toutes ces choses dégoûtantes que l'on prend de ces espèces en voie de disparition… que l'on jette ensuite dans nos chaudrons pour les sabbats. N'est-ce pas Triss ?

- C'est tout à fait exact, les vierges se font rares, confirma la rousse.

- Tout autant que le venin de goules, commenta Ace. Oh ! Suis-je bête, les goules n'ont pas de venin. Elles provoquent l'empoisonnement par les bactéries qu'elles propagent suite à leur régime nécrophage.

Il termina de refermer son haut et adressa un sourire froid et moqueur à Sheala.

- Oh, j'oubliais qu'en plus d'être en présence du légendaire sens de l'humour de Triss, nous avions des experts en monstres, se moqua presque la brune. Dites-moi messieurs, vous avez vu ces tentacules, qu'en pensez-vous ?

Les deux mutants se regardèrent et Geralt sembla imager une taille en écartant les mains. Ace fronça les sourcils et fit le même geste, mais avec un diamètre plus petit, ce à quoi le Loup Blanc secoua la tête et agita une fois ses mains pour insister sur son idée, avant de répondre à la magicienne du Kovir :

- La bête m'a tout l'air énorme. Elle a certainement vécu dans l'un des affluant du Pontar, en chassant de petits animaux.

- Mais cette taille est anormale pour une créature de cette espèce, donc, clairement, quelque chose l'a fait grossir pour avoir ce diamètre, ce qui a influencé son appétit, enchaina Ace en prenant son sac dans sa barque.

- Il s'est donc mis à la echerche de nouveaux pâturages pour satisfaire son nouvel estomac, reprit le blanc.

- Et sur le Pontar, il a trouvé des barges pleines de marchands lents et obèses. Mais vous avez partiellement raison, apparemment. Cédric affirme qu'il a émergé des marais du nord il y a environ un mois, confirma la magicienne du Kovir.

- Cédric ? répéta Geralt.

- Un elfe. Un ancien Scoia'tael. Un drôle d'oiseau, mais il sait beaucoup sur les environs et sur ce qui y vit.

- Cool, je cherche justement ce genre de gars, nota le D. en attrapant le bisentô qu'il cachait de sa cape.

- De mon côté, j'ai une enquête à faire avant de décider si oui ou non, je veux participer à la chasse de ce monstre, annonça Geralt.

- Je vois, une enquête, un rituel de sorceleur, je présume. Extraction de secrets et ce genre de chose… commenta la magicienne du Kovir.

- Plus ou moins. Je vais voir ce que je trouve et je vous tiens au courant.

- Vous me trouverez à l'auberge. J'y loue une chambre, à l'étage.

- Tu sais que c'est aussi un bordel ? s'enquit Triss avec un amusement malsain.

- Merci pour l'avertissement.

Sheala esquissa un sourire hypocrite juste une micro seconde et s'en alla.

Les trois autres la regardèrent partir, et ce fut Geralt qui brisa le silence :

- J'aurais tendance à dire que la comparaison de tout à l'heure lui est plus appropriée à elle qu'à ce Merse, nota Geralt.

Ace eut un reniflement narquois en récupérant la caisse de sa guitare dans sa barque.

- Qu'est-ce qui t'amène par ici ? s'enquit Geralt en regardant son collègue.

- Je cherche quelqu'un.

Le D. cligna des yeux en voyant le papier que Triss mit sous son nez.

- Lui, par hasard ? demanda la magicienne.

Elle déplia l'affiche pour lui montrer le visage du vampire, faisant froncer les sourcils du brun.

- Je te jure que si tu as fouillé dans mon esprit, je… menaça le Chat Noir.

- Je n'ai rien fouillé du tout, ton esprit est protégé, je l'ai appris à Wyzima à mes dépends. Pour ceci, j'ai fait des additions. Nous devrions parler à l'intérieur.

Et elle s'en alla devant pour rejoindre l'auberge, laissant les deux mutants derrière. Geralt n'avait pas besoin de regarder son camarade pour le sentir bouillonner de colère à côté de lui.

- On l'a vu à l'instant, informa le Loup Blanc. C'est le fait que vous ayez le même accent qui a marqué Triss. Elle l'a déjà rencontré durant la bataille du Mont Sodden. Avec possiblement ton époux.

Le brun ne répondit rien, mais la façon dont il resserra sa prise sur la poignée de la caisse de son instrument voulait tout dire.

- Et il est très fort probable que ce soit le même homme que Shani ait rencontré à Brenna.

- Le vampire amnésique, souffla le D. en se rappelant de la discussion.

- Hmhm.

Ace soupira silencieusement et prit la route vers l'auberge un peu plus haut en suivant Geralt, réfléchissant clairement à la suite. Ils pénétrèrent dans le bâtiment miteux. Le D. remarqua immédiatement la présence de Zoltan et de Jaskier qui s'asseyait à la table du nain où Triss se mettait à son tour.

- Voyez qui voilà ! Si c'est pas notre ami Ace ! Qu'est-ce qui t'amène dans ce trou paumé ? Viens boire avec nous ! interpella Zoltan en voyant le brun.

Le Chat Noir regarda son fatras, soupira, puis alla s'asseoir. Il pouvait toujours se prendre une chambre plus tard. Il suivit donc le Loup Blanc jusqu'à la table et s'y assit presque lourdement en posant ses affaires. Jaskier le regarda faire, immobile, presque paralysé.

- Un souci, le barde ? demanda d'un air blasé le D.

- Le physique, peut-être ? proposa plaisamment Triss alors qu'on leur servait des vodkas.

Le brun se contenta de demander une chambre à l'aubergiste qui les servit. Quelques pièces en plus finirent dans la main de l'homme graisseux qui revint quelques instants plus tard avec une clef et une indication pour qu'Ace puisse trouver sa chambre. Ceci fait, le Chat Noir se retourna vers la table où Jaskier attendait apparemment des explications.

- Eilhart, se contenta de répondre le pirate. Tout se résume à Eilhart et ses penchants. Et sa magie.

- Oh… oh. D'accoooooord.

Quand on parlait de magicienne, tout était possible.

- Donc, si j'entends de nouveau le nom de Anabela, je fais un meurtre. Capiche ?

- Limpide, assura Zoltan. Et le Portgas ?

- Portgas D. Ace est le nom que j'ai toujours porté.

Et sans un mot de plus, le D. ouvrit son sac, fouilla dedans avant d'en sortir une petite boîte en bois que Geralt avait déjà vu pendant l'affaire de la Salamandre sans jamais y faire grand cas.

- Je pense que plus rien ne nous embêtera à présent, donc, je vais pouvoir comprendre ce que vous faîtes à Flotsam, alors que vous étiez partis il y a un mois préparer le mariage de Zoltan, dit clairement Geralt à ses deux vieux amis.

- Ce que je sais des nains me fait dire que ça s'est mal passé, sinon, Zoltan serait encore en pleine lune de miel à s'assurer d'avoir sous peu une ribambelle de mômes, commenta Ace.

Il regardait sa boite avec un air presque dégoûté, avant de prendre une fiole dedans contenant un liquide clair tirant légèrement sur le vert qu'il avala cul sec avant de ranger l'objet désormais vide dans la boîte. Geralt remarqua clairement les veines du visage de son camarade noircir pendant un instant, l'informant de la toxicité du liquide qui venait d'être consommé. Liquide qui ne ressemblait pourtant pas à un élixir. Sans demander l'autorisation, il fit tourner la boîte vers lui pour l'ouvrir afin d'en examiner le contenu.

Pendant ce temps, Zoltan répondait à son camarade :

- Tout est foutu. Y'a plus de mariage.

- J'ai entendu, au sujet de Foltest, attaqua Jaskier en baissant la voix. La rumeur va plus vite que le vent.

- Le vent et les rumeurs… Arrgh ! Je veux la vérité ! insista Zoltan.

- Moi je veux savoir comment est mort Foltest ! Et est-ce qu'il y avait vraiment un dragon et un phénix durant l'assaut ? Et qui dirige Temeria à présent ? renchérit le barde.

- Nani ? Nani ? coupa Ace. Je suis pas très aux faits de ce qu'il se passe en ce moment. Foltest est mort ?

- Pour quelqu'un qui en sait plus qu'il ne le devrait, étonnant que tu ne saches pas ce que le dernier crétin sait déjà, se moqua Triss.

- J'avais autre chose dans le crâne, tu m'excuseras.

- Foltest est mort après l'assaut du château La Valette, expliqua Geralt. D'ailleurs, j'ai un message pour toi de la part de Aryan.

- Tu connais personnellement Aryan La Valette pour qu'il te laisse spécifiquement un message ? s'étonna Jaskier.

Une grimace apparut sur le visage du D. pendant que Geralt débouchait l'une des fioles encore pleines dans la boîte pour en sentir le contenu.

- Je lui ai sauvé la vie il y a bien dix ans en arrière… à moins que ce soit moins ? Je sais plus trop. Vu l'état de ses blessures, j'ai pensé qu'il délirait pas mal quand il a commencé à me faire des déclarations d'amour à son réveil. Il voulait m'épouser pour rembourser la dette qu'il avait à mon égard. J'ai refusé, mais on est resté en contact.

- Assez pour que tu lui fasses une promesse qu'il te demande de tenir aujourd'hui, pointa Geralt. Il m'a demandé aussi de te dire qu'il était sincère à ton sujet et pensait vraiment ce qu'il t'avait dit.

Le visage du D. se ferma lentement. Il se tourna vers Geralt, l'air froid.

- Il est arrivé quelque chose à Anaïs et Bussy ? demanda d'un ton assassin le pirate.

- Aucune idée, mais en quoi ça t'intéresse ? lui dit Triss.

- Anaïs est mon Enfant Surprise.

Gros silence.

Très gros silence.

- Comment as-tu réussi à te retrouver avec l'un des enfants illégitimes de Foltest comme Enfant Surprise ? demanda à voix basse Jaskier comme s'il avait du mal à y croire.

- On doit reparler de Geralt et Ciri ? Ou peut-être du cas de Eskel ? s'enquit le Chat avec lassitude.

- Il t'a eu, pointa Zoltan avec un sourire pour son ami.

Il leva sa choppe à l'attention d'Ace et en but une belle rasade.

- On sait tous comment se formule le Droit de Surprise, n'est-ce pas ? expliqua le brun. « Je prendrais ce que tu possèdes déjà mais dont tu ignores encore l'existence », c'est la formule que j'ai utilisé pour ce cas. Je l'ai accepté parce que je me pensais en sécurité de l'éventualité de me retrouver avec un gosse sur les bras. Aryan était encore jeune, il n'avait aucune promise, ni même amante. Aucune chance qu'il se retrouve père. Sauf qu'en rentrant chez lui, il a découvert qu'il était grand-frère. Anaïs La Valette est donc, techniquement parlant, mon Enfant Surprise. Quand je suis retourné cinq ans après à la Baronnie de La Valette, je m'attendais à ce qu'il soit peut-être question d'une bonne récolte, de nouvelles armes ou même une portée de chiots. C'est la Baronne qui m'a reçu et m'a expliqué qu'il s'agissait en fait d'un enfant. J'ai accepté d'y renoncer, à la seule condition que je puisse avoir le droit d'apprendre le maniement des armes à la gamine, qu'elle ne devienne pas une pauvre petite femme condamnée à hocher la tête pour tout ce que disait son époux et puisse avoir toutes les cartes en main pour son avenir. Cela a été accepté. Comme il s'agissait tout de même d'un des héritiers du trône de Temeria, je pouvais m'attendre à ce qu'un jour ou l'autre, on s'en prenne à l'enfant. Donc, j'ai promis que si ça tournait au vinaigre, de prendre la fillette avec moi et de la protéger.

- C'est quelque chose à dire à Roche, non ? pointa Zoltan.

- Surtout pas. Je suis un Chat, Zoltan. Et on échappe pas à la mauvaise réputation de notre école. Mon changement d'apparence me sert très bien dans le cas présent.

Ace tira de son sac une lettre qu'il tendit à la table. Triss l'attrapa et l'ouvrit pour la lire :

- « Portgas, c'est fini. Des soldats ont pris l'école. Oui, je sais ce que tu penses de la caravane, et pourtant, c'est arrivé. Axel a été tué, tout comme Cédric. Pour ce qui est Schrödinger, je pense que tu dois être bien la seule à savoir, parce que personne n'est certain de s'il est en vie ou non, navré de te décevoir. Des primes ont commencé à apparaître, d'abord avec ma tête et celle de Gaëtan, mais d'autres devraient suivre. Évite les villes et les grandes routes. Fais jouer ton amitié avec les Loups et reste en vie. Joël » Ow, c'est pas bon.

- Je pensais que Brehen était la cause du merdier, faisant que Henselt aurait décidé d'en finir avec nous… mais apparemment, Foltest est mort, donc, je me demande si ce n'est pas lié.

Triss rendit la lettre à Ace qui la replia pour la ranger.

- Il n'est pas à exclure que l'assassin de Foltest soit un Chat. On connaît la réputation de l'école, pointa la rousse.

- Personnellement, je voudrais savoir ce qu'il s'est passé avec le mariage de Zoltan. Qu'est-ce que c'est ? demanda Geralt.

Il agita une des fioles de Portgas.

- Prescription pour contrer les effets néfastes de mes mutations. Je dois en refaire. La formule est trop complexe, et pas doué comme je suis, je préfère demander à un spécialiste de les faire pour moi. Donc, ce mariage. Qu'est-ce qui a foiré ?

Un rire sans joie s'échappa de la gorge du nain avant qu'il boive une gorgée de vodka pour commencer son récit :

- Les Breckenriggs ont brisé l'engagement, parce qu'un abruti est allé raconter que j'avais rejoint la révolte de Wyzima.

Zoltan ? Dans la révolte ? Bien au contraire, il avait aidé à rassembler les blessés et les non-combattants pour les mettre à l'abri.

- Mon ex-futur-beau-père ne voulait pas d'une graine rebelle dans la famille… Aubergiste ! Je veux une autre vodka !

- Voilà comment ça s'est passé, raconta Jaskier alors qu'on les servait à nouveau. On est arrivé à Mahakam une semaine après la mort du Grand Maître. On a acheté pour Zoltan une tenue parfaite pour le mariage et la rencontre avec ses beaux-parents, et un cadeau pour Eudora, une pierre de jaspe grosse comme mon poing.

Pour imager le propos, il leva son poing fermé.

- On n'avait plus un rond avant même que Jaskier et moi n'arrivions au bordel où il avait organisé mon enterrement de vie de garçon, continua Zoltan d'une voix morne.

- Le jour suivant, on est allé chez les Breckenriggs, reprit Jaskier. Ils nous ont accueillis, on s'est assis et on a commencé par parler de la supériorité du savoir-faire minier de Mahakam sur les autres. Cela a continué jusqu'au dîner. Quand je pensais que j'avais appris en quelques heures plus que je ne l'aurais désiré sur l'exploitation minière, on nous a servi de la soupe.

- Tu aurais pu entendre une mouche voler, dit gravement Zoltan. Le vieux Breckenrigg s'est levé et a dit : « un vrai nain travaille à mine, et ne cherche pas la gloire sur le champ de bataille ».

Les sourcils d'Ace se levèrent si haut qu'ils disparurent dans ses cheveux.

- Vous ne le croirez jamais, mais ils nous ont servi de la soupe de sang de canard ! raconta Jaskier avec horreur. Noire comme du charbon, ils ont surement dû en jeter un bon gros morceau dedans.

- « Mangeons » qu'il a dit le vieux. Et ensuite, il a englouti deux bols de cette soupe de dégoutante… cette vieille merde… j'espère que sa mine bien aimée s'effondrera sur son crâne !

- De la soupe de canard ? Mes pauvres, c'est juste cruel… souffla le D. d'un air scandalisé.

- Tu exagères, lui dit Triss.

- Tu rigoles ? Avant mon passage chez les Chats, j'avais un estomac sans fond, je pouvais dévorer les réserves d'une armée entière et avoir encore faim, lui raconta le Chat Noir. Tu sais comment Schrödinger m'a guéri de ça ? En me donnant de la soupe de sang de canard. Ce truc est tellement dégueulasse que j'ai dû apprendre à bouffer moins pour échapper à cette abomination. Mes repas, c'étaient la bouillie d'herbes et de mousses que l'on donne durant le Choix, et ça. Et même si je sais que mon petit-frère a le même souci, je suis pas assez cruel pour lui infliger ça. Pourtant, Davy Jones sait que je lui en fais subir des conneries.

- Conclusion, Loredo a raison ou pas ? Tu es avec les Scoia'tael ou pas, Zoltan ? demanda Geralt.

- J'ai fait beaucoup de choses dans ma vie, Geralt, mais je ne suis jamais tombé à quelque chose d'aussi bas que le banditisme, se défendit le nain.

- De leur point de vue, les Scoia'tael ne se voient pas comme des bandits.

- Mais je ne suis pas un Scoia'tael.

Il valait mieux laisser l'affaire là .

Sujet suivant.

- Depuis quand tu travailles pour Roche, Jaskier ?

- Hey ! Personne n'est venu te faire des reproches quand tu as voulu sauver Temeria du Grand Maître et de ses mutants avec Portgas-ci présent.

Ace reprit sa boîte des mains de Geralt et la rangea dans son gros sac de voyage, attendant tout de même la suite de la conversation.

- Du calme, Jaskier. Je demande juste. Fais ce que tu veux, tu es adulte… plus ou moins.

- Plus près du moins que du plus, toussota Ace dans son poing.

Cela fit rire aux éclats le Zoltan si morose.

- C'est pas très sympathique, leur dit Triss.

Ace hausa les épaules.

- Riez, riez…au moins, j'ai décidé de faire quelque chose de constructif, se défendit le barde avec une moue.

- Tu as été un espion pour la Redania, maintenant, tu espionnes pour la Temeria. Certains pourraient te considérer comme un traître, avertit le blanc.

- Les traîtres finissent généralement avec une corde autour du cou, non ? C'est pas à faire, nota l'autre mutant.

Tout le monde regarda Ace de travers.

- Qu'est-ce que j'ai dit ? s'enquit le brun.

- En attendant, vous avez déjà essayé l'un et l'autre de vivre de poésie ? demanda le barde.

Les deux mutants offrirent un regard au poète. Ils étaient des sorceleurs, pas des artistes.

- Ne répondez pas à cette question. La vérité est que je suis un citoyen du monde. Du moment que je ne sers pas l'empereur Emhyr, je ne fais rien de mal.

Ace se contenta d'un reniflement narquois mais ne dit rien de plus.

- Laissez-le, recommanda Zoltan d'un air las. Il va jouer les espions un moment, puis il va se lasser, et abandonner. Tu le connais Geralt, tu sais comment il est.

- Je veux bien admettre, pour son crédit, qu'il est tout de même ingénieux. Et intelligent. Peu de personnes auraient survécu aussi longtemps que lui en mettant le nez constamment dans les affaires politiques, accorda le pirate.

Tout le monde regarda le D. comme s'il avait deux têtes.

- Serais-tu en train de me faire un compliment ? demanda Jaskier comme s'il n'en croyait pas ses oreilles.

- Tu sais pas te battre, pourtant, tu te mets constamment dans la merde. Même sans Geralt, tu as réussi à survivre assez bien. Et c'est certainement pas en chantant Jette un sou au sorceleur que tu as réussi à t'en sortir. Donc, je t'accorde au moins ça.

- Je… je… je suis mort, c'est ça ? se fit confirmer le barde. Ou alors, tu es en plein délire hallucinatoire.

- Je viens de prendre ma prescription, donc, non, je n'hallucine pas. Pour ce qui est de ta mort, ça peut toujours s'arranger.

- Et si on pouvait revenir au sujet ? demande Triss en essayant de masquer son amusement.

- Il reste l'affaire du dragon… et du phénix, dit Zoltan.

Et tous les regards se tournèrent vers Ace qui leva un sourcil. On savait très bien comment il avait lâché en plein milieu d'un petit repas entre amis qu'il avait passé la bague au doigt à un phénix justement.

- Avant toute chose, j'aimerais savoir si tu peux traduire quelque chose qu'on m'a dit, pendant le siège du château, demanda Geralt. Et j'espère que tu me pardonneras l'accent.

Le pirate eut un geste de la main pour dire qu'il attendait.

- Onigo sho yo.

Le recoin de la bouche du pirate se releva un chouilla.

- Tu peux me décrire qui t'a dit ça ? demanda plaisamment le brun.

- Non, l'homme portait une cape. Je peux juste dire qu'il avait un bouc blond.

Le sourire du brun prit une tournure presque fière, avec un brin de compassion.

- Dis-moi, le phénix que tu as vu, il avait pas des marques étranges ? Genre des formes autour des yeux qui ressemblent à des lunettes et une sorte de croix sur le poitrail avec un arc de cercle tourné vers le haut ?

Il dessina le symbole de son doigt sur la table.

- C'est ton homme ? devina Zoltan avec amusement.

- Oh yeeeah… Ce que Marco faisait là-bas, et avec un dragon, je peux pas le dire, mais c'est clairement lui. Qu'est-ce qu'ils ont fait ?

- Outre raser pratiquement la ville ? Ils ont failli changer le cours du siège. Ils sont venus, ils ont foutu le bordel et ils sont repartis. Une raison particulière de choisir ce camp ? demanda Triss.

- Ça fait plus de quarante ans que je l'ai pas vu, je peux certainement pas te dire comment ou pourquoi il en est venu à s'allier avec un dragon, soupira Ace. Il n'est pas du genre à se sentir menacé par un siège, donc, cette option est à exclure. Et encore moins la dette. Si c'était le cas, je peux vous assurer que Foltest serait mort dès l'instant où il a montré qu'il avait l'envie d'attaquer la baronnie. Je peux aussi dire qu'il est un homme dangereux. Emhyr ? Radovid ? Findabair ? Eilhart ? Laissez-moi rire, ils peuvent tous retourner se coucher.

Le sourire d'Ace s'agrandit un peu plus alors qu'il posait son menton sur sa paume.

- Après tout, il m'a bien convaincu de l'épouser. Et c'est un exploit en soi.

- Il faut surtout être fou pour vouloir le faire, commenta Triss.

- Je m'en cache pas.

- Donc, j'en conclus que je ne l'ai pas fait fuir, mais qu'il nous a laissé passer, soupira le Loup Blanc.

- Fort probable. Tu as dit ou fait quelque chose avant qu'il ne s'en aille ?

- J'ai blessé le dragon. Je lui ai enfoncé mon glaive d'argent dans la gueule. D'ailleurs, il faudra que je m'en refasse un autre.

- Il était peut-être là pour le dragon. S'il est parti en même temps que la bête, alors, il a peut-être fait passer la vie du dragon avant la défense du château. Ils sont partis vers où ?

- Le sud, Aedirn.

Ace hocha la tête. Si Thatch et Marco étaient ensemble, comme presque tout le temps auparavant, alors, il était fort probable qu'en mettant la main sur son frère qui se baladait dans les bois, il aurait peut-être plus de réponses. Mais si son frère était amnésique, ça serait difficile.

- Donc, ma traduction, redemanda Geralt.

- En passant sur ton accent et ta mauvaise prononciation, je devine que tu as plus entendu quelque chose comme onigokko shio yo. Ce qui veut dire « tu veux jouer au jeu du démon ». C'est une sorte de variation du jeu de la Chasse à l'elfe. Il t'a fait courir longtemps ?

Si un regard pouvait tuer, Ace se serait retrouvé six pieds sous terre. Le Loup Blanc tourna la tête vers Triss pour lui demander ce qu'il s'était passé après son arrestation. Et donc, qui était en charge.

La magicienne allait répondre quand la porte s'ouvrit sur un soldat qui vint à leur table en se grattant la panse au travers son haubert.

- Il parait qu'il y a un autre sorceleur en ville ?

- En admettant que ça soit le cas, qu'est-ce que ça peut foutre ? demanda Ace.

- Le Commandant Loredo veut le rencontrer ce soir avec le vieillard de tout à l'heure.

Le commentaire de vieillard passa à mille lieux de Geralt, bien trop habitué. Et puis, il avait déjà presque un siècle derrière lui.

- Je présume que si je dis non, on va me faire chier pendant les prochaines décénies à venir, devina le D. Alors, va dire à ton chef que le sorceleur Ace viendra à son stupide rendez-vous.

- D'accoooord…

Et tout aussi motivé, il s'en alla hors de l'auberge.

- J'ai vu des marines plus efficaces que ça en East Blue, marmonna le brun en le regardant partir. Donc, nous parlions de la Temeria.

- C'est le chaos et ça ne va faire qu'empirer, raconta la magicienne. Les vieilles familles se disputent la suprématie et ne se retiennent pas.

- Le Baron Kimbolt et le Comte Maravel, je présume, devina Jaskier.

- Entre autres, confirma la femme. Après l'assassinat, pendant que Geralt était au cachot, les seigneurs se sont réunis dans un champ à proximité, pour choisir un nouveau dirigeant.

- Combien de jours ça a duré ? s'enquit le pirate.

- Trois jours.

- Vingt morts ?

- Dix. Dont deux empoisonnements.

- Chiotte, j'ai vu trop haut.

- Le fait est que la guerre civile était dans l'air. Et rien n'a été décidé. Comme toujours. Jan Natalis est notre dernier espoir.

- Ah, le vainqueur de Brenna, et le Commandant le plus expérimenté et le plus fidèle de Foltest, reconnu Jaskier.

- Hmhm. Seulement, durant les délibérations, il n'était pas à proximité. Il était à plusieurs jours de marche des terres de La Valette, avec une armée de deux mille hommes derrière lui. Il va devoir se charger de maintenir la paix jusqu'à ce qu'un monarque légitime soit désigné.

- Il pourrait trouver le pouvoir à son goût, avertit Jaskier.

- C'est une possibilité ? s'enquit le D. en regardant la magicienne tout en grattant sa joue portant encore les marques de griffure.

- Natalis est un soldat de la tête aux pieds, réfuta la rousse en croisant les bras. Il n'est pas fait pour diriger. Et je doute que lui-même le veuille.

- Mais il a l'armé derrière lui, pointa Zoltan.

- Raison pour laquelle il peut garantir la paix. Une paix ténue, peut-être, mais c'est mieux qu'une guerre civile. Et puis, il a une grosse dette auprès d'une banque naine dans laquelle Philippa Eilhart a des actions.

- Ce n'est plus le cas depuis six ans. J'y ai veillé, souffla Ace avec un regard sauvage. J'ai racheté les actions de Eilhart.

- C'est la meilleure ! Donc, c'est toi qui as le plus d'influence sur Natalis, et donc, sur la Temeria ! se marra Zoltan.

- J'ai fait de ma mission de pourrir la vie de cette salope. Et je ne me suis pas caché. Ce n'est même plus une question de me rendre ce qu'elle m'a volé, c'est une question de vengeance. Et j'y suis attaché, à ma vengeance. Je suis comme un chien sur un os. Et cet os, c'est Eilhart.

- Il te faut donc un morceau de viande pour ne pas te faire du mal avec cet os, pointa Jaskier avec inquiétude.

- Mais le cas de Eilhart mis à part, où étaient les mages ? Généralement, c'est une occasion en or pour mettre votre nez dans cette affaire. Vous aimez ça, pourtant.

- Il a raison ! appuya le nain en se dressant presque sur son siège. Elles étaient où les Éminences Grises de ce monde quand on avait besoin d'elles !

- Eh bien, nous n'étions pas invités, répondit Triss. Et moi encore moins. Mais si ça n'avait pas été pour nous, ou plutôt, quelques magiciennes influentes… suivez mon regard…

La façon dont elle regarda Ace disait qu'Eilhart avait eu son mot à dire dans l'histoire.

- … eh bien, le Baron Kimbolt aurait réussi à prendre le trône, termina la magicienne.

- J'ai été invité à chanter à sa cour. Après coup, il a refusé de me payer, et la nourriture était horrible. Hors de question que je reste en Temeria s'il est couronné, commenta Jaskier.

- Toujours mieux que si Radovid prend le trône. Il pourrait y prétendre vu qu'il se tape Adda, non ? s'enquit le pirate.

- C'est une malheureuse possibilité, soupira tristement Triss.

- Assez de politique, réclama le Loup. L'assassin de Foltest nous attendait dans la tour La Valette où les bâtards royaux étaient cachés. Il était bien informé. D'ailleurs, Ace, tu connais un mutant grand comme un montagne, chauve, avec une cicatrice sur le crâne, plus un emblème de serpent en amulette ?

- Navré Geralt, mais je ne connais personne de cette description, lui dit Ace en secouant la tête. Le médaillon que tu décris laisse supposer que ce serait un gars de l'école de la Vipère, mais pourquoi diable ils chercheraient à tuer un roi, c'est une bonne question. Je sais qu'ils sont issus à la base d'un groupe rebelle de l'école de l'Ours, qui s'était déjà détaché du groupe que nous étions au tout début. Venant d'un de mes camarades, j'aurais plus ou moins compris, mais là… C'est une école très secrète, qu'on disait même détruite par Nilfgaard, alors, les informations à leur sujet ne sont pas facile à obtenir, sauf si on cherche spécifiquement.

- Stop ! Stop ! Stop ! Stop ! réclama Jaskier. Tu faisais quoi là-bas, Geralt ?

- Je protégeais le Roi, répondit le Loup Blanc comme si c'était une évidence. Après la première tentative, Foltest a commencé à me considérer comme son porte-bonheur. Il m'a demandé de rester à ses côtés durant la bataille. Le dragon et ce… Marco

Geralt adressa un regard sombre à Ace quand celui-ci eut un léger ricanement à la mention de son compagnon.

- … nous ont séparés du reste de l'armée. Le tueur s'est déguisé en prêtre. Aveugle, pour en rajouter. Il a laissé à Foltest la possibilité de saluer ses enfants et il a attendu que je m'éloigne avant de lui trancher la gorge d'une oreille à une autre. Et je n'ai pas réussi à le prévoir ou le sentir.

Son insistance sur le dernier mot était clairement un message pour Ace qui hocha la tête, l'air de dire qu'ils en parleraient plus tard.

- Et il a réussi à fuir comment ? demanda Zoltan.

- Il a sauté de la fenêtre dans la rivière au-dessous. Des Scoia'tael de Iorveth l'attendaient avec des barques. Tout était prévu d'avance.

- Et tu le poursuis parce qu'il a tué un roi ? s'enquit Jaskier avec intérêt.

- Non. Parce que j'ai été accusé du meurtre. Je dois donc nettoyer mon nom. Et comme je l'ai dit, c'est un sorceleur. Puisqu'il n'appartient pas aux Chats, il doit y avoir une autre explication sur pourquoi il a assassiné un souverain. Seulement voilà, avant que je ne fasse quoi que ce soit, des soldats ont débarqué, m'ont désarmé et assommé. Si on rajoute à ça que mon glaive d'argent a disparu avec le dragon…

- Y'a bien une petite forge dans le quartier, pointa le nain. Son travail a peut-être un petit air datant de la Conjonction des Sphères, mais c'est de la bonne qualité.

- Merci.

- Et donc, vous allez faire quoi, tous les deux ? demanda Triss.

- Je viens d'apprendre qu'un homme que je considère comme un frère est dans les bois. Je pense que ça se passe d'explication, et de toute façon, ça relève de ma vie privée, Merigold, annonça froidement le Chat Noir.

- Un homme amnésique associé aux Scoia'tael. Tu veux vraiment le rencontrer alors que Vernon Roche et ses Stries Bleus sont dans les environs ? Ou pendant que Loredo surveille ? demanda à voix basse Triss.

- Je les mets tous les deux au défi de m'empêcher de faire ce que je veux. Je suis un chat. Je n'ai aucun maître. Quant à l'amnésie, j'ai un moyen très simple de pouvoir attirer l'attention de Thatch.

Et avec un sérieux presque inquiétant, le brun se tourna vers son camarade de l'école du Loup.

- Bien. Geralt de Riv. A ton réveil suite à ton retour d'entre les morts, nous sommes d'accord que l'amnésie était bien en place, non ?

- Oui, confirma le blandin. Et ?

- Est-ce qu'on a eu besoin de te réapprendre la langue locale ?

- Non.

- Et tu sais pourquoi ? Parce que c'est quelque chose d'assez ancré en toi pour survivre à quelques troubles de mémoire. C'est passé au stade de l'inné. C'est comme le combat. Tu vas pas me faire croire que Vesemir t'a laissé partir à la poursuite de la Salamandre si tu n'étais pas capable de manier une épée, on est d'accord ?

- Tout à fait.

- Et où est le rapport ? demanda Jaskier.

Pour toute réponse, Ace se mit à parler dans un langage qui échappa totalement au reste de la table. Comme si cela prouvait un point, le D. afficha un sourire victorieux et eut un geste de la main comme pour montrer quelque chose.

- Traduction ? demanda Zoltan.

- J'ai grandi avec une autre langue. Tout comme Thatch. Le langage commun du continent est une langue d'adoption pour lui et moi. Donc, si je vais dans la forêt et que je me mets à gueuler dans notre langue natale à tous les deux, et qui est totalement étrangère à ce globe, alors, je suis certain d'avoir son attention. Bien assez pour qu'on puisse discuter et que j'essaye de passer outre les soucis de sa mémoire pour lui rappeler qu'on est des nakama, comme on dit par chez nous.

- C'est logique, accorda Triss à contre-cœur.

- Sur ce, je vais poser mes affaires dans la chambre que j'ai réservée et m'occuper de ma quête. A plus tard, très certainement.

Et sur ces mots, Ace se leva et se dirigea vers l'escalier menant à l'étage.