A l'aube, Ace et Marco arrivèrent à Oxenfurt après avoir dormi dans les sous-bois quelques heures. Ils seraient heureux une fois de retour au campement, de pouvoir s'asseoir et prendre une douche. Cependant, grâce à la réputation de Marco et au Baron Sanglant, ils avaient tous les deux l'autorisation de passer le barrage et entrer dans la cité, bien qu'ils attirèrent pas mal de regards.
Au trot, ils traversèrent le pont levis qui reliait l'île au milieu du lac au reste de la région. Marco menait la monture pendant que son époux s'était assis en travers de la croupe du cheval.
Ils remarquèrent un lourd navire mouillant dans le port, en contrebas des planches. Même de loin, ils pouvaient voir la richesse de celui-ci et surtout, la lourde sécurité sur le quais et à bord. Décidant que ce mystère attendrait un autre jour, ils reprirent la route. Ils descendirent vers la ville en suivant cette fois un petit chemin de pierre et de terre battue, évitant le moindre geste brusque que les uniformes rouges et noirs pourraient prendre comme une provocation. Les soldats redaniens n'étaient pas connus pour leur intelligence mais plus pour leur paranoïa et leur racisme.
Alors qu'ils arrivaient à proximité d'un marché avec un panneau d'affichage, Ace sauta à terre.
- Je sais que c'est dans tes habitudes, mais on n'a pas le temps pour ça, chaton, yoi, dit Marco.
- C'est pas pour ça que je descends. C'est l'odeur. Je reconnais l'odeur de Tamara. J'ai fouillé sa piaule, je te rappelle.
Marco descendit à son tour et suivit son époux qui remontait la piste en se fiant à son nez.
Cela les mena droit sur le quais où ils avaient vu le navire rouge de tout à l'heure.
Pas besoin de le dire à haute voix, à cette distance, c'était simple d'en être certain. Radovid était à bord. Mais rapidement, Ace s'en détourna pour se rapprocher d'une des nombreuses maisons de bois. Elle s'arrêta devant la porte et hocha la tête.
- Je pense pas me tromper en disant que l'une des aura de la maison m'a l'air d'être féminine et l'odeur est plus forte ici.
- Eh bien, essayons.
Marco leva le poing et toqua. Un homme vint leur ouvrir. Là où le frère était un pêcheur qui avait du mal à joindre les deux bouts, le proprio de la maison devait mener une bonne vie, même si ses vêtements restaient sobres.
- Bonjour, je peux vous aider ?
- Bonjour, nous sommes ici pour confirmer la santé d'une demoiselle du nom de Tamara, yoi. La fille du Baron Sanglant.
- Votre frère nous a orienté vers ici, rajouta Ace.
Ce qui était faux. Le pêcheur avait juste dit qu'elle était chez son frère à Oxenfurt. Il n'avait donné aucune adresse ou autre précision.
- C'est Voytek qui vous envoie ?
- Comment aurions-nous su qu'elle était ici, si ce n'était pas le cas, yoi ?
L'homme soupira et s'écarta.
- Attendez dedans, je vais la chercher.
- Merci.
Ace se contenta d'un hochement de tête alors qu'ils entraient dans la demeure de l'homme. Celui-ci referma la porte derrière eux avant de se rendre à l'étage, les laissant seul dans la pièce à vivre. En soupirant, le D. s'assit au bord de la table et fit rouler sa tête sur ses épaules.
- Comment tu te sens ?
- Pour l'instant, l'herbe n'est pas très haute, mais j'entends des rires bizarres et…
- Souviens-toi juste que si tu cherches quelque chose de réelle, il te suffit de tendre la main pour que je la prenne afin de te servir de point d'ancrage, yoi.
- Je sais.
Ils échangèrent un bref baiser avant de se séparer en entendant quelque chose monter sur la table. C'était un chat. Grisé, avec des yeux ambrés. Sans hésitation, le D. le prit pour le mettre sur ses cuisses où le félin se roula immédiatement en boule pour profiter des caresses du mutant. Seul Marco prêta attention à la jeune femme qui descendit l'escalier dans une robe matelassé qui lui rappelait un peu trop les chasseurs de sorcières. La brunette avait les cheveux coupés très court en épi et elle les fixait avec méfiance.
- Vous me cherchiez ? Qui êtes-vous ? Est-ce mon père qui vous envoie ?
- Tamara Strenger, donc ? Enchanté, je suis le docteur Marco et voici ma femme. Nous sommes ici simplement pour assurer à ce cher baron que vous êtes en vie et en bonne santé.
- Je suis vivante et je vais très bien, docteur Marco. Mieux que jamais de toute ma chienne de vie. Maintenant que vous m'avez vu, bonjour chez vous.
Et elle leur montra la porte.
- Oh, on s'en ira, aucun souci à ce sujet, assura Ace en sautant de la table, le chat dans ses bras.
Il se tourna vers Tamara en continuant de gratouiller le crâne du félin qui ronronnait entre ses doigts.
- On n'est pas là pour vous jeter la pierre ou vous forcer à rentrer chez vous. Si j'avais eu un père comme lui, je l'aurais déjà tué il y a longtemps. Et c'est un effort monstrueux de ne pas vouloir lui mettre un glaive dans les entrailles.
- Je vous y encourage fortement. Vous avez ma bénédiction pour y aller et le tuer.
- Le souci, c'est que cet homme nous fait du chantage, à un de mes camarades et moi-même. On cherche deux personnes. L'une d'elle, c'est mon petit-frère en tout sauf le sang. Et votre père refuse de nous donner la moindre information tant que nous n'aurons pas réussi à lui prouver que vous et votre mère, vous vous portez bien.
Il laissa partir le chat alors que Marco s'avançait doucement vers Tamara.
- Nous serons les dernières personnes à vous dire de rentrer chez votre père. Mais, on cherche votre mère à présent, et quelque chose nous dit que elle, elle est en moins bonne santé que vous, yoi. Nous savons ce que c'est.
La jeune femme ouvrit la bouche pour les attaquer mais Marco secoua la tête.
- N'allez pas sur cette route, on a vu assez d'horreur pour faire de votre enfance un paradis. Alors, avançons dans la conversation. Plus vite on aura les informations qu'on cherche, plus vite nous serons hors de cette maison, yoi.
Ace serra brièvement le poignet de son époux avant de reprendre la parole.
- Voytek a parlé à notre camarade d'étranges marques sur les mains de votre mère et qu'un monstre l'a attiré dans les marais. Est-ce vrai ?
- Oui, répondit la jeune femme en s'adossant à la table. Nous chevauchions vers la rivière quand soudain, mère a crié et s'est penchée, manquant de tomber de cheval. Je me suis rapprochée et j'ai vu que ses mains avaient l'air en feu. Puis, cette… chose a surgi du sous-bois. Elle a rugi si fort que mon nez s'est mis à saigner. Elle était si forte qu'elle arrivait à renverser des arbres. Je n'ai jamais eu si peur de ma vie…
Elle marcha vers la fenêtre, regardant dehors comme si elle craignait que le monstre ne revienne avant de se tourner à nouveau vers eux.
- La… créature a saisi ma mère et s'est enfoncée dans le bois. J'ai voulu faire demi-tour, la prendre en chasse, mais les chevaux étaient paniqués. J'ignore si elle a survécu.
- La bête était grande, n'est-ce pas ? Quadrupède avec des cornes ? Une crinière ? se renseigna le D.
- Oui. Très grand. Et il avait un troisième œil au milieu du front.
- Je vois. Ses cornes… est-ce qu'elles ressemblaient à celle d'un bouc ou d'un cerf, vous vous en souvenez ?
Tamara prit un instant pour répondre, afin d'être certaine.
- Le cerf, je pense.
- Je vois…
Vu le ton, ce n'était pas une bonne nouvelle.
- Qu'est-ce que c'est qui nous a attaqué ? Dîtes-le moi ! demanda Tamara en attrapant les bras d'Ace.
- Un fiellon. S'il s'en est pris juste à votre mère, c'est qu'il devait être contrôlé. Le fait qu'il l'embarque et vous ignore veut dire beaucoup. Il y a une possibilité qu'elle soit toujours vivante. Mais je doute que si elle est tombée sur la personne qui contrôlait la bête, elle soit encore en bonne santé. J'ai une dizaine de fiellons morts à mon actif, et je peux vous assurer que ce n'est pas une créature à prendre à la légère.
Le D. haussa des épaules.
- Après, faites ce que vous voulez. C'est votre mère, votre famille. Je peux comprendre que vous souhaitiez la sauver. Faîtes attention à vous surtout. Parce que même les chasseurs de sorcières ne sont pas forcément aptes à les affronter.
Et il tira sur le bord de son chapeau pour se diriger vers la porte.
- Anata ? appela le logia sur le seuil en voyant que Marco n'avait pas bougé.
- J'ai juste une dernière chose, yoi.
Il fouilla dans sa sacoche de médecin et en sortit l'hideuse poupée qui ressemblait à Triss.
- Il voulait qu'on vous la donne.
La jeune femme prit le doudou en fronçant les sourcils.
- Clara ? Il vous a demandé de me donner Clara ? Amusant qu'il ait cru me récupérer à l'aide d'un souvenir.
- Surtout quand vous n'êtes clairement pas le genre de femme à jouer à la poupée, yoi. Je dois transmettre un message ?
La poupée fut redonnée à Marco.
- Jetez-la à l'eau, détruisez-la, faîtes-en ce que vous voulez, et dites-lui qu'un beau geste ne rachète pas une enfance malheureuse.
- Certaine pour la poupée ?
- Oui.
L'objet s'embrasa dans une gerbe de flammes turquoise et bientôt, ce ne fut qu'un petit tas de cendres sur le sol.
- Nous nous reverrons, yoi. Sayonara.
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Même s'il était épuisé et qu'il aurait donné cher pour aller se coucher, il était un adulte mature et responsable. Ace termina de boire sa dose pour lutter contre ses hallucinations et suivit Iro dans les bois, ne cherchant pas à se cacher de celui qu'il cherchait. Cela n'aurait fait que rendre Mandos encore plus nerveux alors qu'il avait des intentions pacifiques. Marco avait juré de ne plus les laisser seuls ensemble plus de cinq minutes, pour la survie de l'elfe, le mutant s'attendait donc à ce que son homme débarque d'un instant à l'autre.
- Je t'ai entendu. J'ai grandi dans la jungle, tu sais. Je sais reconnaître un écureuil d'un elfe, même si les nordiens ont tendance à faire l'amalgame, lança le D.
Il se rapprocha de l'arbre où il avait perçu le mouvement, croisant les bras sur sa chemise. Il avait fait un effort. Pas d'armure, juste son pantalon de cuir et pas la moindre arme. Il était juste crevé et il voulait en finir pour aller se coucher. Après une douche chaude. Très chaude.
- Ah, se contenta de dire Mandos.
S'il cessa de se cacher en haut de sa branche, mais ce n'est pas pour autant qu'il descendit. Cela tira un sourire amer au D. de voir que beaucoup de petits animaux décidèrent de prendre la fuite à cause de lui, alors qu'ils étaient clairement bien sur les genoux et les épaules de l'elfe… qui n'avait pas de visage.
Merveilleux.
Il se frotta les yeux avec ses paumes et soupira.
- J'ai apprécié moyennement de passer une après-midi entière en tant que chaton, mais je sais que je l'ai mérité après le coup que je t'ai infligé d'après Marco. Parce que stupide que je suis, j'ai aucun détail précis de ce qu'il s'est passé là-bas. J'ai donc un accord à te soumettre, si tu veux bien m'écouter.
Il releva la tête vers Mandos et déglutit légèrement. Non, toujours aucun visage, et voilà qu'il entendait quelques rires à la lisière de ses oreilles. Il avait bien trois doses de retard, c'était un peu normal, mais ça n'était pas confortable pour autant.
Mandos sauta de l'arbre. Maintenant, il était couvert d'ombre. Pire qu'un spectre.
Ace ferma les yeux et respira profondément.
Ce n'était pas réel. C'était dans sa tête.
- Pour la transformation, je n'avais pas le choix, lui dit l'elfe.
Pourquoi la voix de l'elfe lui semblait aussi déformé ? Ah oui, la crise. Allez Ace. Encore un effort et tu pourras aller te coucher.
- C'était ça, ou je me mettais en face de toi et tu déversais ta rage sur moi, continua l'elfe. Pas sûr d'en revenir, je dois dire. Mais je te présente mes excuses pour cela. Et si tu veux voir comment tu étais, je peux aussi bien te montrer les souvenirs via la pensine. Bien … Je t'écoute.
- Je sais très bien comment j'étais. Je devais être aussi monstrueux que lorsque j'ai mis le feu à Rivia.
Gardant les yeux fermés pour rester concentrer et ne pas se faire interpeller par une apparence grotesque ou autre, le D. joignit les mains.
- Je suis pas partisan du "on oublie tout et on fait comme si rien ne s'était passé". Mais je suis pas non plus amateur de l'idée de rester bloquer sur ce qu'il s'est produit. On a tiré des leçons, plus mauvaises que bonnes de tout ça, et je pense qu'on devrait aller de l'avant. Je te demande pardon pour les blessures que je t'ai infligées. Je te fais la promesse de ne plus m'approcher du moindre spectre, si toi, tu me promets quelque chose.
-… Ace …soupira-t-il avec une certaine tristesse. Je ne te demande pas de ne pas approcher le moindre spectre. Ce n'est pas ma place. Si tu as un spectre à affronter, fais-le. Tu n'auras pas toujours quelqu'un qui se retrouve à entendre chacune de leurs plaintes. Mais, que veux-tu que je te promettes ?
- Que tu ne cherches plus à me sauver.
Mandos garda le silence pendant un instant, comme pour réfléchir, avant de dire :
- Je n'ai pas de réponse à cela… demanderais-tu la même chose aux autres ?
Il ne laissa pas le temps au D. d'en placer une qu'il continua sur sa lancée.
- Je peux essayer de promettre mais c'est un peu ma nature de vouloir aider. Ne me demande pas de te laisser mourir alors que je peux faire quelque chose. Et vas dormir. Tu souffres. Tu aurais pu attendre d'aller mieux pour me parler. Je ne t'en voulais pas exactement. Tu es celui qui souffre le plus de tout cela.
Il poussa un soupir et le D. croisa les bras, attendant qu'il finisse avant de pouvoir enfin parler. Sans compter qu'il se sentait observer. Dans la brume carmin autour de lui, il apercevait des tas de yeux et ça ne le mettait pas du tout à l'aise.
- On va au camp ensemble… tu pourras dormir. On en rediscutera à tête reposée pour notre accord. Et puis, si Thatch ou quelqu'un fait un commentaire sur ton aventure en chaton… j'ai une réserve de blagues utilisables. Sauf si tu te sens trop vieux pour en faire, Hiken
- Stop. On ne bouge pas tant qu'on en aura pas fini, toi et moi. Déjà, petite question. Si je ne m'étais pas manifesté, serais-tu revenu de toi-même au camp ?
- Oui, répondit-il sans hésiter. Vous avez quand même ma tente. Et puis, j'aime réfléchir avec… ça qui pionce sur moi. Habituellement, tu peux ajouter un phénix et une chouette en plus.
Mandos fit un geste de la main pour montrer les alentours, mais le D. ne voyait que les yeux dans le brouillard. Il ne s'arrêta pas sur ce point, néanmoins.
- J'ai certes eu besoin d'être un peu seul. Je pense que tu le comprends. Mais, je retourne sur ma première constatation. Cette discussion peut être reportée lorsque tu seras mieux.
- Oh, donc, t'avais pas peur que je débarque pour te gueuler dessus ? Ou tu essayais pas de m'éviter ? Je me porte bien assez bien pour dire ce que j'ai sur le cœur et dans le crâne. Ce que je sais, c'est que si tu continues à jouer les héros sans cervelle, tu vas te faire tuer. Je vais t'apprendre un truc révolutionnaire. Il y a des gens qui ne mérite pas d'être sauvé et d'autres qui ne le veulent tout simplement pas. Donc, tu fais ce que tu veux Mandos, je m'en contre-fiche. Mais la prochaine fois que tu crois pouvoir jouer les super-héros avec moi, cette fois, le prix à payer sera plus cher. Et pour te préserver, j'ai pas peur de me barrer sans un mot du jour au lendemain. J'ai déjà passé quarante-cinq ans seul. Retrouver la solitude le temps que je mette la main sur Ciri et Luffy ne m'effraie pas. Toi, ta priorité, c'est rentré chez toi. Tu as déjà donné.
- Eh bien, si je meurs en aidant un ami, c'est que j'aurais bien vécu. Mais entre-toi cela dans ton crâne épais. Je n'ai pas prévu de mourir. Ni aujourd'hui, ni demain, ni avant longtemps. Je vais rentrer. Et je vais me faire un plaisir de réduire ce démon en petit morceau. Barre-toi parce que tu penses que ça va me protéger. Tu me trouveras dans ton dos à chaque fois que tu tourneras les yeux derrière. Et je ferai en sorte que les autres soient avec moi pour te coller aux basques.
Le D. laissa passer un petit rire entre ses dents. Il ne fallait pas lui tendre la perche. Il venait de le mettre au défi.
- Si tu veux être sûr que je ne me blesse plus stupidement, donne-moi plutôt une meilleure armure, ça sera plus efficace. Je n'ai pas mon armure. Seulement mes affaires de voyage. Certes, c'est pratique, mais ça manque de protection. Et … petit point, la seule personne qui peut me donner des ordres réellement et que j'obéis à moitié est mon oncle Iorveth. Il est mon oncle et mon commandant.
- Ok.
Sans un mot de plus, Ace tourna les talons et prit la route du camp, conservant un pied avec la réalité par la queue de Iro autour de son mollet.
- Laisse-moi juste te dire que tu devrais mieux choisir tes amis et tes priorités.
Quelque chose lui disait que Mandos devait le suivre.
En chemin, ils rencontrèrent quelqu'un. La coupe blonde et la haute taille étaient les deux points qui lui permettaient de reconnaître son époux. Doucement, comme pour ne pas l'effrayer, des doigts frais et familiers lui prirent sa main. Derrière, ils entendirent Mandos parler :
- Sinon, tu te sens assez stable pour une séance ce soir ?
Le D. leva deux doigts.
- Donne-moi deux heures pour que ma médication fasse effet et je suis à toi.
Et il lui offrit son sourire le plus innocent qu'il avait en réserve.
Marco regarda son époux avec un léger froncement de sourcil. Y'en avait un qui avait une idée derrière le crâne.
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Geralt et Thatch avaient continué leur route après une nuit dans les ruines du manoir. Ils avaient continué un moment, évitant trop de se faire remarquer, chevauchant en direction de ce que les habitants de Velen appelaient le Mont Chauve. Ce fut à l'entrée des marais de Torséchine qu'ils s'arrêtèrent. Une statue en bois était plantée à côté de la route. Comme de nombreuses dans la région, elle représentait l'une des Moires. Sauf que celle-ci, elle avait autour du cou et à ses pieds des douceurs. Confiseries, viennoiseries. Une odeur qui donnait presque l'eau à la bouche. Pourtant, quelque chose clochait. Le vampire mit pied à terre et ramassa un cookie en forme de cœur. Il resserra sa main autour, brisant le biscuit, avant de la rouvrir. Dans sa paume, pas des miettes de gâteau, mais des asticots. Refoulant un rictus, il renversa sa main pour les faire tomber.
- Il y en a partout dans les arbres, nota Geralt.
- Ces trucs m'écœurent, siffla le cuisinier.
Et il remonta à cheval.
Avec précaution, ils suivirent le chemin. Un petit sentier qui serpentait au milieu du marécage, avec, dans chaque branche, des bonbons en guirlande. A chaque pas sur ce sentier, c'était se rapprocher un peu plus d'une zone qui mettait le Haki sur le qui-vive. Cela les mena jusqu'à des bâtisses. Deux grandes maisons et une grange. L'une des habitations ressemblait à une sorte d'église. Ils se stoppèrent en entendant des enfants. Ils échangèrent un regard et descendirent de cheval pour se rapprocher.
Des gosses étaient assis autour et sur du bois abattu qui devait servir à allumer une cheminée, chantant une étrange comptine.
- En voilà une drôle de chanson, nota Geralt alors que lui et Thatch se rapprochaient du groupe d'enfants
Une gamine se leva du sol et leur dit :
- Partez, on vous connaît pas.
Le reste des enfants suivirent, sauf une petite brunette assise sur les rondins.
- Beh alors, les gnomes, vous faîtes quoi ici tout seuls, dans ces marais ? s'enquit Thatch en s'accroupissant pour se mettre à leur portée.
- On est pas seul, il y a grand-mère, répondit l'un des garçons.
La présence adulte qu'ils percevaient ici devait donc être la grand-mère en question.
- D'accord, mais vous n'avez pas poussé dans ces marais. D'où venez-vous ? demanda Geralt.
- On est des orphelins.
- Tous ?
- Ben c'est la guerre et qui dit guerre, dit orphelins, vous le savez pas ?
Un point pour les enfants.
- Dites, les enfants, vu que vous êtes au milieu du marais, vous savez quelque chose des sorcières qui y habitent ? demanda Thatch.
- Les Moires ? se fit confirmer une fillette.
- Grand-mère veut pas qu'on aille dans les marais, informa gravement l'un des enfants.
- Quand mon frère Zemek a disparu, Grand-mère a dit qu'il s'était perdu, dit tristement un des garçon. Elle a beaucoup pleuré après ça.
- Il va peut-être revenir un jour, lui dit la blondinette avec espoir.
Thatch serra l'épaule du garnement, pour lui dire qu'il partageait le sentiment.
- Nous cherchons deux personnes. Jeunes, à peine adulte, informa Geralt. Le garçon a les cheveux noirs, de grands yeux et une cicatrice sous le gauche. La fille a elle aussi une cicatrice au visage, mais elle a des cheveux cendrés et porte des vêtements très étranges. Ils se sont perdus dans le marais. Vous les avez vus ?
- J'ai pas vue d'femme, moi, dit le gamin qui avait perdu son frère.
- Et moi j'suis quoi ? s'indigna la blondinette.
- Ben t'es pas une femme, t'as pas de nichons.
Thatch se releva et s'éloigna pour mordre son poing afin de ne pas rire.
- C'est vrai d'abord ! renchérit un autre gamin. Quand l'armée est arrivée, j'ai entendu un vieux qui disait "cachez les femmes dans les bois, qu'elles mettent pas leurs nichons sous le nez des soldats. Ça les rend fous les pauvres." J'vous l'dis comme je l'ai entendu.
Thatch était en train de perdre sa bataille contre son hilarité.
- Est-ce que votre grand-mère aurait vu ces jeunes ? demanda Geralt pour revenir au sujet
- Elle vous parlera pas, elle n'aime pas les étrangers.
- Quelqu'un d'autre peut-être ?
- Y'a bien l'arbre à six yeux, proposa la blondinette.
D'a…d'accord. Un arbre à six yeux...
- L'arbre a dormi toute l'année. Mais il reste Jeannot, pointa un des garçons.
- Geralt, appela Thatch.
Le mutant se retourna pour voir une femme prématurément vieillie avec un long collier rouge à perles venir vers eux. Clairement, elle avait entendu la conversation. Quelque chose en elle criait la peur et la douleur. Pourtant, quand elle s'adressa aux enfants, elle ignora royalement les deux adultes et leur parla sans intonation trahissant ce qui la rongeait.
- Encore en train de raconter des sornettes ? Qu'est-ce que j'ai dit, hein ?
Les enfants regardèrent leurs pieds sans rien dire. Puis, avec une étrange hargne, la femme se tourna vers les deux hommes.
- Personne n'a le droit de venir ici ! Personne ! Juste mes enfants, c'est tout. Vous êtes qui ? Des bandits ?
- Avec tout mon respect, baa-san, j'ai vu nulle part un panneau disant que c'était une propriété privée, pointa le vampire.
- Donc, vous vous occupez de ces enfants ? se renseigna Geralt.
- Ce sont mes petits-enfants.
- Grand-mère est gentille avec nous, elle nous fait de la bonne soupe ! renchérit un gosse.
- Mes enfants se sont perdus dans les bois. Où sont-ils ? Qui les a vu ? Pas moi, dit doucement la grand-mère.
Le message était en gros sur la façade. Personne ne pouvait rien lui dire ou même prouver qu'elle s'occupait de gosses ayant déjà une possible famille. A leur époque et dans un endroit pareil, il n'était pas rare que des enfants disparaissent dans les forêts. Si on les retrouvait, le plus souvent, il ne s'agissait que de restes. Ceux qui étaient ici avaient l'avantage d'avoir un toit sur leur tête et de la nourriture dans le ventre. Mais Thatch n'arrivait pas à se débarrasser de l'horrible pressentiment qui l'habitait.
- Nous ne faisions que leur parler, rassura Geralt. Nous cherchions deux personnes, une jeune femme et un jeune homme, et nous voulions savoir s'ils les avaient vus.
- Ah… j'étais jeune autrefois. Jeune et belle. J'avais une longue natte tressée par ma mère et je portais de jolies robes à fleurs… soupira la dame.
- Vous les avez peut-être vus. Ils n'ont pas la vingtaine. La fille a les cheveux cendrés et les yeux verts…
- C'est votre fiancée ? sourit avec amusement la vieille dame.
- Non, c'est ma fille. Le garçon, lui, c'est le petit-frère d'un ami proche.
- Fille…
Le regard de la vieille dame se fit lointain.
- Ma pauvre, pauvre petite fille et sa chère sœur… Où sont-elles ? Peut-être qu'on leur a fait du mal…
Clairement, elle n'avait plus toute sa tête, la vieille femme. Ou alors, de gros squelettes dans ses placards qui n'attendaient qu'une occasion pour se manifester.
- Je vous en prie, aidez-nous, réclama Geralt. Une jeune femme aux cheveux cendrées et un garçon aux cheveux noirs en épis. Dites-nous seulement si vous les avez vu ou non.
- Vous pouvez bien faire ça pour nous, non, belle dame, sourit amicalement Thatch en la fixant intensément.
Il recula brutalement en arrière en se frottant le front.
Pourtant, la vieille femme se détourna d'eux pour s'adresser aux enfants, sans réagir à l'étrange réaction du roux :
- Qu'est-ce que vous regardez les enfants ? Lavez-vous les mains, on va aller attraper des criquets.
- Nous n'apprendrons rien de vous, constata Geralt en jetant un vague regard au vampire.
- C'est parce que je ne sais rien, leur dit la vieille en se tournant à nouveau vers eux.
- Jeannot, lui, il sait des tas de choses ! intervint un des gamins. Quand je lui demande un truc, il me dit "Attends gamin, je me gratte le cul et je te réponds".
- Quel vilain mot ! Méchant garçon ! rouspéta la vieille femme. Je m'en vais te coller au coin, moi. Et vous, partez. Partez.
- Oi, gamin. Jeannot, il vivrait pas dans ce coin, là ? demanda Thatch en pointant dans une direction.
- Vous le connaissez aussi ? Vous savez où est sa tanière ? s'exclama l'enfant.
- Ça suffit, arrête ces bêtises. Et vous, allez-vous-en !
- On s'en va, assura Geralt.
Et sans un mot de plus, Thatch se mit en marche, le Loup Blanc sur ses talons. La femme les regarda partir avec méfiance, mais aucun des hommes n'y prêtèrent grande attention. Ce n'est qu'une fois hors du champ de vision de cet étrange orphelinat que Geralt posa ses questions :
- Qu'est-ce qu'il t'est arrivé tout à l'heure ?
- J'ai essayé d'utiliser mon pouvoir de suggestion et d'hypnose vampirique, mais je me suis frotté à quelque chose qui m'a clairement fait comprendre que je ne devais pas récidiver si je voulais pas y laisser mes dents.
Le vampire jeta un œil par-dessus son épaule.
- Je doute qu'elle-même ait conscience de ce qu'il s'est passé. C'est quelque chose qui a agit au travers d'elle.
- Les Moires, certainement.
- Possible. Je vais pas m'y risquer une seconde fois.
- Et ce Jeannot, tu le connais ?
- Du tout. Je sais pas ce qu'il est, mais j'ai perçu à la limite de mon Haki une présence pacifique, alors, je me dis que ça doit être lui. Le gamin a confirmé mon soupçon.
Ils arrivèrent en vue d'une zone un peu plus sèche que l'eau croupie dans laquelle ils pataugeaient depuis des plombes. Geralt s'accroupit et observa le sol.
- Quelque chose d'intéressant ? se renseigna Thatch.
Pour toute réponse, le mutant traça du doigt une sorte de route dans l'herbe jaunâtre, mais le vampire ne voyait rien.
- On a des traces de pieds. Nues. De la taille d'un enfant. Les orphelins ont des chaussures, donc, ce n'est pas eux, pointa le sorceleur.
- Jeannot ?
- Peut-être. En route.
Et ils reprirent leur route, s'éloignant toujours plus de l'orphelinat, avant de tomber sur un petit monticule de terre. Et une tanière. Les deux hommes échangèrent un regard et se rapprochèrent. Le passage était juste assez grand pour qu'un enfant puisse s'y enfoncer à quatre pattes. Juste à côté, un crâne de bête, avec des marquages à la peinture rouge, avait été planté sur un pique. Les deux adultes s'accroupirent à côté de la tanière et Geralt appela:
- Jeannot ?
Au fond de la tanière, un œil rond, doré, apparut, clairement méfiant.
- Hey, t'as pas à avoir peur, sors donc, invita en souriant Thatch.
Le propriétaire de l'œil hésita un instant, puis sortit de chez lui, traversant le tunnel à quatre pattes. Dehors, il se redressa. A première vue, on aurait dit un enfant. Puis, on constatait la peau à la teinte bleu pervenche aux reflets argentés, voire mauve avec le jeu des ombres, ce qui accentuait légèrement son petit bec de lièvre. Puis, on avait un habillement sommaire. Une simple étoffe déchirée rouge comme foulard et un pagne crasseux pour tout vêtement. Il avait aussi une couronne de branchage dans ses cheveux châtains.
- Ooooh… un célicole ! fondit le féroce vampire. Attends bonhomme !
Il fouilla dans son sac de voyage et finit par sortir deux petits gâteaux qui allumèrent des étoiles dans les yeux de la petite créature. Jeannot regarda Thatch avec espoir et celui-ci les tendit.
- Vas-y.
Sans attendre plus, le célicole se jeta dessus pour les dévorer avec délice.
- Les tiens se font rares de nos jours, nota Geralt.
Tout en mâchonnant le biscuit, la petite créature eut un geste de la tête et des épaules dont le sens échappa aux deux hommes, même si ça semblait être un message las ou blasé.
- On cherche deux personnes. L'une d'elle est une fille aux cheveux cendrés, l'autre un garçon avec des cheveux fous et noir.
- Un D. précisa Thatch en voyant Jeannot hausser un sourcil devant la description plutôt commune de Luffy.
Cela eut une réaction immédiate de l'esprit de la nature qui se mit à sautiller d'excitation.
- Alors, tu les as vu ?
Jeannot avala son dernier biscuit avant de hocher la tête. Pourquoi ne parlait-il pas ? Les célicoles ne sont pas muets, pourtant ?
- C'est très important pour moi, racontes-nous ce que tu sais, demanda le Loup Blanc.
Tristement, Jeannot secoua la tête.
- Pourquoi ?
Le petit porta une main à sa bouche et la pointa de son autre main, l'air de dire qu'il ne pouvait pas parler, justement. Ce qui était bizarre puisque le gosse avait dit qu'il parlait.
- On a croisé ton ami parmi les enfants, et il disait que tu pouvais parler, justement. Pourquoi, là maintenant, tu ne peux plus ?
Et Jeannot se mit à piétiner avec un air féroce.
…
Voyant le blanc, et donc, que personne n'avait compris, il pointa sa gorge, puis se mit à regarder partout autour de lui avec une main en visière comme s'il cherchait quelque chose.
- Tu as perdu ta voix ?
Hochement de tête.
- C'est temporaire ?
Il haussa des épaules en secouant la tête, l'air de dire qu'il ne savait pas.
- Magique ?
Hochement vigoureux de la tête.
- On peut aider ?
La petite créature s'éloigna de son terrier et leur fit un signe explicite du bras les invitant à le suivre. Quand les deux adultes montèrent qu'ils allaient emboiter son pas, Jeannot se mit à courir au travers le marécage, veillant à rester sur les quelques zones plus ou moins sèches du coin.
Jusqu'au pied d'une petite falaise à flanc d'une haute colline rocheuse. Jeannot s'arrêta, mais ça n'aidait en rien les deux hommes.
- Qu'est-ce qu'on cherche ?
Le célicole les regarda un instant avant de pointer du doigt le nid au bord de l'éperon rocheux, tout juste visible depuis en bas.
- Il y a quelque chose sur la corniche qui t'aidera à retrouver ta voix ? devina le Loup Blanc.
Le petit esprit de la nature hocha la tête.
- Bon bah j'vais voir ! annonça Thatch.
Il retira sa cape, la laissant tomber en petit tas sur le sol. Il commença ensuite l'escalade, poussant le vice jusqu'à siffloter. Il montait vite, usant de ses griffes de vampire pour se faire une prise là où il n'y en avait pas. Il finit par arriver à la corniche, chassant du bras des corbeaux qui vinrent lui piailler dans les oreilles, et fouilla dans le nid, avant de se laisser tomber dans le vide. Il se réceptionna en une roulade sur le sol et se releva avec une petite bouteille en terre cuite peinte en jaune. Jeannot tendit les bras vers lui et l'objet changea de main. Le célicole s'éloigna de quelques pas et s'arrêta pour mettre toutes ses forces dans la tâche de la déboucher. Quand il y parvint, un jet de lumière blanche s'en échappa, volant haut dans le ciel dans un sacré bourdonnement. Avant de s'éteindre. Il laissa retomber la bouteille par terre et écarta les bras de bonheur.
- Whisky ! Salmigondis ! Pulvérulence ! Raclure ! Coquecigrue ! Ha hahahaha ! Quel bonheur! s'exclama-t-il avec extase. Un chasseur sachant chasser doit savoir chasser sans son chien. Un vrai délice ! Ahahahha !
- C'est bon ? Tu as fini ? demanda Geralt en croisant des bras.
- Ah ! Mes mots favoris… Vivre sans pouvoir dire "je veux et j'exige d'exquises excuses" est un véritable enfer ! dit Jeannot de sa voix enfantine en revenant vers eux. Merci du fond du cœur, nobles étrangers et longue vie à vous !
Et il commença à s'éloigner en gambadant, jusqu'à se faire rappeler à l'ordre par Geralt.
- Hé, pas si vite, tu n'oublies pas quelque chose ?
En soupirant il revint vers eux :
- Quel dommage de transformer cet acte généreux en un banal échange de faveur.
- Juste une question, comment diable as-tu perdu ta voix ? se renseigna Thatch.
- Pas la moindre idée. Un matin, je me suis levé pour aller chanter aux aurores, comme à mon habitude… et là ! Stupéfaction ! Ma voix avait disparu ! Malgré tous mes efforts, ma bouche refusait d'émettre le moindre son. J'ai bien tenté de me rendre au village pour louer les services de la nouvelle sorcière… mais ces rustres m'ont lâché leurs chiens dessus en criant au farfadet !
Il fit une pause avant de pencher la tête sur le côté d'un geste inquisiteur.
- Honnêtement, j'ai l'air d'un farfadet ?
N'en n'ayant jamais vu, Thatch leva les yeux pour voir Geralt secouer la tête à la négative.
- Pas du tout.
- Bien sûr que non. Enfin, c'est sûrement les Moires qui m'avaient maudit. Qui d'autre ? Un de mes amis moineaux était bien parvenu à retrouver ma voix, mais je ne pouvais pas l'atteindre.
- Et tu ne pouvais pas demander à un ami de corbeau de te ramener la bouteille ? se renseigna Geralt.
- Les corbeaux servent les Moires, ils n'aident personne.
- Bon, sinon, petit célicole volubile, sache que si on a besoin de toi, c'est parce qu'on cherche des gens importants pour nous, intervint Thatch. Une jeune femme aux cheveux de cendres avec une cicatrice sur le visage et un jeune homme aux cheveux noirs avec une cicatrice sous l'œil gauche qui ne parle pas la langue commune.
- Comment pourrais-je les oublier ? Je m'en souviens comme si c'était hier. C'était mon moment préféré de la journée : je venais de me lever et j'allais me soulager. Aaaah, déféquer face au soleil levant, quel pied !
Thatch se pinça le nez alors que Geralt restait de marbre.
- Soudain, j'ai entendu une détonation ! Tellement forte que ça ne pouvait pas venir de moi… et ces deux-là sont sortis de nulle part avec un gros chat ! J'en ai jamais vu de pareil ! Ils allaient plutôt bien, mais ils étaient épuisés. Ils se sont précipités vers les cabanes des enfants, comme si les Moires elles-mêmes étaient à leurs trousses. Je les ai copieusement invectivé, parce qu'ils avaient dérangé ma routine, mais je ne pense pas qu'ils m'aient entendu.
- Les Moires ont essayé d'attaquer l'esprit d'une de mes camarades, tu sais quelque chose d'elles ? se renseigna Thatch.
- Elle l'a toujours ? Son esprit ?
- Oui. Ce fut laborieux mais on a réussi à la sauver.
Sans Mandos, ça n'aurait pas eu le même résultat.
- Alors, elle est une première. Sortez-la des marais, les Moires n'aiment pas qu'on leur résiste. Elles pourraient réessayer. Ce sont des femmes cruelles, mais aussi anciennes que cette forêt. Avant, il y avait bien Celle-qui-sait, mais elles l'ont tuée… donc, il vaut mieux ne pas attirer leur courroux. Le danger encouru dépend de leur humeur. Cela peut être ta voix. Ou ta vie. Ou ton âme. Leur méchanceté est sans limite. Elles disent qu'elles protègent cette région, mais en réalité, elles l'empoisonnent. J'ai perdu des amis de mon espèce à cause de ça… Pour ce qui est de protéger Velen, elles ne font que s'attribuer les actes de Celle-qui-sait… Le fait qu'elles tiennent toujours parole est une légende… cela est peut-être vrai, mais il faut prendre garde à ce que tu leur demandes…
Thatch ouvrit la bouche, mais le célicole n'avait pas fini :
- Tu ne les trouveras pas, tu ne les verras pas, à moins qu'elles le désirent. Mais n'oublie pas que rien de ce qui se passe dans le marais n'échappe à leur vigilance.
- Et la folle dans les marais, c'est qui ? se renseigna le vampire.
- Oh, ce n'est que la pauvre vieille qui s'occupe des orphelins, sans savoir ce qu'il va se passer. Elle prétend que je n'existe pas, vous imaginez.
- De quoi tu parles ?
Le célicole fit mine de se coudre la bouche avec un étrange sourire et se balança d'avant en arrière sur ses orteils. Geralt et Thatch échangèrent un regard. Pourquoi Jeannot si volubile se taisait subitement ? Puis, le mutant comprit et hocha la tête. Shiva voulait doubler les Moires et elle avait probablement déjà agit. Une action qui n'avait pas échappé à la curiosité de la petite créature. Mais qu'est-ce qu'il en était des Moires ? Avaient-elles réalisé quelque chose ?
- Geralt, si Ciri et Luffy ont couru vers l'orphelinat, les enfants les ont forcément vu. Ou au moins, la vieille, pointa Thatch.
- Elle ne parle pas aux étrangers, pas de chance pour vous !
- A toi, elle parlerait ? s'enquit Geralt.
- Je lui ai déjà parlé par le passé… bon, d'accord. Un prêté pour un rendu. Allons la voir.
Et à une vitesse étonnante pour une créature aussi petite, il se précipita dans les marais, Geralt et Thatch sur les talons. Il les ramena vers le marais des orphelins, se glissant à l'angle de la baraque.
- Parfait, la voie est libre. Pas une Moire en vue. Je vais chanter pour Grand-Mère, ça la rassurera.
Et ils sortirent de leur cachette. La vieille femme était seule, travaillant dans les champs, leur tournant le dos. Jeannot leur fit signe de rester en retrait avant de s'avancer, ses pieds nues ne faisant aucun son alors qu'il foulait l'herbe jaunâtre. Puis, il s'assit en tailleurs et commença à chantonner une comptine :
- Le gentil petit Jeannot regardait les braises… Crack, soudain une étincelle lui dit des fadaises…
La vieille s'approcha lentement de lui, les mains sur les hanches, surprise.
- Tu… tu as retrouvé ta voix ?
- Oui, mais je pense bien avoir perdu une octave en route. Il faudra que je pense à aller la chercher.
La vieille femme regarda tout autour avec peur avant de revenir vers le célicole et lui dire avec une voix douce :
- Tu n'aurais pas dû venir, Jeannot, tu sais que c'est interdit.
Ses yeux s'arrondirent quand Geralt et Thatch apparurent derrière la petite créature.
- Calmes-toi, Grand-Mère. Ne t'énerve pas, c'est mauvais pour toi.
- Bon. Deux options. Soit tu nous donnes les réponses, soit tu dis aux Moires qu'on veut causer et que c'est très sérieux, lui dit le vampire sans son sourire caractéristique.
- Non, c'est interdit ! refusa la femme en se détournant, se serrant fort dans ses bras
- Je vous en prie. C'est important, insista Geralt.
- Ils seront sages, Grand-Mère, c'est promis. Écoute-moi. J'ai retrouvé la petite Yagna, tu te souviens ? Et j'ai guéri Genny de sa fièvre, n'est-ce pas ? Je ne t'ai rien demandé en retour, non, pas même quand j'ai perdu ma voix. Eh bien maintenant, Grand-Mère, je te demande une faveur. Aide ces hommes, ne serait-ce que pour nous en débarrasser. Deux de leurs proches ont disparu et seules les Dames peuvent les retrouver.
La vieille se retourna, avant de soupirer et rendre les armes.
- Tu dis vrai, Jeannot. C'est d'accord, je vais les aider. Suivez-moi.
Et elle s'en alla vers le semblant d'église.
Jeannot offrit un sourire aux deux hommes avant de décamper. Les deux aventuriers échangèrent un regard puis suivirent la vieille dame.
Dedans, il y avait des tas de bougies, des crânes et des ossements humains prisonniers de crochets pendant du plafond, de cordes ou de cire fondue. L'endroit ressemblait clairement à un lieu de culte d'une secte. Mais bon sang, il y avait vraiment bien trop de bougies. Il y avait un vrai risque d'incendie à ce stade. Elles étaient en rang d'oignon d'un bout à l'autre de l'allée principale du bâtiment en bois sans fenêtre autre que le lointain soupirail.
- Jeannot est un bon garçon, commenta la vieille dame. Mais les Dames ne l'aiment pas… "Mauvaise peste" qu'elles disent.
Et elle leur indiqua un long autel surplombé par de nombreuses bougies de diverses tailles. Au-dessus, une étrange tapisserie représentant trois femme à moitié nues. Une tapisserie faite à partir de cheveux humains. Intentionnellement ou non, ce qui attirait le regard, c'était le personnage de droite. La femme avec son chapeau pointue avait beau être plutôt pas mal (comme les deux autres) mais elle avait quatre jambes.
- /Deux fois plus de plaisir, j'imagine,/ commenta Thatch avec une moue peu convaincu.
Geralt s'administra un facepalm. Quelle idée avait-il eu de partir avec lui ? Ah oui, c'est vrai, Shiva avait distribué les missions. Et il n'était pas très enclin à s'opposer à la volonté d'une devineresse. Déjà, la vieille femme s'était approchée de la tapisserie.
- Ô ravissantes Dames à l'esprit tout-puissant ! Entendez mon appel et entendez mon chant ! Devant vous se prosterne un ver insignifiant…
Et doucement, avec une pointe de crainte, elle posa une main sur la tapisserie. Il eut comme un courant d'air putride et moite qui envahit la pièce et fit bouger les flammes des bougies. Thatch porta une main à son katana. Ce n'était plus la vieille aux commandes. Il les sentait. Répugnantes et bien trop puissantes à son goût. Toutes les trois, dans l'enveloppe de la vieille femme.
- Comment oses-tu troublé notre sommeil, femme ? aboya une des entités par la gorge de la vieille dame.
- C'est donc vous les Moires, celles dont j'ai tant entendu parler ? demanda Thatch.
- Oh ! Le petit et délicieux envoyé de la mort vous a parlé de nous ? Comme c'est flatteur ! minauda une autre entité.
- Je suis certaine que c'est cette sage défectueuse qui a colporté des ragots sur notre laideur ! grinça une troisième voix. Est-ce qu'on a l'air si hideuses que ça ?
- Il n'y a pas plus méchant et jaloux qu'un elfe, peu importe sa sphère d'origine.
- Venez donc vérifier ce qu'on est, chers étrangers. Touchez-moi ! Touchez-moi où vous voulez !
Pas moyen qu'ils s'approchent d'une tapisserie faîtes de cheveux humains dont ils ignoraient l'origine ou dont l'un des sujets avait un collier à base d'oreilles humaines.
- Cette tapisserie, c'est votre prison ? se renseigna Geralt. Vous êtes maudites ?
- Vilain petit curieux, sermona l'une des entités.
- Nul ne peut nous maudire. C'est nous qui maudissons les autres, précisa une autre.
- Dans tous les cas, on cherche deux personnes voyageant ensemble. Deux jeunes. Une fille et un garçon, des adolescents. La fille a les cheveux cendrés et le garçon les a noirs. Nous savons que vous les avez vu, alors, parlez, exigea le pirate.
- Oouuuuh, le charmant vampire montre les crocs, mes sœurs ! roucoula une des Moires.
- Je les trouve bien impatients, protesta une autre.
- Peut-être n'aime-t-il que les adolescents… qui peut comprendre cette race de suceur de sang.
- Chez moi, on dit que c'est l'hôpital qui se moque de la charité, répliqua Thatch.
- Arrêtez de nous balader et dîtes-nous ce que vous savez de Ciri et Luffy, exigea Geralt avec sa voix froide.
- Tu ne perds pas de temps, je vois… nota l'une des Dames. Très bien. Dites-moi, messieurs, êtes-vous des hommes, des vrais ? Avez-vous peur des bêtes de la forêt ?
- Nous vivons une période trouble, dit l'une des Moires avec une voix bien trop peinée pour être crédible. Les frères se dressent contre leurs frères, la terre est gorgée de sang… Le mal règne sur le pays, plus fort que jamais.
Thatch se contenta de hausser un sourcil.
- Une sombre présence est apparue aux abords de Culterrier. Elle se nourrit de haine et de mépris. Si vous détruisez la bête, nous vous serons assez reconnaissante pour vous dire ce qu'il est advenu de ceux que vous cherchez.
- Une sombre présence ? C'est à un chevalier errant qu'il faut vous adressez, pas à un sorceleur, pointa Geralt. Et encore moins à un vampire.
- Parlez à l'échevin de Culterrier., il vous en dira plus. Et n'oubliez pas de collecter notre dû une fois la tâche accomplie. Et maintenant, notre servante va vous apporter la dague.
- On a plus d'armes qu'il n'en faut, on n'a pas besoin de dague, pointa Thatch.
- Quand l'échevin la verra, il saura que vous êtes nos envoyés et vous aidera sans réserve.
- On va parler à l'échevin, mais on ne vous promet rien, leur dit Geralt.
- Qu'est-ce que tu attends, femme ! Donne-lui la dague !
- Quant à vous deux, ne revenez pas avant d'avoir accompli notre requête.
En chancelant, la vieille dame recula et retrouva ses esprits, les Moires ayant quitté son corps. En marmonnant, elle alla chercher l'objet qu'elle tendit à Geralt.
- La dague. Voilà. Pour vous. Les Dames m'ont dit de vous la donner.
Et elle brandit entre ses deux mains une vieille dague encore tâchée de sang. Rien de rassurant. Geralt la prit et la glissa dans sa sacoche à ingrédient.
- Placez le paiement de l'échevin sur la pierre… pierre nue, pierre tondue, pierre voyante, pierre savante…
Et sur ces mots, elle leur pointa la porte. Comprenant qu'ils avaient abusé du temps de leur hôtesse, ils quittèrent le bâtiment et Thatch soupira en s'étirant.
- Encore un long moment à voyager… nota Geralt.
- Je peux faire une remarque ?
- Du moment qu'elle ne tombe pas dans le crade.
- J'ai l'impression d'être un foutu personnage de jeu de rôle.
