Note de l'auteur : Bonjour ! Si vous commencez cette lecture, sachez qu'il s'agit de la première fiction que j'ai publiée sur Saint Seiya. Vous m'aviez peut-être lu.e à l'époque ou peut-être plus récemment, mais vous êtes cette fois sur une version que vous ne connaissez pas, car je l'ai rééditée. Comme c'est une fiction qui me tenait énormément à coeur, je voulais la remodifier pour qu'elle soit plus lisible, plus fluide, plus compréhensible et tout simplement plus agréable. Le scénario principal reste inchangé, ne vous en faites pas ! Seulement certains détails et davantage de background ou d'immersion dans l'histoire sont en plus. Vous avez en face de vous Errance Nocture 2.0 !

Je vais publier la révision des autres chapitres peut-être pas immédiatement, donc en attendant vous aurez à la suite les chapitres tels qu'ils étaient à l'époque jusqu'à ce que je les réédite. S'il n'y a pas de mention au dessus que c'est la version révisée, c'est que vous lisez l'originale. Les chapitres qui vont le plus être modifiés et étoffés seront probablement les premiers, sur lesquels j'ai trouvé mon écriture plus laborieuse. Le reste sera amélioré aussi, mais de manière davantage superficielle.

Warning : Je préfère faire quelques avertissements avant que ne vous me lisiez. Ce récit a pour sujet des troubles psychiques assez sévères qui peuvent heurter la sensibilité de certaines personnes. En effet, il s'agit d'une histoire autour du trouble post-traumatique (PTSD en anglais), ainsi que les symptômes que cela peut engendrer (attaque de panique, idées/gestes suicidaires, automutilation... pour ne citer qu'eux). Si c'est un sujet qui vous met mal à l'aise, je vous conseille de vous tourner vers des histoires plus légères (j'en ai dans ma collection, promis). De même, la présence de scènes intimes écrites dans un certain détail justifient le rating M de ce récit.

Avant de vous laisser lire, j'aimerais dire pour terminer que c'est une histoire qui m'est extrêmement chère car elle traite d'un sujet qui m'a touché.e personnellement, et que j'ai écrit le premier jet de cette histoire sans être conscient.e que je souffrais du même problème que mon personnage. Je suis en voie de guérison aujourd'hui et tout va beaucoup mieux, donc si jamais vous vous sentez mal pour quelque raison que ce soit en ce moment, surtout ne restez pas comme ça et allez chercher de l'aide. On peut toujours s'en sortir ! Prenez bien soin de vous.

Sur ce, je vous souhaite une excellente lecture !


Chapitre 1 – Nuit agitée

Le point de rupture était atteint.

Du moins, c'est la réflexion qu'était en train de se faire Milo, bien réveillé, les yeux grands ouverts dans le noir, à une heure avancée de la nuit.

En effet, cette situation s'était beaucoup trop répétée ces dernières semaines, voire ces derniers mois. Quelle situation ? Celle-ci, particulièrement irritante : un Chevalier d'Or du Scorpion, éveillé dans son lit, souffrant apparemment… D'insomnies.

Pour ne pas arranger son cas, Milo était allongé aux côtés de son bel éphèbe de Verseau qui, en plus de se reposer paisiblement toutes les nuits, était parfois un horrible couche-tôt. Rien n'y faisait : le Scorpion essayait toutes les positions pour s'endormir, mais en vain. Le sommeil ne lui venait pas. Et il devenait de plus en plus fatigué, en journée, tant qu'il se demandait comment il faisait pour ne pas s'assoupir à la moindre pause.

De plus, Milo n'était pas n'importe qui, au Sanctuaire… Il avait des obligations ! Depuis que tous les Chevaliers d'Or avaient été ressuscités par la déesse Athéna, par un processus que le Scorpion n'était pas vraiment sûr d'avoir compris, cette dernière leur avait demandé de s'investir franchement dans la vie du domaine. L'objectif était d'en faire enfin autre chose qu'un lieu où les entraînements alliaient torture et désespoir. Et la charmante jeune femme n'admettait certainement pas de désespoir dans ses rangs.

Seulement, le fougueux Chevalier du Scorpion commençait à vraiment désespérer de faire des nuits normales un jour. C'était comme ça depuis la résurrection, ou peu s'en fallait, et il en avait marre.

Le plus frustrant pour lui dans cette affaire, c'était que ces nuits écourtées n'avaient pas lieu d'être. Le Sanctuaire n'avait jamais été aussi jovial depuis des décennies. Pas de guerres, pas de menace imminente. Tout le monde était revenu à la vie, et les chevaliers d'or qui avaient eu des différends s'étaient réconciliés, ou du moins se toléraient sans faire trop de vagues. C'était déjà un miracle en soi, au vu des antécédents tragiques sur le domaine. Lui-même, le Scorpion savait que le fait qu'il soit dans un lit en compagnie de Camus du Verseau était une réelle bénédiction, après les divers déchirements qui les avaient opposés.

En prime, la déesse avait même eu la grâce d'améliorer les temples de sa garde dorée, en guise de remerciement pour les batailles sanglantes qu'ils avaient vécu. Le Sanctuaire connaissait dorénavant un modernisme qui avait franchement laissé à désirer auparavant. Un vrai lieu de vie avait été aménagé dans chaque temple, dont une cuisine équipée, une chambre, une salle de bain… Le tout était bien conçu et confortable. Rien à voir avec ce à quoi avaient ressemblé les temples avant la Guerre Sainte. Durant ce temps-là, les chevaliers avaient dû faire des économies eux-mêmes pour meubler comme ils avaient pu leurs espaces habitables. Le Scorpion n'avait jamais possédé de lit si moelleux et si confortable que celui sur lequel il était à présent allongé. Au tout début de sa garde, il y avait même eu une période pendant laquelle il avait dû se contenter de dormir sur un matelas en paille qu'il s'était maladroitement confectionné lui-même. Il avait dû attendre d'avoir assez de sous pour se trouver au moins un matelas moderne. Et cet inconfort global avait tout de même duré toute son adolescence. Ironie du sort, maintenant qu'il avait un vrai lit, un bon matelas, des couvertures bien propres, et un Chevalier d'Or du Verseau bien vivant en prime pour lui tenir compagnie, il ne pouvait plus dormir.

Le vrai souci était ce sentiment d'oisiveté, se disait-il en regardant fixement le plafond de sa chambre. Pas que les chevaliers ne faisaient plus rien de leurs journées, oh non, mais rien d'inquiétant ou de surmenant ne leur arrivait plus. Le quotidien était trop calme pour qu'il arrive jamais à s'y habituer. Et ce genre de choses laissait du temps pour penser. Il y avait comme un problème de fond. Athéna leur avait accordé une seconde vie, pour les récompenser de leur bravoure, et de leur sacrifice… La paix avait été déclarée partout… Même avec les armées adverses, qui avaient été ramenées aussi, d'après ce qu'il avait compris… Et Milo s'interrogeait réellement sur l'utilité de garder un temple qui avait quand même beaucoup moins de chances de se faire attaquer désormais. Surtout que sept chevaliers d'or parfaitement en forme résidaient tranquillement dans les temples avant le sien. Au huitième, il y avait quand même rarement de l'action. Sauf… Sauf lors de ce jour funeste où les cinq chevaliers de bronze s'étaient rebellés contre l'ordre en place.

Milo frissonna sous ses couvertures. Il ne fallait pas qu'il repense à la Bataille du Sanctuaire. Il essayait tant bien que mal de dormir, et franchement, il partait mal, à se triturer l'esprit ainsi. Il lui fallait trouver… Une pensée agréable. Oui… Sans doute.

Camus. Camus était une pensée agréable. Pense à Camus, se dit Milo. Lui, il dormait paisiblement… Il pouvait entendre avec bonheur sa respiration calme et régulière à son côté. Son amant avait l'air d'être bien mieux acclimaté à ce nouveau lit confortable que lui.

Le français n'avait pas vraiment eu le même problème que lui en partant en Sibérie, d'ailleurs. Son avantage en tant que maître des glaces avait été qu'il avait pu se fournir un meilleur ameublement pour son isba, pour lui et ses deux élèves. Alors, les lits moelleux et les logements bien équipés, il connaissait un peu mieux que le Scorpion. Et puis, l'intérêt d'être loin du Sanctuaire, malgré le temps sinistre et le froid qui pouvait régner dans le Grand Nord, c'était qu'il n'avait pas eu à parader devant tout le monde et subir la dure loi en vigueur pendant le règne de Saga. A moitié maléfique, celui-ci n'avait certainement pas fait du lieu un havre de paix. La rigidité s'y était imposée, et les décrets les plus impitoyables avaient été appliqués au moindre « crime ». Et cela avaient été les chevaliers d'or sur place qui avaient fait appliquer des lois parfois injustes, mais surtout cruelles et disproportionnées. Milo se souvenait parfaitement et douloureusement de son horreur lorsqu'il avait compris qu'il avait suivi pendant des années durant des ordres parfaitement infondés et illégitimes. Il avait passé sa vie à servir le Sanctuaire, tout ça pour s'apercevoir que la plupart des missions ignobles qu'on lui avait demandé d'accomplir pour la « gloire » et la souveraineté du domaine n'avaient même pas été justes. Le Chevalier d'Or du Scorpion s'était subitement rendu compte à quel point il s'était fait mener en bateau… Et il n'avait pas été le seul à avoir du mal à se remettre d'une telle révélation. Beaucoup des chevaliers d'or qui avaient survécu à la Bataille du Sanctuaire avaient partagé ce ressenti, à l'époque.

Et Milo ne dormait plus alors que ce temps-là était révolu. Tout allait mieux, désormais. Même, cette période était… Probablement l'évènement le plus heureux qui ait jamais pu arriver au Sanctuaire sur des centaines d'années. Milo ne recevait d'ordres que de la déesse, qui était là, cette fois, pour de vrai, dans le Palais du Pope… Et des ordres du Grand Pope, Shion, qui avait été ramené aussi, et qui avait une manière de gouverner beaucoup plus pacifiste que son prédécesseur maléfique. Et il fallait que le grec ne dorme plus. Cela avait le don de l'agacer prodigieusement.

Ces nuits qui le tenaient éveillé étaient d'autant plus désagréables qu'elles lui permettaient de penser. De penser vraiment. A la moindre chose. Et dans son esprit, ce n'étaient pas de moindres choses qui se bousculaient. Tout ce qu'il avait vécu lui tombait dessus à présent qu'il pouvait souffler. Il était donc accablé de questionnements et de souvenirs qu'il se serait abstenu de revivre. Le chevalier avait l'impression qu'il passait des heures et des heures à voir sa vie défiler devant ses yeux, pire que pendant ses affrontements les plus angoissants, et à se demander quel sens avait eu son existence jusqu'à cette résurrection. Il avait pensé que mourir devant le Mur des Lamentations aurait au moins pu compenser ses erreurs passées. Et il savait que c'était un raisonnement qu'avaient tenu beaucoup des chevaliers d'or à ce moment-là. Il le voyait dans les regards de certains lorsqu'il les croisait dans les escaliers des douze temples. Beaucoup regrettaient encore leurs actes. Et à commencer par Saga, qui avait sans doute le plus de mal à se remettre, d'eux tous. Même si tout le monde était venu lui parler au moins une fois pour lui accorder un pardon amical, on sentait qu'il faisait tout son possible pour faire oublier ses actes malheureux et despotiques.

Malgré toutes ces choses, malgré le fait que pour une fois, les ors étaient tous unis par la même déesse, et la même volonté de bien faire après ces massacres… Milo n'y arrivait plus, parfois. Il n'arrivait plus à faire taire ses souvenirs. Ils tournaient inlassablement dans sa tête… Malgré toutes les bonnes choses qui étaient arrivées au Sanctuaire depuis quelques mois.

Camus ne se doutait probablement de rien. Le Verseau dormait paisiblement la nuit, et il se réveillait reposé, assez tôt le matin, sans aucun problème. Et Milo, lui, s'avérait être un formidable acteur, de jour, alors qu'il n'avait pas la même chance. Le Scorpion savait jouer de son entrain et de sa malice habituels pour détourner les regards. Quelqu'un avec le sourire, quelqu'un qui prend part aux conversations avec énergie et humour n'est pas inquiétant.

Camus était d'ordinaire observateur, mais tout de même. Milo avait tout fait pour ne pas changer son comportement d'un seul pouce, depuis qu'il avait été ramené. Enfin, par rapport à avant… Avant, quoi. Et il y arrivait bien malgré sa fatigue de plus en plus prenante. Quand Camus la percevait tout de même, et le questionnait parfois, avec une lueur légèrement inquiète dans le regard, Milo lui répondait juste que les activités du jour l'avaient crevé. Ce qui de plus, n'était jamais réellement un mensonge. Parler avec tous ces gens, s'atteler aux activités qu'Athéna avait pensées pour eux, et tenir encore plus ou moins la garde de son temple était fatiguant. Camus lui disait souvent, avec un sourire imperceptible (une chose que personne ne pourrait imiter au Sanctuaire) qu'au moins, il dormirait bien cette nuit.

Si seulement.

Milo n'en pouvait plus. Et ce n'était pas le genre de choses qu'il admettait facilement. Cela lui faisait même honte à accepter. Non seulement, il savait qu'il n'avait pas le droit de faiblir, mais en plus, il se disait qu'il n'avait pas le droit de ressentir autant de désarroi dans un contexte pareil. Il avait confiance en Camus, là n'était pas la question. Ce n'était pas qu'il ne pouvait pas lui parler. Le huitième gardien avait même l'impression de ne faire que ça, avec lui, pour combler le vide parfois angoissant entre eux. Le problème était que le Scorpion refusait tout simplement de passer pour un faible, ou pire, pour un fou. Le Sanctuaire n'avait pas besoin de plus de tarés. Ce qu'il ressentait n'était pas normal, se disait-il avec effroi. Cette pensée tournait dans son esprit, elle aussi, à peu près à la même cadence que ses souvenirs incessants. L'impression de ne pas pouvoir s'adapter correctement à cette nouvelle ère s'ancrait en lui, sans qu'il comprenne vraiment pourquoi. Ces derniers temps, il se sentait comme hors du monde. Complètement… Inapte. Camus lui dirait qu'un tel ressenti était ridicule. Qu'il était un Chevalier d'Or, et que lui, de toutes les personnes présentes en ces lieux, ne pouvait pas penser qu'il était inapte. Que si lui, Milo du Scorpion, était inadapté à la vie au Sanctuaire, alors… Personne ne pourrait y vivre, c'était certain.

Hors de question qu'il montre une quelconque fragilité, se promettait-il tous les jours, inlassablement. Il était un Chevalier d'Or, il avait été craint de tous, et c'est ce que Camus lui rappellerait s'il voulait lui confier des pensées tristes ou son désespoir. Un chevalier d'Athéna n'abaisse pas sa garde et ne désespère pas. C'était comme ça, c'était son devoir. Et son amant ne pourrait pas l'aider. Il le rappellerait à ses obligations.

Et puis franchement, Camus n'avait pas l'habitude avec les émotions, quelles qu'elles fussent. Cela avait été suffisamment difficile comme ça d'outrepasser légèrement sa carapace de maître des glaces pour qu'il daigne lui céder un « je t'aime » et accepter de former un couple avec lui. Milo avait dû s'y atteler des années, avec une patience qui ne lui avait absolument pas ressemblé. Pour un chevalier des glaces, il n'est pas question d'étaler ses sentiments. Enfin, pour Camus, disons. Hyôga, en revanche, même s'il admirait profondément son maître, était bien loin d'appliquer ces directives à la lettre. La retenue de Camus était… Tout de même légendaire. Même si depuis leur résurrection, il faisait un sacré travail sur lui-même pour être un peu moins fermé. Camus, par le passé… Avait commis beaucoup d'indélicatesses, qui avaient contribué à blesser profondément Milo sans que celui-ci ne s'en rende réellement compte. Mais Milo avait pris sur lui. Il était tombé amoureux de ce Camus, et de personne d'autre. C'était ainsi.

Le Verseau, décidément, ne pourrait pas comprendre. Le Scorpion n'était pas d'accord du tout avec l'enseignement dénué d'émotion des chevaliers des glaces, même s'il ne le disait jamais à son amant pour ne pas le blesser ou risquer une engueulade. Mais il jugeait ces idéaux absurdes et partiaux. Pour lui, exprimer sa joie intense ou sa colère n'était pas signe de faiblesse. Il trouvait cela plutôt sain, de pouvoir montrer ces choses-là. C'était bien parce qu'ils étaient des humains avec des émotions que leurs combats prenaient du sens, d'après lui. C'était ce qu'il essayait de se dire. Mais lui et Camus n'avaient vraiment pas la même conception des relations avec le monde extérieur, parfois.

Le problème étant que ce raisonnement, il avait malheureusement de plus en plus de mal à le tenir. Avant, Milo avait été ouvert… Avant. Il avait eu l'impression d'avoir été tout de même en synchronie avec ses ressentis. Et il se rendait compte à présent qu'il s'était emmuré lui aussi derrière un masque. Un peu comme Camus, qui le faisait pratiquement naturellement désormais, mais sans doute en pire. Camus choisissait de se terrer derrière son maintien impassible de maître des glaces… Et lui, dorénavant, avait l'impression que ses rires et son enthousiasme mêmes étaient devenus des convenances. Des choses qui allaient de soi. Parce que c'était ce qu'il avait toujours montré naturellement. C'était même la manière dont les autres le définissaient, il s'en était rendu compte. Il avait fini par se cacher derrière son espièglerie au point de se piéger. Sa colère était peut-être sa seule alternative… Mais en temps de guerre. Et on n'était plus en temps de guerre, maintenant. Alors, la colère était aussi à bannir de son comportement. Milo n'avait plus le droit d'exprimer que sa joie de se retrouver vivant aux côtés des autres chevaliers ressuscités. Les autres émotions ne pourraient plus se trouver au-dehors. Celles-ci, de fait, n'avaient pas lieu d'être.

La paix et la joie sur le Sanctuaire…

Milo poussa un soupir consterné, et décida de se lever. Il n'était pas l'espion que son amant avait été avant sa première mort, mais il savait se faire discret. Le chevalier des glaces dormait toujours, allongé à ses côtés, immobile. Milo se redressa doucement du lit et tourna la tête vers lui. Rien. Apparemment, il ne l'avait pas perturbé en bougeant. Camus était profondément assoupi, la tête dans un coussin, et une moue adorablement détendue au visage. Il n'y avait aucun bruit dans la pièce, à part celui de sa respiration calme. Le Verseau ne bougeait pas beaucoup dans son sommeil, contrairement au Scorpion. D'ordinaire, lorsqu'il arrivait à le trouver, le grec pouvait se réveiller les pieds sur la tête de lit sans comprendre comment cela avait pu arriver à son insu.

Milo décida de bouger davantage du lit, et il finit par atteindre le bord de matelas sans perturber le moins du monde son amant. Les jambes dans le vide, il posa lentement ses pieds au sol. Une fois qu'il fut prêt, il se leva tout doucement, et partit sur la pointe des pieds. Il traversa la pièce comme une ombre, et il prit soin de refermer la porte de la chambre derrière lui. Le plus silencieusement possible ! Heureusement que la porte ne grinçait pas… Il ne tenait pas à faire profiter Camus de sa mésaventure nocturne.

Une fois de l'autre côté, il se dirigea vers la cuisine. Un joli ensemble à l'américaine qu'il appréciait bien de jour… Encore une des bontés d'Athéna… Mais autant dire qu'il se trouvait vraiment idiot à s'y balader comme ça de nuit, à des heures indues, dans la pénombre. Milo ne prit même pas la peine d'allumer la lumière. Il savait fort bien où étaient situés les meubles et les objets dans son temple. Et puis, il n'était pas d'humeur à se trouver face au spot jaunâtre de la lampe de la cuisine à cette heure-là. Même s'il ne savait même pas quelle heure il était.

Une fois face à son évier, Milo ouvrit le robinet et se servit un verre d'eau. Histoire de se changer les idées. Il avala plusieurs gorgées du liquide fraîchement servi, et il s'appuya contre le rebord des meubles de rangement.

Mais cela ne lui fit guère changer d'état d'esprit, et l'obscurité environnante n'aidait pas beaucoup son humeur mélancolique. Milo pesta. Rien ne marchait. Il passait malgré lui son temps à ruminer ses anciens exploits d'assassin, ou des épisodes de son entraînement cruel. Disons qu'il préférait ça à… Se remémorer la mort de Camus. Mourir puis revenir à la vie était une expérience complètement dénuée de sens à ses yeux. Il n'arrivait pas à surmonter ce ressenti. Parfois, il se demandait pourquoi il était revenu, s'il n'y avait plus rien à combattre. Enfin, d'après les dires de la déesse. Lui, il ne se sentait plus… Utile, attendu. Quel était son rôle à jouer sur une planète qui ne semblait plus avoir besoin de lui ? Est-ce qu'il avait gagné des nuits et des nuits sans rêves, pour payer les crimes monstrueux qu'il avait commis sous l'égide de Saga ?

Car oui, avouons-le, il se sentait monstrueux. Des massacres sanglants, et pas que des ennemis féroces. Parfois, il avait dû raser des villages ou des régions entières pour éviter le moindre témoin gênant. Pour la gloire du Grand Pope. La gloire du Grand Pope… Il se souvenait particulièrement du regard farouche d'une fillette, qui n'avait pas cillé ou fui une seule seconde devant ce qui s'était avéré être ce jour-là l'incarnation de sa mort soudaine et prématurée. Elle l'avait jaugé froidement, un peu comme Camus toisait ses ennemis, et elle l'avait laissé l'abattre. Peut-être était-ce cette proximité avec l'air qu'arborait son amant tous les jours qui l'avait tant marqué. Il n'en savait rien. Il ne voulait même pas le savoir. C'était beaucoup trop horrible. D'autant que lui-même… Il n'était tout de même pas passé loin de tuer son amant, pendant la Guerre Sainte.

Non, se fustigea-t-il, sentant un sentiment glaçant l'envahir face aux images de cette terrible nuit. Il ne faut pas que j'y pense. Surtout pas. Pense à autre chose, s'ordonna-t-il à lui-même.

L'ignominie de Saga avec le Scorpion, tout particulièrement, avait été qu'il s'était servi de lui pour des missions d'assassinat… Alors que son attaque était taillée pour être affreusement douloureuse. Des douze Chevaliers d'Or, c'était sans doute lui qui possédait la pire, de ce côté-là. Et il n'aimait s'en servir que lorsque la cause était fondée. Milo était naturellement meilleur aux interrogatoires, mais pas aux meurtres de sang-froid. Normalement, le Scorpion se servait de son propre jugement pour donner la mort, s'il le fallait. Mais il avait dû obéir à des ordres, et il n'avait pas eu le choix. Encore une histoire de gloire du Sanctuaire qui avait annihilé toute autre pensée. Et puis, certains de ses accès de sadisme avaient au moins eu l'avantage de ne pas le faire pleurer devant les atrocités qu'il avait dû perpétrer, ou dont il avait été témoin. Il préférait rire de toute cette douleur qu'en pleurer. Pratique, mais à long terme, effrayant. Parce que toute cette période qui avait suivi la résurrection lui avait vraiment laissé le loisir de réfléchir à la vraie teneur de ses actes… Avant, il n'avait pas pu. Il faut dire qu'il y avait eu la mort de Camus… Et tout avait basculé quand il avait vu tout son temple pris par la glace. Son visage figé à la fois de froid et d'éternité…

Sous le coup de ces réminiscences désagréables, Milo ne remarqua pas que son ongle rouge avait poussé de lui-même sur sa main droite. Sans doute un réflexe de défense. Se tenant ainsi les bras croisés, Milo se fit par mégarde une entaille dans le bras gauche, là où son ongle avait décidé de se planter.

« Merde ! »

Il ne manquait plus que ça, maintenant ! S'énerva-t-il franchement contre lui-même. Milo rétracta son ongle écarlate et serra les poings compulsivement. Il était bien placé pour savoir que son attaque était très douloureuse. Il y était pratiquement immunisé, car son entraînement avait consisté en grande partie à survivre à ce poison violent et brûlant des jours et des jours durant… Mais, sans faire de mauvais jeux de mots, ça piquait quand même. Et le constat était invariable : même s'il ne ressentait plus le poison de son attaque – il coulait dans ses veines – l'Aiguille Ecarlate avait tout de même pour effet principal de faire saigner abondamment.

« Putain, mais c'est pas possible ! » s'exclama le Scorpion à mi-voix.

Milo toisait avec mécontentement une entaille, qui comme prévu, allait rapidement tâcher son pyjama de rouge.

En plus de se sentir triste, il était maintenant furieux contre lui-même. Quelle inconscience de laisser ses pensées prendre le dessus et ne plus contrôler ses actes. Camus serait fier de lui, tiens ! Il avait l'air malin, maintenant. Bon, où trouver de quoi se faire un pansement de fortune, dans tout ce bazar ?

Milo se tourna vivement vers le plan de travail et les meubles de sa cuisine pour fouiller avidement à l'intérieur, sans réfléchir. Il fallait trouver au plus vite de quoi panser sa plaie. Celle-ci risquait de goutter sur le sol très rapidement s'il ne trouvait rien dans les parages.

Au moment où le chevalier d'or retournait la cuisine pour trouver de quoi colmater la blessure, une voix froide brisa le silence relatif de la pièce.

« Milo ? »

L'intéressé se retourna dans un sursaut mal dissimulé. Et il fit face à un Camus qui était debout, dans l'encadrement de la porte, et qui avait l'air parfaitement réveillé pour l'heure qu'il était. Mince, c'était qu'il était vraiment discret ! S'effraya-t-il. Il ne l'avait même pas senti arriver.

« Qu'est-ce que tu fais là, en pleine nuit, à fouiller dans les placards de la cuisine ? » résonna de nouveau sa voix sévère.

Une excuse valable, et vite ! s'affola le Scorpion, qui s'immobilisa face à lui.

« Camus ! » s'exclama Milo en reprenant sa contenance habituelle. Contenance habituelle qui se caractérisait par un grand sourire, le plus naturel possible. « Tu ne devrais pas être levé, déclara Milo sur un ton embarrassé. Je suis vraiment désolé si je t'ai réveillé… J'avais soif et je cherchais un verre…

- Un verre ? répéta Camus, interloqué. Mais il y en a un juste là, sur le plan de travail, derrière toi. Pourquoi fouiller ainsi les tiroirs ? En plus, tu sais bien que ce n'est pas l'endroit où on les range. »

Effectivement, le fameux verre d'eau que Milo avait vidé auparavant se trouvait derrière lui, bien sagement, comme pour le narguer. Il l'avait posé sur le rebord avant de s'adosser contre le plan de travail, et se plonger dans ses pensées. Milo se retint de couler un regard sur sa plaie sanguinolente. Si Camus ne l'avait pas mentionnée, c'était qu'il n'avait pas dû la remarquer. La pénombre de la pièce devait jouer en sa faveur.

« Oui, c'est vrai, admit Milo, sur un ton si faussement enjoué qu'il le détesta lui-même. Je suis désolé, je ne suis pas très réveillé. La nuit, on ne sait jamais plus bien où sont les choses ! »

Milo tenta un sourire de conciliation. Le français le toisa à travers la pénombre de la pièce, nettement circonspect. Cependant, au bout d'un silence que Milo trouva sincèrement pesant et inquiétant, Camus sembla juger la réponse convaincante.

« Bien, maintenant que tu as trouvé un verre, tu peux boire, commenta-t-il simplement, en lui indiquant le récipient d'un signe vague de la main. Quand tu l'auras fait, reviens vite te coucher. Tu vas être fatigué, demain. Et puis… Je n'aime pas me réveiller dans des draps froids et vides.

- Toi ? l'interrogea Milo sur un ton moqueur. Tu n'aimes pas les draps froids ?

- On ne va pas énumérer toutes mes contradictions à cette heure-ci, non ? » le gronda Camus, sur un ton entre le reproche et l'amusement.

Il y eut un autre silence entre les deux amants. Camus poussa un soupir très discret. Sans doute un signe de reddition.

« Je retourne me coucher, lui annonça-t-il d'une voix atone. Ne tarde pas trop, Milo. Tu vas encore faire ta marmotte demain matin quand il faudra te lever. »

Camus termina sa phrase dans l'ombre d'un sourire. Il fit ensuite gracieusement volte-face, conformément à ses dires, pour revenir sur ses pas et retourner dans la chambre. Au son de la porte qui se fermait derrière lui, Milo poussa un vague soupir.

Ouf. Camus hors de son chemin.

Du moins le croyait-il.

Si le Verseau n'était plus là pour darder un regard inquisiteur sur son errance nocturne, le problème de blessure ouverte sur le bras de Milo n'était pas en revanche pas réglé. Le Scorpion posa le regard sur l'emplacement de sa piqûre. Et il grimaça. Il avait voulu empêcher le sang de s'écouler trop… Mais il était un peu tard, désormais. Celui-ci avait maintenant eu le temps de souiller abondamment ses vêtements et de commencer à colorer de rouge le sol de la cuisine. Ça allait bien trop vite. Foutue Aiguille Ecarlate.

Milo se sentit tellement misérable en cet instant, avec sa blessure idiote et son désarroi, qu'il ne se sentit même pas de retourner à sa tâche principale, qui était de trouver de quoi faire un pansement dans tout ce bric-à-brac. Non, il s'en fichait presque, à présent. Camus n'était plus là… Et il ne pourrait plus juger quoi que ce soit. Pour ne pas arranger les choses, Milo n'avait aucune envie de retourner se coucher pour fixer de nouveau le plafond le restant de la nuit, à s'imaginer des scénarios horribles ou à laisser ses souvenirs l'envahir. Il ne voulait même pas penser au jour qui allait se lever. Ce maudit soleil… Qui le forçait à être à découvert. La journée du lendemain allait l'accabler encore plus, puisqu'il n'aurait pas eu de coupure avec la précédente. Alors… Il ne voulait plus penser qu'au présent. Et la douleur dans son bras l'y aidait bizarrement.

Le Scorpion, lassé de s'affairer ou de même réfléchir, s'avachit sur le sol de la cuisine, contre les placards du bas. Il ne savait pas trop ce qu'il devait faire. Il n'avait rien envie de décider pour le moment. La voix de sa conscience lui disait que laisser une plaie ouverte et profonde comme celle-là était potentiellement dangereux, mais il n'avait pas envie d'y prêter attention. Pour une fois… Il ne savait pas pourquoi, mais il trouvait que l'écouter ne rimait à rien. Cette blessure, ces souvenirs, ses insomnies, tout ça… Rien n'avait de sens, tant qu'il avait l'impression que ça assourdissait tout autour de lui. Bizarrement, cela lui disait presque de tenter l'expérience de voir si c'était vraiment dangereux. De laisser saigner. Bien qu'il le sache déjà. Que ça l'était. Mais quand même. Cela pourrait l'occuper, après tout. Il ne savait plus quoi faire de sa nuit, de toute manière.

Cet ultime constat fit soudainement céder la digue de ses émotions. Milo ressentit le besoin instinctif de se recroqueviller complètement sur lui-même. Ce qu'il fit. Rien ne compta plus que le silence de la pièce, la pénombre et la douleur de plus en plus lancinante qu'il y avait à l'emplacement de la blessure. Milo sentit malgré lui des larmes commencer à lui échapper, même s'il n'avait pas le sentiment de comprendre pourquoi, ou qu'est-ce qui l'avait provoqué. Il ne se sentait même pas terriblement malheureux. Juste complètement exténué et désespéré de jamais se reposer. Il n'en pouvait plus, de devoir affronter le souvenir de tous ces regards éteints. Et surtout, d'avoir en écho celui du Verseau avant qu'il ne ressuscite… Et là, à l'instant, il venait d'échapper à des explications absurdes avec lui. Mais Camus ne le verrait pas comme ça. Il ne le fallait pas. Parce qu'il voulait être fort pour lui, il voulait être fort pour son amant même s'il n'y arrivait plus… Il n'y arrivait plus. Alors à ce moment-là, il voulait que personne ne le voie. Il s'imagina simplement… Disparaître…

Une main sur son épaule.

« Bon, Milo… Ça suffit, retentit une voix légèrement irritée. On va arrêter de jouer à cache-cache. Dis-moi ce qui se passe ».

Milo en sursauta violemment. Camus ! Il ne s'en était pas débarrassé du tout ! Cette donnée le glaça de la tête aux pieds, aussi sûrement que si son amant avait utilisé son cosmos.

« Camus… » fit Milo dans un souffle. Sentant que la main qui était toujours sur son épaule n'avait pas l'intention de bouger, Milo paniqua. « Camus ! » répéta-t-il précipitamment.

Milo repoussa violemment son amant et depuis son angle de placard, il se redressa du mieux qu'il put.

« Sors d'ici ! s'écria-t-il en prenant un air belliqueux. Tout de suite. »

Camus ne broncha pas. Il se contenta de l'observer attentivement, une lueur troublée dans le regard. Il conservait un calme olympien, vaguement hautain, comme toujours. Voyant qu'il n'avait pas dans ses projets de lui obéir, Milo sentit sa colère monter en lui d'un seul coup.

« Tu ne m'as pas entendu ? tonna-t-il. Tu dégages ! Immédiatement !

- Sinon quoi ? »

Les yeux de Milo prirent une teinte orangée dangereuse, malgré ses larmes. Son ongle rouge s'allongea de nouveau.

« Sinon, je redécore la cuisine avec ton sang », menaça-t-il, sombre.

Camus haussa un sourcil. Qu'est-ce que Milo lui faisait, au juste ?

« Tu crois que tu me fais peur ? s'enquit-il tranquillement.

- Je ne plaisante pas ! s'exclama le Scorpion, colérique. Tu devrais avoir peur ! Je suis le Chevalier d'Or du Scorpion ! Je ne suis pas n'importe qui ! J'ai tué plein de gens ! Plein ! Tu pourrais être le prochain sur la liste ! »

Milo allait se perdre dans un rire fou quand une gifle bien sentie du Verseau claqua sur sa joue. Le Scorpion retomba au sol dans sa position initiale, calmé.

Sans que cela calme pour autant ses pleurs. Il y eut un silence pesant entre les deux, seulement brisé par les sanglots étouffés que le Scorpion essayait de retenir, toujours rageur contre lui-même. Milo se contenta de rester au sol, et de maîtriser ses émotions face à l'impassibilité sévère du français. Il n'y arriva pas vraiment, et il n'arriva pas non plus à faire la part des choses entre sa tristesse, sa colère et sa honte de s'être fait découvrir aussi facilement.

Camus s'accroupit devant lui en silence.

« Bon… Tu es calme, maintenant ? » demanda-t-il plus doucement.

Le Verseau continua de regarder attentivement la silhouette prostrée de son amant. Milo ne fit plus aucun geste. Sur son doigt, son ongle était redevenu normal. Alors, avec beaucoup de précaution, Camus posa à nouveau sa main sur l'épaule de son amant. Cette fois-ci, Milo n'eut pas de réaction.

« Je raconte vraiment n'importe quoi, fit ce dernier d'une voix rauque.

- C'est oublié, le rassura platement le Verseau.

- Vraiment ?

- Oui. »

Il y eut un bref moment de silence.

« Milo… Dis-moi ce qu'il se passe », lui ordonna Camus.

Milo était en train de chercher une réponse cohérente quand le drame numéro deux de la nuitée se produisit. Camus, dans un élan de réconfort, avait laissé voyager sa main du haut de l'épaule de son amant jusque sur son bras, qui était évidemment complètement poisseux de sang. En sentant le tissu soudain humide sous ses doigts, Camus fronça les sourcils.

« Qu'est-ce que… ? »

Paniqué, Milo tenta de retirer son bras mais Camus, qui n'était pas dupe, et soudain inquiet, se redressa, et courut immédiatement vers l'interrupteur de la pièce pour allumer la lumière. Ce qu'il découvrit à la clarté soudaine et agressive de la lampe ne lui plut vraiment pas.

Milo, outre son visage baigné de larmes et ses cernes sous les yeux, qui amplifiaient son air défait, avait une plaie béante sur le bras gauche. Elle avait taché abondamment le carrelage et une bonne partie de son pyjama du côté du bras incriminé. La blessure était très vilaine, et elle ressemblait beaucoup à celles infligées par… par…

« Milo, mais dans quel état tu es ! s'exclama Camus. Explique-toi ! »

Le pauvre Milo se rétrécit encore plus.

« C'est un accident… tenta-t-il de se justifier. J'étais perdu dans mes pensées, et… Mon ongle a poussé par mégarde, et je… Enfin… Il s'est planté dans mon bras, et…

- Et tu t'es dit, tiens, et si je ne soignais pas une plaie que je sais être très dangereuse ? s'énerva vivement le Verseau. Mais tu es inconscient, ma parole ! Il s'agit de ta propre attaque, tu es au courant qu'elle est mortelle, j'espère ?!

- Je n'y avais pas pensé, je…

- Pas pensé ?! explosa Camus. Pas pensé ?! MILO ! »

Camus se retint à grand-peine de mettre une deuxième tarte au Scorpion. Qu'est-ce que c'était que cette inconscience ?! C'était bien la première fois que le grec lui faisait un coup pareil ! Que se passait-il ? Milo était certes un gamin attardé à ses heures, mais d'habitude, il se rendait quand même compte de l'effet dangereux de ses attaques !

Milo ne broncha pas plus que ça sous la colère de Camus. Il l'aurait peut-être fait en temps normal, il se serait sans doute engagé dans une joute verbale pour cacher son incapacité à gérer la situation… Mais il ne gérait plus rien. Il le savait. Il se sentait simplement à bout. Epuisé. Il n'avait plus la force pour une telle chose.

Honnêtement, Milo avait l'air assez mal en point, se dit Camus, toujours énervé et incompréhensif devant ce qu'il avait sous les yeux. La fatigue accentuait la pâleur inhabituelle du joli visage du grec.

« Camus… » tenta tout de même Milo.

Ce dernier ne prit pas le temps de réfléchir davantage. Il empoigna fermement le Scorpion dans le but de courir à la salle de bain, où se trouvait la trousse de secours.

« Tu viens avec moi, décréta-t-il sur un ton sans appel. On va soigner ça tout de suite, tu n'aurais jamais dû attendre. »

Il remit Milo sur pied et lui prit le poignet pour le tirer après lui.

Le Verseau n'eut le temps de faire que deux enjambées avant qu'un « Camus… » ne résonne faiblement derrière lui. Le français choisit de ne pas écouter la supplique. Il continua à entraîner son amant avec lui, résolument. Il n'avait pas le temps de céder à des caprices. Il fallait panser la blessure au plus vite. Milo pourrait lui faire toutes les demandes qu'il voudrait ensuite.

« Je crois que je ne peux plus… marcher… » résonna la voix incertaine de Milo.

Cette phrase avait été prononcée sur ton vaseux, ce qui inquiéta davantage le Verseau. Celui-ci se retourna vivement dans sa course. Et bien lui en prit : il eut à peine le temps de réceptionner un Milo qui tombait la tête en avant vers le sol.

Evidemment. La perte de sang.

Camus flanqua de nouveau une gifle à son amant, qui s'était effondré dans ses bras, mais cette fois pour essayer de le ranimer. « Milo ! » appela le Verseau, de plus en plus angoissé malgré lui.

Heureusement, la formation des chevaliers des glaces avait un avantage… En cas de crise, Camus gardait la tête froide. Il faudrait simplement ne pas paniquer, et tout se passerait bien.

Le français allongea prestement son idiot d'amant sur le canapé du salon. Une fois que Milo fut posé dessus, Camus alla au pas de course à la salle de bain, pour en revenir immédiatement avec sa trousse de secours. Il avait aussi ramené un gant de toilette pour laver le sang qui avait taché les vêtements et la peau du Scorpion.

Camus était méticuleux : il savait exactement où étaient les choses dans la boîte, de sorte qu'il n'eut pas à chercher longtemps pour trouver le rouleau de sparadrap et le désinfectant. Il en aspergea abondamment la blessure avant de laver le reste de la peau avec le gant. Puis, avec des gestes précis et rapides, il enroula la plaie dans le sparadrap, en plusieurs couches, et serra le tout pour stopper du mieux qu'il pouvait l'hémorragie. Le pansement appliqué, il en profita pour déshabiller son amant et le rhabiller d'un pyjama propre. Il mit tout le linge sale de côté, en vrac sur une chaise non loin. Il jouerait aux femmes de ménage plus tard, le plus urgent restait de ranimer cet imbécile de Milo qui était encore pâle.

Camus jeta un coup d'œil à la cuisine, histoire de faire un état des lieux des dégâts. Rien d'anormal ne semblait s'y être produit, à part ce qu'il avait déjà observé. Il aurait le sol à nettoyer près de l'angle du placard, là où Milo s'était avachi. Eventuellement à re-ranger les tiroirs dans lesquels Milo avait fouillé. Cela le rassura un peu, en un sens. Au moins, le grec n'avait pas de blessure autre part. Cependant, Camus restait inquiet. Cela ne ressemblait guère à Milo de se faire mal tout seul. Et surtout, de ne même pas prendre la peine de se soigner. Le français n'aimait pas ça. Si son instinct ne l'avait pas réveillé, Milo aurait pu se vider de son sang sans y faire attention et il serait tombé sur un cadavre peu glorieux au petit déjeuner.

Camus frissonna à cette pensée macabre. Les attaques de Milo avaient un effet spectaculaire, il le savait pour s'en être pris en l'affrontant, mais jamais il ne s'y ferait. Même si Milo ne tarderait pas à revenir à lui, tout ce sang lui avait fait un peu peur.

Le Verseau trouva une chaise dans le salon. Il la souleva, la cala sous son bras, et fit quelques pas pour la poser à côté du canapé où il avait allongé Milo. Il la rapprocha du mieux qu'il put de son amant inconscient, et il s'y assit en poussant un profond soupir. Il tendit son bras vers Milo et prit une de ses mains dans la sienne. Il posa ensuite l'autre sur le front du Scorpion pour sonder son cosmos. Il ne savait pas s'il pourrait analyser grand-chose ainsi, mais c'était toujours une méthode assez pratique pour connaître l'état global d'un individu.

Camus fit le vide en lui pour lier son cosmos avec Milo. Une fois la connexion établie entre eux, il évalua méthodiquement l'état de son amant. Un épuisement conséquent émanait du Scorpion. C'était ce qui sautait le plus aux yeux, dans son cosmos. Cela ne le surprit guère. Le français avait observé que pendant plusieurs semaines, son amant avait exhibé des signes de fatigue plus intenses que la normale. Aussi, le grec avait été beaucoup trop enjoué pour que ce soit crédible, récemment. Tout avait sonné affreusement faux, même si Camus avait choisi de ne faire aucun commentaire. Le Verseau avait eu l'impression que son amant épuisait délibérément son énergie, mais il ne comprenait pas bien pourquoi. Et voilà où était le résultat. Il aurait même dû s'en douter plus tôt, que quelque chose de ce genre finirait par se produire. Camus, lorsqu'il ressentit à travers leurs cosmos la douleur de l'entaille que Milo avait dans le bras, insuffla un peu de son énergie glacée à cet endroit précis afin d'anesthésier la blessure. Milo n'était pas profondément évanoui, cela, il le ressentait parfaitement à travers leur lien. Cela qui le rassura sensiblement. Le français le sentait reprendre progressivement des forces et revenir vers lui de minute en minute.

Le Verseau resta une dizaine de minutes de plus ainsi, à chercher tout ce qui n'allait pas dans le cosmos du Scorpion et à apaiser la douleur dans son bras.

Jusqu'à ce que Milo, les yeux toujours fermés, ne recommence à parler.

« Camus… »

A ce simple appel, le français se sentit submergé à la fois par un sentiment de soulagement intense et une profonde envie de lever les yeux au ciel. Le chevalier eut un instant l'impression d'être plongé dans un feuilleton mélodramatique. Seulement, il trouvait que l'heure avancée de la nuit ne se prêtait pas à ce genre de réflexions. Milo venait de faire une bêtise irresponsable. Ce n'était pas le moment de finasser. Il opta donc pour le soulagement.

« Milo ! Tu m'entends ?

- Oui »

Milo ouvrit les yeux, au bout d'un moment, et son magnifique regard se posa sur Camus.

« Qu'est-ce qui s'est passé ? l'interrogea-t-il d'une voix lasse.

- Tu as perdu trop de sang et tu t'es évanoui, résuma froidement son amant.

- Ah.

- Tu te sens de te lever ? »

Il y eut un silence. Milo fronça les sourcils, comme s'il essayait de chercher un sens à la question qui venait de lui être posée.

« Je sais pas. Fatigué, marmonna-t-il.

- Tu peux l'être, vu l'heure qu'il est, rétorqua Camus.

- Je suis désolé de te causer autant d'ennuis, s'amenda le Scorpion d'une voix chagrine. Je voulais pas te réveiller.

- Eh bien, tu aurais dû, le réprimanda vivement son amant. Tu as de la chance que je me sois réveillé par moi-même. Je te laisse cinq minutes sans surveillance et tu trouves le moyen de te vider de ton sang dans la cuisine ! Tu es conscient que c'était dangereux, j'espère ?

- Je sais pas…

- Tu ne sais pas ?! »

Camus tenta de contenir tout signe de colère contre Milo, qui honnêtement ne racontait que des âneries depuis qu'il l'avait surpris à fouiller toute la cuisine dans le noir. Le français se passa une main sur le visage, et il poussa un profond soupir. Il décida d'opter pour une approche diplomatique. Patience. De la patience, voilà ce qu'il fallait. C'était encore dans ses cordes, normalement.

« Bon, écoute, Milo, commença Camus sur un ton autoritaire. Tu n'es vraiment pas dans ton état normal. Et crois-moi qu'on en reparlera quand tu seras plus alerte. Donc voilà ce qu'on va faire. Je te ramène jusqu'à notre lit, et tu me fais le plaisir d'y dormir sagement, parce que tu as l'air d'en avoir rudement besoin. Et… Moi aussi, d'ailleurs, j'en ai besoin, à force de courir partout pour trouver de quoi te soigner. »

Milo ne répondit rien. Il se contenta de le fixer de ses iris azur.

« Bon… Je vais te porter, maintenant, lui annonça Camus sur un ton résigné. Passe tes mains autour de mon cou, que je puisse te soulever. »

Milo soupira, mais obtempéra, vaincu. Camus ne dit rien de plus. Son masque imperturbable était bien en place sur son visage. Le Verseau se contenta de se pencher sur son amant, et de passer gracieusement une main derrière son dos et sous ses genoux. Cela fait, il le prit sans aucune difficulté entre ses bras. Milo ne protesta pas. Franchement, sauver sa fierté n'aurait plus aucun sens pour lui, là, tout de suite. Que Camus fasse ce qu'il voulait. Lui, il avait abandonné. Il était trop fatigué pour s'opposer aux volontés du Verseau. Celui-ci, avec Milo dans son étreinte, commença à se déplacer en de grandes enjambées à travers les appartements du Scorpion.

Malgré sa lassitude, alors que Camus le ramenait jusqu'à la chambre, Milo se permit tout de même une objection.

« Ça ne sert à rien, prononça-t-il d'une voix résignée.

- Quoi donc ? l'interrogea le Verseau en le dévisageant attentivement.

- Tout ça, répondit sommairement Milo.

- Je te porte, parce que je ne sais pas si tu peux marcher, commenta le français d'une voix atone. Je ne crois pas que ce soit inutile.

- Non, répliqua Milo lorsque Camus le posa sur le lit. Tu ne comprends pas.

- Mais éclaire-moi, je t'en prie » répondit le onzième gardien, à la limite de l'ironie.

Celui-ci, une fois qu'il eut allongé Milo comme il fallait, s'installa tranquillement à côté de lui dans le lit.

Milo ramena les draps à lui, à contrecœur, et se tourna vers le Verseau. Celui-ci le détaillait attentivement. Milo se perdit un instant dans les yeux nocturnes de son amant.

« Camus… J'arriverai pas à dormir, murmura-t-il, dépité.

- Tu viens de faire un malaise, lui rappela Camus sans cesser de le fixer. Dormir doit faire partie de tes compétences. »

Milo sembla hésiter sur la réponse à donner à cette assertion cinglante.

« Je ne sais plus si ça en fait encore partie, répondit-il d'un air malheureux.

- Mais qu'est-ce que tu racontes ? fit le Verseau en fronçant les sourcils.

- Ça fait des semaines que je dors pas, alors à toi de me le dire ! » s'énerva soudain le Scorpion.

L'air fâché de Milo se métamorphosa vite en une expression accablée. Le grec eut encore une subite envie de pleurer. Il se sentait tellement… Epuisé… Et que Camus n'y comprenne strictement rien ne faisait que le blesser davantage. Pourquoi son amant ne pouvait-il pas avoir une seule once de bon sens, parfois, et de comprendre quand une situation dépassait les bornes ? Pourquoi fallait-il que Camus prenne tout pour des caprices ou des lubies de sa part ? C'en devenait usant ! Il n'était quand même plus un gamin, merde !

Milo secoua la tête. Il détourna le regard. Il n'allait pas se remettre à pleurer, maintenant, ça suffisait bien ! Le Scorpion se retourna sur le matelas d'un geste impulsif pour se mettre dos à son amant. Il n'avait pas envie qu'il le voie comme ça. Il en avait marre de se heurter inlassablement à de l'incompréhension, et surtout la sienne. Milo tenta de ravaler sa profonde détresse, mais ce ne fut pas un succès. Une larme coula sur sa joue sans qu'il puisse la retenir.

De son côté, Camus garda le silence, un peu secoué par la réaction de Milo. Il resta là, immobile, se demandant comment il devait agir. Cependant… Lorsqu'il vit les épaules de son amant commencer à tressauter, il se dit tout de suite qu'il ne pouvait certainement pas ne rien faire.

Réconforter les autres n'était guère dans sa nature. Il le savait. C'était un défaut qu'il essayait de corriger comme il pouvait depuis qu'il était revenu… Mais c'était dur. Il voyait bien que son ouverture se ferait progressivement. Il tentait de s'améliorer pour Milo… Parce qu'il l'aimait profondément. Et parce qu'il s'était promis intérieurement de ne plus le blesser. Plus jamais. Là, il voyait parfaitement qu'il s'y prenait très mal, à son grand désarroi. De plus, même s'il n'était pas très surpris de ce qu'il venait d'entendre, ce que Milo lui avait révélé dépassait ses craintes. Milo ne dormait plus depuis des semaines… Voilà qui expliquait largement ce qu'il se passait. Milo n'avait pas pu être si fatigué sans raison… Toutefois, Camus n'avait pas pensé que la situation puisse être si grave. Milo était tout de même très doué pour donner le change, et cette seule pensée eut le don de tout de même beaucoup l'inquiéter. Ses qualités d'observateur étaient-elles en train de s'altérer ?

Ce n'était pas le moment de se faire de telles réflexions, se rabroua-t-il intérieurement. Milo était en train de pleurer, là, devant lui. Malgré ce qu'il avait essayé de faire croire pendant des années durant, il avait un cœur. Il fallait qu'il essaye quelque chose. N'importe quoi qui puisse l'apaiser. Il devait bien avoir ça en réserve…

Camus s'approcha alors lentement de Milo, sur le matelas, et silencieusement, il passa une main contre la taille de son amant, en un geste doux. Le plus doux possible. A ce contact, il entendit Milo cesser de respirer un instant. Le cœur de Camus se serra davantage. C'était de la surprise, ça, comprit-il. Nettement. Le Verseau en grimaça légèrement, pour lui-même. Il avait vraiment du chemin à faire.

Cela ne l'empêcha pas de continuer la caresse. Se rapprochant davantage, ses doigts glissèrent lentement sur le torse devant lui, et dans leur course, ils essayèrent de trouver une main. Une fois qu'ils eurent une prise, les doigts de Camus agrippèrent fermement ceux de Milo. Le Scorpion, qui continuait de pleurer en silence, ne résista pas. Camus prit cela pour un bon signe. Il fallait qu'il continue dans cette voie.

Le chevalier des glaces finit par coller son torse au dos de Milo, lentement. Pour faire bonne mesure, il embrassa très légèrement la nuque qu'il avait à sa portée.

« Milo… murmura-t-il tout bas. Viens là. »

Pour appuyer ses propos, Camus attira le bras qu'il tenait légèrement dans sa direction, pour faire comprendre à son amant qu'il voulait qu'il se retourne. Milo se laissa manipuler sans rien dire.

Une fois que le Scorpion fut face à lui, Camus l'attira entre ses bras. Milo, qui avait l'air de ne pas trop comprendre ce qu'il se passait, ne se fit pas davantage prier pour s'y blottir. Le grec pleurait sans discontinuer, ce que le Verseau commençait à trouver effrayant. Milo n'exhibait que très rarement ce genre d'émotions. Camus était habitué de le voir se mettre en colère… Car les colères de Milo pouvaient être quelque chose. Mais pleurer… Déjà beaucoup moins. Pour qu'il le fasse… Quelque chose de grave devait se passer.

« Milo… reprit-il doucement. Calme-toi… Tout va bien… Je suis là. »

Milo se contenta d'enfouir son visage dans le cou pâle du français et de fermer les yeux, pour savourer l'étreinte au maximum. Il était épuisé, il n'en pouvait plus… Mais les bras de Camus autour de son corps lui faisaient du bien. Beaucoup de bien. Il n'avait pas envie de réfléchir à autre chose.

Camus hésita sur la marche à suivre. Il savait que là, il fallait qu'il dise quelque chose. Et il s'agissait de ne pas se tromper. Puisque l'heure était grave… Il devait au moins prendre le temps de considérer ce qu'il voulait dire. Milo avait visiblement besoin d'aide… Et il était hors de question qu'il l'abandonne à sa détresse. Alors, quand il se décida à parler, il fit de son mieux pour adapter le ton de sa voix à la situation. Il avait été… trop sévère, tantôt. Et il avait l'impression que cela avait fait du mal à Milo. Cette fois, il fallait tâcher de joindre ses paroles à ses actes. Un peu de cohérence, s'admonesta-t-il.

« Ecoute, Milo… commença-t-il d'une voix qu'il espéra apaisante. Je comprends que tu sois fatigué… puisque tu ne dors pas. Mais on va trouver une solution. Tous les deux. D'accord ? »

Camus fit une pause. L'une de ses mains remonta pour se ficher dans les cheveux bleutés et bouclés du Scorpion. Elle commença à y faire quelques voyages, savourant leur texture rebondie.

« Je ne sais pas comment régler ton problème là, tout de suite, admit-il à voix basse. Mais je sais ce qu'on va faire demain. Tu vas te reposer comme il faut. Je vais aller demander une journée au Grand Pope pour toi, afin que tu puisses reprendre des forces. Je lui demanderai de te donner une semaine si nécessaire. Je m'en fiche. Et s'il a quelque chose à redire à ça, laisse-moi te dire qu'il aura du blizzard à gérer. Donc, plus d'obligations pour toi. Pas de combats ou de parades inutiles devant tout le monde. Tu vas sagement rester dans ton temple, et à défaut de dormir, tu vas au moins faire une pause. Quitte à ce que je t'y force. »

Milo resta silencieux. Camus ne se découragea pas. Il continua de caresser distraitement les cheveux de son amant. Celui-ci semblait être en train de se calmer à son contact, et cela le rassurait un peu.

« On reparlera calmement de ce qu'il t'arrive demain, lui assura Camus sereinement. Tu sais que tu peux me parler, n'est-ce pas ? Je veux bien que je ne sois pas le plus doué pour les émotions, mais je peux t'écouter quand même. Je te le jure. Tu peux me dire n'importe quoi, Milo. Je serai toujours là. »

Milo, soudain extrêmement touché par ce discours, déplaça l'une de ses mains contre le corps de Camus, face à lui, pour l'agripper compulsivement. Le Verseau sut qu'il venait de marquer un point. Cela le soulagea.

« Pour ce qui est de cette nuit, reprit-il sur un ton plus ferme, on va faire un marché toi et moi. Tu te reposes. Tu ne te lèves pas en douce, et surtout pas pour t'esquinter tout seul. Tu restes sagement contre moi. Et tu ne t'inquiètes pas de savoir si tu seras fatigué demain. Tu vas reposer, vraiment te reposer, et ce n'est pas négociable. C'est un ordre, même. Je m'en fiche que tu dormes ou non, mais tu restes tranquille. Et pour le reste, on verra plus tard. »

Milo ne répondit pas plus. Il continua de serrer son amant contre lui. Camus soupira.

« Bon… Ne t'inquiète pas trop, Milo, voulut-il le rassurer. Tu es au chaud, dans ton temple, dans mes bras… Et tu peux y rester aussi longtemps que tu le veux. Je suis là pour veiller sur toi. Ferme les yeux… Et concentre-toi là-dessus. Simplement là-dessus. Le confort du matelas, le son de ma voix, ma présence… C'est tout. Ne pense plus à rien d'autre. »

Milo hocha simplement de la tête pour donner son accord, beaucoup plus calme, désormais. Il avait fermé les yeux, sous l'injonction de Camus, et ses larmes ne coulaient plus. Heureusement, pensa le français, qui avait l'impression d'avoir fait vraiment du mieux qu'il avait pu pour gérer la situation. Dans le silence qui suivit, on n'entendit plus que les deux respirations calmes du Scorpion et du Verseau.

« Merci », souffla simplement Milo en se reculant légèrement du cou de Camus. Ce dernier lut facilement dans ses yeux un apaisement qu'il n'y avait plus vu depuis un moment.

Ne résistant pas, le français vola un baiser léger aux lèvres du grec.

Il eut comme récompense de voir son amant faire le premier sourire doux et sincère depuis le début de la nuit.

Camus pouvait être surprenant, quand il le voulait, se dit Milo, qui continua de sourire tranquillement, touché de l'attention soudaine à laquelle il avait droit. Le Verseau prenait rarement l'initiative quand il s'agissait de lui donner des marques d'affection. En revanche, il n'était pas surpris du ton sans appel qu'il avait pris et de cet « ordre de repos » qu'il lui avait asséné alors qu'il n'était en aucun cas son supérieur. Mais Milo s'en fichait bien. Pour une fois qu'il avait envie de suivre un ordre. Et que c'était un ordre raisonnable.

« Tu m'as fait peur, Milo » lui avoua Camus à voix basse.

Milo rouvrit les yeux pour contempler son amant d'un air stupéfait. Camus qui daignait lui avouer ce genre de choses ? Soit il était vraiment en train de s'adoucir beaucoup, soit… Il devait vraiment avoir l'air pitoyable. Milo penchait franchement pour l'option numéro deux. Génial… Pensa-t-il, résigné. Cela ne l'empêcha pas de resserrer encore un peu leur étreinte, machinalement.

« J'ai vraiment l'air si mal en point ? l'interrogea-t-il, dépité.

- Oui, » lui asséna Camus, sans aucune pitié pour son amour-propre.

Le français le surveillait néanmoins toujours comme du lait sur le feu, se rendit compte le grec, qui sentit son cœur se liquéfier à ce constat. Puis, sautant d'une émotion à une autre en se rendant compte de ce à quoi il devait vraiment ressembler, Milo poussa un soupir de défaite.

« Je ne suis pas aussi bon acteur que je me laissais croire, grinça-t-il.

- Tu n'as pas besoin de jouer un rôle avec moi, Milo », le gronda légèrement Camus.

Milo ne répondit rien. L'expression de Camus se fit légèrement embêtée.

« Malgré tout, je salue ton endurance, reprit-il plus doucement. Tu dépenses beaucoup trop d'énergie pour le peu que tu sembles dormir la nuit.

- Tu te doutais que… ? l'interrogea Milo, incertain.

- Non, je ne savais pas que c'était sérieux à ce point-là, l'informa-t-il d'une voix plate. Si je l'avais su… Je serais intervenu plus tôt. Mais je me doutais que quelque chose clochait. Tu donnais bien trop l'impression d'être heureux pour être honnête.

- Tu me vois sourire et tu t'inquiètes, toi ? le taquina-t-il sans y mettre vraiment du cœur.

- Il faut bien qu'il y ait une personne sur cette planète qui te connaisse vraiment, non, Milo ? » l'interrogea Camus en retour.

L'expression du Scorpion se teinta de mélancolie. Ce que Camus repéra tout de suite, et n'aima pas du tout.

« Milo, ne pense plus à tout ça, lui enjoignit-t-il calmement. Je te l'ai dit, tu dois te reposer. Essayer de dormir. Je ne sais pas ce qui occupe tes pensées à ce point, mais pour l'heure, il s'agit de s'occuper de ta santé. Ton cosmos est encore affaibli. Qu'est-ce que tu dis de ça ? Je reste près de toi et je te veille jusqu'à ce que tu t'endormes.

- Camus… Je ne veux pas que tu te prives de sommeil pour moi, fit Milo, embarrassé.

- Je ne me prive pas de sommeil, je m'occupe de toi, rectifia Camus sur un ton autoritaire. Et pour le moment, c'est la chose la plus importante à laquelle je puisse m'occuper. Alors ?

- Alors, rien… Je sais bien que ce serait inutile d'essayer de te faire changer d'avis, marmonna l'intéressé.

- Tu comprends vite, mon Milo », lui sourit légèrement le français.

Le huitième gardien sourit à l'utilisation du possessif. Il aimait tellement quand Camus les utilisait. Cela le rassurait.

« Tu es bien installé, là ? s'assura le Verseau.

- Oui, confirma Milo. Merci, Camus.

- Ferme les yeux, murmura son amant, tout en continuant de lui caresser tendrement les cheveux. Ne t'inquiète plus de rien. Tu es en sécurité, ici. Tu as tout le temps que tu veux devant toi. Et je suis là pour toi. »

Milo obéit et ferma les yeux. Il se sentait à bout de force, comme à l'issue d'un combat. Même s'il était ici dans un combat contre lui-même, il le savait. Mais il ne voulait plus lutter. Une torpeur agréable s'empara de son corps et au même moment, il sentit le cosmos de Camus, rayonnant, l'envelopper pour l'apaiser. Le cosmos du Verseau était miraculeux, se dit Milo en le sentant se lier au sien. Frais… Tout doux. Il y avait de l'amour dedans, pensa le grec, qui étira un faible sourire sous l'ondée d'énergie. Au bout d'un moment, ses pensées finirent par s'obscurcir, et il sombra dans les bras de Morphée sans se rendre réellement compte, tant il avait été à bout dernièrement.

Camus, quant à lui, réprima un soupir de soulagement quand il comprit que Milo était bel et bien endormi.

Demain à la première heure, il irait voir Shion, pensa-t-il immédiatement. Comme il l'avait annoncé à Milo, il irait lui demander une semaine pour qu'il puisse s'occuper du problème. Il savait qu'aucune affaire pressante n'accaparait le Sanctuaire en ce moment. Le Grand Pope pourrait aisément se passer pendant un temps de deux de leurs gardes dorés. En cas de problème, il lui resterait dix autres chevaliers d'ors compétents, et armés jusqu'aux dents, pour envoyer sur des missions ou garder le domaine.

Camus prit garde à se caler confortablement contre son bel endormi. Il ne voulait en aucun cas perturber son repos, mais il voulait l'avoir encore plus près de lui. C'était à la fois pour que Milo ait une présence dans son sommeil, mais aussi, il se l'avouait moins, pour être sûr qu'il reste bien là. Son escapade nocturne et dangereuse lui avait fait tout de même une sacrée peur.

Le Verseau, installé ainsi, se sentit lui aussi plus apaisé, et il sombra alors lui aussi assez facilement, heureux de constater que Milo dormait enfin. Pour lui, ce fut un sommeil plus léger néanmoins, à l'affut de la moindre perturbation venant du Scorpion.