Octobre 1509

Sous le soleil automnal, on s'activait dans l'oliveraie. Un peu plus loin, des enfants riaient en se coursant entre les arbres noueux et les travailleurs. Une vieille radio diffusait des chansons et des nouvelles pendant que l'on procédait à la récolte des précieuses olives rouge de Baterilla. Le doyen et maire se chargeait d'apporter des rafraîchissements à ses citoyens qui travaillaient durement. Avec attention, presque révérence, on cueillait à la main la production de l'année, sélectionnant les plus belles.

- Franchement, je comprends pas les étrangers, grommela Anabela.

La demoiselle de dix ans s'était faufilée entre les branches d'un vieil olivier et, depuis son siège dans une fourche de l'arbre, participait à la cueillette.

- C'est vrai après tout, elles sont infectes ces olives, continua-t-elle.

- Ann, il n'y a rien à comprendre, on bosse, rappela à l'ordre sa cousine quasi majeure qui travaillait sur l'arbre d'à côté.

- Ose me dire que tu les trouves bonnes !

Amelia secoua la tête avec lassitude et posa son panier pour s'étirer un instant, avant de mettre ses mains sur ses hanches pour regarder la brunette sur son perchoir. La petite avait attaché ses cheveux bouclés mi-long en un chignon avec une fine branche d'olivier. Son jean et son tee-shirt étaient couvert de terre et la blonde était certaine que le trou sur le genou avait été réparé par sa tante dix fois déjà. Bon sang, Rouge aurait fait une attaque si elle avait vu l'état de sa fille. Et Amelia se serait fait ramoner les oreilles. La femme était partie pour affaire au Royaume de Bliss (et récupérer le cadeau d'anniversaire de la petite Anabela), laissant les filles seules à Baterilla. A son âge, Amelia était parfaitement apte à surveiller sa cousine, après tout. Anabela n'était pas difficile... sauf qu'elle avait la bougeotte. Raison pour laquelle, au lieu de jouer avec ses camarades de classes, elle participait à la récolte. Au moins, elle serait assez fatiguée pour ne pas rechigner à se coucher à l'infâme heure de huit heures et demie du soir.

- Cariño, que j'aime ou non ces olives ne change pas le fait que c'est la principale source de revenu de notre île. Et tu te feras un shampoing en rentrant, histoire de te débarrasser de l'écorce que tu dois avoir dans les cheveux.

Ann regarda l'olive qu'elle venait de cueillir d'un air sceptique. Elle mordit dedans... et recracha immédiatement en toussant.

- EURK ! cracha la petite en tirant la langue de dégoût.

Amelia secoua la tête et retourna à sa cueillette.

- Eh bien eh bien, ça papote beaucoup par ici, nota le vieil Agustin en venant les rejoindre avec un seau d'eau fraîche et une louche.

- ¡AGUA! s'exclama la petite brunette en descendant rapidement de son perchoir.

Elle manqua de faire tomber le panier accrocher à la branche qu'elle remplissait auparavant, tant elle était pressée de profiter de l'eau que leur apportait le maire. Avec un sourire attendrit, le vieil homme regarda la petite brunette boire goulument l'eau dans la louche pour tuer le goût infect dans sa bouche.

- Cela t'apprendra à essayer de manger le fruit de la récolte, lui dit avec lassitude Amelia.

- Excuses-moi d'essayer de comprendre, grommela la petite demoiselle.

- Tu veux comprendre quoi, petite demoiselle ? sourit avec affection le vieil homme.

- Pourquoi les gens aiment les olives rouges alors qu'elles ont ce goût de sang, Agustin ?

- Parce qu'ils ne connaissent pas l'histoire sanglante qui a donné naissance à ces olives. Elle fait partie de l'Histoire de notre île. Et comme on la connait, notre esprit refuse qu'on puisse consommer des fruits à l'aura aussi morbide. Tout simplement.

- Oh...

La petite déglutit et reprit une gorgée d'eau, avant de retourner à sa récolte. Amelia regarda le visage assombrit de sa cousine, puis accepta l'eau que lui donna Agustin. Enfin, elle ramassa son panier et le coinça contre sa hanche. Elle arrangea le bandana sur sa tête qui gardait ses longues boucles blondes à l'abri des saletés.

- Je vais vider mon panier, tu ne bouges pas de l'arbre, Anabela, demanda la jeune femme.

- Vale, marmonna la brunette.

Agustin regarda la plus vieille qui secoua la tête, l'air de dire de laisser la jeunette. Ainsi, ils s'éloignèrent pour rejoindre les cuves où toutes les olives étaient réunies. Une fois qu'ils furent hors de vue, Ann cessa son travail et se laissa aller dans les branches en soupirant. Elle leva une main pour protéger ses yeux du soleil.

Tout le monde connaissait l'histoire des olives rouges, ici. L'histoire qui lui donnait l'impression qu'elle était enchaînée à cette île avant même d'avoir eu le temps de vivre pleinement.

Son attention tomba sur une olive juste devant son nez. Elle n'était pas mûre, donc, aucun intérêt. Pourtant, elle changeait devant ses yeux. Elle grossissait et se parait d'étranges stries d'un vert éthéré sur un corps noir qui n'était pas du tout commun à ces oliviers. Curieuse, Ann la décrocha et la renifla.

Aucune odeur.

Elle fit rouler le fruit entre ses doigts, intriguée.

Ce n'était clairement pas une des olives rouges de Baterilla.

Alors, avec prudence mais curiosité, elle y enfonça ses incisives.

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.

- AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH !

Amelia laissa tomber son panier, sans s'occuper des olives qui se répandirent sur le sol. Ses sandales volèrent loin de ses pieds alors qu'elle courrait de toutes ses jambes pour rejoindre sa cousine qui venait de hurler. Elle avait la peur au ventre. Anabela n'était qu'une enfant, s'il lui était arrivé quelque chose pendant son absence de quelques minutes, elle ne se le pardonnerait pas. Elle avait déjà perdu son père, si par son inattention, elle perdait sa cousine...

Elle retrouva rapidement la fillette debout à terre, les mains sur la tête, les larmes aux yeux. Cela retira un poids de ses épaules de la voir en un seul morceau. Alors, la peur devint colère.

- Mais ça va pas de hurler comme ça ! Qu'est-ce qu'il t'arrive !

En tremblant, la petite retira les mains de sa tête... dévoilant deux petites oreilles couvertes de fourrures noires. Des oreilles de chat. Amelia fronça des sourcils et s'approcha pour les toucher. Les deux appendices tiquèrent en réponse, se plaquant contre le crâne de la demoiselle en réponse.

- J'ai... j'ai vu une drôle d'olive, alors, je... j'ai voulu la goûter... se justifia la fillette en montrant du doigt l'olive étrange entamée qui était par terre au pied de l'arbre.

Son aînée trembla un instant, ses longues boucles dorées lui masquant son visage, avant qu'elle ne craque. La claque partie, manquant de retourner la tête de la fillette sur son axe.

- On t'a déjà dit de ne pas manger ces olives ! Je venais de te le rappeler à l'instant ! Tu es stupide ou tu le fais exprès !?

- Mais...

- Je veux rien savoir ! On te dit des choses pour ton bien, et tu le fais quand même ! Tu rentres à la hacienda immédiatement ! Je fini d'aider à la récolte et on appellera ta mère pour discuter de ta punition ! C'est pas possible d'être aussi bornée dans la bêtise ! Tu rentres ! Maintenant !

La tête basse, les larmes dans les yeux, la petite brunette suivi le chemin pour traverser l'île et rejoignit la hacienda. Les oliviers de l'autre côté du village, ceux qui les séparaient de la hacienda, n'étaient pas récoltées cette année-là (la petite avait vu en classe qu'une année sur l'autre, la qualité des olives différées, d'où pourquoi ils avaient deux zones de récoltes distinctes pour assurer une bonne qualité à chaque fois... ou un truc du genre, elle n'avait pas trop compris).

En traversant le patelin à pied, elle essuya ses yeux en reniflant avant de regarder son bras en sentant quelque chose de doux lui ayant caressé le visage pendant qu'elle pleurait. Elle avait des bandes de fourrure noire qui avait remplacé la peau par endroit, descendant jusqu'à ses majeurs. Ses ongles étaient devenus de petites griffes. Elle ne comprenait pas ce qu'il lui arrivait.

Elle allait atteindre la seconde oliveraie quand le sol trembla légèrement sous elle. Elle regarda autour d'elle et constata que Garp venait vers elle avec un grand sourire. Que voulait encore le vieux fou ? Remettre encore en doute l'entraînement que leur offrait Pedro à elle et Amelia ?

- Salut Ann ! Bah alors ! T'en fait une tête ! sourit largement le vieil homme en se penchant vers elle.

- J'ai fait une bêtise et je suis devenue un monstre... marmonna la fillette avec une moue.

Elle poussa un cri de surprise quand Garp la souleva par le col de son tee-shirt pour mieux la voir. Il l'observa attentivement avant de rire à gorge déployer.

- Bwahahahaha !

- C'est pas drôle ! protesta la fillette.

- T'as mangé un fruit bizarre, non ?

- Une olive de la récolte s'est transformé devant moi... elle était différente des autres alors...

- T'as voulu la goûter, hein ? Félicitation, petite, te voilà une zoan !

Zoan...?

Cela lui rappelait les histoires de Pedro quand il lui avait expliqué son don avec la pierre. Elle avait donc mangé par erreur un akuma no mi ? Avant qu'elle ne puisse s'attarder plus, elle fut jetée sur l'épaule de Garp qui tourna les talons pour l'embarquer vers le port.

- 'melia m'a dit de rentrer à la maison ! protesta la fillette.

- Boh, tu rentreras plus tard ! Je vais t'entraîner sérieusement, moi ! Tu deviendras un exemple pour la société, mademoiselle ! Une marine brave sur qui on peut compter !

- Mais je veux pas devenir une marine ! Mais lâche-moi vieux fou ! A L'AIDE !

Rien à faire, Garp riait si fort que les cris de détresse de la pauvrette ne pouvaient pas être entendu. Et quelques minutes après, le navire du vice-amiral levait l'ancre pour on ne savait où.

Aussi, quelques heures plus tard, épuisée par la récolte, Amelia arriva à la hacienda, prête à faire la morale à la petite demoiselle qui allait finir avec une belle punition si elle avait son mot à dire.

Mais il n'y avait personne pour l'accueillir.

Les chaussures de sa petite cousine n'étaient pas dans l'entrée. Il n'y avait aucun son dans la grande demeure ancestral de la famille. Personne dans la cour intérieure, ni dans les étages. Personne dans les chambres. Amelia se mordit une lèvre. Aurait-elle blessé sa cousine suffisamment pour qu'elle soit allée rejoindre la tombe de son père ? Ou alors la crypte familiale ? Elle l'espérait. Même si ça signifierait une nouvelle engueulade pour la petite, c'était toujours mieux que la peur irrationnelle qui l'étreignait.

Elle descendit dans les oliviers derrière la maison, regardant chaque arbre sur son passage en appelant sa cousine, jusqu'à arriver au plus jeune de l'oliveraie. Celui planté à la naissance d'Anabela et là où on avait enterré le corps de Gol D. Roger. Mais personne.

Saisissant son dernier espoir, elle courut jusqu'à la plage, se laissant tomber entre les rochers pour rejoindre le sable sans prendre la peine de descendre par l'escalier dédier à cet effet. Elle chercha les buissons d'hibiscus et les suivit en courant. Sur cette route qu'elle connaissait, il y avait toujours ces fleurs qui étaient l'emblème de leur famille et que sa tante portée en permanence dans les cheveux. En arrivant devant une ouverture de la falaise de pierre, menant à une grotte dans laquelle l'eau s'engouffrait, elle vit les premiers flambeaux. Personne ne les avait touchés depuis des années, pas depuis qu'on avait incinéré son père.

Ses jambes cessèrent de la portait et elle tomba à genoux dans le sable, alors que l'eau lui lécha les orteils.

Anabela avait disparu.

Elle l'avait grondé pour avoir fait deux fois la même erreur alors qu'on l'avait mise en garde.

Mais la jeune femme avait fait elle-même une erreur monumentale à deux reprises. Sauf qu'étant âgée et donc responsable, il n'y avait personne pour le lui dire. Deux fois, elle avait laissé sa petite cousine, une fillette de bientôt onze ans, seule. La première fois, elle avait subi une étrange transformation. Et la seconde... elle disparaissait.

- AAAAAAAANN ! hurla-t-elle avec désespoir en cherchant à lutter contre les larmes de peur qui menaçaient sa vue.

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Mai 1510

Ann avait tout essayé. Mais elle n'avait pas réussi à mettre la main sur le denden de bord. Aucun des adultes ne la laissaient y toucher. Soi-disant que ce n'était pas un jouet. En désespoir de cause, elle avait jeté des bouteilles à la mer, mais quand elle avait compris qu'ils avaient changé d'océan, ça avait été la fin. Les quelques fois qu'ils étaient à terre, elle cherchait à tout prix à fuir, mais rien à faire. Elle se sentait comme un animal en cage. Elle craignait un peu plus chaque jour Garp et sa folie, au point qu'elle passait le plus clair de son temps à se cacher de lui. A défaut d'avoir pu trouver du change, elle avait pris un des vestons du vice-amiral qu'elle avait coupé pour qu'il soit à sa taille et cache la fourrure de ses bras. Avec les chutes de tissus, elle s'était fait un bandeau pour masquer ses oreilles de chat et l'absence de ses oreilles humaines. Certains des regards la mettaient mal. Elle n'arrivait pas à savoir si c'était à cause de ces attributs inhumains ou de si on soupçonnait de qui elle était la fille. Dans tous les cas, beaucoup des marines n'appréciaient pas sa présence à bord ou l'envie de Garp de l'entraîner.

Et donc, personne à qui parler de ces étranges apparitions. Parfois, elle avait l'impression de revoir son oncle Javier. D'autre fois, c'était des inconnus. Tous avaient les mêmes yeux cendrés qu'elle, c'était certain, mais elle ne les connaissait pas. Mais la majorité du temps, elle était certaine que l'homme immense à ses côtés, c'était son père.

Et il n'y avait personne à bord pour lui donner des explications sur ces visions. La rassurée sur son état de santé mental.

Ce fut donc avec un certain espoir et soulagement que Garp la trouva, un jour, en lui disant qu'ils étaient arrivés à destination. La prenant par la main, la tirant à moitié derrière lui, il l'attira sur une plage puis dans une forêt plus que sauvage.

Sans qu'elle ne comprenne pourquoi, des odeurs et des sons inconnus firent courir son sang plus vite dans ses veines. Elle voulait courir, explorer, découvrir. Parfois, elle parvenait à se détacher de la poigne de Garp, mais il la rattrapait presque immédiatement.

C'est là qu'ils arrivèrent devant une cabane au milieu des arbres. Là, il la lâcha.

En grimaçant, Anabela ramena sa main contre sa poitrine. Son poignet était mauve, gonflé et lui faisait très mal. Il lui paierait.

Pendant que la demoiselle complotait sa vengeance contre le vieil homme, celui-ci avait toqué à la porte de la cabane avec énergie. La porte s'ouvrit avec violence, rapidement, dévoilant une femme énorme et presque aussi grande que Garp. Elle avait de longs cheveux frisés et une chemise à carreau. Et surtout, un air tout sauf commode. La demoiselle suivi la conversation sans arriver à croire ce qu'elle entendait. Pourtant, quand Garp l'abandonna littéralement à la femme qui s'avérait être une bandit de montagne, elle ne pouvait que se rendre à l'évidence. Elle était dans la panade.

- Il en a des drôles, lui, comme si je pouvais me permettre de servir de nounous à des gosses pourries gâtés, gronda la femme avant de se tourner vers la fillette. Bon, puisque ce vieux fou a décidé que tu devais rester ici, tu vas bosser pour gagner ta croûte !

Ann jeta un œil dans la direction où était partit Garp. Elle ne l'entendait plus. Au moins, avec ses nouvelles oreilles, son audition avait fait un bond. Certaine qu'il ne reviendrait pas avant un moment, lui laissant ainsi un peu de temps pour appeler du secours ou fuir, la fillette se tourna vers la femme.

- Vous avez un denden, por favor ?

- J'ai l'air de quelqu'un qui a envie de s'encombrer d'un foutu denden, gamine ? gronda la femme.

Patience, Ann, patience.

La demoiselle inspira profondément et parla honnêtement :

- Por favor, señora... j'ai autant envie que vous de rester ici. Ce vieux maboul m'a enlevé depuis quoi... sept mois ? Ma mère doit se faire du souci. Ma cousine aussi. Tout ce que je veux, c'est retourné en South Blue. Dîtes-moi juste où trouver la ville ou village le plus proche. Je me débrouillerais.

- C'est bon pour moi. Suis la côte, tu tomberas soit sur le royaume de Goa ou le village de Fushia.

Et la femme lui claqua la porte au nez.

La D. adressa son regard le plus noir à la porte et tourna les talons. Elle s'enfonça sur quelques mètres dans les bois avant de grimper dans un arbre. Elle regarda autour d'elle, cherchant à se repérer. Pas question de risquer de tomber à nouveau sur Garp. Elle sauta dans un autre arbre, à peine plus grand et s'y accrocha facilement pour monter à nouveau dans les hauteurs de son perchoir. Bon, ce n'était pas la même taille que les oliviers, mais au moins, son expérience l'aidait dans son escalade. Ça et les griffes. Une fois en haut, elle avait enfin une vue parfaite des environs, sans autres arbres lui bloquant la vue. Pour le coup, elle avait une vision parfaite du navire de Garp. En regardant de chaque côté, elle nota une sorte de décharge à sa droite et ce qui devait être un village à l'horizon de sa gauche. Petit souci, le soleil se couchait.

Elle se mordit une lèvre.

Elle était un territoire inconnu. Elle ne savait rien des dangers des environs, ni du terrain. Certes, clairement, elle était devenue un chat... plus ou moins, donc, elle avait développé une certaine vision nocturne, mais est-ce que ça pouvait être une excuse pour foncer tête baisser dans l'inconnu et risquer une blessure alors qu'elle était déjà dans une mauvaise passe ?

- Mauvaise idée... souffla ce qui semblait être l'apparition de son père.

Pourtant un sourire féroce apparut sur le visage de la demoiselle. La nouveauté lui faisait tourner la tête.

Même si cela s'était fait de façon qu'elle aurait préféré ne pas affronter, le résultat était là. Personne pour la couver. C'était l'occasion d'avoir une aventure. Et elle allait en profiter à fond.

- Attend... commença Roger.

Trop tard, Ann avait sauté de son arbre pour atterrir souplement par terre et partir en courant dans les bois vers la côte à l'opposé de là où Garp avait jeté l'ancre.

- ...le jour...

En soupirant, le défunt pirate disparut.

Le plan de la petite D. était simple. Courir jusqu'à la plage et suivre la côte jusqu'à tomber sur de la vie ou des traces de civilisation qui la mènerait jusqu'au village, et de là, elle l'espérait, à un denden.

Et en attendant, elle allait profiter de cette aventure.

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- Ton père t'a dit que c'était une mauvaise idée, ta grand-mère t'a dit que c'était une mauvaise idée, Bruno aussi, moi-même je t'ai dit que c'était une mauvaise idée... et même Roja t'a dit la même chose, pourtant, de toute notre famille, c'est la plus barge du lot ! pointa le fantôme de Javier à sa nièce alors que la petite demoiselle remontait une rue en terre battue.

"C'est la fatigue, ignore l'apparition, c'est ton esprit qui te joue des tours" songea Ann avec une main ensanglantée collée sur la gauche de son visage, couvrant au passage son œil.

C'était le petit jour et le village où elle avait mis les pieds étaient déjà bien animé. En voyant le navire pirate au port, elle avait craint de tomber dans une attaque pirate et s'enfoncer un peu plus dans les ennuis. Mais rien, c'était calme. Elle aurait pu penser que Garp avait fait son travail et exterminé les pirates, ne laissant que leur navire intact, mais non. Il y avait de la vie à bord et certains pirates allaient et venaient entre leur navire et le village sans que cela ne pose de soucis.

C'était quelque chose qui la rassura bien assez.

Alors, elle ne chercha pas à se cacher en remontant la rue. Elle ne frappa pas au hasard aux portes, elle se dirigeait vers une auberge ou un bar. Et avec des pirates dans le coin, elle se doutait que ce serait là où il y aurait le plus de bruit. Et bingo, elle trouva un bar, plein à craquer, avec des chants et des rires. Elle entendait même un enfant dire qu'il n'avait pas eu mal pour se faire engueuler juste en suivant par un adulte. Elle passa la porte en entendant le même enfant dire qu'il voulait devenir un pirate.

Une fois dedans, tout le monde était tellement absorbé par l'idée de boire, manger et faire les cons, qu'ils ne remarquèrent même pas la petite brune. De son œil droit, le seul qui ne la faisait pas souffrir, elle observa autour. Il y avait des pirates de toutes les tailles, formes et certainement origines, se faisant servir par une femme qui devait être à peine plus âgée qu'Amelia. Le sourire de celle-ci explicitait que ces marins étaient vraiment pacifiques. Quant à la voix d'enfant, elle appartenait à un garçon qui devait être à peine plus jeune qu'elle. Un petit brun avec un bandage récent sous l'œil gauche. Et un sourire. Dieu, il avait le sourire le plus immense qu'elle n'ait jamais vu. Ah si, une fois. Sur une photo prise de son père le jour de sa mort.

Juste à côté de lui, c'était un autre visage qu'elle avait vu en photo. Sur une prime cette fois. Un homme roux, mal rasé, avec un chapeau de paille sur le crâne. Une vilaine marque de griffure marquait un de ses yeux. Et si elle connaissait ce visage, c'est parce que sa mère le lui avait montré pour lui expliquer qui était l'inconnu qui lui envoyait des lettres et qu'elle avait appris à connaître par correspondance.

Des larmes montèrent dans ses yeux alors qu'elle retirait la main ensanglantée de son visage, dévoilant une vilaine marque de griffure qui déchirait sa joue et une partie de son front en épargnant miraculeusement l'œil. Elle accrocha son bandeau de fortune, l'arrachant d'un geste épuisé.

Un pas.

Puis un autre.

On commença à la remarquer, mais le roux était trop concentré sur le gamin au bar. Il fut donc surpris quand la petite attrapa la tunique blanche qu'il portait et la tira avec des mains tremblantes.

- ¿Tío Shanks ?

Le roux la regarda et ses yeux s'écarquillèrent. Il s'accroupit juste à temps pour recevoir la petite dans ses bras quand elle éclata en sanglot. Elle s'accrocha à lui, la seule chose de familière et un brin rassurant depuis sept longs mois. Toute sa peur, sa peine, sa frustration et sa colère sortirent par ses larmes.

- Anabela ? s'étonna Shanks. Portgas D. Anabela ?

La petite hocha la tête et Shanks la serra contre lui.

Ce n'était pas la même sensation qu'elle avait eu à chaque fois que Javier l'avait prise dans ses bras, mais ça s'en rapprochait. Elle était en sécurité, à présent. Tout allait bien se passer, elle allait pouvoir rentrer chez elle et retrouver sa mère. Après tout, Shanks avait aidé à offrir une sépulture à son père, alors, il l'aiderait à retourner à Baterilla.

- C'est qui cette petite, okashira ? demanda un des pirates.

- La fille d'une connaissance, répondit le roux sans voir le petit garçon au bar ouvrir un coffret à proximité. Je suis navré, Makino-san, mais aurais-tu des vêtements à sa taille ? Je te les paierais.

- Bien sûr que j'ai ça. Viens, tu m'as l'air d'avoir besoin de souffler, sourit la tenancière en se rapprochant de la fillette.

- Ann-chan, écoutes-moi, demanda le capitaine pirate en regardant la brunette dans les yeux en la prenant par les épaules.

Anabela renifla et essuya ses larmes en retenant une grimace quand elle passa sa main sur sa blessure à l'œil gauche.

- Tu vas suivre Makino-san, histoire de te débarbouiller et on soignera cette vilaine plaie une fois que tu seras débarrassée de tout ce sang. En attendant, je vais appeler ta mère. D'accord ? Tu connais le numéro de chez toi ?

La brunette regarda autour et fini par passer derrière le comptoir. En murmurant un "lo siento", elle décrocha l'ardoise de prix au mur en se mettant sur la pointe des pieds. Elle attrapa la craie et y nota le numéro de la hacienda dans un coin avant de le tendre à Shanks.

- Parfait. Tu me fais confiance, princesa ? s'assura le roux.

L'apparition de Javier hocha la tête et celle de Roger posa littéralement une main sur l'épaule de Shanks en souriant. La demoiselle inspira profondément et hocha la tête. Alors, Makino lui présenta sa main et la demoiselle la suivit par une porte à l'arrière du bar.

- C'est qui ? demanda le petit garçon.

- Benn, va me chercher le denden, réclama Shanks.

L'homme au catogan sombre se leva pour aller chercher le denden, laissant le reste de l'équipage sous la surveillance du capitaine. Plus personne ne faisait la fête. Tout le monde avait compris que l'enfant qui venait d'arriver, avec l'air d'avoir fait le parcours du combattant, était importante.

- Okashira, qui est cette fille ? demanda à nouveau quelqu'un.

Le Roux alla jeter un regard au dehors, mais personne ne s'intéressait à ce qu'il se passait dans le bar, alors il revint à son équipage avec un air sérieux.

- Je n'hésiterais pas à sévir si ça s'ébruite, je compte donc sur votre silence. Nous sommes clairs ? se fit confirmer le capitaine pirate.

Les visages sérieux lui répondirent pendant que le gamin les observait en mâchonnant un drôle de fruit.

- C'est la fille de mon défunt capitaine, avoua le rouquin.

- NANI !