Auteur: Kuro-Hagi – 03/2024
Genre: Amitié - Romance - Yaoi
Disclaimer: Tout ce monde et ces personnages appartiennent à Tadatoshi Fujimaki.
Notes/Remerciements : Incroyable elle revient avec un second chapitre pour cette fic ! :)
Dawlly, j'espère qu'il te plaira autant que le premier !
PART. 2 : KAGAMI
I
Pendant le petit déjeuner, Taiga a presque réussi à oublier qu'il a quasiment tout perdu. Daiki a réussi à le distraire avec sa bonne humeur et son humour piquant. Lors de leurs échanges écrits, il avait cru sentir une certaine connexion entre eux qui n'a fait que se confirmer lors de cette première confrontation réelle. Il l'avait déjà repéré de loin, sur son lieu de travail, Daiki n'est pas un gars qui passe inaperçu. Il dépasse d'une bonne tête un certain nombre de personnes dans la foule, tout comme lui et c'est assez rare ici pour le noter, sans compter qu'il est très plaisant à regarder, et qu'il ne peut pas s'empêcher de repérer un beau mec, même s'il se tient à la règle de ne pas entretenir de relation avec les clients quand il bosse.
Il regrette presque d'avoir attendu aussi longtemps pour croiser le chemin de Daiki à l'appartement. Les excuses, pour bosser plus qu'il a fournies à Daiki sont réelles, il ne voulait pas s'imposer et il a vraiment besoin d'argent. Mais la raison peut-être principale, c'est que bosser lui évite de penser à tout ce qu'il a perdu. Mais même par leurs échanges de SMS, Daiki a réussi à le faire sourire, alors qu'il se sent depuis une semaine si vide. Et tous les autres messages qu'il reçoit, même si son meilleur ami et son père, ne veulent que son bien, tournent uniquement autour de ça : "comment il va ?", "est-ce qu'il a eu des nouvelles de l'assurance ?", "est-ce qu'il a pu récupérer quelque chose ?", "comment il va aujourd'hui ?"... Daiki peut-être parce qu'il n'a pas osé, peu importe la raison, il lui a juste parler de choses anodines, légères, sans importance et il lui a donné le sourire, lui faisant oublier quelques instants ce vide.
Cette première rencontre avec son logeur a donc été une bonne distraction, jusqu'à maintenant. Le coude posé sur le bord de la fenêtre, la tête reposant sur sa main. Il observe le paysage familier, le ventre noué. Sa jambe bouge toute seule et il est juste incapable de la stopper. Il a l'impression que plus la voiture se rapproche de sa destination et plus l'étau qui encercle sa poitrine se resserre. L'assurance lui a déjà dit à quoi s'attendre, il a vu son appartement être dévoré par les flammes, mais ce foutu espoir qu'il a rêvé, que l'assurance se trompe qu'il va trouvé d'autres choses à sauver que le contenu d'un pauvre placard épargné le torture. La peur de ce qu'il va trouver, de voir son travail réduit en cendre l'angoisse et étrangle sa gorge. Il est terrorisé. Son cœur s'emballe, sa jambe bouge plus vite, sa main se crispe sur sa cuisse.
« Hey… Taiga ? ça va ? »
La voix inquiète de Daiki le fait sursauter, son cœur rate un battement, mais étrangement ce petit écart de conduite semble l'aider à reprendre un rythme plus normal bien que toujours rapide. Il regarde Daiki surpris de l'entendre si concerné et croise son regard alors qu'ils sont arrêtés à un feu.
« Non… Pas vraiment… »
Sa voix est faible, étranglée. Il écarquille les yeux en réalisant ce qu'il vient de dire. Il n'a pas réfléchi avant de répondre, il a juste laissé échapper la vérité, naturellement. Comme si c'était une évidence. Il ne se sent gêné que quelques instants. Il décide rapidement, qu'il n'a pas envie de lutter. C'est si facile d'être honnête avec Daiki et il n'en peut plus d'essayer de feindre que tout va bien, que ce n'est pas grave, que tout va bien. Pour lui ce n'est pas rien, c'est des heures de travail, sa passion, sa vie qui vient d'être fracasser. Oui c'est vrai, comme certains le diront "ce n'est que matériel". Mais ces dessins, ses peintures elles étaient une part de lui et elles ne se retrouveront pas dans les magasins comme un ordinateur ou une télé. Elles sont définitivement perdues.
Il ferme les yeux et déglutit, secoue la tête négativement et réaffirme, en rouvrant les yeux qu'il sait un peu humides.
« Non… ça va pas… »
Daiki redémarre, mais vient poser sa main sur la sienne et la serre doucement.
« Je suis désolé… J'imagine que ça doit être difficile… Enfin je peux pas imaginer… Mais je comprends…
— Yeah… »
La main chaude relâche la sienne et il regrette son contact et sa chaleur aussitôt. C'était… réconfortant. Il reporte son regard sur la route et Daiki s'engage dans sa rue. L'immeuble est là, la façade noircie, les fenêtres absentes. Il déglutit et ferme les yeux pour retenir des larmes. Daiki se gare rapidement et coupe le moteur. Il ne dit rien et attend, mais il peut sentir son regard sur lui derrière ses paupières closes. Il inspire profondément et ouvre les yeux sur ceux, bleus et plein de compassion, de son ami et comme s'il n'avait attendu que ça pour oser, la main de Daiki vient envelopper la sienne, leurs doigts se mêlent et il serre doucement. Daiki ne dit rien. Et c'est aussi bien, en cet instant aucun mot ne pourrait le réconforter ou le soulager. L'étreinte de ses doigts est plus réconfortante que toutes paroles en cet instant. Il se concentre et retient ses larmes. Il sait que Daiki ne le jugerait pas, mais il n'a pas envie de s'effondrer une nouvelle fois, pas maintenant. Il prend le temps de se ressaisir et finalement, il déglutit et chuchote, de peur que sa voix déraille s'il essaie de l'élever ne serait-ce qu'un peu.
« Je suis prêt… Finissons-en. »
Daiki hoche la tête et après une dernière pression de sa main, libère la sienne et ils sortent de la voiture. En faisant le tour du véhicule, Daiki lui emboîte le pas, leurs épaules se frôlent et il est tenté de reprendre revenir glisser ses doigts entre les siens, chercher de nouveau ce réconfort. Mais il préfère les glisser dans ses poches et il s'avance vers le bâtiment, des hommes sont là pour le surveiller et il doit présenter sa pièce d'identité avant d'être escorté pour emprunter un chemin sécurisé jusqu'à ce qui reste de son appartement. Il sent la présence de Daiki derrière lui, mais il jette malgré tout quelques coups d'œil en arrière pour s'assurer qu'il est bien là. Il est reconnaissant que Daiki ait proposé de l'accompagner, il n'aurait jamais osé demander, mais il ne sait pas comment il aurait réussi à venir jusqu'ici seul. Pour une première rencontre, c'est intense, il a du mal à croire que Daiki n'ait pas hésité une seconde à l'accompagner. Il aura mérité sa tarte au citron meringuée et un poulet teriyaki, des tempuras aussi, il se souvient de son commentaire "orgasmique" de ceux-ci et même son café matinal à vie… La gorge encore nouée, les yeux encore un peu humides, il esquisse malgré tout un sourire et retient même un rire, à ses propres pensées. Il déglutit, la présence de Daiki est extrêmement bienvenue, même sans rien dire il a le don de lui changer les idées et de le faire sourire. Et dans cette situation c'est pas un petit exploit.
Son sourire fane alors que leur escorte s'arrête à son étage et les guide entre les murs noircis dans le couloir qui mène à son appartement. Etrangement, le couloir éclairé par des spots temporaires est presque intact sinon, la couleur des murs, la moquette fondue au sol, mais le plus impressionnant c'est l'odeur. Il grimace et s'arrête devant ce qui reste de sa porte. Il écoute les instructions de leur accompagnateur, ne pas dépasser les zones marquées des bandes jaunes, le reste pouvant s'effondrer à tout moment sous leur poids.
Une fois qu'il a confirmé avoir bien compris, l'homme reste à la porte et les laisse entrer dans l'appartement. Il pousse la porte et fait quelques pas à l'intérieur et il se fige, glacé. Il entend comme dans un son lointain les pas de Daiki derrière lui et la chaleur de son corps qui irradie dans son dos, alors qu'il ne peut détacher son regard du spectacle.
Il ne sait pas trop ce qu'il s'était imaginé, peut-être que son appartement serait méconnaissable au point qu'il ne le reconnaîtrait pas. Mais la réalité est tout autre. Les verres aux fenêtres ont explosé, le canapé a été dévoré par les flammes mais sa structure en acier est toujours là, devant la table basse est couleur charbon mais tient toujours debout, son PC portable resté dessus n'est plus qu'un amas de plastique fondu. La télé ne ressemble plus à rien et la bibliothèque a presque entièrement été dévorée. Son futon dans un angle a été à moitié dévoré par les flammes et de son bureau et sa table à dessin, comme pour le canapé il reste plus que des structures métalliques et des bouts de planche noire. On devine encore la forme de son PC, mais le chevalet sur lequel il peignait à totalement disparu. Son ventre se noue, contre le mur, il ne reste plus que des souvenirs de ses nombreuses toiles qui envahissaient peu à peu son espace et qu'il ne savait plus où stocker. Il n'essaie même pas de chercher où il avait laissé son carnet de croquis.
Son appartement est… était… minimaliste comparé à celui de Daiki et il a suffit d'un regard pour voir qu'il n'y a absolument rien à récupérer dans la pièce à vivre. Secoué d'un sanglot, il réalise que les larmes dévalent ses joues depuis probablement un moment. La main de Daiki se pose doucement sur son épaule. Son ami ne prononce pas un mot, il n'essaie pas de l'enlacer, mais ce contact lui semble terriblement intime alors que Daiki est témoin de ce moment de grande faiblesse. Ce geste est réconfortant, comme si la présence amicale lui donnait la permission de craquer, la permission d'être triste et de se sentir anéanti.
Il essuie son visage et souffle doucement, sa voix craque un peu quand il explique à l'oreille attentive de ce gars qu'il connaît à peine et pourtant est là aujourd'hui pour lui, ce gars auquel inexplicablement il fait confiance. Il se sent en sécurité d'une certaine façon. Il se sent libre d'être vulnérable.
« La plupart de mes tableaux étaient là... »
La main de Daiki serre un peu plus son épaule, sans être douloureuse, juste pour montrer un peu plus de réconfort et il apprécie.
« Je suis désolé.
— Merci… »
Il laisse un rire amer lui échapper.
« Il reste vraiment rien… C'est fou… »
Il soupire, essuie encore son visage et s'oblige à traverser la pièce en suivant le cordon de sécurité, puis il arrive dans le petit couloir qui mène d'un côté à la salle de bain et les toilettes et au fond à un placard, cette zone de l'appartement a été presque entièrement épargnée par les flammes, mais pas par les jets d'eau des pompiers. Il ne sait ce qu'il pourra récupérer, il n'est plus sûr exactement de ce qu'il avait stocké là, surtout du matériel pour partir en expédition, sa go pro, son drône et sûrement un vieil appareil photo qui pourra peut-être le dépanner quelque temps. Daiki le suit et chuchote derrière lui.
« Tu as beaucoup de choses dans ce placard ?
— Quelques trucs… C'est un peu le seul espace de rangement, en dehors de la penderie et de la cuisine… J'espère que c'est pas trop inondé. »
Il s'arrête devant la porte et reste figé, étrangement il n'arrive plus à faire un mouvement. Daiki reste silencieux, puis vient poser une main sur son coude.
« Hey… Tu veux que j'ouvre ?
— Ouais… peut-être… »
Daiki imprime une légère pression sur son bras, puis il le libère et ouvre le petit espace de rangement. Et quand la porte s'ouvre, il est presque surpris. Même si c'était irrationnel, vu l'état du couloir, il s'attendait à voir le contenu dans le même état que le salon, mais tout semble pratiquement ranger. Il y a des tâches d'eau et de suie qui ont dû passer par les interstices des portes du placard, mais la plupart de ce qu'il y a entreposé était protégé dans des étuis et devrait avoir été préservé. Et… il en est soulagé, mais pas autant qu'il l'aurait cru. Ce qu'il y a dans ce placard, même s' l y a du matériel auquel il tient… C'est matériel. Ses tableaux, ses dessins, tout ce qui n'était pas électronique est parti en fumée et il n'arrive pas à l'accepter. Sa voix lui semble indifférente quand il souffle.
« Tout semble intact… »
Il entend sa propre voix, presque déçue et se sent honteux, ingrat en quelque sorte, mais en quelques mots Daiki le soulage de sa culpabilité.
« Le remplaçable… Ce ne sont pas tes peintures…
— Yeah… »
Il plonge son regard dans les yeux bleus tempête de Daiki, il lit la compréhension, la compassion et d'autres choses qu'il n'arrive pas à interpréter mais peu importe. Il inspire et hoche la tête.
« Il y a quelques trucs sentimentaux, mais… Rien d'aussi… unique que mes tableaux…
— Je comprends… Et donc y'a quoi de sentimental dans tout ça ? »
Il est surpris par la question et reporte son attention sur le placard soigneusement rangé alors que Daiki ouvre les sacs qu'ils ont emmené et l'interroge du regard comme pour lui demander l'autorisation de commencer à ranger. Il acquiesce d'un mouvement de tête, et le regarde faire sans bouger en réfléchissant à sa question. Son esprit dérive un peu et il se dit qu'ils n'ont pas assez de sacs, puis il répond.
« Mon premier appareil photo… Il doit être planqué quelque part tout au fond… La paire de chaussures que je portais lors de ma première vidéo… Quelques babioles qui me restent de ma mère… »
Et il souffle doucement, un baume apaisant semble passer sur son cœur à cette dernière pensée, il aurait été tellement déçu d'avoir aussi perdu ce qui lui reste d'elle et c'est un petit réconfort. Daiki vide méthodiquement le placard et range avec précaution dans les sacs. Et il est encore là à le regarder faire, incapable de bouger, mais Daiki ne semble pas s'en formaliser alors qu'il lui fait la conversation, le distrayant de la situation, même si c'est pour abordé un autre sujet peu réjouissant, parler l'aide à reprendre pied peu à peu.
« Tu n'as plus ta maman ?
— Non… Elle est morte quand j'étais gamin.
— Je suis désolé. Qu'est-ce qui est arrivé ?
— Un accident de voiture… Elle est morte sur le coup, mon père a perdu l'usage de ses jambes et… J'en sors quasi indemne.
— Merde… Désolé pour ton père aussi. Et quasi ?
— Ouais. Juste des cicatrices. Un trauma crânien sur le moment… Mais sinon rien. »
Il se perd dans ses souvenirs jusqu'à ce que Daiki attire de nouveau son attention.
« Hey Taiga… Et ça c'est quoi ? »
Il regarde avec stupeur deux tableaux soigneusement emballés dans du papier kraft qu'il avait oublié avoir mis là.
« Sérieux ? »
Il sourit et laisse un rire lui échapper. Il attrape l'un des paquets avec précaution et souffle.
« Je te montrerai chez toi ok ? Ce sont deux de mes peintures… Je les avais faites avant mon déménagement… C'est sûrement pour ça qu'elles sont encore là.
— Cool j'ai hâte de voir ça. Tu m'aides ?
— Ouais désolé.
— Nan t'excuse pas. T'en fais pas. Par contre… On n'aura pas assez de sac. »
Il rigole à cette remarque.
« Ma pensée précisément… On va devoir faire plusieurs trajets jusqu'à la voiture… »
II
Quand Daiki démarre, il est un peu soulagé. Il préfère oublier cet endroit à présent et rentrer dans le confort de l'appartement de son ami, son chez lui temporaire mais où il se sent bien. Il reste silencieux un long moment, regardant pensivement les rues de Tokyo défiler derrière la vitre, puis il se tourne vers Daiki.
« Merci… Pour ton aide. Je sais pas comment j'aurai fait tout seul.
— Pas de quoi. Je suis content d'avoir pu t'aider. »
Il hoche la tête et reporte son attention sur les bâtiments gris et les néons multicolores, qui forment une sorte de brume informe derrière ses rétines alors que son regard n'accroche sur rien, tout comme ses pensées qui dérivent et qu'il lui semble ne plus réussir à attraper.
« Hey Taiga ?
— Hm ?
— T'as faim ?
— Oh yes… J'ai la dalle.
— OK. On va s'arrêter manger des burgers avant de rentrer alors. »
Est-ce qu'il devrait s'inquiéter que Daiki l'ait déjà cerné en si peu de temps ? Comment a-t-il déjà compris que la bouffe était l'un de ses plus grands réconforts quand il est au fond du trou ? Sans compter qu'il ne pouvait pas tomber plus juste en choisissant des burgers. Il ferme les yeux et laisse un sourire triste étirer ses lèvres alors qu'il se laisse envahir par la mélancolie. Peut-être que Daiki est observateur, peut-être qu'il est complètement transparent. Peu importe, il fait confiance à son ami, il ne lutte pas, il baisse sa garde et il se laisse bercer par le rouli de la voiture et somnole dans les bouchons. Il n'habite pas du tout dans le même quartier que Daiki, c'est même plutôt à l'opposé et le trajet prend facilement plusieurs dizaines de minutes, pendant lesquelles il dérive dans l'inconscience.
La main sur son bras, lui fait brutalement ouvrir les yeux. Il s'est vraiment endormi. Ça ne lui ressemble pas et pourtant il se sent terriblement épuisé.
« Taiga ?
— Yeah… Désolé… Je pensais pas m'endormir.
— T'inquiète… Tu veux quoi comme burger ? C'est bientôt à nous de commander.
— Oh ouais… C'est vrai j'ai la dalle. »
Il réfléchit rapidement et énonce sa commande à Daiki qui rigole un peu devant son appétit mais se contente de commander exactement ce qu'il a demandé. La part de Daiki est plus modeste mais déjà bien conséquente. Ils récupèrent leurs burgers et rejoignent l'appartement. Ils choisissent de manger avant de vider la voiture, histoire de profiter des burgers avant qu'ils soient froids. Ils mangent en silence. Le silence n'est pas gênant, en tout cas, il ne lui semble pas. Ce n'est pas tout à fait ce qu'il avait imaginé comme premier repas en tête à tête avec Daiki. Mais, il n'a pas la force de s'en lamenter. Il se rattrapera mais aujourd'hui, il s'accorde d'avoir des circonstances atténuantes.
Quand il repose son gobelet de soda vide, il souffle doucement.
« Merci…
— Hm… Pour les burgers ? C'est la moindre des choses après tous les petits plats que tu m'as préparé. »
Il sourit.
« Idiot… Merci pour ton aide, de m'héberger, de m'aider avec mes affaires… De… d'être là aujourd'hui… Merci… Pour ton amitié.
— C'est toi l'idiot ! Hmpf… »
Daiki détourne le regard un peu gêné, et il est presque sûr qu'il pourrait voir des rougeurs sur ses joues s'il était moins bronzé. Il sourit, terriblement charmant.
« De rien… Et tu vas pas me remercier à chaque fois pour ça hein ?!
— Hm… Je sais pas… J'aime bien l'effet que ça a sur toi. »
Daiki lève les yeux au ciel et lui jette sa serviette en papier froissée au visage. Il laisse un léger rire lui échapper et ça fait du bien. Après ce repas et ce petit échange, la tension le quitte un peu. Même s'il se sent toujours fatigué, il veut en finir et a retrouvé suffisamment d'énergie pour se sentir capable au moins de rapatrier ses affaires dans sa chambre. Il se lève pour jeter les détritus de leur repas.
« ça te va, si on vide la voiture maintenant ?
— Ouais bien-sûr. »
III
Un frisson glacé, désagréable coule sur sa nuque et le sort de sa transe. Il est assis sur le lit, dans la chambre d'ami de Daiki, regardant les sacs et cartons empilés contenant tout ce qu'il reste de sa vie. Il inspire doucement et enfouit ses doigts dans ses cheveux les coudes posés sur les genoux et il retient un cri de rage. Il n'en peut plus, ses émotions jouent les montagnes russes, dès qu'il a l'impression de se sentir à peu près normal, à sourire même, un mot, un objet, la solitude, une pensée… Et de nouveau il se sent vide, dévasté. Il se frotte le visage rageusement et se force à se relever avant de finir en boule dans son lit à se morfondre. Il se change rapidement, enfile un short et un maillot de basket et prend sa nouvelle paire de chaussures de course, ses écouteurs, son téléphone et il sort de sa chambre, décidé à prendre l'air et aller courir pour se vider la tête.
Alors qu'il traverse le salon, Daiki avachi dans le canapé relève la tête sur lui.
« Hey… T'as réussi à ranger un peu ? »
Il laisse un rire amer, lui échapper puis il regarde Daiki et secoue négativement la tête.
« Nan… J'peux pas là… J'vais courir… Faut que je me vide la tête. »
Sa voix s'étrangle sur la fin de sa phrase et il s'exaspère lui-même à être si émotif. Il déglutit et détourne le regard, Daiki l'a déjà vu assez faible comme ça.
« Ok… Tu as besoin d'être seul ou… On avait parlé d'un basket. J'suis chaud si tu veux. »
Cette proposition fait fondre son cœur, il est à deux doigts de pleurer de joie ou de soulagement. Il déglutit pour ne pas arriver à ces extrêmes malgré tout et hoche fébrilement la tête pour acquiescer.
« Carrément. »
Daiki est aussitôt debout et lui assure qu'il n'a besoin que de deux minutes pour aller se changer. Il est impatient, il avait déjà hâte de pouvoir affronter Daiki, mais à présent l'idée de reprendre ses marques sur un terrain le rend fébrile. Le basket c'est son réconfort. Il ne sait pas où trouver un terrain dans le coin, il n'a pas eu le temps de chercher et courir lui aurait sûrement permis d'en trouver un pour une prochaine fois. Il n'attend pas Daiki pour prendre un sac, y glisser deux bouteilles d'eau et aller enfiler ses baskets. Ses doigts fourmillent, impatient de sentir le cuir de la balle sous ses doigts. Il espère que Daiki est vraiment bon, il a besoin d'un vrai challenge pour faire descendre la pression, pour se vider la tête de tout ce qui le préoccupe.
IV
Le souffle court, le cœur battant à ses tempes, la sueur glissant sur sa nuque, il regarde son adversaire avec détermination. Pas moyen qu'il le laisse passer encore une fois. Daiki n'a pas failli à sa promesse. Là sur le terrain, sous le soleil qui chauffe sa nuque, la brise qui caresse sa peau moite de sueur, son esprit est totalement focalisé sur Daiki, sur le jeu, la balle qui navigue entre ses mains et martèle à un rythme régulier le bitume chaud sous ses semelles. Concentré pour tenir tête à ce nouvel adversaire qui se montre bien plus ardu que ce qu'il aurait cru.
Depuis qu'ils sont sur le terrain, il n'a pas eu l'occasion de baisser sa garde un seul instant, que ce soit pour garder sa balle ou tenter de la récupérer, il doit faire preuve d'une vigilance de tous les instants. Ça fait longtemps qu'il n'a pas affronté un adversaire aussi doué. Et c'est terriblement satisfaisant.
Il sent ses muscles commencer à le brûler, sa respiration plus erratiques, son maillot qui colle à sa peau. Il savoure les sensations, il aime quand son corps se fait sentir, quand il sent qu'il a poussé l'effort au-delà de ses capacités. Mais il ne compte pas arrêter si facilement.
Il observe Daiki avec attention, il commence à réussir à lire avec plus de facilité son corps et anticiper ses mouvements. Son logeur est rapide, il bouge avec souplesse et fluidité sur le terrain. Il lui rappelle un félin, vif, gracieux et silencieux, tout en subtilité, là où lui peut se montrer plus dans la force brute. Le jeu de Daiki est surprenant et passionnant. Par trois fois, il a mis des paniers improbables sans effort, le genre qu'on dirait "chanceux" mais qui sont en réalité calculé. Il est clairement impressionné par le jeu de son ami et se sent exceptionnellement pas au niveau. Pourtant, il devine dans les quelques mots qu'ils échangent, même s'ils sont rares tant ils sont concentrés, et dans les regards de Daiki qu'il est également agréablement surpris.
Il n'a pas joué avec une telle intensité depuis très longtemps et ses muscles commencent à le brûler, mais il prend trop de plaisir à jouer pour vouloir s'arrêter. Sans compter que le challenge nécessite toute son attention et fait barrage à toutes ses pensées qui ne cessent de l'assaillir par vague, le ramenant à tout ce qu'il perdu, à ce désespoir, cette impression de vide qui le ronge. Il a horreur d'être ainsi ballotté par ses émotions, par ses pensées, riant et pleurant coup sur coup. Mais là sur le terrain, son esprit est clair, les choses, les règles sont simples et il n'y a que l'instant présent, immédiat qui importe, le reste n'existe plus.
Il lui semble qu'ils jouent encore un long moment quand Daiki déclare forfait. Il a totalement perdu la notion du temps et ce n'est qu'en réalisant que le ciel s'est bien assombri qu'il réalise que ça fait bien plus de deux heures qu'ils sont là. Sa respiration est courte, il est essoufflé, ses muscles pulsent après le surplus d'effort, il est trempé de sueur et il sent ses membres lourds. Il est épuisé mais il se sent revigoré. Il prend la bouteille que Daiki lui tend et rougit quand il lui sourit et le complimente.
« Wah! J'suis impressionné, ça faisait super longtemps que j'avais pas trouvé un adversaire à ma hauteur ! Faut absolument qu'on remette ça très vite ! Tu m'as tué… Mais j'ai kiffé. ça fait du bien. »
Il se cache derrière sa bouteille mais quand il a avalé quelques gorgées, il espère que sa gêne passe inaperçu après l'effort qu'il vient de donner.
« Merci. T'es bien meilleur que moi… J'ai kiffé aussi. »
V
Il n'a pas cuisiné la tarte au citron. Il lui faudra plus de temps, mais il se promet de préparer un somptueux repas pour Daiki dès qu'il le pourra. L'autre homme est clairement un fin gourmet et les compliments sur sa cuisine sont toujours bons à prendre.
Après un basket épique, ils sont rentrés, pris des douches rapides puis, il s'est installé en cuisine pour préparer des ramens sous le regard de Daiki. Ils n'ont cessé de discuter de choses diverses et variées. Pas un moment de gêne rien, juste des échanges fluides et agréables. Encore une fois, son nouvel ami a accaparé son attention, l'empêchant de cogiter. Et il lui en est plus que reconnaissant.
A présent, ils sont installés sur le minuscule balcon de l'appartement, sur des chaises inconfortables à siroter une bière, silencieusement. Mais même le silence en présence de Daiki n'est ni gênant, ni anxiogène. Daiki repose sa bière vide au sol et brise ce moment de calme.
« Je suis vraiment désolé pour ton appart et surtout pour tes peintures… Je sais que c'est irremplaçable… Mais… Je dois avouer que je suis content que ça t'ait amené jusqu'ici, d'avoir pu te rencontrer. »
Il est surpris par les mots de Daiki et sa soudaine timidité quand il fait cet aveux, clairement un peu coupable de sa pensée et pourtant… Il doit bien avouer qu'il n'avait pas vu ça sous cet angle, il a perdu des choses précieuses irremplaçables. Mais rien n'est plus irremplaçable qu'un ami, et c'est ce qu'il a trouvé en Daiki. Il sourit et lui tend son poing, Daiki lui rend son sourire et frappe sans hésiter son poing du sien.
« Moi aussi… Je suis content de t'avoir rencontré. »
Daiki sourit et se relève.
« ça mérite une autre bière ! »
Il rigole et acquiesce. Demain, ni l'un ni l'autre ne travaillent, et il a bien besoin d'une soirée de détente avec un pote.
VI
Il relève le nez de son ordinateur quand il entend son téléphone sonner, un sourire naissant déjà sur ses lèvres, son ventre le chatouillant légèrement anticipant l'auteur du message : Daiki probablement. Il est pratiquement le seul à lui envoyer des messages, et ils en échangent quotidiennement.
[Aomine — 13:22]
C'est quoi l'endroit le plus dingue que tu as visité en Urbex ?
Il sourit franchement à la confirmation que c'est bien son ami et à la question sortie de nulle part. Il adore ces messages de Daiki qui lui partage tout ce qui lui passe par la tête, quand ça frappe son esprit. Il aime cette proximité, presque cette intimité. Il se sent moins seul et dès que le blues refait surface, il lui suffit d'envoyer un message à Daiki pour qu'il lui change les idées. C'est presque magique. Et plus le temps passe et plus il se sent proche de lui et parfois un peu possessif aussi. Parfois, il a l'impression qu'un petit ami l'attend chez lui. Et il se prêt à imaginer le goût de ses lèvres, la sensation de son corps contre le sien, l'odeur de sa peau après le sexe.
Il rougit même s'il est seul, gêné que ses pensées dérivent ainsi, il se reconcentre sur la question et réfléchit.
[Kagami — 13:23]
Dingue ? Qu'est-ce que tu appelles dingue ? Le plus creepy ? Le plus beau ? Le plus
difficile d'accès ? Le moins visité ? Celui où j'ai failli me faire prendre ?
[Aomine — 13:23]
T'as failli te faire prendre ?!
[Aomine — 13:24]
Faudra que tu me racontes ça.
[Aomine — 13:24]
Nan je sais pas… Celui qui t'a le plus marqué ? Que tu as le plus aimé ?
[Kagami — 13:25]
Link
[Kagami — 13:26]
Link
[Kagami — 13:27]
Clairement l'un de ces deux-là. Le premier parce que j'ai adoré l'inaccessibilité du lieu. On a
mis des mois à préparer l'expédition. Je suis sportif… mais là on a travaillé à se mettre en
condition pour une telle expédition dans des hauteurs dont on n'a pas l'habitude. C'était
magnifique et pratiquement inviolé, grandiose.
[Kagami — 13:28]
Le second, parce que c'était une rare expédition avec une autre équipe dans un vieil hôpital
abandonné, pour Halloween. C'était carrément flippant ! Mais on s'est éclaté. C'était
vraiment fun de partager l'expérience avec une autre team. Même si je le ferai pas tous les
jours.
[Aomine — 13:29]
Sympa les photos. C'est dingue. J'adore ! J'avoue que le truc creepy ça me fait triper. D'ailleurs, tu
prévois quoi pour ta prochaine expédition.
[Kagami — 13:29]
Celle où tu viens avec moi ?
[Kagami — 13:30]
J'ai pas encore choisi. J'ai plusieurs destinations potentielles en tête. Mais je me disais que
tu aurais peut-être envie de participer au choix. Si tu es toujours motivé pour venir.
[Aomine — 13:31]
Bien-sûr que je suis carrément motivé !
Son estomac semble faire un saut périlleux dans son abdomen. Il sourit et relève son regard sur la pièce. Daiki lui a répété encore et encore qu'il n'y avait aucune urgence à ce qu'il déménage. Il vient de recevoir l'argent de l'assurance et s'il peut attendre encore un peu avant de retrouver un appartement, il pourrait tout de suite réinvestir dans le matériel qui n'a pas survécu à l'incendie. Et puis, il aime bien l'appartement de Daiki, il est agréable avec son petit balcon. Il n'a pas hâte de se retrouver de nouveau seul, la présence de Daiki l'a aidé et l'aide toujours à surmonter l'anxiété et le désespoir qui menacent depuis l'incendie. Son amitié lui est précieuse, même si une part de lui, que Daiki ne laisse pas indifférent, se prête parfois à imaginer qu'ils soient un peu plus que des amis. L'idée est tentante, ils s'entendent très bien, sont tous les deux gays et Daiki est vraiment hot.
Cependant, il met cette idée de côté, ils sont amis et ça c'est précieux. Il n'est pas très doué pour s'en faire habituellement, alors les rares qu'il a, il ne veut pas les perdre. Il ne veut pas risquer celle de Daiki. Il reprend son PC et se rend sur ses sites habituels pour acquérir du nouveau matériel, ça va lui prendre un peu de temps pour trouver les bon produits, il n'aime pas prendre des décisions à la légère pour ce genre de choses et le temps qu'il fasse ses recherches, qu'il pèse le pour et le contre, ce n'est probablement pas aujourd'hui qu'il va sortir la carte bleue.
VII
« Hey beau gosse ! »
Taiga tourne la tête brusquement à cette voix et un sourire étire ses lèvres.
« Dai ?! Qu'est-ce que tu fais là ?
— T'as bossé tous les soirs… On s'est à peine croisé cette semaine. Je me suis dit que je pourrai te tenir compagnie en attendant que le gros de la foule arrive. Et puis, ça fait longtemps que je suis pas sorti. »
Son sourire ne faiblit pas, mais intérieurement son ventre fait quelques nœuds. Bien-sûr, Daiki est venu pour trouver de la compagnie. Il n'y a rien qu'une belle amitié entre eux, mais il a un crush envers son sauveur qu'il a depuis plusieurs semaines cessé d'essayer de nier. Il en a même parlé à Tatsuya et ça ne lui est arrivé qu'une seule autre fois auparavant quand il était encore au lycée. Il n'a rien tenté, et Daiki n'a rien laissé paraître non plus. Il n'est pas vraiment surpris que Daiki cherche un partenaire pour la soirée, il n'est pas dupe, il aurait juste apprécié que Daiki le fasse dans un autre bar, où il n'aurait pas à en être témoin.
« Tu veux boire qu-
— Oh ! Mais qui est ce beau gosse qui fait sourire comme ça notre Taiga ? »
Comme à son habitude, le flamboyant Tetsuo fait son apparition, lui coupe la parole et enchaîne, sans attendre même la réponse à sa question en tendant sa main à Daiki et jouant de ses longs cils.
« Enchanté beau prince ! Moi c'est Tetsuo. A qui est-je l'honneur ? »
Il lève les yeux au ciel, même si un sourire étire encore ses lèvres, Tetsuo est un personnage bruyant et haut en couleur, mais également terriblement attachant. Daiki sourit et ne se laisse pas impressionner, avec un grand sourire il prend délicatement la main de Tetsuo pour lui faire un baise-main. Et Tetsuo s'extasie et fait un clin d'œil à Taiga.
« Daiki pour vous servir.
— Ohhh un homme qui sait parler aux hommes ! Bonne pioche mon Taiga. Celui-là faut le garder ! » Tetsuo se tourne de nouveau vers Daiki en retirant délicatement sa main et continue à parler presque sans marquer d'interruption entre ses phrases, ce qui est un peu déconcertant. « Bienvenu Daiki. Alors raconte moi… Tu fais quoi dans la vie ? Comment as-tu rencontré Taiga ? J'espère que c'est du sérieux entre vous ! On a besoin de le voir sourire comme ça plus souvent, surtout depuis ce qui lui est arrivé. Le pauvre. »
Daiki écoute Tetsuo amusé en échangeant quelques regards complices avec Taiga, qui compte sur la pénombre du bar pour camoufler les rougeurs qui montent à ses joues sous les insinuations de son collègue. Daiki attend patiemment que Tetsuo termine de parler pour répondre calmement, ne se départissant pas de son sourire amusé.
« Je suis développeur web. Et j'ai rencontré Taiga suite à l'incendie… J'avais une chambre de libre alors… Et pour l'instant, je dirai qu'on forge une amitié solide et sérieuse… »
Sur cette dernière phrase la voix de Daiki s'est abaissé légèrement et son regard s'est fixé sur celui de Taiga, insistant sur le "pour l'instant". Taiga déglutit, son cœur s'accélère un peu dans sa poitrine, est-ce que c'est le premier signe qu'il attendait de son ami ? C'est ce que semble comprendre Tetsuo alors qu'il s'extasie une nouvelle fois.
« Oh Taiga ! Il attend ton move ! Ne laisse pas passer ta chance. »
Tetsuo plaque un baiser sur sa joue, laissant probablement une marque de rouge à lèvre sur sa peau, et finalement s'éloigne pour les laisser tranquille. Il regarde Daiki, dont le regard est toujours fixé au sien et bafouille.
« Hm… Désolé… Tetsuo est un peu… euh…
— Energique ?
— Ouais quelque chose comme ça.
— C'est cool. Il est fun ! »
