Livre IV, Episode 52, « La permission »
« Ahhhh !
- Ecoutez mes z-aventures !
- Ahhh ! Emprisonnés par mégarde ! Contre notre volonté !
- Quelqu'un viendra-t-il nous sauver de notre infortuité ?
- Ahhh-infortune…
- Infortune ? …de notre infortune ! »
Le roi ne leur avait même pas laissé le temps de s'expliquer. Maintenant véritablement accrochés par les poignets au mur, ils regrettaient de ne pas avoir mieux réfléchit leur plan B. Les geôles étaient froides, humides, leurs compagnons d'infortunes effrayants, tout faisait regretter à Gauvain et Yvain la tour de surveillance qu'ils avaient quitté. Comparés au mur de pierre froid sur lequel ils avaient le dos appuyé, leurs matelas inconfortables prenaient des impressions de lit royal.
Le confort auquel ces deux princes avaient l'habitude leur manquait déjà, mais conscients de leur bêtise, ils restaient pour le moment penauds. Gauvain pensait avec tristesse que cette situation leur était mérité, son oncle avait dû se sentir tellement peiné de les voir ici délaissant leur assignation. Il était celui qui avait proposé le plan B à son ami Yvain, voilà qu'il regrettait même d'avoir cédé à l'idée de quitter la tour de garde. Au moins là-bas, ils ne faisaient rien mais ils ne faisaient rien en rendant le roi satisfait de leur travail. En tout cas le regard qu'il leur avait lancé juste avant de les attacher aux chaines avait profondément bouleversé le jeune homme qui ne souhaitait que faire la fierté de son oncle.
Un énième soupire de la part de son ami lui fit tourner la tête vers Yvain.
« Comme c'était trop une mauvaise idée, à la tour on s'ennuyait mais là ils vont carrément trop nous laisser enfermé là !
- Hélas nos bras sont attachés trop court pour récupérer nos dés, nous ne pouvons même pas continuer de jouer pour nous occuper. »
Le prince de Carmélide leva la tête vers lui avec une idée soudaine.
« Et si on attrapait les dés avec nos pieds ?
- Croyez-vous que nous soyons suffisamment souples pour jouer avec nos pieds ?
- Bah ch'ais pas mais c'est mieux que rester là à sécher comme des pendus. »
Passant l'expression de son ami surement empruntée à son père, Gauvain regarda leur table de fortune renversée et les trois gros dés qui avaient roulés. Etirant son corps mince aussi loin que les chaines le lui permettaient, il tendit la jambe et essaya de pousser vers lui un des dés du bout de la botte. Ses poignets cerclés par les chaines lui firent rapidement mal, et hélas il ne réussit qu'à pousser l'objet désiré un peu plus loin hors de sa portée. Il abandonna avec un geignement plaintif :
« Fichtre, pas moyen ! Ces chaines ne nous permettent aucun mouvement !
- C'est la faute des chaines, c'est trop de l'astringence de mouvement ! On va s'écorcher les poignets, un véritable écorchage !
- Pensez-vous que l'on viendra bientôt nous libérer ?
- C'est sûr, on est des chevaliers quand même !
- C'est-à-dire que mon oncle avait l'air vraiment courroucé de nous voir ici, je crains qu'en nous laissant ici il ne nous oublie délibérément en guise de punition.
- Bah nan, il va pas nous oublier quand même, on est de sa famille. Et puis je suis sûr ma mère elle va chercher partout.
- Vous oubliez que nous ne sommes pas censé être là, après nous avoir découvert hier, ils nous pensent surement repartis.
-Me dites pas qu'ils vont vraiment nous laisser ici pour toujours ! »
N'osant confirmer les craintes de son ami, Gauvain se contenta d'un haussement d'épaule mais peu à peu la panique d'Yvain le contamina quand ils se rendirent compte qu'au fur et à mesure des minutes, des heures peut être, personne ne venait les sortir de là. Quand enfin ils entendirent marcher dans le couloir de l'étage au-dessus d'eux, ils craquèrent.
« Ho hé ! V'nez nous libérer !
- On est ici ! Au secours ! C'est nous c'est Yvain et Gauvain !
- Allez, laissez-nous sortir ! On veut retourner à la tour c'est bon là ! »
Les pas s'éloignaient, personne ne descendit, personne ne vint.
« Allez messire Yvain, tenons courage quelqu'un viendra forcement nous sortir de là !
- On sait pas ça, et puis c'est votre faute aussi, j'en étais sûr le plan B était tout pourrit !
- Hé, ne me blâmez pas, c'est vous qui avez voulu qu'on retourne dormir au château !
- C'est même pas vrai, c'est vous qui arrêtait pas de vous plaindre comme quoi vous aviez peur des envahisseurs !
- Et vous vous aviez peur que les guêpes montent jusqu'à la tour ! »
A la crainte de rester enfermés succéda la colère de ne pas savoir qui des deux blâmer de leur sort. Yvain essaya de pousser son ami aussi loin que les chaines le lui permettaient, en représailles Gauvain essaya de le frapper avec ses pieds qui n'étaient pas menottés contrairement à ses mains. Comprenant que cette technique marchait pour taper malgré l'espace entre eux deux, le chevalier au Lion répondit de la même façon.
Ils récoltèrent quelques bleus aux tibias mais Gauvain dû arrêter la bataille quand, poussé par l'élan contre le prisonnier à ses côtés, ce dernier réagit. Le grand prisonnier peu commode n'apprécia pas cette agitation et montra les dents en grognant comme un loup. Gauvain ayant grand peur de ces bêtes-là le prisonnier le terrifia, surtout quand il entendit des dents claquer beaucoup trop près de lui au niveau de sa nuque. Par crainte il se recula autant que possible de lui, préférant se rapprocher de son ami avec qui il se disputait précédemment.
« Il a voulu me mordre !
- Bien fait pour vous, il fallait rester à la tour ! Moi je me fais de nouveaux potes au moins ! Bonjour !»
Gauvain avait bien compris qu'il voulait le charrier. Le chevalier au Lion se tournait vers l'autre prisonnier attaché de son coté, un gueux échevelé et un visage vide mais qui au moins ne mordait pas. Il ne parlait pas non plus, Yvain ne put rien tirer de ce 'nouveau pote'.
Un prisonnier apathique d'un côté, un prisonnier dangereux de l'autre, les deux chevaliers passèrent les heures suivantes dans le silence le plus complet. Seule ouverture sur l'extérieur, le mur sur lequel ils s'appuyaient avait en haut sous le plafond vouté une petite lucarne fermée de barreaux de fer par laquelle passait la lumière naturelle. C'était la seule indication dans ces oubliettes du temps qui passait. Le nez levé vers elle, Gauvain vit la lumière qui en provenait se teindre de rose et d'orange, diminuer un peu. Le soir tombait.
Comme c'était l'heure du souper, un gargouillis se fit entendre, provenant de sa gauche. Tiens, Yvain avait faim mais à la suite de leur dispute il ne disait rien, pas même une remarque. Gauvain avait lui aussi un petit creux et se garda bien de tout commentaire. Alors que les deux manants enfermés avec eux n'émettaient aucun son, bientôt les estomacs des deux chevaliers se mirent à gargouiller de concert.
Alors que Yvain réessayait de parler avec le prisonnier à ses côtés, Gauvain, qui ne voulait pas adresser la parole au sien, regardait juste la lumière diminuer sur le mur d'en face. A quelle heure servaient-ils les repas dans les oubliettes ? Ils allaient bien les servir n'est-ce pas ? Bien sûr que oui, même s'ils étaient dans les cachots ils n'allaient pas les laisser mourir de faim ! Son oncle était un homme juste, il allait surement revenir d'un moment à l'autre pour les sortir de là.
Voilà, le soleil était couché, plus de lumière du jour, l'endroit était seulement éclairé par la triste torche du couloir.
Depuis qu'il vivait au château, Gauvain avait toujours admiré son ami dont la chambre se trouvait à l'étage juste au-dessus des geôles. Entre les agitations, les surveillances des gardes, les prisonniers qui crient leur innocence, il y avait de quoi passer des nuits blanches. Yvain lui disait que chez ses parents en Carmélide c'était pire, que maintenant ça ne le dérangeait plus vraiment.
Au début se cacher dans les oubliettes avait été une idée amusante, Yvain et lui n'en étaient pas à leur premier coup car bien d'autres fois ils avaient esquivé les entrainements ou les cours en cherchant un coin tranquille. Ces derniers jours, même s'ils retournaient dans leurs chambres dès que tout le monde s'était endormi, ils avaient pu voir un peu l'ambiance des oubliettes la nuit. D'ici on entendait les gardes faire les rondes et les prisonniers marmonner. Une ambiance lourde, pesante, malaisante. Jamais Gauvain n'avait pensé une seule seconde être obligé de dormir ici.
L'ambiance était terrible, l'air était frisquet, mais surtout ainsi attachés les mains en hauteur sans endroit où s'asseoir il fatiguait. De temps en temps il se forçait à agiter les doigts pour faire passer les fourmillements qui les prenaient. Il n'était pas le seul à commencer à souffrir, Yvain lui aussi changeait de position, parfois se dressant droit pour détendre ses bras, parfois s'affaissant pour reposer ses jambes. Les deux prisonniers accrochés avec eux ne montraient aucune preuve d'endolorissement, signe qu'ils étaient là depuis plusieurs jours.
Et s'ils restaient là pendant des jours eux aussi ?
Dans ces conditions il ne put pas faire la tête à son ami plus longtemps. Le silence était oppressant et parler le distrayait de la douleur de ses muscles en plus de le distraire des bruits lointains inquiétants. Dans la pénombre il distinguait à peine l'expression lasse d'Yvain, pour lui aussi le moment des disputes et bouderies était passé.
« Dites ?
- Quoi ?
- Vous pensez qu'on va rester là toute la nuit ? Cette position devient difficilement tenable.
- Ouais j'ai trop mal aux bras. Et j'ai faim aussi. Quand est-ce qu'ils viennent nous libérer pour aller manger ?
- Je l'ignore. Mais je crains que le but de ces oubliettes soit d'y laisser des prisonniers sans eau ni même un morceau de pain sec…
- Quoi ? Ils peuvent pas nous faire ça, on est des chevaliers quand même !
- Hélas, si au moins quelqu'un venait, nous pourrions demander pardon pour que l'on nous libère. Mais depuis que nous sommes ici seul mon oncle est venu et ce fût pour nous attacher.
- Hé, regardez. »
Tournant la tête pour voir ce qui avait attiré l'attention d'Yvain, le prince d'Orcanie le vit regarder le mur d'en face sur lequel se dessinait d'étranges formes orangées, mouvantes. Les flammes d'une torche en mouvement à l'exterieur. Le silence de leur expectative laissa entendre le bruit de plusieurs bottes. Plusieurs personnes passaient dans la cour et la lumière des torches passait par la lucarne au-dessus d'eux.
« La lucarne ! »
Levant le menton, Gauvain observa cette petite ouverture. Les anneaux auxquelles leurs chaines étaient attachées se trouvaient à deux pieds au-dessus de leurs poignets, et le fenestrou était un peu au-dessus encore, à bien dix bons pieds du sol. C'était terriblement haut mais en grimpant sur des épaules ils pourraient voir ce qu'il se passait dehors, et plus encore ils pourraient appeler.
« Vous croyez qu'on peut grimper ? Genre faut trop qu'on essaye et qu'on appelle à l'aide !
- Il faut le tenter, allons-y ! Vite avant qu'ils ne partent ! »
Gauvain était un peu plus léger que son homologue, il fût décidé que c'était lui qui essayerait de grimper. Les bras tendus, il enroula ses mains autour des chaines. Ce ne fut pas simple de se hisser car avec les dernières heures d'attentes les mains attachées au-dessus de la tête ces dernières faisaient ressentir de désagréables fourmillements. Il tira sur les chaines et posa un pied à plat sur le mur dans le but de se hisser, hélas ses bottes de cuir glissaient sur la surface lisse du mur de pierre. Heureusement Yvain pu se rapprocher un peu et pour sa deuxième tentative il prit appuis sur le genou de son ami, se hissant plus facilement jusqu'à pouvoir grimper debout sur ses épaules. Quel soulagement, ses poignets n'étaient plus tenus haut au-dessus de sa tête et l'engourdissement dans ses bras s'atténuait.
« Grouillez-vous, vous êtes trop lourds ! »
Conscient du poids qu'il faisait porter sur les épaules de son ami ainsi que du risque de chute si ce dernier venait à le faire tomber, Gauvain attrapa fermement les barreaux de la lucarne pour regarder au dehors. Les porteurs de torches étaient des gardes, Gauvain les reconnu au blason de Kaamelott qu'ils portaient, surement allaient-ils vers le village pour faire leur tour de surveillance. Ils s'éloignaient d'eux, il n'avait pas de temps à perdre.
« Hé ! Hé ho ? Là on est là ! C'est le chevalier Yvain et le chevalier Gauvain ! »
Il vit le capitaine de la garde se retourner et faire signe aux autres soldats se s'arrêter. Il l'avait entendu ! Il ouvrit la bouche pour réitérer son appel au secours quand les gardes soudainement libérèrent le passage pour un cavalier arrivant au grand galop depuis la grande porte. Pas un cavalier, un chevalier. Il essaya de se rapprocher de la grille pour voir de qui il s'agissait, le chevalier n'étant éclairé que par les torches des soldats. L'homme était grand, en armure brillante, mais il y avait un signe caractéristique, une cape à motifs à carreaux.
« Qu'est-ce qu'il se passe ? Allez dites !
- Et bien… Sire Calogrenant vient d'arriver, il a l'air paniqué.
- On s'en fout, allez, continuer de crier, je commence à en avoir trop marre de vous porter ! »
Mais Gauvain ne cria pas. Il ne put entendre ce que le roi de Caledonie dit au chef des soldats, il vit en revanche distinctement le capitaine laisser ses hommes et partir en courant au château, suivit par un Calogrenant qui visiblement avait chevauché pendant des heures : il avançait avec les jambes raides et sa monture avait les flancs luisant de sueur sous la lueur des torches. Le chevalier quitta son angle de vue en direction des portes du château, un écuyer vient récupérer le cheval, les gardes se rangèrent en formation défensive et s'éloignèrent d'un pas rapide vers les portes du château, plongeant la cour dans une semi pénombre. Il se hissa sur la pointe des pieds pour essayer d'en voir plus, sans prêter attention à Yvain qui lui disait de se grouiller.
Puis un bruit de trompette venant de la muraille, quelqu'un sonnait le cor des alertes, de nouvelles silhouettes pressées firent leur apparition avec des torches. Gauvain en reconnu surtout une, au centre du groupe. Avec sa lourde cape de fourrure et l'anneau doré qui cerclait sa tête, ça ne pouvait être que le roi, son oncle. Il le regarda serrer la sangle d'Escalibur autour de sa taille, signe qu'il avait dû se préparer en hâte, puis être rejoint par plusieurs autres personnes dont Caï, le sonneur et écuyer du roi.
Mais il ne pût en voir plus, en équilibre sur les épaules d'Yvain, il sentit sa botte glisser. Il essaya de se rattraper aux barreaux, hélas avec la surprise il ne put pas s'y accrocher assez fermement, au lieu de cela seules les chaines limitèrent la chute. En atterrissant sur ses pieds, il sentit sa cheville se tordre et retint à peine un cri. A ses côtés, Yvain roulait des épaules et s'agitait sur place.
« Ah putain comme vous m'avez trop fait mal aux épaules !
- Je crois que je me suis tordu la cheville en tombant !
- Mais pourquoi vous avez pas appelé s'il y avait des gens ? J'vous préviens je vous refais pas remonter là-haut !
- Il se passe quelque chose, ils ont sonné la corne quand le seigneur Calogrenant est arrivé, j'ai vu le roi partir avec ses hommes, ils avaient l'air pressés.
- Bah ça veut pas dire 'retraite' quand ils sonnent la corne ? Comme sur les champs de bataille ?
- Et bien, si, je crois, mais là je ne vois pas le rapport, on est au château et non sur un champ de bataille… Sauf les soldats qui sont partis en faisant la formation.
- La formation de quoi ? Formation de la tortue ? Formation quinconce alternée ?
- Je l'ignore, dans la nuit c'est difficile de juger. Mais tous semblaient pressés, je pressens que quelque malheur ne soit arrivé, j'ignore lequel, je n'ai pu entendre.
- Ouais bah avec tout ça on est pas prêt de sortir de là… »
