« Avec tout ça, on est pas près de sortir de là… »

Toujours suspendus par les chaines aux murs des oubliettes, il y avait de quoi désespérer.

Yvain avait raison malheureusement, si un évènement grave s'était produit le roi ne penserait pas à les faire libérer. Au-dessus d'eux la corne sonna de nouveau, c'en était presque lugubre. Portant son poids sur sa cheville valide, Gauvain ne pouvait que s'inquiéter de ce qu'il se passait là-haut. Que leur avait dit le maître d'arme lors du cours sur les alertes ? Cela lui donna bien à réfléchir. Il n'avait pas d'excuse pourtant, il avait bel et bien assisté au cours, mais il avait surtout somnolé. Seul le passage sur les hymnes lui restait un peu en mémoire. Quand un hôte de marque arrivait, son approche était signalée de l'hymne de son pays s'il s'agissait d'un roi ou d'un prince, dans le cas contraire par une corne. Il se souvenait bien d'avoir déjà entendu trois coups qui sonnaient 'trruiiii' légèrement espacé et finissant par une note grave, mais fichtre pas moyen de se souvenir en quelle circonstance.

Cependant il n'y avait aucun doute, la corne qu'ils venaient d'entendre n'avait en aucun cas l'air d'une mélodie noble et interpellant pour prévenir d'un éminant invité. Cela sonnait plus… pressé, urgent, dangereux, alerte. Pas le genre de danger qui permet d'attendre le matin pour réveiller le roi. Pas une alerte d'attaque sur les côtes ni dans les terres. C'était une attaque proche, trop proche. Il y avait des garnisons un peu partout dans les campagnes, si cette attaque nécessitait de réveiller tous les chevaliers et soldats du château cela ne signifiait qu'une chose.

« Grands dieux !

- Quoi, qu'est-ce qu'il y a ? C'est votre cheville, elle est cassée ?

- Non la corne ! Je crois me souvenir que le maître d'arme nous disait qu'elle signifiait une invasion, ou une attaque envers le château ! Imaginez que Lancelot mène une attaque contre le roi ! Souvenez-vous que cela fait des semaines que le bruit court qu'il lève une armée parallèle !

- On s'en fiche non, s'il attaque bah nous on est en sécurité ?

- Je crains que non, le seigneur Lancelot connait bien toutes les cachettes du château, il est après tout resté longtemps bras droit du roi.

- Pff, faut pas exagérer, même s'il attaque le château il irait pas jusqu'à nous tuer ici.»

Mais Gauvain n'en démordait pas, l'inquiétude lui grignottait l'échine et l'empèchait de rester calme.

« Et si c'était une attaque d'envahisseurs ? Il y en a eu beaucoup cette année.

- Dites pas ça, il y en a déjà eu mais avec les catapultes on les a toujours repoussés. Là ça va être pareil. Ils sont jamais rentré dans la cour du château. On va pas tarder à entendre les catapultes tirer, je suis sûr mon père réunis déjà les ministères. »

Face à une telle assurance, Gauvain ne trouva rien à redire. Il ne savait pas ce qu'il se passait exactement ni qui attaquait, ni si les soldats et chevaliers allaient réussir à repousser l'attaque, mis il y avait tout à craindre de l'attaque qui devait se dérouler à l'extérieur des murs du château. Malheureusement ici ils ne pouvaient pas faire grand chose.

Comme c'était sa seule occupation actuellement, il regardait les lueurs de torches sur le mur d'en face, écoutait les bruits de bottes, les pas de chevaux, les ordres indescriptibles criés au loin. Il en était certain maintenant l'attaque était sur eux. Il devinait, rien qu'avec les sons ambiants, que les capitaines faisaient se lever les soldats, que les chevaux étaient réveillés et harnachés, que les torches s'allumaient en masses dans la cour pour éclairer les formations.

Tout cela Gauvain l'avait déjà vu à plusieurs reprises quand des envahisseurs perçaient les lignes de défenses et réussissaient à remonter depuis le Sud de la Bretagne jusqu'au château de Kaamelott. Les Huns, les Saxons, les Vikings, les Burgondes, lequel de ces peuples barbares essayait à nouveau de conquérir la capitale du royaume de Logres ? Grands Dieux quand on y pensait les bretons avaient beaucoup d'ennemis, il comprenait presque l'insistance du seigneur Leodagan sur la question de la sécurité. Toutes ces armes de jet, toutes ces tourelles. Leurs ennemis devaient être une grande troupe, une armée peut être.

Bah dis donc, s'ils étaient aussi nombreux que ça pour réveiller tout le château en alerte max, c'était étrange qu'ils n'aient pas été aperçu avant …

Dans la pénombre le visage du prince d'Orcanie se vida de toute couleur sans que son compagnon qui regardait l'agitation par le fenestrou ne le remarque. La pensée effroyable et culpabilisante d'être responsable de toute cette pagaille fit son chemin jusqu'à son cerveau, ça lui semblait si plausible. Depuis combien de temps avaient-ils abandonné leur poste à la tour de guet ? Deux nuits au moins. Et combien de temps fallait-il pour aller de la tour au château à pied ? Une grosse journée. Les envahisseurs avaient eu le champ libre pendant deux voir trois jours pour accoster sur ce bout de plage sans être repérer et venir jusqu'au château. Personne n'avait pu donner l'alerte.

« On ne peut pas rester là, il faut qu'on sorte !

- Bah ça oui, mais ça urge pas, on est en sureté là…

- Non il faut sortir pour aller aider nos compagnons chevaliers à défendre le château ! Si ce sont des envahisseurs ça veut dire qu'ils viennent des côtes, messire Yvain nous avons déserté notre poste et laissé des mécréants envahirent la Bretagne !

- Mais non, c'est pas parce qu'on est partit deux jours que pile poil à ce moment-là des envahisseurs arrivent pile poil à la tourelle ! C'est une tourelle sur des centaines que mon père a fait installer… Et puis c'est leur faute aussi, il fallait pas qu'ils nous enferment ici !

- Vous ne comprenez pas, le roi nous a enfermé pour nous blâmer d'avoir déserter mais il ne pouvait pas savoir que des envahisseurs allaient arriver. Il l'aurait su si on était resté là-bas… Nous n'aurions pas dû quitter notre poste, je crains que quelque soit l'issue de cette attaque on nous accuse de trahison…

- C'est pas parce qu'on est rentré chez nous deux jours et que pas d'bol il y a une attaque à ce moment qu'il va nous faire pendre. N'oubliez pas qu'il est votre oncle et qu'il est mon beau-frère, c'est pas comme si on avait vexé un dieu... Ho putain ! »

L'éclat de voix soudain fit sursauter Gauvain qui cru pendant une seconde que son ami s'était fait mal. Il se demandait bien comment car tous deux étaient attachés debout et avec leurs mouvements très limités.

« Quoi quoi ? Qu'est-ce qu'il se passe !

- Je viens de me dire… Et si c'était pas le roi mais les dieux qui avaient fait ça exprès pour nous punir d'avoir déserté ? ... »

Cette phrase laissa place à un lourd silence. Si Yvain avait prononcé ces mots avec hésitation, il fallait un peu le connaitre pour savoir qu'il croyait fermement ce qu'il venait de dire. Cela venait du fait que ses parents l'avaient éduqué dans un stricte respect des dieux et des ancêtres, à craindre l'orage qui grondait, les malédictions, jusqu'à craindre de croiser un bouc boiteux devant une chapelle. En grande femme picte, sa mère le disait souvent : les dieux voyaient tout, ils étaient des gardiens étaient sévères.

Gauvain quant à lui avait été élevé à Tintagel avec l'idée que les forces occultes étaient partout autour d'eux, mais c'était là une puissance qui servait les desseins des hommes avant tout. Son propre père est après tout un roi-magicien doté d'un don héréditaire pour la foudre. Enfin, héréditaire ça dépend pour quel fils... Donc il craignait moins une vengeance des dieux qu'un acte humain. Cependant, si ça pouvait motiver son ami à l'aider à réparer leur bêtise alors il était preneur.

« Bah, je ne sais pas, mais que ce soit le roi ou les dieux il faut qu'on fasse quelque chose pour réparer notre tort. Il faut qu'on sorte de là.

- On est attaché au cas où vous auriez pas remarqué, et même si on arrivait à se détacher on aura du mal à sortir sans se faire chopper.

-Si c'est une invasion dehors, les gardes ne penseront pas nous attraper, commençons par défaire ces chaines d'abord. »

Yvain commença donc à tirer sur les chaines de ses poignets, Gauvain en fit de même, hélas ces chaines étaient prévues pour retenir de grands gaillards voir des vikings, les deux jeunes chevaliers ne faisaient pas le poids. Puis ils essayèrent de tirer à deux ensembles, combinant leurs forces, ce fut en vain également. Même en prenant appuis sur le mur ils n'arrivaient pas à faire céder ni la chaine, ni l'anneau enfiché dans le mur.

« Allez, remonter sur mes épaules et essayez de casser l'anneau en haut !

- Vous rigolez, je ne peux pas casser un anneau en fer forgé !

- Bah si vous n'y arrivez pas, essayez de casser la pierre, mais bougez vous avant que les envahisseurs n'arrivent jusqu'au château ! »

Pressé par l'urgence de la situation, Gauvain fit passer son poids sur la cheville qu'il avait tordu pour en tester la solidité. S'il ne forçait pas trop il ne sentait rien, alors ça fera l'affaire. Comme précédemment, il enroula ses poignets autour de ses chaines pour avoir une prise ferme et se servit de son ami comme échelle pour grimper jusqu'au fenestrou qui se trouvait au-dessus des anneaux.

Le temps les pressait mais une fois face à la cour se trouvant derrière les barreaux, il retient son souffle. Au niveau de ses yeux, des dizaines de bottes de soldats foulaient le sol d'un pas militaire en groupes pour se diriger vers la grande porte. Entre chaque, des cavaliers passaient au petit galop dans un sens ou dans l'autre, Gauvain réussissait à reconnaitre les coursiers élancés des messagers et les grands chevaux harnachés des chevaliers. Il était monté au fenestrou moins d'une demi-heure auparavant et l'urgence se faisait très nettement sentir désormais.

« Bordel grouillez-vous ! »

Ah oui, sortir d'ici. Il se concentra sur sa tache et observa l'anneau qui retenait ses chaines au mur, il eu beau le faire pivoter d'un sens ou dans l'autre il ne trouva hélas aucune fêlure dans l'acier, pas même au niveau de la soudure. Les chaines non plus ne montraient aucune faille. La seule faiblesse qu'il trouva vint du mur lui-même.

« Messire Yvain vous êtes un génie !

- Un génie qui a mal aux épaules, dépêchez-vous ! »

En lui disant de casser le mur Yvain n'avait pas été loin de la vérité. Les anneaux étaient enfichés dans le mur entre deux roches par un épais scellement, mais ce dernier avait subi les affres du temps. Situé juste sous le fenestrou à hauteur de la cour ce mastique avait prit l'eau de nombreuses fois et du lichen commençait à le grignoter. Il essaya d'abord de le racler et le griffer avec ses mains mais il trouva plus pratique de se servir d'un maillon de chaine pour attaquer le revêtement qui tombait en morceaux. Ses gesticulations et la poussière qui tombait gênaient beaucoup Yvain qui se retenait de protester. Ils étaient restés trop longtemps dans les geôles, il voulait partir.

« C'est bon je l'ai ! »

'L'avoir' était un grand mot, il avait simplement descellé l'anneau du mur et avait donc toujours les mains tenues entre elles par une longue chaine.

« Ouais trop cool ! Allez défaites les miennes ! », pressa Yvain.

Se tournant un peu, il tendit les bras pour atteindre l'anneau qui retenaient les chaines de son ami. Maintenant qu'il savait comment faire, il lui fallut encore moins de temps pour libérer l'anneau du mur.

C'est à ce moment-là que tout dégringola.

Il entendit un 'oopf' provenant de son ami juste avant que Yvain ne le laisse tomber au sol. Pas de chaines pour retenir sa chute cette fois, il ne se sauva que grâce à un heureux réflexe qui le fit s'accrocher aux barreaux du fenestrou. En dessous de lui, il remarqua que le prisonnier qu'il avait toujours eu à sa gauche, le taciturne agressif, était cette fois debout et aboyant des mots inconnus à un Yvain qui était reculé plus loin.

« Mais ça ne va pas où quoi ? Il m'a fait trop peur !

-Yvain vous allez bien ?

-Ouais mais c'est l'autre con qui m'a bousculé ! Je sais même pas pourquoi il a fait ça ! »

L'intention du prisonnier n'était pourtant pas difficile à comprendre, car même en criant dans une langue étrangère qui sonnait slave il secouait ses propres chaines avec insistance. Gauvain eu bien du mal à rejoindre le sol, il craignait de trop se rapprocher du prisonnier et qu'il ne l'attrape. Yvain lui donna un coup de main en le tirant vers lui alors qu'il se laissait glisser au sol.

« Que faisons-nous ? Devons-nous le libérer ?

- Ça va pas non, on n'a pas le temps et puis si ça se trouve c'est un ennemi ! Venez, on se barre ! »

Le prisonnier dû comprendre que les deux chevaliers fuyaient en le laissant dans les oubliettes, son agressivité redoubla autant qu'il se démenait pour tirer ses chaines. Hélas seul il ne pouvait pas espérer s'évader de la même façon que Yvain et Gauvain.

Ces deux-là ne perdirent pas plus de temps, ils prirent leurs jambes à leurs cous et sortirent des oubliettes.

Ils avaient une faute à racheter.