Lorsque le roi Arthur avait accédé au trône, il avait implanté son château dans la partie sud de la Bretagne et cela avait amené toutes les cartes à être modifiées. Les grands chemins qui menaient d'un conté à l'autre s'étaient vus concurrencés par les routes qui reliaient les pays de Logres à la nouvelle capitale.
Yvain se souvenait nettement des cartes sur lesquelles se penchaient son père et son grand-père pendant des heures, il se souvenait encore avoir attendu qu'ils quittent les lieux pour se glisser jusqu'à ce pan de cuir et regarder les motifs qui étaient dessinés dessus sans comprendre vraiment ce que ça devait représenter. Puis, une fois sur les bancs d'école de Kaamelott, il avait vu le maître d'armes leur afficher de nouvelles cartes qui n'avaient rien à voir avec celles de ses souvenirs d'enfance. A quoi bon avoir des cartes pour représenter les routes si elles changeaient tout le temps ! De ce point de vue-là, on ne pouvait pas se fier aux cartes.
De toute façon même le chevalier Perceval le disait, selon comment on est tourné ça change tout.
Parfois Yvan se disait aussi que, selon ce que l'on cherche, ça changeait tout.
Lancés dans un galop régulier à travers la campagne bretonne, ils ne cherchaient pas à suivre les chemins ni à savoir sur les terres de quel seigneur ils étaient, ils cherchaient quelqu'un et après tout l'emplacement de Guenièvre n'était inscrit sur aucune carte.
Heureusement le hibou de Merlin semblait ne pas avoir besoin de carte, il suivait une piste invisible dans la nuit, une piste d'odeur, une piste de sons peut être, une piste que seul l'oiseau nocturne pouvait voir. Il ne suivait même pas les chemins les plus pratiques. Volant tantôt à leur hauteur devant eux, parfois au-dessus des arbres, il leur avait fait changer de direction plusieurs fois, traverser un pré, puis prendre un sentier de terre, puis retomber sur une route pavée plus loin.
L'oiseau étant le guide, le but d'Yvain et Gauvain se réduisait à tenir sur le dos du cheval et ne pas perdre le hibou de vue. Jusqu'à présent ils s'en étaient tous deux très bien sortis.
Combien de temps avaient-ils ainsi chevauché, combien de villages endormis avaient-ils traversés, combien de miles avaient-ils parcourus, ça Yvain ne pouvait pas le dire. Il s'accrochait à l'espoir que ces apparents détours les rapprochaient de Guenièvre.
A cause du manque d'habitude de monter à cheval, les deux chevaliers ne sentaient plus ni leurs cuisses ni leurs fesses, endolories par la chevauchée, et même si la lune avait fini par se lever en un timide demi croissant, la fatigue de la nuit se faisait sentir.
Alors qu'ils traversaient une obscure forêt de sapins, un bruissement dans les branches leur fit ralentir le percheron qui finit au pas avant de s'arrêter totalement. Le hibou venait de se percher en hauteur.
« Où sommes-nous ? Pourquoi nous arrêtons nous ici ?
-Je sais pas, le hibou s'est arrêté, on est trop au milieu de nulle part. »
Le chevalier au lion, ignorant la raison de leur arrêt, agita les jambes pour faire repartir le cheval mais ce dernier n'obéissait pas. A vrai dire, il n'obéissait que quand il le voulait, jusqu'à présent il avait surtout suivi le hibou. Assit derrière lui, Gauvain essayait de comprendre ce qu'il se passait.
« Vous entendez quelque chose ?
-Rien, enfin juste vous quoi. Le hibou est peut-être paumé. Ou alors il se repose ?
- Nous devrions en faire de même messire Yvain, je crains que mes jambes ne souffrent longtemps de cette chevauchée. »
La lueur pale de la lune leur laissait distinguer la forme grise du rapace, perché à la verticale au-dessus d'eux sur une branche de sapin. Il semblait immobile, uniquement bougeant sa tête ronde en de longs mouvements. Si lui se reposait alors les deux garçons méritaient aussi une pause.
Passant les deux jambes du même côté, Yvain se laissa glisser au sol avant d'aider son ami à descendre à son tour. Puisque les rênes étaient lâchées le cheval se dirigea vers la touffe d'herbe la plus proche pour se rassasier, aucun des deux ne chercha à l'arrêter. Il avait marché, trotté et galopé sans presque aucune interruption, sans mouvement brusque, sans les désarçonner, alors il avait le droit à un bon repas. Les rayons de lune qui arrivaient à passer au travers de la couverture d'arbres mettaient en évidence ses flancs luisants de sueur.
Gauvain alla s'asseoir sur une motte de mousse aux abords du chemin, massant ses cuisses crispées par la chevauchée, quand à Yvain, il se laissa tomber à plat sur le dos, moins noblement et avec un soupire lasse.
« On va devoir aller jusqu'où comme ça, c'est trop pas une heure pour courir partout.
-Je suis d'accord avec vous, hélas les envahisseurs ne choisissent rarement les heures du jour pour commettre leurs terribles forfaits.
-Ouais bah dès qu'on aura retrouvé et ramené ma sœur je vais direct pioncer moi, c'est trop de la torture psychomatique d'empêcher les gens de dormir.
-Auriez vous préféré que nous restions à la grange, ou pire dans ces horribles cachots jusqu'au matin ?
-Ah bah non c'est sûr ! En plus c'est trop notre devoir chevaleresque d'aller sauver ma sœur. C'est juste que c'est relou, voilà. »
A présent qu'ils avaient volé un cheval de ferme et qu'ils parcouraient la campagne en s'éloignant de plus en plus du chateau, aucun des deux n'émettait de doute quant à leur plan. La discussion initiée par Yvain avait le principal but de se rassurer d'entendre leurs voix, la nuit étant silencieuse et inquiétante autour d'eux.
Les petits pédestres n'avaient jamais été à l'aise dehors en pleine nuit, ils avaient tous deux entendus leurs proches parler des terribles bêtes sauvages qui pouvaient s'y trouver et attaquer les imprudents. Si le chevalier Bohort, qui était le plus proche des deux jeunes hommes au point d'en être presque leur mentor, était terrifié par les animaux nocturnes qui vivaient dans les forêts de Logres alors il y avait de quoi craindre.
Ici, s'ils acceptaient de se reposer sans craindre les prédateurs, c'était grâce à leur but qui était suffisamment important pour leur faire courir le risque, mais également grâce à la présence du hibou qui les aidait jusque-là. Il était une présence rassurante, un peu magique, qui les guidait toujours sur la bonne piste. En général.
Ce dernier, toujours perché sur la branche de sapin, se mit à hululer sans raison. Le son, comme un appel aux sonorités spectrales, attira l'attention des chevaliers qui restèrent silencieux. 'Hou', mais quoi 'hou' ? Où est Guenièvre ? Où sommes-nous ?
Le 'houuu' qui répondit à celui du hibou peu après n'était pas un hululement de hibou ni de chouette.
Loin et chantant, c'était un hurlement de loup.
Aussitôt Yvain et Gauvain sautèrent sur leurs pieds et se reprochèrent du cheval qui quitta son repas et releva vivement la tête, alerte.
« Bordel il y a des loups ! Venez, on s'casse !
-Il faut que nous quittions cette maudite forêt tout de suite, nous allons nous faire attaquer ! »
Hélas le cheval refusait de bouger. Yvain eu beau le tirer par le licol, le percheron restait ses quatre sabots plantés dans le sol, nerveux mais immobile. Il avait pourtant entendu dire qu'un cheval effrayé s'enfuyait toujours. C'était pourtant le bon moment pour fuir ! Ils eurent beau essayé de le pousser, le percheron était bien trop lourd, et même une claque sur la croupe ne fit que le faire renâcler. Il semblait pétrifié, agitant les oreilles dans tous les sens comme sentant le danger déjà sur eux.
« Mais allez heu ! Il veut pas venir ! Montez vite !
-Et si nous partions sans lui ?
-Ca va pas la tête, ils vont le bouffer ! Et on a besoin de lui pour aller plus vite ! »
Une fois sur le large dos du cheval, Yvain tira les rênes, agita les jambes, donna des coups de talons dans les flancs. La monture bondit en avant mais se figea de nouveau avant de faire un pas sur le coté puis reculer. Il semblait agir comme s'il n'y avait pas de direction par laquelle fuir et eux devaient s'accrocher fermement pour ne pas se faire surprendre par ses écarts.
« Yvain nous devons abandonner le cheval, nous devons fuir au plus vite avant que les loups n'approchent. »
Mais c'était trop tard, ils étaient déjà là. Sous les sapins, des animaux faisaient bruisser les fougères sur leur passage. Tout autour d'eux.
Ils virent deux éclats dorés refléter la lune sur leur gauche. Dans la pénombre, le loup était presque invisible, seuls ses yeux leurs permettaient de le deviner à moins de quinze pas d'eux. A chaque seconde, une nouvelle paire d'yeux s'ajouta au cercle de loup jusqu'à ce que ce soit une meute entière qui soit là, son attention entièrement rivée sur eux.
Combien de secondes passèrent, s'étiolant sous la tension ? Les loups n'avançaient pas plus proche d'eux, le cheval renâclait et restait à distance. Pas de grognement, pas de menace, le silence n'était brisé que par les respirations lourdes des proies et le bruit de pattes des prédateurs qui leur tournaient autour. Yvain sentait ses dents claquer d'angoisse sous la pression de l'attaque imminente, dans son dos Gauvain tremblait tellement de tous ses membres qu'il se demandait si son ami arriverait à courir quand ils auraient besoin de fuir.
Face à eux au milieu du sentier, une silhouette avança à raz du sol. Un grand loup au pelage sombre sortit de l'ombre, ses yeux jaunes brillants de malice, sans grogner ni montrer les dents. Le canidé marchait curieusement, avec un léger boitement à l'arrière train. Il garda ses yeux rivés sur le cheval et ses cavaliers, laissant filer quelques secondes pesantes, avant de lever la truffe en l'air non pas pour hurler mais pour regarder le hibou. Ce dernier hulula doucement et, comme prise par un obscure enchantement, la meute se retira dans les ombres de la forêt sans demander son reste. Seul resta le loup boiteux.
« On est mort, c'est ça ? On est trop mort là c'est sûr. »
Yvain se rendait bien compte d'être en vie, il sentait son cœur plus vivant que jamais battre une cadence rapide dans sa poitrine, cette impression d'être essoufflé par le danger alors qu'on n'a pas encore eu besoin de fuir et la sueur froide qui coulait dans son dos. Et pourtant ils venaient de voir une meute de loups prêts à les attaquer. Ils avaient survécu alors qu'ils s'étaient fait encerclés par une meute de loups féroces et affamés !
Quand la tension sera retombée et qu'ils rentreront au château, il allait s'en venter pendant des jours. Pour le moment, il ne se sentait pas encore complétement hors de danger car restait un loup, face à eux.
Dans un bruissement de plumes à peine perceptible, le hibou descendit se poser au sol, juste à coté du prédateur nocturne.
Yvain s'attendait à tout, il se doutait que soit le loup allait se jeter sur l'oiseau pour le déchiqueter, soit les deux allaient se battre. Enfin, ils allaient se battre si le rapace décidait de les défendre car il restait la possibilité qu'il ait mené les deux chevaliers jusqu'ici pour les offrir en pâture aux loups. C'était absurde vu les efforts qu'il avait fait pour leur faire voir Guenièvre enlevée et pour les amener à trouver une monture, mais sait-on jamais. En revanche, il ne s'attendit pas une seconde à ce que le loup baisse la tête pour renifler gentiment le hibou comme un chien docile et que ce dernier répondre en mordillant l'oreille du loup avec son bec.
Après une seconde, le loup tourna les talons et se mit à trottiner à travers les bosquets de fougères. Avec un hululement doux en direction des chevaliers, le hibou partit à sa suite en volant.
« Non mais c'est n'importe quoi là, on va pas suivre un loup ! Ca sent trop le chou farcit cette histoire !
-Partons Yvain, avant que les autres loups ne reviennent !
-Et le hibou ? On est paumé sans lui, y a que lui qui peut retrouver Guenièvre. »
Regardant devant eux, le chevalier au lion ne pouvait déjà plus voir la silhouette du loup, perdue dans les ombres du sous bois, mais il distinguait encore celle argentée du hibou qui s'éloignait d'eux. Dans quelques secondes, il la perdrait de vue et ils se retrouveraient seuls, sans l'aide de cet oiseau. Il les suivait depuis leur évasion du château, il leur avait permit de découvrir que Guenièvre avait été kidnappée, et il les avait amené à une monture pour pouvoir la secourir. Jusqu'où pouvaient-ils faire confiance à ce animal à plumes, à l'animal de compagnie de Merlin ? Jusqu'où était-ils prêt à aller pour sauver sa reine et sœur ?
Cette question était plus simple à répondre que la première. Il était prêt à voler un pauvre paysan, il était prêt à sacrifier une nuit de sommeil pour traverser la Bretagne, il était prêt à suivre un loup.
« On y va ? On doit les suivre, si ça se trouve il a trop un plan de génie. »
Gauvain ne répondit que d'un signe de tête. Il avait tout autant peur des loups que lui mais il comprenait la situation et comprenait qu'ils ne pouvaient pas faire machine arrière. Cette réponse suffisait à Yvain qui talonna le cheval. Ce dernier consentit à suivre le hibou et s'engagea dans le sous bois de sapins au trot. Ils ne suivaient plus aucun sentier désormais, peut être seulement une piste sauvage qui ne figurait sur aucune carte. Les sabots du cheval faisaient un bruit étouffé dans l'herbe épaisse, le hibou volait au dessus d'eux comme lorsqu'ils étaient arrivés dans les bois, et leur véritable guide, le loup sombre, courait devant à une dizaine de mètre avec une fluidité que sa boiterie gachait un peu.
L'expérience était surnaturelle. Depuis le dos du cheval ils voyaient les fougères bouger parfois sur le passage de divers animaux sauvages, certains rendant leur monture nerveuse. La lune faisait parfois refléter des yeux au loin, parfois petits et rapprochés, parfois beaucoup plus inquiétants, mais aucun animal, ni lapin ni ours ne leur chercha d'ennuis. Ils les regardaient passer comme si les cavaliers faisaient partis de la vie nocturne de la forêt. Ils revirent même la meute de loups qui pendant quelques instants partagea leur piste, les dos des loups passants de chaque coté comme une rivière qui ne mordait pas, avant de disparaître dans une combe obscure.
A bien y réfléchir, Yvain hésitait à raconter ça une fois rentrés au château. Qui les croirait avoir suivit les instructions muettes d'un hibou magique, avoir monté à cheval, et avoir suivit des loups dans une forêt en pleine nuit ? Surtout qu'ils étaient sensés être enfermés dans les cachots.
Leurs guides ralentirent à l'abord d'une colline qu'ils commençaient à grimper. Le silence était perceptible désormais, il y avait beaucoup moins d'animaux sauvages ici, quelque chose les avait fait fuir.
Arrivés sur les hauteurs, le loup s'était arrêté, les oreilles tendues en avant. Yvain fit ralentir leur monture au pas pour avancer lentement et essayer de distinguer ce qui l'avait arrêté. En contrebas éclairée par la lune, la forêt était moins dense, des arbres avaient été enlevés par des années de bucheronnage et un large sentier traversait les bois nettement le long de la vallée. Mais ce qui était encore plus visible, c'était les lueurs jaunes de torches aux abords de la route.
D'abord rassurés de voir enfin des traces de vie humaine, les petits pédestres pensèrent tous deux à la même chose. Etaient-ce des éclaireurs de Kaamelott ou un groupe d'envahisseurs ?
« Libérez-moi, bandits ! Si mon époux vous retrouve il vous apprendra les bonnes manières ! »
La voix était forte, féminine, avec un trait de peur perceptible. Il n'y avait aucun doute sur son identité et la voix étrangère aux accents germaniques qui répondit ne fit que confirmer la situation.
Ils venaient de retrouver Guenièvre.
