Bonjour mes petits chats,

Steve/Chris et Bucky continuent leur petite vie tranquille à Eureka, toute en douceur et avec leurs amis. Aujourd'hui, quinzième partie ! :)

Une autre tranche de vie (devenue commune) de nos deux héros. J'espère qu'elle vous plaira.

Quelques précisions ci-dessous pour les courageux ou les curieux et à tous, je vous souhaite une bonne lecture.

On se retrouve dans quinze jours pour la suite !

Bien à vous,

ChatonLakmé


L'American Bird Conservancy (ABC) est une association à but non lucratif fondée en 1994. Sa mission consiste en la sauvegarde et la protection des oiseaux sauvages et de leurs habitats dans toutes les Amériques, notamment par le biais de partenariats avec d'autres associations sur le continent. Elle rédige de nombreux guides sur les oiseaux et les sources de nuisance (agriculture, éolienne…).

La California State Polytechnic University (CSPU) est le nom de l'université d'État de Humboldt. Elle se trouve dans la ville d'Arcata, au nord d'Eureka et de l'autre côté d'Arcata Bay et est une des rares universités polytechniques des États-Unis.

Gene Kelly (1912-1996) est un immense artiste américain, particulièrement remarqué dans ses prestations dans des comédies musicales, telles que Un Américain à Paris (1951) et Chantons sous la pluie (1952). Il s'agit d'une des personnalités masculines les plus importantes de ce genre à Hollywood dans les années 1950.


L'homme de la plage

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Quinzième partie


Début novembre


Les yeux baissés sur la table basse, Bucky joue du bout du pied avec les magazines entassés sous le plateau en verre. Il soulève légèrement les premiers exemplaires, la pile tangue un peu sans pour autant lui dévoiler complètement les couvertures bariolées imprimées sur papier glacé.

Sam s'est presque jeté dessus pour les cacher quand Chris et lui sont arrivés pas assez vite pour que Bucky ne voit pas les photos de mariages et de décorations de table imprimées dessus.

Depuis qu'il est assis sur le canapé, ça l'intrigue un peu. Beaucoup.

Il insiste, les premiers magazines tombent finalement sur le tapis alors que la pile s'écroule. La jeune femme sur la couverture, photographiée de trois quarts, est coiffé d'un splendide chignon en forme de rose. Lee pistil est représenté par des épingles à têtes de perle.

Elle est brune, comme Maria.

Cette coiffure lui irait très bien.

— « Bucky ? »

Le jeune homme relève les yeux. Sam lui tend un plateau couvert d'amuse-bouches colorés. C'est tentant mais le brun est presque sûr que la couverture du magazine en dessous est sur la pâtisserie et les buffets de mariage.

Il insiste encore un peu, juste du bout du pied.

Son ami hausse un sourcil alors qu'il se tortille discrètement sur le canapé. Il observe les mouvements discrets de sa jambe gauche, contemple la table basse avant de rougir un peu.

— « Arrête ça Buck', je ne les ai pas laissés sur la table basse pour une bonne raison », grommelle-t-il. « C'est mon anniversaire, tu ne devrais te préoccuper que de moi et ne pas me taquiner. »

Bucky ricane quand son ami tente de tirer les magazines à lui de l'autre côté de la table.

La manœuvre est délicate. La pile achève de s'écrouler et s'étale sur le tapis en une vague colorée.

Le brun hausse un sourcil. Il en était sûr. Les plus beaux gâteaux de mariage de l'année avec la photographie d'une énorme pièce montée couverte de chantilly. Voilà qui est très intéressant.

Il se penche pour ramasser les magazines et en profite pour détailler toutes les couvertures. Belle Bridal Magazine propose un article sur les plus beaux lieux en Californie pour se dire oui. C'est aussi intriguant.

— « Tu aurais dû les cacher mieux que ça », lui rétorque-t-il avec malice. « Et ce n'est pas vraiment un secret non plus. Dans quelques mois, tu auras les yeux cernés d'un homme stressé qui se demande s'il aurait dû choisir le poisson plutôt qu'un plat de viande pour le repas de noces. »

Sam lui jette un regard noir mais déjà un peu anxieux. Bucky éclate de rire et se renverse contre le dossier du canapé. Contre Chris qui est assis à côté de lui et qui sourit malicieusement. Son compagnon se penche en avant et étale avec soin les magazines sur la table basse, entre leurs verres apéritifs et les plateaux d'amuse-bouches. Il croise les mains sur ses genoux et dévisage les couvertures avec attention. Le brun pouffe doucement. C'est adorable.

— « Il y a énormément d'articles auxquels je n'aurai jamais songé », marmonne-t-il d'un air interdit. « Pourquoi est-ce qu'un mariage devrait avoir un thème ? Un mariage est un mariage, non ? »

— « Oh homme naïf et heureux », soupire Sam avec grandiloquence.

Bucky glousse et prend un magazine au hasard pour commencer à le feuilleter. C'est le catalogue d'une enseigne réputée de robes de mariées. Quand il lit le sommaire, il s'étonne aussi. Qui aurait cru qu'il y aurait tant de formes et de modèles différents ?

Chris se penche vers lui pour lire avec lui.

— « Tu as fait ton choix entre une robe sirène et une robe princesse ? », demande-t-il à Maria avant de jeter un regard au brun. « … Qu'est-ce que c'est une robe sirène ? Je suis en train d'imaginer quelque chose mais je pense que ce n'est pas ça. »

Bucky rit à nouveau et lui vole un baiser. En face d'eux, Sam émet un bruit de dégoût un peu outré.

Le brun l'ignore, il feuillette le catalogue pour arriver aux pages consacrées aux robes sirènes et le met dans les mains de Chris qui hoche la tête. Robe ajustée sur le buste et les cuisses, évasée sur la partie basse. C'est simple une fois qu'on a les photos sous les yeux. Forme sirène, quoi.

— « Vous voir regarder ce catalogue ensemble est une des choses les plus traumatisantes de ma vie d'homme », dit Sam. « Ne touchez pas aux marques-pages surtout, Maria y travaille depuis des semaines. »

Le brun roule des yeux.

Son meilleur ami est un peu nerveux en face de lui. Il jette des regards en coin à Chris qui étudie le catalogue, rassemble les magazines sur la table basse avec soin et les classe même selon une logique qui échappe un peu à Bucky.

Il prend le plateau d'amuses-bouches pour se servir et le tend à son compagnon avant de le reposer.

— « C'est vraiment sérieux tout ça, n'est-ce pas ? Ce mariage ? Vous vous projetez rapidement pour la cérémonie », dit-il doucement.

— « Il n'y a rien de rapide dans l'organisation d'un mariage Buck' mais si ta question est de savoir si on va rester fiancés pendant des années, je te répondrai qu'on attend juste le retour de l'été pour nous lancer », lui répond Sam du tac-au-tac.

— « … L'été prochain ? »

— « Bien sûr. Et selon les forums que consultent Maria, on est même déjà en retard pour commencer les préparatifs. Je te l'ai dit, tout prend du temps dans un mariage. »

— « Y compris le choix de ton costume. Tu n'arrêtes pas de changer d'avis », ajoute Maria en levant les yeux au plafond.

Sam marmotte dans sa barbe et Bucky sourit.

Il sourit jusqu'à se souvenir d'une petite chose, un détail infime.

Fiancés.

Son meilleur ami l'a dit.

Il interroge Sam du regard mais c'est Maria qui lui répond en levant une main entre eux. Une bague discrète orne son annulaire gauche, un fin jonc en or blanc orné d'un petit brillant au centre. C'est nouveau.

Le brun déglutit légèrement. Merde, c'est pour de vrai.

Il jette un regard interdit à Sam qui rit d'un air un peu crispé.

— « Mec, c'est à moi d'être ému et d'avoir la trouille », le taquine-t-il.

Sa voix est rauque, comme la sienne. Bucky passe une main sur son visage et s'appuie contre Chris. Merde.

— « Je te laisse ce plaisir. Je suis incapable de me décider entre un plat de viande ou de poisson, j'adore les deux. »

— « Personne ne peut Buck', c'est bien le problème ! », s'exclame Sam.

Son ami roule des yeux et lève les mains en l'air d'impuissance.

Le brun ricane mais sa gorge est encore un peu serrée. Son compagnon embrasse doucement sa tempe parce qu'il a compris et Bucky ferme brièvement les yeux.

— « Toutes mes félicitations, je suis vraiment heureux pour vous », souffle-t-il en observant le couple qui vient de s'enlacer sur le canapé voisin.

— « Merci Buck' » Il sourit. « … Grosse année pour nous, hein ? »

— « Putain ouais. »

Bucky passe une main dans sa nuque tandis qu'il hoche la tête. Une vraie grosse année à marquer d'une pierre blanche et dont il se souviendra longtemps. Soudain, il a l'impression d'être un peu vieux. Chris lui montre un autre magazine, une double page sur la manière la plus élégante de rédiger ses faire-part et le brun sourit. Plus vieux mais en train de construire de vraies choses autour de lui. C'est la maturité en quelque sorte et il n'est pas seul pour affronter ça.

Il s'appuie distraitement contre Chris, juste un peu plus fort.

— « Est-ce que vous avancez un peu dans vos recherches ? Il y a beaucoup de signets… », note le blond en montrant la pile sur la table basse.

— « Tu n'as pas vu tous les autres numéros qui sont sur nos tables de chevet. Maria et moi n'arrêtons pas de faire des to do list sur à peu près tous les sujets possibles et imaginables », acquiesce Sam d'un air de martyr.

— « Bridal Guide écrit que le plus important est de fixer une date. Et de trouver un thème. »

Plein de bonne volonté, Chris lève le magazine vers eux pour leur montrer l'article. Bucky hausse un sourcil. Il y a vraiment beaucoup de tirets sur la tranche. Maria s'assombrit un peu et boit une gorgée de vin.

— « La date nous sera plutôt imposée. Nous avions repéré des domaines dans les environs mais leurs carnets de réservation sont complets pour les deux années à venir. C'est dans une éternité et je ne suis même pas certaine que ça permette à Sam de trancher sur le menu du repas de noce. »

— « J'aimerais t'y voir quand on devra choisir le goût de la pièce montée. Tu es très difficile quand il s'agit de desserts. »

— « … Si on prend une pièce montée mon cœur. »

Bucky ricane en coin. Il feuillette le magazine de Chris, l'article sur les compositions florales à table l'intéresse peu. Celui intitulé Les plus beaux sites pour vous marier sur la côte Ouest est plus attirant.

Il hausse un sourcil aux photos de vignobles prestigieux et de maisons de maître ressemblant à des châteaux français. Les jardins soigneusement entretenus ont des airs d'Italie.

— « Vous voulez vraiment vous marier à Beaulieu Garden ou à Rosewood Sand Hill ? », leur demande-t-il prudemment.

— « Ce sont de beaux endroits et tu sais que j'ai une nombreuse famille. Le domaine doit pouvoir accueillir tous nos invités », acquiesce Sam.

Le brun frissonne légèrement.

Il se souvient d'une fête de famille à laquelle son meilleur ami l'avait convié quand ils avaient seize ou dix-sept ans. Sam espérait lui le mettre en couple son cousin Bradley qui venait de faire son coming out. L'idée vague de devenir un jour presque frère avec lui en les mariant le rendait fou de joie.

Bucky garde un souvenir diffus du garçon en question mais la fête… Plus de deux cents personnes réunis dans la salle communale de Hayfork, Californie. De la musique jusqu'à sept heures du matin, un repas si gargantuesque qu'il en avait été un peu malade. Ça avait aussi été le temps de ses premiers baisers un peu chauds, échangés dans un coin sombre avec un garçon plus âgé qui n'était pas Bradley. Celui-ci n'a plus de visage non plus dans ses souvenirs mais le brun se rappelle parfaitement le relief parfait de ses abdominaux qu'il touchait fébrilement sous son tee-shirt. À ses yeux d'adolescent encore inexpérimenté et maladroit, le jeune homme avait été gentil et incroyablement doué avec sa langue.

Bucky se racle légèrement la gorge.

— « Tu penses à autre chose ? »

Quoi ?

Il jette un regard à Maria et sent ses oreilles chauffer un peu. Il ne pense à rien et certainement pas à Liam. Oui, il s'appelait Liam et il avait aussi des mains qui faisaient des choses divines à ses –

— « Pour le mariage ? Tu penses à un autre lieu ? », répète la jeune femme.

Il hausse légèrement les épaules.

— « Je n'ai jamais réellement pensé à la manière dont vous pourriez vous marier mais je vous imagine plutôt échanger vos vœux sur la plage, pieds nus et tu porterais une robe… bohême », dit-il en vérifiant le terme dans le catalogue de la boutique.

- « Tu serais très belle dans ce modèle en dentelles, tu l'as même marqué avec un signet », renchérit Chris en montrant la page.

Sam et Maria échangent un regard.

— « Nous y avons pensé aussi et cette idée nous plaît beaucoup mais tu vois vraiment ma famille envahir Manila Beach ? Toute ma famille ? L'ABC appellerait la police en disant que nous sommes un risque pour le cycle de reproduction des grands cormorans d'Amérique… »

Bucky ricane. Touché. Il feuillette encore l'article consacré aux domaines de la côte Ouest mais persiste. Chateau Marmont ou le Ritz Carlton au lac Tahoe ne sont pas du tout pour le couple le plus important de sa vie.

— « Tu as raison mais c'est votre jour spécial. Je suppose que rien ne vous empêche de vous offrir une cérémonie laïque en petit comité puis d'organiser l'union civile à la mairie avec tous vos invités », réfléchit-il à voix haute.

Un silence envahit le salon. Le brun se gratte la mâchoire d'un air un peu gêné. Il vient de suggérer à Sam d'exclure une grande partie de sa famille à son propre mariage. Difficile. Maria se mordille les joues et pose une main sur le genou du jeune homme.

— « Ça pourrait être une bonne solution », admet-elle doucement. « Tu te rappelles ce qu'on projetait au début ? Manila Beach, juste nous pieds nus et quelques amis ? Tu porterais très bien un simple costume en lin, Sam. »

— « … Tu serais sublime dans ce modèle bohème en dentelles. »

Chris montre la quatrième de couverture du catalogue de la boutique sur laquelle un couple s'enlace devant un paysage de bord de mer. Bucky rit tendrement et se penche pour embrasser son compagnon. Il serait aussi très beau dans cet ensemble avec chemise blanche et pochette en soie à motifs.

Sam passe une main dans sa nuque.

— « Deux cérémonies au lieu d'une… Maria et moi n'avons pas à nous plaindre de nos salaires mais je crains que ce ne soit un peu ambitieux pour nos finances », admet-il à contrecœur.

— « Se marier sur une plage publique est gratuit », lui rétorque Chris en sortant déjà son portable pour vérifier.

Maria rit doucement, amusée par son enthousiasme.

— « Se marier oui mais pas les aménagements. Nous avons déjà demandé quelques devis mais les montants sont prohibitifs pour seulement quelques chaises et une arche », ajoute-t-elle en fronçant les sourcils. « Nous ne demandons pourtant rien de très extravagant, juste un petit quelque chose pour que ça fasse… mariage. »

Chris s'indigne à juste titre tandis que Bucky lève les yeux au plafond. La très officieuse taxe mariage est réellement sans pitié.

Le blond hésite un instant, pianotant du bout des doigts sur sa cuisse.

— « … S'il s'agit de créer en arche en bois, je pourrais vous la construire. Vous n'auriez à louer que les chaises et à vous occuper de la décoration. S'il y a beaucoup de bois flotté sur la plage, il sera même possible de créer du mobilier éphémère. Ça pourrait être très joli… », dit-il doucement avant de jeter au couple un regard un peu timide. « Ce ne sont que des idées bien sûr. »

— « Des idées brillantes mon pote », répond Sam, les yeux brillant de joie. « C'est vraiment… brillant. Maria, on pourrait faire ça et aider Chris pour l'arche et le mobilier. »

— « C'est votre moment, je veux vous offrir ça », proteste-t-il en regardant Bucky. « On s'en occupera ensemble. »

Le brun déglutit légèrement. Il y a peu de choses aussi séduisantes à ses yeux que son compagnon en train de faire quelque chose avec ses mains, sur un échafaudage ou dans la maison. Quand Bucky l'entend parler au téléphone avec un entrepreneur, Chris est souvent directif et sa voix est plus grave. Que Dieu le pardonne, ça lui donne des frissons dans tout le corps et surtout dans les reins.

Le jeune homme acquiesce lentement.

Il participera avec joie aux préparatifs du mariage de ses meilleurs amis. Son aide sera modeste parce que ses doigts sont plus adaptés à écrire et à taper sur un clavier d'ordinateur mais ça pourrait être bien. Bucky se demande distraitement si Chris sera aussi autoritaire avec ça. Les frissons ronronnent agréablement dans son aine et il serre distraitement les cuisses.

Sam lui jette un drôle de regard et le brun hausse légèrement les épaules.

Pas de sujet.

— « C'est très généreux de votre part, Sam et moi sommes très touchés par ta proposition », dit Maria en regardant son compagnon et celui-ci acquiesce vigoureusement. « … Si nous changeons autant nos plans, nous allons devoir revenir sur la plupart des choix que nous avions arrêtés. »

— « Ouais mais l'arche en bois flotté sur la plage, c'est vraiment une super idée. Je suis prêt à tout recommencer », ajoute-t-il avec un lourd soupir.

Leur petite assemblée éclate de rire et le couple échange un baiser.

Bucky range à nouveau les magazines sous la table basse et grignote dans les plateaux d'amuse-bouches. Toutes ces émotions lui donnent faim.

En face de lui, Sam et Maria sont lovés l'un contre l'autre et discutent des détails de la cérémonie. Bucky sent Chris poser une main sur ses reins et les caresser doucement, un sourire tendre aux lèvres. Ils pensent et ressentent la même chose et le brun est vraiment heureux. Il s'appuie contre lui et le blond continue ses caresses. Bucky songe avec une pointe de honte qu'il pourrait s'endormir là, comme un enfant repu et satisfait de nourriture et d'amour.

Il papillonne un peu des yeux quand il entend le tintement des verres qui s'entrechoquent. Sam est en train de rassembler les plats vides de leur copieux apéritif dînatoire et de nettoyer la table basse.

— « Laisse donc ça, c'est ton anniversaire », grommelle-t-il mollement. « On va manger le dessert dans la même vaisselle. »

— « Tu es un homme sauvage », ricane Sam en cognant son genou du sien. « Aide-moi plutôt à ranger et viens avec moi en cuisine. Tu vas être franchement impressionné par le gâteau que j'ai commandé chez Cherry Blossom Bakery. »

Bucky ricane et se lève lourdement, les mains appuyées sur le canapé. Dans le mouvement, la paume chaude de Chris glisse sur ses reins et effleure distraitement ses fesses. L'espace d'une seconde, le brun en veut à son meilleur ami de l'avoir sorti de son agréable torpeur. Les mains pleines de vaisselle sale, il surprend un bref regard entre Sam et Maria avant que la jeune femme ne se penche vers Chris pour parler avec animation de mobilier en bois flotté. Son compagnon a sorti un carnet de Dieu sait où et est en train d'esquisser des croquis.

— « Si cette idée d'arche en bois vous plaît, je vous conseille de mûrir rapidement votre projet avec Maria. Chris semble avoir beaucoup d'idées et tout peut aller très vite », dit-il en suivant Sam dans la cuisine.

Son ami hoche lentement la tête mais sans rire ni sourire. Il a l'air un peu raide, un peu gêné aussi. Bucky lui tend la vaisselle sale.

— « Tu sais qu'il ne se vexera pas si tu lui dis d'être moins ambitieux, il veut juste vous faire plaisir. … Tu peux même lui dire de ne rien faire du tout sur la plage », ajoute-t-il prudemment.

Sam secoue la tête, un sourire un peu crispé aux lèvres.

— « Je suis persuadé que c'est une excellente idée et tu as raison, ça nous ressemble bien plus qu'une cérémonie pompeuse dans un domaine viticole prétentieux. »

— « Alors pourquoi tu fais cette tête ? Tu doutes de quelque chose ? » Bucky s'appuie contre le plan de travail, les bras croisés sur sa poitrine. « C'est normal de paniquer un peu dans une telle situation mais ce qui t'arrive est tellement génial. Tu vas te marier mon pote. »

Le jeune homme rince les plats avant de les mettre au lave-vaisselle. Le brun hausse un sourcil. Quelque chose ne va pas. Sam referme la porte avec un soin tout particulier avant de passer une main dans sa nuque, les yeux baissés sur ses chaussures.

— « Je ne doute pas, je veux vraiment passer le reste de ma vie avec Maria. »

— « C'est évident. Elle trouve que faire des mots croisés est mignon, vous étiez destinés à être l'un avec l'autre. »

Son meilleur ami lui jette un regard en coin avant de ricaner. C'est mieux mais toujours un peu crispé.

Bucky se mord les joues. Il commence à se sentir nerveux.

— « … Si tu as autre chose à me dire, par exemple le fait que je vais devenir oncle par procuration, c'est le moment Sam. Je suis prêt à tout entendre. »

Ils ricanent ensemble et ça sonne étranglé de la même manière. C'est ridicule.

Sam rougit un peu et lui donne un coup de pied dans le tibia. Bucky rit plus fort, peut-être pour cacher l'appréhension qui monte en lui. Un mariage est une chose, assister à la fondation d'une famille en est une autre. Le brun pense qu'il a vu juste et soudain, son impression de maturité tranquille fond comme neige au soleil. Il se sent comme un petit enfant devant quelque chose de beaucoup, beaucoup plus grand que lui.

Le brun sent son ventre se tordre et sa poitrine se serrer.

Sam secoue la tête.

— « Ce n'est pas ça. Quand ça arrivera, tu peux être sûr que je saurais ménager mon effet pour que tu éclates en sanglots », le taquine-t-il.

— « C'est ce que tu crois. » Bucky renifle d'un air suffisant. « … Est-ce que tu veux que je vienne déjeuner avec toi à Providence cette semaine ? Si tu préfères qu'on ne soit que tous les deux… »

— « Ça va Buck, ce n'est pas aussi mélodramatique. J'ai juste besoin d'un peu de courage », sourit Sam avec une pointe de gêne. « … Bucky ? Est-ce que tu accepterais d'être mon témoin ? »

La question flotte un instant entre eux tandis que le brun cligne des yeux. Plusieurs fois.

— « On est ami depuis plus de vingt ans et je serai très heureux que tu sois à mes côtés ce jour-là. … Ça me rassurerait probablement aussi un peu », admet vivement Sam.

Bucky cligne encore des yeux une fois avant de rire.

— « Comment est-ce que tu as réussi à demander Maria en mariage avec un tel courage ? », s'esclaffe-t-il affectueusement.

— « Ne le répète à personne mais c'est elle qui me l'a demandé. … Alors ? »

Le brun sourit largement et donne un coup de poing malicieux dans le torse de son ami.

— « Imbécile, tu m'as fait peur », soupire-t-il de soulagement. « Bien entendu que j'accepte d'être ton témoin mais tu me l'as déjà demandé quand on mangeait des sushis dans ton bureau. »

— « C'est ce que j'ai dit à Maria mais elle m'a fait remarquer que je n'avais pas été très clair, ta réponse non plus et que je devais m'en assurer », dit Sam en levant les yeux au plafond. « J'avais trouvé ça très bien la première fois, les grandes déclarations solennelles me mettent toujours mal à l'aise. »

— « Ton discours et la présentation de tes vœux vont être des moments d'anthologie », se moque Bucky avant d'attirer son ami dans une vigoureuse accolade. « Je suis très honoré que tu aies pensé à moi et je te le répète, j'accepte d'être ton témoin. »

— « Merci Buck'. »

Sam referme doucement ses bras autour de lui mais il lui pince malicieusement les côtes du bout des doigts. Le brun couine et les deux hommes chahutent un instant dans la cuisine.

Bucky se redresse et essuie son front d'un revers de la main. Le bonheur donne chaud.

— « Je n'arrive pas à croire que tu me l'aies demandé alors que tu as plus de quinze cousins et une trentaine de petits-cousins. »

— « Grâce à toi, je ne fais aucun jaloux entre les membres de ma famille. Tu es un choix éminemment pratique mon pote », lui répond Sam du tac-au-tac.

— « Enfoiré. »

Son ami sort les assiettes à dessert d'un placard, ajoute les cuillères et lui met le tout dans les mains avant d'entrouvrir le frigo. Il lui jette un regard par-dessus son épaule et Bucky roule des yeux.

— « D'accord, je retourne au salon pour que tu puisses ménager ton effet », se moque-t-il. « J'espère que ton gâteau est assez gros pour y planter tes trente-sept bougies. »

— « Homme de peu de foi », soupir exagérément Sam.

Bucky quitte la cuisine dans un éclat de rire et rejoint Chris et Maria. La jeune femme lui sourit et le brun lui répond en hochant la tête. Bien entendu elle est au courant de tout. Elle lui laisse sa place dans le canapé à côté de son compagnon et se réinstalle en face d'eux. Chris a griffonné sur plusieurs pages du carnet mais il n'oublie pas de le saluer d'un baiser alors que Bucky regarde par-dessus son épaule avec intérêt.

— « Tout va bien ? Sam et toi riiez très fort… »

— « Oui, nous avions une petite chose à éclaircir », rit le brun en lui rendant son baiser.

Il distribue les assiettes et les cuillères avant de guetter la porte de la cuisine avec envie. Sam a titillé sa curiosité. Quand son meilleur ami entre dans la pièce en tenant à bout de bras un chef-d'œuvre de crème et de génoise, il le regarde et hausse un sourcil un peu arrogant. Bucky éclate de rire et incline légèrement la tête pour reconnaître sa défaite. Maria semble un peu moins ravie de la commande de son compagnon.

— « Il est beaucoup plus gros qu'on n'en avait parlé Sam. On va mettre des jours à le terminer. »

— « Il est à peine plus grand que celui du dernier anniversaire de Buck' et tu l'avais trouvé extraordinaire », lui rétorque Sam.

— « C'est parce qu'il encombrait son frigo et pas le nôtre. »

Les deux hommes échangent un regard de connivence. C'est un jeu stupide entre eux depuis des années, depuis qu'ils ont quatorze ans. Stupide mais délicieux. Les indigestions un peu nauséeuses provoquées parfois par la crème et la génoise ne comptent pas.

— « Chris et Buck' partiront avec la moitié pour nous aider à le finir. Laisse-moi te servir ma douce », roucoule Sam en tendant une main vers l'assiette de sa compagne.

— « Un petit morceau s'il te plaît. » La jeune femme grimace légèrement. « Bon sang, il y a tellement de crème dessus… Le premier qui en fera tomber sur le tapis l'amènera au pressing, les garçons. »

Le tapis est très grand, très lourd et encombrant alors chacun fait très attention. Le brun déguste sa part en connaisseur averti. Le gâteau est particulièrement réussi mais c'est un jeu et Bucky est parfois mauvais joueur.

— « … Il est… agréable. »

— « Menteur, il est délicieux », siffle Sam.

— « Délicieux », acquiesce Chris avec gourmandise. « Joyeux anniversaire Sam. »

Le brun admet qu'il est suffisamment agréable pour se servir une autre part, imité par son meilleur ami et par Chris.

Finalement repu, Sam s'appuie lourdement contre le dossier du canapé, un bras passé autour des reins de Maria. Il sourit doucement, les yeux rivés sur le guéridon à côté de lui sur lequel s'entassent ses cadeaux.

Après un instant, il tend le bras pour prendre un livre à la couverture un peu éculée qu'il caresse pourtant presque tendrement de son pouce. Bucky l'observe l'ouvrir et le feuilleter jusqu'à la page de titre.

Manuel de biologie de deuxième année, sixième édition revue et corrigée, 1985.

Dans le coin en haut à droite, il y a une annotation manuscrite à l'encre noire délavée.

Appartient à Samuel Wilson.

Le brun sourit, fier de son présent.

Chris et lui se sont torturés l'esprit pour trouver le meilleur cadeau pour leur ami, discutant l'un contre l'autre pendant plusieurs soirées entrecoupées d'agréables séances de bécotage. La main de Chris caressait ses reins tandis qu'une des siennes était posée sur ses abdominaux nus sous son tee-shirt et soudain, l'illumination.

Le lendemain, Bucky a traîné son compagnon au lycée d'Eureka pour fouiller dans les armoires de l'établissement. Avant d'entrer à l'université, Sam avait donné ses manuels à une bourse aux livres. Une bonne idée sur l'instant mais des regrets sur le long terme. Après plus de deux heures passés à chercher dans la poussière, Chris a retrouvé son manuel de sciences. Celui dont les schémas du corps humain répugnaient Bucky mais qui fascinait Sam jusqu'à le conduire à poursuivre en médecine.

C'était une très bonne illumination, autant qu'une délicieuse soirée avec leurs mains qui s'effleuraient sur et sous leurs vêtements.

— « Je n'arrive pas à croire que vous l'avez retrouvé. J'ai tellement regretté de l'avoir donné à cette bourse aux livres », souffle Sam avec nostalgie. « J'ai pensé en racheter un autre mais ça n'aurait pas été la même chose. Il y a encore dans les marges les annotations que j'ai écrits pendant les cours de Mrs Beckett. »

Bucky hausse un sourcil malicieux.

Il y avait sans doute aussi quelques petits mots d'amour. Mrs Beckett était jeune et séduisante, Sam avait eu le béguin pour elle pendante toute leur deuxième année avant qu'elle ne déménage pour suivre son fiancé à San José.

Son meilleur ami referme lentement le manuel et lui jette un regard malicieux.

— « C'est très amusant que Chris et toi soyez justement allé fouiller dans les vieilleries du lycée, j'ai aussi remis la main sur quelques souvenirs quand j'ai rangé le garage dernièrement… », dit-il d'un air nonchalant.

Sam se lève et ouvre un placard bas situé dans la bibliothèque. Bucky se crispe légèrement. C'est l'endroit où son meilleur ami range les albums photos et autres babioles sentimentales. Il n'aime pas du tout son sourire, encore moins ce qu'il lui montre en l'agitant légèrement entre eux.

Bucky plisse les yeux.

C'est un volume relié et un CD. Son ami allume la télévision et le vieux lecteur vidéo.

— « J'ai repensé à cette histoire de bal de promo quand Chris et toi êtes venus manger la dernière fois. Tu ne devineras jamais ce que j'ai retrouvé dans le carton de mes affaires de basket… », rit-il en glissant le CD dans l'appareil.

Bucky se sent pâlir un peu. Chris se redresse avec intérêt et pose même son assiette sur la table basse. Non. Non.

— « Tu as retrouvé des photos ? », demande-t-il avec intérêt.

— « Pas seulement mon pote. J'ai remis la main sur notre album de promo mais j'ai surtout une vidéo. Tu vas pouvoir le voir en train de danser. Ou en tout cas, essayer », ricane Sam d'un air ravi.

— « Tu ne peux pas faire ça Sam, je viens d'accepter d'être ton témoin », siffle le brun, les joues brûlantes.

— « Ça n'a rien à voir, ça ne compte pas. Tu n'as qu'à te dire qu'en te voyant danser il y a vingt ans, tu ne peux que mesurer les progrès qu'il te reste à faire avant mon mariage. »

Bucky déglutit.

L'écran de la télévision grésille légèrement, les images aux couleurs surannées sautent un peu avant de se fixer.

Oh non.

Il reconnaît tout.

Le gymnase décoré de ballons et de banderoles, la petite scène avec le groupe d'étudiants de la CSPU que le lycée avait engagé pour animer la soirée. Le bassiste avait une boucle d'oreille et il était mignon. Il y a les spots un peu trop aveuglants et surtout, ce brouhaha perpétuel et cette chaleur qui l'avaient frappé dès qu'il avait passé les portes, Sarah à son bras.

Il enfonce légèrement sa tête entre ses épaules. Sam met la vidéo en pause, prend la télécommande et vient s'asseoir sur le bras de son canapé.

- « Je fais les commentaires Buck' », dit-il en lui tapotant gentiment le genou. « Chris, on commence par l'album de promo. C'est pour ménager le suspense. »

Le brun le fusille du regard tandis que son compagnon prend l'album presque avec respect. Maria se glisse à son tour à côté d'eux, un sourire aux lèvres.

Eureka High School, 2005.

Bientôt, le salon résonne des rires, des commentaires et des cris d'horreur des deux amis en s'observant sur les vieilles photos un peu datées. Bon prince, Sam n'a pas retiré celles sur lesquelles il figure. Il a un sourire un peu idiot quand il observe les prémisses de son bouc, quelques poils sombrent se battant en duel sur son menton encore rond d'adolescent.

Bucky a une petite moue un peu orgueilleuse en se reconnaissant sur une photo du club du théâtre du temps où Dan Whitehead et lui se regardaient en coin. Il porte beau son jean un peu élimé, son tee-shirt de rock et son vieux blouson militaire. La classe.

Chris ne cesse de rire et de sourire, un peu plus ravi à chaque fois qu'il tourne une page de l'album. Il s'arrête longuement sur un cliché pris dans les gradins du gymnase.

Bucky jette un coup d'œil à la légende.

Les Loggers d'Eureka contre les Panthers, McKinley High School,2004. Allez les Loggers !

Ouais, ça avait été un beau match. Le brun figure au premier plan, le bras brandit et une casquette au logo des trois sapins des écoles de la ville enfoncée sur le crâne.

— « Tu étais tellement mignon », souffle Chris en lui jetant un regard incroyablement doux. « Je me serai retourné sur ton passage si on s'était croisé dans la rue. »

— « Buck' l'aurait fait aussi mais maladroit comme il était, il aurait heurté un lampadaire ou un panneau de signalisation », se moque Sam. « Je suis sûr que tu étais très séduisant aussi au lycée mon pote. Maria était une reine, elle. »

— « Seulement celle du club de théâtre dans une pièce de Shakespeare mais je portais plutôt bien la couronne », acquiesce la brune en riant.

Bucky n'ajoute rien.

C'est probablement ce qu'il se serait passé et comme avec Dan Whitehead, il aurait un peu espionné Chris sans oser l'aborder. Les gens changent avec les années mais il imagine son compagnon aussi beau et musclé que maintenant ce qui est ridicule. Est-ce que les deux adolescents qu'ils étaient auraient été en couple au lycée ? Est-ce qu'ils l'auraient toujours été vingt ans plus tard ? C'est une idée douce et réconfortante.

Bucky perd un peu son sourire quand Chris arrive aux pages illustrant le bal de promo de l'année 2005. Il se cache presque le visage derrière une main au moment où il voit sa photo de couple avec sa cavalière, devant une arche en ballons multicolores. Un cliché traditionnel et un peu guindé. Bucky se mord les joues, un peu déçu. Il avait un souvenir différent de son costume sombre et de son allure, un souvenir plus flatteur. Quelque chose qui le rendait plus séduisant. Les souvenirs peuvent être vraiment stupides parfois.

— « C'est ta cavalière ? Elle est jolie », demande Chris en montrant la jeune fille à son bras.

Bucky acquiesce lentement. C'est vrai. Dire que quand il avait vu son amie dans sa robe pour la première fois, il avait pensé qu'elle aurait pu faire un effort afin qu'ils soient mieux assortis. Horrible péché d'orgueil. Sarah est plutôt charmante en bleu clair, lui semble habillé d'un costume trop grand et sa cravate est de travers.

Il lui adresse en silence ses plus plates excuses.

— « Sarah était dans notre classe et elle travaillait à la bibliothèque du lycée avec moi. Une chic fille, très gentille et qui trouvait qu'être gay était super cool. »

— « Elle craquait surtout un peu sur toi avant de réaliser que c'était sans espoir », commente Sam en haussant un sourcil.

— « Il n'empêche qu'elle me trouvait super cool. Sarah était très timide en dehors de nos heures de travail ensemble, elle avait du mal à aborder les gens. Quand le bal de promo a été annoncé, je lui ai proposé de venir avec moi comme une aide mutuelle. Sans cavalier, elle n'aurait jamais osé se montrer et je ne voulais pas que ça arrive », explique Bucky.

Chris hoche lentement la tête.

— « C'est très gentil de ta part, je comprends qu'elle ait eu le béguin sur toi », sourit-il avec malice.

— « À cette époque, elle s'intéressait plutôt à Aiden Perez, il était dans l'orchestre du lycée », lui rétorque le brun. « Je ne sais pas comment elle a réussi mais à la fin de la soirée, ils étaient ensemble. »

Et ça avait duré jusqu'à leur cinquième année de fac, Bucky l'avait appris plus tard. Stupéfiant quand on songe qu'il n'y avait pas deux personnes plus opposées. Son compagnon se masse distraitement la tempe du bout des doigts, le regard fixé sur l'album photo.

Il fronce les sourcils.

— « Ça va ? »

— « Oui… J'aime bien ce prénom, c'est tout », le rassure Chris en baissant la main. « Tu n'étais pas mal non plus Sam. »

— « J'étais un peu mieux que pas mal mon pote. Je suis le seul à être allé au bal en complet avec nœud papillon », se rengorge un peu le jeune homme.

— « Tu es le seul à avoir osé porter un costume à carreaux avec un nœud papillon à poids », le corrige Bucky en ricanant. « Les autres avaient choisi des smokings unis. »

— « Ennuyeux », renifle Sam.

— « Et je suis persuadé qu'ils avaient de vrais nœuds papillons sur leur col. Tu n'as jamais réussi à le faire, on a fini par t'en commander un avec un scratch sur internet.

— « Sam, je t'interdis de porter une chose pareille au mariage », le prévient Maria.

Le jeune homme gémit doucement de dépit tandis que Bucky s'esclaffe. Il continue à regarder l'album de promo avec Chris jusqu'à la dernière page avant de sourire. Ce sont quand même de chouettes souvenirs.

Son meilleur ami récupère le volume pour le poser sur la table basse. Quand il enclenche la lecture de la vidéo, c'est en regardant le brun droit dans les yeux et Bucky se retient de faire un geste obscène en guise de réponse. Chris n'apprécierait pas mais le brun n'a pas réellement envie de se faire humilier devant son compagnon à l'aide d'une vidéo datée et de mauvaise qualité.

La prescription devrait s'étendre à d'autres choses qu'aux seules affaires judiciaires.

Le son grésillant de l'enregistrement envahit à nouveau le salon, ponctué de cris d'adolescents et du groupe de musique qu'on aperçoit tout au fond du gymnase. La cacophonie est assez représentative de la soirée. Bucky est crispé mais il sourit doucement en reconnaissant des visages familiers dans la foule. Il s'appuie contre le dossier du canapé et pose distraitement sa tête sur l'épaule de Chris. Ça le rend un peu nostalgique. Il se souvient de tout. Des bruits, des odeurs et même le goût du punch aux fruits qu'un petit malin était parvenu à aromatiser à l'aide d'une mauvaise bière pas chère. Quelque chose scintille brièvement à l'écran. Ah oui, jusqu'à la grosse boule à facettes disco qui pendait au plafond.

Sam et Maria sont en train de commenter avec grand intérêt un couple qui valse maladroitement au premier plan. Le brun enfonce sa tête entre ses épaules et se tait. Il vient de se reconnaître un peu plus loin en train de danser avec Sarah.

Son meilleur ami plisse les yeux avant de ricaner. Il l'a vu aussi.

— « Oh Buck', tu es tellement… mauvais », glousse-t-il. « Regarde-toi, tes jambes et tes bras ne sont pas du tout coordonnés. Ça n'a aucun sens. »

Cette fois, Bucky ne se retient pas. Il lui fait un doigt d'honneur en profitant du fait que son compagnon ne fait pas attention à lui. Ça fait du bien.

— « Je ne me souviens pas non plus que tu étais John Travolta sur la piste », persifle-t-il d'un air mauvais.

Il sent ses oreilles chauffer. Bon sang, c'est douloureux de voir son jeune lui tenter de faire de son mieux. Sans le moindre succès.

Sam s'exclame bruyamment.

— « Tu es de tellement mauvaise foi ! Je te rappelle que je sais faire le moonwalk ! »

Au même moment, un concert de sifflements, de rires et d'applaudissement crépite dans les haut-parleurs. Bucky se mord la langue tandis que son meilleur ami lui adresse un sourire victorieux. Il s'en souvient aussi et la foule vient de lui prouver que c'était vraiment cool. Mince. Il est à nouveau un peu jaloux.

Chris caresse distraitement la cuisse du brun du bout des doigts.

— « Je trouve ton jeu de jambes un peu expérimental », dit-il alors que Sam et sa cavalière apparaissent à l'écran.

— « Oh, je t'aime… », soupire Bucky de soulagement.

Sam lui jette un regard un peu suffisant.

— « Mon pote, on danse comme ça quand on a dix-huit ans. Comment est-ce que tu aurais dansé à ton bal de promo ? Comme Gene Kelly ? »

— « Qui donc ? Celui qui fait des claquettes ? »

Le brun rit tendrement et embrasse sa mâchoire du bout des lèvres. Son meilleur ami roule des yeux d'un air vaguement exaspéré.

— « J'ai dansé une valse au bal de mon lycée », dit Maria d'un ton nonchalant.

— « C'est vrai ? »

- « Oui Sam, c'est vrai. » Elle hausse un sourcil malicieux. « Mon cavalier s'appelait Louis et il savait très bien danser. Nous ne nous sommes pas quittés de la soirée. »

Sam claque sa langue contre son palais.

— « C'est impressionnant ma douce mais je continue de penser qu'un adolescent est physiologiquement constitué pour se dandiner sur de la mauvaise musique pop », ricane-t-il.

— « Certains semblent ne pas trop mal s'en tirer », note distraitement Chris en observant l'écran. « Regardent ce couple en bleu sur la droite, c'est plutôt joli. »

— « Ils sont l'exception qui confirme la règle. »

Le blond hausse les épaules d'un air dubitatif tandis que Bucky acquiesce. Il est parfaitement d'accord pour attirer l'attention de ses amis sur d'autres danseurs. Tout plutôt que lui et Sarah qu'il voit toujours évolué péniblement à l'écran. Il était tellement… mauvais.

Sam les regarde l'un et l'autre avant de sourire légèrement à Chris. Bucky n'aime pas ce sourire.

— « Puisque tu sembles si sûr de toi, pourquoi tu ne me montrerais pas comment tu danses ? », le taquine le jeune homme.

— « Je n'ai pas dit que je ferais mieux », reconnaît le blond avec une belle abnégation.

Bucky est sincèrement admiratif et il frotte sa joue sur son épaule. Le sourire de Sam grandit encore.

— « Montre-nous », répète-t-il en le défiant du regard. « Tu sais que je suis un homme très obstiné Chris… »

Le jeune homme soupire doucement. Il se frotte un instant la nuque avant de se lever du canapé. Bucky regrette de perdre sa chaleur et son soutien mais il se fige quand Chris lui tend lentement une main. Le brun déglutit et secoue vigoureusement la tête.

— « … Je déteste quand Sam a raison mais je pense sincèrement qu'il vaut mieux pour toi que je ne me lève pas », marmotte-t-il avec gêne. « Invite Maria, elle sait danser la valse. »

— « Je ne sais pas valser et je veux t'inviter toi. C'est un bal de promo Bucky, on y va avec la personne qu'on aime », lui répond simplement le blond.

Bucky sent ses joues s'enflammer. Seigneur, c'est ridicule. Et touchant, et adorable et tellement, tellement amoureux.

Le jeune homme se hisse sans grâce hors du canapé avant de prendre la main de Chris. Sam monte le son de la télévision alors que le groupe d'étudiants de CSUP commence à chanter The Reason de Hoobastank. Il jette un regard noir à l'écran tandis que son compagnon les éloigne des canapés. Il le déteste.

Bucky a le corps raide et la tête rentrée entre ses épaules, ses pieds sont lourds. Chris le regarde gentiment alors il fait contre mauvaise fortune bon coeur. Soit. … Il préparera sa terrible vengeance contre son meilleur ami plus tard.

Le brun lève les bras pour les passer dans le dos de son compagnon mais Chris le retient. Il pose une main sur ses reins pour l'attirer plus près de lui, prend son autre main dans la sienne avant de la lever contre leurs torses. Bucky copie maladroitement ses gestes et il sait qu'il rougit jusqu'à la racine de ses cheveux. Bordel. Ce n'est pas du tout un slow de lycéens, ça n'arrive que dans les téléfilms. C'est beau, distingué et franchement, bien au-dessus de son niveau. Chris est fou.

Le blond commence à les faire lentement tourner dans le salon, très lentement pour que Bucky puisse trouver naturellement ses appuis. Il déglutit légèrement. Mince, c'est parfait. Et bien plus fluide que tout ce qu'il a déjà pu faire.

Le brun entend Sam ricaner non loin de lui mais il l'ignore. Bucky préfère se laisser conduire par Chris dont il sent le souffle dans ses cheveux.

— « J'aurais dansé comme ça avec toi », dit-il à son oreille.

— « … Je ne suis pas sûr qu'un lycéen aurait fait ça », le taquine le brun.

Chris rit doucement et son corps vibre contre le sien. Bucky se mord les joues.

— « Peut-être mais je suis sûr qu'on aurait passé la soirée à s'embrasser dans un coin sombre du gymnase en parlant de l'université. » Le blond s'éloigne légèrement de lui pour le regarde. « Bucky, tu veux bien sortir avec moi ? »

Son compagnon papillonne légèrement des yeux, son ton est un peu énamouré. Le brun éclate de rire et hoche la tête. Chris l'embrasse puis le reprend contre lui pour continuer à danser. Le slow est fini, à présent le groupe de musique se déchaîne sur un vieux tube de U2 mais peu importe. Ils dansent toujours.

— « Les mecs ? Par ici », les interpelle Sam.

Bucky sait ce qui les attend mais il obtempère. Son meilleur ami brandit son portable devant lui pour les prendre en photos. Le brun est certain qu'il y a aussi une ou deux vidéos. Au moins, elles seront un peu moins humiliantes que celle de ce vieux CD.

— « Chris, personne ne danse comme ça à dix-huit ans… », soupire Sam.

— « C'est ce que je viens de lui dire. Mais il vient de me demander de sortir avec lui et on va probablement prendre un appartement ensemble à la fac alors ne te moque pas », renchérit le brun avec malice.

— « Et vous allez perdre votre virginité à l'arrière de sa voiture ou de la tienne ? »

Son meilleur ami ricane d'aise tandis que Bucky le fusille du regard. À côté de lui, Chris a la nuque un peu rose. Sam pose son portable sur la table basse et se lève pour éteindre le lecteur vidéo. Bucky roule des yeux quand il le voit ranger le CD avec un luxe de précaution ridicule.

— « Je suis au moins rassuré de voir qu'avec Chris tu peux mettre un pied devant l'autre sans danger. Finalement, tu sais danser Buck'. C'était très mignon, très old school… »

— « Faire le moonwalk est devenu assez banal tu sais. Michael Jackson est mort depuis plus de quinze ans », siffle le brun d'un ton pince-sans-rire.

— « Les légendes ne meurent jamais et attends de voir notre ouverture de bal. Je vais danser la valse avec Maria », lui répond Sam du tac-au-tac.

— « Il y a encore un peu de travail mon chat mais tu devrais parvenir à te débrouiller. »

Bucky ricane. Il se rassoit sur le canapé, Chris à côté de lui, et désigne le portable de son ami d'un signe de tête.

— « Est-ce que tu voudras bien partager les photos de la soirée ? J'en mettrai une sur le frigo », lui demande-t-il en papillonnant des yeux.

— « … On pourrait aussi en mettre une dans un album », suggère doucement Chris en le regardant. « Le tien est presque complet, je me disais qu'on pourrait en acheter un nouveau au WinCo et le remplir ensemble. Avec des annotations pour ne pas oublier. »

Bucky sourit tendrement et il se penche pour l'embrasser.

— « Tu y penses depuis longtemps, n'est-ce pas ? »

— « … Peut-être. »

Le blond hausse légèrement les épaules mais Bucky le connaît, il sait lire entre les lignes. Cette idée est sans doute un peu sentimentale mais aussi touchante. Et un peu effrayée à l'idée de sa mémoire défaillante. Il presse son genou.

— « Tu vas devoir trouver le plus bel album de tout le magasin, je ne veux pas que ce qu'on mettra dans la bibliothèque du salon soit laid », le taquine-t-il gentiment.

— « On le rangera avec le tien. »

— « On peut aussi le laisser sorti », lui rétorque Bucky du tac-au-tac.

Chris lève les yeux au plafond en riant mais le brun sent dans son corps combien cette perspective le ravit. Il va trouver le plus beau album photo du monde pour lui. Pour conserver les choses importantes.

Sam ricane.

— « Si tu veux des photos récentes de Buck', viens me rendre discrètement visite un jour. Les clichés sur lesquels il est le plus à son avantage sont toujours volés, il fait cette grimace étrange qui est censée être un sourire quand il sait qu'on le prend en photo », se moque-t-il.

— « Bucky en a de très réussis dans son album », proteste Chris.

— « C'est parce que sa mère était particulièrement douée pour ça. Elle était la meilleure paparazzi de cette partie des États-Unis. »

Le brun dodeline un peu de la tête. C'est parfaitement vrai et s'il protestait toujours vigoureusement à l'idée de s'être encore fait tirer le portrait sans le vouloir, il bénit l'habilité de Winnifred Barnes qui lui a fait un très beau album de souvenirs. Bucky a pu les partager avec Chris et ça avait été une soirée vraiment agréable.

Soudain, le jeune homme a à nouveau un peu faim. C'est sans doute l'émotion. Il se resserre une part de gâteau sous le regard satisfait de Maria et se montre très généreux envers son compagnon qui lui tend aussi son assiette.

C'est vraiment une belle soirée.

Sam se laisse tomber non loin de lui dans un fauteuil, le brun cogne doucement son genou contre le sien.

— « Joyeux anniversaire Sam. »

Son ami a la bouche pleine de crème au beurre à la vanille, il lui répond d'un grommellement un peu indistinct.

À la nuit tombée, les deux couples se séparent enfin. Sur le pas de la porte, Sam l'attire dans une vigoureuse étreinte.

— « Fais-moi le plaisir d'aller acheter cet album dans la papeterie sur E Street. »

— « La propriétaire vend ses enveloppes à quinze dollars l'unité », proteste le brun.

- « C'est parce qu'elles sont faites mains en Italie. Achète quelque chose de vraiment beau plutôt qu'un truc au WinCo. Tu as conscience que Chris veut faire un album sur votre vie ensemble. Votre roman sentimental mérite mieux », le taquine son ami.

Bucky lui pince les côtes et Sam se tortille légèrement contre lui en gloussant.

— « Alors trouve les plus belles photos de moi dans tes archives », le défie le brun en s'éloignant de lui.

— « Ce ne sera pas difficile, je reconnais que tu es un homme relativement agréable à regarder. »

Les deux amis chahutent encore un peu sous le regard circonspect de Maria. La jeune femme les attend avec Chris à côté de la Mercedes, leur moitié de gâteau déjà soigneusement rangé dans le coffre avec d'autres restes de leur buffet dînatoire. Le blond sourit et se glisse derrière le volant. Sam soupire d'un ton vraiment obscène en observant la carrosserie noire à la ligne presque sensuelle. Bucky s'installe à son tour sur le siège passager et lui sourit d'un air particulièrement narquois.

Un dernier signe et le couple s'éloigne dans la rue. Arrêté au feu rouge au croisement de 14th Street et West Avenue, Bucky est complètement distrait par la vue de Chris au volant, éclairé par les lampadaires urbains. Il est beau, sexy en diable dès qu'il est au volant de la Mercedes et Bucky pourrait en avoir honte tant c'est cliché.

Le brun se mord les joues. Il repense à Sam et à cette histoire stupide de virginité et de voiture.

Tandis qu'il se perd dans la contemplation de son profil, des nuances de miel dans la fine barbe sur ses joues et du modelé parfait de ses lèvres, Bucky réalise que, oui, c'est avec cet homme à son bras – ou lui au sien – qu'il se présentera au mariage de son meilleur ami. Que tout ça est vraiment sérieux parce que l'idée qu'il aurait pu y aller avec Camden ne lui fait pas plus plaisir que cela. S'y rendre avec Chris, ça rend ses mains un peu moites d'anxiété à propos du costume qu'il devrait porter pour être le plus à son avantage. Pour Sam et pour lui.

Le brun lève une main et la pose dans la nuque de son compagnon avant de la caresser doucement de son pouce.

Chris lui jette un regard en coin.

— « Est-ce que tu vas bien ? »

Bucky acquiesce lentement. Il va mieux que bien. Ça va bien avec une forme… d'absolu. L'album photo, le mariage, la danse. La virginité, même s'il a déjà fait l'amour avec des hommes avant Chris.

Ça et tout le reste. Il est juste profondément… heureux.

Son ventre se tord légèrement.

Il effleure les petits cheveux sur sa nuque et se hisse légèrement pour embrasser la bouche de son compagnon. C'est… chaud. Brûlant. Peu importe que le feu repasse au vert et qu'ils bloquent la circulation, Bucky l'embrasse comme si c'était la première et la dernière fois en même temps.

Chris inspire brusquement contre lui et enroule ses doigts autour de son poignet pour le serrer fort. Il sent qu'il pivote légèrement sur son siège pour lui faire face et le dévorer aussi plus à son aise.

Peut-être que Bucky gémit un peu de frustration.

Ou peut-être qu'il grogne.

Album photo, mariage, danse, virginité.

Il a envie de peau nue, de peau moite, de peau incandescente. Il a envie d'amour avec Chris et de tout le reste.

Bucky s'appuie d'une main sur la cuisse de son compagnon pour se soutenir et s'approcher de lui. Il sent les muscles tendus, les muscles qui vibrent sous sa paume.

Derrière eux, un conducteur impatient finit par les dépasser et les klaxonne vigoureusement.

Les deux hommes s'éloignent. L'air dans la Mercedes semble redescendre de quelques degrés même si Chris a les cheveux légèrement dérangés, les lèvres rouges.

Il cligne des yeux et Bucky le recoiffe du bout des doigts en souriant tendrement.

— « Je suis juste vraiment heureux », dit-il simplement.

Chris déglutit légèrement.

— « À cause de notre album photo ou du mariage ? … Du gâteau acheté par Sam peut-être ? »

— « Un peu tout ça à la fois », rit Bucky. « Rentrons chez nous. »

Plus tard, au moment du coucher, ils s'embrassent encore en bas des escaliers, plus longuement que jamais.

La séparation pour la nuit tord quelque chose dans le ventre du brun tandis qu'il monte les marches jusqu'à sa chambre. À la manière dont Chris serrait sa hanche un peu plus tôt, ses doigts s'égarant sur la peau nue de ses reins, il sait qu'il n'est pas le seul à ressentir ça. Il n'a jamais eu plus envie de faire chambre commune qu'à cet instant. Même si sauter le pas parce que Sam a associé les mots sexe et voiture dans la même phrase n'est pas une raison suffisante, ça court quand même sous leur peau.