CHAPITRE 5

« Une excellente manière de te défendre d'eux, c'est d'éviter de leur ressembler. »

Marc-Aurèle

Les paroles de Drago avaient bourdonné un moment à ses oreilles. Elles se répétèrent ensuite longtemps dans son esprit. Elles se bousculaient et rebondissaient contre son crâne. Une cacophonie assommante qui ne lui laissait que cette écrasante impression d'être penchée au-dessus du vide. Un profond néant de chagrin.

Le Serpentard l'avait remuée. Il l'avait saisie par les épaules et l'avait affligée de son regard de pierre. Deux orbes gris qu'il avait ancrés dans les siens. Et il lui avait offert ce que personne ne lui avait accordé. Le choix.

« Tu rejoins la tour de Gryffondor, tu trouves son lit vide et tu constates de tes propres yeux qu'elle n'est plus là. Ou tu décides que cette vie t'appartient, que tu as le monde à tes pieds et tu arraches la page plutôt que de la tourner. Tu as le choix, Granger. Soit, tu sombres dans un puits sans fond de souffrance, soit, tu réduis la souffrance en poussière. »

La jeune femme s'était mordu la joue au sang. Elle avait fait rouler les jointures de ses doigts. Il était doué pour la bousculer. Depuis toujours, à bien y penser. Alors, elle avait choisi : elle avait refermé la porte et arraché la page.

Hermione avait passé une grande partie de la nuit à pleurer et ce n'est qu'aux dernières heures du crépuscule qu'elle sombra dans le sommeil.

Au réveil, les paupières encore gonflées de larmes, elle ne gardait aucun souvenir des mauvais rêves qui avaient troublé son repos.

Elle voulait passer le reste de la journée sous la couette. Roulée en boule sous l'épaisse couverture pourpre. Ultime rempart contre ce monde qui continuait de tourner sans elle.

En voyant l'aube poindre derrière les volets clos, elle enfonça la tête dans l'oreiller de plumes et espéra que la sensation de faim qui lui tordait l'estomac se dissipe.

Mais le creux dans son ventre ne la quittait pas. Il enflait en elle à mesure que les minutes s'allongeaient. Contre son gré, elle imagina un copieux petit-déjeuner. L'odeur sucrée d'une tranche de brioche tapissée de miel d'été. La fraîcheur acidulée d'une pomme verte et luisante. Les effluves chaudes et puissantes d'une tasse de café brûlant.

Cette dernière pensée la tira finalement du lit. Elle quitta sa chambre après s'être habillée dans l'idée de rejoindre la Grande Salle pour s'offrir un repas solide.

Elle ne fût pas surprise de trouver le Serpentard à l'étage inférieur. Installé sur la coursive qui longeait la fenêtre, il sirotait un thé noir. Avisant le regard qu'il lui adressa, il l'attendait.

- Je vois que tu as reçu mon message, confia-t-il en soufflant sur sa tasse fumante.

Hermione le dévisagea. Sur le moment, elle ne comprit pas. Il lui fallut rassembler ses idées, leur donner contenance, avant de saisir où Drago voulait en venir.

Un frisson de terreur courut le long de son dos lorsqu'elle déchiffra ses paroles tandis que le jeune homme lui lançait une pomme, ronde et brillante, qu'elle attrapa au vol.

Cette irrépressible envie de petit-déjeuner. Les saveurs qu'elle avait presque pu sentir sur sa langue. C'était lui.

- Je t'interdis d'entrer dans ma tête, grinça la jeune femme entre ses dents.

Malefoy esquissa un sourire et, d'un signe du menton, lui indiqua le plateau en argent qui reposait sur la table basse. Le miel, le café, la généreuse tranche de pain brioché.

Elle n'appréciait déjà pas l'idée qu'il puisse se balader dans ses pensées, elle l'aimait encore moins maintenant qu'il lui imposait ses goûts en matière de repas.

- Il y a vraiment quelque chose qui ne tourne pas rond chez toi…

Mais la faim la tiraillait et elle finit par croquer dans la pomme juteuse. Elle essuya ses lèvres du revers de la main et savoura la texture charnue du fruit.

Il existait un conte moldu dans lequel une jeune femme se retrouvait plongée dans un profond sommeil après croqué dans une pomme tout à fait similaire à celle-ci.

Hermione se demanda si le blond pouvait avoir envie de l'empoisonner, elle aussi.

Il y avait eu tant de ressentiment, d'aversion proche de la haine, durant tant d'années. Dans d'autres circonstances, si les choses avaient été différentes, elle aurait pu le penser sans l'ombre d'un doute.

Mais ils étaient là désormais. Côte à côte sur le chemin sinueux de l'infortune.

- Je t'avais prévenu Granger, reprit le jeune homme en la regardant avaler une gorgée de son café. Le moment est venu de t'enseigner ce que je sais.

La préfète laissa la caféine se diffuser dans ses veines et elle apprécia d'en être fortifiée. C'était un café fort en bouche, à la fois amer et teinté d'une note subtile de fruits rouge.

Elle se sentait tiraillée. L'impatience. L'appréhension.

L'Occlumancie était une discipline très stricte qui faisait appel à beaucoup de rigueur et de concentration. Une branche de la magie qui mettait à l'épreuve le corps et l'esprit.

Elle le savait pour avoir souvent vu Harry épuisé, physiquement et mentalement, après une séance avec Rogue.

- Ne réfléchis pas, lança Drago en percevant son malaise évident. Garde ton sang-froid.

- Parce ce que tu sais ce que c'est de garder son sang-froid, toi, répondit-elle sombrement en abandonnant le reste de sa part de brioche sur le plateau en argent.

Il ignora sa remarque et s'approcha de la cheminée. Quelques mots murmurés dans un souffle et les braises s'enflammèrent. Il contempla un instant les flammes bleues qui dansaient dans l'âtre avant de se retourner vers la jeune femme.

- Je n'ai pas l'intention de te rendre la tâche facile, commença-t-il d'un ton qui n'appelait aucune contestation. Domine tes pensées, ferme les portes, Granger. Toutes les portes.

Elle inclina imperceptiblement la tête. Son regard accrocha celui du blond. Le masque était revenu. C'était un don rare. Revêtir l'impassibilité. La faculté de se défaire de toute émotion. N'être plus que froideur et détachement.

- Legillimens.

Et soudain, le chaos. Inextricable tumulte d'images, de couleurs et de sons. Des flashs bruts. Des pensées. Des souvenirs. L'histoire de sa vie qui se déroulait. Et l'insupportable douleur qui écrasait ses tempes.

Les rayons d'une bibliothèque débordants de livres cornés. Une plage de sable blanc où s'écrasaient des vagues turquoise. Le dédale infernal des rues de Paris. Un magasin de baguettes. Un ciel d'ocre qui se couchait derrière les montagnes. Les couloirs du château à la lueur des chandelles. Un gigantesque échiquier baigné dans les ténèbres.

- Ferme les portes Granger…

La jeune femme distingua l'écho de sa voix, étouffé derrière le mur de ses souvenirs qui continuaient de défiler sous ses paupières.

La cour d'une école et des enfants qui riaient sous la pluie. Une lettre cachetée du sceau de Poudlard. Harry Potter qui la serrait entre ses bras. Le goût des framboises mûries au soleil. Les profondeurs terrifiantes du lac noir. La ronde étourdissante d'une valse le soir du bal de Noël.

- Ferme les portes ! tonna Drago en arrière-plan.

Une maison à la campagne entourée de cyprès. Le frottement d'une plume sur un parchemin. Des grands yeux jaunes et brûlants dans le reflet d'un miroir. Une photo de famille sur une étagère. Le terrain de Quidditch balayé par le vent. Un manoir baigné dans les ténèbres…

Le jeune homme y arrivait. Il grattait lentement la surface. Il traversait sa mémoire à la recherche de la faille dans laquelle il pourrait s'engouffrer.

Il l'observait se tordre de douleur, serrer les poings à s'en rompre les doigts. Elle luttait. Elle essayait.

Mais pas assez.

Quelque part, au fond de sa conscience, il trouva.

La vieille bâtisse s'élevait au milieu de la nuit. Il faisait sombre. Il faisait lourd. Il régnait une atmosphère humide et poisseuse. Le couloir de l'entrée menait à un salon exigu, dénué de meuble et dénué d'âme. La poussière s'amoncelait sur le sol. Le plancher craquait à rythme régulier.

Elle ouvrait les yeux. Elle quittait un cauchemar pour en accueillir un nouveau. L'effroi la rendait aveugle et sourde à tout le reste. Elle ne pouvait que se noyer dans la terreur qui s'emparait d'elle. Des yeux de serpent qui la contemplaient. Une silhouette émaciée, desséchée. Une main décharnée que l'on posait sur son épaule. Des paroles que l'on murmurait au creux de son oreille. Lord Voldemort.

- Arrête Malefoy ! hurla Hermione en se relevant.

Violent retour à la réalité.

Le Serpentard brisa le lien. Il la laissa écraser ses tempes entre ses mains et réprimer sa nausée apparente.

Hermione était au bord du malaise. Son cœur battait à tout rompre dans sa poitrine, la sueur avait perlé à la racine de ses cheveux bruns et son avant-bras lui donnait l'impression de s'être embrasé.

Elle s'était attendue à de la difficulté. Elle se désolait de réaliser qu'elle était encore bien loin du compte. C'était un calvaire.

- Sais-tu pourquoi nous faisons ça ? demanda le jeune homme après une poignée de secondes.

Il s'approcha doucement et reprit d'une voix égale sans attendre la réponse. Ce n'était pas une question.

- Si je peux entrer, d'autres le pourront aussi.

- N'oublie pas de me rappeler quel danger je représente pour nous tous, surtout, railla la jeune femme les mains sur les genoux.

- C'est le cas.

Timbre sec, regard noir. Nulle trace de sarcasme. Rien qu'une vérité froide qu'il lui laissa le temps d'avaler. Une lutte intérieure dont elle devait prendre conscience : il n'était pas aisé d'être la plus puissante sorcière de leur temps et de devoir faire preuve de modestie.

- As-tu seulement conscience de ce qui se passerait s'ils avaient l'idée de venir fouiller dans ta tête ?

Hermione osa un regard en sa direction. Elle peinait à retrouver son souffle et la motivation nécessaire pour recommencer cet entraînement.

Indifférent à ses yeux qui appelaient le répit, il croisa les jambes au niveau des chevilles et attendit.

- Ils me feraient subir le même sort que celui qu'ils ont réservé à mes parents.

- Non, ils te feraient bien pire… commença-t-il. Ils te tortureront d'abord.

Le sang de la jeune femme se glaça dans ses veines. L'évidence sonna comme le glas à ses oreilles. Il avait terriblement raison. Comme souvent. Et cette pensée la terrifia. Elle tenta de réprimer la boule d'angoisse qui montait dans sa gorge.

- Encore, décocha le blond lorsqu'elle fut rassise sur le sofa, une main sur l'estomac.

« Legilimens » entendit-elle.

Nouveau désordre de souvenirs en pagaille contre lequel la jeune femme tentait irrémédiablement de lutter. Elle faisait appel à toute la volonté qu'elle possédait. Les mâchoires crispées et ses doigts fins qui s'enfonçaient dans le fauteuil en cuir brun foncé.

Féroce combat entre son esprit et celui de Malefoy.

Le cri sonore d'un loup qui s'élevait entres les arbres de la Forêt Interdite. Un avion qui prenait son envol. Les couloirs du Ministère de la Magie. Un tout premier baiser et des joues qui s'empourpraient. La neige qui tombait en silence sur la lande. Le Seigneur des Ténèbres. L'histoire qu'il lui murmurait dans l'ombre du vieux manoir. La fièvre de l'angoisse qui montait en elle. « Pas une née-moldue ». La sombre marque dessinée sur son bras.

- Sors de ma tête !

La voix de la préfète chevrotait, implorait. Elle pouvait essayer de rivaliser mais elle ne contrôlait pas suffisamment ses pensées pour les lui cacher.

Drago annula le sortilège, une seconde avant le point de rupture. Il venait de trouver ce qu'il cherchait dans les méandres de ses souvenirs. Et il savait. Il savait que d'autres trouveraient si lui en était capable. Il maîtrisait la légilimancie mais, humblement, il reconnaissait ne pas être le meilleur.

- Je n'ai eu qu'à pousser la porte, dit-il sèchement. La prochaine fois, déroule-moi le tapis rouge et gagnons du temps.

- La ferme, Malefoy.

Un sourire étira les lèvres du Serpentard. Si elle était épuisée, déroutée face à ses difficultés, elle conservait cette hargne caractéristique. C'était une lionne, elle était féroce et sauvage. Peut-être était-ce la raison pour laquelle elle avait tant de mal à compartimenter ses pensées.

Il laissa passer un instant avant de s'approcher. Il repoussa le plateau d'argent sur la table basse et s'y assit pour mieux la regarder avant de se laisser aller à la réflexion.

- Tu n'as pas forcément besoin de cacher tes souvenirs. Il te suffit seulement de les dissimuler.

- Mais oui, c'est si simple ! rétorqua Hermione en accrochant ses prunelles iris.

- Non tu ne comprends pas… Prends tes souvenirs et manipule-les Granger. Fais-en ce que tu veux qu'ils soient et ni moi ni personne ne pourra jamais y accéder. Imagine tout ce qu'ils pourraient te faire et adapte-toi pour que ça n'arrive pas.

Hermione garda le silence. Malefoy était effrayant de discernement. Elle se demanda, ses yeux plongés dans les siens, d'où lui venait cette intelligence peu commune. Il était doué d'un esprit vif, il comprenait le monde qui l'entourait et maniait les informations qu'il en recevait avec un rare entendement.

Et cela la rassurait.

La place qu'il commençait à prendre à ses côtés la rassurait, autant qu'elle la terrifiait.

- Nous réessayerons, souffla-t-il dans un soupir.

Elle le gratifia d'un sourire après avoir hésité à le remercier. Mais pouvait-on décemment remercier quelqu'un pour ça ? Faire son devoir était la base de la moralité. Et peu importait qui était Drago Malefoy, peu importait qui elle était et qui elle n'était pas. Peu importait le camp dans lequel ils se trouvaient.

Hermione le regarda se redresser et dans un regard entendu, il s'éloigna.

Dans son dos, elle entendit le tintement reconnaissable du tableau qui se refermait.

Des jours plus tard, les talons de ses chaussures claquaient sur la pierre. Le nez plongé dans le dernier ouvrage publié par Jonas Brown, peu de temps avant son décès, la jeune femme laissait ses pas la guider.

Elle ignorait les embardées des escaliers mouvants, une main posée sur la rambarde et dans l'autre l'Encyclopédie des plantes magiques infectieuses.

Jonas Brown avait été l'un des plus célèbres médicomage de son époque. Il avait fait ses débuts à Ste Mangouste au service des empoisonnements par potions et plantes dont il était finalement devenu Guérisseur-en-chef.

L'ouvrage traitait des multiples végétaux auxquels Brown avait découvert de surprenantes et efficaces propriétés curatives. Hermione le trouvait fascinant.

Elle dépassa l'infirmerie et descendit les marches de la tour de l'Horloge sans quitter le livre des yeux. Elle n'en n'avait nul besoin. Elle connaissait chaque embranchement de couloirs du château, pour les avoir empruntés un nombre de fois qu'elle ne pouvait plus compter.

La brune jeta un regard vers le château qui se dressait derrière elle. Ce monstre démesuré qui s'élevait vers le ciel. Cette ombre gigantesque qui incarnait la grandeur et, sûrement, l'élévation morale et intellectuelle. On trouvait des allégories partout à Poudlard, si l'on prêtait attention aux détails.

La tour de l'Horloge débouchait sur une cour rectangulaire. La nuit qui tombait sur la fontaine au centre de la cour donnait au lieu un air de cimetière fantomatique qu'elle avait toujours apprécié. Cet endroit était particulier et empreint de beauté. Tout y était parfait.

Elle se remémora l'émerveillement qu'elle avait ressentit la première fois que son regard s'était posé sur cette cour, sur cette gigantesque horloge au-dessus d'elle et qui semblait lui dire « On ne se sait jamais combien de temps l'on a ».

Hermione referma le livre et le calla sous son bras avant d'inspirer profondément. Ses poumons gonflaient, s'emplissaient de l'air sec et froid du crépuscule. La fraicheur lui fit du bien.

Elle éprouvait le besoin de fuir ses appartements, de renouer avec l'extérieur et la nature.

La première leçon d'occlumancie lui avait laissé un goût amer. Celui de l'échec cuisant. Et elle en était sortie épuisée, vidée de toute volonté.

Depuis, elle évitait désespérément la salle commune. Elle redoutait que Malefoy ne la soumette de nouveau à ce petit exercice qui la frustrait passablement.

La fuite en avant. Ironique pour une Gryffondor.

Quelque part, le hululement d'une chouette déchira le silence. La brune leva les yeux vers les tours du château qui décalquaient leurs silhouettes angoissantes sur les toits en tuile et reprit son chemin.

Elle traversa la cour à grandes foulées et, inconsciemment, elle rejoignit le parc.

Les brins de l'herbe humide chatouillaient ses chevilles à travers son épais collant opaque.

La rive orientale était belle. L'herbe verdoyante se mêlait aux galets de granit gris et finalement, venait se perdre dans le lac. Plus loin, les premiers arbres dissimulant les créatures qui vivaient dans le ventre noir de la forêt interdite. Et cet impénétrable lagon qui s'étendait à perte de vue dans la nuit tombante.

La jeune femme prit un instant pour contempler ce spectacle ensorcelant avant de se laisser aller sur l'herbe fraîche.

C'était un moment parfait et reposant.

- Madame la préfète.

La voix qui s'éleva dans la pénombre brisa cet instant de grâce qui semblait suspendu dans le temps.

Hermione ne le releva pas la tête. Elle souhaitait le calme et le silence. Si elle restait muette assez longtemps, peut-être qu'on la laisserait tranquille. Peut-être même que l'intrus s'en irait.

Elle remonta ses genoux contre sa poitrine et reposa la tête sur ses bras joints.

- Je ne voulais imposer ma présence, reprit la voix. Ni aujourd'hui, ni l'autre fois, d'ailleurs.

- C'est bon. Tu peux partir maintenant, assura la jeune femme d'un ton neutre.

Dans son dos, elle l'entendit rire doucement mais aucune réplique cinglante ne fusa. Si elle fut troublée, elle ne le montra pas.

- Qu'est-ce que tu veux Jared ? demanda-t-elle finalement en tournant les yeux vers le grand brun.

- Pourquoi voudrais-je quelque chose ?

- Tout le monde veut quelque chose…

Hermione marqua une courte pause avant de reprendre dans un murmure, déviant le regard vers la surface du lac.

- Et quand on l'obtient, on veut autre chose.

- Je ne crois pas qu'on puisse être aussi absolu.

Elle décela un sourire dans le ton de sa voix et nota le crissement aigu de l'herbe écrasée entre les pierres.

Sans un mot, le Serpentard la rejoignit sur le sol froid et caillouteux. Il était grand et avait des épaules larges pour un garçon de son âge. La brune s'étonna de la souplesse avec laquelle il prit place à ses côtés. Son pantalon couleur gris agate se confondait parmi les galets dans la faible lueur du déclin.

Il resserra un peu l'écharpe qui entourait son cou et passa une main dans ses cheveux bruns.

Le silence dura un instant. Un silence qui n'appelait aucun malaise.

Ils apprécièrent la vue qui s'offrait à eux.

- Je veux dire… Qu'est-ce que tu veux ? relança la préfète. Pourquoi es-tu là ?

Jared tourna vers elle son visage à demi éclairé par la lune qui se levait. Derrière les collines, elle esquissait son rayon blafard pour prendre possession du ciel dégagé.

- C'est très beau, ici, répondit-il simplement. J'espère que ma compagnie ne te dérange pas.

A bien y penser, la jeune femme ne savait trop quoi répondre.

Jared apparaissait parfois dans sa vie, à des moments où elle n'aspirait qu'à la solitude. D'une nonchalance déroutante, il lui soufflait quelque mots et disparaissait en laissant derrière lui un tissu de mystères qui s'épaississait.

D'autre fois, il se contentait de poser sur elle un regard brillant sans même ouvrir la bouche.

- Oui, c'est beau, lâcha Hermione en éludant volontairement la question. Mais qu'est-ce que tu cherches, vraiment ?

Elle espéra au fond d'elle que Jared ne finisse pas tout avouer. Qu'il lui dévoile la vérité comme on déballerait un cadeau de Noël. Avec un empressement non dissimulé.

Il lui sourit et reporta son attention sur la rive.

- J'aimerai croire que je peux percer l'énigme Hermione Granger.

Hermione serra les poings. Il se permettait de retourner ses arguments contre elle et cela l'agaçait.

Non, de toute évidence, il n'avait nullement l'intention de lui faire part de sa mission. Et la brune, quant à elle, n'avait aucune intention de se laisser berner par ce petit jeu.

Elle se souvenait des dernières paroles du Serpentard, lorsqu'il l'avait quittée dans la bibliothèque. Il était ironique de citer la confiance tandis qu'il se gardait de faire preuve d'honnêteté.

- Ne fais pas semblant d'ignorer ce que je suis, McClay. Tu le sais indéniablement.

De nouveau, il lui sourit. Un sourire fin qui étirait discrètement ses lèvres mais il ne sembla pas déconcerté.

Sa réputation la précédait suffisamment pour comprendre qu'elle était maligne et qu'il était inutile de tenter de lui mentir.

- On a tous besoin de savoir qu'on peut compter les uns sur les autres, n'est-ce pas ?

- Je n'ai pas besoin que tu veilles sur moi, répliqua la jeune femme en se renfrognant. Et Malefoy occupe déjà le rôle de baby-sitter.

Jared éclata d'un rire franc qui brisa le calme de la nuit.

- Il est évident que tu n'as besoin de personne avec une répartie pareille ! Je m'inquièterai davantage pour ceux qui croiseront ta route, souffla-t-il en se redressant avec la même agilité. Marchons un peu.

Il tendit une main vers elle après avoir épousseter son pantalon.

La préfète hésita longuement. Cette conversation ne menait nulle part. Elle se surprit pourtant à saisir le bras qu'il lui tendait. Il l'attira vers lui et lui laissa le temps de détendre ses membres engourdis.

Du menton, il l'encouragea à s'engager le long de la berge.

- Je sais qu'il ne peut pas s'empêcher de tout contrôler, reprit le brun en avançant d'un pas prudent sur les pierres. Drago ne se sent rassuré que lorsqu'il maitrise son terrain et ça peut le rendre insupportable. Tout petit déjà il pouvait rendre son elfe de maison et ses parents vraiment dingues.

Sa voix se perdit tandis qu'il baissa sensiblement les yeux vers le chemin. Il se laissa doucement happer par la réminiscence de souvenirs séculaires.

La préfète n'osa pas interrompre le cours de ses pensées. Elle continua d'avancer tranquillement au bord de la rive et savoura le clapotis du reflux de l'eau.

- Mais il a un sens du devoir assez exceptionnel et je crois que tu ne devrais pas le craindre autant.

- Je n'ai pas peur de lui, c'est clair ? répondit Hermione du tac-au-tac.

Cette fois, Jared ne lui sourit pas et se contenta de faire glisser vers elle un regard en coin indéchiffrable.

- Il est irritant, bien trop sûr de lui et pompeux. Mais je n'ai pas peur de lui en dépit de notre passif... houleux.

Hermione marqua une pause et sembla peser ses mots.

Leurs pas les rapprochaient incontestablement vers la forêt interdite et l'obscurité s'épaississait.

La jeune femme leva les yeux vers le château, là-haut dans le parc. En contre-plongée, la bâtisse disparaissait dans la pénombre et des dizaines de lanternes illuminaient les fenêtres. Parmi elles, elle distingua la salle commune des préfets en chef qui brillait dans le noir.

- Et lui, à l'inverse de toi, n'a pas refusé de me donner ce que je lui demandais, ajouta la brune en ralentissant le pas.

- Alors il est un bien meilleur homme que moi, dit le Serpentard dans un petit rire.

- Je ne crois pas que Malefoy soit un homme bien… Je crois seulement que, pour une raison que j'ignore, il m'est entièrement dévoué. Et il est entièrement dévoué à Sa cause…

- Comme nous tous. A notre manière.

Elle hocha doucement la tête. Oui, à leur terrible façon, ils étaient tous impliqués. Les motivations étaient certes différentes, les moyens employés l'étaient tout autant, mais les faits étaient là.

- Nous marchons tous sur cette toile, tissée de mensonges et de secrets. Drago est très fort à ce jeu parce qu'il baigne dedans depuis l'enfance. Il est né pour ça. Et toi aussi, Hermione Granger, tu es née pour ça, même si cette vérité ne t'atteint qu'aujourd'hui.

- Toi non, peut-être ?

- Moi j'ai eu la chance de pouvoir m'en éloigner. J'ai volontairement fermé les yeux sur tout ça pendant ces longues années à Salem… Mais le destin finit toujours par nous rattraper, n'est-ce pas ?

Le brun avait soufflé ces mots d'un air songeur qui n'échappa pas à la jeune femme.

Il s'était bercé d'illusions et avait grandi en pensant, bêtement, qu'il se tiendrait à l'écart de cette pente glissante pour le reste de sa vie. Alors la chute devait être brutale. Pour lui plus que pour les autres.

Elle ne tenta de refouler la pointe qui piqua son cœur.

- Tu devrais rentrée maintenant.

Le timbre de sa voix avait changé, ne laissait aucune place à la contestation. Elle était teintée de douceur mais sonnait comme un ordre. Hermione poussa un soupir lourd de frustration mais ne réfuta pas.

Ce moment avait été suffisamment apaisant pour qu'elle n'ait pas envie d'en entendre davantage.

Le Serpentard s'ouvrait peu à peu. La coquille se brisait, sa langue se déliait et pour l'instant, elle s'en satisfaisait. Elle s'étonna de remarquer que derrière ce visage à la mâchoire carrée se dissimulait une âme si douce.

Un jour, peut-être, il lui confierait tout le reste. Sans ambages. Par la force d'un respect et d'une confiance qui se construisaient lentement.

- Bonne nuit McClay.

- Bonne nuit, Hermione Granger.

Son nom avait une connotation différente sorti de sa bouche. Que cherchait-il à lui faire comprendre ? Devait-elle se sentir différente ?

C'est ainsi que l'on se créait une place dans la vie des gens. En les faisant se sentir spéciaux.

Dans un sourire, elle rejoignit le parc pour abandonner le jeune homme sur le bord de la rive.


Hello !

J'espère que vous avez bien aimé ce chapitre.

Alors alors, je suis curieuse ! Que pensez-vous de Jared ? Chelou ou pas chelou ce garçon ? Moi je l'adore, mais bon, je dois pas être très objective ahah. Personnellement, physiquement j'ai construis ce personnage en m'inspirant de Gaspard Ulliel ( ) dans ses jeunes années.

Bon et alors, concernant ce cher Drago, ca y est, il a enfin avoué à notre petite Hermione son "vrai" rôle dans cette histoire ! Vous avez bien aimé l'entraînement à l'Occlumancie ? Je le trouve super doué moi !

Aller, des bisous, à bientôt !