ADIEU MON FRÈRE


Seattle, Terminal City, appartement de Max et d'Alec, mercredi 16 février 2022, 19h25


ORIGINAL CINDY

Afin de remonter le moral de leur amie, Original Cindy et Kendra passaient la soirée avec Max. Même s'ils n'avaient pas rompu officiellement, elle ne parlait toujours pas à Logan. Maintenant qu'elles étaient au courant de l'existence de l'appartement de Terminal City, elles avaient demandé l'aide d'Alec pour organiser une soirée surprise entre filles, sans autre soucis que le choix de la couleur de vernis à ongle.

Max vivait presque exclusivement là, à présent. Alec, qui devait disparaître dès l'arrivée de la X5, leur avait servis des verres et ils buvaient tranquillement tous les trois en attendant Max. Cette dernière arriva à l'appartement épuisée et couverte de saletés.

_ Max, qu'est-ce qu'il t'est arrivé ? Demanda Alec en se précipitant pour la débarrasser de son sac de coursier.

_ Je faisais une livraison et un compacteur à ordure a explosé pas loin de moi, répondit-elle. Tu sors ? Demanda-t-elle à Alec en le voyant avec son blouson sur le dos.

_ Euh… commença Alec.

_ Surprise ! Fit Kendra.

_ Avec Kendra, on a décidé qu'il serait temps de faire une soirée fille dans cet appartement, compléta Original Cindy.

_ C'est pour ça que je suis sur le départ, dit Alec. Il n'y a pas moyen que je vous laisse m'épiler, me poser du vernis, me mettre des nœuds dans les cheveux ou je ne sais quoi d'autre…

_ Original Cindy est sûre que le rose t'irait très, dit-elle pendant que Kendra se tordait de rire.

_ Je vais prendre une douche, dit simplement Max avec lassitude. Je vais jeter ces fringues : je n'arriverai jamais à me débarrasser de l'odeur.

Elle prit un sac poubelle neuf et se dirigea vers la salle de bain.

_ Vous avez du boulot, les filles, pour lui remonter le moral, dit Alec, une fois que Max eut fermé la porte.

_ Au moins, elle est toujours accro aux douches, répondit Kendra. Elle ne sera pas contre des papouilles.

_ Il y a une baignoire ? Demanda Original Cindy.

_ Non. Elle continuera de venir au Secteur 5 pour ça, répondit Alec en transférant les affaires de Max dans un autre sac.

_ On pourra peut-être faire un truc pour les vêtements, dit Kendra. C'est dommage de les jeter.

_ Ça ne marchera pas, dit Alec.

_ Pourquoi ?

_ Elle a le nez trop fin. Elle sentira toujours l'odeur.

_ Mais…

_ Pourquoi croyez-vous qu'on est tous accros à l'hygiène ici ?

_ Manticore vous a inculqué la phobie des microbes ? Fit la jeune femme noire.

_ Perdu, répondit Alec. On a l'odorat super développé. On sent tout, plus fort et plus loin.

_ Euh… mais Seattle pue ! Dit Kendra.

_ Tout juste, dit le jeune homme. Ce n'est pas toujours drôle de vivre ici pour un transgénique.

o0o0oOo0o0o

Plusieurs minutes plus tard, Max sortit de la salle de bain, juste enveloppée d'une serviette.

_ Tu veux que je te serve un truc à boire ? Lui demanda Alec.

_ Non, c'est bon.

Max alla dans sa chambre.

_ Je vais lui servir une bière, dit Alec tout haut.

Max arriva en sous-vêtements dans la pièce, avec ses habits à la main. Alec lui tendit sa bière, en la regardant de haut en bas, puis de bas en haut, en faisant un arrêt non dissimulé sur sa poitrine. Max prit la bouteille et en bu une gorgée après l'avoir remercié. Alec sortit de l'appartement et Max commença à s'habiller devant ses amies, restées silencieuses en observant les deux transgéniques.

_ Quoi ? Demanda finalement Max.

_ Tu te balades souvent avec juste une serviette sur le dos devant lui ? Demanda Original Cindy.

_ Ou en sous-vêtements ? Ajouta Kendra.

Max haussa les épaules.

_ Il s'en moque. Vu le nombre de nanas avec qui il a dû s'envoyer en l'air, ce n'est pas moi qui vais l'impressionner.

_ Mais, quand-même…

_ Et, ce n'est pas la première fois qu'il me voit si peu vêtue. Et, je l'ai déjà vu sans rien sur le dos.

Les deux ordinaires se regardèrent et pensèrent la même chose : ces deux-là se comportaient comme un couple habitué à partager leur intimité.

_ Max… commença Kendra, ça fait quoi de vivre avec Alec ?

_ Rien, répondit Max. En fait, ça a même quelques avantages, ajouta-t-elle après quelques secondes de réflexion.

_ Comme quoi ? Demanda la jeune femme noire.

_ C'est une fée du logis : il ne supporte pas le bazar ou la saleté. Il fait le ménage, la vaisselle… Il est plus maniaque qu'une ménagère au foyer.

_ Tu dis qu'il ne te mâte pas… Commença Kendra en jetant un coup d'œil à sa voisine.

_ Il ne me mâte pas, confirma Max alors que Cindy levait les yeux au ciel.

_ Il fait le ménage, tu te confies à lui… continua Kendra.

_ C'est comme de vivre avec un coloc gay ? Demanda Original Cindy.

_ C'est ça ! Dit Max.

La jeune femme noire dévisagea son amie. Comparer Alec à un gay… Max était super intelligente et tout mais, des fois, son côté ingénu relevait de la bêtise…

_ Et encore, reprit Max, tu ne sais pas à quel point il est doué pour me faire des coiffures. Tu as de la concurrence dans ce domaine.

Définitivement, ces deux-là étaient un couple. Un couple de quoi ? Ça, c'était la question.


Seattle, appartement de Lydecker, vendredi 18 février 2022, 18h37


MAX

Après son passage dans l'appartement, le jour de la Saint-Valentin, Logan avait déposé un dossier sur les fratries. Tout le monde à Terminal City n'y était pas recensé, mais la majorité des transgéniques des séries X avait été étudiée.

Assis sur le canapé, côte à côte, Max et Alec voulaient faire le point avec Lydecker avant d'en parler au comité le lendemain matin. Pour les X5 et X6 non répertoriés, le colonel suggéra une analyse génétique avec une comparaison systématique avec les autres pensionnaires de la ville. Les données devraient être stockées sur un disque dur non connecté au réseau internet pour plus de sécurité. Tout irait à l'infirmerie, dans une zone sécurisée, ainsi que les données papiers ou informatiques récupérées de Manticore.

Aucun des couples de X5 n'était une fratrie. Il s'était avéré que certaines fratries, comme Gem et Dalton, s'étaient spontanément reformées. Lydecker et Logan avaient également noté la liste de tous les clones, comme Sam, aka X5-453, qu'ils soient vivants, morts ou juste disparus.

Max n'avait eu que deux clones : Sam et la X7 décédée de la Progéria, et un seul frère : Krit, qui, lui, avait eu un clone élevé dans la base de l'Arizona. Le cas d'Alec les avait interrogés tous les deux : zéro clone et un frère : X5-493.

_ Tous les X5 ont, au moins, eu un clone dans la leur vie, dit Lydecker. Mais, il y a eu des exceptions. L'implantation du X5-495 n'a pas abouti. Il n'est jamais né. Ben et Alec n'étaient pas des clones.

_ Que voulez-vous dire ? Demanda Alec.

_ Dans moins de 1 % des cas, l'embryon s'est spontanément scindé en deux après l'implantation dans l'utérus. Pour donner des vrais jumeaux, monozygotes et monos placentaires. On ne sait pas si c'est un phénomène naturel ou si ça vient de la thérapie génique. Toujours est-il que Ben et toi étiez de vrais jumeaux.

Max observa Alec du coin de l'œil. Comme pour sa mère, qui l'avait aimée et qui avait essayé de s'enfuir de Manticore, d'un côté, ça ne changeait rien, mais, en même temps, ça changeait tout. Elle voyait Alec qui essayait de faire le point sur ses sentiments. Il avait toujours considéré Ben comme un clone raté, qui lui avait pourri la vie. Mais un frère, un vrai, changeait beaucoup de choses.

Lydecker n'était pas non plus visiblement à l'aise. Max lui jeta un regard noir pour lui dire de vider son sac une fois pour toute. Il comprit. Alors, il recommença à parler.

_ Vous avez grandi ensemble, dans le ventre de la même mère. On a réussi à récupérer une partie de la vidéo de la naissance…

Alec leva les yeux vers le militaire.

_ Je l'ai sur mon ordinateur, ajouta-t-il simplement.

Max se tourna vers Alec. C'était à lui de décider s'il voulait voir ça, sachant que Lydecker et Logan avaient déjà eu cet aperçu de sa vie privée que lui-même ignorait.

_ Montrez-moi, dit froidement Alec.

La vidéo, en date du premier mars 1999, montra que l'accouchement par voie naturelle ne se faisait pas bien. La mère, dont le visage était caché par un drap chirurgical, et les enfants étaient en danger. Une césarienne fut pratiquée. Les deux jumeaux furent sortis en même temps du ventre. Les deux bébés se tenaient fermement dans les bras l'un de l'autre. Ils étaient si silencieux que le médecin crut qu'ils étaient morts. Il ordonna à une infirmière de les séparés. Elle hésita : dès qu'elle les avait touchés, les deux petits s'étaient serrés plus forts. L'infirmière fut contrainte de sortir sous les cris énervés du médecin. Une autre infirmière, avec moins de scrupules, sépara les enfants. Tous X5 qu'ils étaient, ils n'étaient que des bébés, ils ne pouvaient pas lutter. Les deux enfants hurlèrent d'avoir été séparés. Ils tendaient leurs petits bras l'un vers l'autre. Ils venaient de passer neuf mois, toute leur vie, enlacés et la séparation était une chose qu'ils ne connaissaient pas. Max eut envie de pleurer en les voyant se chercher désespérément.

Le plus gros des deux, avec les plus grandes chances de survie, pourtant petit par rapport à un fœtus seul, avec ses deux kilos et huit cents grammes, devint le X5-493. Le plus petit, avec à peine deux kilos, devint le X5-494. Le X5-494 n'avait pas une longue espérance de vie selon le médecin. Il devait servir de banque d'organe et de sang, de cobaye ou être simplement disséqué pour étude. Instinctivement, Max se rapprocha d'Alec et lui serra la main. Il aurait très bien pu ne pas être là aujourd'hui. Ce constat était effrayant de plus d'une façon.

Très faible à naissance, le X5-494 eut un traitement génique supplémentaire et reprit des forces. Pendant ce temps, le X5-493 se laissait mourir. Aucun des deux jumeaux ne se nourrissait spontanément. L'infirmière Carriger, celle qui avait été sortie du bloc opératoire à la naissance, eut l'idée de les remettre en contact. Une fois réunis, les jumeaux acceptèrent de manger à condition d'être collés l'un à l'autre.

À chaque tentative de séparation, ils se laissaient dépérir. Pour étude et pour éviter de les perdre tous les deux, et donc de perdre de l'argent, les éducateurs décidèrent de les élever comme un seul être. Ils faisaient tout ensemble. Ils dormaient même dans un seul lit. Toujours près l'un de l'autre, toujours enlacés. Leurs réactions étaient simultanées. Séparés, ils étaient capables de savoir ce que l'autre vivait. Sur toutes les paires de jumeaux de Manticore, ils étaient les seuls à avoir développé spontanément un tel lien. Lydecker commenta la scène en disant que c'était la relation entre Alec et Ben qui avait inspiré la formation des clones X7 et leur travail en essaim, comme un tout.

Lors de leur troisième année, l'infirmière Carriger, qui avait continué à s'occuper d'eux, tenta de les enlever et de les faire sortir de Manticore. Le rapport précisa qu'elle échoua et qu'elle fut abattue derrière le local poubelle de la zone d'éducation des enfants. Son complice, à l'extérieur, avait été neutralisé.

Jusqu'à leur quatre ans, Alec et Ben étaient restés ensemble. Les éducateurs avaient noté qu'ils avaient un mode de communication bien à eux et qu'ils échangeaient beaucoup. Pour le reste, ils ne communiquaient pas avec les autres enfants. Plus grave, ils n'écoutaient pas non plus les éducateurs. Il fut alors décidé de les séparer pour de bon et de leur donner une éducation totalement différente à chacun. La séquence la séparation, avec des enfants plus âgés et conscients de ce qu'on leur faisait, fut un supplice pour Max, qui n'arriva pas à retenir ses larmes cette fois. Alec restait de marbre près d'elle. Les jumeaux hurlaient, pleuraient, se débattaient pour rester ensemble. Ils finirent par être frappés jusqu'à en être inconscients, puis définitivement séparés. Alec, le X5-494, fut envoyé à la formation des unités en solitaire pour se renforcer et devenir indépendant. Ben, le X5-493, fut intégré à un groupe d'enfant conçus pour évoluer en cohésion pour optimiser son côté protecteur. La suite était connue. Alec était devenu un spécialiste de l'infiltration, du sabotage et de l'assassinat. Ben s'était enfui, il était devenu tueur en série et était à présent mort.

Max se cramponnait à Alec. Son manque de réaction lui faisait peur.

_ Pour les séries X suivantes, on a fait en sorte que le problème ne se posent plus. On a fait en sorte qu'il n'y ait que des clones et aucun vrai jumeau, dit Lydecker.

_ Pourquoi ? Ça aurait parmi d'avoir plus de soldats, dit sèchement Alec.

_ On s'est aperçu que les vrais jumeaux avaient des caractères instables, dit le colonel. Vous savez comment est devenu Ben. Et toi, tu es…

Max était horrifiée d'entendre ce que Lydecker était en train de suggérer. Elle sentait Alec se contracter près d'elle. Elle jeta un regard noir à son "père".

_ Imprévisible, dit alors rapidement l'ordinaire.

Mais, le mal était fait. Alec ne retiendrait que la possibilité pour lui de finir comme son frère : un fou dangereux.

_ C'est pour ça qu'il n'y a pas eu de nouvelles tentatives de clonage. Vous étiez trop différents des autres X5. La rébellion de Ben, sa fuite et ton comportement ont fait que votre ADN n'a pas été jugé assez fiable pour être réutilisé.

Max pensait que, le fait que Ben soit le frère d'Alec, les rapprocheraient tous les deux. Elle avait envie de lui raconter toutes les anecdotes qu'elle avait sur Ben. Elle voulait tout lui dire : les joies, les sourires, les histoires, les larmes. Mais, Alec se montra distant avec tout le monde, mais surtout avec elle, Syl et Krit. C'était la preuve qu'il avait été profondément blessé, malgré son éternel mantra « je vais toujours bien ». D'ailleurs, le jour de son anniversaire, à présent officiel et de celui de Ben, le premier mars, il disparut pendant vingt-quatre heures. Il se refusa à tout commentaire en revenant.


Seattle, appartement de Logan, vendredi 4 mars 2022, 21h32


LOGAN

Assis devant l'écran de son ordinateur, Logan essayait de se concentrer et d'avancer sur son enquête en cours. C'était une femme de ménage, sans papier, qui avait alerté le Veilleur. Elle venait de trouver un emploi dans le bureau général des orphelinats de l'état de Washington. Lorsqu'un service de l'état faisait régulièrement appel à de la main d'œuvre illégale, on pouvait considérer qu'il y avait anguille sous roche. Nombre d'étrangers, en situation irrégulière, étaient illettrés. On les faisait travailler dans les bureaux administratifs car ils ne risquaient pas de comprendre les documents qu'ils pouvaient y voir.

Par malheur pour l'état, Salimata Diop avait eu la chance d'aller à l'école et de finir le collège. Elle avait continué à aiguiser son esprit avec des lectures régulières. En la rencontrant, en se faisant passer pour un simple membre du réseau, Logan avait été impressionné par ses réflexions approfondies sur la marche du monde. Elle posait un œil critique sur tous les sujets et semblait être insatiable de connaissance. Il aurait pu jurer qu'elle avait un parcours universitaire derrière elle. Pourtant, elle ne cherchait pas la gloire. Elle aimait juste se cultiver. C'était une femme douce et généreuse avec autrui, malgré ses propres problèmes.

Lorsque Logan l'avait vu la première fois, elle était dans un état d'affolement extrême. La directrice générale signait régulièrement des autorisations d'adoption à plusieurs couples, trois pour être exact, toujours les mêmes. Au bout de quelques mois, les enfants disparaissaient et les couples cherchaient de nouveau à adopter. La directrice signait de nouveau des documents. En parallèle, elle correspondait avec des cliniques médicales privées de toute la côte ouest américaine. Il était question d'achat d'organes. Salimata Diop avait compris avec horreur que les enfants disparus servaient de banque d'organe. Aussitôt, elle avait cherché à joindre le Veilleur.

Cette histoire était scandaleuse et donnait envie de vomir tant elle était sordide. Les enfants étaient notés comme fugueurs et la police arrêtait rapidement les recherches. Les couples larmoyaient un temps, deux mois à chaque fois, et rapprochaient des services sociaux pour une nouvelle adoption. Il était évident que la directrice et les couples étaient de mèche. Logan n'était pas certains d'avoir la totalité de la liste des clients. Il ne savait pas non plus si la police pouvait être mêlée, ni à quel niveau. Logan manquait d'informations et de preuves.

Depuis l'horrible Saint-Valentin, il n'avait pas parlé à Max, ni à personne de Terminal City, en dehors de Syl et Krit. Le frère et la sœur de Max ne parlaient pas de leur vie privée, ni de celle des autres. Il avait essayé de les questionner sur Max, mais il avait reçu une fin de non-recevoir par Syl. Krit n'irait pas à l'encontre de sa moitié.

Il avait honte de lui. L'alcool n'excusait pas ce qu'il avait dit. Il ne pouvait pas aller chercher Max comme ça et lui demander de l'aider pour le Veilleur. Max avait eu raison de partir et de ne plus lui adresser la parole. Il reconnaissait aussi qu'Alec avait eu raison de le ramener chez lui et de l'engueuler. Il ne lui en voulait même pas pour son poignet foulé.

o0o0oOo0o0o

Logan poussa un long soupir. Il n'avançait pas. Ni sur son enquête, ni sur ses excuses. Il repoussa le clavier d'ordinateur et posa la tête sur le bureau. Il regardait le cadeau de Max. Il l'avait récupéré dans la poubelle. Il voulait être avec Max pour le déballer. Alors, le paquet était toujours là, sur le coin de la table, lui rappelant ses erreurs.

Il entendit quelques coups à la porte d'entrée. Ce n'était pas Max. Elle rentrait toujours sans frapper. Peut-être Asha. Non, elle était débordée avec le S1W. Il ne bougea pas. Il y eu de nouveaux coups, un peu plus fort cette fois. Il soupira à nouveau et cria à la personne d'entrer. Il se remit droit, face à son écran. Il sursauta en entendant la voix d'Alec.

_ Salut, Logan. Excuse-moi de te déranger.

« Qu'est-ce qu'il fait là, lui ? Et, depuis quand il frappe avant d'entrer ? » se demanda Logan.

_ Euh… Bonsoir, Alec.

Logan pivota avec sa chaise de bureau et observa le transgénique. Il était inquiet et mal à l'aise. C'était bien la première fois qu'il le voyait ainsi.

_ Qu'est-ce que je peux faire pour toi ? Demanda-t-il devant le silence effrayant du jeune homme.

_ C'est à propos de Max.

« Misère. Je n'ai pas besoin de ça maintenant. » pensa Logan.

_ Elle ne va pas bien. Je sais que vous êtes euh… en froid. Mais, je crois que c'est grave.

_ Elle est blessée ? Demanda-t-il vivement.

_ Non. Enfin… pas physiquement. C'est à cause de Ben.

_ Qu'est-ce qu'il s'est passé ?

Alec pris une chaise et s'assit face à Logan.

_ Et bien… hier après-midi, je bossais normalement. Je devais livrer un colis à un type dans d'une église. Je passe par derrière, une vieille religieuse ouvre et me dit d'attendre. Alors, j'attends. Là, la porte s'ouvre et je me retrouve avec le canon d'un flingue sur le front. C'est le père, le client à qui je dois livrer mon colis, qui tient l'arme. Scène surréaliste. Le mec me dit qu'il ne me laissera plus faire de mal aux gens. J'essaie de lui parler, de le calmer. Je n'allais quand même pas taper sur un homme d'église. Là, j'entends la voix de Max qui dit au père d'arrêter. Elle arrive en courant et se met entre nous. Elle a su par Normal où je devais livrer le colis. Bref. Ça discute et je comprends le truc. Le père Destry m'a pris pour Ben. Ben l'avait enlevé et séquestré, et il avait pour projet de le tuer. C'est Max qui est arrivée et qui l'a sauvé. Le père nous fait entrer et on s'installe dans son bureau. Il nous sert un thé, mais tremble comme une feuille et en me jetant des regards inquiets. Moi, je ne dis rien. Max lui explique que je suis le jumeau de Ben, que je faisais mes études à l'étranger, qu'on ne se parlait pas entre frères, qu'on n'avait rien en commun et blablabla… Bref, l'excuse qu'on avait sorti lorsque je m'étais fait arrêter pour le meurtre de Timothy Ryan. Max s'excuse, Destry s'excuse, je m'excuse, même si je ne sais pas pourquoi. Je lui file quand même son colis. On part et je vois que Max n'est pas bien. Je lui dis de rentrer, de prendre une bonne douche et que je l'excuserai auprès de Normal. Elle est partie sans un mot. Je finis la journée tard puisque Normal m'a filé les courses de Max en plus. Quand je rentre, elle est sur le fauteuil et ne m'adresse pas la parole. Ça me paraît assez logique : j'ai la gueule de Ben. Je suis la dernière personne qu'elle a envie de voir. Je la laisse tranquille. Ce matin, je me lève. Elle est toujours sur le fauteuil dans la même position. Je me dis qu'elle veut encore rester seule. Je veux dire, c'est Max. Elle peut broyer du noir pendant un moment. Je prends mon café à l'appart, je lui en fais un que je mets sur la table devant elle et je lui dis que je l'excuserai encore auprès de Normal. Je me refais une double journée. Je parle un peu avec Original Cindy, je lui demande si elle ne veut pas passer la soirée avec Max, juste entre filles. Moi, j'étais prêt à me barrer tout le week-end. Sauf que Cindy n'est pas du tout disponible : sa mère s'est faite opérer d'une tumeur du sein. Original Cindy passe le week-end avec elle. Là, elle doit encore être dans le train. Alors, je lui demande si elle n'a pas des conseils à me donner par rapport à la situation. Et, je tombe des nus : Max, qui raconte tout à sa meilleure amie, n'a jamais parlé de Ben.

_ Vraiment ? S'exclama Logan. Je croyais qu'elles se disaient tout.

_ Bah, pareil. Cindy ignorait que j'avais un clone, enfin, un jumeau, elle ignorait qu'il avait grandi avec Max et qu'elle le considérait comme son frère, et elle ignorait qu'il était mort. Heureusement, que je n'ai pas parlé du côté tueur en série…

_ Je suis très surpris aussi, avoua Logan. Max demande si souvent conseil à Original Cindy, même sur les sujets de transgénique…

_ Là, ce soir, je rentre. Max n'a pas bougé d'un cheveu, j'en suis sûr. Les plis de ses vêtements sont les mêmes que ce matin. Le café est toujours devant elle. Rien n'a bougé. Elle ne parle pas et elle a le regard dans le vide. J'ai même essayé de la secouer. Aucune réaction.

_ Tu as parlé à l'infirmière de Terminal City ou a un médecin ?

_ Le docteur Carr m'a dit qu'il n'avait aucune idée et Magenta m'a proposé un teaser…

_ Ah ouais… Non, mauvaise idée.

_ Donc, je viens te voir. Même quand vous êtes fâchés, Max et toi, vous vous aidez. Là, elle a besoin de ton aide.

« Une ouverture » pensa Logan. « C'est ça qu'il me faut pour renouer le contact. Mais comment faire ? »

_ Je ne sais pas quoi te dire, Alec.

_ Et, si tu allais la voir ? Même si elle n'a pas réagi avec Joshua, tu y arriveras peut-être…

_ Comment a-t-elle réagit avec Joshua ?

_ Elle est restée prostrée pendant plusieurs heures. Et, je me suis retrouvé avec Joshua qui chouinait comme un chiot en bonus.

_ Pauvre Joshua.

_ Syl et Krit sont rapidement passés la voir, mais, comme tu le sais, ils sont sur une mission du Veilleur et sont partis… Elle ne leur a jamais rien dit de concret sur Ben, contrairement à la mort de Tinga ou celle de Seth. De toute façon, ça n'a rien changé à sa catatonie. Comment avais-tu fait au moment de la mort de Ben pour la réconforter ?

_ Je n'avais rien fait. Elle n'a pas voulu que je m'en occupe. C'est passé tout seul.

_ Elle avait été en état de choc comme maintenant ?

_ Non. Elle… elle était rentrée et avait pris une douche. Elle m'a remercié de ne pas m'en être mêlé et était partie. Le lendemain, elle faisait comme si de rien n'était.

_ Bordel. Pourquoi réagit-elle comme ça maintenant ? Se demanda Alec en se passant les mains dans les cheveux. Elle aurait dû être plus choquée, la dernière fois, après l'avoir tué que maintenant…

_ Attends. Quoi ?

_ Hein ?

_ Elle l'a tué ?

_ Et merde ! S'exclama Alec. J'ai trop parlé.

_ Tu es sérieux ?

Alec soupira.

_ Je croyais que tu savais…

_ Non…

_ Il lui a demandé.

_ C'est elle qui te l'a dit ou c'est Manticore ?

_ C'est elle. Il y a longtemps, je lui ai demandé comment il était quand ils étaient enfants. Elle m'a répondu. J'ai vu que ça n'allait pas, alors je lui ai demandé ce qu'elle avait et elle m'a raconté.

Presque tout ce que Logan savait de Ben, il l'avait découvert par lui-même. Max ne lui avait quasiment rien dit. Il se doutait que Ben était mort : les meurtres avaient été arrêtés, mais il croyait que Ben avait été tué par Manticore. Il savait qu'il y avait une possibilité que ce soit Max la responsable mais, jamais il ne l'aurait cru capable de faire du mal à un de ses frères ou à une de ses sœurs. Même si l'un d'entre eux lui avait demandé. Il avait fini par se convaincre lui-même que Max n'avait rien à voir avec la mort de Ben.

Il se rappela des paroles de Lydecker : "Ils ont été conçus pour tuer. De sang-froid… avec efficacité… et avec plaisir", "un détonateur et ils bondissent", "vous croyez qu'elle est moins dangereuse parce qu'elle est jolie ?". Parfois, il lui arrivait d'oublier ce que pouvait être Max. Ce qu'elle était censée être. Elle luttait en permanence contre ce pourquoi elle avait été créée.

_ J'enchaîne les conneries moi aujourd'hui. Je balance des infos à Cindy, je te dis des trucs… dit Alec en se parlant à lui-même. Si une agence gouvernementale veut me soutirer des informations, c'est le bon moment… ironisa-t-il.

Logan repensa aux photographies que lui avait donné Lydecker. Il les avait détruites, mais les images et les paroles du colonel étaient gravés dans sa tête.

_ Je n'ai pas fait ce que Max m'a demandé. J'ai enquêté, avoua Logan. Max refusait de me parler. Il y avait plus de dix morts, toujours avec le même mode opératoire. Ben signait ses meurtres : il tatouait son code barre sur chacune de ses victimes. J'ai même pris contact avec Lydecker. À cette époque, il traquait encore les X5. Et moi, j'ai pris le risque de le contacter… par curiosité.

Alec soupira et se mit à fixer le sol.

_ Je ne crois pas que je pourrais aider Max, finit par dire Logan.

_ Pourquoi ça ?

_ Elle n'a jamais rien partagé avec moi au sujet de Ben. Elle ignore jusqu'où j'ai poussé mon enquête. Elle t'en a dit plus qu'elle ne l'a fait avec personne d'autre.

_ Ça ne m'aide pas vraiment.

_ Tu as parlé à Lydecker ?

_ Je voulais éviter d'en arriver à ce stade. Je n'ai pas les détails, mais je sais qu'il n'a pas fait de bien à Max et aux autres évadés.

_ Il sait peut-être comment gérer une X5 en état de choc. J'imagine que l'armée ne pouvait pas se permettre d'avoir des soldats choqués. Il doit y avoir une solution au moins pour ça.

_ Oui. Je n'avais juste pas envie de le mêler aux états d'âme de Max.

_ Je peux le comprendre.

_ Logan ? Fit Alec avant de partir.

_ Oui ?

_ Dans la mesure où je n'étais pas censé faire tant d'indiscrétions…

_ Je ne mentionnerais pas à Max le détail que tu m'as appris.

_ Et, je ne lui parlerai pas de ton enquête.

_ Merci, Alec.

Le X5 haussa les épaules et sortit de l'appartement.

Logan reporta son attention sur l'écran de son ordinateur. Il n'avait toujours pas avancé… ni sur un sujet, ni sur l'autre.


Seattle, appartement de Lydecker, vendredi 4 mars 2022, 22h24


LYDECKER

Le colonel Lydecker alla ouvrir sa porte à laquelle on avait frappé. Il fut surpris de voir Alec. Il prenait le temps de frapper avant d'entrer, il était tendu et quasiment au garde à vous… Il avait quelque chose à lui dire et n'avait pas envie de le faire. Il connaissait le X5 à présent. Se remettre dans la peau d'un soldat était une défense pour lui. Il le fit asseoir sur le canapé et attendit.

_ Le soldat X5-452 est en état de choc depuis la fin d'après-midi de jeudi, dit militairement Alec.

_ Un choc électrique court et de forte intensité est suffisant pour faire sortir un X5 de sa torpeur.

Alec n'était visiblement pas pour cette idée. Et, comme il n'en était pas surpris, ce ne devait pas être la première fois qu'on lui suggérait cela.

_ Sais-tu suite à quoi est survenu cet état ?

_ Max a eu… affaire à la dernière victime de Ben. Celui qui a survécu.

Lydecker n'avait jamais connu l'identité de cet homme. Il aurait donné n'importe quoi pour pouvoir s'entretenir avec lui. Mais, à la façon de parler d'Alec, il était sûr qu'il ne lui donnerait pas cette information.

_ La rencontre ne s'est pas bien passée ?

_ Si. On a bu du thé et ils ont parlé, dit Alec.

_ Tu étais là ?

_ La victime m'a pris pour Ben et Max est intervenus pour "expliquer" les choses. Elle est rentrée à Terminal City et elle est en état de choc depuis. J'ai fait intervenir Joshua, Syl et Krit sans succès. Mes deux autres options sont tombées à l'eau.

_ Sais-tu si elle avait été choquée à la mort de Ben ?

_ D'après Logan, non. Elle a reprit sa vie en faisant comme si rien n'était arrivé. C'est pourquoi on ne comprend pas son état actuel.

_ C'est pourtant simple. Tu viens de le dire. La dernière fois, elle a fui ce qu'il s'était passé. Là, elle a dû faire face. Si tu ne veux pas utiliser un teaser, il doit attendre qu'elle sorte d'elle-même dans cet état.

Alec soupira. La machine de guerre, qu'il avait été, aurait utilisé le teaser sans remord, mais l'homme, qu'il était devenu, ne ferait jamais de mal à Max. Ce n'était pas par hasard qu'ils avaient été mis ensemble pour l'accouplement. Manticore avait sélectionné les mâles et les femelles selon leur faculté à s'entendre émotionnellement, avant la compatibilité génétique. Lui, il passait tout à Max, y compris son comportement hautement injuste, les insultes ou les coups. Max avait un attachement irrationnel envers lui, envers quelqu'un qu'elle aurait dû mépriser en d'autres circonstances. Leurs comportements vis-à-vis l'un de l'autre, leur capacité à se faire confiance, à se protéger et à faire front commun malgré leur désaccord, montraient à quel point leur lien était fort.

_ Quoi que tu choisisses de faire, une fois qu'elle sera sortie de son état, pour éviter que cela se reproduise, il va falloir crever l'abcès.

_ En clair ? Demanda Alec.

_ Max n'est plus un soldat depuis longtemps. Tu ne pourras pas appliquer avec efficacité les méthodes qu'on t'a enseigné sur elle. Il faut que tu penses qu'elle est comme une ordinaire. Elle doit faire son deuil et dire au revoir à Ben.

_ Avec moi dans les parages, ça n'aide pas vraiment…

_ Tu n'es pas Ben.

_ Je le sais bien. Mais, je crois qu'elle l'oublie parfois.

_ C'est pour ça qu'il faut qu'elle dise adieu à Ben pour de bon… d'une façon ou d'une autre.

« Ce qui pourrait aussi vouloir dire que tu pourrais devoir partir loin d'elle, même si, de ça, elle ne s'en remettra pas » dit mentalement le colonel.

Alec était intelligent, il savait lire entre les lignes. Il devait avoir compris ce qu'il sous-entendait.

Lydecker regarda le X5 sortir de chez lui, les épaules voûtées, abattu.


Seattle, Terminal City, vendredi 4 mars 2022, 22h46


ALEC

Max ne faisait jamais rien pour lui faciliter la vie. Le choc électrique d'un teaser devint une option tout à fait envisageable. Alors qu'il rejoignait l'appartement, il sursauta si fort en entendant son téléphone sonner, qu'il aurait cru faire une crise cardiaque.

_ Allo ?

_ C'est Original Cindy.

_ Tu es bien arrivée ? Demanda-t-il. Comment va ta mère ?

_ Bien et bien. Elle est contente de me voir. Comment va mon petit chou ?

_ Toujours pareil. Elle a fait pleurer Joshua par son indifférence et n'a pas réagi avec Syl et Krit. Je suis allé parler à Logan et à Lydecker. Comme pour toi, elle n'a pas dit grand-chose à Logan et le vieux colonel propose de lui mettre un coup de teaser pour la réveiller…

_ J'ai eu une idée.

_ J'écoute.

_ Prends-la dans tes bras.

_ Pardon ?

_ Ça avait marché lorsqu'elle n'était pas bien à la Saint-Valentin, non ?

_ Je crois juste qu'elle avait besoin de pleurer un bon coup à ce moment-là. Ça n'a rien à voir avec moi.

_ Moi, je dirai que si.

_ Sauf que la situation n'est pas la même. À la Saint-Valentin, elle pleurait toute seule. Là, elle ne bouge pas.

_ Essaies quand même.

_ Cindy, je suis le jumeau de son frère adoré mort, je suis la dernière personne qu'elle a envie de voir.

_ Qu'est-ce que tu as perdre à essayer ?

_ À la Saint-Valentin, c'est elle qui est venue. Là, elle va croire que je profite de la situation. L'air de rien, je voudrais que ma tête reste attachée à mon cou.

_ Bah, si elle réagit comme ça, ça veut dire qu'elle va mieux. Quant à ta tête… Max mérite bien ce petit sacrifice, non ?

_ Mouais…

_ Juste, fais-le. Ne parle pas. Serres-la juste dans tes bras.

o0o0oOo0o0o

Arrivé à l'appartement, il constata que Max n'avait toujours pas bougé. Elle était assise sur le fauteuil, les jambes pliées devant elle, la main gauche sur les jambes, la main droite soutenait sa tête. Son regard allait droit devant, mais ne voyait rien. Il retira son blouson et posa ses affaires. Il vint s'agenouiller devant Max.

_ Dis-moi ce que je dois faire pour t'aider, dit-il. S'il te plaît.

Max ne dit rien, comme il s'y attendait.

Doucement, il passa les bras autour de la taille de la jeune femme. Elle se laissa faire. Il la tira vers lui. Elle déplia légèrement les jambes pour l'aider. Elle avait une jambe de chaque côté du corps d'Alec. Par derrière, avec sa main, il lui fit posa la tête contre son épaule. Max l'aida aussi. Elle finit par bouger pour de bon et passa les bras autour de lui. Elle enfouit son visage dans son cou. Il sentit des larmes silencieuses couler. Il raffermit son étreinte et la serra plus fort. Elle fit de même.

Il ne sut pas combien de temps ils étaient restés entremêlés. Elle finit par soupirer et se détendre. Alec profita de sa position. Il passa une main sous les fesses de la jeune femme et la souleva. Elle ne dit rien. Alec la porta ainsi jusqu'à son lit à elle. D'une main, il défit les draps et la déposa aussi délicatement que si elle était une poupée de porcelaine. Il la couvrit et lui caressa doucement les cheveux. Elle avait l'air si fragile ainsi. Il continua ainsi jusqu'à ce que les yeux de la jeune femme se voilent de sommeil. La croyant endormie, il s'éloigna d'elle. Elle lui attrapa le bas du pantalon pour le retenir.

_ Est-ce que tu veux bien rester avec moi cette nuit ? Demanda-t-elle tout bas.

Alec acquiesça. Il fit le tour du lit, ôta ses chaussures et se glissa dans les draps. Max, sur le dos, tendit la main gauche vers lui. Il lui donna la sienne. Elle pivota sur le côté droit, ramenant le bras du X5 vers elle pour s'enrouler dedans. Ils s'endormirent l'un contre l'autre, en chien de fusil.

o0o0oOo0o0o

Lorsqu'Alec ouvrit les yeux, Max était déjà réveillée et il voyait son profil. Elle avait tourné dans ses bras, elle était sur le dos. Elle jouait avec ses doigts.

_ Salut, dit-il.

_ Salut, répondit-elle en tournant le visage vers lui.

_ Mes doigts sont d'une taille qui te convient ?

_ Ils sont très bien, dit-elle.

Elle posa la main du jeune homme sur son ventre. Leurs visages n'étaient qu'à quelques centimètres l'un de l'autre. Elle avait le regard plongé dans ses yeux, tout comme lui avait les yeux dans les siens.

_ Tu as passé une bonne nuit ? Lui demanda-t-il.

_ Je n'ai pas fait de cauchemar, grâce à toi.

_ Tant mieux.

Le silence s'installa entre eux alors qu'ils se fondaient toujours dans leurs regards. Elle juste besoin d'un câlin pour ne pas faire de mauvais rêves, comme une enfant. Alec repensa au fait que ce ne devait pas se reproduire. Il fallait crever l'abcès Ben en Max.

_ Max ?

_ Oui ?

_ Est-ce que tu me montrerais ?

_ Quoi ?

_ Là où il est tombé.

_ D'accord, dit-elle simplement.

_ Merci.

_ Tu veux bien me serrer encore un peu ?

_ Oui.

Max se remit sur le côté et Alec l'entoura à nouveau de ses bras. Il entendait sa respiration irrégulière. Elle avait recommencé à pleurer. Il la serra plus fort. Vu ce qu'il lui demandait de faire, il fallait bien la réconforter.

o0o0oOo0o0o

Il dut se rendormir. Quand il se réveilla, Max était de nouveau calme.

_ Tu es fatigué ? Demanda-t-elle.

_ Ouais, je me suis fait un sang d'encre pour une amie prostrée sur un fauteuil.

_ Désolée.

_ Pas grave. Par contre, tu pourrais me rendre un super service et me soulager.

_ Lequel ?

_ Pendant que je nous prépare du café, tu pourrais aller prendre une douche.

_ En quoi c'est un service ?

_ Ça fait trois jours… tu pues, soldat…

Max se mit sur le dos, souleva le col de son t-shirt et le renifla. Alec vint aussi coller son nez dans son décolleté. Elle sentait bon. Lorsque Max tourna les yeux vers lui, elle se rendit compte qu'il souriait et se moquait d'elle. Alec avait anticipé la réaction de Max et bondit hors du lit et hors d'atteinte.

_ Pervers ! S'exclama Max.

_ Je voulais m'assurer que tu allais mieux, expliqua-t-il avec un clin d'œil.


Seattle, forêt West Duwamish Greenbelt Trails, samedi 5 mars 2022, début d'après-midi


ALEC

Ils arrivèrent dans une zone un peu plus dégagée. Max avançait comme une somnambule. Elle s'arrêta si soudainement qu'Alec faillit lui rentrer dedans. Elle contourna un obstacle invisible et se trouva presque en face d'Alec. Elle s'agenouilla et regarda le sol devant elle. C'était là. Alec rejoignit en faisant le même écart et se plaça derrière elle.

_ On était là, dit-elle tout bas. Il regrettait qu'on se soit évadé. Il trouvait que la vie à Manticore avait un sens, alors qu'ici… Dans sa planque, que Lydecker a fait nettoyer, il avait recréé Manticore. Sur les murs, il avait fait des tags : devoir, discipline, mission…

_ Comme les instructions placardées aux murs à Manticore.

_ Oui. Il avait un établi où il rangeait ses armes : des couteaux, des armes à feu… tout y était bien ordonné, comme dans une armurerie.

_ C'était un bon soldat…

_ C'est ce qu'il voulait être. Il essayait de tout cœur d'être un valeureux soldat.

Alec se rapprocha de Max.

_ On se battait et je lui ai cassé la jambe. Il ne pouvait plus aller nul part. On a entendu les hélicoptères. Il ne voulait pas que je le laisse là. Je lui ai dit que je ne pouvais pas le porter et qu'on se ferait prendre tous les deux. Mais, ce n'était pas ce qu'il voulait. Je lui ai dit que c'était trop dur de le faire. Mais, finalement, il avait peur. Il ne voulait plus rentrer, être attrapé et enfermé… Il m'a supplié. Alors, je lui ai demandé de me parler de l'endroit où c'est bien. C'était un endroit qu'il avait imaginé dans ses histoires. Là où les bons soldats vont après leur mort. Là où il n'y avait pas de cachot, où personne ne vous crie dessus, où personne ne disparaît, où on mange ce qu'on veut, où, le matin, on peut rester au lit aussi longtemps qu'on le désire, où il ne fait ni trop chaud, ni trop froid… J'avais sa nuque dans…

Elle tendit la main droite devant elle, les doigts légèrement repliés autour d'une nuque invisible. Alec pouvait voir la scène dans sa tête.

_ Il avait compris que j'acceptais de faire ce qu'il m'avait demandé. Il a même réussi à sourire. Puis, il a commencé à parler. Il a commencé à se détendre et j'ai…

Sa main venait de se contracter et son poignet venait de se tordre comme si elle venait de rompre la nuque invisible. Elle posa délicatement la tête invisible au sol. Elle commença à sangloter. Alec s'assit et passa les jambes de part et d'autre de Max. Il l'attira en arrière, vers lui, et la serra dans ses bras. Max pivota sur elle-même et fut de profil dans les bras d'Alec. Elle se laissa aller et sanglota plus fort encore.

Ils restèrent assis par terre, l'un contre l'autre jusqu'après la tombée de la nuit. Alec entraîna Max, par la main, et ils rentrèrent à Terminal City. Max se renferma à nouveau dans son mutisme. Alec n'attendit pas que cela s'aggrave. Il la guida à la salle de bain, elle prit une douche chaude, et passa un vieux survêtement. Sur le canapé, il lui brossa les cheveux en silence. Il réchauffa un peu de soupe et la lui donna à la cuillère, comme à une enfant. Pour la nuit, il l'amena d'office dans son lit à lui. Elle s'endormit dans ses bras, juste avant lui.


Seattle, Terminal City, dimanche 6 mars 2022, 8h18 du matin


ALEC

Le dimanche matin, lorsqu'il ouvrit les yeux, elle était déjà réveillée. Ils n'avaient pas bougé de la nuit. Max l'enlaçait toujours et il la tenait dans ses bras.

_ Bonjour, dit Alec.

_ Bonjour.

_ Tu ne vérifies pas mes doigts ce matin ?

_ Non. Je réfléchissais.

_ À quoi ?

_ Aux différences entre Ben et toi.

_ Et ?

_ Il y en a plein.

_ Par exemple ?

_ Tu as la même voix que lui, mais tu ne parles pas comme lui. Tu as le même corps que lui, mais tu ne bouges pas comme lui. Tu as les mêmes yeux que lui, mais ton regard est différent…

_ C'est une bonne ou une mauvaise chose ? Demanda-t-il.

_ Je n'en sais rien, répondit-elle.

_ Je crois que je me souviens de lui, fit Alec au bout de plusieurs minutes.

Max s'éloigna un peu de lui pour pouvoir le dévisager.

_ Quand j'étais enfant, commença-t-il, je croyais que j'avais eu un ami imaginaire. Je pouvais lui parler de tout… De ce que je voyais, de ce que j'entendais, de ce que je ressentais. Par exemple, je lui disais que j'aimais telle ou telle chose dans le petit déjeuner, ou que je n'aimais pas un aliment. Lui aussi, il parlait. Beaucoup même. Il posait plein de questions. Il se demandait par exemple pourquoi, certains jours, le petit déjeuner était sucré, alors que d'autres, il était salé.

Cette anecdote fit sourire Alec.

_ Lorsque je voyais quelque chose, lui, il se demandait pourquoi et comment elle était arrivée là… C'était à moi qu'il posait les questions même s'il n'attendait pas forcément que j'y réponde. Il était patient. Il disait qu'un jour, il aurait des réponses. Je n'ai jamais eu honte de lui parler. Je n'avais pas besoin de cacher quoique ce soit. Je savais que je ne serais pas juger avec lui, parce qu'il était moi… Il a disparu de ma vie lors de ma quatrième année. Je croyais qu'il avait disparu parce que j'étais enfin devenu un soldat… Après réflexions, je crois que ce n'était pas un ami imaginaire… Je crois que c'était Ben.

Max passa une main sur son visage, il avait laissé échapper une larme.

_ Il t'attendait, dit Max.

_ Comment ça ?

_ Je suis la dernière à être arrivée dans mon groupe d'enfants. C'est pourquoi ils m'appellent tous « petite sœur ». Avant moi, c'était Kavi, il était plus jeune d'un an, mais je suis arrivée après lui. Les instructeurs ont alors dit que notre groupe était au complet. Je me rappelle de Ben ce jour-là : il était déçu. Tous les autres m'ont accueillie, mais pas lui. C'est Zack qui m'a expliqué qu'il attendait que quelqu'un le rejoigne, mais il n'a jamais dit qui. Il a guetté chacune des arrivées. Il a été fâché contre moi parce que j'étais la dernière et que ça voulait dire que plus personne ne viendrait. Il ne m'adressait pas la parole. Un jour, je me suis réveillée en sursaut à cause d'un cauchemar dont je ne me souviens plus. Il était le seul à être réveillé. Même Jondy, qui a de l'ADN de requin comme moi, dormait à ce moment-là. Il est venu s'asseoir au bout de mon lit et m'a demandé de lui raconter mon mauvais rêve. Il disait que raconter un mauvais rêve, ça le faisait disparaître. Il m'a écouté. Après, il a fait des ombres chinoises sur le mur avec ses mains et me racontant une jolie histoire. C'était beau. Et, je me suis sentie…

_ Aimer, termina Alec.

_ Oui. Après ça, il m'a parlé tous les jours. Il aimait quand on faisait des exercices en extérieur et qu'il fallait dormir dehors. Personne ne comprenait ça. Lui, il aimait parce qu'on était obligé de dormir les uns contre les autres pour se tenir chaud. Il disait qu'il avait toujours froid la nuit. Je pense que ça venait du fait que vous dormiez ensemble. Il ne nous a jamais dit qui il attendait parce que c'était comme les mauvaises rêves : s'il disait tout haut qui il attendait, cette personne ne viendrait jamais. Nous, on ne comprenait même pas comment il pouvait attendre quelqu'un qu'on ne connaissait pas et qui ne faisait pas partie de notre unité. Je crois que c'était toi.

Ils restèrent l'un contre l'autre sans échanger de mot avec un moment. Ce fut Alec qui rompit le silence.

_ Est-ce qu'il avait horreur du céleri rémoulade qu'on nous servait parfois au mess ?

_ Oui, répondit Max.

_ Mais, il mangeait quand même pour ne pas se faire gronder ?

_ Oui. Comment le sais-tu ?

_ Parce que j'en ai horreur aussi. Mais, j'en mangeais pour ne pas être gronder.

_ On avait un accord tous les deux, dit-elle.

_ Lequel ?

_ Il me donnait son céleri et je le mangeais. De son côté, s'il y avait des betteraves, il devait prendre les miennes.

_ Tu n'aimes pas les betteraves ? Demanda Alec.

_ Je déteste ça.

Cela fit rire Alec.

_ Racontes-moi quelque chose que je ne sais pas sur lui. Quelque chose rien qu'à vous deux, fit Max.

_ Un soir, on a entendu l'un des éducateurs raconter une histoire, au téléphone, à sa fille, je crois. On l'a écouté. Ça parlait d'aventure, de combats, de fuite, de pirates et de trésors. On a inventé notre propre histoire avec ça. Il t'a raconté ?

Max fit non de la tête.

_ Au-dessus de notre lit, il y avait un réseau de fissures au plafond, certaines descendaient le long des murs, d'autres s'arrêtaient. Il y avait aussi des tâches par endroit. C'était notre carte au trésor, avec des chemins, des impasses, des pièges… Tous les soirs, on essayait de résoudre l'énigme pour trouver le point de départ. Il fallait qu'on trouve le commencement. Ensuite, on serait parti de la caserne et on serait allé explorer le monde, avec un bateau vert et noir. On aurait combattu des pirates et on aurait trouvé un fabuleux trésor. On aurait vécu dans une maison dans les arbres, dans un endroit chaud. On aurait pu dormir quand on le voulait et aussi longtemps qu'on le voulait. Il y aurait des tas de choses à manger, mais pas de céleri. Un monde sans céleri.

_ Il voulait s'enfuir, déjà à cette époque ?

_ Il disait qu'il y avait un autre monde et qu'on le visiterait un jour, répondit Alec.

_ Pourquoi le bateau de l'histoire était vert et noir ? Demanda-t-elle.

_ Parce que c'étaient nos couleurs préférées.

_ Vous n'aimiez pas la même couleur ? Fit-elle stupéfaite.

_ Non.

_ Lequel de vous deux préférait le vert ? Et, lequel préférait le noir ?

_ Je n'en sais rien.

_ Quelle est ta couleur préférée, Alec ?

_ Vert et noir.

_ J'ai dit ta couleur préférée. La seule.

_ J'ai entendu. Mais, quand j'y réfléchis, c'est toujours vert et noir. Je n'arrive pas à les dissocier. Elles forment un tout dans ma tête.

_ D'où les couleurs de ta moto, commenta-t-elle.

_ Tu trouves ça bizarre ?

_ Non, je trouve ça très beau, lui dit-elle en plongeant ses yeux dans les siens.

Ils passèrent le reste de la matinée au lit à échanger des histoires sur Ben.


MAX

Finalement, elle avait pu échanger avec Alec au sujet de Ben. Elle avait cru connaître son frère jusqu'alors. En y réfléchissant, c'était logique qu'elle ne sache pas tout. Lorsqu'ils s'étaient enfuis, lorsqu'ils s'étaient séparés, Ben avait passé la moitié de sa vie avec Alec et l'autre avec Max et les autres.

Vers midi, Alec eut l'idée d'aller voir Joshua avec elle. Il était si heureux qu'elle aille mieux qu'il n'arrêtait pas de la serrer dans ses bras. Il la reniflait aussi sans cesse.

_ Joshua ! Pourquoi n'arrêtes-tu pas de me sentir ? Je sens mauvais ou quoi ? J'ai pris une douche ce coup-ci !

Au lieu de lui répondre, Joshua se tourna vers Alec. Celui-ci haussa les épaules.

_ Non, dit Alec à Joshua. Elle avait juste besoin qu'on prenne soin d'elle.

_ De quoi s'agit-il ? Demanda-t-elle.

_ De rien, répondit Alec. Et, si on allait manger dehors… tous les trois ?

_ Avec Joshua ? Demanda ce dernier.

_ Tu es sûr ? Demanda Max.

_ Les gens commencent à s'habituer aux transgéniques. On prendra à emporter et on se trouvera un coin chouette. Avec nous deux, il ne risque rien.

Joshua se tourna vers Max avec des yeux de chiot implorant. Impossible de dire non à un tel regard.

Ils passèrent l'après-midi tous les trois dehors. Par principe, ils évitaient les zones où ils y avaient trop de monde. Mais, tout se déroula bien. Joshua était heureux comme s'il redécouvrait l'extérieur. La joie de Joshua était contagieuse. Max n'arrêtait pas de sourire et de rire avec l'homme-chien. Alec était là, mais il restait en retrait.

o0o0oOo0o0o

Le soir, ils dînèrent des pizzas dans leur appartement en regardant des vieux films en cassette qu'ils avaient empruntés à leur médiathèque. Joshua ne regardait pas beaucoup la télé, mais les films choisis par Alec : L'incroyable voyage, Beethoven et Croc blanc, lui plurent. Enfin, au moins les deux premiers, car elle s'endormit pendant le troisième.


Seattle, forêt West Duwamish Greenbelt Trails, premier trimestre 2020


MAX

Max pistait Ben dans les bois, tandis qu'il pistait le père Destry. Elle arriva dans une zone dégagée. Ben était là, debout, le pied écrasant la poitrine d'un homme.

_ Tu arrives à temps, lui dit Ben. Il semblerait que la foi du père Destry soit plutôt chancelante.

_ On peut le laisser partir et trouver un homme plus solide, dit-elle.

Ben eut un rire mauvais.

_ Non, dit-il fermement. C'est un cadeau pour toi. Pour que tu comprennes enfin quelle est ma mission.

Ben se pencha rapidement et brisa la nuque d'Alec sous ses yeux. Ben s'éloigna de deux pas tranquillement. Elle se précipita sur le corps encore chaud. Ce ne pouvait pas être Alec. Ça aurait dû être Destry. Mais, elle le reconnaissait. Elle passa la main dans les cheveux du jeune homme. Elle reconnaissait leur brillance, leur texture. Elle passa la main sur sa joue. Elle reconnaissait la douceur de sa peau et la chaleur qui s'en échappait désespérément, pour toujours. C'était bien Alec. Elle n'arrivait à détacher ses yeux du corps sans vie. Un corps si parfaitement immobile qu'elle aurait pu croire qu'il resterait ainsi pour l'éternité.

_ Pourquoi as-tu fait ça, Ben ? C'était ton frère ! Dit-elle, la voix troublée par un sanglot.

_ Je l'ai libéré, répondit Ben.

_ Non. Je l'ai libéré.

_ C'est faux, dit-il en s'accroupissant en face d'elle de l'autre côté du corps. Tu ne lui as pas laissé le choix. Tu lui as imposé ton choix. Tu l'as envoyé dans un monde où il est haï. La population veut sa mort, la police veut sa mort, l'armée veut sa mort, les scientifiques veulent sa mort, les Familiers veulent sa mort. Tu l'as envoyé dans un monde de chaos.

_ Ce n'est pas vrai.

_ Il était en sécurité à Manticore. C'était dur, mais c'était chez lui. Son seul foyer.

_ Ce n'était pas un foyer.

_ Loin de sa seule famille.

_ Tu te trompes.

_ Tu l'as envoyé en enfer.

_ Non.

_ Je l'ai libéré de TON enfer, dit sèchement Ben.

_ Non, lui dit-elle en le regardant dans les yeux, implacablement vides et morts.

_ Tu es un poison. Tu ne le vois donc pas ? Dit Ben avec la voix de Renfro.

_ Non.

_ Tu détruis tous les êtres que tu aimes, continua-t-il, avec la voix de l'ancienne directrice de Manticore.

_ Non.

Elle baissa les yeux sur Alec. Il avait changé. Son corps était couvert de poussières et de saletés. Il sentait le sang et le feu. Elle avait du sang sur les mains. Il y avait deux impacts de balles sur la poitrine du X5. La moitié de son corps souffrait de brûlures. Des débris d'une explosion étaient venus se planter en lui. Contre toute attente, il ouvrit les yeux. Des yeux froids et vides, presque comme ceux de Ben. Et, cela la terrifia.

_ Qui es-tu ? Demanda Alec.

_ C'est moi ! C'est Max.

_ Je ne te connais pas. Tu es un danger pour moi.

_ Tu vois, même lui en a conscience, dit Ben avec sa voix normale.

D'un geste vif, la main d'Alec lui empoigna la gorge et il commença à serrer.

_ Tu es un prédateur, un chasseur, un tueur… commenta Ben.

Elle glissa la main sous la nuque d'Alec et la brisa d'un seul coup. La poigne d'Alec se desserra et son bras retomba.

_ Tu vois, dit Ben. Je t'avais dit que c'était un cadeau. Alors, souris.


Seattle, Terminal City, appartement de Max et d'Alec, lundi 7 mars 2022, 5h35 du matin


MAX

Max se réveilla en sursaut, trempée de sueur, totalement essoufflée et paniquée. Elle regarda autour d'elle. Elle était dans sa chambre à Terminal City. Comment était-elle arrivée là ? Elle était sur le canapé, entre Joshua et Alec. À tâtons, elle chercha Alec près d'elle, mais son lit était glacé, comme la mort, et vide.

Elle se leva. Dans le salon, elle entendit un ronflement puissant. Avec sa vision de chat, elle vit Joshua endormi sur le canapé, un filet de bave coulant sur sa joue. Sans un bruit, elle entra dans la chambre d'Alec. Elle faillit pousser un cri de joie en le voyant assoupi. Elle l'observa un instant. Il dormait sur le dos. Elle voyait sa poitrine monter et descendre au rythme de sa respiration. Elle n'avait rien vu d'aussi rassurant depuis longtemps. Elle se calma et, petit à petit, sa respiration se cala sur le rythme lent de celle d'Alec. Elle fit le tour du lit et se glissa dans les draps. Elle avait besoin d'être près de lui, de le sentir vivant contre elle. Alec se réveilla légèrement.

_ Kesskiya, marmonna-t-il à moitié endormi.

_ J'ai fait un cauchemar.

Alec se mit sur le côté et lui ouvrit les bras. Elle s'y précipita comme si la fin du monde approchait. Elle referma les bras autour de sa taille. Il l'attira plus près de lui. Le corps du X5 irradia immédiatement sa chaleur et tout l'être de Max se réchauffa. Définitivement, c'est un endroit où elle est bien. Le cauchemar n'était guère plus qu'un vague souvenir. Elle tourna la tête pour pouvoir coller son oreille au torse d'Alec, déjà rendormi. Elle y entendit rythme parfait de ses battements cardiaque. Le son le plus apaisant du monde. Elle sourit et soupira de plaisir.

o0o0oOo0o0o

Max se réveilla à nouveau seule. Mais, cette fois, elle n'était pas affolée. Elle sentait l'odeur d'Alec partout autour d'elle, dans les draps. Elle entendait toujours les ronflements de Joshua. Puis, elle sentit une odeur de café et de toasts grillés. Alec faisait le petit-déjeuner. Elle se leva en silence pour le rejoindre sans réveiller Joshua. Alec finissait la vaisselle. Il était tout habillé et prêt à partir.

_ Hé ! Fit-elle si bas que seul un transgénique pouvait l'entendre.

_ Salut, lui dit-il en souriant.

_ Tu pars ? Il n'est même pas 7h30.

_ J'ai des choses à faire, répondit-il en enfilant son blouson. On se voit plus tard.

Alors qu'Alec se dirigeait vers la sortie, Max lui attrapa le bras pour le retenir avant que son cerveau n'ait eu le temps de comprendre qu'elle avait bougé. Alec se tourna et lui fit un sourire tendre. Il mêla ses doigts aux siens.

_ N'oublies pas d'aller travail aujourd'hui. À tout à l'heure, dit-il tout doucement.

Il se pencha et lui déposa un bisou sur la joue. Il s'éloigna en gardant aussi longtemps que possible leurs mains liées, puis il quitta l'appartement.

o0o0oOo0o0o

Elle arriva à Jam Pony très largement en retard. Normal était d'une humeur diabolique. Il lui manquait un gars : Alec avait posé un congé, elle était en retard et en plus elle devait partir plus tôt. Alec avait demandé à Normal qu'elle termine sa journée à 14h30 et qu'elle le retrouve avant 15h devant le fleuriste, à l'angle de Morgan Street et de la seizième avenue, au sud-ouest de la ville. Sa journée de travail fut si courte et si chargée, qu'elle n'eut pas le temps de parler avec Original Cindy. Elle hésita, mais alla rejoindre Alec, un peu après l'heure voulue.


Seattle, fleuriste à l'angle de Morgan St et 16th avenue, lundi 7 mars 2022, 15h40


MAX

Elle le trouva devant la boutique de fleur en train de filtrer avec une cliente. Elle lui aurait bien arraché la tête, mais ça aurait fait désordre. Elle se contenta de venir se planter à côté de lui. Il donna son numéro à la cliente, sous le regard exaspéré de Max, et lui dit au revoir. Dans la boutique, il récupéra deux bouquets de fleurs différents qu'il avait commandé. Il en donna un à Max et la saisit par la main. Ils commencèrent à se diriger vers la forêt et Max stoppa net.

_ Alec, s'il te plaît, fit-elle. Je ne suis pas sûre de pouvoir y retourner.

_ C'est important, Max. Il faut lui dire adieu comme il faut. Pas en tant que soldat, mais en tant que frère.

Max se mordit les lèvres. Il avait raison bien sûr, mais c'était si dur.

_ Ne t'inquiètes pas. Je resterai avec toi aussi longtemps que tu en auras besoin. Je ne te lâcherai pas.

Elle leva les yeux et rencontra ceux d'Alec. Les mêmes que Ben et pourtant si différents. Elle hocha la tête sans un mot et laissa Alec la guider. Sur le trajet, il lui expliqua la signification des fleurs des leurs bouquets respectifs. Elle n'aurait pas pu mieux décrire ses propres sentiments envers son frère.

o0o0oOo0o0o

Lorsqu'ils arrivèrent à la clairière, elle fut surprise d'y voir le père Destry. Une étole violette sur les épaules, il se tenait près de l'endroit où Ben était mort. Devant lui, au sol, une stèle de marbre était posée sur laquelle était gravé "Ici est tombé Ben. Frère bien-aimé". Max leva les yeux vers Alec qui lui répondit avec un sourire tendre. La stèle était entourée de cierges. Une image joliment encadrée de la Dame en bleu était là aussi. Alec et elle se mirent au pied de la stèle toujours main dans la main.

Le père Destry commença alors une longue prière pour le défunt Ben et demanda à la Sainte Vierge de protéger et aimer son âme pour l'éternité. Max n'y connaissait rien en prière, mais ce qu'elle entendit l'émue au plus haut point. Ben aurait sans aucun doute été heureux d'entendre ces mots.

La main d'Alec la fit avancer d'un pas. Elle déposa son bouquet de fleurs au pied de la stèle. Alec fit de même. Alors qu'il se relevait, Max tendit la main vers lui et il la saisit sans hésitation, entremêlant leurs doigts. Tandis qu'elle restait les yeux fixés sur la tombe de Ben, elle entendit le père Destry faire une dernière bénédiction. Ensuite, elle l'entendit vaguement échanger quelques mots avec Alec avant de partir. Alec passa alors dans son dos et l'enlaça. Elle leva les mains pour agripper les bras du jeune homme. En silence, ils faisaient leurs derniers adieux.

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Elle ne sut dire combien de temps passa. À un moment, une mésange buissonnière passa au-dessus de leurs têtes en chantant. Ils levèrent les yeux simultanément vers elle. Max était heureuse.

_ Ben sera bien ici, dit-elle.

_ Oui, je le pense aussi, lui répondit Alec.

_ Il a toujours aimé les oiseaux. Il les enviait pour leur liberté.

_ Je sais, chuchota Alec.

_ L'endroit est très beau comme ça.

_ Ben avait parlé au père Destry avant de le kidnapper. C'est à lui que revient le mérite de tout ça, dit Alec.

_ Mais, c'était ton idée, dit Max.

_ Même pas.

Max se détacha un moment pour pouvoir se tourner vers Alec et l'interroger du regard.

_ Lydecker a dit qu'il fallait faire le deuil et lui dire adieu comme des ordinaires.

_ Tu as parlé à Lydecker ?

_ Je ne savais pas quoi faire, s'excusa Alec. J'ai cherché des solutions pour te venir en aide et t'apaiser. Tu es fâchée ?

_ Non. Juste surprise. C'est… c'était une bonne idée. Comment as-tu convaincu Destry ?

_ Je ne l'ai pas fait non plus. Il priait déjà pour l'âme égarée de Ben. Quand je lui ai proposé de faire une cérémonie, il avait accepté avant que je ne finisse ma phrase. Je n'ai été que le porte-monnaie.

_ Destry a demandé de l'argent ? s'étonna Max.

_ Bien sûr que non. Je n'ai payé que les bouquets et la stèle. Destry a refusé un don financier pour la paroisse. Il veut que le don, quel qu'il soit, vienne spontanément, sans sentiment de gratitude lié à la cérémonie. Il m'a dit de revenir le voir un jour. Il est disponible si on a besoin de parler.

_ C'est un homme bien.

_ Quand je dis "on", je veux dire Terminal City. Il a compris qui nous étions.

_ Et ?

_ Il priait déjà pour nous autres, pauvres créatures. Un autre défenseur de la cause transgénique.

_ En tout cas, merci Alec.

_ Je te l'ai dit, je n'ai rien fait.

_ Si, au contraire. Tu as été le lien entre tous les éléments. Sans toi, rien n'aurait été possible.

_ Ne me donne pas un si bon rôle, Maxie. Je pourrais y croire.

_ Et, tu devrais y croire. Tu es quelqu'un de bien.

Alec jouait les prétentieux dans plusieurs domaines, mais au fond, il n'avait pas une bonne opinion de lui-même. Elle serait celle qui le lui rappellerait.

_ Comment tu sens-tu ? Demanda-t-il.

_ Apaisée. Plus légère.

Elle se tourna et regarda la tombe fleurie. Elle sourit. Elle se sentait bien pour Ben et bien pour elle.

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Ils passèrent le reste de la journée à se balader en ville en discutant de tout et de rien. Ils s'arrêtèrent à l'appartement de Max et Original Cindy dans le Secteur 5. Max tint à offrir à Alec le médaillon en or de la Sainte Vierge, qu'elle avait récupéré dans les bois, que Ben avait donné à une de ses victimes. Elle avait caché l'objet pendant longtemps. Ce soir-là, elle choisit de l'offrir à Alec en guise de cadeau d'anniversaire. Il l'accepta après lui avoir demandé si elle était sûre de vouloir s'en séparer et le mit à l'abri dans son portefeuille.


Seattle, Terminal City, appartement de Max et d'Alec, lundi 7 mars 2022, fin de soirée


MAX

De retour à Terminal City, ils mangèrent en regardant un vieux film de guerre si peu crédible pour des soldats que cela devenait une comédie. Lorsqu'Alec alla se coucher, elle le suivit dans la chambre, même si elle se sentait bien. Alors qu'elle ouvrait les draps du côté droit du lit, Alec hésita à lui demander quelque chose, puis se ravisa.

Elle prit le bras du X5 pour s'enrouler dedans, dos à Alec. Elle était bien, mais là, dans les bras du jeune homme, elle était mieux. Au bout de plusieurs minutes, elle commença à s'endormir. La journée avait été riche en émotion et donc épuisante.

Puis, elle nota que la respiration d'Alec n'avait pas ralenti.

_ Tu ne t'endors pas ? Marmonna-t-elle.

_ Non, je réfléchis.

_ Je peux t'aider ?

_ Non, dit-il simplement. Endors-toi.

_ Dis-moi… fit-elle alors que le sommeil prenait le dessus sur elle.

_ Tu as revu Logan récemment ?

_ Non.

_ Tu devrais aller le voir.

_ Il a été méchant…

_ Je sais. Mais, il s'inquiétait aussi. Tu pourrais y aller demain peut-être ?

_ Je ne sais pas si j'en ai envie.

_ Tu le pardonneras. Tu l'aimes, non ?

Max ne sut pas ce qu'elle répondit ou même si elle avait répondu car le sommeil gagna la bataille.


Seattle, sortie arrière du Crash, samedi 12 mars 2022, 1h54 du matin.


MAX

Max sortait du Crash avec Original Cindy. Sketchy avait passé la soirée avec Nathalie et Alec était sorti avant elles.

La nuit du mardi au mercredi, Alec n'était pas rentré à l'appartement. Max l'avait attendue toute la nuit. Le mercredi, à Jam Pony, elle lui était tombée dessus en criant : elle avait cru qu'il lui était arrivé un accident. En réalité, il avait été avec une fille. Son excuse pour ne pas avoir appelé était qu'il aurait été contre-productif, au stade où il en était, d'appeler une femme tout en étant en compagnie d'une autre femme, qui plus est chaude comme la braise. Elle s'était époumonée sur lui. Il avait juste dit : « Tu vas mieux puisque tu es redevenue une garce ». La remarque lui valut un coup de poing dans l'estomac.

La nuit suivante, il ne rentra pas non plus. Après plusieurs jours à dormir dans ses bras, le sevrage avait été brutal. Même si elle ne dormait pas autant que lui, elle avait appris à apprécier l'entendre dormir. Il n'en semblait plus se préoccuper d'elle. Lorsqu'elle lui demanda quand il comptait revenir, il avait juste haussé les épaules.

La nuit d'après, Max n'attendit pas, elle alla se coucher et s'endormit dans le lit du X5. Il était rentré très tard ou très tôt. Mais, il ne la rejoignit pas. Au réveil, elle l'avait trouvé assoupi sur le canapé. Elle avait été vexée qu'il préfère le canapé à son lit et à elle. Il récolta une baffe pour cela.

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Cette nuit-là, du vendredi au samedi, ils étaient sortis au Crash avec les copains. Alec lui avait à peine parlé depuis le lendemain de la cérémonie pour Ben. Au début, elle avait cru qu'il n'était pas bien. Mais, elle avait vite compris qu'il était en pleine forme. Il flirtait à tour de bras. Il draguait sans retenue. Il osait tout et n'avait peur de rien. Et, les filles cédaient toutes.

Le niveau de contrariété de Max n'avait fait qu'augmenter. Alors, lorsqu'elle l'aperçut dehors, une fille dans son bras gauche, en train de le tripoter, et une autre fille à droite, en train de l'emballer, elle l'aurait volontiers tué si Original Cindy ne l'avait pas retenue.

_ Chou, calmes-toi, lui dit-elle.

_ Me calmer ? Je suis calme. Tu l'as vu, ce cloporte libidineux ? Deux filles ! Il pourrait être décent quand-même !

_ On parle d'Alec. Ça, ça relève de la normalité venant de lui. Bien que c'était une bonne chose, c'était son comportement attentif et totalement dévoué envers toi qui était bizarre.

_ Je vais lui remixer la tête. On va voir si ces deux greluches veulent encore de lui après.

_ Max ! S'impatienta Cindy devant son amie qui ne l'écoutait pas.

_ Quoi ?

_ Tu ne peux pas aller lui faire une crise de jalousie.

_ Je ne suis pas jalouse. C'est une question de moralité.

Original Cindy soupira.

_ Tu ne peux pas pour autant.

_ Et, pourquoi pas ? Demanda Max.

_ Il n'est pas à toi. Tu n'as pas le droit du lui imposer une conduite à tenir. Surtout sans contreparties.

_ De quoi tu parles, enfin ?

_ Écoutes-moi, mon petit chou. Original Cindy sait que tu es fâchée contre lui parce qu'il ne dort plus avec toi. Mais, tu ne peux pas attendre, de lui, qu'il soit là toutes les nuits pour te serrer dans ses bras, qu'il soit à toi de façon exclusive, surtout sans retour de ta part.

_ Cindy, arrêtes de tourner autour du pot et dis-moi sans détour ce que tu veux me dire, dit Max.

_ Je veux dire que, à moins de lui offrir tes faveurs, tu ne peux pas lui demander de t'offrir ses bras.

Max hoqueta de surprise. Être avec Alec ? Non, c'était trop bizarre à imaginer. En même temps, ce n'était pas désagréable à imaginer. Max s'agaça de sa pensée.

« Voilà ! C'est lui qui me fait penser comme ça ! Ce type est contagieux ! ».

Sans écouter les suppliques de sa meilleure amie, elle se dirigea vers le trio pour dégager les deux filles, en tenues légères, mais qui devait avoir plus de vêtements sur elles que de cervelles dans la tête, et gueuler un bon coup sur Alec.


à suivre


Pour la date d'anniversaire d'Alec, je me suis inspirée de celle de Jensen Ackles, le premier mars 1978