LES MONTROSE

Contenu sexuel non explicite dans ce chapitre.


Seattle, appartement de Logan Cale, vendredi 29 avril 2022, aux alentours de midi


LOGAN

_ Pourquoi on est là ? Demanda Alec.

_ Pour la mission au gala de charité de la Fondation de la Grandeur Américaine, répondit Max.

_ C'est pas Syl et Krit qui doivent s'en occuper ?

Max poussa un long soupir.

_ Est-ce que tu as écouté ce que je t'ai dit ce matin, devant les casiers de Jam Pony ? Fit Max.

_ Tu veux dire au moment où tu t'es plantée devant moi, les mains sur les hanches, avec ton regard de dominatrice sadique, et que tu m'as parlé avec le ton d'un dictateur du troisième Reich ?

Max commença à trembler de fureur.

_ Je suis allergique à ce genre d'entrée en matière, reprit Alec.

Max envoya à Alec un violent coup de poing dans le ventre. Alec s'écroula au sol.

_ Je me meurs ! Fit-il. Je suis en train de voir toute ma vie défiler devant moi… dit-il sur un ton dramatique.

_ Espèce d'imbécile de crétin de dégénéré basique et primaire ! Cria Max.

Max essaya de se jeter sur le X5 en pleine simulation d'agonie, mais il se releva dans un mouvement souple et esquiva un second coup de la jeune femme en riant. Logan soupira. Ces deux-là ne changeraient jamais. Il finit par se racler la gorge pour leur rappeler qu'il était là. Ils se tournèrent vers lui. Ils avaient l'air de l'avoir effectivement oublié…

_ Alec, commença Logan, pendant leur dernière mission de reconnaissance, Syl et Krit ont été repérés par le chef de l'organisation et de la sécurité du gala. Leur couverture est donc compromise. Il faut que Max et toi les remplaciez.

Alec fit une grimace.

_ Alec, dit Max, l'air de rien, c'est important.

_ Pardon de ne pas sauter de joie de devoir annuler ma soirée du vendredi soir, parce que le monde du Veilleur, des veuves larmoyantes, des orphelins unijambistes et des chiots abandonnés, s'écroule… Quoique, les veuves larmoyantes, ça pourrait…

Il ne termina pas sa phrase car Max venait de lui envoyer un nouveau coup de poing. Logan décida de continuer : s'il devait s'arrêter à chaque fois que les deux X5 se chamaillaient, il serait encore là l'année prochaine.

_ Vous allez devoir vous faire passer pour un jeune couple de la haute société, expliqua Logan.

_ Un jeune couple ? Demanda Alec. Ça veut dire qu'il va falloir se montrer démonstratif ? Ajouta-t-il en regardant Max.

_ J'ignorais que tu avais des pulsions suicidaires, répondit Max.

_ Pour toi, chaton… fit-il d'une voix mielleuse.

La bagarre recommença et Logan continua :

_ Vous allez être William Montrose et son épouse.

_ Comme les Montrose du Texas ? Demanda subitement Alec.

Étonné, Logan leva les yeux vers le jeune homme devenu sérieux. Pour répondre à Alec, il hocha la tête. Max les dévisagea avec stupeur.

_ Quoi ? Demanda Alec.

_ Nous allons prendre l'identité de personnes réelles ? Demanda Max à Logan.

_ Will Montrose existe bel et bien, mais il n'est pas marié, répondit Logan.

_ N'est-ce pas dangereux de prendre l'identité d'un membre de la haute société ? Demanda-t-elle.

_ Monsieur et Madame Montrose sont en France, pour affaire. Leur fille fait du bénévolat en Afrique. Leur fils fait une croisière en charmante compagnie, répondit-il.

_ Comme toi, le jour de l'Impulsion, commenta Max.

Pourquoi Max lui reparlait-elle de cela ? Et pourquoi son ton était à la limite du reproche ?

_ Ouh ! Fit Alec. C'est quoi l'histoire ?

Logan se racla la gorge.

_ Peu importe, dit-il pour revenir au sujet principal. Syl devait jouer le rôle de la fille Montrose, tandis que Krit aurait été son époux, ayant opté pour le nom de famille de son épouse, pour garantir d'héritage familial. La bonne nouvelle est que la fausse invitation pour le gala était au nom de Monsieur et Madame Montrose. Les prénoms n'ont jamais été mentionnés. On peut donc troquer un couple Montrose contre un autre. C'est pourquoi les Montrose sont une excellente couverture.

_ C'est quoi leur histoire ? Demanda Max.

_ Les Montrose sont supers riches, mais ils ne fréquentent pas la haute société américaine. Ils font figure d'outsider. Presque personnes ne les a vus. Leurs visages ne sont pas connus, répondit Logan.

_ Comment ça se fait ? Demanda-t-elle.

_ En fait, Montrose père est une pièce rapportée. Il était le secrétaire particulier du père de Madame Montrose, Monsieur Powell, dit Alec. Lorsque Powell et son épouse périrent dans un accident d'hélicoptère, toute leur fortune fut héritée par leur fille. Mais Powell senior, le grand-père de Madame Montrose, était toujours à la tête du conseil d'administration de la société familiale. Lorsque Mademoiselle Powell jeta son dévolu sur le secrétaire de son père, Powell senior s'y opposa fermement car il ne voulait pas que sa petite-fille épouse un roturier et menaça de dissoudre la société. Powell senior mourut d'une crise cardiaque deux semaines avant les fiançailles officielles de sa petite-fille. Elle choisit de prendre le nom de son époux, abandonnant son nom et celui de la société familiale, ce qui fit scandale. Monsieur Montrose souhaita prouver qu'il était digne et travailla d'arrache-pied sans s'occuper des mondanités. Les hommes de la haute société américaine le voient comme un étranger à leur cercle. Madame Montrose en a vite eu assez des cancans des épouses bien pensantes. Ils n'ont pas d'ami dans les hautes sphères américaines. Ils travaillent surtout à l'exportation. La majorité de leurs relations sont en Europe. Leur fils et leur fille ont fait leurs études à domicile et à l'étranger.

Logan et Max observèrent Alec avec étonnement.

_ Et bien… commença Logan, je n'aurais pas mieux expliqué.

_ Comment tu sais tout ça ? Demanda Max à Alec.

_ En 2013, l'ancienne gouvernante, et maîtresse de Powell senior, accusa les Montrose d'avoir assassiné Powell senior. La polémique fit rage et les investissements en Europe furent menacés. L'ancienne gouvernante a trouvé la mort, dans la même année, dans l'incendie de son établissement pour enfants surdoués. Les secours ont tardé à arriver. En faisant le compte, elle constata qu'un de ses protégés manquait à l'appel. Elle décida de retourner dans le bâtiment en feu pour sauver l'enfant. Son corps fut retrouvé dans les décombres. L'autopsie révéla qu'elle était morte asphyxiée par les fumées avant d'être brûlée. L'enquête expliqua qu'elle avait reçu un coup sur la tête, qui lui a fit perdre connaissance, qui venait d'un élément du plafond qui s'était détaché. L'enfant a été retrouvé sain et sauf dans l'arrière-cour. Il avait sauté par l'une de fenêtre du bâtiment et avait atterri sans une égratignure dans un arbre. Les enfants de l'établissement furent séparés, placés ou adoptés. Faute de témoin à charge, l'enquête contre les Montrose fut classée sans suite. Les affaires européennes reprirent.

_ C'était toi ? Demanda Max à Alec. L'enfant ?

_ Tu as besoin que je te rappelle quel est mon métier de base ? Plusieurs des soutiens financiers privés de Manticore venaient d'Europe… répondit-il simplement.

_ Arme contondante en vérité ?

_ Non, c'était bien un morceau du plafond… je l'ai juste aidé à atterrir sur son crâne.

Logan n'en croyait pas ses oreilles. Il avait enquêté sur cette affaire, sans résultat. Le timing de la mort de l'ancienne gouvernante était trop suspect pour paraître naturel. Mais, elle était retournée dans le bâtiment de son propre chef, personne ne l'y avait contrainte, et les causes du décès étaient naturels aussi. Même le retard des secours s'expliquait par la présence de travaux et d'embouteillage sur leur trajet. En dehors du timing, tout avait été normal. Sauf qu'à présent, il savait qu'un X5, un assassin de Manticore avait été sur place. Un adolescent, de quatorze ans, déjà capable de tuer de sang-froid à cet âge. Et, maintenant, il avait la version adulte sous les yeux, qui racontait cette histoire avec un détachement effrayant, comme s'il racontait une anecdote qui lui serait arrivée en allant faire ses courses.

Sous ses airs de dragueur et de joyeux insouciant, Logan avait oublié qu'Alec était avant tout un tueur professionnel. Il se demanda combien de personnes étaient mortes sous ses mains.


Seattle, Terminal City, appartement de Max et Alec, vendredi 29 avril 2022, 16h30


ORIGINAL CINDY

Original Cindy et Max avaient travaillé dur pour réussir à obtenir, de Normal, de finir plus tôt ce vendredi après-midi. L'ordinaire avait été particulièrement récalcitrant : ça lui faisait trois coursiers en moins. Alec n'avait pas pris la peine de revenir à Jam Pony après le point avec Logan et la pause déjeuner. Elles se dirigeaient tranquillement vers l'appartement de Max et d'Alec. Max avait demandé à Cindy de l'aider à se préparer et se coiffer. Elle adorait rendre sa Boo toute jolie.

_ Comment comptes-tu t'habiller ? Demanda la jeune femme noire.

_ Je pensais remettre la robe que j'avais portée pour le mariage du cousin de Logan. Elle est nickel et je ne l'ai portée qu'une seule fois. C'est l'occasion parfaite.

_ Tout à fait d'accord, chou. Elle t'allait à la perfection.

En entrant dans la chambre de Max, elles découvrirent plusieurs paquets sur son lit. Il y avait une sublime paire d'escarpins argentés et une pochette, en cuir, raffinée, assortie ; un châle en soie d'un gris brillant comme un clair de lune, une paire de boucles d'oreille pendantes en argent avec un motif géométrique. Le certificat d'authentification, sans le prix, prouvait que la paire de boucles d'oreille était un vrai bijou. Tout ça avait dû coûter cher : au moins deux milles dollars pour les boucles, et, au moins trois mille dollars pour le reste.

Mais, la merveille parmi les merveilles était la robe de soirée noire. C'était une robe longue, à dos nu, moulante et évasée en bas. Le tissu était léger et d'une douceur infinie. Les manches longues se terminaient avec des broderies aux reflets d'argent, qui cacheraient parfaitement l'horrible petit bracelet tissé autour du poignet gauche de Max. Les deux jeunes femmes restèrent, pendant un long moment, figées devant tant de beauté. Reprenant la couleur et l'éclat des cheveux de la jeune transgénique, on aurait pu dire que cette robe avait été faite pour elle.

Après une douche rapide, Original Cindy fit les ongles de sa meilleure amie. Elle lui posa un vernis transparent, mais brillant. Avec ce qu'elle allait porter, il valait mieux rester neutre sur ce terrain. De même, pour le maquillage, il fallait rester sobre : du mascara pour rehausser la longueur de ses cils et un brillant à lèvre pour les faire ressortir.

Lorsque Max passa enfin la robe, ce fut comme si cette dernière épousait parfaitement chacune des courbes de son corps. Original Cindy entreprit de faire une coiffure simple, mais efficace. Elle lui dégagea le visage et ramena ses cheveux en arrière pour qu'ils puissent tomber en vaguelettes ondulées dans son dos nu.

Original Cindy venait de créer une œuvre d'art : Max semblait sortir tout droit d'un magazine de mode de luxe.

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Max s'enveloppa dans son châle et elles sortirent de l'appartement pour rejoindre, comme prévu, Alec dans la cour de Terminal City. Krit devait leur trouver une voiture de luxe. Dehors, une foule était attroupée. Le rugissement d'un moteur se fit entendre. La bouche de Max s'arrondit. Même avec une jolie tenue, sa Boo restait elle-même : une passionnée de mécanique.

Elles se frayèrent un chemin parmi les transgéniques pour trouver Alec au volant d'une Lamborghini Gallardo noire. Krit, penché à la fenêtre côté conducteur, discutait vivement avec Alec.

_ Je crois que je suis amoureux, dit Alec en faisant rugir le moteur.

_ M'en parles pas, répondit Krit. Il va falloir que je me fasse violence pour ne pas retourner la voir après l'avoir rendue.

Original Cindy vit Max s'asseoir sur le siège passager et caresser avec délice l'intérieur cuir de la voiture avec un grand sourire.

_ Moi aussi, je suis amoureuse !

_ Tu ferais des infidélités à ta Ninja ? Demanda la jeune femme noire, alors qu'Alec et Krit riaient.

_ Ma moto est une extension de mon âme. Je ne peux pas être infidèle envers moi-même…

_ Une femme selon mon cœur, commenta Alec en faisant gronder le moteur.

Les trois transgéniques rirent à nouveau.

Après avoir enfilé de fausses alliances tendues par Krit, Alec et Max partirent pour leur soirée qui commençait visiblement bien. Sur le trajet en moto, pendant que Krit la raccompagnait au Secteur 5, Original Cindy repensa au dernier commentaire d'Alec et se demanda s'il parlait bien de la voiture ou de quelqu'un d'autre…


Seattle, Hôtel Des Saisons, vendredi 29 avril 2022, 18h30


MAX

Lorsque Max et Alec arrivèrent au gala de charité, elle n'en croyait pas ses yeux. Elle vivait à Seattle depuis plusieurs années à présent. Elle était passée un millier de fois devant cet immeuble avec vue sur la baie, mais, ce soir-là, elle ne le reconnut pas. L'endroit brillait sous les lumières artificielles. Les voitures de luxe se succédaient. Une foule de couple, plus élégants les uns que les autres, entraient en marchant sur un tapis rouge digne d'un roi. Un faste tel qu'on aurait pu croire que l'Impulsion n'avait jamais eu lieu.

Lorsqu'elle s'était préparée, elle avait cru que sa tenue serait peut-être trop voyante. La vérité était que sa robe de Raphaël Banks, celle du mariage de Bennett, n'aurait jamais été assez classe pour un tel événement. La tenue, qu'elle portait maintenant, était parfaite pour l'occasion.

À l'entrée, Alec confia réellement à contrecœur les clés de "l'amour de sa vie" au personnel de l'hôtel contre un badge numéroté. On prit leurs (faux) noms et on les invita à prendre la pose pour une photographie devant un fond promotionnel de la fondation. Max ôta son châle. Le photographe eut un moment d'égarement. Alec la guida sur la petite estrade et se plaça à sa gauche, la main droite au creux de ses reins.

_ Il y a donc une femme sous cette cuirasse impénétrable de soldat transgénique, dit-il si bas que seul une ouïe génétiquement améliorée pouvait capter ses mots.

Max gloussa.

_ De ton côté, répondit-elle, tu aurais pu faire un effort avant de venir.

Alec ria.

_ Juste de vieilles fripes trouvées dans un placard au hasard, dit-il.

Max ria doucement. Il portait un smoking flambant neuf, probablement volé, et parfaitement ajusté.

_ Tu es très élégant, avoua-t-elle, en repositionnant son nœud papillon.

_ Tu es magnifique, répondit-il, la faisant rougir.

On les guida jusqu'à une grande salle de réception. C'était vraiment un autre monde : le plafond, à des mètres de haut, était surmonté par une verrière. Le ciel était dégagé et elle pouvait voir les étoiles. Ils avancèrent vers leur destination, après avoir consulter le plan de tables, mais se figèrent tous les deux après que Max eut été interpelée.

_ Max ! Répéta la voix derrière.

_ Max, murmura Alec, c'est quoi cette connerie ?

Ils se retournèrent pour tomber nez-à-nez avec Margot Cale.

_ Max ! Ça alors ! S'exclama Margot.

_ Ah… fit nerveusement Max, tan… Margot ! Quelle surprise de vous voir ici.

_ Ma chère, le plaisir est pour moi. J'embrasse votre joli minois, dit Margot en l'embrassant sur les joues. Qui est donc le très bel homme dont vous êtes au bras ?

_ Son époux, répondit Alec. Absolument ravi, ajouta-t-il en faisant un baise-main à Margot, qui soupira de désir.

« Alec et son effet ravageur chez les femmes… » pensa-t-elle.

Et puis, elle se ressaisit pour faire les présentations.

_ Euh… commença Max.

« Mince, c'est quoi son nom déjà ? » pensa Max. Elle était totalement paniquée.

_ Chéri, reprit-elle, laisses-moi te présenter Margot Cale.

_ Margot Anderson, corrigea Margot. J'étais veuve. Je me suis remariée il y a un mois. Je rentre tout juste de voyage de noce aux Seychelles.

_ Cela se voit, vous êtes resplendissante, dit Alec. Nous sommes allés aux Baléares de notre côté.

_ C'est tout à fait charmant, commenta Margot.

Alec lui lança un regard en coin qui voulait dire : "Expliques-toi, bon sang !". Max toussota et reprit la parole.

_ Margot est la veuve de Jonas Cale, l'oncle de Logan.

_ Ah… fit Alec.

_ Vous connaissez mon neveu ? Demanda Margot à Alec.

_ Mal, je dois dire. Nous ne nous fréquentons pas : nous n'avons pas les mêmes centres d'intérêts.

_ En dehors des femmes, commenta Margot.

_ Et bien… commença Max avec un sourire crispé.

_ Je vous taquine, ma chère ! J'ai moi-même échangé un Cale contre un autre homme, dit Margot en détaillant Alec. Et, vous n'avez pas perdu au change… ajouta-t-elle en détaillant Alec.

_ Merci, dit-il. De mon côté, je viens de résoudre un mystère.

_ Vraiment ? s'étonna Margot.

_ Oui, répondit Alec. Je comprends enfin les goûts de Logan. À force de vivre sous l'influence d'une si charmante tante, il ne pouvait apprécier que des créatures raffinées.

_ Flatteur, répondit-elle en posant la main sur son bras.

« Toujours Alec et son effet ravageur… » pensa-t-elle.

_ Si vous voulez bien nous excuser, dit Alec, je voudrais aller saluer une connaissance. Et, je ne voudrais pas priver plus longtemps votre mari de votre agréable compagnie.

_ Naturellement. Nous devrions nous revoir tous les quatre. Autour d'une croisière, peut-être ?

_ Je brûle d'envie d'y être, répondit-il d'une voix sensuelle.

Margot fit un soupir à mi-chemin entre l'envie et l'extase en regardant Alec en mode charme-puissance-mille. Alec fit demi-tour en entraînant Max à son bras.

_ Rappelles-moi de pulvériser Logan pour avoir oublié de vérifier la liste des invités, dit Max.

_ Elle a l'air d'être un sacré phénomène.

_ Tu n'as pas idée. Mais, on a un problème.

_ Lequel ?

_ Elle va revenir à la charge.

_ Comme elle n'est pas à notre table, tu devras faire l'effort de lui rendre visite à la sienne.

_ Oui, concéda-t-elle. Si non, elle va venir à la nôtre et casser notre couverture.

_ Tu te débrouilleras très bien, dit Alec.

_ Parce que tu ne viendras pas avec moi ?

_ J'ai ma propre bombe à désamorcer, répondit-il.

_ De quoi tu parles ?

_ Tu vois la femme à la robe chartreuse, à onze heures, qui se dirige d'un pas franc vers nous ?

_ Oui.

_ J'ai couché avec elle.

_ Tu plaisantes ?

_ Non, répondit-il.

Max le dévisagea. De tous les plans cul qu'il avait eu, il fallait que des retrouvailles aient lieu ce soir-là.

_ Expliques-toi, ordonna Max alors que la femme se rapprochait toujours plus.

_ Tu te rappelles de la femme mariée et puits de sciences dont je t'ai parlé à la Saint-Valentin ?

La femme à la robe verte était grande. Ses cheveux châtains étaient coiffés avec sophistication. Son nez, ses lèvres et, sans aucun doute, ses seins avaient été refaits à neuf. Elle fréquentait trop souvent les centres de bronzage. Elle affichait une quantité de bijoux tellement importante qu'elle en était ridicule. En comparaison, Max était ravie du minimalisme de sa tenue.

La femme arriva à leur niveau et s'adressa à Alec sans accorder un regard à Max, qui était pourtant à son bras.

_ Ça alors ! Quelle coïncidence de vous trouver ici, mon cher.

_ Coïncide ou pas… tout dépend du point de vue, répliqua-t-il avec un sourire charmeur.

« Non, mais ! En plus, tu flirtes ouvertement avec elle alors que je suis là ? Tu dois faire semblant d'être marié, crétin ! » pensa Max.

_ Suzanne Callaway, fit-il à l'attention de Max. Madame Callaway, voici mon épouse, Coralie Montrose.

Madame Callaway regarda Max de bas en haut avec dégoût. Un cafard lui aurait fait autant d'effet. Quoique… un cafard aurait pu lui faire peur. Aux yeux de Madame Callaway, Max savait qu'elle était une sous-merde. Elle ne prit pas la peine de répondre à son signe de tête et elle reporta son attention sur Alec.

_ Cela faisait un moment que j'espérais avoir de vos nouvelles, dit-elle en passant ostensiblement les doigts le long du pli de la veste de smoking d'Alec.

_ J'ai eu à faire, répondit simplement Alec.

Ils furent rejoints par un homme chauve, au ventre pro-imminent, en smoking couleur pervenche.

_ Chérie, qui sont ces jeunes gens ?

_ William Montrose, répondit Alec en tendant la main. Et, voici mon épouse, Coralie.

_ Enchanté, dit joyeusement l'homme. Rowan Callaway.

Monsieur Callaway avait l'air aussi sympathique que sa femme avait l'air désagréable.

_ Des Montrose. Quelle surprise ! J'ai longtemps cru à un mythe, dit Monsieur Callaway.

_ Une malédiction familiale nous oblige à nous montrer en public une fois tous les trente ans, répondit Alec avec le plus grand sérieux.

Monsieur Callaway explosa de rire.

_ De l'humour ! Excellent, fit Monsieur Callaway, pendant que sa femme détournait le regard de son mari tonitruant. Pourquoi m'as-tu caché l'existence de ce jeune homme ? Demanda Callaway à son épouse.

_ Monsieur… commença Alec.

_ Rowan, corrigea Callaway.

_ Si vous m'appelez Will, répondit Alec.

Callaway ria à nouveau fortement et serra encore la main d'Alec.

_ J'adore ce garçon !

_ Comme je m'apprêtais à le dire, reprit Alec, j'ai eu l'immense honneur de rencontrer votre femme lors du cotillon de votre fille. J'étais le cavalier d'une de ses demoiselles.

_ Noble geste, noble geste… Ah ! Phil ! S'exclama Callaway en s'adressant à un homme à l'autre bout de la salle. Excusez-nous, les enfants. Viens, Suzy chérie, allons voir Phil.

_ Vous avez intérêt à venir bavarder avec moi ce soir, fit Madame Callaway à l'attention d'Alec.

Les Callaway s'éloignèrent. Max poussa un soupir de soulagement pendant qu'Alec essayait de réprimer un fou rire.

_ On peut savoir ce que tu trouves drôle ? Demanda Max, à bout de nerf.

_ Rowan, répondit-il.

_ Pourquoi lui as-tu donné nos noms d'emprunt ?

_ Autant qu'ils servent.

_ Tu n'avais pas donné ton nom à "Suzy chérie", à votre rencontre ?

_ Elle s'est présentée, mais elle n'attendait pas de moi que je parle. Je ne lui ai pas donné de nom et elle ne m'en a pas demandé.

_ Il faut qu'on parte. C'est trop dangereux, fit Max.

_ Non, tout va bien. Ça nous rend plus crédible.

_ En quoi ?

_ Ça montre que, tout Montrose inaccessible qu'on soit, on a des relations en dehors de notre tablée et qu'on est de "leur" monde.

Max soupira. Cette soirée avait si bien commencé. À présent, les complications s'accumulaient.

_ Pendant la soirée, j'irais voir Suzanne et tu iras voir Margot pour papoter avec elle.

_ Et, je dis quoi ? Demanda Max en grimaçant.

_ Tu parles de sujets sans importance, comme tu le faisais avant avec elle.

_ Je ne lui ai parlé que deux fois, ce soir compris.

_ C'est facile, dit Alec. Tu lui parles de la pluie de Seattle au lieu du soleil des Seychelles et des Baléares, que les réceptions privées présentent plus d'agrément que les réceptions officielles… On s'en fiche. Mais, ne lui dit surtout pas nos noms d'emprunt, ni mon vrai nom d'ailleurs.

_ Je ne suis pas idiote.

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Max et Alec trouvèrent enfin leur table. Ils étaient avec deux autres couples, qui se connaissaient déjà. Alec entra sans difficulté dans la conversation de ces messieurs. Max essaya de s'intégrer à la conversation des deux femmes, sans succès. Elles observaient chaque nouvel arrivant en critiquant les tenues et en échangeant des ragots sur telle ou telle personne. C'était horripilant.

Alec était incroyable. Il était parfait dans son rôle. Il avait l'air d'avoir fait ça toute sa vie. Il raconta leur "histoire" avec tellement de facilité, que Max elle-même aurait pu croire que c'était vrai : ils se connaissaient depuis le collège, ils s'étaient mariés à la fin du lycée, à présent ses parents le laissaient faire des études pour ajouter quelques notions théoriques aux enseignements de son père, avant de venir travailler dans l'entreprise familiale avec lui.

Max se sentait absolument inutile. Même lorsqu'elle essaya de participer à la conversation des hommes, elle se rendit compte qu'elle ignorait tout de l'investissement, des plus-values, de l'étude des budgets ou de l'extrapolation des bénéfices sur une décennie… contrairement à Alec.

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Pour un dîner spectacle, le show était d'une nullité sans nom. Les comiques étaient d'un humour douteux, et les acrobates ou autres danseurs n'avaient rien d'exceptionnel. Heureusement, la nourriture était bonne, mais les portions gastronomiques étaient ridiculement petites.

Après le plat principal, Alec se leva de table pour suivre ses deux nouveaux amis pour rencontrer d'autres membres de leur groupe de personnes indécemment riches, dont l'un de leur objectif dont ils devaient récupérer les données biométriques. Max initia un mouvement pour les suivre, mais Alec lui envoya un regard pour lui rappeler que, dans ce monde, les hommes parlaient affaires et que les femmes étaient là juste pour faire joli. Max dut se résigner.

_ Petite Madame Montrose, fit l'une de ses compagnes de table une fois qu'il ne restait plus que les dames à table, dont elle avait oublié le nom.

Max lui répondit avec un sourire, qu'elle espérait, pas trop forcé.

_ Dites-nous tout… continua la femme en rose.

Max les regarda sans savoir quoi dire. Les deux femmes gloussèrent.

_ Comment avez-vous mis la main sur un spécimen Montrose ? Demanda l'autre femme, en vert fluo.

_ Et, quel spécimen ! S'exclama la femme en rose.

_ C'est sûr qu'il a l'air d'être un bel étalon, dit la femme en vert fluo d'une voix pleine de sous-entendus.

« Voilà, je suis dans le monde des cancans. Je comprends pourquoi la vraie Madame Montrose a préféré mettre un océan entre elle et la haute société américaine. »

_ Gardez-le loin de Stéphanie, conseille la femme en rose.

_ Très loin même, ajouta la femme en vert.

_ Qui est Stéphanie ? Demanda timidement Max.

Les deux femmes gloussèrent à nouveau.

« Elles doivent être des transgéniques » pensa Max. « Moitié poule, moitié dinde ».

_ Regardez derrière vous… commença l'une.

_ La femme en rouge, termina l'autre.

Max se retourna et aperçut sans le moindre doute la fameuse Stéphanie. C'était une femme d'une trentaine d'année, probablement décolorée, aux formes généreuses. Elle était au milieu d'un groupe d'hommes qui bavaient devant elle.

_ C'est une professionnelle de la chasse à l'amant, commença l'une.

_ Et, une collectionneuse de maris décédés, continua l'autre.

_ Je croyais que seuls les couples mariés avaient été invités ce soir, dit Max.

_ Elle est mariée. Ne voyez-vous pas le vieil homme en fauteuil roulant avec une bouteille d'oxygène ? Gloussa l'une.

_ Elle les récupère en gériatrie et elle attend qu'ils partent pour s'enrichir, expliqua l'autre.

_ Ou, elle les tue…

_ C'est vrai qu'on ne peut pas savoir.

_ Elle n'est peut-être pas la plus influente, ici.

_ Mais, il est sans doute l'une des plus riches.

_ Mais, elle a besoin d'actions… de divertissements…

_ Alors, elle prend des amants plus jeunes et vigoureux. Elle aime aussi la nouveauté.

Les deux femmes gloussèrent encore.

_ Votre mari ferait sans doute parfaitement l'affaire, dit l'une.

_ Et, pas que pour Stéphanie, dit l'autre en se léchant les lèvres.

Et, elles gloussèrent encore une fois. Max soupira et leva les yeux au ciel. Elle envisageait sérieusement de leur tordre le cou pour voir si elles glousseraient encore après. Max repensa à "l'histoire" de son couple.

_ Mon mari n'est pas comme ça, dit-elle en se retournant vers les deux autres. Nous avons fait un mariage d'amour.

Max pensait que cela suffirait à les faire taire, mais elles gloussèrent pour la énième fois.

_ Comme ce fut le cas pour Stéphanie, commenta l'une.

_ Oui, elle aussi, elle a fait un mariage d'amour la première fois, fit l'autre.

_ Puis, elle est tombée enceinte. Son corps a changé.

_ Sa grossesse a été compliquée.

_ Son mari a eu besoin de se changer les idées.

_ Il y a eu d'abord les servantes.

_ Puis, les femmes mariées.

_ Elle a mis au monde un enfant mort-né.

_ Son mari a demandé le divorce pour ça.

_ Il l'a accusé d'avoir tué leur enfant.

_ La faute lui incombait.

_ Il est parti sans lui laisser un dollar.

_ C'est horrible ! dit Max.

_ Mais, elle avait noué des relations.

_ Elle s'est vite remariée.

_ Par chance, son second mari est mort tôt en lui laissant tout sa fortune.

_ Ça lui a donné des idées.

Puis, elles gloussèrent en cœur.

_ Mon mari n'est pas du tout comme ça, dit Max.

_ Vous verrez bien lorsque vous serez enceinte. Vous êtes jolie pour l'instant, mais ça ne durera pas.

_ Vous verrez bien lorsque les domestiques, que vous employez, deviendront toutes plus jeunes et plus jolies les unes que les autres… Tous les hommes font ça.

_ Oh ! Fit la femme en vert fluo. Ce n'est peut-être pas de Stéphanie qu'il faut vous méfiez.

_ Oui, commença la femme en rose. Suzanne a l'air d'avoir trouvé sa nouvelle proie.

Max suivit leurs regards pour apercevoir Alec, près du bar, en pleine discussion avec Suzanne Callaway. Elle la voyait se trémousser sensuellement devant lui. Lui, il regardait.

_ Mon mari la connaissait d'avant. Il faisait partie des cavaliers lorsque Mademoiselle Callaway a fait son entrée dans le monde, lors d'un cotillon, répondit Max en souvenant de ce qu'Alec lui avait raconté.

_ Intéressant… commença l'une.

_ Il paraît que quelqu'un l'a bien fait crier de plaisir ce soir-là… commenta l'autre.

_ Dans les toilettes de l'hôtel, reprit la première.

_ On sait que ce quelqu'un était jeune…

_ C'était peut-être votre mari…

Et, elles gloussèrent. Sauf que, cette fois, Max rougit : Alec lui avait raconté ce détail. Elles parlaient vraiment de lui, sans même le savoir.

Lassée par ses voisines, elle reporta son attention sur Alec et Madame Callaway. Suzanne se pencha sur Alec pour lui murmurer quelque chose à l'oreille. Elle vit un sourire se dessiner sur les lèvres du X5. Furtivement, pour une humaine, mais pas aux yeux d'une transgénique, la main de la femme alla caresser l'entrejambe du X5. Alec répondit quelque chose à Madame Callaway, puis ils se séparèrent. Max bouillonnait de rage. Elle avait envie d'arracher la tête de quelqu'un et d'éventrer quelqu'un d'autre. Elle ne savait pas encore à qui elle destinait quoi.

Max n'en pouvant plus, elle prétexta devoir aller voir une connaissance. Elle respira à fond avant d'aller se flageller en bavardages inutiles avec Margot, anciennement Cale, nouvellement Anderson.

o0o0oOo0o0o

Plusieurs minutes à parler avec Margot l'avaient épuisée. Elle regarda sa table. Les deux dindes y étaient toujours à échanger des messes-basses. Elle ne les entendait heureusement pas, mais elle les voyait glousser encore et toujours. Les hommes n'étaient pas revenus. Alec était dieu seul sait où. Elle choisit d'aller se rafraîchir aux toilettes avant d'endurer de nouveaux gloussements.

Dans le couloir, dès qu'elle ferma la porte donnant sur la salle de réception, Max fut soulagée d'être loin du brouhaha. La soirée allait encore durer. Elle n'avait rien réussi à obtenir de leurs objectifs.

Pour plusieurs futures missions du Veilleur, il leur fallait les données biométriques de l'administrateur financier de la Fondation, le passe magnétique du responsable de la sécurité, celui qui avait découvert Syl et Krit, et, si possible, une copie de tous les échanges de mails entre les deux hommes.

Alec avait dû rencontrer le premier. Elle espérait qu'il avait réussi à subtiliser le badge biométrique. Max n'avait pas aperçu le second depuis qu'ils étaient là. Quant à la copie des mails, il faudrait s'introduire dans un des bureaux. Faire semblant de s'être égarée aurait pu être une solution… si les bureaux n'avaient pas été trois étages au-dessus. Il faudrait un sacré alibi pour se retrouver là-haut. Elle avait besoin de faire le point avec son crétin de coéquipier, mais il était introuvable.

Perdue dans ses pensées, elle entra dans les toilettes. Elle se dirigea au fond, vers les lavabos. Elle posa sa pochette sur le bord de la vasque en marbre. Alors qu'elle allait ouvrir le robinet cuivré, elle se figea. Elle venait de remarquer une, non, deux respirations derrière elle. Sans un bruit, elle se retourna rapidement. Mais, elle ne voyait personne.

Soudain, un gémissement se fit entendre dans la cabine de toilette la plus proche de la sortie. Les respirations venaient de là. Des respirations étouffées, saccadées, rythmées… d'un couple en pleine fornication.

« J'hallucine ! Il y a vraiment des gens qui s'envoient en l'air dans les toilettes publiques des hôtels ! » pensa Max.

La femme gémit encore une fois. Max ne pouvait même pas se rafraîchir tranquillement. En voulant partir, elle manqua de faire tomber sa pochette. Avec ses réflexes transgéniques, elle la rattrapa juste avant qu'elle n'ait touché le sol. Elle n'avait pas envie qu'on sache qu'elle s'était trouvée dans les toilettes au même moment que le couple fornicateur. Les deux horribles femmes à sa table en feraient des gorges chaudes.

_ Oui ! Lâcha la femme.

Max, penchée en avant, la tête en bas après avoir rattrapé son sac, tourna la tête vers les cabines, dont la cloison ne commençait qu'à une trentaine de centimètres du sol. De là où elle était, elle aperçut les pieds du couple. La femme portait des talons aiguilles dorés. Derrière elle, il y avait l'homme dont le pantalon de smoking était autour des chevilles.

_ Oui ! Plus profond ! Cria la femme.

Dans son plaisir, la femme dut lâcher une partie de sa robe longue, qui apparut dans le champ de vision de Max. Un pan d'une robe verte, chartreuse, surchargée de motifs… Un pan de la robe… de Madame Callaway.

Max se redressa rapidement, les joues en feu. Alec était en train de faire son affaire à Madame Callaway, encore une fois dans les toilettes d'un hôtel… sauf que cette fois, Max était elle aussi dans lesdites toilettes. Elle était complément gênée. Il fallait qu'elle sorte de là. Mais, elle ne devait pas être repérée. Tout occupé qu'il fut, Alec risquait de se rendre compte de sa présence. Il avait probablement noté son arrivée. Elle lâcha un soupir sans s'en rendre compte. Heureusement, Madame Callaway lança un nouveau cri au même moment.

Max avança lentement et silencieusement vers la sortie. Plus elle s'en approchait, plus elle approchait aussi de la cabine. Elle regretta d'avoir une ouïe surdéveloppée, captant chacune des modulations de respiration, captant chaque choc du bassin d'Alec sur la croupe de Madame Callaway.

« Encore quelques pas » pensa-t-elle pour se motiver. « La sortie est proche. »

_ Oui ! Plus fort ! Cria Madame Callaway.

Alec s'exécuta. Il n'y avait plus besoin d'avoir une ouïe développée pour entendre les respirations saccadées et les bruits de peau contre peau. Max avançait toujours lentement et en silence. Madame Callaway criait à chaque coup de rein de son partenaire, cela aurait pu cacher les bruits de sa fuite, mais Max continuait d'avoir peur de se retrouver face à Alec.

_ Oui ! Plus vite ! Cria Madame Callaway.

Alec s'exécuta là aussi. C'était la réputation d'Alec : toutes les filles et les femmes aimaient ce qu'il leur faisait et, malgré le fait qu'il n'était pas exclusif, elles en redemandaient toutes.

« Encore deux pas et c'est bon. »

Elle se demandait ce que ça faisait d'être avec un X5. Elle n'avait jamais été qu'avec des ordinaires. Les transgéniques étaient plus endurants, plus forts, plus rapides que les ordinaires dans tous les domaines. Le sexe ne faisait sans doute pas exception…

Au moment où Madame Callaway poussa son ultime cri de jouissance, Max se demanda ce que ça ferait d'être avec Alec. Au pas suivant, elle avait franchi la porte, laissant derrière elle les essoufflements d'Alec et de Madame Callaway. Dans le couloir, elle se déplaça rapidement, faisant claquer ses talons sur le sol, pour rejoindre la salle de réception. Si on lui avait dit que cette salle bruyante serait sa zone de repli de la soirée, elle n'y aurait pas cru.

o0o0oOo0o0o

Elle s'assit rapidement, elle posa son sac sur la chaise à côté d'elle et se servit un grand verre d'eau qu'elle but d'une traite, tandis que les poules-dindes l'observaient. Max décida de les ignorer et se resservit.

« Contrôles-toi » s'ordonna-t-elle mentalement. « Reprends ton souffle et focalises-toi sur ta personne ».

Max calma instantanément sa respiration. La seconde suivante, elle eut la respiration bloquée. En faisant le point sur elle-même, elle venait de remarquer l'humidité dans son sous-vêtement du bas. Les deux autres obsédés avaient réussi à lui donner des envies.

« Pas ça ! » gémit-elle intérieurement.

_ Ça va ? Demanda sincèrement la femme en rose.

_ Vous êtes toute pâle… commenta la femme en vert fluo.

_ Je suis juste un peu fatiguée, répondit Max.

_ Pour ce que vous en savez, vous êtes peut-être enceinte, dit la femme en vert fluo.

Son amie retint une exclamation. Puis, elles recommencèrent à glousser.

o0o0oOo0o0o

Pendant un bon moment, Max resta immobile à boire de l'eau par petite gorgée. Elle fit semblant de ne pas entendre les ragots murmurés entre les deux femmes, même quand elle s'entendit appeler "la nouvelle Stéphanie". Quelques heures dans ce monde et elle en avait déjà marre. Elle comprit mieux la réflexion de Logan lors du mariage de Bennett et Marianne. Elle comprit pourquoi il ne voulait pas qu'elle puisse ressembler à ces gens-là.

Il fut demandé aux invités de rejoindre leur place pour que l'on puisse leur servir le dessert. Alec fut le premier des hommes à rejoindre la table. Il prit le sac de Max et s'assit en biais sur la chaise.

_ Tu passes une bonne soirée, ma chérie ? Demanda-t-il sur fond de gloussements.

Max le fusilla du regard et se servit un nouveau verre d'eau. Les deux autres hommes arrivèrent tout en discutant.

_ Max, fit Alec tout bas pour qu'elle seule l'entende. Qu'est-ce qu'il y a ?

_ Où étais-tu pendant tout ce temps ? Fit-elle vivement, mais aussi bas que lui.

_ Je travaillais sur la mission.

_ Ouais, c'est ça.

_ Quel est le problème, Max ?

_ Tu n'as pas pu t'en empêcher, n'est-ce pas ?

_ De quoi tu parles ?

_ Je te parle de toi et de ta très chère Suzanne Callaway. De "désamorcer une bombe"…

_ Oui ? Ben quoi ?

Max dut faire un effort surhumain pour garder son calme et continuer à parler tout bas. Les autres discutaient bruyamment sans se soucier d'eux.

_ Tu oses me demander, Alec ?

_ Je ne comprends pas.

_ Oh oui, c'est vrai. Tu ne refuses jamais une proposition. Tu te sacrifies pour une bonne cause.

_ Max, je ne sais pas de quoi tu parles.

_ Je te parle de toi et de Madame Callaway en train de baiser dans les chiottes, il y a moins de trente minutes.

_ Max, je n'ai pas…

_ Ne fais pas ton innocent. Je sais comment tu es.

_ Max, je t'assure… commença Alec.

_ Que quoi ? Que tu ne viens pas de t'envoyer en l'air avec elle ?

_ Précisément.

_ Tu crois que je ne vous ai pas vu devant le buffet, à vous chuchoter des trucs à l'oreille. Tu crois que je ne l'ai pas vu te tripoter en public. Sans compter que je vous ai entendu dans les toilettes.

Ils durent s'interrompre lorsque des serveurs leur déposa de minuscules desserts si étranges qu'elle ne sut pas par où commencer.

_ Max, reprit Alec tout bas.

Max continuait d'étudier son assiette sans se tourner vers Alec.

_ Maxie…

_ Ne m'appelles pas "Maxie" ! souffla-t-elle entre ses dents.

_ Est-ce que je peux me défendre ?

_ Je m'en moque.

Alec passa la main droite sous son menton pour lui faire tourner le visage vers lui.

_ Premièrement, je ne mélange pas le travail et le plaisir. Je t'ai déjà parlé de ma première fois. Il n'est pas question que cela puisse se reproduire.

Max pinça les lèvres.

_ Deuxièmement, c'est vrai, Suzanne m'a fait des avances plus que claires. Mais, il n'était pas question de toilettes, mais de la chambre d'hôtel, qu'elle a loué, au-dessus de nous. J'ai refusé.

Max voulut détourner le regard, mais Alec l'en empêcha.

_ Enfin, saches que Suzanne couche toujours dans ce genre d'endroit. Son plaisir est dans le risque de se faire prendre. C'est pour ça qu'elle vocalise facilement. Dis-toi aussi qu'elle se moque de qui est son partenaire du moment. Cela peut être aussi bien un des clients, qu'un des serveurs. Tant que c'est dans un lieu public, ça lui va. Elle pourrait même se faire sauter par son mari, que ça ne la dérangerait pas. Elle veut du sexe et du scandale.

Alec plongea les yeux dans les siens.

_ Crois-moi, dit-il doucement.

_ Je te crois, répondit-elle en soupirant tout bas.

Alec lui fit un sourire et lui déposa son sac sur les jambes en le tapotant. Il s'attaqua ensuite au dessert dans l'assiette de Max, sans prendre de considération pour le côté artistique, et lui mit la cuillère devant les lèvres. Elle lui fit un petit sourire et accepta la bouchée.

o0o0oOo0o0o

Après le dessert, le spectacle, toujours mauvais, se poursuivit. L'artiste sur scène invita le public à se lever. Tous s'exécutèrent. Il fit une série de blagues graveleuses rendant hilares la plupart des gens. Il remercia ensuite les couples, et généreux donateurs, puis il se lança dans une dédicace romantique pour sa compagne. Tout le monde en devint ému. Les couples se rapprochèrent. Elle sentit Alec se rapprocher d'elle, légèrement retrait. Il se contenta de lui mettre la main gauche au creux du dos. L'histoire continua avec une nouvelle anecdote et les couples s'élancèrent. Max regarda les gens dans la salle. La fameuse Stéphanie tenait son mari grisonnant par les épaules. Elle le gratifia même d'un bisou sur la tête. C'était bien de sa part. Avec sa réputation, elle aurait pu s'abstenir. Plus loin, à droite, Suzanne Callaway accepta de donner le bras à son époux. Des étrangers auraient eu l'air plus heureux.

Soudain, Max remarqua que, malgré le contexte de rapprochement général, Alec n'avait pas bougé. Ils n'allaient plus être crédibles dans leurs rôles. Mais, elle savait qu'il ne la forcerait pas. Il la croyait encore fâchée contre lui. En vérité, elle était fâchée contre elle. Elle l'avait accusé à tort. Évidemment qu'il n'aurait pas pris le risque de se "divertir" en terrain ennemi. Mais, elle avait douté de lui. Elle s'était jetée tête la première dans une conclusion hâtive et elle s'était blessée toute seule. Parce que oui, ça l'avait blessée. Elle savait qu'il avait été avec des tas de femmes et qu'il le serait encore plus tard. Mais, ce soir, quelque part dans un petit coin de sa tête, il était censé être à elle.

Dans son champ de vision, elle aperçut l'administrateur financier avec son épouse. Elle n'avait même pas demandé à Alec s'il avait réussi à obtenir quelques choses. Elle soupira. Ils avaient encore un rôle à tenir : celui d'un heureux couple de jeunes mariés. Il fallait qu'ils s'enlacent. Max recula pour venir se coller dos à Alec. Naturellement, il lui entoura la taille. C'était mieux ainsi. Et elle ne put s'empêcher de sourire. Elle connaissait suffisamment les bras du X5 pour y trouver sa place et y être à l'aise. Même debout et réveillé, Alec avait toujours des bras magiques, capable d'éloigner ses tourments. Elle ferma les yeux et pencha la tête en arrière pour s'appuyer contre lui. Que ne donnerait-elle pas, à cet instant, pour être dans un lit contre lui ?

o0o0oOo0o0o

Sa rêverie fut interrompue par un de ses horribles gloussements. Elle redressa la tête et jeta un regard noir à ses voisines. Mais, le gloussement n'avait rien à voir avec Alec et elle. Un vendeur de roses passait de couple en couple pour vendre des fleurs une par une. Le mari de la femme en rose demanda à son épouse si elle voulait une fleur maintenant ou un bouquet plus tard, la faisant glousser et rougir comme une collégienne naïve. Elle choisit le bouquet, toujours en gloussant. Le vendeur passa à l'époux de la femme en vert fluo. Témoin de la délicate attention de son ami, il fit la même proposition à sa femme, qui lui demanda sèchement ce qu'elle devrait faire avec une ou plusieurs fleurs coupées. L'homme baissa les yeux.

Le vendeur arriva enfin à Alec et elle.

_ C'est combien, chuchota Alec, pour ne pas déranger les gens qui regardaient le spectacle.

_ 25 dollars l'unité, répondit le vendeur.

« 25 dollars ! » pensa Max, « Mais, c'est une vraie arnaque ! Et, rien ne dit que la rose survive une journée ! ».

Effectivement, les fleurs n'avaient pas l'air toutes fraîches. Alec, bon voleur et bon négociateur d'objet de contrebande en tout genre, devait être parfaitement au courant de ça. Mais, au lieu de rembarrer le vendeur, il lui posa une autre question :

_ Est-ce que je peux choisir celle que je veux ?

« Quoi ? Tu ne vas quand même pas sacrifier 25 dollars pour ça ?! »

_ Bien sûr, répondit le vendeur.

Alec se détacha d'elle pour prendre son portefeuille dans la poche intérieure de sa veste et donnant l'argent au vendeur, sous le regard effaré de Max. Il ne choisit d'ailleurs pas la rose la plus belle. Mais, lorsque le vendeur s'éloigna, Max comprit pourquoi il l'avait choisie. Lorsque le vendeur était arrivé, il était entouré d'une bonne odeur fleurie. En s'éloignant, il partit avec une odeur très amoindrie. Alec avait choisi la plus parfumée des fleurs.

Alec se tourna vers elle et elle pivota légèrement pour lui faire face. Il la rapprocha de lui en passa la main gauche dans son dos. De la main droite, Alec passa délicatement les pétales de la rose le long de la joue de la jeune femme et l'arrêta sur ses lèvres, juste sous son nez. Les pétales de la fleur étaient doux. Max ferma les yeux et inspira profondément pour humer l'effluve. Lorsqu'elle rouvrit les yeux, elle les plongea dans ceux d'Alec. Les mains de Max montèrent pour entourer la main droite du jeune homme. Sa main, à lui, glissa vers le bas, avec la rose. Alors que les mains de Max entouraient celle d'Alec et que la rose atteignait le bas de son cou, Alec se pencha en avant et lui déposa un baiser sur les lèvres.


ALEC

Alec recula les lèvres et se redressa. Il observa la femme en face de lui. Elle avait les yeux ronds de surprise suite à ce baiser inattendu. Inattendu pour lui aussi.

« Pourquoi ai-je fait ça ? » pensa-t-il.

Mais, au fond de lui, il savait parfaitement pourquoi il l'avait fait…

« J'en ai eu envie. Terriblement envie. Depuis quelques temps, je la vois différemment. Pourtant, je fais tout pour la sortir de ma tête : je fréquente assidûment pleins d'autres femmes. Toutes les nuits, je sors. Toutes les nuits, je les séduis. Le fait de me focaliser sur elles me permet un peu d'oublier Max. On va chez elles, je joue le grand jeu. Au lit, je prends mon temps. Je fais durer le plaisir aussi longtemps que ma partenaire peut tenir. Et, pendant quelques heures, Max n'est plus dans ma tête. Mais, dès que c'est fini, je me retrouve allongé, dans un lit, à côté d'une ou plusieurs femmes qui ne me conviennent pas. Je perçois toutes les différences : le poids sur le matelas, la silhouette sous les draps, l'odeur, les cheveux. Je fais une fixation sur les cheveux, je crois… J'ai l'impression qu'elles ont toutes les cheveux ternes. Dans la nuit, étouffés par l'obscurité, les cheveux de Max me semblent multicolores. »

Max cligna un fois des paupières.

« Elle ne doit pas comprendre ce qu'il vient de se passer. Des fois, je suis triste que ce soit compliqué entre elle et Logan. Ils s'accrochent à eux. C'est mignon. Mais, des fois, je me réjouis. Je me dis qu'elle ne peut pas être heureuse avec lui. Ils n'ont rien en commun. Il ne la comprendra jamais. Il ne sera jamais à son niveau. Il ne la mérite pas. Elle est exceptionnelle. Qui est-il ? Juste un ordinaire avec des idéaux. Puis, je me gronde intérieurement. C'est un brave type. »

« Parfois, je me dis qu'elle serait mieux avec quelque comme elle. Parfois, je pense que ce quelqu'un pourrait être moi. Puis, je me rappelle que c'est impossible. Elle ne me voit pas comme un homme. Je suis le jumeau de Ben. Je suis un ami, un confident, presque un frère. Il ne se passera jamais rien entre elle et moi. Comme si, moi, je pouvais la mériter… »

Sous sa main gauche, Alec sentit le dos de Max frémir alors qu'elle inspirait enfin. Avec le choc, elle avait bloqué sa respiration.

« Si je ne la sentais pas sous ma main, je jurerais être en train de rêver. Je viens pourtant de l'embrasser. Ses lèvres m'ont toujours fasciné. Je l'avoue. D'abord, entrouvertes de surprise le jour de notre rencontre. Puis, pincées de contrariété quelques secondes plus tard. Des lèvres boudeuses, grimaçantes et, rarement, souriantes. Rarement souriantes pour moi… ou alors, c'est un sourire mauvais suite à une vacherie qu'elle vient de dire. Je sais pourquoi ses lèvres me perturbent. Depuis quelques temps, elles me font des sourires… gentilles… »

Max cligna deux fois des paupières et inspira à nouveau.

« Elle est en train de reprendre ses esprits. Je l'ai embrassée… et elle me le fera payer. On est en public, elle me tuera plus tard. Mais, elle me tuera sans aucun doute. Mais, ça m'est égale. La terre pourrait bien s'ouvrir sous mes pieds et m'envoyer en enfer que je ne me plaindrai pas. Je suis un grand malade ! »

Max cligna une nouvelle fois des yeux et inspira encore.

« Je sais ce qui m'attend. Pourtant, cette situation me fait sourire intérieurement. Je ne peux pas sourire en vrai. Premièrement, parce que je suis tellement en état de choc que je suis en train de me parler à moi-même. Deuxièmement, parce qu'elle prendrait ça pour une moquerie de ma part. Public ou pas, elle aurait alors une réaction inappropriée pour cette mission. Alors, je me contente la regarder dans les yeux et de me noyer dans son regard. »


MAX

Trois secondes. C'était la durée du baiser qu'Alec venait de déposer sur ses lèvres. Un baiser léger, tendre et sensuel.

Tout son corps avait accusé le choc de ce geste : son cerveau ne fonctionnait plus, sa respiration s'était arrêtée, ses yeux ne voyaient que les siens, ses oreilles ne percevaient que le son de son cœur battant la chamade, une multitude de papillons dansaient dans son ventre et ses jambes étaient devenue en coton. La seule chose qui la maintenait debout c'était lui. Ce regard auquel elle s'arrimait et dans lequel se perdait. Cette main dans son dos qui l'empêchait de s'effondrer au sol.

La main droite d'Alec glissa hors des siennes, ne laissant que la tige de la fleur derrière elle. Max sentit que la main gauche commençait à relâcher la pression dans son dos. Il était en train de s'éloigner. Avant que son cerveau n'ait fini d'analyser les faits précédents, avant qu'il ait eu le temps de décider quoi que ce soit, ses jambes avaient retrouvé leur vigueur et le reste de son corps les suivirent. Elle fit un pas en avant. Son bras gauche, prolongé de sa main tenant la rose, vint s'enrouler autour du cou d'Alec. La main droite de la jeune femme vint chercher l'arête de la mâchoire d'Alec et elle pressa les lèvres contre les siennes.

Il trembla légèrement de surprise, mais, une fraction de seconde plus tard, il lui rendit son baiser. Max écarta légèrement les lèvres et, avec autant de facilité que son propre corps trouvait sa place dans les bras d'Alec, la langue du jeune homme trouva sa place dans la bouche de Max. Et, en fermant les yeux, elle la savoura avec délice. Elle avait un goût riche.

Leurs deux langues faisaient connaissance avec enthousiasme. Pourtant, elle n'arrivait pas à trouver un qualificatif, ce baiser était trop de chose à la fois, c'était un baiser… d'Alec. Tout simplement. Et, tout simplement, elle en voulait encore plus. Elle voulut que ce baiser dure… et il dura. C'était logique, Alec avait au moins autant de souffle qu'elle.

Son corps aussi réagissait de façon étrange. Il était parcouru par d'étranges picotements. Ce n'était pas désagréable, au contraire. La main gauche d'Alec n'était plus au creux de ses rein. Elle s'était déplacée vers bas et formait un nouveau duo intime avec ses fesses… et ça ne la dérangeait pas. L'autre main du X5 la parcourait. Elle allait et venait sur tout ce qui était à sa portée : son ventre, sa hanche, son dos, sa cuisse. Elle frôla même son sein alors qu'elle se dirigeait vers son cou.

Au bout de plusieurs minutes, mais Max était incapable de dire combien, ils se séparèrent, leurs respirations n'étant plus que des souffles irréguliers. Alec posa le front sur le sien et ils se regardèrent dans les yeux sans un mot. Soudain, les oreilles de Max furent rebranchées. Une explosion de bruits et d'applaudissements la submergea. Alec sembla aussi déconcerté qu'elle. Il saisit sa taille pour la faire pivoter face à la scène. Ils applaudirent poliment. Les bras d'Alec se refermèrent sur elle et elle emmêla ses doigts entre les siens, tout en tenant la rose. Elle sentit Alec appuyer son menton contre sa tête. Max, dans un état second, regarda droit devant elle. Elle observa la fin du spectacle sans même le voir ou comprendre les mots qui étaient dits.

o0o0oOo0o0o

Au bout d'un temps indéterminé, la baisse des lumières sur scène la fit réagir. Elle regarda la salle qui s'était largement vidée. La cible n'était plus en visuel. Un sentiment de panique l'enveloppa et elle se mit à respirer plus vite. Alec le sentit et lui chuchota à l'oreille :

_ Qu'est-ce qu'il y a ?

_ On a un problème, répondit-elle.

_ Lequel ?

_ L'administrateur a disparu.

_ Il est parti il y a cinq minutes, expliqua Alec.

_ Mais… les données…

_ Tout est dans ton sac, dit Alec.

Max se tourna pour lui faire face et l'interroger du regard.

_ Je ne me suis pas absenté pour rien. J'ai bien travaillé, dit-il. J'ai même réussi à télécharger une copie de la vidéosurveillance de la semaine dernière. Logan y trouvera peut-être des informations supplémentaires.

o0o0oOo0o0o

À la sortie de l'immeuble, on leur remit une enveloppe contenant la photo promotionnelle pour laquelle ils avaient posé en arrivant. Pendant qu'ils attendaient l'employé et la voiture, Max eut un frisson. Avant qu'elle n'ait eu le temps de savoir si cela venait de l'air frais de dehors ou de l'absence des bras d'Alec autour d'elle, celui-ci déposa doucement sa veste de smoking sur les épaules avec un léger sourire qui la fit rougir.

Dans la voiture, sur le chemin du retour, aucun d'eux ne parla. Enveloppée dans la veste d'Alec, Max avait le visage tourné vers la fenêtre et faisait rouler la tige de la rose entre ses doigts. Elle regardait le reflet d'Alec. Lui, il ne regardait que la route. Elle se demandait ce que pouvait bien signifier ce baiser pour lui. De son côté, personne ne l'avait jamais embrassée ainsi. C'était le premier baiser, qui pourtant n'avait rien d'exceptionnel en soi, qui l'avait profondément remuée. Elle avait embrassé un millier de fois dans sa vie, mais c'était la première fois qu'un seul et simple baiser lui avait donné envie d'en avoir d'autres. Quant à la suite, elle en était encore sous le contrecoup. Une sensation de chaleur l'avait gagnée, partant de sa poitrine et se répandant dans tous son corps. Loin de la satisfaire, cela n'avait fait qu'accroitre son désir. Elle avait connu le manque dans sa vie, elle avait connu la faim. Mais, ce soir-là, elle s'était découvert un appétit d'un genre nouveau.

Elle aurait voulu que le trajet de retour dure, mais Alec conduisit sans détour et ils arrivèrent chez Logan bien plus tôt qu'elle ne l'aurait voulu. Il les attendait comme d'habitude : assis à son ordinateur.

o0o0oOo0o0o

De peur d'être perturbée par la présence d'Alec et les souvenirs de la soirée, Max se dirigea dès le début près de Logan, qui passa le bras autour de sa taille. Elle ne l'avait jamais remarqué auparavant, mais les bras de Logan n'avaient rien à voir avec ceux d'Alec. C'était juste des bras. Ils ne déclenchaient chez elle aucun picotement, aucune chaleur, aucun réconfort, aucune envie particulière… C'était plus simple de se contrôler avec Logan. Elle leva les yeux du journaliste et croisa rapidement ceux d'Alec, mais s'en détourna avant de rougir. Elle préféra alors se focaliser sur l'homme de sa vie et sur la mission.

_ Au fait, Logan, la tante Margot était à la soirée, dit-elle, après quelques secondes indécises.

_ Ah bon ? Je ne l'ai pas vu sur la liste des invités.

_ Elle s'est remariée, expliqua Max. C'est Anderson, son nom maintenant.

_ Vous l'avez vu ?

_ Oui et elle m'a reconnue !

_ Désolé, Max.

_ Ça aurait pu faire tout foirer, dit-elle.

_ Elle nous a terrifié, ajouta Alec sur un ton léger.

Max regarda le transgénique appuyé nonchalamment sur le mur avec un sourire en coin. Elle s'apprêta à lui balancer Suzanne Callaway à la gueule lorsque Logan reprit la parole.

_ Vous avez quand-même réussi à avoir les éléments ?

_ Tu crois qu'on serait là si ce n'était pas le cas ? Ironisa Alec.

Logan soupira et Max lança un regard noir au X5 pour son insolence. Elle donna le badge biométrique, le passe magnétique et une carte SD avec les échanges de mails et les vidéos de surveillance. Logan la lâcha et prit avidement possession des éléments.

_ Merci Max, dit Logan.

Alec se racla la gorge.

_ C'est surtout Alec que tu dois remercier. Il a été plus efficace que moi…

_ Ah ? Fit Logan.

_ Max a été distraite… dit Alec.

Max le foudroya du regard.

_ Elle a été captivée par le spectacle, ajouta Alec.

Max se détendit un peu. Alec avait une capacité impressionnante à raconter des mensonges. Mais cela aurait un coût. Elle en était certaine. Alec ne l'aurait pas couverte sans arrière-pensée.

_ Je vais dormir, dit Alec.

_ Attends, fit Max.

Elle retira la veste de smoking.

_ Tu me la rendras plus tard, dit Alec. Je n'ai pas froid.

Avant qu'elle ne puisse lui répondre, il était déjà parti. On aurait dit qu'il était pressé.

_ Alors ? Comme ça, tu aimes les dîners spectacles ? Fit Logan.

Le spectacle avait vraiment été mauvais, mais Max ne pouvait pas dire à Logan que la raison de son inattention avait été Alec, ses bras et ses lèvres.

_ Oui, mentit-elle. Je savais que ça existait, mais je n'en avais jamais vu en vrai.

_ Alors, le spectacle à l'opéra te plaira. En tout cas, je suis content que tu aies pu passer une bonne soirée. Alec ne t'a pas trop collé, j'espère.

Max sursauta presque en se rappelant que le jeune homme et elle avaient effectivement passé la soirée, collés, mais que c'était loin d'avoir été désagréable. Comme elle se sentait de plus en plus gênée, elle préféra changer de sujet.

_ Ça va. Il s'est bien comporté. Au fait, dit-elle en tournant sur elle-même, que penses-tu de ma tenue ?

_ Tu es magnifique. Comme toujours, dit Logan en la regardant. Mais, tu sais, il va falloir que tu arrêtes de cambrioler les magasins de luxe pour t'habiller pour les soirées. Tu aurais pu porter la robe que tu avais au mariage de Marianne et Bennett.

« Quoi ? Ce n'est pas toi qui m'as offert tout ça ? » pensa Max.

Elle avait trouvé les éléments de sa tenue seulement quelques heures après qu'il ait été décidé qu'elle devait faire la mission. Elle avait cru que Logan avait fait jouer ses contacts, de riche héritier de la famille Cale, pour obtenir rapidement une tenue décente pour elle.

_ Mais, c'était une bonne idée de coordonner vos tenues avec Alec, continua Logan. Je dois le reconnaître. Vous aviez l'air d'un jeune couple dans les magazines people d'avant Impulsion.

Max repensa à Alec. Elle l'avait trouvé très élégant, mais elle n'avait pas plus fait attention à lui. Il était en costume noir avec une chemise blanche. Elle visualisa le mouchoir argenté dans la pochette de son smoking ou ses boutons de machettes qui reprenait les motifs de ses boucles d'oreilles. C'était lui. C'était lui qui lui avait fait ses cadeaux. Tout ça pour elle…

Elle prétexta vouloir se reposer aussi. Logan l'invita à rester dormir. Elle déclina en disant qu'il fallait qu'elle se change à l'appartement pour ne pas froisser sa robe.

o0o0oOo0o0o

En rentrant à l'appartement, elle nota qu'Alec était déjà douché et couché. Max se regarda dans le miroir. Sa tenue avait l'air d'avoir été fabriquée pour elle. Elle ouvrit l'enveloppe et regarda la photographie qu'on lui avait remise. Il n'y avait pas que la robe qui avait l'air d'avoir été faite pour elle. Sur l'image de papier glacé, le couple de William et Coralie Montrose était une évidence. Leur tenue, la taille, la manière dont ils posaient l'un contre l'autre… ils avaient l'air du couple le plus harmonieux qu'elle ait vu.

Elle posa la veste d'Alec sur son lit et rangea délicatement ses affaires. Une douche plus tard et le sortilège de la soirée était rompu. Elle n'était plus Coralie Montrose, épouse de William Montrose.

Elle s'assit sur le lit en se demandant quoi faire de la veste. Finalement, elle se coucha, le nez dans la veste d'Alec et s'endormit en un instant.


à suivre