Chapitre hors-série :
Ceci est un chapitre bonus, en deux parties. Il n'est pas nécessaire de le lire pour la compréhension de l'histoire.
D'ailleurs, même les personnages ne se souviendront pas de ce qu'ils vont y vivre.
En revanche, ce chapitre est un spoiler de la finalité de l'histoire. En même temps, l'histoire est une romance Max/Alec, donc la fin est assez évidente… Encore plus, si vous avez lu le one-shot du « Samedi 17 juillet ».
Pour les curieux… À vous de voir !
Quoi qu'il en soit, j'indique à partir de quel moment la partie « bonus » commence.
…
HORS-SÉRIE – Partie 1
Seattle, locaux de Jam Pony, lundi 2 mai 2022, 10h30
ORIGINAL CINDY
Original Cindy, Sketchy et tout Jam Pony venait d'assister à une énième dispute entre Max et Alec. Sauf que, cette fois-ci, la dispute avait été si violente que personne, pas même Normal, n'avait osé dire un mot. Alec avait fini par lancer une insulte, vraiment dure, au visage Max, ce qu'il n'avait jamais fait jusqu'à présent. Il avait pris plusieurs colis sans demander l'avis de son patron et était furieusement parti des locaux de la société de coursiers.
Max tremblait comme une feuille. Elle semblait aussi furieuse que le jeune homme. Pourtant, sa réaction fut d'aller s'enfermer aux toilettes.
Original Cindy s'apprêtait à la rejoindre lorsque Sketchy l'interpela.
_ Où tu vas ? Demanda-t-il.
_ Je vais voir mon petit chou.
_ Tu ne crois pas que tu devrais rester en dehors de ça ?
_ Après ce qu'Alec vient de dire ? Répliqua-t-elle.
_ C'est quoi le problème ? Demanda Sketchy.
_ Tu plaisantes ? Tu n'as pas entendu ce qu'il vient de lui dire ?
_ Attends… Max est mon amie, mais…
_ Continues, Sketchy… fit-elle sur un ton menaçant.
_ Tu sais comment elle lui parle. Des fois, elle le frappe même. C'est normal qu'il en ait marre. Il a franchement été super avec elle…
_ Alec est un abruti, dit Cindy.
_ Comme tous les mecs à tes yeux. Mais, c'est un chic type.
_ Tes oreilles sont bouchées ?
_ Je dis juste que, si ça avait été moi, j'aurais vidé mon sac en l'insultant et je me serais barré bien avant…
Sketchy laissa la jeune femme sur place et alla chercher un colis auprès de Normal. Il marquait un point. Max avait toujours été très limite avec Alec. Et, Alec, bien que dans la provocation constante, avait toujours fait preuve d'une patience sans borne. Son petit chou avait déjà dû avoir son lot d'insultes dans la vie, dans ce monde pourri… mais Original Cindy était presque sûre que c'était la première fois qu'elle se faisait insulter par quelqu'un qui, même si elle le niait en permanence, comptait à ses yeux.
Elle traversa les vestiaires et alla dans les cabinets. Une seule porte était fermée, mais le loquet était ouvert. Original Cindy la poussa. Max était assise sur le couvercle des toilettes. Elle avait toujours l'air furieuse. Pourtant, elle avait aussi les larmes au bord des yeux, prêtes à couler. La jeune femme se mit à genou devant sa meilleure amie.
_ Qu'est-ce qu'il y a, chou ? La dernière fois qu'on s'est vu, tu étais une princesse menée à un bal par un prince dans un joli carrosse de luxe.
Max se mit à tripoter nerveusement son horrible bracelet brésilien. Un matin, elle était arrivée avec cet immonde truc au poignet. Elle avait gardé le secret sur sa provenance. Elle n'avait pas voulu s'en débarrasser non plus, malgré le fait qu'il était une insulte à la beauté. Original Cindy avait noté que Max avait tendance à jouer avec lorsqu'elle était nerveuse ou contrariée.
_ La mission ne s'est pas bien passée ? Demanda-t-elle doucement.
_ Ce n'est pas ça.
_ La soirée n'était pas bien ?
_ J'ai passé une bonne soirée.
_ Alors, pourquoi c'est la guerre entre Golden Boy et toi ?
_ Il se comporte bizarrement et ça m'agace.
_ Bizarrement comment ?
_ Il m'adresse à peine la parole, il me parle sèchement. Il a l'air… J'ai l'impression de le déranger et ça m'énerve.
_ Il a passé une mauvaise soirée ?
_ Non, je ne crois pas.
_ Ça a commencé quand ? Le soir-même ?
_ Non, le lendemain matin.
_ Tu lui as demandé ce qui n'allait pas ?
_ Je me suis prise un "c'est pas tes oignons" et un "fous-moi la paix"… et je me suis énervée, puis il s'est énervé, et ça a empiré…
_ Tu lui as demandé s'il a ses règles en ce moment ?
La réflexion fit sourire Max. Il y avait du mieux. Il fallait juste lui changer les idées avant de pouvoir aborder le vrai problème. Alors elle décida de continuer sur sa lancée.
_ Chou ?
_ Hum ? Fit Max.
_ Tu ne voudrais pas sérieusement jeter ce truc ? Demanda-t-elle en désignant le bracelet.
_ Non.
_ Il pique les yeux d'Original Cindy tellement il est moche.
La remarque fit à nouveau sourire Max.
_ C'est parce que c'est un bracelet de l'apocalypse, expliqua Max.
Original Cindy haussa les sourcils avec incrédulité.
_ C'est Alec qui l'a fait. C'est comme ça qu'il en nomme la couleur.
_ Alec a fait un bracelet brésilien pour toi ? Demanda-t-elle, avec stupéfaction.
_ Non. Il l'a fait… tout simplement. C'était quand il gardait les enfants à l'école. Puis, il a décidé de le nouer à mon poignet… sans ma permission, ajouta-t-elle précipitamment.
_ Il sait que les mecs, enfin les adolescents boutonneux d'un autre temps, offrent ça à la fille qui leur plaît ?
_ Non. Il n'était même pas au courant du l'histoire du vœu.
_ Tu as fait un vœu ? Ne me dis pas que tu as souhaité, comme une adolescente d'un autre temps, sortir avec le garçon qui te l'a offert ?
_ Non.
_ Tu as souhaité quoi alors ?
_ Un truc bête…
La jeune femme noire comprit à l'intonation de son amie qu'elle n'en dirait pas d'avantage. Max jouait avec son bracelet avec nostalgie. Elle n'était pas réellement fâchée contre Alec. Mais, elle était vexée par son comportement. Tout génie génétiquement modifié qu'elle était, Max était vraiment mauvaise pour exprimer ses sentiments. Le nœud du problème était le comportement d'Alec. Max avait peut-être déclenché une mauvaise réaction ou fait quelque chose contre lui sans le vouloir.
_ Racontes-moi la soirée en détail, dit Cindy d'une voie autoritaire.
_ En détail ? Ça va être trop long.
_ Alors… commença-t-elle, et si tu passais directement à l'événement principal que tu me caches ?
Il était évident que Max lui dissimulait un truc. Sa meilleure amie sembla hésiter pendant un long moment, puis elle parla.
_ On s'est embrassé, répondit Max dans un murmure.
_ Vous… quoi ?!
_ C'est arrivé comme ça… plaida Max.
_ Comme ça ? Répéta-t-elle.
Max devint rouge comme une pivoine et rentra la tête dans les épaules. Original Cindy ne comprenait plus rien. Il était évident que cela arriverait un jour… Elle pensait aussi quelque chose de plus intime arriverait un jour. Mais, la vraie question était de savoir pourquoi Alec était en colère ?
_ Tu l'as repoussé ? Demanda-t-elle.
_ Non !
Max dut être surprise de son ton, car en une fraction de seconde, elle rougit de plus belle.
_ Il y a "embrasser" et "embrasser", fit remarquer Cindy, avide d'en savoir plus. Il y a des baisers polies et chastes…
_ C'est un comme ça qu'il m'a donnée, dit Max.
_ D'accord. Et, que lui as-tu rendu ?
_ Le même.
_ Le même ? Répéta-t-elle, peu convaincue.
_ Puis, j'ai ouvert les lèvres…
_ Et ?
_ À ton avis ? Il a mis la langue.
_ Et, qu'as-tu fait de la tienne ?
_ Euh… je l'ai mise dans sa bouche.
_ Et ?
_ On s'est peut-être laissé un peu emporter…
_ Emporter à quel point ?
_ Rien d'indécent. On était en public… mais, on est resté plusieurs minutes à s'emballer… Enfin, ça a peut-être pu choquer quelques vieux bourges.
_ Il embrasse bien ? Demande-t-elle, se doutant parfaitement de la réponse.
Max hocha la tête.
_ C'est la première fois qu'un baiser me fait cet effet, avoua la jeune transgénique.
_ Quel effet ?
_ J'avais chaud, mais je frissonnais. J'avais l'impression d'avoir plein de papillons dans le ventre. J'avais peur que mes jambes se transforment en guimauve. Et…
_ Et ?
_ J'avais l'impression que rien d'autre que lui n'existait…
Original Cindy se mordit les lèvres : ça, c'était la description de ce que ressentait une fille à son premier baiser avec son premier amour… Mais, elle ne pouvait pas le dire à Max.
_ Alec a apprécié ? Demanda-t-elle pour changer de sujet.
_ Il en avait l'air…
_ Alors, pourquoi…
_ C'est bien ce que je ne comprends pas, dit Max avant que Cindy n'ait eu le temps de terminer sa phrase.
_ En rentant, qu'est-ce que vous avez fait ?
_ Rien. On a donné les infos à Logan. Alec est parti en premier. J'ai parlé un peu avec Logan. Il voulait que je reste dormir, mais je n'ai pas voulu. Pas après ce qu'il s'était passé avec Alec. Quand je suis rentrée à l'appartement, Alec était déjà couché. Et, le lendemain, il était…
_ Ce type est capable d'être aussi compliqué qu'une nana…
« Tiens ! Il faudra que je la lui sorte celle-là ! » pensa-t-elle.
Max rigola doucement.
_ Je me suis aussi prise la tête avec Syl à ce sujet, ajouta Max.
_ Ta frangine ? Pourquoi ?
_ C'était elle et Krit qui devaient faire la mission. Ils se sont faits griller et, Alec et moi, on a dû les remplacer au pied levé.
_ Ce n'est pas un drame.
_ Non, mais elle s'inquiétait. Alors, elle est venue espionner en douce. Il y a une grande verrière au-dessus de la salle de réception… et elle a tout vu…
_ Et, alors ?
_ Syl n'aime pas vraiment Alec…
_ De quoi elle se plaint ? Elle aurait préféré se bécoter avec lui ?
_ Je pense qu'elle préférerait mourir.
_ Alors pourquoi ça la dérange que tu l'ais fait ?
_ J'imagine que… elle n'aime vraiment pas Alec et elle s'entend bien avec Logan.
_ Logan le sait ?
_ Bien sûr que non.
_ Bah ! Ne t'en fais pas. Ça ira mieux lorsque les menstruations d'Alec seront finies.
_ Sauf que ce soir, on doit encore faire un truc ensemble… J'anticipe un peu.
_ S'il l'ouvre pour t'envoyer une insulte, tu sais quoi faire pour le faire taire : en route pour un deuxième round. Le meilleur moyen de faire taire un homme est de faire en sorte qu'il ait la bouche pleine !
Max fit un sourire gêné.
_ Je ne peux pas faire ça…
Seattle, zone industrielle du Secteur 24, usine Polycarpe, lundi 2 mai 2022, 22h30
MAX
Comme régulièrement pour ce genre de mission, Alec et Max se retrouvèrent à déambuler dans un lieu sordide. Au moins, ce n'était pas les égouts… juste une vieille usine désaffectée de produits chimiques. Ils devaient trouver un trafic de drogues coupées aux résidus chimiques et, accessoirement, mortels. Les dealers répandaient ce poison parmi les plus pauvres. Le Veilleur et le S1W voulaient arrêter ces meurtriers qui profitaient du désespoir des gens pour les entraîner dans une spirale de dépendance dont l'aboutissement était la fin ultime.
L'humeur d'Alec ne s'était pas améliorée. L'ambiance était lourde. Aucun d'eux ne parlait. D'un côté, c'était mieux. S'ils ne parlaient pas, ils ne s'engueuleraient pas. D'un autre côté, c'était difficile car la tension entre eux était insupportable. Max aurait voulu qu'Alec lui dise ce qu'il avait.
Pendant plus d'une heure, ils marchèrent en faisant attention à leurs pieds. L'endroit était instable et certaines parties menaçaient de s'écrouler. Max tourna la tête pour regarder le profil fermé d'Alec.
« Parle-moi » pensa-t-elle.
Plus attentive au X5 qu'à ses pas, Max marcha sur une partie friable du sol et tomba dans un trou de plus d'un mètre de profondeur. Elle n'avait rien… en dehors d'une bosse à son ego. Le visage d'Alec apparu au-dessus d'elle.
_ Fais gaffe, dit-il, il y a un trou.
Avant que Max n'ait eu le temps de répliquer, il disparut de son champ de vision. Il ne prenait même pas la peine de lui demander si elle allait bien ou si elle voulait de l'aide pour remonter.
« Quel trou du cul ! » pesta-t-elle intérieurement.
Elle sortit du trou par ses propres moyens. Alec était là, il attendait tranquillement, appuyé sur un mur, qu'elle se débrouille toute seule. Elle lui lança un regard noir et il lui répondit avec un sourire moqueur.
Il se tourna pour reprendre sa marche dans le couloir. Mais, il vira trop tôt et se cogna la tête contre un néon à moitié arraché du plafond.
_ Fais gaffe, dit Max, il y a un truc qui dépasse du plafond.
« Je ne serais pas la seule à avoir une bosse à mon ego, ce soir ».
Puis, elle soupira en prenant conscience que ce n'était pas en lui balançant des remarques à la figure qu'il lui dirait ce qui n'allait pas.
o0o0oOo0o0o
Ils reprirent leur trajet dans une atmosphère à trancher au couteau. Ils arrivèrent finalement dans une grande salle, avec un quai de chargement, qui devait servir, selon les informations de Logan, au mélange des drogues et produits chimiques. L'endroit était vide. Même la poussière ne semblait pas avoir bougé depuis l'Impulsion.
_ Il n'y a rien, ni personne, dit-elle.
_ Et, ça t'étonne ? Ironisa Alec. Cet endroit pue. À croire qu'une charogne est venue crever ici.
« Pas faux » pensa-t-elle.
Son nez la démangeait. Mais, ce fut Alec qui éternua en premier.
_ L'information de Logan n'était peut-être pas…
_ OK ! J'en ai marre, dit-il. Je préfère encore me tirer.
_ Alec… commença Max.
Alors qu'Alec passait près d'elle pour partir, ils entendirent un craquement sournois venant d'en dessous. Ils baissèrent les yeux dans un même mouvement et le sol s'affaissa sous eux, soulevant une importante couche de poussière.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~…! Début de la partie bonus !…~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Seattle, infirmerie de Terminal City, date inconnue, heure inconnue
MAX
Max s'éveilla avec un mal de tête des plus atroces. Elle avait dû perdre connaissance après sa chute. Elle entendait Mole s'époumoner sur quelqu'un. Elle ouvrit les yeux et fut éblouie par la lumière du néon au-dessus d'elle. Un grognement douloureux s'éleva de sa gauche. Dans un autre lit médicalisé, elle aperçut Alec, en train d'émerger de son brouillard personnel. Il avait l'air d'être dans le même état qu'elle. Elle nota qu'il avait l'ombre d'une petite barbe sur le visage. Sachant qu'il se rasait tous les matins de près, et se rappelant comment il était la dernière fois qu'elle l'avait vu, elle en déduit que, l'un comme l'autre, avait dû rester inconscient pendant au moins vingt heures.
_ Rien à foutre ! Beugla Mole. J'ai besoin d'eux maintenant !
Max s'assit sur son lit. Alec en fit autant. Alec et elle avaient été débarrassés de leurs vêtements et ne portaient plus que leurs dessous. Rapidement, elle ramena les draps sur elle pour cacher sa poitrine ne portant qu'un soutien-gorge, mais personne ne l'observait.
_ Mole… commença Alec. Je viens mais, par pitié, baisse ton volume sonore.
« Bonne remarque » pensa-t-elle.
_ Je ne suis pas d'accord, dit Magenta, l'infirmière de Terminal City. Mole ! Tu ne vois pas qu'ils ne vont pas bien ?
Alec se mit debout et dû se rattraper aussitôt au lit de Max pour ne pas tomber.
_ Pardon, murmura-t-il.
Il était blanc comme un cachet d'aspirine. Max lui tendit la main pour l'aider, tout en gardant l'autre fermement pressée contre le drap qui couvrait sa presque nudité. Il ne tint pas compte de son aide.
_ Vas-y doucement, dit-elle à Alec, alors que Mole et Magenta avaient repris leur dispute.
Alec la dévisagea un moment. Il avait l'air troublé par ce qu'il voyait. Elle devait sans doute être aussi pâle que lui. Finalement, il se mit droit. Il récupéra leurs affaires et lui donna les siennes. Elle se rhabilla aussi vite qu'elle le pu en se cachant dans les draps. Alec n'avait aucune honte à se balader le caleçon et à s'habiller en public. Il revint s'asseoir au pied de son lit.
_ Arrêtez de vous disputer tous les deux, dit Max. Mole, on arrive.
_ Je suis contre, répliqua Magenta.
_ Ils sont d'accord pour venir, répliqua Mole à son tour, tu n'as pas ton mot à dire !
Ils se faisaient front, prêts à en découdre. Mole était peut-être une masse de muscle caractérielle, mais Magenta était une X5 tout aussi terrifiante que son adversaire. Alec avait dit à Max que, même à Manticore, elle fichait la trouille au commandement. Il disait volontiers d'elle avait de l'ADN de dragon tyrannique… ce qui expliquait pourquoi elle était la seule personne de tout Terminal City avec qui il ne plaisantait jamais.
_ Tu vois bien que ça ne va pas ! Pesta Magenta, en regardant Max s'asseoir près d'Alec. C'est déjà miraculeux qu'on les ait trouvés par hasard. Ils ne devaient pas être à l'usine.
_ On s'en fout. Ils sont debout et alertes maintenant, répondit Mole.
_ Regardes leurs vêtements.
Alec et Max se regardèrent mutuellement.
« Bah oui, on est crade. On a crapahuté dans une usine pourrie et on a traversé le plancher. Deux fois pour moi. »
_ Je m'en fous de leurs fringues ! S'exclama Mole.
_ Et, les cheveux de Max, alors. Tu en fais quoi ?!
Max attrapa une mèche de ses cheveux. En dehors de la saleté, probablement liée à l'usine et à la chute, elle ne nota rien d'inhabituel. Mole se tourna un instant vers elle et reprit :
_ Non, rien à foutre !
_ Qu'est-ce qu'ils ont mes cheveux ? Demanda Max tout bas à Alec.
Il se contenta de hausser les épaules. Il ne voyait rien d'anormal.
_ Il lui manque la ligne de runes sur le ventre, continua l'infirmière.
Max souleva son haut : comme elle s'y attendait, il n'y avait pas de rune sur son ventre.
_ Tout cloche ! Dit Magenta.
_ Ouais, ce qui cloche, c'est qu'il y a une attaque terroriste. L'ennemi public numéro un a pris des otages à l'entrepôt et que j'ai besoin d'eux.
« Une prise d'otage ? » s'exclama Max, par la pensée.
Alec et elle se levèrent dans un même mouvement et rejoignirent les deux transgéniques. Ce n'était pas une chose à prendre à la légère. Leur état de santé était moins important que la vie d'otages.
_ Mole, on arrive, dit Max. On t'accompagne.
_ Magenta, dit Alec sur un ton conciliant, on fera attention.
_ Mais… commença l'infirmière.
_ Et on reviendra te voir si ça ne va pas, continua-t-il.
Sans attendre une nouvelle série de récriminations de Magenta, ils sortirent tous les trois de l'infirmerie et montèrent jusqu'au centre de commande. Max espérait que la situation ne serait pas trop tendue. D'abord, parce que des vies étaient en jeu. Ensuite, parce qu'elle avait sa boîte crânienne au bord de l'explosion. Alec n'avait pas bonne mine non plus. Régler une situation compliquée en étant diminué n'était une chose facile à faire. Elle se posait un tas de questions : qui était les preneurs d'otage ? Était-ce des Familiers ? Comment étaient-ils rentrés à Terminal City ? Combien étaient-ils ? Combien y avait-il d'otages ?
Lorsqu'ils franchirent la double porte, l'entrepôt était animé, comme à l'ordinaire, pas du tout en état de siège, ni dans une situation critique… Pourtant, Mole avait vraiment l'air nerveux… Elle croisa le regard d'Alec qui était aussi perplexe qu'elle. Les transgéniques présents étaient tranquilles. Certains avaient levé la tête de leur ouvrage pour les saluer normalement.
Mole s'arrêta si brusquement qu'Alec et elle faillirent lui rentrer dedans.
_ Alors ? Fit-il à leur attention.
_ Qu'est-ce qu'il y a ? demanda Max.
_ C'est tout ce que tu as trouvé, Molly ?
Max vit Alec serrer les lèvres pour ne pas rire de "Molly". Cela avait été dit par une petite voix fluette au-dessus d'eux.
_ Aller chercher de l'aide ? C'est lamentable…
Max et Alec levèrent le regard au plafond. À contre-jour, perchée sur un néon, il y avait une petite silhouette. Vraiment petite. Une enfant.
« Comment est-elle montée si haut ? »
_ Méfies-toi, moucheron ! Cria Mole. Des comme toi, je les mange au petit-déjeuner !
_ Même pas peur ! Répondit l'insolente.
Alec ne réussit pas à se contenir et pouffa de rire. Max aussi souriait. Mole tenu en respect par une enfant était un spectacle hilarant, même si la petite devait être une transgénique. Mole leur jeta un regard noir.
_ Fais-ton truc, ordonna Mole à Alec.
_ Mon truc… Molly ? répondit Alec.
Max entendit un petit rire au-dessus d'eux. Mole grimaça.
_ Débrouilles-toi comme tu veux, boy-scout, mais je veux récupérer mes cigares tous intacts !
« Voilà donc les fameux otages de Mole : ses cigares ».
_ Et, je veux des excuses ! Cette petite peste fait tourner tout le monde en bourrique ici.
Alec ria et leva les yeux vers l'ombre haut-perchée.
_ Mademoiselle ? Demanda-t-il avec un grand sourire.
_ Oui ? Répondit l'enfant.
_ Aurais-tu l'amabilité de rendre ses précieux cigares à Mole et t'excuser de les lui avoir pris ?
_ Pourquoi est-ce que je devrais m'excuser d'abord ? C'est qu'un vieux lézard tout moche !
_ Ne parles pas de lui sur ce ton, jeune fille, dit sévèrement Alec.
_ Pourquoi ? Je suis une femelle alpha ! Lui, il n'est pas un alpha. Il est méchant, je le punis. Action, réaction.
« Mais, c'est quoi cette gamine ? » pensa Max. « Comment peut-il y avoir autant de caractère dans un si petit corps ? »
_ Soldat ! Fit Alec à l'adresse de la fillette, sur un ton autoritaire.
_ Oui ? Demanda-t-elle timidement.
_ Quel âge avez-vous ?
_ Bah… Quatre ans et deux jours, répondit-elle comme si c'était évident.
_ Alors, vous n'êtes pas une femelle alpha.
_ Mais, tu as dit que j'en serais une ! Contesta l'enfant.
Max vit Alec réfléchir. Il n'avait pas l'air de se souvenir d'avoir dit ça. Max aussi faisait le point sur ses souvenirs. La fillette venait de dire qu'elle avait quatre ans. Et ça, c'était bizarre. À Terminal City, les plus jeunes avaient moins de deux ans et étaient les enfants des couples reproducteurs X5. Ensuite, on passait au X8 et à leur sept ans d'âge minimal. Il n'y avait aucun enfant de quatre ans. Un enfant, arrivé récemment, n'aurait pas été si à l'aise dans une situation conflictuelle avec Mole. Et, Alec n'aurait pas eu le temps de raconter cette histoire de femelle alpha vu qu'il avait été débordé, puis à l'infirmerie pendant une longue période.
_ Pour l'instant, reprit Alec, vous n'êtes rien. Être une femelle alpha ne veut pas dire manquer de respect aux autres ou dénigrer leurs sentiments, ajouta-t-il en regardant Max.
Max se sentit rougir : Alec lui reprochait clairement quelque chose.
Un silence s'abattit dans le centre de commandement. Tous les transgéniques présents suivaient les négociations.
_ J'attends ! Dit Alec.
_ Seulement s'il s'excuse en premier, dit alors la petite transgénique.
Alec dévisagea Mole. Max fit de même. La petite avait mentionné que Mole avait été méchant.
_ J'ai rien fait, se défendit Mole.
_ Je t'ai entendu te moquer de moi, répliqua la petite.
_ Mole ! Fit Max. Tu t'es moqué d'une enfant ?
_ Non, je…
_ Je t'ai entendu de ta moquer de ma date de naissance, accusa la fillette.
_ Je parlais juste avec d'autres gars. Je n'y peux rien si elle a entendu ! Elle laisse traîner ses oreilles partout !
_ C'est méchant de te moquer de moi parce que je suis née le premier avril.
_ Mais… commença l'homme lézard.
_ Ma vie n'est pas une blague ! Se plaignit la petite avec un sanglot dans la voix.
_ Mole ! Fit Alec, scandalisé.
_ Tu lui as dit ça ? s'exclama Max.
Mole baissa les yeux, plein de honte. Max réfléchit aussi. Elle avait envisagé de se choisir la date du premier avril pour date d'anniversaire car elle estimait que sa vie était une blague. Elle n'était pas fière d'elle-même non plus. Ce serait une date dure à porter pour une enfant.
_ Mais, elle est…
_ Elle a quatre ans, dit Max, bien décidé à protéger cette petite des moqueries des autres. C'est quoi ton excuse ?
_ Excuses-toi correctement, ordonna Alec.
_ Excuses-moi, ma poupée… dit Mole.
La petite ombre restait silencieuse. Mole soupira.
_ Princesse, je suis désolé de m'être moqué de toi. C'est très bien d'être née un premier avril. Moi, dit-il en se désignant, je n'en ai même pas une vraie date de naissance.
_ Je suis désolée pour toi, minauda la fillette.
_ L'avantage, dit Mole, c'est que je ne peux pas être un vieux lézard puisque je ne vieillis pas chaque année.
La petite gloussa.
_ Mais, tu es moche quand-même, dit-elle légèrement.
_ C'est une question de point de vue. Les dames lézards me trouvent très beau.
_ Moi, j'aime bien les arêtes à l'arrière de ta tête, dit-elle. Elles sont jolies.
_ Moi, je t'aime bien tout court, petit terroriste.
La fillette ria de bon cœur. La crise était résolue. Max sourit en voyant l'expression satisfaite sur le visage d'Alec : il avait traité une dispute entre une enfant de quatre ans et un enfant d'environ vingt-sept ans.
_ Tes cigares vont bien. Tu les attrapes ?
_ Vas-y, princesse.
La fillette laissa tomber la boîte à cigares de Mole qui l'attrapa sans difficulté. La fillette n'esquissa pas d'autre mouvement du haut de son perchoir. Max craignait que le néon puisse se détacher sur plafond. Même s'ils avaient fait des rénovations, un vieux néon ne supporterait pas éternellement le poids d'une enfant de quatre ans.
_ Alec, commença Max, c'est très haut, même pour un enfant transgénique. Comme elle t'écoute, tu ne voudrais pas la faire descendre, s'il te plaît ?
Alec acquiesça.
_ Princesse ?
_ Oui ?
_ Et, si tu descendais maintenant ?
_ D'accord, je saute.
« Quoi ? » cria Max intérieurement.
Avant qu'Alec n'ait eu le temps d'ajouter quelque chose, la petite fille avait sauté. Alec la rattrapa avec dextérité. Il était livide en se redressant tandis que la petite riait aux éclats. Max avait bien failli faire un arrêt cardiaque tellement elle avait eu peur.
_ Ne refais pas ça ! Fit Alec en soulevant la fillette par les aisselles pour qu'elle ait les yeux au niveau des siens.
C'était de toute évidence une série X. Elle avait des cheveux noirs, légèrement ondulées, des lèvres charnues et deux petits yeux verts malicieux.
_ Pourquoi ? Demanda-t-elle joyeusement.
_ Parce que c'est dangereux, répondit Max.
_ Mais non, je savais qu'il me rattraperait, répondit-elle à Max en se serrant contre le cou d'Alec, toujours choqué. Il est fort !
_ Tu sais, princesse, Alec était inconscient il y a moins d'une demi-heure. Je l'ai sorti de l'infirmerie pour toi, dit Mole.
_ Ah ? C'est pour ça que tu n'étais pas là hier soir ? demanda-t-elle à Alec, les yeux pleins d'inquiétude.
_ Sois gentille avec ton papa, dit Mole.
« Son quoi ? » pensa Max.
Alec se tourna vers elle, à la fois choqué et effrayé.
_ Au fait, ajouta Mole, avant de partir avec ses cigares sous le bras, les terroristes deux et trois ont faussé compagnie à Joy, mais on sait qu'ils sont toujours dans le périmètre de Terminal City. À vous de les trouver.
Alec lui lança un regard de détresse. Sa grimace était telle que Max en rigola, alors que la fillette les dévisageait à tour de rôle.
_ Je crois que ton "papa" a besoin de prendre l'air, dit Max, en faisant de son mieux pour ne pas rire de l'expression faciale d'Alec.
o0o0oOo0o0o
Ils sortirent dans la cour. Malgré la luminosité extérieure qui lui fit plisser les paupières, Max se sentit mieux. L'air frais lui faisait du bien… au début. Le fond de l'air était en vérité froid. Instinctivement, elle se rapprocha d'Alec pour pouvoir lui suggérer de rentrer. La fillette se tenait tranquillement dans les bras du jeune homme, en passant les doigts sur ses joues mal rasées. Alec scrutait la petite fille. Max pouvait presque voir les engrenages de son cerveau tourner à toute vitesse pendant qu'il réfléchissait.
Une camionnette passa devant eux en klaxonnant, avec Joshua à la place du conducteur, qui les salua.
_ C'est tonton Joshua ! S'exclama la petite fille.
Elle se laissa glisser des bras d'Alec pour rejoindre l'homme-chien qui l'accueillit avec un joyeux "mini fella".
_ Ce n'est pas ma fille, dit Alec à voix basse tandis qu'il regardait les retrouvailles de Joshua et de l'enfant.
_ Je t'avais dit, qu'à force de t'envoyer en l'air à tout va, ça t'arriverait, répondit Max, aussi à voix basse.
_ Ça ne peut pas être la mienne.
_ Pourquoi ?
_ Fais le calcul. Elle a quatre ans. Tu ajoutes neuf mois de grossesse. Il aurait fallu qu'elle soit conçue en juillet 2017.
_ Et ?
_ J'étais encore vierge à ce moment-là, fit-il.
_ Une insémination artificielle ? Demanda Max.
_ Ça me paraît peu probable. Et puis, elle sort d'où ? Il s'est passé quoi ces deux derniers jours ? On n'a pas eu de nouvelles arrivées de transgéniques depuis plusieurs semaines.
_ Mole te fait peut-être une blague ?
Alec grimaça. Mole aurait pu se venger des blagues d'Alec. Mais, il n'était pas aussi bon acteur qu'Alec. Les autres transgéniques n'avaient pas réagi bizarrement non plus. Une blague à grande échelle ? Également peu probable.
_ Moi, ce qui me chiffonne, dit Max, c'est la chronologie. Elle a dit qu'elle était née le premier avril et on sait qu'elle a quatre ans et deux jours… Sauf qu'on ne peut pas être le trois avril. Au maximum, on a un delta de deux jours avec le 2 mai. Pour être le trois avril, il aurait fallu qu'on soit resté inconscients plusieurs mois. Onze mois !
Joshua et son mini fella s'approchèrent d'eux.
_ Tu étais à l'infirmerie ? Demanda Joshua. Alec, OK ?
_ Ça va, mon grand. Je suis juste un peu fatigué, répondit Alec en rendant son accolade à l'homme-chien. Max y était aussi.
Joshua prit Max dans ses bras. Sauf qu'il ne la lâcha pas. Il entreprit de la renifler partout.
_ Oui, je sais, je sais… commença-t-elle.
_ Je suis désolée, fit Joshua en commençant à chouiner comme un chiot.
« En fait, j'allais dire "oui, je sais, je sais, je suis sale et je pue". Pourquoi es-tu désolé Joshua ? Pourquoi sembles-tu être sur le point de pleurer ? » pensa Max.
_ Qu'est-ce qui ne va pas ? Demanda Alec.
_ Ça marchera mieux la prochaine, dit Joshua en faisant une accolade de réconfort au jeune homme.
_ Euh… commença Max en échangeant un regard perplexe avec Alec.
_ Alec et Max sont restés longtemps malades ? Demanda le big fella.
_ Une bonne journée, répondit Max.
_ C'est pour ça que tes cheveux sont plus longs ? Demanda la fillette en s'agrippant à son pantalon. C'est comme la barde de papa ? Il faut les couper tous les jours ?
« Qu'est-ce qu'ils ont encore mes cheveux ? ».
_ Tu trouves que mes cheveux sont plus longs ? Demanda Max à Alec, pendant que Joshua penchait la tête sur le côté comme à chaque fois qu'il essayait de comprendre une situation étrange.
_ Ils poussent forcément un peu chaque jour… Après, ça ne me choque pas. Mais, je te vois tous les jours alors…
Il avait raison.
_ En même temps, les pointes sont abîmées. Une petite coupe leur ferait sans doute du bien… commenta Max en touchant le bout de ses cheveux. Dis-moi plutôt, Joshua, où as-tu appris à conduire tout seul ?
_ Tu sais bien… avec middle fella.
_ J'ai fait ça ? Demanda Alec.
Une sonnerie de téléphone les interrompit. Alec commença à fouiller dans ses poches, mais Joshua sortit un téléphone de sa veste et s'éloigna pour répondre.
« Depuis quand Joshua a-t-il un téléphone portable ? ».
_ Pourquoi vous êtes bizarre ? Demanda la petite fille, l'air sévère et les mains sur les hanches.
_ Oh ! Un petit tyran, fit Alec. Ça me fait penser à quelqu'un…
Max n'eut pas le temps de répliquer car Joshua revint.
_ Il faut que Joshua y aille pour continuer à préparer l'exposition.
« Quelle exposition ? »
_ On se voit plus tard ? Dit-il.
_ Bien sûr, répondit Max.
_ Mini fella, dit Joshua à la fillette, je compte sur toi : tu dois bien prendre soin de ton papa et de ta maman.
« Son papa et sa quoi ? » pensa Max.
Elle échangea un regard perturbé avec Alec. La petite fille attrapa le poignet d'Alec et regarda l'heure sur sa montre.
_ C'est bientôt l'heure du bain, dit-elle, on devrait aller chercher Jared et Jensen.
_ On te suit, répondit Alec.
La fillette avança d'un pas déterminé. Alec et Max ralentirent volontairement leur rythme pour s'éloigner un peu de l'enfant.
_ C'est quoi ce délire, "maman" ? Demanda Alec aussi bas que possible.
_ Comment veux-tu que je le sache, "papa" ? répliqua Max.
_ Si l'hypothèse de la blague, même peu probable, pouvait être envisagée avec Mole, là, c'est carrément impossible.
_ Oui, je sais. Joshua ne nous ferait jamais ça, dit-elle.
_ Et, il ne sait pas nous mentir.
_ En parlant de chose qu'il ne sait pas faire, demanda-t-elle, quand lui as-tu appris à conduire tout seul ?
_ Je ne lui ai pas appris à conduire en solitaire, répondit-il. Au mieux, je l'autoriserais à conduire en conduite accompagné : il a la capacité de concentration d'un chiot et il n'est pas assez vigilant pour conduire tout seul.
Ils rattrapèrent la petite et arrivèrent à un passage étroit entre un immeuble et l'entrepôt de stockage de Terminal City.
_ Tu es sûre de là où tu vas ? Demanda soudainement Max à la fillette.
_ Évidemment, répliqua-t-elle.
_ Évidemment, répéta Alec en riant.
_ Quoi ? Demanda Max.
_ Le côté mini-dictateur transmis via la génétique maternelle est assez crédible, commenta-t-il, sans parler de l'histoire de la femelle alpha.
Max sourit. Vu leurs relations de ces derniers temps, elle préférait le voir en train de lui faire des remarques sarcastiques plutôt que lui en vouloir pour une faute qu'elle n'arrivait pas à trouver.
La petite fille s'arrêta sous un bloc de climatisation externe, en partie cachée par un jeune arbre solitaire, aux feuilles clairsemées. Max ne savait pas qu'un arbrisseau avait réussi à pousser au milieu des toxines chimiques de la ville des mutants. Une bâche en plastique avait été tendue, sans doute pour protéger le climatiseur de la pluie. Elle se souleva brusquement et révéla deux petites têtes parfaitement identiques. Deux petits garçons sautèrent dans les bras d'Alec, qui réussit à les attraper au vol. Max dut à nouveau retenir son souffle de peur de voir un enfant tomber. Alec aussi était à nouveau redevenu blanc. Les garçons, comme la petite fille avant eux, étaient hilares.
_ Les jumeaux ! S'exclama la fillette. Laissez papa tranquille : il est fatigué.
_ D'accord, dirent les garçons en sautant avec agilité dans les bras de Max.
Elle ne s'était pas attendue à ça. Elle les attrapa, mais trébucha en reculant. Alec eut juste le temps de la retenir pour qu'elle ne tombe pas en arrière.
_ Ça suffit, tous les deux ! Cria la petite. Maman aussi n'est pas bien.
_ Pardon, dirent les garçons en se laissant glisser au sol.
Ils devaient avoir un an et demi mais, en bon petits transgéniques, leur mobilité et leurs facultés intellectuelles devaient avoir plus de six mois de développement d'avance par rapport à un enfant ordinaire. Ils avaient des cheveux châtains en bataille et des yeux couleur chocolat.
« Une fille de quatre ans, deux garçons de dix-huit mois, Alec, leur père et moi, leur mère » pensa Max. « Tout s'explique : j'ai une commotion cérébrale et je délire ».
Les yeux d'Alec se posaient un coup sur elle, puis sur les enfants, enfin, il revenait à elle. Il fit ainsi plusieurs allers-retours. Il n'avait pas plus l'air de comprendre la situation qu'elle.
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Sur un ton très autoritaire, la fillette décida qu'il était temps de rentrer "à la maison". Elle saisit la main d'Alec et l'entraîna. Les jumeaux se postèrent de part et d'autre de Max et la guidèrent.
Ils entrèrent dans un immeuble de Terminal City qui n'était pas celui dans lequel Alec et elle partageaient un appartement. L'un des jumeaux fit la courte-échelle à l'autre pour qu'il puisse pousser le bouton d'ascenseur du deuxième étage. Ils arrivèrent ensuite à une porte sans nom, ni chiffre. Le jumeau qui avait appuyé sur le bouton d'ascenseur fit, à son tour, la courte-échelle à son frère, qui ouvrit la porte non verrouillée. Les garçons s'écartèrent et leur sœur entra en premier. Dans l'entrée, elle enleva ses chaussures. Les jumeaux l'imitèrent. Max et Alec échangèrent un regard et firent de même.
_ Venez vous laver les mains, dit la petite à ses frères.
Pendant que les enfants s'éclipsaient vers ce qui devait être la salle de bain, les deux adultes entrèrent dans l'appartement. Ils étaient plus grand que le leur, mais l'agacement était assez similaire : la cuisine à droite de l'entrée, le coin salon sur la gauche, deux portes entrouvertes qui devaient mener aux chambres et une grande table à manger devant elles. Certains meubles, comme la télévision et deux fauteuils, à l'opposé de l'entrée, étaient inconnus au bataillon. D'autres comme le piano ou le canapé étaient plus familiers. Max s'approcha du canapé et passa les doigts dessus. Il semblait plus vieux, mais c'était bien le même.
_ C'est notre canapé, dit-elle à Alec. Le piano ?
_ C'est le même, répondit-il. Il est bien entretenu et il doit servir régulièrement.
Alec lui fit un signe de tête et elle regarda la télévision.
_ Ce n'est pas celle de chez nous : elle est plus grande et plus récente.
_ Je te parle de ce qui est au-dessus, dit Alec.
Max regarda l'objet accroché sur le mur. C'était un grand portrait de famille au format paysage. Le photographe avait dû se placer au-dessus de ses sujets, tous couchés sur le dos. Alec était en bas, tout sourire. Dans chaque ma main, il tenait un petit biberon. Les biberons étaient tétés par deux bébés identiques de quelques mois seulement, de chaque côté du X5. Max était, sur la partie haute du cadre, la tête vers le bas, sur la droite de celle d'Alec. Elle passait les doigts dans les cheveux du jeune homme et était rayonnante de bonheur. De l'autre côté de la tête d'Alec, il y avait une version plus jeune de la fillette qui les accompagnait depuis le centre de commandement. Elle faisait un grand sourire et imitait le geste de Max en passant ses petits doigts dans la chevelure du X5. C'était une magnifique famille, heureuse et épanouie.
_ Qu'est-ce qu'on fait maintenant ? Demanda Max.
_ Pour ma part, je vais suivre le mouvement, répondit Alec. C'est comme ça que ça se passe dans les rêves, non ? Les choses se déroulent toutes seules…
_ Tu penses que c'est un rêve ?
_ Ou une hallucination… ajouta-t-il.
_ Alec, on ne peut pas rêver ou halluciner à deux, je te signale.
_ Moi, je sais que ce n'est pas réel. À mon niveau, ça veut dire que tu fais partie du contexte.
_ Je ne suis pas une hallucination, plaida Max.
_ C'est ce qu'une hallucination dirait, lui fit-il remarquer.
_ Peut-être que c'est moi qui rêve, et toi tu…
_ Maman, fit la double voix des jumeaux derrière eux, on peut prendre un bain avec toi, s'il te plaît ?
_ Euh…
« C'est vrai que je rêve d'un bon bain » pensa Max.
_ Je veux bien me raser d'abord avant que vous bloquiez la salle de bain pendant plus d'une heure, dit alors Alec.
_ On peut te mettre la mousse ? firent les garçons. Chacun une joue.
_ D'accord, concéda Alec.
Les garçons allèrent vers la salle de bain. Max resta alors seule avec la petite fille.
_ Est-ce que tu vas bien ? Demanda-t-elle.
_ Je vais toujours bien, répondit Max en souriant.
« Merde » pensa-t-elle « Je me mets à parler comme Alec ».
Max s'agenouilla pour être au même niveau que la fillette. Celle-ci tendit les mains et commença à lui caresser le bout des cheveux.
_ Tu te trouves que mes cheveux ne sont pas bien avec cette longueur ? Demanda légèrement Max.
_ Si, j'aime bien. C'est étrange qu'ils soient vraiment plus longs qu'hier matin… dit-elle tout bas.
La fillette autoritaire et pimpante semblait avoir soudainement un vague à l'âme.
_ Et, si tu me demandais ce qui te tracasse vraiment ? Dit Max.
_ Est-ce que ce sont les Familiers qui vous ont fait du mal à papa et à toi ?
« Comment une enfant de cet âge peut-elle connaître les Familiers ? Et, pourquoi a-t-elle l'air d'en avoir peur ? Que lui est-il arrivé ? »
_ Non. Ils ne nous ont pas fait de mal, répondit Max.
La fillette leva les yeux vers elle. Elle avait exactement les mêmes yeux qu'Alec. C'était troublant.
_ On n'a pas fait attention avec ton papa. On est tombé dans un trou et on s'est cogné. C'est tout. Rien de méchant. Sauf pour les vêtements, ajouta-t-elle en désignant son haut noir devenu gris à cause de la poussière.
_ Pour de vrai ?
_ Oui, c'est vrai.
La petite vint alors se blottir dans ses bras pendant plusieurs minutes. Ce fut alors qu'elle aperçut une fine colonne de runes partant de l'arrière de l'oreille gauche de la fillette. Alec sortit à ce moment de la salle de bain, bien rasé, en compagnie des jumeaux, aux visages propres. La fillette laissa Max et se jeta contre Alec qui la souleva pour lui faire un câlin. Il lui lança un regard pour lui demander ce qu'elle avait fait à la petite. Elle aurait bien aimé pouvoir lui parler sans petites oreilles indiscrètes. Les jumeaux durent sentir que quelque n'allait pas car ils saisirent chacun l'un des jambes d'Alec pour le câliner. C'était mignon à voir.
_ Max ? Dit-il.
_ Oui, Alec ?
_ Je crois que je subis une attaque de petits X5…
Sa remarque fit rire Max et glousser les jumeaux. Même la fillette sortit de son marasme et eut un petit sourire sur les lèvres.
_ Tu y survivras. Ce qui ne te tue pas, te rendra plus fort, dit Max sur le ton de la provocation.
_ Et, si on jouait ? lancèrent les jumeaux d'une seule voix.
_ Oui, dit leur sœur, papa fait des pompes et, nous, on grimpe sur son dos.
_ Et moi, je compte, dit Max.
_ Je ne suis pas certain que ce jeu soit marrant pour tout le monde… commenta Alec.
Avec ses deux poids aux jambes et celui dans ses bras, il se mit à avancer dans l'appartement, avec une difficulté surtout feinte, faisant rire les enfants et elle. Il posa la petite fille dans le premier fauteuil à sa portée et tenta de faire de même avec les garçons.
Derrière Max, la porte d'entrée s'ouvrit soudain en fracas. Avant d'avoir pu se retourner, quelqu'un, de très fort, passa le bras droit autour de sa gorge, la soulevant légèrement du sol, l'obligeant à être sur les pointes des pieds pour ne pas étouffer. La main gauche de l'inconnu avait réussi à se saisir de ses deux poignets et les maintenait dans son dos. Elle était totalement impuissante.
Max vit Alec revêtir son visage de combat en une fraction de seconde. Les enfants, visiblement briefés, s'étaient tous éloignés pour aller se cacher derrière le fauteuil le plus loin de la porte d'entrée. Alec bougea rapidement pour la rejoindre, mais il fut cerné par plusieurs armes pointées sur lui, dont le fusil Mole, toujours inséparable de son maître, qui menaçait à présent Alec. Alec se figea en regardant Max et leva les mains en signe d'apaisement. En quelques secondes, Max et Alec passèrent de "c'est bizarre, mais tout va bien" à une situation de mort imminente.
Dans le coin de son œil, Max aperçut une silhouette féminine, aux cheveux courts, se diriger directement vers la cachette des enfants. Alec regardait tantôt Max, tantôt l'homme qui l'immobilisait. Il n'avait pas l'air d'aimer ce qu'il voyait. Elle pensa d'abord à un Familier. Mais, aucun transgénique, et surtout Mole, ne les aurait attaqués avec l'aide d'un Familier.
Près des enfants, qui n'avaient plus l'air effrayés, la femme, non armée, se retourna enfin pour regarder la scène et Max l'aperçut.
Elle faisait la même taille qu'elle et elle avait le même visage. Ses cheveux étaient coupés en un carré inversé. Pendant une seconde, Max se demanda si Sam, son clone, était revenue. Mais, Sam était au Canada. Elle n'avait aucune raison d'être là. La femme portait une veste en jean ouverte, sous laquelle il y avait un haut rouge. Entre le haut et le jean taille basse, il y avait une ligne de runes, juste sous le nombril. Runes que Max savait être la seule à pouvoir avoir, avec la fillette.
La femme regarda ostensiblement la nuque d'Alec. La situation des transgéniques s'étant calmée, ils ne s'introduisaient plus en douce dans les salons de tatouages pour effacer leurs code-barres au laser. Celui d'Alec devait donc être parfaitement clair. La femme appuya ensuite un regard expressif à l'homme derrière Max. Elle pouvait sentir la respiration de l'homme contre son cou. Il devait regarder son matricule. Puis, contre tout attente, elle le sentit plonger le nez dans ses cheveux. Elle tenta de se débattre : non seulement il la gardait en otage, mais en plus, il se permettait un geste intime. Alec avait bougé vers eux et le canon du fusil de Mole était à présent à bout portant au niveau du cœur du X5.
_ Éloignes-toi d'elle, ordonna Alec.
L'homme bougea et retira son visage des cheveux de Max. Il devait avoir le visage tourné vers Alec… ou vers la femme. Contre tout attente, l'homme baissa le bras et tira la jeune femme légèrement en arrière. À cause de cette manœuvre, les pieds de Max avaient touché le sol en un point, mais son corps bascula en arrière et elle fut déséquilibrée. Elle se retrouva quasiment allongée dans les bras de l'inconnu. Pendant, une fraction de seconde, elle put apercevoir son visage : le même que celui d'Alec. La fraction de seconde suivante, il lui écrasa les lèvres avec les siennes. Et, la fraction suivante, grâce à une pression adéquate et une grande habilité, ils écartent leurs lèvres et glissa la langue dans sa bouche. Max envisagea de le mordre mais, au dernier quart de seconde, ce brusque baiser était fini. L'homme bougea les lèvres comme s'il analysait le goût de Max.
« C'est quoi ce type ? » s'exclama Max intérieurement.
Ensuite, il la redressa et la lâcha en lui donnant une légère impulsion pour qu'elle puisse rejoindre Alec. Ce dernier la fit passer derrière lui pour faire obstruction de son corps aux armes pointées sur eux et à l'homme qui se délectait du goût de la jeune femme.
Coincée entre le dossier du canapé et Alec, Max aperçut Magenta qui les regardaient avec un air sévère.
_ On fait quoi maintenant ? Demanda Mole à l'homme.
_ Ils ne sont pas méchants, plaida la voix de la fillette derrière Max.
Max se tourna pour s'assurer que les enfants allaient bien. Ils n'étaient plus cachés derrière le fauteuil, mais ils étaient tous les trois agrippés aux jambes de la femme, qui faisait barrière de son corps, comme Alec faisait avec elle.
_ Où les avez-vous trouvés ? Demanda l'homme avec la même voix et les mêmes intonations qu'Alec.
_ Dans un trou dans une grande salle de l'usine Polycarpe, dans le Secteur 24, répondit un transgénique.
_ Ils étaient inconscients, ajouta un autre.
_ Oh ! S'exclama la femme devant les enfants, les fameux deux jours et demi.
L'homme qui ressemblait à Alec explosa de rire, rendant l'assistance perplexe.
_ On se détend, dit-il.
Les transgéniques baissèrent aussitôt leurs armes.
_ Ils sont inoffensifs, ajouta-t-il.
_ Tu es sûr ? Demanda Magenta.
_ Puisque tu as déjà prélevé des échantillons, tu n'as qu'à les tester si tu veux te rassurer. Mais, je connais déjà les résultats : ADN identiques, télomères raccourcis de cinq ans et épigénie identique pour les deux Max. Même chose entre le beau gosse et moi, sauf que tu auras une épigénie différente.
Max comprenait parfaitement ce que laissait sous-entendre l'homme : la femme et elle étaient parfaitement identiques dans leurs gènes, mais elles avaient cinq ans de différence. Alec et l'homme avaient le même écart d'âge, le même matériel génétique, mais la façon dont il s'exprimait était différente.
À l'exception de l'infirmière, tous les transgéniques étaient parfaitement détendus.
_ Vous pouvez tous y aller maintenant, dit la femme. Merci d'avoir voulu nous aider mais tout va bien.
_ T'es sûr ? Demanda Mole, alors que les autres soldats quittaient les lieux.
_ T'inquiète, mon pote, fit l'homme en donnant une tape amicale dans le dos du grand lézard, on est en famille.
La femme se déplaça, suivie par les trois enfants, et rejoignit Max et Alec, alors que l'homme-lézard fermait la porte derrière lui.
_ Tout va bien. On va vous expliquer.
_ Ouais, dit l'homme. Désolé pour l'accueil. Mais, il faut nous comprendre : on rentre et on nous dit que les enfants sont avec des gens qui ne sont pas nous…
_ Vous allez pouvoir passer la nuit ici, dit la femme. Après-demain, tout sera redevenu normal pour vous.
_ Et, vous ne vous souviendrez de rien, ajouta l'homme.
à suivre
