LE BAL DES CŒURS BRISÉS
Attention : langage grossier et contenu sexuel
Seattle, Hilton Grand Hôtel de Seattle, dimanche 15 mai 2022, 19h00
LOGAN
Bling, jouant le rôle de son conducteur personnel, déposa, comme prévu dans le plan, Logan à l'hôtel Hilton. Le journaliste avait prévu de repartir avec le service de chauffeurs de l'hôtel. Officiellement, il était toujours un impotent, greffé à un fauteuil roulant, ayant besoin d'être assisté. Malgré lui, il était devenu le symbole de la disgrâce de la famille Cale : ruiné et invalide. Il avait horreur de cela.
Logan arriva au bal dès le lancement de ce dernier. La majorité des participants n'étaient pas encore là. Ce choix était calculé. Il devait rapidement vérifier les lieux et vérifier que le service de sécurité était ce à quoi il fallait s'attendre, vérifier qu'il n'y avait pas une sortie de secours condamnée et cetera… En passant le portique de détecteur à métaux, il fit sonner l'alarme. Un agent le fouilla et s'interrogea sur le fauteuil. Logan lui expliqua que chaque partie du fauteuil roulant ferait sonner l'alarme. Le vigile le laissa passer sans autre vérification. Comme il était venu seul, on lui proposera d'être accompagné tout au long de la soirée, au frais de l'hôtel. On lui présenta cinq femmes, probablement cinq escortes. Lorsqu'il refusa, on lui présenta trois jeunes hommes, faisant sans doute le même métier que les cinq femmes. Il refusa à nouveau en prétextant qu'il avait l'habitude. On lui suggéra de profiter des bienfaits de la soirée. Il dit alors que son médecin préconisait qu'il se déplace par lui-même pour garder une bonne santé dans la partie valide de son corps et tourna les talons, ou les roues, pour ne plus à avoir se justifier. Une escorte fut néanmoins désignée pour lui montrer les lieux et le guider jusqu'à sa table.
La totalité du rez-de-chaussée de l'hôtel était dédiée au bal. Les portes communicantes, entre les différents salons et salles de réception, avaient été ouvertes pour donner l'impression d'un immense tout. Pour autant, on pouvait définir deux zones bien distinctes : la salle de bal et la salle à manger.
Dans la salle de bal, la première visitée par Logan, il y avait un grand parquet ciré, monté sur une estrade pour l'occasion, qui occupait le centre. Pour le moment, quelques couples de danseurs professionnels s'y relayaient pour faire le spectacle et épater les arrivants. Plus tard dans la soirée, lorsque tout le monde serait présent, certains danseraient de façon plus modeste, tandis que les autres parcourraient la foule en incitant les gens à danser. Dans la partie sans issue, l'orchestre jouait déjà. Tout comme les danseurs, qui allaient se relayer toute la nuit, il devait y avoir un orchestre de réserve. À voir les micros sur le devant de la scène, il était sans doute prévu qu'il y ait aussi des chanteurs. Des fauteuils et des canapés bordaient le mur de l'entrée. Le long du mur d'en face, un grand bar et un buffet proposaient des collations. Çà et là, de fines tables hautes étaient disposées pour permettre aux gens de poser leurs rafraîchissements et leurs en-cas, tout en regardant les danseurs.
À tout ceci, il fallait ajouter des petits salons privés, pour les discussions confortables en petits comités, des bureaux privatifs, pour les affaires, et des chambres et des suites pour ceux qui souhaiteraient rester plus longtemps… la compagnie étant fournie, au besoin.
Finalement, après avoir regardé le plan de tables, Logan et l'escorte arrivèrent dans la grande salle à manger. C'était une sorte de grand restaurant cinq étoiles. Un menu était à disposition avec quatre entrées froides, quatre entrées chaudes, quatre plats de viande et trois de poissons et fruits de mer, une sélection de fromage à faire pâlir le vieux continent, et pas moins d'une dizaine de desserts. La carte des vins et des spiritueux semblait irréelle, dans ce monde Post-Impulsion, tant elle était fournie. Chaque personne pouvait choisir de se faire servir, à table, les mets de son choix parmi ceux figurant sur le menu. Des serveurs et serveuses arpentaient dans la salle pour satisfaire les premiers participants à la soirée.
« Ce sera un gâchis sans nom » songea Logan. « Toute la nourriture, présente ce soir, suffirait à nourrir la moitié de Seattle, mais elle sera à la disposition de trois cents personnes ».
La particularité de cette salle à manger était la disposition concentrique des tables, qui affichait votre rang dans la société. Le prestige, lié au nom de famille, à l'entreprise gérée, à l'immobilier ou à la quantité d'argent en banque, définissait la position dans la salle. À moins, bien sûr, de payer une compensation pécuniaire pour espérer gravir un échelon ou deux. Au centre, il y avait les plus indécemment riches. Logan bouillonnait de colère en voyant les chefs mafieux, les trafiquants, les corrompus en tout genre, siéger aux côtés de la classe politique. Comment quelqu'un pouvait-il rester intègre alors que ses contacts de travail étaient tous des criminels ? Même en prenant des précautions, l'homme le plus noble du monde finirait forcément par avoir à faire avec ces personnes. Deux juges, cinq conseillers de Secteur, des hommes d'affaires… Les puissants de tout l'état de Washington s'étaient donnés rendez-vous. Des visages connus étaient là : les deux frères Beltran, le maire et le directeur de la ressource en électricité de Seattle, Alan Lans, le préfet de police, Leopold Steckler, l'ancien maire… Si Edgar Sonrisa était en vie, il serait probablement au centre avec ses "amis". Tout ce petit monde était réuni autour de Bill Fenster, leur hôte.
« Le Veilleur vous a à l'œil » les menaça mentalement Logan.
Aussi déplorable que cela fusse, si l'oncle Jonas était en vie, il serait un rang juste après ces gens-là. La table du centre était la plus important avec un peu plus d'une vingtaine de convives, avec les épouses et les femmes qui donnaient-une-meilleure-image-que-les-épouses. Les autres tablées étaient plus modestes : huit personnes au maximum.
Techniquement, tous les gérants d'entreprise, de la multinationale au propriétaire de stand à hot-dog, pouvaient se présenter. Après tout, le but officiel de cette soirée dansante était de promouvoir l'industrie et la reprise économique de l'état, sur fond d'amusement et de divertissement. Les gérants de petites sociétés venaient chercher finances et conseils auprès des grands hommes. Les plus aisés se rassemblaient pour passer du temps entre eux… et faire des affaires officieuses.
Pour les petits de ce monde, le premier frein était financier : les organisateurs du bal exigeaient un acompte de six mille dollars. Le second frein était purement superficiel : ce genre d'événement exigeait un code vestimentaire très chic. Même louer un smoking n'était pas à la portée de tous. Ensuite, le but était d'en jeter plein à la vue des autres : arriver au volant d'une belle voiture, à confier au voiturier, donnait un cachet supplémentaire. Et bien entendu, avoir une jolie jeune femme à son bras, elle-même vêtue d'une robe de luxe, était la cerise sur le gâteau.
Le nom de Cale n'inspirait plus grand monde depuis la faillite des Industries Cale et le décès de l'oncle Jonas. Logan n'avait pas versé de contribution superflue, il était donc installé à l'extérieur du cercle médian. Reagan "Normal" Ronald et Gem seraient trois rangs derrière lui. La tante Margot n'avait pas fait un aussi bon mariage que le premier. Elle et son mari seraient seulement un rang au-dessus de Logan. Max et Alec, les Montrose, seraient deux rangs au-dessus de la tante Margot et trois au-dessus de Logan. Tout le monde ignorait ce que possédait réellement la famille Montrose. Aucun versement supplémentaire n'avait été fait pour eux. Mais, le nom de famille, et le mystère qu'ils représentaient, avait placé Max et Alec pile au milieu. C'était parfait : ils devaient attirer l'attention, mais pas trop.
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Logan voulut donner un pourboire à l'escorte, pour la remercier de l'avoir guidé. Elle refusa en disant qu'il valait mieux qu'il garde son argent pour ses frais médicaux. Elle avait pitié de lui. De son côté, elle ne doutait pas un seul instant que la soirée soit lucrative pour elle. Logan prit son téléphone et envoya le message pour signaler à Max que la voie était dégagée, et qu'Alec et elle pouvaient venir.
La salle se remplit lentement. Normal et Gem arrivèrent. Le patron de Jam Pony vint le saluer très solennellement. Même si l'industrie Cale était morte, connaître et serrer la main d'un membre de la famille Cale aiderait Normal. C'était un type assez désagréable et pète-sec, à première vue. Quand on le connaissait, il était étrange et particulièrement buté. Mais, il était intègre et droit dans ses bottes. Logan l'appréciait pour ça. Gem portait une robe simple, verte pâle, avec une grosse fleur rouge dans les cheveux, assortie à la cravate de son cavalier, au costume loué. C'était une très bonne présentation. Logan souhaita que Normal puisse trouver un bon mécène. Pour éviter qu'il ne soit alpagué par de mauvaises personnes, le journaliste se dit qu'il garderait un œil critique sur les gens avec qui il serait en contact ce soir.
Un peu plus tard, les murmures ambiants laissèrent la place à un silence stupéfait. Attiré par ce changement radical d'ambiance, les yeux de Logan suivirent le mouvement à la rechercher de la cause de ce revirement. Les Montrose venaient de pénétrer dans la salle. Alec portait élégamment le smoking. À croire qu'il était fait pour porter un costume tellement cela lui allait bien. Les femmes et les hommes le regardèrent avec envie. Envie pour lui-même, mais aussi pour la femme qui était à son bras. Max était plus magnifique que jamais. Elle portait une robe d'un orange doré, doux comme un coucher de soleil, rehaussant son teint. Le bustier était bien cintré et faisait ressortir sa poitrine. Le drapé de la robe était plus court devant que derrière, qui donnait presque l'impression d'être une traîne. À chacun des pas de la jeune femme, cela révélait une longue jambe bien galbée. Elle portait de longs gants, jusqu'aux coudes, et des chaussures à lacet assortis. Son visage semblait être couvert de poudre d'or. Si, au gala de charité, le maître mot avait l'élégante sobriété, cette fois-ci, c'était la provocation. Max affichait un sourire radieux, comme Logan lui en connaissait peu.
C'était un déchirement pour lui. La plus belle femme de la soirée, sa petite-amie, paradait au bras d'un autre. Il eut envie de se lever et d'aller arracher Max à Alec. Bien entendu, il n'en fit rien.
Ils arrivèrent à leur table et saluèrent les personnes déjà installées. Alec tira une chaise pour que Max puisse s'y asseoir. Après quoi, il lui prit la main pour y déposer un baiser. Puis, il s'assit à son tour. Il avait l'air d'être la galanterie personnifiée. Tous les deux semblaient trop beaux pour être réels.
Logan aperçut les occupants de la table du centre observer le jeune couple. Passivement, Max et Alec attiraient trop l'attention sur eux. Il n'y aurait pas un instant où ils ne seraient pas observés. Et, dans ses conditions, ils ne pourraient pas s'éclipser de la salle à manger, avec Logan, pour s'introduire dans le bureau de Fenster. Logan se dit que la mission serait un échec.
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Le timing de la soirée était la variable la plus importante de la mission. Il fallait attendre l'arrivée de tous les participants. Tous s'installeraient à table et les premiers échanges entre personne, d'un même niveau social, commenceraient autour du repas. Ensuite, il fallait que la majorité ait terminé le plat de résistance. Ce serait à ce moment-là qu'il faudrait agir. Les participants à la soirée commenceraient à se déplacer et à passer de table en table pour se présenter ou se faire introduire auprès d'une personne de rang supérieur par une connaissance. Le va-et-vient des serveurs et des invités serait tel qu'il serait, en théorie, possible de se faufiler vers les bureaux privatifs.
C'était à Max et Alec de déterminer le moment adéquat car ils étaient les plus aptes, en bons anciens soldats transgéniques, de trouver une faille pour une infiltration. Alec se lèverait en premier. Il irait faire un tour du côté de la salle de bal, avant de revenir dans les environs de Logan. Ils se croiseraient et se salueraient poliment. Max devra rester en arrière pour observer la scène de loin, sous couvert de papotages à sa table. Max n'aimait cette partie du plan : elle avait horreur des bavardages mondains depuis qu'elle les avait subis au gala de charité. Elle avait prévenu Logan qu'il devrait la dédommager pour ça et la mauvaise soirée qu'elle passerait.
Lorsqu'Alec et Logan seraient ensemble, elle se lèverait à son tour et irait "se refaire une beauté" aux toilettes, situées dans le couloir attenant aux bureaux. Elle confierait un message à une personne de sa table, pour signaler à son "mari" où elle était partie. Alec reviendrait à sa table où il recevrait le message de sa "femme". Il recommencerait les mondanités tout en se déplaçant vers le couloir, tout en repérant et en distrayant toutes personnes qui pourrait les croiser. Arrivé à l'abri des regards, il devait envoyer un message écrit sur le téléphone de Logan. Exactement six minutes après la réception de ce message, Logan devait se rendre aux toilettes. Cela laissait le temps aux deux X5 de dégager la voie et l'accès au bureau de Fenster. Logan brouillerait alors les caméras de surveillance avec un appareil dissimulé dans son fauteuil roulant, et donc non détecté par la sécurité à l'entrée de la soirée. La mission débuterait alors pour de vrai.
MAX
À Terminal City, en découvrant sa tenue de soirée, Max avait failli tuer Alec. Aux premiers abords, elle avait trouvé la robe trop provocante, que ce soit au niveau de la forme ou de la couleur. Malheureusement pour elle, elle n'eut pas le temps d'en chercher une autre. Cependant, sa mauvaise humeur se calma lorsque, aidée par Original Cindy pour son habillage, elle enfila sa tenue. Alec avait encore frappé un grand coup : malgré son allure extravagante, la robe était confortable. Max avait même une grande liberté de mouvement avec. Même les chaussures à talon, pourtant compliqués à lacer, étaient agréables à porter. Original Cindy et elle essayèrent de faire dire au X5 où il trouvait de telles merveilles, mais il refusa de parler au motif "qu'un magicien ne dévoilait jamais ses tours".
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La jeune femme cria intérieurement en sentant tous les regards se poser sur elle en arrivant à l'hôtel. D'accord il fallait attirer l'attention, mais pas trop. Alec lui dit, discrètement, de ne pas s'inquiéter car, après un bon repas et une quantité généreuse d'alcool, les participants à la soirée auraient d'autres préoccupations.
En arrivant dans la salle à manger, elle fut rassurée en apercevant Logan. Il avait toujours ce petit air sexy avec sa barbe de trois jours et ses petites lunettes d'intellectuel. C'était la première fois qu'il était sur le terrain, pour une mission de ce genre, avec elle. Elle voulait faire bonne impression. Alec était beau aussi. Mais, peu importait ses vêtements, il l'était toujours. Cependant, il était aussi rassurant à sa façon. Max savait qu'il la soutiendrait sans faillir pour la mission.
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Max avait horreur de ces gens. Le surnom dont elle avait hérité lors du gala de charité, "la nouvelle Stéphanie", avait déjà fait le tour du milieu et elle entendit des messes-basses. Elle entendit aussi un gloussement lointain, mais elle fut soulagée qu'aucune des deux horribles femmes du gala ne se trouve à sa table. Ses voisins semblaient assez corrects. Mais, de nouveau, elle ne réussit pas à se joindre à la conversation.
Le dernier couple de leur table arriva et Max eut la surprise de voir la vraie Stéphanie, au nom de N'Sir-Keller, s'asseoir près d'elle. Son mari, James Keller, salua son voisin et commença à discuter business. De loin, elle l'avait cru âgé, mais en vérité, à son visage, on lui donnait une quarantaine d'années à peine.
Stéphanie se présenta poliment. Il émanait d'elle une grande douceur et une profonde gentillesse. Cela semblait en contradiction avec sa robe noire, encore plus provocante que celle de Max, avec un décolleté plus que profond et aux fentes lui remontant jusqu'en haut des cuisses, et avec le fait qu'elle évoluait dans ce monde de riches depuis des années.
_ Je suis navrée. Si vous saviez, lui dit-elle.
_ À quel sujet ? Demanda Max.
_ J'ai entendu qu'on vous avait surnommée "la nouvelle Stéphanie".
_ Oh… euh… Ce n'est pas de votre faute, fit Max, les joues en feu.
_ Je sais. Mais, je préférais m'excuser quand-même.
Un silence s'abattit entre elles et elles observèrent les personnes, à leur table, discuter avec animation. Stéphanie se pencha vers Max et murmura :
_ Je ne sais pas vous, mais moi, je n'ai jamais rien compris à tout ce charabia économique et financier.
Malgré elle, Max explosa de rire et se sentit moins tendue.
_ J'ai essayé plusieurs fois de m'y intéresser, continua Stéphanie. Mais, je crois que mon cerveau est atteint d'une incapacité biologique à comprendre ces sujets.
_ Incapacité biologie ? Fit Max, le sourire encore aux lèvres. Voilà un terme bien étrange.
_ J'adore la science. C'est mon péché mignon. Et vous ?
_ J'adore la mécanique, avoua Max après un instant de réflexion.
_ Enfant, je rêvais de devenir la première femme biologiste à faire pousser des patates sur la Lune.
_ Vraiment ?
_ C'était ça ou chercher à prendre la relève de Gengis Khan.
_ Incapacité génétique à ne pas descendre d'une longue de lignée de guerriers mongols ? Demanda malicieusement Max.
_ Vous m'avez percée à jour, répondit Stéphanie, en la faisant rire à nouveau.
Alec se tourna vers les deux femmes et interrogea Max du regard.
_ Retournes à ta gestion des risques d'entreprise, mon chéri, et laisses les dames parler chiffon, dit Max à Alec en lui tapotant l'épaule.
Stéphanie ria à son tour et ce fut son mari qui la dévisagea.
_ Ah oui, je vois… fit Alec. Je ne sers qu'à travailler et à ramener des sous à la maison…
_ Vous aussi ? Demanda le mari de Stéphanie, avec un clin d'œil.
_ Je crains que nous n'ayons pas le choix, répliqua Alec. Ici, on nous met en avant mais, à la maison, ce sont les femmes qui dirigent !
_ Pauvres de nous… fit Monsieur Keller en souriant.
Les deux hommes blaguèrent entre eux et commencèrent à parler économie.
_ C'est agréable d'avoir… une compagnie différente de celle qu'on s'attend à rencontrer dans ce genre de soirée, dit Max.
_ C'est scandaleux, n'est-ce pas ?
_ Horriblement, répondit Max. Êtes-vous biologiste ?
_ Seulement en lisant des magazines. Mes parents ont estimé que la biologie n'était pas un domaine d'étude adéquat pour une jeune fille du monde. J'ai étudié le théâtre et la littérature.
_ "Sois belle et tais-toi", cita Max.
_ J'imagine que vous savez ce que ça fait.
_ Toutes les femmes l'entendent, au moins, une fois dans leur vie.
_ Mais, peu sont capables d'aller à contresens, dit Stéphanie.
_ Vous l'avez fait, non ? Demanda Max.
_ Pas au début. Je voulais que mes parents soient fiers. Je devais faire un beau mariage.
_ Je croyais… commença Max. J'ai entendu des choses sur vous, mais j'ignore si elles sont vraies. J'ai entendu dire que vous aviez fait un mariage d'amour.
_ Je sais ce qu'on dit de moi. Oui, j'étais amoureuse de mon premier mari, même si le mariage avait été arrangé. J'étais amoureuse de l'idée même de me marier. Mon ex-mari voulait juste un joli pot de fleur à ses côtés. Il a toujours eu des maîtresses. Lorsque je suis tombée enceinte, je croyais que l'arrivée de notre bébé changerait tout. Mais, je me trompais. J'étais en salle d'accouchement le jour de l'Impulsion. Les médecins n'ont pas pu sauver mon enfant. Par la suite, j'ai développé une infection à l'utérus et ils me l'ont retiré pour me sauver. Mon ex-mari a profité de cela pour demander le divorce.
_ Je suis navrée de l'apprendre, dit sincèrement Max. Toutes mes condoléances pour votre enfant.
_ Vous allez peut-être me trouver horrible, mais, parfois, je me dis que c'était une bonne chose. Entre son père qui ne nous aurez pas aimer, lui et moi, et la vie dans ce monde tantôt apocalyptique, tantôt superficiel et rempli de titres ronflants… Je me dis qu'il doit être heureux, là où il est.
_ Je peux le concevoir, dit Max.
_ Mon second mari, Youssef N'Sir, était différent des hommes d'ici. Il était d'une générosité sans borne. Il était lui aussi divorcé : son ex-épouse était partie avec son avocat, en lui prenant une grosse part de son argent. On s'était rencontré dans la salle d'attente du psy. Pas très glamour, hein ?
La remarque fit sourire Max.
_ Il avait refait fortune dans la fabrication de bouteilles d'eau en verre recyclé. Il n'était pas dérangé par le fait que je ne puisse pas avoir d'enfant. Il m'avait confié qu'il souhaitait, après avoir eu un enfant à lui, retourner en Afrique et adopter une grande fratrie d'orphelins pour qu'ils ne soient pas séparés. Si nous ne pouvions pas avoir d'enfant à nous, on ne pourrait avoir que plus d'amour pour plus d'orphelins. Il n'aimait pas les mondanités. Lui, il aimait être sur le terrain. Il avait appris à connaître chaque rouage de la chaîne de fabrication de l'usine. Un jour, alors qu'il était à l'usine, un employé était arrivé, fortement alcoolisé car sa femme l'avait quitté. Youssef a sauvé la vie de cet homme, mais il s'est retrouvé happé par une machine. Il est mort sur le coup. L'employé, Allan Chandler, voulait mettre fin à ses jours après ça, car il n'avait pas voulu causer la mort d'un patron qu'il appréciait. Je le lui ai interdit. J'ai exigé qu'il ait une belle et longue vie pour honorer celle de mon défunt mari. Il a arrêté de boire. Il me rend visite régulièrement. Il est président de la fondation Youssef N'Sir, contre l'alcoolisme.
_ C'est une histoire à la fois triste et belle.
_ J'ai vendu une partie de la société aux salariés. Je reste l'actionnaire majoritaire mais, n'y connaissant rien, je laisse le conseil d'administration, exclusivement constitué de salariés, gérer les choses. Je n'ai qu'une exigence.
_ Laquelle ? Demanda Max.
_ À ma mort, mes parts doivent servir à financer la distribution d'eau en Afrique. Saviez-vous que les sodas y étaient moins chers que l'eau potable ?
_ Non, je l'ignorais.
_ Sans Youssef, je ne me suis plus sentie la force d'adopter. Il aurait été un père fabuleux. Enfin, j'ai rencontré mon James par accident.
_ Par accident ?
_ J'ai failli l'écraser avec ma voiture.
_ Effectivement.
_ Je sais qu'on raconte des horreurs sur nous. Il n'est pas si vieux que ça. Il n'a que quarante-six ans. Dans sa famille, les garçons ont des cheveux blancs très tôt. Lui, il en avait déjà à dix-sept ans. Un autre divorcé. Il a déjà des enfants et ne souhaite pas en avoir d'autres. Un matin, il s'est levé pour aller travailler. En descendant, je l'ai trouvé étendu au sol. J'ai appelé les secours et ils ont pu me le ramener. Il avait fait un AVC et il en a gardé des séquelles. Il voulait que je parte. Il disait que je ne devais pas gâcher ma vie en restant près de lui. Mais, je suis heureuse avec lui. Je suis juste heureuse qu'il soit en vie.
_ Oui, des fois, les hommes pensent qu'un handicap détruit l'amour qu'on a pour eux, dit Max en pensant à Logan, et à son mal-être lorsqu'il était en fauteuil. C'est idiot.
_ Donc, ce n'est pas à cause du handicap que vous vous êtes séparée de Logan Cale ? Demanda Stéphanie.
Max en avala sa gorgée de travers.
_ Désolée, fit Stéphanie. J'ai tendance à parler sans détour.
_ Je ne m'attendais pas à cette question, avoua Max.
_ Connaissez-vous Madame Margot Anderson ?
_ Oui. C'est la tante de Logan. Elle vous a parlé ?
_ Elle a toujours été friande d'histoires de couple. Mais, j'ai surtout eu du mal à faire le lien avec vous.
_ Ah ?
_ Elle vous a désigné du doigt l'autre jour, mais elle vous a appelé Max, je crois.
_ Ah… ça, c'est… Un surnom que m'avait donné Logan.
_ Je comprends mieux, dit Stéphanie.
_ Je peux vous poser une question délicate ? Demanda Max, en espérant changer le sujet de la conversation.
_ Posez-là. Si je ne souhaite pas y répondre, je vous le dirai.
_ Vous êtes une très belle femme…
_ Merci, dit Stéphanie.
_ Vos tenues sont… Euh… comment dire ?
_ Trop tape à l'œil ?
_ En fait, ce que je ne comprends pas c'est que vous ne semblez pas être comme les autres femmes d'ici : plus intéressées par leurs tenues que par leur intellect. Ce qui se raconte sur vous… Les gens ne diraient peut-être pas autant de mauvaises choses si vous vous habilleriez différemment.
_ J'ai toujours été coquette et j'aime être séduisante. On peut être une femme cultivée et aimer les jolies robes.
_ Je ne dis pas le contraire. C'est juste que… Le comportement des personnes autour de nous n'est pas toujours agréable. C'est pour ça que mes beaux-parents ne fréquentent pas les soirées de ce genre, dit Max en se rappelant ce qu'elle savait des vrais Montrose. Je me demande pourquoi vous vous infligez ça.
_ Vos beaux-parents sont en Europe. C'est ça ?
_ Oui, répondit Max.
_ Avez-vous déjà assisté aux mondanités européennes ?
_ Jamais.
_ Alors, laissez-moi vous dire que, peu importe le continent, les mondanités sont toutes les mêmes. Il y a toujours de la calomnie, toujours des chicanes, toujours des commérages, toujours de la jalousie et toujours des méchancetés gratuites.
_ Oh…
_ Il est vrai que je n'apprécie pas particulièrement ces soirées. Mais, mon mari en a besoin. Il y a peu de choses qui lui remontent le moral quand ça ne va pas. Bien qu'il soit le gérant majoritaire de son entreprise, depuis son AVC, son conseil d'administration tente de le mettre sur la touche. Il doit faire beaucoup d'effort. Ici, il se sent vivant. Je l'aime. Je trouve que c'est un petit prix à payer pour son bonheur.
_ Il a de la chance de vous avoir.
_ Et, j'ai de la chance moi aussi. Il est extraordinaire. Concernant mes goûts vestimentaires, je m'habille pour moi-même. J'aime me pouponner et mettre des tenues provocantes. Je me trouve belle dedans et sexy. Mon mari aussi me trouve belle. Son opinion est la seule qui compte après la mienne. Les hommes m'ont toujours fait des avances et les femmes m'ont toujours vue comme une menace pour leur couple. J'ai choisi de ne pas faire attention à eux. Je sais d'expérience que la vie peut s'arrêter à tout moment. Je n'ai pas de temps à perdre à essayer de plaire à des gens que je n'aime pas, ou à me conformer à leurs attentes.
_ Vous êtes une femme forte, dit Max.
_ Vous êtes encore jeune, mais vous avez du caractère. Vous êtes aussi une femme forte. Mon conseil pour vous : ne laissez pas les autres définir ce que vous êtes.
_ Pour ce que vaut mon opinion, vous valez bien plus que toutes ces personnes réunies.
_ Merci. Et, vous ?
_ Moi ? Demanda Max.
_ Vous en demande-t-il beaucoup ? Demanda Stéphanie en désignant Alec, aka William Montrose.
Max ne connaissait rien du vrai William, mais elle connaissait Alec.
_ Il n'est pas ce que les apparences suggèrent. Les gens le voient à travers son physique agréable… Vous êtes bien placée pour savoir qu'il ne faut pas juger un livre à sa couverture. Mon mari aussi est fabuleux. Mais, il a tendance à l'oublier. Parfois, il faut lui rappeler qu'il est meilleur que ce qu'il croit, dit Max, en pensant à la mauvaise opinion qu'Alec avait de lui-même.
Elle tendit le bras gauche et caressa le dos d'Alec, qui se tourna vers elle.
_ Oui ? Demanda-t-il.
« Oui, il est vraiment quelqu'un de bien. Je serai là pour le lui rappeler » pensa-t-elle.
_ Ne t'occupes pas de moi, dit-elle à Alec, après lui avoir déposer un baiser sur la joue. Amuses-toi.
_ C'est avec toi que je m'amuse, répondit Alec.
Était-ce la réponse de William ou d'Alec ? Max ne sut quoi penser de cette phrase. Alec lui prit la main de la X5 et y déposa un nouveau baiser. Il reporta son attention vers la conversation de ses voisins, mais garda la main de Max dans la sienne.
_ C'est beau l'amour, commenta Stéphanie.
LOGAN
La soirée s'étira en longueur. Trois heures après son arrivée, Logan était toujours à sa table. Concentré sur la mission et sur le couple Montrose, qui semblait passer un bon très moment d'ailleurs, il n'entra pas dans les conversations de ses voisins. Ces derniers comprirent rapidement qu'il valait mieux laisser l'handicapé de service dans son coin, tout Cale qu'il fut. Les gens commençaient tout juste à se mouvoir.
Perdu dans ses ruminations, Logan sursauta en entendant la voix d'Alec.
_ Logan Cale, ça alors, dit Alec, dans son rôle de William Montrose. Ça faisait un moment que je ne t'avais pas vu. Comment vas-tu ?
_ Bonsoir William. Pour répondre à ta question, ça va. J'avais du travail.
_ Qu'est-ce que tu fais déjà ? Tu es écrivain. Ah non ! Tu es journaliste, c'est vrai ! Fit Alec en mimant, à la perfection, un cafouillage involontaire.
Logan ne répondit rien. Il n'était pas d'humeur à jouer à ça.
Les personnes à table, voyant que la conversation n'irait pas plus loin entre les deux hommes, en profitèrent pour se présenter à une personne d'un rang social plus élevé. Logan tourna la tête vers Max. Elle était en pleine discussion avec sa voisine, une femme blonde en robe noire. Soudainement, elle se leva. Logan remarqua alors que cela coïncidait au moment où Alec saluait les personnes à table. Comment faisaient-ils pour communiquer ? On aurait dit qu'ils avaient parlé entre eux pour se synchroniser, mais ils n'avaient pourtant pas échangé un regard. À croire que leurs pensées ne faisaient qu'une. Et, c'était dérangeant de penser cela.
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Comme prévu, Logan se déplaça en direction des toilettes, quelques minutes plus tard, après avoir reçu le message d'Alec. Au moment où il allait franchir la porte battante, celle-ci s'ouvrit brusquement en laissant passer une femme bronzée en robe rouge.
_ Vous ne voyez pas que vous gênez le passage, espèce d'idiot ! Pesta-t-elle.
La femme de mauvaise humeur poursuivit son chemin avant que Logan n'ait pu dire quoi que ce soit. En entrant dans le couloir, il manqua de bousculer un serveur à l'allure débraillé.
_ Excusez-moi, Monsieur, dit le jeune homme. Je vous ai fait mal ?
_ Non, ça va aller.
_ Très bien, Monsieur. Puis-je vous être d'une quelconque utilité ?
_ Non merci. Par contre, vous devriez fermer votre braguette et essuyer la trace de rouge à lèvres que vous avez sur la joue… dit Logan, en commençant à comprendre la situation.
_ Ah… fit nerveusement le serveur. Merci, Monsieur. Je vous souhaite de passer une bonne soirée.
Logan salua le jeune homme. Il actionna le brouillage des caméras des surveillance depuis l'engin dissimulé dans son fauteuil. Il avança ensuite dans le couloir et s'arrêta entre les toilettes des hommes et des femmes. Aucune trace de Max et Alec. Soudain, la porte des toilettes des femmes s'ouvrit, et Max et Alec en sortirent, main dans la main, complètement hilares.
_ Qu'est-ce que vous faisiez là-dedans ? Demanda Logan, de façon suspicieuse.
_ On a joué avec Suzy chérie, répondit Alec.
_ C'était son idée, ajouta Max, en tapant doucement le bras du X5.
_ Peut-être, mais c'est de ta faute.
_ Ma faute ? Demanda Max ? Je n'y suis pour rien.
_ C'est toi le détecteur de fornication de Suzanne…
_ Les caméras sont brouillées. On a vingt minutes. Qui est Suzanne ? Demanda le journaliste.
_ Suzanne Callaway, répondit Alec. Robe rouge à décolleté pigeonnant.
_ Refaite de la tête au pied et abusant de l'autobronzant, ajouta Max, pendant qu'ils commençaient à avancer dans le couloir.
_ Je l'ai croisée, dit Logan. Elle semblait de mauvaise humeur. Je crois qu'elle a fait des avances à un serveur, mais qu'il a refusé…
Max et Alec explosèrent de rire.
_ Quoi ? Demanda Logan.
_ Il n'a pas refusé, dit Alec. Max les a espionnés en pleine action dans les chiottes.
_ Je n'espionne personne ! Se plaignit Max.
_ C'est quand-même marrant que, à chaque fois qu'on fait une soirée où Suzanne est présente, tu sois là quand elle s'envoie en l'air… répondit Alec.
_ Je comprends que tu sois gênée, Max, dit Logan.
_ Au moins, je pense qu'on a réussi à la refroidir pour un temps, dit alors Max.
_ La refroidir ?
_ William et Coralie Montrose ont décidé de faire bruyamment l'amour dans la cabine de toilettes à côté de la sienne, expliqua Alec.
_ Pardon ? Fit Logan.
_ C'est pour ça qu'elle est furieuse, dit Max.
_ Elle voulait que ce soit moi, enfin William, qui la saute, dit Alec. Pas un vulgaire serveur. Son orgueil en a pris un coup.
_ C'est quand-même normal que William préfère faire l'amour à sa femme plutôt qu'à elle, dit Max.
_ En tout cas, ça a bien marché, dit Alec en riant. Par contre, elle risque de médire de Coralie à partir de maintenant.
_ Les gens médisent déjà sur moi : "la nouvelle Stéphanie", dit Max.
_ Je ne comprends rien, dit Logan.
_ Lorsque je suis allée aux toilettes, Madame Callaway y était déjà et elle était accompagnée. Je n'allais rester là à attendre qu'ils finissent leurs affaires, alors je suis sortie. Alec m'a trouvé dans le couloir et m'a demandé pourquoi je n'étais pas à ma place. Il a eu l'idée de faire croire que les Montrose faisaient l'amour dans les toilettes pour la faire partir, en sachant qu'elle serait vexée de ne pas avoir eu Alec, enfin William.
_ Pourquoi est-ce que ça l'aurait vexé ?
_ Elle lui avait fait du rentre-dedans pendant le gala. Et, en plus, Alec l'a déjà baisé pour de vrai, répondit Max.
_ Sérieusement ? Dit Logan.
_ "Baiser", ce n'est vraiment pas classe comme terme. Encore moins dans ta jolie petite bouche, Maxie chérie.
_ En attendant, tu l'as quand-même sautée…
_ Suzanne et moi avons partagé un moment romantique, corrigea Alec.
_ Romantique ? Dans des toilettes d'un hôtel ? Fit Max.
_ J'ai déjà fait des trucs plus compromettants, dit Alec.
_ Ça, je veux bien le croire, répliqua Max en crochetant la serrure du bureau de Fenster.
_ Pour en revenir au moment présent. J'ai demandé à Max si elle savait simuler et on est passé à l'action. D'ailleurs, tu devrais te méfier, Logan : elle simule super bien. Si je n'avais pas été en face d'elle, j'aurais pu croire que notre Max prenait vraiment son pied.
« Notre Max ? Depuis quand on la partage ? » pensa Logan.
_ Tu n'es pas mal non plus dans ton genre. Ça me surprend, dit Max.
_ Tu sais que je suis un excellent acteur.
_ Oui, mais je croyais que tu prenais un plaisir réel à chaque fois. Ton aptitude à simuler me fait me questionner…
_ Disons que je sais faire bonne figure face à l'étrangeté de certaines situations, dit Alec, en entrant en premier dans le bureau.
_ Tu développes ? Demanda Max, pendant que Logan rejoignait l'ordinateur de Fenster.
_ Si ma ou mes partenaires n'ont pas d'orgasme, je considère ne pas avoir fait le job, en fermant la porte du bureau.
_ Tu es bien arrogant de croire que l'orgasme d'une femme ne dépend que de toi, commenta Max.
_ Je suis très doué, dit Alec sensuellement.
_ Quel rapport entre des situations étranges et les orgasmes ? Demanda Max.
_ J'ai découvert que certaines femmes ont une façon singulière de jouir.
_ Mais, encore ?
_ Genre, la femme qui chope un fou rire.
_ Tu es sûr qu'elle ne se foutait pas simplement de ta gueule d'abruti ?
_ Vu les contractions de son vagin, je sais qu'elle était en train de jouir. Mais, elle avait un rire super chelou ! Et moi, j'étais là, à ne pas savoir si je devais continuer ou m'arrêter, dit Alec en haussant les épaules. J'avoue que je n'ai pas souhaité la revoir.
_ Moi, je veux bien croire que ta tête fasse marrer quelqu'un… commenta Max.
_ Arrêtes ton cirque. Avec tes chaleurs, il a dû t'arriver de récupérer le premier toquard sur ta route… dit Alec, en chahutant Max. Parles-moi d'un coup foireux.
_ Lâches-moi, dit Max.
_ Ne fais pas ta timide.
_ Je ne fais pas ma timide.
Alors que le logiciel espion s'installait sur l'ordinateur, Logan observait les deux transgéniques.
_ Je viens de te raconter un truc. À ton tour !
_ Je ne t'ai rien demandé. Tu as choisi de raconter ça par toi-même.
_ Allez ! Tu as des chaleurs depuis combien de temps ?
_ Ça ne te regarde pas !
_ Depuis tes douze, treize, quatorze ans ?
_ Alec !
_ Je vais être sympa. Je vais choisir quatorze ans. Huit ans de chaleurs à ce jour.
_ T'es chiant !
_ À raison de trois ou quatre chaleurs par an, comme je suis magnanime, je vais choisir trois, ça fait vingt-quatre périodes de chaleur. Par sympathie, j'en retire un par petit-ami dont je connais l'existence, soit cinq. Donc, j'estime qu'il y a minimum dix-neuf gars qui sont venus stationner leur engin dans ton allée.
Logan était horrifié par ce qu'il entendait, pendant que Max était devenue plus rouge que la robe de Suzanne Callaway.
_ Y a pas moyen que tu la fermes ? Le nombre de gars avec qui j'ai été ne te regarde pas.
_ Pourquoi les filles sont toujours gênées par ce chiffre ? Il prouve que vous êtes attirantes ! Et puis, quel genre de gars s'en préoccupe, hein ?
_ Des mecs bien ! Tout le contraire de ceux qui pensent à sauter chaque nana rencontrée.
_ OK. Je ne te demanderais pas de me dire le nombre exact de mecs avec qui tu as couché. Mais, au moins, racontes m'en une bonne ! Fit Alec. Satisfais mon appétit et j'arrête de te prendre la tête. Allez, Maxie !
_ D'accord ! Fit Max.
« Non ! » cria intérieurement Logan. « Moi, je suis là et je ne veux pas savoir ! »
_ Un type récupéré dans un bar qui éternue quand il jouit. Ça te va ?
_ Qui éternue ? Demanda Alec.
_ Un gros éternuement, ajouta alors Max.
_ Genre, le mec qui envoie la purée par les deux bouts ? Dit Alec en riant.
Max eut un rire nerveux.
_ Je n'en reviens pas de t'avoir raconté ça ! Dit Max, en cachant son visage dans ses mains.
_ Félicitations ! Dit Alec. Tu as dû trouver le remède aux chaleurs !
Max explosa de rire.
_ Oui, dit-elle. Ce n'est pas faux.
_ Oui ? Vraiment ?
_ J'ai été calmée dans la seconde et je me suis barrée à moitié nue dans la rue.
Les deux X5 rirent ensemble.
Logan s'était toujours demandé de quelle façon Alec obtenait des informations, parfois très intimes, de la part de Max. La réponse était à l'usure. Il venait d'assister à une scène, un vrai film d'horreur. Et, le pire, c'est qu'il était là pendant que les deux autres discutaient. Le jour où Max lui avait parlé de ses chaleurs, elle avait été vraiment mal et honteuse. Là, elle racontait des choses à Alec, en oubliant sans doute que Logan, son petit-ami, était dans la même pièce, mais ça n'avait rien de larmoyant. Ils s'amusaient.
Il eut un mal fou à se concentrer sur son piratage, pendant que Max et Alec échangeaient des anecdotes sur leurs expériences sexuelles. Qu'Alec puisse parler de sexe comme certains parlaient de cuisine, ça ne le surprenait pas. Mais, que Max entre dans le jeu de son nouveau meilleur ami, ça le dépassait.
Soudain, les deux transgéniques se turent et se tournèrent vers la porte.
_ Quoi ? Demanda Logan.
_ Moins fort ! Fit Max, entre ses dents.
_ On va avoir de la compagnie, expliqua Alec. Au bruit, je compte deux paires de pas.
_ Je confirme. Logan, cache-toi, ordonna Max.
_ Où ça ? Demanda-t-il, en regardant le bureau sans cachette évidente.
Max passa dans son dos et bougea le fauteuil roulant. Alec se mit à l'ordinateur sans que Logan ne puisse voir ce qu'il faisait. Max positionna le fauteuil, avec Logan dedans, près d'un guéridon, derrière la porte du bureau, et elle abaissa les freins.
_ Surtout, dit Max, tu ne dis rien, tu ne bouges pas et tu ne fais pas de bruit.
_ Mais…
_ Je suis sérieuse, dit Max, en foudroyant d'un regard qu'il ne lui connaissait pas.
Max vint se poster devant la porte.
_ On fait quoi ? Demanda-t-elle à Alec. On attaque ?
_ Non, ce serait compliqué de retourner en salle après. Et, si on essayait de continuer le plan qu'on a fait à Suzanne, mais en restant près à l'attaque ?
_ Bonne idée, fit-elle, en retirant la cravate au cou d'Alec.
Alec retira sa veste et la positionna devant la porte. Pendant ce temps, Max repoussa la plupart des objets sur le bureau, sans toucher à l'ordinateur. Elle mit l'abat-jour de la lampe de bureau de travers et y déposa la cravate d'Alec. Lui, il déboutonna sa chemise, alors que Max venait s'asseoir sur le bureau. Elle ouvrit la fermeture de sa robe et abaissa son bustier pour dévoiler un soutien-gorge, sans bretelle, en dentelle rose. Elle écarta les cuisses, révélant ainsi ses jambes, et Alec vint se mettre entre elles.
_ Joli soutien-gorge, commenta Alec. La personne qui l'a choisi doit avoir du goût.
_ Alec, essayes de rester sérieux, dit Max.
_ Je suis toujours sérieux en matière de sous-vêtement, même si je suis moins intéressé par l'emballage que par ce qu'il peut y avoir dedans.
Max secoua la tête d'un air désespéré. Elle refit signe à Logan de garder le silence. Puis, elle s'allongea alors sur le bureau dans une pose particulièrement lascive et enroula une jambe autour de la taille d'Alec. Lui, il se pencha sur elle, le visage dans son cou. Ils cessèrent de bouger et gardèrent la position, comme dans un tableau cauchemardesque pour Logan.
Au moment où la porte s'ouvrit, quelques secondes plus tard, Max poussa un gémissement digne d'un film érotique et Alec se saisit son autre cuisse. La porte heurta le guéridon et des cris d'hommes s'élevèrent. Logan, caché derrière la porte, ne les aperçut pas. Max poussa un cri de peur comme on en entend dans les films d'horreur cette fois-ci. Alec se retourna et eut l'air d'un adolescente pris sur le fait. Les hommes poussèrent des jurons, Alec paniqua et Max simula des pleurs de détresse. On aurait réellement cru à un couple pris en flagrant délit.
Pour limiter les cris hystériques de la jeune femme, les hommes sortirent en exigeant le départ des deux amants. Lorsque la porte se referma, Max et Alec reprirent leur attitude sereine en se rhabillant.
_ Finis ce que tu as à faire, dit doucement Max à Logan. On vient te chercher dès que la voie est libre.
_ Le téléchargement prendra encore plusieurs minutes, finit par dire Logan, après une absence à cause de ce qu'il venait de voir.
_ J'ai accéléré le processus, dit Alec.
_ Comment ? Demanda Logan.
En guise de réponse, Alec haussa les épaules et rejoignit la porte.
_ Ne bouges pas, dit Max. On revient.
_ Prête ? Demanda Alec à Max.
_ Si tu es prêt, répondit-elle.
_ Je suis toujours prêt, dit-il d'une voix suave, en faisant sourire Max.
_ Comme Lola ? C'est ça ?
_ Tu as bonne mémoire. Showtime !
La seconde suivante, ils étaient dans le couloir et les jurons des hommes reprirent parmi des excuses du couple de batifoleurs.
o0o0oOo0o0o
Quelques minutes plus tard, le téléchargement, dont la vitesse avait été triplée par Alec, d'une manière que Logan ne connaissait pas, se termina. Max entra dans le bureau et dit à Logan de venir. Il récupéra son disque-dur externe et le cacha dans son fauteuil.
Dans le couloir, Alec était tranquillement adossé au mur.
_ Où sont les hommes ? Demanda Logan.
_ Partis à l'entrée sud pour régler un problème d'intrusion, répondit Alec.
_ Une intrusion ?
_ J'avais ordonné à Gem de faire une diversion si elle apercevait des gens de la sécurité de Fenster, ou Fenster lui-même, entrer dans le couloir après nous. Précisément huit minutes après qu'ils aient franchis à la porte du couloir.
_ Pourquoi tu ne m'en as pas parlé ? Demanda Logan.
_ Ça n'aurait servis à rien de te le dire puisque ça n'aurait rien changé, répondit Alec, tandis qu'ils remontaient le couloir.
_ On retourne directement dans la salle à manger ? Demanda Max, sans s'occuper du regard offusqué de Logan.
Alec regarda sa montre.
_ Il nous reste un peu plus de cinq minutes d'invisibilité au niveau des caméras, dit-il.
_ Alors, Logan, toi, tu vas directement dans la salle de bal et tu fais style de regarder le spectacle, dit Max, et nous, on retourne aux toilettes.
_ Pourquoi faire ? Demanda Logan.
_ Pauvre William… coupa Alec, au moment où Max allait répondre.
_ Pourquoi ? Demanda-t-elle.
_ Se faire sa femme en seulement vingt minutes… C'est un peu court. Ce type est un rapide, se lamenta Alec.
_ Vingt minutes, c'est un gars dans la moyenne. Cinq minutes, c'est un gars rapide.
_ Je parle d'une baise totalement, pas juste de la fin, dit Alec.
_ Moi aussi, dit Max.
_ Ça n'existe pas une baise qui ne fait que cinq minutes, dit Alec.
_ Si, je te l'assure, contesta Max.
_ Sérieux ? T'as déjà testé ? Demanda Alec.
_ Chaleurs, répondit Max en soupirant. Sans préliminaires.
_ Sans ? À sec ? Ça n'a pas dû être confortable…
_ Pour le temps que ça a duré… dit Max, sur un ton blasé, en haussant les épaules.
_ Mais, il n'y a le temps de rien en cinq minutes. C'est quoi ? Quelques dizaines d'aller-retours ?
_ Beaucoup moins, corrigea Max. Onze.
_ Tu déconnes ? dit Alec. Le mec a joui aussi rapidement que ça ! Tu l'avais sucé avant ou quoi ?
_ Que dalle…
_ Ça n'a même pas dû soulager tes chaleurs…
_ Ouais, j'ai dû m'en trouver un autre.
_ Cinq minutes, marmonna Alec.
_ Tu vas t'en remettre ? Demanda Max en souriant, alors qu'ils arrivaient devant les toilettes.
_ Je ne crois pas, répondit Alec. C'était Darren ?
Max explosa de rire.
_ Non, lui, il était dans la moyenne, répondit-elle, alors que la porte des cabinets se fermait sur eux.
o0o0oOo0o0o
Logan regardait la piste de danse sans vraiment voir ce qu'il s'y passait. En buvant sa Vodka-Martini, il pensait à Max et à la liberté de parole qu'elle avait devant Alec. Liberté de parole qu'elle n'avait pas lorsqu'ils étaient ensemble.
_ Tout ça pour rien, dit la voix de Max à côté de Logan, le faisant sursauter.
Les transgéniques l'avaient rejoint sans qu'il s'en rende compte.
_ Comment ça pour rien ? Demanda Alec. Le Veilleur a sa copie du disque-dur de Fenster et le mouchard est posé.
_ Je parlais de ça, fit Max, en désignant la piste de danse.
_ Et ? Demanda Alec.
_ On n'a même pas eu besoin de danser pour faire diversion. J'ai perdu mon temps à apprendre à danser… Une journée entière ! J'aurais pu faire un tas de choses à la place.
_ On ne perd jamais son temps en apprenant à danser. Et, comme la nuit est encore jeune, Coralie, chère épouse, me feriez-vous l'honneur ? Dit Alec-William, en tendant la main vers Max.
Max accepta et le suivit parmi les gens qui dansaient. L'orchestre commença à jouer une salsa au rythme entraînant. Toutes les personnes se retournèrent et observèrent le couple Montrose. Même les danseurs professionnels les regardaient en validant leur talent par des hochements de tête. Ils voyaient un couple uni et soudé, habitué à danser ensemble depuis des années. Mais, c'était plus impressionnant pour Logan. Lui, il avait assisté aux cours de Max. Il savait que les deux transgéniques ne dansaient ensemble que depuis la veille. Pourtant, lui aussi aurait pu croire que Max et Alec dansaient ensemble depuis toujours. Cette fois encore, ils semblaient faire l'amour. Serrés l'un contre l'autre, leurs corps bougeaient comme un tout.
Max leva sensuellement sa cuisse le long de la jambe d'Alec, qui la saisit sans hésitation. Elle cambrant le dos et se laissa glisser en arrière, tandis qu'Alec, penché en avant sur elle et le nez presque dans ses seins, la retenait de son autre main, pour une figure de danse. C'était beau à regarder, et presque érotique, mais c'était aussi un poignard dans le cœur de Logan.
La musique se termina. Pour autant, Max et Alec ne quittèrent pas la piste de danse. Ils applaudirent comme tout le monde. Mais, eux, ils applaudissaient l'orchestre, comme le voulait l'usage. Certains spectateurs applaudissaient en les regardant… pour les féliciter de leur danse.
La femme, qui avait chanté durant la salsa, laissa sa place à un homme. L'orchestre entama un morceau beaucoup plus lent. Max et Alec se remirent face à face et débutèrent un slow. Lorsque le chanteur commença à chanter, Logan reconnut l'une des chansons sur laquelle il avait dansé à son bal de fin d'étude, avec sa petite-amie de l'époque. L'une des plus belles chansons d'amour qu'il connaissait : Hello*, de Lionel Richie. Et, là, sous ses yeux, sa petite-amie était en train de danser dans les bras d'un homme qu'il détestait. Pourtant, il n'arrivait pas à détacher son regard d'eux.
Cette soirée était plus horrible à mesure que le temps passait. Alors que les deux X5 pivotaient, tendrement enlacés, les yeux dans ceux de l'autre, Logan aperçut un grand sourire sur le visage de Max. Elle était heureuse là où elle se trouvait. Finalement, elle lui tourna le dos et Logan vit le visage d'Alec. Il ne souriait pas, il parlait. Non, il ne parlait pas… il chantait. Logan voyait les lèvres du transgénique bouger. Elles mimaient les paroles de la chanson. Alors que la chanson se terminait, Logan voyait leurs deux profils. Alec appuya son front sur celui de Max, prononça les dernières paroles de la chanson : "I love you" et le sourire de Max n'en fut que plus grand.
S'en était trop pour lui. Logan décida de partir. Après tout, la mission avait été une réussite. Il avait ce qu'il lui fallait pour le Veilleur. Mais, il se souviendrait surtout de cette soirée comme étant celle où il avait appris et compris des choses qu'il ne voulait ni apprendre, ni comprendre.
MAX
Du coin de l'œil, Max avait noté le départ discret de Logan. C'était prévu : lorsque la mission arriverait à sa fin, Logan devait partir en premier. Puis, au minimum une demi-heure plus tard, pas avant, Alec et elle, William et Coralie, devaient quitter la soirée.
À la fin du slow, Alec et elle applaudirent de nouveau l'orchestre, puis ils quittèrent la piste de danse. Elle fut surprise de voir des gens, totalement inconnus, les saluer et les féliciter. Lorsqu'ils furent enfin seuls, Max s'adressa à Alec, à voix basse :
_ Tu es vraiment con. Tu sais ça ?
_ Quoi ? Fit Alec.
_ J'ai failli exploser de rire à cause de toi, pendant qu'on dansait.
_ Ce n'est pas de ma faute si tu n'arrives pas à te contrôler en ma présence, Maxie.
_ Me contrôler ? Qu'est-ce qui t'a pris de chanter la chanson avec une horrible voix ? On aurait dit un farfadet !
_ Un farfadet ? Tu en connais et en a entendu chanter ? Tu me présentes ? C'est mon rêve le plus fou !
_ Arrêtes de faire l'idiot. C'était censé être un truc romantique ! Tu imagines si Coralie s'était marrée en dansant un slow avec son mari ? Qu'en auraient pensé les gens ?
_ Comme je le disais, ça aurait été de ta faute, pas de la mienne.
_ Si ! Parce que tu as tout fait pour me déconcentrer, dit Max, pendant qu'Alec faisait de son mieux pour retenir un fou rire.
_ D'accord, concéda Alec en riant. Si je vais te chercher un verre, tu me pardonneras ?
_ Si c'est un Kir aux fruits rouge… répondit Max.
_ Chère épouse, vos désirs…
_ Et, je veux un petit toast à la noix de Saint-Jacques.
_ Sont des ordres, termina Alec.
Max alla s'installer à une table haute. Alec revint du bar avec deux coupes de Kir colorées et deux petites assiettes. Il déposa, habilement, une assiette avec un toast devant Max, lui donna sa coupe de Kir, et posa son assiette avec trois toasts.
_ Pourquoi il n'y a qu'un toast dans mon assiette ? Demanda Max.
_ Parce que tu ne m'en as demandé qu'un, répondit Alec.
_ Mais, tu en as trois, toi. Tu en as un en trop.
_ Si, on était réellement marié, Coralie chérie, la Loi m'imposerait de partager avec toi. Mais, comme tout ceci n'est qu'une vaste farce, j'ai l'intention de garder mes toasts pour moi.
_ Et, si je te payais en nature ? Demanda malicieusement Max, avec un mouvement sensuel de l'épaule.
Étrangement, Alec se figea un instant et la regarda avec de grands yeux ronds. Elle ne s'était pas attendue que sa provocation ait cet effet, mais elle en profita alors pour lui déposer un bisou sur la joue, et surtout pour délester l'assiette d'Alec du toast surnuméraire. Elle mit le toast dans sa bouche et observa le X5 faire une grimace.
_ C'est ce qui s'appelle un marché de dupe, commenta Alec.
_ Ce n'est pas de ma faute si tu n'arrives pas à te contrôler en ma présence, Will chéri, dit Max, en gloussant.
_ Tu sais, il va falloir que tu revoies sérieusement ta définition du paiement en nature.
_ Sachant que tu as accepté ma proposition de paiement sans définir sa nature, j'ai les droits d'y appliquer la définition que je souhaite.
_ C'était finement joué… commenta Alec. Je le reconnais.
Normal et Gem arrivèrent à leur table.
_ On peut se joindre à vous ? Demanda l'ordinaire.
_ Bien sûr, Normal, répondit Alec.
_ Alors, Gem, ta première soirée ? Demanda Max.
_ C'est incroyable ! Tout le monde est si beau. L'endroit est superbe et la nourriture est exquise ! Répondit la jeune femme en souriant.
_ Vous avez goûté les toasts ? Demanda Alec en tendant son assiette, avec les deux toasts restants, au couple.
Ils prirent les toasts et le dégustèrent. Max regarda Alec qui, du coup, n'en avait pas mangé. Elle regarda l'amuse-gueule solitaire dans son assiette. Elle le prit et le mit devant la bouche d'Alec, qui l'accepta et le mangea en souriant.
_ Alors, Normal. Les affaires ? Demanda-t-il après avoir avaler.
_ J'espérais trouver un financeur, mais, finalement, j'en ai trouvé deux !
_ Bravo ! Fit Max.
_ Je crois que c'est à vous deux que je le dois, reprit Normal. C'est vous, William et Coralie, non ?
Max et Alec rirent ensemble.
_ J'ai parlé à James Keller, dit Alec, au même instant où Max disait avoir parlé à Stéphanie N'Sir-Keller.
Les deux transgéniques échangèrent un regard complice.
_ Exact, dit Normal. Comme ils sont mariés, je croyais qu'ils allaient me financer ensemble. Mais, chacun a une fortune et des affaires personnels. Ils investissent séparément dans Jam Pony Xpress !
_ Je savais que tu y arriverais, dit Gem, en caressant le dos de son partenaire.
_ Patron, pensez juste à nous prévenir, Max et moi, si Stéphanie ou James viennent visiter les locaux de Jam Pony, histoire qu'on ne soit pas dans les parages, dit Alec.
_ Oui. Ça ferait désordre, ajouta Max.
Max sourit en voyant les visages heureux de Normal et Gem. Ils avaient l'air d'un vrai couple. Max en arriva à se demander si Gem avait déjà été mis à exécution son projet d'être plus directe avec l'ordinaire.
o0o0oOo0o0o
Ils restèrent encore une bonne heure tous les quatre ensembles. Gem et Normal partirent en premier. Dalton gardait Eve pour la soirée, mais Gem préférait ne pas passer toute la nuit dehors.
Max et Alec continuèrent à profiter de la fête et surtout du buffet de petits fours et autres mets délicats. Ils dansèrent encore un peu : notamment un rock qui amusa beaucoup Max. Alec avait raison : elle n'avait pas perdu son temps en apprenant à danser.
o0o0oOo0o0o
À deux heures et demi du matin, ils décidèrent de partir. Ils rejoignirent les vestiaires pour y récupérer les affaires et les clés de la Lamborghini, de nouveau empruntée par Krit. Alors qu'ils étaient chacun dans leur file, une pour les hommes, une pour les femmes, Max vit le visage d'Alec se figer de terreur. Elle essaya de l'interpeler, mais il ne réagit pas. Il était tétanisé par ce qu'il avait devant lui. À cause d'un gros palmier d'intérieur, Max ne voyait pas ce qui effrayait le jeune homme à ce point. Elle décida de se glisser du côté des hommes en jouant les femmes capricieuses. Elle récupéra son étole et se précipita au bras d'Alec en minaudant.
_ Chérie ! Je pourrais conduire la voiture ce soir ? Demanda-t-elle, en profitant pour regarder devant Alec.
Là, son cœur se brisa. Il se brisa parce que c'était ce qu'il s'était passé pour le cœur d'Alec. Devant eux, Robert Berrisford était en train d'enfiler son manteau et regardait Alec d'un air sévère. L'homme l'observa un instant. Se souvenait-il d'elle ? Elle l'avait rapidement assommé la dernière fois qu'elle l'avait vu, mais il s'était tourné vers elle et avait croisé son regard.
Berrisford ne dit rien. Il se détourna d'eux et monta dans une voiture avec chauffeur.
Une hôtesse demanda son carton de vestiaire à Alec, toujours aphasique. Max prit le carton dans la poche d'Alec et le donna à la femme. Elle récupéra le manteau du X5.
Vers la sortie, elle déblatéra comme une femme excitée d'avoir passé une excellente soirée et faisait les louanges de tout. Le voiturier hésita à lui donner la clé de la voiture. Il chercha le regard d'Alec pour approbation, mais Alec n'était plus le même à présent. Il était prisonnier dans un monde de douleurs psychologiques. Max prit la clé des mains du voiturier. Alec monta, comme un somnambule, côté passager. Elle posa le manteau à l'arrière et démarra la Lamborghini.
Au premier feu, elle se tourna vers Alec. Elle lui posa la main sur le bras, mais il se défila.
_ Tu veux qu'on profite de la voiture et qu'on aille faire un tour ? On pourrait rouler le long de la côte. Tu en dis quoi ?
Alec secoua la tête en silence. Max roula alors lentement, en direction de Terminal City. À peine avait-elle garé le véhicule, qu'Alec en sortit. Le temps qu'elle se lève, il avait disparu.
Max monta lentement à l'appartement en broyant du noir. La soirée, qui avait été si agréable, c'était transformée en cauchemar, en une fraction de seconde, à cause d'un regard. Alec ne devait pas rester seul, mais il avait réussi à lui fausser compagnie. Elle s'en voulait : elle aurait dû être plus vigilante. Plus vigilante à la soirée, pour remarquer la présence de Robert Berrisford, et plus vigilante sur le parking, pour empêcher Alec de partir seul.
Après sa douche, elle récupéra le cadeau de Saint-Valentin offert par Alec, dans sa chambre, et s'installa du côté gauche du lit d'Alec, le côté où il avait l'habitude de dormir. Elle l'attendrait.
Seattle, appartement de Max et Alec, lundi 16 mai 2022, 5h20
MAX
Peu avant l'aube, Max, dont la seule occupation avait été de secouer sa boule à neige, entendit des pas dans l'appartement. Puis, du bruit dans la salle de bain.
Alec arriva dans sa chambre, une serviette autour de la taille, et ses habits dans les mains. Il eut un instant de surprise en la voyant, mais il ne dit rien.
_ On pourrait parler, dit-elle doucement.
_ Pourquoi je voudrais parler avec toi ? Répondit-il sèchement, en rangeant son costume sur un cintre.
_ D'accord. On ne parle pas, alors…
Max recommença à jouer avec sa boule à neige et focalisa son attention sur elle, pendant qu'Alec retirait la serviette pour enfiler un caleçon et un T-shirt.
_ Je veux dormir, dit Alec.
_ Bah, vas-y. Ne te gêne pas.
Max posa la boule à neige sur la table de chevet, près du réveil d'Alec, et s'enfonça dans les draps, sur le dos. Elle n'avait pas l'intention de le laisser seul.
_ Je veux me coucher. Maintenant !
_ Bah, viens, dit Max.
_ Tu es dans mon lit.
_ Ça ne te dérange pas d'habitude.
_ Je veux le côté gauche du lit.
_ Il est pris, répondit Max. Tu peux te mettre à côté.
Alec entra dans le lit du côté droit et s'allongea. Il gigota pendant un bon moment pour trouver une bonne position, sans succès.
_ Je veux dormir du côté gauche, dit Alec.
En guise de réponse, Max ouvrit les bras. Après une seconde de réflexion, Alec bougea, passa les bras de part et d'autre de Max et s'allongea contre elle. Il essaya de caler sa tête contre poitrine.
_ Tu manques vraiment de rembourrage, se plaint-il.
_ Arrêtes de faire semblant de râler. Je sais que tu aimes mes seins.
Alec se positionna correctement et soupira. Max renferma les bras autour de lui et commença à lui caresser les cheveux.
o0o0oOo0o0o
Alec eut un sommeil agité : son corps tremblait régulièrement et ses muscles se contractaient sans raison apparente. À chaque fois, Max recommençait à lui caresser la tête et lui parlait tout bas. Même s'il demeurait endormi, il sembla capter ses paroles et finit par s'apaiser. Elle fit cela à plusieurs reprises.
o0o0oOo0o0o
Max ouvrit les yeux. À la luminosité, elle avait dû s'endormir environ une heure. Elle soupira et caressa machinalement les cheveux d'Alec. Le X5 se redressa et prit appui sur ses coudes.
_ Salut, dit-elle. Je n'avais pas remarqué que tu étais réveillé. Comment te sens-tu ?
Alec resta silencieux et baissa les yeux. Il souffrait. Max leva les mains pour lui caresser doucement le visage. Au lieu de se détendre, Alec secoua vigoureusement la tête.
_ Il faut qu'on arrête, dit-il à voix basse.
_ Arrêter quoi ? Demanda Max.
_ Tout ça, répondit Alec. Il faut qu'on arrête de dormir ensemble. Ce n'est pas bien.
_ Ça ne te dérangeait pas avant.
_ Ce n'était pas mieux pour autant.
_ On ne fait rien de mal, dit Max.
_ Max… Arrête de faire l'autruche. Ce n'est pas anodin. Ça ne l'a jamais été entre nous.
_ Mais…
_ Il faut qu'on arrête. C'est tout.
Alec se leva, s'habilla rapidement et quitta l'appartement, laissant Max seule derrière lui, avec la même sensation de froid qui l'envahissait à chaque fois qu'il quittait ses bras.
Seattle, appartement de Logan Cale, lundi 16 mai 2022, 11h30
MAX
Max tourna en rond toute la matinée dans l'appartement. Quand il devint évident qu'Alec ne reviendrait pas, elle décida d'aller voir Logan.
_ Toc toc. Logan, tu es là ?
_ Ici, répondit une voix dans le bureau.
Logan était installé devant son ordinateur.
_ Salut, dit-elle en lui déposant un baiser sur le haut de la tête. Déjà au travail ? Tu as vu des choses intéressantes ?
_ Tu parles de la soirée ou de l'ordinateur de Fenster ? Demanda Logan, sèchement.
_ Qu'est-ce qu'il y a encore ? S'agaça Max.
Elle était déjà inquiète pour Alec, elle n'avait pas besoin que Logan s'y mette.
_ Tu me demandes ? Fit Logan.
_ À ton avis ?
_ Tu sais, j'ai toujours cru que devoir faire des missions avec Alec et des fausses soirées mondaines te rebutait. Pourtant, il m'a semblé que tu passais une bonne soirée.
_ C'est un crime ?
_ À toi de me le dire ? Fit Logan.
_ Tu ne veux pas clairement cracher le morceau ? Demanda Max, dénuée de patiente.
_ Qu'est-ce qu'il y a entre Alec et toi ? Et ne me dis pas "rien" !
_ Tu ne vas pas recommencer ça ! Tu étais là, je te signale !
_ Justement ! Ça t'arrive souvent de t'enfermer dans les toilettes avec lui, de te déshabiller devant lui et de faire semblant de faire l'amour avec lui ?
_ Bon sang ! Tu étais là, Logan. Dans la même pièce que lui et moi. Tu as bien vu qu'on a fait semblant pour faire diversion.
_ J'ai surtout vu que tu étais très à l'aise !
_ Tout ça n'avait rien d'intime. On jouait la comédie ! C'était professionnel !
_ Les toilettes ?
_ On a fait ce qu'il fallait pour faire partir les civils de la zone.
_ Tu crois que je n'ai pas vu les gestes tendres que tu avais pour lui ? Pendant le repas.
_ William et Coralie Montrose sont un jeune couple très amoureux. C'est toi qui avais décidé ça dans le scénario. Évidemment que je devais avoir l'air de l'aimer.
_ Alec a raison : tu es une bonne comédienne, cracha Logan.
_ Tu me connais, je suis nulle à ce jeu-là, dit Max.
_ Oh, tu étais donc convaincante, dans ton rôle, parce que c'est la réalité !
_ Tu es devenu dingue ou quoi ?
_ Je vous ai vu danser !
_ Comme la moitié des personnes présentes !
_ J'ai vu qu'il te chantait la chanson du slow. Une chanson d'amour. Et, je t'ai vu en sourire tellement tu en étais heureuse !
_ Je souriais parce que c'était marrant. Ça n'avait rien de romantique : il chantait avec une voix grotesque, juste pour me déconcentrer.
_ Ouais, c'est ça !
_ Je te signale qu'on a fait tout ce cirque pour te rendre service. Pour t'aider. Tout ça pour ta stupide mission du Veilleur ! Non seulement, tu ne nous remercie pas mais, en plus, tu me cries dessus ! Je te signale que, moi aussi, je pourrais te faire des reproches !
_ Comme quoi ?
_ Robert Berrisford ! Cria Max. Tu devais vérifier la liste des participants à la soirée !
_ Je l'ai fait, figures-toi.
_ Alors, pourquoi tu n'as rien dit au sujet de Berrisford ? Tu connais l'histoire ! Tu savais le mal que ça ferait à Alec de croiser cet homme !
_ Et alors ?
_ Alors ?! Tu aurais dû en parler avant !
_ Pour quoi faire ? Annuler la mission pour protéger Alec ? C'est un assassin professionnel, Max. S'il n'est pas capable de vivre avec les horreurs qu'il a faites, c'est son problème !
_ Il n'a jamais choisi ! C'est une victime de Manticore !
_ Tu parles ! Ce type n'est rien qu'un meurtrier !
_ Il n'a pas eu le choix ! Cria Max.
_ On a toujours le choix, répliqua Logan.
_ Tu ne sais pas ce qu'ils lui ont fait à Manticore. Ce qu'ils lui ont fait subir était monstrueux !
_ Et, ils ont créé un monstre !
_ Ce n'est pas lui le monstre, Logan. C'est toi !
Max tourna les talons et sortit de l'appartement, en claquant la porte, sans un regard en arrière.
à suivre
« Hello » est une chanson de Lionel Richie, sortie le 13 février 1984, du Label MOTOWN.
