LE TRAUMATISME
Attention : ce chapitre comprend des détails qui pourraient heurter la sensibilité de certaines personnes : langage grossier, violences physiques et violences sexuelles.
État de Washington, Centre contre l'infertilité, samedi 4 juin 2022, un peu avant minuit
ALEC
Alec avança et ouvrit légèrement la première porte. Au bout de sa main, il sentit la résistance d'un ferme-porte hydraulique, un mécanisme faisant que la porte se refermait automatiquement. Il n'y avait pas de bruit. Il entra vivement et balaya la pièce de son arme. Il n'y avait personne. C'était une petite armurerie. Il ajouta à sa panoplie deux cartouches de munitions pour le pistolet et deux grenades. Il fallait éviter que quelqu'un vienne se ravitailler ici. Il retourna à la porte et ce fut là qu'il nota son épaisseur. En bon cambrioleur, il reconnut le revêtement des murs et de la porte. C'était pour étouffer les bruits. Si tout le sous-sol était ainsi, le calme apparent ne devait être qu'un leurre. Cela expliquait aussi pourquoi il y avait une porte coupe-feu. Les matériaux d'isolation sonore étaient, pour la plupart, sensibles aux flammes. Il referma doucement la porte et leva la poignée avec force pour qu'elle se casse.
Il se dirigea vers la seconde porte. Encore une fois, il abaissa lentement la poignée et entrouvrit la porte, également munie d'un ferme-porte. Immédiatement, il entendit les rires graves de plusieurs hommes. Il n'arriva pas à en déterminer le nombre. Un autre homme parlait. Il avait une voix froide et traînante. Il semblait s'adresser à quelqu'un en particulier.
_ Que voulez-vous ? La vie est ainsi faite. Mais, au moins, j'ai gagné cette manche.
Les hommes rirent de plus bel.
_ J'imagine que vous vous dites que vous ne vous laisserez pas faire. Voyez-vous, le produit que nous vous administrons par perfusion vous empêchera de faire le moindre mouvement. Mais, toute la beauté de la chose est que vous ressentirez tout ce qui va suivre. C'est comme ça que je fournis la meilleure qualité d'esclaves sexuels sur le marché noir. Mon bétail est beau, en bonne santé et totalement asservis.
Alec entendit comme un gémissement étouffé par un bâillon.
_ Vous serez domptée, comme les autres. Transgénique ou pas…
« Max ? » s'exclama intérieurement Alec.
_ Il me suffit de briser votre mental, continua celui qui parlait. Quand mes hommes en auront fini avec vous, vous serez totalement soumise.
Les hommes gloussèrent encore plus.
_ Moi, je vais m'asseoir là et profiter tranquillement du spectacle.
_ Elle est vraiment pas humaine ? Demanda l'un des hommes.
_ Humaine ou pas, c'est pas la plus moche qu'on aura sauté, dit un autre.
_ Ouais ! Fit encore un autre. Dès que je l'ai vu, j'ai eu envie de la baiser à fond, celle-là !
Un nouveau gémissement étouffé, faisant reprendre les rires des hommes, parvint aux oreilles d'Alec. La raison et les principes de précaution du X5 furent balayés lorsqu'il comprit ce que les hommes s'apprêtaient à faire à Max. Il donna un grand coup d'épaule dans la porte pour l'ouvrir en grand et entra à toute vitesse dans la salle. Il y avait huit hommes à la carrure militaire, en partie déshabillés, et un homme en costume assis sur une chaise, qui faisait face à une table médicale, munie d'étriers, à laquelle Max, totalement nue, était attachée.
Le premier homme, face à la porte, qui ne portait qu'un T-shirt noir, et qui était en train de se masturber, reçut une balle au milieu du front, figeant définitivement une expression de surprise sur son visage. Les deux suivants furent abattus de la même façon. Les autres commencèrent à se ressaisir et à chercher leurs armes. L'un reçut une balle en plein cœur et mourut deux secondes plus tard. Alec tira deux fois dans la poitrine du cinquième homme. Un sixième, complètement dévêtu, se jeta sur le transgénique et le fit tituber en arrière. Le X5 vit alors que l'homme en costume s'apprêtait à s'enfuir. Il tira dans la jambe droite de l'homme, qui s'effondra au sol, pendant que la porte se refermait. Le sixième homme saisit Alec à la taille, qui laissa échapper son arme, et le fit tomber par terre. Le transgénique attrapa alors le couteau à sa cuisse et poignarda son agresseur entre les omoplates. Le septième homme avait ramassé le pistolet, tandis que le huitième allait aider l'homme en costume à se lever. Alec repoussa le corps transpercé et roula au sol pour esquiver trois tirs de 9 mm. Le déclic du chargeur vide surpris le septième homme et le X5 en profita pour se lever et lui trancher la gorge. Le transgénique poursuivit sa course vers les deux survivants. De la main gauche, il attrapa l'homme en costume par le col et l'envoya par terre, alors que sa main droite enfonçait le couteau sous le menton du dernier mercenaire. Il fit une rotation avec son poignet avant d'extraire la lame de la tête de son adversaire. L'homme tomba à genoux en tentant vainement de retenir la gerbe de sang qui s'échappait de lui.
Alec soupira longuement. Il se tourna ensuite vers l'homme en costume, qui rampait au sol pour s'éloigner de lui. Le danger immédiat étant écarté, Alec avait récupéré un peu de lucidité. L'homme aux cheveux gris à ses pieds devait donner les ordres. Pour pouvoir l'interroger au besoin, il devait le laisser en vie pour le moment. Il saisit l'homme par le poignet et lui empala la main sur le mur, avec le couteau, à une hauteur suffisante pour obliger l'homme à rester sur la pointe des pieds.
Sans se soucier des cris de douleur de l'homme au costume, le X5 se tourna vers la jeune femme attachée à la table, la respiration saccadée de sanglots.
_ Ça va aller, chaton. Je suis là, dit-il doucement, en défaisant le bâillon.
Il retira ensuite la perfusion du bras de la transgénique pour qu'elle puisse recouvrir dès que possible sa capacité à se mouvoir. Puis, il retira la veste de son treillis pour en recouvrir son corps nu. Alors qu'il défaisait le lien à la cheville droite de la jeune femme, la porte s'ouvrit et deux mercenaires entrèrent.
_ Hé, les gars, on a entendu de drôles de…
Les deux hommes se pétrifièrent devant le bain de sang qui s'étalait à leurs pieds. Alec se rendit compte qu'il n'avait pas du tout fait ce qu'il aurait dû. Il aurait dû explorer tout le sous-sol et sécuriser l'accès à la salle dans laquelle il se trouvait. Mais, la menace qui avait plané sur Max avait été trop grave pour qu'il n'agisse pas.
À présent, il devait éviter de rameuter d'avantages de soldats là où Max et lui se trouvaient. Il devait profiter du fait que la pièce était insonorisée. Avec sa vitesse de transgénique, il contourna les deux nouveaux venus, les bascula pour les forcer à entrer totalement dans la pièce et referma la porte. Ainsi, lorsque l'homme aux cheveux gris cria "à l'aide", personne, en dehors d'eux cinq, n'entendit l'appel.
Alec n'aimait pas que les deux mercenaires se trouvent entre lui et Max. Il devait les vaincre le plus vite possible, sauf que le pistolet était resté au sol et que, accessoirement, le chargeur était vide. Quant à son couteau, il était planté dans la main de l'homme en costume et dans le mur. Il ferma les poings, plia légèrement ses coudes et fléchit ses jambes pour se mettre en position de combat à main nue. Les deux hommes se retournèrent et firent feu contre le X5. Il esquiva les balles du mieux qu'il put. Il se jeta sur le premier homme à sa portée, le désarma, lui tira une balle dans la tempe, et poussa le corps contre l'autre mercenaire, qui tituba à reculons, sous le poids. Le soldat se cogna contre la table sur laquelle était Max et reçut une balle dans l'œil avant de s'écrouler sur le corps de la jeune femme.
_ Mais, qui êtes-vous ? S'exclama l'homme au costume, la main toujours empalée sur le mur.
Sans tenir compte de l'homme, Alec repoussa ses nouvelles victimes et finit de détacher son amie. Il recommença à lui parler doucement. Il ne s'inquiétait pas de voir d'autres mercenaires arriver. À en juger de l'ameublement de la pièce, Max ne devait pas être la première femme à avoir été séquestrée là. Si la salle avait été insonorisée pour couvrir les cris de femmes en train de se faire violer, soit des sons entre 80 et 95 décibels, les coups de feu de pistolet 9 mm standard, à environ 85 décibels, auraient été étouffés eux aussi. Les autres mercenaires devaient se dire que leurs deux camarades étaient restés dans la pièce pour pouvoir abuser de la jeune femme avec les autres soldats.
Tandis qu'Alec essuyait une larme de peur sur la joue de Max, l'homme aux cheveux gris recommença à parler.
_ Vous n'êtes pas réellement William Montrose. Vous êtes un imposteur. Vous êtes comme elle, n'est-ce pas ? Vous êtes un mutant !
Alec secoua la tête sans se retourner. Il ne niait pas les mots de l'homme. Il aurait juste voulu qu'il se taise. Il se faisait violence pour ne pas le tuer pour de bon. Il se concentra sur Max, dont le corps était secoué de tremblements, alors que le produit qui la paralysait se dissipait petit à petit.
_ Ça va aller, chaton. Plus personne ne te fera de mal, dit-il en caressant la joue de la jeune femme.
_ Vous êtes un couple ? Demanda l'homme dans son dos. Un couple de mutants ?
_ Tout va bien, mon cœur. Je ne laisserai personne s'approcher de toi, dit-il à la jeune femme dont les larmes coulaient abondamment.
_ Laissez-moi vous étudier tous les deux, fit l'homme. Vous n'arrivez pas à avoir d'enfant ? Je peux vous aider ! Je voudrais tant pouvoir vous étudier. Je mettrais tous les moyens que j'ai à ma disposition pour m'occuper de vous et de votre progéniture.
_ Fermez-là ! Hurla Alec en se retournant.
_ A… fit Max avec difficultés.
Aussitôt, Alec se calma et se focalisa de nouveau sur la femme qu'il aimait.
_ Excuses-moi d'être arrivé si tard… S'ils t'avaient touché…
Alec ne finit pas en phrase en prenant conscience de ce qui aurait pu se passer. Il avait envie de vomir.
_ Fi… commença Max.
_ Fi ? Répéta Alec, sans écouter les nouvelles imbécilités déblatérées par l'homme empalé.
_ Filles, dit Max.
_ Tu parles des autres filles ?
Max hocha la tête tant bien que mal.
_ Les autres n'ont aucune valeur à mes yeux, dit l'homme. Je m'en débarrasserai. Laissez-moi vous étudier tous les deux.
_ Il y a d'autres filles ici ? Demanda Alec à Max.
La jeune femme hocha la tête, avec une expression douloureuse.
_ Je ne peux pas aller les sauver. Je dois m'occuper de toi.
_ Laisses… moi…
_ Non. Tu n'es pas en état.
_ Fais… le…
Max… Celle qui pensait toujours aux autres avant de penser à elle-même.
_ D'accord, dit-il. Mais, laisses-moi t'aider d'abord à pouvoir te défendre au besoin.
Max hocha la tête de façon presque imperceptible. Alec aida la X5 à s'asseoir et à enfiler la veste en treillis. Il la boutonna alors que la transgénique luttait pour rester droite. Il se pencha ensuite sur le premier corps à ses pieds et lui retira son pantalon et ses chaussures. Il aida de nouveau la jeune femme pour qu'elle soit habillée. Il la fit s'asseoir au sol, dans un coin de la pièce et renversa la table pour qu'elle serve de rempart. Alec récupéra un couteau de combat et le mit entre les mains de la jeune femme. Même s'il savait qu'elle n'aimait pas les armes à feu, il lui donna également un pistolet chargé.
_ Je reviens vite, dit-il avant de l'embrasser sur le front.
Il n'aimait pas le fait de devoir laisser Max, mais il savait qu'elle ne l'aurait pas pardonné de laisser une ou plusieurs innocentes pour elle. Il bâillonna l'homme, toujours accroché au mur, et sortit de la pièce, un autre couteau à la jambe, des munitions de secours, et une arme chargée entre les mains.
Le couloir était aussi calme que la dernière fois où il y avait été. Par principe, il se dirigea vers la porte coupe-feu de la sortie pour s'assurer que la voie était toujours libre. Puis, il vérifia la buanderie. Les machines tournaient encore, mais plus bruyamment : elles étaient en train d'essorer leur contenu. Il était donc probable qu'un ou plusieurs personnels civils n'arrivent pour récupérer le linge humide. Il devait se dépêcher.
Après la bifurcation du couloir, devant l'arche de la buanderie, le couloir était plus étroit, avec plusieurs portes. À chaque fois, il prenait le temps d'entrebâiller la porte pour écouter, avant d'entrer dans la nouvelle pièce. Il y avait des douches communes, des toilettes, un vestiaire avec une trentaine de casiers. Puis, ce qui ressemblait à une salle de sport et détente pour soldats, comme à Manticore, mais en beaucoup plus petite. Personne à l'horizon et tout était silencieux. Trop silencieux au goût du transgénique.
L'entrebâillement de la porte suivante laissa entendre les ronflements de mercenaires qui devaient faire partie de l'équipe de jour. Deux ronflaient, un autre respirait fortement et le dernier avait une respiration lente. Il entra, en silence, l'arme prête. Les quatre soldats endormis ne remarquèrent pas la présence du X5. Par chance, le dortoir était aussi insonorisé. Les mercenaires moururent rapidement, la gorge tranchée, et Alec sortit pour passer à la pièce suivante, au bout du couloir.
La dernière pièce, plongée dans la pénombre, sentait les sanitaires mal entretenus. Il nota deux respirations. Il entra le pistolet prêt à faire feu. Il fut accueilli par un gémissement et un couinement effrayé. C'était une prison de trois cellules. Deux femmes tentaient de se serrer l'une contre l'autre, malgré les barreaux qui les séparaient. Elles regardèrent Alec avec peur.
_ Tout va bien, dit-il en baissant son arme. Je ne suis pas avec eux. Je viens vous aider. Judy, tu es là ? C'est Alec.
_ Alec ! S'exclama la jeune femme, aux cheveux emmêlés et aux vêtements sales, qui se précipita vers lui.
_ Tu le connais ? Demanda l'autre femme.
_ Oui, c'est un ami. C'est Colin qui t'envoie ? Tu es venu seul ?
_ Non, il y a Max qui est avec moi, répondit-il, en évitant volontairement de répondre au sujet de Colin, mais elle n'est pas en état de combattre. Elle a été droguée.
_ On connaît le truc… dit sombrement Judy.
Alec se tourna et attrapa les clés, suspendues au mur, pour ouvrir les cellules. Dans un coin, il y avait trois petites valises, dont celles de Max. Les gens du centre dissimulaient les affaires de leurs victimes.
_ Vous avez des baskets ou des chaussures pour marcher dans les bois ? Demanda-t-il.
Les deux femmes secouèrent la tête.
_ Ce n'est pas grave. Il ne faut pas qu'on sache que vous avez été ici. Prenez les valises et suivez-moi.
Le transgénique s'arrêta brusquement sur le pas de la porte.
_ Euh… vous n'avez pas peur des morts ou du sang ? Demanda-t-il, se rappelant du charnier qu'il avait laissé derrière lui.
_ S'il s'agit des salauds qui nous retiennent ici, ça me fera plaisir de les voir morts, répondit l'autre prisonnière, alors qui Judy secouait la tête.
De retour dans le couloir, Alec nota que les machines à laver ne faisaient plus de bruit. Il mit son doigt sur les lèvres pour dire aux deux jeunes femmes de faire silence. Il leur dit d'attendre dans le couloir et retourna dans le dortoir. Il revint avec deux paires de rangers et des chaussettes sales. Les femmes grimacèrent. Le transgénique dut leur expliquer qu'ils allaient partir par la forêt pour rejoindre la voiture. Les chaussettes étaient là pour être mises au fond des chaussures trop grandes pour que les femmes puissent marcher facilement. Enfin, il expliqua que les anciens propriétaires n'en auraient plus l'usage.
Les deux femmes bien chaussées, le petit groupe continua. Alec, en tête, jeta un coup d'œil rapide dans chacune des pièces déjà visitées pour s'assurer de ne pas être pris à revers.
Ils arrivèrent à la salle où Alec avait laissé Max. Judy eut le teint livide et sa compagne vomit dans un angle. L'homme au costume avait réussi à retirer son bâillon et parlait à Max, qui était prostrée dans son coin, les mains sur les oreilles et les yeux fermés. Le X5 frappa l'homme et lui dit de se taire s'il ne voulait pas être égorgé.
Max sursauta lorsqu'Alec s'approcha d'elle.
_ Max, c'est moi. Tout va bien.
_ A… lec, bredouilla-t-elle.
_ Comment te sens-tu ?
_ Je veux partir d'ici, supplia-t-elle.
_ Ça marche.
Il l'aida à se relever. Elle était encore fébrile, mais elle arrivait à marcher. Alec donna le pistolet à Judy et Max garda son couteau. La troisième fille se retrouva avec deux valises et Max prit tant bien que mal la dernière.
Au moment de partir, Alec libéra l'homme aux cheveux gris pour mieux l'attacher à la table à étrier, après avoir redressé cette dernière. Dans la main transpercée de l'homme, il glissa une grenade, la cuillère contre la paume, qu'il dégoupilla.
_ Serrez fort le poing, si vous ne voulez pas mourir, et priez pour quelqu'un vous trouve avant que la douleur, trop insupportable, ne vous fasse lâcher prise.
_ Par pitié… gémit l'homme.
_ Je n'ai aucune pitié pour les personnes comme vous, cracha Alec.
Il sortit pour retrouver les filles dans le couloir et brisa la poignée de la porte, pour être sûr que personne ne puisse venir sauver l'homme.
Alec reprit la tête du convoi. En haut des escaliers, il hésita à sortir d'ici ou à saboter pour de bon l'endroit. Il se tourna vers sa partenaire.
_ Tu veux qu'on parte maintenant ou on finit le travail ?
_ Je veux partir, mais il ne faut pas qu'ils puissent recommencer, répondit la jeune femme.
_ L'extérieur est nettoyé. Tu te sens de rejoindre la voiture avec les filles ? Elle est à un kilomètre, juste après la fin de la zone blanche, dans les bois, sur la droite en longeant la route.
_ Je ne peux pas me battre. Tu es certain qu'on ne risque rien dehors ?
_ J'ai tué tous ceux qui patrouillaient dans la cour. Les autres mercenaires sont ceux qui montent la garde à l'intérieur. Et, je vais faire suffisamment de grabuge ici pour qu'ils ne s'intéressent pas à vous. Crois-moi.
_ Je te crois.
_ Attendez juste que je déclenche l'alarme incendie et le début de l'évacuation des civils pour vous déplacer dans la cour.
_ D'accord.
_ On se revoit vite, dit-il en déposant un baiser sur la joue de la jeune femme.
_ Alec ?
_ Oui ?
_ Reviens-moi s'il te plaît, murmura Max.
_ Toujours.
Max hocha la tête et sortit avec les deux filles. Alec coinça ensuite la porte de sortie avec l'extincteur. Il commença par redescendre afin de mettre le générateur en surchauffe. D'après le modèle et ses connaissances en sabotage, la machine exploserait en dix minutes. Il remonta rapidement et poussa la porte de la cuisine.
Il restait quelques commis, occupés à finir de nettoyer. Le personnel s'enfuit en voyant le jeune homme arriver avec son arme à la main. Il déclencha l'alarme incendie sachant que les couples civils et que le personnel non combattant quitteraient les lieux. En se mêlant au chaos général, Max, Judy et l'autre fille passeraient inaperçues. Bientôt, les hommes en costards les rejoindraient, ainsi que tous ceux qui savaient se battre.
Il commença par ouvrir au maximum les arrivées de gaz et sortit de la cuisine. Dans la salle à manger, il rencontra immédiatement deux gardes qu'il abattit sans problème. Puis, il prit le couloir latéral pour aller directement à la salle du local informatique. Il fallait détruire les preuves de leur passage et donc la vidéosurveillance. Malheureusement, l'intérieur du centre était truffé de caméras et il fut accueilli par deux gros balèzes avant d'arriver à destination.
Après les avoir tués, il dut reprendre son souffle. Malgré l'adrénaline qui parcourait son corps, il ne pouvait plus ignorer qu'il avait reçu une balle dans le ventre, lors de la fusillade contre les deux soldats surnuméraires, venus alors qu'il détachait Max. Il y avait eu trop de balles et trop peu de distance à parcourir pour toutes les esquiver.
Il inspira profondément et se remit en route. Dans le local informatique, il abattit sans sommation un gringalet qui l'avait maladroitement menacé d'une arme de poing. Il déclencha le formatage des disques durs. Malgré toutes ses astuces, cela prit trop de temps. Il ne tarda pas à se trouver acculer dans le local, par le reste des hommes en costume-cravate.
Une petite secousse fut ressentie par tous. L'homme aux cheveux gris n'avait pas réussi à garder la main fermée sur sa grenade. S'il n'était pas mort sur le coup, l'explosion du groupe électrogène et l'incendie du sous-sol abrégeraient sa pathétique existence.
Les hommes en costume perçurent aussi la secousse sous leurs pieds, sans en connaître la raison. Ils eurent quelques secondes d'inattention. C'était suffisant pour qu'Alec passe à l'attaque avec la précision d'un tireur d'élite et ne les tue.
Un signal sonore fut émis derrière lui et il sut que l'effaçage des données informatiques était terminé. Il était plus que temps. La génératrice n'allait plus tarder à exploser. Il lança la dernière grenade dans le local de vidéosurveillance et le quitta à la hâte.
Avant qu'il ne puisse atteindre l'entrée principale du bâtiment, une puissante explosion eut lieu et il fut envoyé à terre. Le problème des sous-sols avec des portes coupe-feu était que leur efficacité était surestimée. La porte pouvait retenir un incendie, mais c'était rarement le cas du sol lui-même.
Les flammes s'engouffrèrent dans la bâtisse, à travers un trou béant au milieu de la cuisine, et commencèrent à dévorer tout sur le passage. Les oreilles bourdonnantes à cause du bruit de l'explosion et la vue troublée par son sang perdu, Alec pressa la main sur sa blessure, se releva et sortit dans la cour.
Le personnel civil survivant tentait vainement de rassurer les autres couples de patients. Les clés des véhicules étant restées à l'accueil, au milieu des flammes, ils n'avaient aucun moyen de quitter les lieux.
Le centre en feu, on y voyait comme en plein jour. Mais, avec son uniforme de soldat et le visage barbouillé de suie et de sang, personne ne le reconnut. On lui demanda de l'aide. Il ne pouvait, et ne voulait, rien faire dans son état. Il hésita à appeler les secours. Malgré tout, il alla au niveau du kiosque à l'entrée et passa un appel aux pompiers de Seattle… ainsi qu'aux journalistes, pour éviter que quelques politiques ou policiers véreux ne fassent étouffer l'affaire. Alec profita d'une autre petite explosion, qui détourna l'attention de lui, pour quitter la cour et s'enfoncer dans les bois.
État de Washington, Tiger Mountain, dimanche 5 juin 2022, bien après minuit
MAX
Max avait trouvé la voiture sans difficulté et, à présent, son corps avait totalement repris le dessus sur le produit anesthésiant. Tandis que les deux anciennes prisonnières, assises sur le bord du coffre, savouraient le simple fait de respirer de l'air pur, Max faisait les cents pas. Elle était folle d'inquiétude et se faisait violence à chaque seconde pour ne pas s'élancer dans les bois en direction de l'institut pour aller chercher Alec. Même au sol, à un kilomètre de distance, elle voyait le bâtiment en flamme.
Un craquement de brindilles la fit sursauter, mais elle fut soulagée en voyant apparaître Alec. Seulement, son soulagement fut de courte durée. Elle remarqua immédiatement qu'il avait le teint livide et qu'il marchait lentement, en se tenant le ventre.
Elle le fit asseoir à la place des deux jeunes femmes, qu'elle envoya chercher la trousse de premier soin à l'avant de la voiture. Pour pouvoir observer la plaie, Max retira sans ménagement le T-shirt du X5, le faisant grimacer de douleur.
_ Un peu de douceur, s'il te plaît, fit Alec.
Elle croisa les beaux yeux verts du transgénique et elle eut envie de pleurer. Elle lui passa la main dans les cheveux et pressa longuement le front contre celui du X5. Puis, elle explosa en sanglots. Elle ne sut pas ce qu'elle avait voulu dire sans utiliser la parole, mais Alec semblait avoir compris.
Alec passa les mains autour de sa taille et la tira vers lui. Elle enfouit son visage dans les cheveux du jeune homme.
_ J'ai eu si peur ! Fit-elle.
_ Ne t'en fais pas. Tu n'as plus à avoir peur. Plus personne ne viendra te faire de mal. Je suis là maintenant.
_ Tu aurais pu mourir là-bas !
_ Tu oublies que je suis un gros chat : j'ai plusieurs vies.
_ Et, tu en es à la combientième ?
_ Cinq ou sept… J'ai perdu le compte, répondit Alec en souriant, dans une vaine tentative de blague.
Elle le regarda sourire bêtement. Elle ne savait pas si elle devait l'engueuler ou pleurer ou rire. Elle lui caressa la joue avec douceur, les larmes toujours au bord des yeux. Elle serait perdue sans lui. Elle lui déposa un long baiser sur les lèvres, faute de savoir quoi dire.
Judy se racla la gorge pour l'interrompre. Max avait oublié qu'Alec et elle n'étaient plus seuls. La jeune femme leur tendit la boîte de premier soin et la X5 fit un pansement du mieux qu'elle put pour éviter que son partenaire ne perde trop de sang.
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Pendant que les pompiers, suivis de près par les journalistes, se rendaient au centre de fertilité, ils prirent la route. Alec voulut prendre le volant, mais Max refusa. Il n'était pas assez en forme à son goût. Après un arrêt dans une station-service, où ils firent tous un brin de toilette, grâce aux contenus des valises, et se changèrent, ils retournèrent en ville en prenant l'itinéraire le moins direct pour que leur trajet ne puisse être assimilé à une fuite depuis l'institut.
Au barrage routier, les filles à l'arrière firent semblant de dormir. Max présenta ses faux papiers en prétendant qu'ils rentraient tous de vacances et que c'était son tour de conduire. Alec fit semblant de se réveiller et chercha maladroitement ses papiers pour les confier au policier. À deux, ils réussirent à convaincre l'officier de les laisser passer sans réveiller les autres passagères.
Judy et Tessa, l'autre victime du centre, furent déposées chez Logan. Max suivit Alec à l'infirmerie pour s'assurer que son état de santé ne se dégraderait pas.
Seattle, appartement de Logan Cale, lundi 6 juin 2022, 10h15
LOGAN
Logan fulminait tandis qu'Alec bâillait ostensiblement devant lui.
_ Est-ce que tu te rends compte de ce que tu as fait ? Fit-il.
Le transgénique était venu lui faire un résumé de ce que Max et lui avaient découvert au sujet du trafic d'esclaves sexuels. En fait, il y avait peu à dire. Alec avait dit avoir effacé toutes les données informatiques.
_ Comment veux-tu que je retrouve la trace des autres victimes dans ses conditions ?!
_ Oh… Tu trouveras bien un truc, dit le X5 en haussant les épaules. Tu es le Veilleur, ajouta-t-il avec sarcasme.
_ Et, les morts ? Tu en fais quoi ? J'ai des amis journalistes qui ont été sur les lieux. D'après le légiste, il y a près de quarante morts. Dont les trois quarts ne sont pas morts à cause de l'incendie. Il a parlé à parler de meurtres.
_ J'avais trois personnes à gérer. Max avait été droguée et les deux autres n'auraient pas pu se défendre. J'ai fait au plus court.
_ Ça ne servait à rien de le tuer ! Cria Logan.
_ Ça ne servait à rien de les laisser en vie !
_ Tu veux dire que si c'était à refaire, tu ferais pareil ?
_ Non. En fait, j'aurais pris mon temps pour torturer un bon nombre d'entre eux.
_ Est-ce que tu t'entends parler ? Tu es un monstre !
_ Ces types méritaient bien plus qu'une simple mise à mort ! J'ai été généreux avec eux !
_ Ce n'est pas à toi d'en décider !
_ Toi et tes grands principes… Vous me dégoûtez. J'ai été gentil en leur accordant une fin rapide. Aucun tribunal ne les aurait correctement jugés et aucune sanction n'aurait été à la hauteur de leurs actions, cracha Alec.
Max entra dans l'appartement, visiblement paniquée. Elle dévisagea les deux hommes comme si elle craignait qu'ils n'en viennent aux mains.
_ C'est bon ! Fit le X5. Je me tire.
_ Je n'ai pas fini ! S'exclama le journaliste.
_ Moi, si ! Un de ces quatre, Max, je vais péter la gueule de ton mec… dit le transgénique avant de quitter l'appartement.
_ Qu'est-ce que tu lui as dit ? Demanda la jeune femme. Cette mission l'a rendu nerveux.
_ Nerveux ?! Max, il a tué plusieurs dizaines de personnes. C'est un psychopathe, complètement dérangé, sans aucune morale. Il est dangereux, Max, comme B…
Logan s'interrompit avant de finir sa phrase sous le regard sévère de la jeune femme.
_ Comme Ben. C'est ce que tu allais dire ?
_ Je n'ai pas…
_ Tu ne sais rien, Logan. Rien de ce qu'il s'est passé. Rien sur Ben et rien sur Alec. Je ne te permets pas de les juger… ni l'un, ni l'autre.
_ Excuses-moi, dit le journaliste en s'avançant vers la X5, qui recula d'autant.
_ Saches qu'ils sont totalement différents.
Max fit demi-tour et se dirigea vers la porte.
_ Où vas-tu ? Demanda l'ordinaire.
_ M'assurer qu'Alec va bien.
Sur ces mots, la jeune femme quitta l'appartement.
Logan savait qu'il avait été trop loin. Bien sûr qu'il savait qu'on ne pouvait pas épargner tous les méchants. Il l'avait appris à ses dépens lors de son voyage à Cape Haven. Et, il pouvait aussi comprendre qu'Alec s'était plus soucié des trois jeunes femmes. Il savait qu'il n'aurait jamais dû comparer Alec à Ben, encore moins devant Max. Mais, cet homme le mettait hors de lui.
Dans la nuit de son sauvetage, alors qu'elle n'arrivait pas à dormir en raison d'un trop plein d'émotions, Judy, la jeune femme du S1W, avait demandé à Logan, avec sollicitude, s'il allait bien suite à sa rupture avec Max. Il n'avait pas compris pourquoi elle lui avait posé une telle question. Jusqu'à ce qu'elle parle de l'étreinte et du baiser entre les deux transgéniques. Sa réaction à ces éléments le trahit et Judy se rendit compte qu'elle avait dit ce qu'elle n'aurait pas dû dire. Elle termina sa phrase en disant que Max avait dû avoir très peur avant qu'Alec ne la sauve et qu'il s'agissait sans doute d'une embrassade de réconfort. Logan n'arrêtait pas d'imaginer ce qu'il avait pu se produire entre les deux transgéniques durant le séjour et ça le rendait furieux.
Seattle, appartement d'Alec, au centre-ville, lundi 6 juin 2022, 22h15
MAX
Max passa la journée à la recherche d'Alec. Plus les heures filaient, plus elle était anxieuse. Bien sûr, elle s'inquiétait pour son état de santé. Mais, Magenta avait été efficace et il ne risquait plus rien.
Cependant, l'anxiété de la jeune femme venait aussi du fait qu'elle se sentait épiée par tous. Elle sentait les regards lubriques des hommes envers elle et elle avait de partir en courant et en hurlant. Elle se sentait jugée par les femmes qui la croisaient. Elle avait envie de s'arracher la peau en se rappelant les mains des mercenaires posées sur elle. Elle se sentait sale et souillée. Que penserait Logan s'il découvrait que des hommes avaient posé leurs mains sur elle ?
Max voulait simplement retrouver Alec et pleurer dans ses bras.
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Dans la soirée, alors qu'elle perdait espoir, elle retourna une seconde fois devant l'immeuble de la garçonnière d'Alec. Elle bondit de sa moto en voyant le véhicule du jeune homme garé devant le bâtiment. Elle courut jusqu'à la porte de l'appartement. La porte s'ouvrit avant qu'elle n'ait eu le temps de frapper.
_ Salut, dit tranquillement Alec.
_ Tu sors ? Demanda-t-elle, en regardant ses habits.
_ Non, je rentre. Je suis crevé.
_ Mais, tu m'as ouvert…
_ J'ai reconnu tes pas dans le couloir. Tu n'es pas très discrète pour un soldat génétiquement amélioré. Tu sais ça ?
Max ne put s'empêcher de sourire. Ça lui faisait du bien qu'il la provoque.
_ Je peux rester un peu ? Demanda-t-elle.
_ Ouais, vas-y. Je vais prendre une douche.
L'estomac de la jeune femme poussa une longue plainte.
_ Il me reste de la bouffe chinoise dans le frigo, si tu veux. J'ai déjà dîné.
Max mangea pendant que le transgénique se lavait. Elle l'aida ensuite à refaire son pansement au ventre. La cicatrisation avait déjà commencé.
Ensuite, le X5 se vautra dans le canapé à côté d'elle. Il la regarda, sans un mot. Il savait qu'elle n'allait pas bien. Il la connaissait trop bien. Max fondit en larmes et se jeta dans ses bras.
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Au bout d'un temps indéterminé, la jeune femme commença à se calmer et finit par se redresser.
_ Excuses-moi… dit-elle à voix basse.
_ De quoi ?
Elle haussa les épaules.
_ Je peux rester ici, cette nuit, dans tes bras ? Demanda-t-elle.
_ C'est ce que tu as fait… fit Alec en souriant.
_ Quoi ?
En guise de réponse, il tendit le poignet pour qu'elle puisse regarder l'heure matinale et elle en fut abattue.
_ Qu'est-ce que je peux faire pour t'aider ? Demanda-t-il.
_ Arrêter le temps ?
_ Je n'ai pas ce talent, dit-il en bâillant.
_ Je t'ai empêché de dormir.
_ Pas grave. Je vais m'arranger pour glander aujourd'hui.
Max se leva brusquement. Elle prit le téléphone du X5 et l'éteignit. Elle fit de même avec son bipeur.
_ Qu'est-ce que tu fais ? Questionna Alec.
_ Tu as besoin de te reposer. En plus, tu es blessé. Il faut que tu ailles dormir. Va au lit, ordonna-t-elle.
_ Euh…
_ Je n'accepterais pas de refus. Je vais prendre une douche, je te pique un T-shirt et je te rejoins, décréta-t-elle fermement.
o0o0oOo0o0o
Quelques heures plus tard, après avoir observé le X5 et avoir dormi son heure "habituelle" due à la présence apaisante du jeune homme, elle se réveilla. Alec était allongé sur le côté et l'observait.
_ Tu as pu dormir ? Demanda-t-elle.
_ Ouais… J'ai fait une bonne sieste.
_ Tu veux te reposer plus longtemps ?
_ Ça va…
_ Pourquoi tu me regardes comme ça ? Dit-elle en se sentant rougir.
_ Je t'ai trouvé bien déraisonnable tout à l'heure. Couper les communications et faire la morte… Ça ne te ressemble pas.
_ J'ai toujours été raisonnable. Pour une fois, j'ai eu envie de choisir l'autre option.
_ Un petit coup de folie, somme toute.
_ Tu es en train de m'agacer là… souffla-t-elle.
La remarque fit sourire le transgénique.
_ Depuis que tu es dehors, tu n'as jamais fait de vrai gros coup de folie ? Demanda-t-il.
_ J'ai éteint mon bipeur, ton téléphone et j'ai dormi avec toi. Ça répond à ta question ?
_ C'est ça un vrai coup de folie selon toi ?
_ Est-ce que je t'ai dit que tu m'agaçais ?
Cette fois, il rigola franchement, puis grimaça en se tenant le ventre. Immédiatement, Max se redressa pour voir si elle pouvait lui apporter du soulagement. Alec se contenta de lui presser la main.
_ Dis-moi ce que tu veux, dit-il. Là, maintenant.
_ Je voudrais que tu ne souffres pas.
_ Ça passe déjà. Dis-moi le premier truc dingue qui te passe par la tête. Ce que tu as envie de faire tout de suite. Même si ça te paraît délirant.
_ J'ai envie de partir.
_ Où ?
_ J'en sais rien. Je veux juste tout quitter, sans me retourner. Je veux faire une pause. Je veux me retrouver dans un endroit où je n'aurais rien à gérer, aucun souci et où je n'aurais pas à faire attention à ce que je fais ou ce que je dis, ni à avoir peur parce que je sais que tu seras avec moi.
L'instant après avoir dit ces mots, Max sentit ses joues s'embraser. Elle détourna la tête car Alec la regardait en souriant.
_ Faisons ça alors ! Dit-il en bondissant du lit. Ah !
_ Quoi ?!
_ Je me suis levé trop vite, répondit-il en se tenant le ventre.
_ Qu'est-ce que tu fais ? Demanda-t-elle en le voyant s'habiller.
_ Je vais nous choper une voiture et du fric.
_ Quoi ?
_ J'ai repéré un proxénète à quelques rues d'ici. Ça fait un moment que je me dis que je lui piquerais bien ses affaires. Il a un SUV dernier cri, une mallette de cash toujours dans la bagnole et il ne portera jamais plainte. On lui vole la voiture, l'argent et on roule sans s'arrêter.
_ C'est de la folie ! S'exclama Max.
_ Carrément ! Mais, je suis sûr que tu iras mieux après.
_ Non. Ce n'est pas la peine. Je me sens mieux maintenant. Et toi, tu dois te reposer.
_ Dis-toi que j'ai peut-être envie de tout quitter, sans me retourner. Que je veux faire une pause. Que je veux me retrouver dans un endroit où je n'aurais rien à gérer, aucun souci et où je n'aurais pas à faire attention à ce que je fais ou ce que je dis. Un endroit où je pourrais me reposer et reprendre des forces. Et que j'ai envie de t'avoir avec moi. Tu veux bien m'accorder ça ?
_ Je n'ai pas de bagage, dit Max.
_ Où est passé ton sens de l'aventure ?
_ Je n'en ai pas, répliqua la jeune femme.
_ J'en ai à revendre pour deux. On achètera tout ce dont on aura besoin sur la route. Au pire, on fait un petit cambriolage histoire d'avoir un peu plus d'argent de poche.
_ Tu es blessé.
_ Je vais bien. Je vais toujours bien. Encore plus si tu es avec moi.
Max eut un moment d'hésitation, puis elle sourit.
_ À condition que, si je trouve que tu as besoin de repos, tu ailles te reposer sans contestation.
_ Vendu !
Max hocha alors la tête en signe d'acceptation.
État de Californie, Redding, Hôpital St-Elizabeth, mardi 7 juin 2022, 23h00
MAX
En moins d'un quart d'heure, les deux transgéniques étaient sur la route et filaient plein sud. Max se sentait gonflée d'allégresse. Elle profita des fenêtres grandes ouvertes et de leur vitesse pour jouer, la main hors du véhicule, avec l'air en l'imaginant planer.
Leur premier arrêt eut lieu à peine deux heures après leur départ. Elle reconnut aussitôt l'endroit. Ils s'arrêtèrent sur la même aire d'autoroute, près de Castel Rock et ils déjeunèrent copieusement, et avec plaisir, dans le restaurant routier qu'ils avaient fréquenté lors de leur dernière mission commune.
Neuf heures plus tard, ils s'arrêtèrent dans la ville de Redding, au nord de la Californie. Ils firent une balade crépusculaire sur le Sundial Bridge et profitèrent de la vue sur le fleuve Sacramento, tout en mangeant de bons sandwichs. Après quoi, ils se glissèrent dans le musée d'histoire naturelle de Turtle Bay pour faire une visite nocturne, simplement pour continuer leur promenade, tout en jouant à taquiner les vieux vigiles bedonnants.
Finalement, ils entrèrent dans l'Hôpital St-Elizabeth et s'introduisirent dans la pharmacie pour avoir de quoi s'occuper de la blessure d'Alec.
_ Tu sais quoi ? Demanda le transgénique alors que Max finissait de fixer le pansement avec du sparadrap.
_ Quoi ? Fit-elle.
_ J'ai vu une brochure publicitaire au musée. Je sais où je veux t'emmener.
_ Vraiment ?
_ Mais, je voudrais te faire la surprise.
_ Tu veux que je garde les yeux fermés jusqu'à destination ? C'est mon tour de conduire, je te signale.
_ Ça pourrait être drôle de devoir te guider.
Max rigola franchement.
_ Il y a que toi pour avoir une idée aussi stupide.
_ C'est un talent inné.
La jeune femme ria de plus bel et son compagnon dut lui mettre la main sur la bouche pour éviter qu'elle ne fasse trop de bruit.
Il leur fallut quelques minutes pour retrouver leur sérieux.
_ Tu pourrais dormir, fit Alec.
_ Dormir ?
_ Il y a tout ce qu'il faut pour… ajouta-t-il en désignant les étagères de produits médicamenteux derrière elle.
_ Tu voudrais me droguer ? Demanda-t-elle avec scepticisme.
_ Seulement si tu es d'accord. Tu me fais confiance ? Je sais que des tarés viennent de te droguer et que…
_ J'ai confiance en toi, coupa Max.
_ Tu en es certaine ?
_ Totalement, répondit-elle avec franchise. Mais, est-ce loin ? Tu pourras conduire jusqu'au bout ? Tu es blessé quand-même.
_ Je vais bien et je ne doute pas un instant de ma capacité de conducteur. Je ne serais peut-être pas très frais dans la matinée et je ferai une petite sieste si tu veux bien.
_ Bien sûr que tu pourras te reposer. Tu seras là quand je me réveillerais ?
_ Ce serait à côté de toi.
_ Alors, d'accord.
_ Tu es sûre ?
Tant que le X5 était à ses côtés, elle n'avait aucune crainte. En guise de réponse, elle souleva sa manche et exposa les veines de son avant-bras. Alec prit une seringue neuve, ponctionna plusieurs produits et les injecta à la jeune femme. Ils se dépêchèrent de retourner à la voiture.
_ À tout à l'heure, chaton, dit Alec alors qu'elle sentait le sommeil chimique l'emporter, assise sur le siège passager.
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Max ouvrit lentement les yeux. Elle eut besoin de quelques minutes pour se rappeler qu'elle avait dormi de façon artificielle. Elle battit plusieurs fois des paupières pour dissiper le flou devant ses yeux et la première chose qu'elle vit fut le visage d'Alec, endormi près d'elle.
Ils étaient allongés tout habillés sur un lit. Alec lui avait juste retiré sa veste et ses chaussures, comme il l'avait fait pour lui-même. Elle regarda longuement le visage paisiblement endormi du transgénique avant d'observer les lieux.
Ils étaient dans une chambre à la décoration sur le thème du surf et d'autres loisirs nautiques. Elle se laissa glisser sur le sol, en lattes de bois, qui grincèrent légèrement. Alec frémit et soupira sans se réveiller. Elle avança aussi silencieusement que possible vers la fenêtre, d'où filtrait la lumière du jour à travers les rideaux.
Elle fut momentanément éblouie en regardant dehors. Le soleil se reflétait avec force sur la mer. Elle ne résista pas à l'envie d'ouvrir la porte coulissante. Elle fit un pas dehors et huma l'odeur iodée de l'air ambiant. À ses pieds, il y avait une petite terrasse d'à peine deux mètres de largeur, puis une longue bande de sable, avant l'océan.
Elle sourit sans se retourner en entendant le parquet grincer sous les pieds d'Alec qui venait la rejoindre. Il passa les bras autour de sa taille et vint poser la tête sur son épaule.
_ Où sommes-nous ? Demanda-t-elle en posant les mains sur celles du jeune homme.
_ Nous sommes à Santa Monica. À l'ouest de Los Angeles.
_ Pourquoi ici ?
_ Il y a la plage, la mer, le soleil. Je me suis dit que la chaleur plairait à ton côté félin.
_ Ou à ton côté félin, fit-elle remarquer.
_ Pas faux. Il y a de la musique à tous les coins de rue. Il y aussi un parc d'attractions ouvert jour et nuit, une salle de sport en plein air, une cohorte de restaurants.
_ Tout ça doit coûter cher…
_ Il y a aussi plusieurs galeries d'art pour nos finances. À croire que ça a été fait exprès rien que pour nous.
Max gloussa à cette révélation.
_ On pourra prendre le temps de se détendre ici. On pourra s'amuser, manger, rigoler, nager, bronzer, surfer…
_ Je ne sais pas surfer, coupa Max.
_ Moi si. Je t'apprendrai. On pourra aussi aller visiter Los Angeles.
_ Je ne veux pas, dit-elle brusquement. J'y ai trop de mauvais souvenirs. Surtout le centre-ville. On est déjà trop proche à mon goût.
_ Alors, on évitera soigneusement Los Angeles et son centre-ville. Mais, je veux que tu me dises en quoi mon idée, de venir ici, est mauvaise.
Max se retourna pour faire face au jeune homme et lui passa les bras autour du cou.
_ Ton idée n'est pas mauvaise, dit-elle. C'est juste que…
_ Racontes-moi.
_ Tu veux quelle partie ? La partie où j'ai effectivement vécu à la rue, dans le Parc Griffith, pendant trois ans*, telle la clocharde que tu avais vu en moi à notre rencontre, ou la partie où j'ai vécu parmi un gang de voleur en bande organisé*, avant qu'ils ne se fassent massacrer juste pour m'avoir connu et que je ne l'ai découvert qu'après mon arrivée à Seattle, sans pouvoir rien y faire ? (*référence à Before The Dawn)
_ Je veux tout savoir de toi. Je suis désolé d'avoir pu te dire des choses qui t'ont blessée.
_ Tu ne pouvais pas savoir…
_ Tu es déjà venue ici ?
_ J'ai simplement cambriolé deux ou trois galeries. Je ne me suis jamais attardée et encore moins pris du temps pour… moi.
_ Est-ce que ce sont tes premières vacances ?
_ Je crois bien que oui, fit-elle.
_ Tu sais quoi ? C'est pareil pour moi, dit Alec avec sérieux.
_ Tu es vraiment un crétin, dit-elle en riant.
_ Qui sait… Je m'améliorerai peut-être un jour.
_ Ne change jamais.
_ Donc, implicitement, tu avoues que je suis parfait. Voilà qui me va droit au cœur.
Max explosa de rire et dut enfouir son visage contre le torse d'Alec le temps de se calmer.
_ Donc, on reste exclusivement sur la côte. Au programme : nage, manèges, surf, bronzette et bouffe ? Demanda-t-il.
_ Avec plaisir.
Seattle, Secteur 5, appartement de Max et Original Cindy, dimanche 12 juin 2022, 21h20
ORIGINAL CINDY
Cela faisait presque une semaine qu'Alec et Max étaient partis. Au début, Max n'était pas au courant qu'Alec avait pris soin de prévenir Terminal City. Il appelait chaque jour. Alec avait aussi prévenu Normal et elle-même. La dernière rencontre entre le X5 et Logan ayant été particulièrement conflictuelle, le transgénique avait demandé à la jeune femme de prévenir le journaliste de l'absence de Max.
Ça n'avait pas été simple. Max avait soigneusement dissimulé son agression à l'ordinaire. Elle ne voulait pas qu'il puisse être au courant, par honte. Néanmoins, Alec et Original Cindy avaient décidé ensemble qu'il devait savoir. Elle avait voulu l'informer avec tact et délicatesse, mais elle avait été prise de court. N'ayant pas de nouvelle de Max, le journaliste s'était rendu à Terminal City pour glaner des informations.
Logan était tombé sur Mole, dans une fureur noire. Alec lui avait raconté l'agression sur la X5 pour expliquer qu'elle avait besoin de temps pour se remettre, une blessure psychologique mettant souvent plus de temps pour guérir qu'une blessure physique. Le trans-humains avait éructé des injures envers tous les ordinaires, qui étaient, à ses yeux, largement plus horribles que les transgéniques qu'on traitait de monstres.
Bien entendu, Logan ne comprit pas pourquoi sa petite-amie n'avait pas voulu lui parler et Original Cindy dut passer plusieurs heures à écouter l'homme dans son incompréhension.
Dès le début de leurs vacances, Alec avait insisté pour que Max raconte son histoire par téléphone, avec ses mots, son ressenti, à sa meilleure amie. Ce fut une longue nuit pour eux trois. Max avait beaucoup pleuré. Alec avait encouragé son amie à parler et Original Cindy avait surtout écouté. Elle avait connu quelques filles victimes d'agression. Mais, c'était la première fois que son entourage proche était touché. Elle ne comprit que trop bien les sentiments de colère de Mole.
Plus tard, Alec avait aussi dû convaincre Max de raconter son histoire à un homme. Il disait qu'il était important que la jeune femme puisse aussi s'exprimer devant une personne de sexe opposé. Elle avait contesté en disant qu'elle parlait très bien avec le X5. Il avait répliqué qu'il ne comptait pas puisque la jeune femme n'avait rien raconté car il avait été sur place.
Ça n'avait pas été simple. Même après qu'on lui ait dit que Logan avait été mis au courant, elle n'avait pas souhaité en parler avec lui. Elle avait d'ailleurs été fâchée contre ses deux Boo pour avoir osé mettre le journaliste au courant, même si, en vérité, ils n'avaient rien fait grâce à Mole. Max avait aussi refusé de parler à Joshua, qu'elle jugeait trop naïf et innocent pour comprendre. Elle avait refusé de parler de parler à Krit, au motif qu'elle ne voulait pas le distraire avant une grosse mission pour le Veilleur. Elle avait refusé de parler à tout mâle transgénique, car elle était l'un des chefs et qu'elle ne devait pas montrer de faible devant eux. Elle avait refusé de parler à Sketchy qui était trop souvent à côté de ses chaussures. Elle avait naturellement refusé de parler à Normal, qui avait été mentionné par Alec et une de ses idées saugrenues. Finalement, Alec réussit à convaincre la jeune femme d'échanger avec Lydecker. L'homme connaissait sa "fille", il connaissait les traumatismes psychologiques et il connaissait la psychologie des X5. D'après le X5, la discussion avait été productive. L'ancien militaire avait écouté avec calme, il avait posé des questions et avait donné quelques conseils. Original Cindy avait pris son courage à deux mains et était allée voir le colonel, qui pouvait se montrer assez intimidant. Il n'avait pas fait d'indiscrétion. Il avait juste dit que c'était à cause d'histoires de ce genre qu'il avait parfois honte d'être un homme.
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Alors qu'elle feuilletait un magazine chez elle, quelques coups frappés à la porte lui firent lever la tête et Max franchit la porte d'entrée de l'appartement du Secteur 5. Elle était bronzée et avait le teint rayonnant. Elle portait une robe courte, sous sa veste en jean. Aussi choquant que fut le fait de voir Max dans une telle tenue, il fallait reconnaître que ça lui allait bien.
Son amie déposant un sac à dos dans l'entrée, ainsi qu'une petite valise, et vint la saluer en l'enlaçant.
_ Comme je suis heureuse de te voir, Boo ! Dit la jeune femme noire.
_ La bête de somme, que je suis, voudrait bien un coup de main, dit Alec, en entrant dans l'appartement avec plusieurs sacs en papier et un très gros ours en peluche.
Max ria et alla l'aider en prenant les sacs.
_ Salut, Cindy, dit-il. Tu vas bien ?
_ Ça va.
Alec regarda Max avec insistance.
_ Quoi ? Demanda-t-elle.
_ Tu restes là… fit-il.
_ Et alors ?
_ Alors ? Ça veut dire que ça fait une demi-heure que tu me prends la tête pour rien et qu'en vérité tu n'as pas envie d'aller aux toilettes.
_ Tu sais bien que te prendre la tête est une de mes passions… Mais, si vous voulez bien m'excuser, je reviens, dit Max en se dirigea vers les commodités.
Original Cindy s'approcha alors du X5, toujours avec son ours dans les bras.
_ Elle va mieux ?
_ Tu crois vraiment que je lui aurais permis de revenir si elle n'allait pas bien ?
_ Tu es sûr ?
_ Elle est capable d'aller commander toute seule de la glace, en bikini, au milieu d'un troupeau d'hommes, sans se sentir menacée… Donc, oui, elle va mieux.
_ Mais, elle porte une robe jaune canari.
_ M'en parles pas… Tu aurais dû voir le numéro de charme que lui avait fait la vendeuse ambulante. Approche classique, mais travail impeccable. J'en ai pris de la graine pour mon business !
_ Et sinon, vous avez fait quoi tous les deux ?
_ Fête foraine, plage, surf…
_ Original Cindy ne parlait pas de ce genre d'activité. Vous êtes maqués maintenant ?
_ Quoi ? Bien sûr que non ! Elle s'est faite agressée et a failli se faire violer. Tu crois vraiment que j'en aurais profité ?
_ Non. Je ne disais pas ça dans ce sens-là. Original Cindy disait juste que vous étiez devenus très proches.
_ On n'est pas comme ça, elle et moi, répondit Alec.
« "Pas comme ça" …Voilà qu'Alec se met à parler comme Max maintenant. Ça devient vraiment sérieux » pensa la jeune femme noire.
Alec se dirigea vers la chambre de Max et déposa l'énorme ours en peluche sur le lit. Max les rejoignit et se jeta dans les bras de l'ours.
_ Qui est ton nouvel amoureux ? Demanda Cindy à sa Boo.
_ C'est Francis, notre fils, dit Alec.
_ Je t'ai déjà dit qu'il s'appelait Kevin, fit Max.
_ Je l'ai vu en premier. C'est à moi de choisir son nom.
_ Peut-être, mais c'est moi qui l'aie gagné au stand de tir à la carabine.
_ Les carabines étaient truquées.
_ Et, alors ? Moi, j'ai visé juste.
_ Uniquement parce que j'ai tiré en premier et que tu as pu réajuster ta visée en te basant sur ma marge d'erreur.
_ Il s'appelle Kevin, conclut Max.
_ Franchement, tu ne trouves pas qu'il a une tête de Francis ? Demanda le X5 à la jeune femme noire. Moi, je trouve qu'il a une tête de Francis.
_ Original Cindy est-elle vraiment obligée de participer à cette étrange conversation ?
Les deux transgéniques explosèrent de rire.
_ Bon. J'y vais, dit Alec.
_ Tu ne donnes pas les cadeaux aux autres sans moi, fit Max.
_ Non. J'avais l'intention de les vendre sur le marché noir.
_ Haha… feignit Max. Morte de rire.
_ Sur ce… Mesdames, soyez sages.
_ Tu n'oublies rien ? Dit la X5, qui s'avança à quatre pattes jusqu'au bord du lit, la bouche en cul-de-poule.
Alec se pencha et lui donna un gros bisou sur la joue, avant de pousser la jeune femme pour qu'elle tombe sur le côté, la faisant rire. Original Cindy eut la surprise d'avoir aussi le droit à une bise sur la joue. Le jeune homme quitta l'appartement sur un "N'abusez pas trop des sucreries !"
Original Cindy se tourna vers sa meilleure amie qui semblait épanouie et radieuse. Max lui offrit de petits cadeaux souvenirs : une paire de lunettes de soleil, un foulard coloré et des bijoux fantaisie, ainsi que quelques douceurs. Elle avait également ramené, de son voyage, un assortiment de la sorte pour Kendra, Sketchy et Nathalie, et même pour Normal, sous l'impulsion d'Alec. Le Secteur 5 étant plus proche des locaux de Jam Pony, c'était elle qui gardait les paquets. À l'inverse, pour les amis de Terminal City, c'était Alec qui devait déposer les souvenirs dans l'appartement des deux X5. Il avait aussi le cadeau pour le petit-ami "officiel" de Max.
Max raconta en détail toutes les activités ludiques qu'ils avaient fait avec Alec. Ils s'étaient bien amusés. D'ailleurs, Max n'appelait l'ours en peluche Kevin que pour taquiner le X5 : elle aussi, elle trouvait qu'il avait une tête de Francis, mais elle préférait provoquer son Boo Two.
_ Et sinon, pendant votre semaine de vacances, vous avez échangé votre salive avec Golden Boy ?
_ Bien sûr que non, dit Max comme si c'était évident, même si ça ne l'était pas…
_ Dormi ensemble ?
_ Oui, un peu.
_ Un peu ?
_ Tu sais, même si je passe la nuit au lit, je ne dors pas forcément.
_ C'est vrai que tu disais que tu ne dormais jamais.
_ En fait, je n'ai pas besoin de dormir. Normalement, une heure ou deux par mois me suffisent. Un peu plus si je dois récupérer d'une blessure.
_ Mais, tu dors quand même souvent avec Alec. Je veux dire que tu dors vraiment.
_ Une heure par nuit, en général. Simplement parce que je suis bien. La plupart du temps, je le regarde dormir. Ça m'apaise. Je n'ai jamais perdu autant de temps, la nuit, que depuis que j'ai découvert le sommeil d'Alec. D'habitude, je profite de la nuit pour faire des trucs ou me balader, mais je le trouve fascinant.
Profitant de l'humeur joyeuse de son amie, Original Cindy décida d'aborder l'agression de la jeune femme. Elle accepta d'en parler. Elle s'exprimait avec une petite voix, néanmoins, elle parla avec plus de fluidité et de clarté. Max reconnut avoir eu peur et fit part de ses sentiments. La X5 avait aussi repris confiance en elle et ne craignait plus les regards des hommes, ni les jugements des femmes, qu'elle avait cru percevoir.
En revanche, Max anticipait beaucoup le regard de Logan.
_ Logan est un homme sensible et il s'intéresse à ton bien-être. Il sait parfaitement que tu n'es pas en cause.
La transgénique se mit à tripoter son horrible bracelet brésilien de l'apocalypse, fait et offert par Alec.
_ Tu sais Boo, Logan a été blessé que tu n'aies pas eu confiance pour te confier à lui.
_ Ce n'est pas une question de confiance, c'est juste que… Je ne vois pas comment j'aurais pu lui en parler.
_ De la même façon que tu l'as fait avec moi, par exemple. Je pourrais t'accompagner si tu le veux. Comme Alec était à tes côtés lorsque tu m'as raconté ce qu'il s'est passé.
_ Je ne sais pas… On n'arrive pas à se parler. Ça… ça ne fonctionne plus entre nous.
_ Je pense qu'il en est aussi conscient, commenta la jeune femme. C'est un homme intelligent.
_ On n'arrive plus à… communiquer. Même pour des sujets sans importance. On n'est jamais content tous les deux en même temps. Ce qui lui fait plaisir, les soirées romantiques, le vin, les pâtes, me révulse. Ce qui est important pour lui, sa quête de la justice, le combat du Veilleur, me tape sur le système. Et, je sais bien que la cause transgénique n'est pas aussi importante pour lui qu'elle l'est pour moi. Je dois faire des efforts pour avoir l'air heureuse avec lui. C'est horrible de devoir simuler le bonheur. Alors, tu me vois lui parler de ce qui s'est passé dans le sous-sol de l'institut ?
_ C'est un sujet totalement différent. Je pense que c'est important pour lui que tu lui en parles.
_ Le plus terrible dans cette histoire, c'est que je l'aime.
_ Original Cindy sait, mon p'tit chou. Elle sait.
_ Je ne veux pas lui faire de mal.
_ Je pense qu'il souffre déjà. Il t'aime aussi, tu sais.
_ Je sais…
_ Il sait parfaitement que vous avez des problèmes de couple et ça le fait souffrir autant que toi. Il souffre aussi parce que vous n'arrivez plus à communiquer… Comme toi.
Max recommença à tripoter son bracelet.
_ Met cartes sur table. Dis-lui tout.
_ Avec mon caractère de merde, ça ne se passera pas bien.
_ Ça ne se passe déjà pas bien. À ce stade, peu importe l'emballage des mots. Il faut que ça sorte. Il a besoin de comprendre. Il a besoin de connaître ton point de vue : les soirées, les repas, son travail… Si tu ne lui dis pas, il ne peut pas le deviner et il va en tirer ses propres conclusions.
_ Et, il va accuser Alec, alors qu'il n'y est pour rien.
Du point de vue d'Original Cindy, Alec avait une petite part de responsabilité, même si c'était indirect et involontaire. Il comptait trop aux yeux de Max. Et, de tout évidence, Max comptait beaucoup à ses yeux car il faisait passer le bien-être de la jeune femme avant le sien. Par ailleurs, il était aussi évident que les deux transgéniques étaient mûrs pour avoir une relation.
Cependant, Original Cindy choisit de ne rien dire à ce sujet. Sa meilleure amie avait déjà l'esprit suffisamment embrouillé.
À l'époque où Max et Logan s'étaient rencontrés, la jeune femme les avait toujours encouragés à aller l'un vers l'autre. Il était différent de tous les hommes que son amie avait fréquentés et il lui témoignait le respect qu'elle méritait. Ils avaient toujours eu quelques différends. Mais quel couple n'en avait pas ? Original Cindy s'était toujours dit qu'ils allaient trouver leur équilibre. Max avait toujours été secrète et mystérieuse. Ça faisait partie de son charme. Mais, l'arrivée du journaliste, dans sa vie, avait fait qu'elle s'était davantage ouverte. À leur arrivée à Seattle, la X5 semblait prête à tout quitter en un quart de seconde. Avec la présence de Logan, Max s'était fixée à Seattle, pour le plus grand plaisir d'Original Cindy.
La mort présumée de Max avait été terrible. Mais, elle était revenue. Et, surtout, elle n'était pas revenue seule. Original Cindy avait pensé que ça scellerait définitivement l'implantation de la X5 à Seattle, mais elle avait, un temps, envisagé de partir par peur de tuer Logan, par inadvertance, et par sentiment de ne plus être utile à personne. À présent, il était évident que Max resterait pour veiller sur les siens. Ce qui voulait aussi dire qu'elle avait changé de centres d'intérêt.
Avant, Max ne s'intéressait au combat du Veilleur que par affection pour Logan. La cause transgénique avait tout balayé en arrivant et elle était chronophage. Le bon combat était devenu secondaire. De son côté, le journaliste s'était investi pour les mutants. Il avait même pris des risques pour eux. Son investissement venait peut-être de son amour pour la X5. C'était difficile à dire. Mais, la situation des transgéniques s'était stabilisée, puis améliorée. Logan n'avait plus besoin de s'occuper d'eux. Il avait recommencé à se battre en tant que Veilleur. Malgré la stabilité des transgéniques, Max n'avait pas cessé de s'intéresser à son peuple, au contraire. Logan et Max avaient pris des chemins différents et ce qui soudait leur couple, la première année, les séparait à présent.
_ Chou ? Fit la jeune femme.
_ Oui ?
_ Je pense qu'il faut que tu termines les choses correctement avec Logan.
_ C'est une idée qui m'a traversé l'esprit, avoua Max, en tortillant son bracelet.
Ça, c'était une vraie révélation. Jusqu'à présent, la transgénique n'avait fait que nier ses problèmes de couple.
_ Il faudrait aussi ne pas trop tarder…
_ Je ne sais pas si je suis prête. Je l'aime toujours.
_ Je sais. Mais, c'est justement parce que tu l'aimes que tu lui dois de bien faire les choses.
_ Je ne sais pas comment on fait ça. Encore moins "correctement".
_ Tu le dis. C'est tout. Comment tu as fait avec tes autres mecs ?
_ Déjà, je n'ai jamais considéré Logan comme étant équivalent aux autres.
_ J'en suis consciente.
_ Et, je n'ai jamais rompu une relation. C'est toujours moi qui me suis fait plaquer. Ou, alors, je me faisais tromper et la relation se terminait d'elle-même. Je n'ai jamais rien eu à faire. Et, je ne veux pas envoyer balader Logan comme s'il n'était qu'un type relou croisé dans un bar. Je lui dois mieux que ça.
_ Original Cindy ne peut pas faire les choses à ta place. C'est toi qui connais Logan. Il n'y a que toi pour trouver les mots justes. Tout ce que je peux te conseiller, c'est de prendre le temps de choisir tes mots. Mais, ne perd pas ton temps pour autant. Parfois, c'est comme un pansement : si tu l'arraches rapidement, tu ne ressentiras pas longtemps la douleur.
à suivre
Je suis consciente que les deux derniers chapitres ont pu heurter la sensibilité de nombreuses personnes en raison de la violence qu'ils contiennent.
Les victimes d'agression sexuelle osent rarement parler de ce qu'il leur est arrivé. Le sujet est malheureusement tabou dans la société et au sein des familles. Cependant, pour aller mieux, pour pouvoir avancer dans la vie, il est important de parler de cela.
Si vous êtes ou avez été victime d'agression, ou si vous avez connaissance de faits d'agression sexuelle, il est essentiel d'en parler.
Portez-vous bien.
