LE PREMIER PAS

Léger contenu sexuel non explicite dans ce chapitre, et un peu de langage vulgaire.


Seattle, Jam Pony, lundi 27 juin 2022, 12h50


ORIGINAL CINDY

Il y avait eu tellement de colis et de courriers à livrer, et tellement de contretemps dans la matinée, qu'Original Cindy n'avait pas eu le loisir de prendre de pause déjeuner en même temps que ses amis et collègues. Elle avait avalé rapidement un sandwich tout en pédalant entre deux courses. Une fois sa besogne du matin accomplie, elle avait décidé de prendre sa pause d'une heure, même si ce n'était plus l'horaire officiel de pause méridienne, n'en déplaise à Normal.

Elle arriva à Jam Pony au moment où les autres coursiers commençaient à se remettre en selle pour l'après-midi. Derrière son comptoir, le patron de l'entreprise récupéra sa feuille d'émargement du matin et lui en tendit une nouvelle pour la suite de la journée, avec un lot de paquet à distribuer. La jeune femme le snoba royalement.

Elle parcourut les locaux du regard. Près des casiers, Alec, Sketchy, Druid et Sky étaient en train de parler et de rire bruyamment. Il lui fallut un certain temps pour trouver sa meilleure amie, dans la zone de repos, assise seule à une table et qui semblait être en train de regarder le groupe de garçons.

_ Salut mon petit cœur, dit-elle en rejoignant sa Boo.

_ 'lut, marmonna Max.

Elle se pencha pour avoir le même angle de vue que son amie. Comme elle s'en était doutée, la transgénique surveillait le groupe de jeunes hommes.

_ Original Cindy peut savoir pourquoi tu mates les garçons ?

_ Je ne mate pas les garçons… Juste un, répondit Max.

_ Ton petit-ami ?

Max soupira.

_ Pourquoi ? demanda-t-elle.

_ Il ne va pas bien.

_ Il a l'air bien, commenta Cindy.

_ Parce qu'il fait bonne figure quand il est avec des gens. Tu verras quand il sera seul…

Quelques instants plus tard, le groupe se disloqua et chacun des coursiers alla vers son propre casier. Le sourire d'Alec s'effaça aussitôt, ses épaules tombèrent et son dos se vouta. Il se tourna vers les deux femmes, en affichant une mime abattue, juste avant de disparaître entre les casiers.

_ Il sait que je le surveille… commenta Max pour répondre à la question que Cindy n'avait pas encore posée.

_ Qu'est-ce qu'il a ?

_ Comme toujours, il ne veut pas en parler. Il dit que le problème vient de lui et qu'il doit gérer seul.

_ Et, visiblement, c'est contagieux, fit-elle remarquer. Tu as l'air comme lui…

_ Je n'aime pas le voir ainsi, avoua Max. Ça me brise le cœur.

Normal appela Alec au comptoir. En le voyant apparaître de nouveau, la X5 soupira de nouveau. Ou plutôt, elle se languit. Alec en profita pour jeter un nouveau coup d'œil en direction des deux femmes. Original Cindy avait bien une petite idée de ce qui tracassait Alec, et qui par extension tracassait Max.

_ J'ai besoin d'un second coursier pour aider à porter un colis encombrant ! cria Normal.

Aussitôt, Max se leva.

_ Je suis dispo ! répondit-elle.

Alec regarda la jeune femme, avant de se tourner vers un de ses amis.

_ Hé, Sky ! Ça te dit de m'accompagner ? La totalité du pourboire est pour toi, dit le X5.

_ Euh… okay, répondit le garçon au crâne lisse.

Max se rassit, dépitée. Le gérant de l'entreprise de coursiers confia le colis volumineux à Alec et à son ami qui entreprirent de le fixer entre leurs deux vélos, avant de partir.

Normal cria sur la X5 pour lui rappeler que sa pause était finie, alors la jeune femme se contenta d'enfouir son visage au creux de ses bras. Original Cindy eut droit à une réflexion similaire, mais elle envoya balader son patron dans des termes peu polis et lui rappela que sa pause venait à peine de commencer. L'homme reprit sa distribution de tâches à râlant sur tous les autres coursiers.

Cindy réfléchit longuement. Il était évident que les deux Boos étaient à bout. L'un plus que l'autre. Il fallait qu'elle intervienne et elle savait qu'elle ne pouvait intervenir qu'à un seul niveau.

_ Boo, chuchota-t-elle…

_ Hum ? fit Max, sans relever la tête.

_ Est-ce que je peux avoir ton attention quelques minutes ?

Max, toujours avachie sur la table, consentie à tourner le visage vers son amie.

_ Qu'est-ce qu'il y a ? demanda la X5.

_ Original Cindy pense que tu devrais aller avec Sugar Boy.

_ Il vient de partir avec Sky.

_ Original Cindy n'a pas utilisé le verbe "aller" dans ce sens-là. Elle pense que tu devrais sortir avec le joli garçon.

_ Non ! fit Max.

_ Pourquoi ?

_ Parce que !

_ Regarde-moi dans les yeux et dis-moi que tu n'as pas envie de passer du temps avec lui. De parler avec lui. D'être dans ses bras. De sentir ses lèvres contre tes lèvres. D'avoir sa langue dans ta bouche. Et, possiblement, d'avoir autre chose de lui en toi.

_ Hum… fit Max en cachant une nouvelle fois son visage, dont les joues avaient rougi.

_ Max…

_ Cindy… marmonna la jeune femme.

_ Max, regarde-moi. Je ne te demande pas une analyse scientifique approfondie. Tu en as envie, non ?

_ Mes envies n'entrent pas en ligne de compte.

_ Pourquoi ? Il est clair que vous en avez envie tous les deux.

_ Cindy. Je viens juste de rompre avec Logan. En plus, Alec ne me voit pas comme ça.

_ Tu lui as déjà posé la question ?

_ Bien sûr que non ! Ça serait super gênant !

_ Ce serait gênant qu'il te repousse ou ce serait gênant qu'il te dise qu'il a envie de toi ?

_ De toute façon, il n'est pas question que je me remette en couple. Avant, avec Logan, on était ami. Puis, on est sorti ensemble. Et maintenant, c'est compliqué.

_ Ce n'est plus la guerre, fit-elle remarquer.

_ Mais, ce n'est plus comme avant. On a cette espèce de gêne permanente. Au final, on n'est plus tout à fait ami non plus. À chaque fois que j'essaie d'avoir une relation amoureuse, ça part en vrille.

_ À part Logan, tes mecs étaient tous des tocards.

_ Non, pas au début de mes relations. Même Darren. Rappelle-toi, au tout début, c'était bien. Les mecs finissent toujours par me quitter ou me plaquer parce que je suis trop… moi.

_ Tu es très bien. C'est eux qui n'ont rien compris. Et, Logan n'était pas comme ça.

_ C'est pourquoi j'y ai cru. Au final, mon caractère de merde prend le dessus. À croire que je suis maudite.

_ Ta frangine, Syl, ne disait pas ça d'elle ?

_ Si, confirma Max.

_ Et, maintenant, elle est bien. Non ?

_ Elle est avec Krit.

_ Elle avait peut-être besoin de trouver quelqu'un comme elle ?

_ Ils n'ont peut-être pas de lien de sang, mais c'était aussi son frère. Ils sont heureux, alors je les laisse tranquille. Mais, j'ai toujours du mal avec ça. Je trouve que ce n'est… pas sain.

_ Tu pourrais être avec quelqu'un comme toi. Et, Alec est comme toi et ce n'est pas ton frère. Bon, physiquement, il ressemble à l'un de tes frères. C'est ça qui te pose problème ?

_ Non. Ça fait longtemps que je ne vois plus Ben en Alec. Ils sont très différents et ça me va très bien. Ben était Ben, et Alec est juste Alec.

_ Alors, pourquoi tu ne fonces pas ?

_ Tu as entendu ce que j'ai dit ? J'ai merdé avec tous mes mecs. Du plus con au plus génial. Je ne suis plus amie avec aucun d'eux. Et, même sans parler de Logan, certaines de ces amitiés me manquent. Alec est mon meilleur ami. Il est trop précieux à mes yeux pour que je prenne le risque de perdre ce qu'on a déjà.

_ Rien ne dit que ça ne marchera pas.

_ Et rien ne dit que ça marchera. Je refuse de prendre le risque de tout faire merder.

« Bon… Elle n'est pas prête pour une histoire de couple. Enfin, c'est ce qu'elle croit. Cela faisait hyper longtemps que c'était mort entre Logan et elle. De mon avis, on ne peut pas considérer qu'ils viennent juste de rompre. Mais bon… Alec, de son côté, est tellement prêt qu'il en est mal. Mais, il ne se jettera pas à l'eau… pas avec elle. Il va bien falloir commencer par quelque chose. »

_ Tu sais, on parle d'Alec, reprit Original Cindy après un moment de réflexion.

_ Et ? répondit Max.

_ Tu oublies son immense… Comment dire ça ? De tous les hommes qu'on connaisse, il est sans aucun doute celui qui sépare le mieux les sentiments du sexe. Original Cindy comprend que, côté cœur, tu ne veuilles pas te remettre en couple tout de suite. Mais, rien ne t'empêche te passer du bon temps.

_ Je ne fais pas ce genre de choses…

_ Tu as déjà essayé ? En dehors de tes chaleurs ? Juste pour le plaisir ? Tu as essayé le sexe pour le sexe ?

Max marmonna de façon inintelligible.

_ Alec te fait envie, reprit Cindy. Tout le monde le voit. Et, ce n'est pas une honte. Tu dois avoir un tiers des femmes de Seattle qui ont envie de lui… Et, l'avantage avec Alec est qu'il ne sera jamais contre le fait de coucher avec une fille. Surtout si cette fille c'est toi et que tu es sur le marché des célibataires. On sait qu'Alec peut coucher avec quelqu'un, sans s'engager sentimentalement et rester ami avec. Quel meilleur moyen de pouvoir te détendre sans avoir de conséquence ? Avec Alec, ce sera juste un échange de bon procédé. Vous vous parlez déjà sans aucune pudeur. Tu vois le voir et tu lui dis que tu voudrais pouvoir passer du temps avec lui, sans aucun engagement. Vous n'en serez que plus proche en termes d'amitié. Et, tu seras libre de faire ta vie sentimentale quand tu t'en sentiras prête.

En toute honnêteté, Original Cindy s'était attendue à une réaction offusquée de la part de sa Boo. Ce fut pourquoi elle fut si surprise de voir que Max l'observait en silence.

_ Tu as déjà eu cette idée ? demanda la jeune femme noire, intriguée par la réaction de son amie.

_ Non, fit la X5.

_ Mais ?

_ Il y a longtemps, après mes chaleurs de mars, pour plaisanter, Alec m'avait proposée de coucher avec lui, juste par envie, et pour me prouver qu'il était doué.

_ Tu es sérieuse ? Pourquoi tu ne me l'as jamais dit ?

_ C'était une plaisanterie de sa part.

_ Tu es sûre ?

_ Je crois… Mais, des fois, j'y repense, avoua Max.

_ Tu as déjà essayé de lui en reparler ?

_ Jamais. Ce serait la honte.

_ La honte pourquoi ? Il est canon. Tu es canon. Le sexe, c'est canon.

_ Il n'en a jamais reparlé.

_ Peut-être qu'il attend que tu en parles… Il a tendu la perche. À toi de la saisir…

_ Tu crois ?

_ Des fois, c'est difficile de savoir si tu accepterais telle ou telle chose… La plupart du temps, Alec se moque des conséquences de ses paroles ou de ses actes. Sauf avec toi. Lui aussi, il tient à toi. Alors, il fait attention. Il avance, mais ne franchit jamais le seuil. Ou très rarement. Trop rarement. Même pour vos petites "sorties" nocturnes ou pour Terminal City, il propose et attend de voir ta réaction. Tu sais, on n'est jamais mieux servi que par soi-même. Il faut que ce soit toi qui franchisses le pas.

_ Et s'il dit "non" ?

_ Il ne dira pas non. Pas sur ce sujet. Original Cindy le sait : il est déjà tout à toi.

_ Mais…

_ Et puis, tu passes ton temps à répéter qu'il te comprend sans que tu aies besoin de parler… Il comprendra peut-être que tu veux juste te gratter avec lui sans que ça remette en quoi que ce soit votre amitié.

_ C'est vrai que, s'il prévient que ce n'est que pour le sexe, s'il ne fait pas croire à la fille qu'elle est "unique en son genre", il est ami avec elle tout en couchant avec elle… commenta Max, la mine pensive.

Original Cindy ne dit rien. Alec avait fait une proposition il y a plusieurs mois et elle, elle avait ravivé la piste. À présent, c'était à Max de se lancer. Sa meilleure amie n'était pas le genre de femme à fréquenter un homme uniquement pour le sexe. Mais, dans le cas présent, ce n'était pas un problème. D'autant que, dans le fond, le "sexe" était plus une excuse qu'autre chose. Les deux X5 étaient tellement fous l'un de l'autre qu'une relation soi-disant purement sexuelle déboucherait forcément sur une relation sérieuse dans les trente secondes. Alec avait trop de respect pour Max pour aller au-delà des mots qu'il avait déjà dit et, par manque de confiance en lui-même, contrairement à ce qu'il laissait paraître, il ne ferait pas le premier pas quand de vrais sentiments étaient sur la table. Il fallait juste trouver un moyen pour que Max saute le pas de son appréhension d'une relation qui pourrait ne pas fonctionner et qu'elle prenne les devants. Car, dans les faits, les deux transgéniques avaient déjà une relation. Relation voilée et étrange, mais une relation.

_ Alec… murmura pensivement Max.

Normal hurla une fois de plus sur les jeunes femmes, qui continuèrent à l'ignorer.

_ Et, comment je fais ? demanda subitement Max à sa meilleure amie.

_ Chou, tu sais déjà comment ça fonctionne…

_ Non. Pas ça. Je… Comment je fais pour lui parler ? On n'arrive pas à se voir plus de vingt secondes sans être interrompus. Il n'est jamais seul et je n'arrive pas à lui parler tranquillement, même pour un truc sans importance, se plaignit la X5.

_ Provoque les choses.

_ Mais comment ?

_ Inventes un truc du genre euh… un truc à voir ensemble pour Terminal City ou…

_ Ou ? demanda Max.

_ Tu peux aussi l'attraper par le col, le tirer dans un coin tranquille et lui sauter dessus.

_ Non, fit la X5.

_ Dommage. Tu as déjà essayé de l'inviter ?

_ L'inviter à quoi ?

_ Juste l'inviter. À passer du temps avec toi sans rien d'autre à faire ?

_ Genre rencard ?

_ Ouais.

_ T'es folle ?

_ Ma grand-mère, paix à son âme, m'a toujours donné plein de conseils quand j'étais petite. Des conseils d'hétéro. Donc, Original Cindy ne s'en est jamais servi… Tu es ma Boo. Je te les donne.

_ Tu me fais peur là…

_ C'était une femme pleine de sagesse… et un peu loufoque sur les bords. Mais bon. Un jour, elle m'a dit que le chemin le plus court vers le cœur d'un homme passait par son estomac.

_ Anatomiquement parlant, c'est faux, commenta Max. Et pourquoi tu me parles de son cœur ?

_ Pour qu'il t'entende.

_ Toujours anatomiquement faux. Le cœur "n'entend" pas.

_ Mais, tu pourras atteindre Alec comme ça.

_ Je peux aussi faire un angiogramme.

_ Un quoi ?

_ Laisse tomber, soupira Max. Toute cette histoire est une mauvaise idée de toute façon.

_ Non, non, fit rapidement Cindy. Il ne faut pas baisser les bras. Il faut juste lui donner l'occasion de t'écouter avec son cœur.

_ Le cœur et les oreilles…

_ Le cœur et les oreilles, c'est la même chose chez un homme.

_ Tu sais, Cindy, je crois que tu as un vrai problème avec l'anatomie des hommes…

_ Original Cindy n'a pas de problème avec l'anatomie des hommes. C'est leur anatomie qui est bizarre.

_ Je ne suis pas sûre…

_ Oses me dire qu'une partie de leur cerveau n'est pas dans leur entrejambe… dit Cindy. D'ailleurs, c'est avec cette partie de cerveau qu'ils pensent en premier.

Max se pinça les lèvres pour ne pas rire.

_ Tu as déjà regardé un match de foot ? continua-t-elle. Le gars se prend un coup dans le tibia et se roule par terre de douleur en se tenant la tête ! Ou le ventre…

Max explosa de rire.

_ Bref, cœur égale oreilles, reprit Cindy. Ce que ma grand-mère voulait dire, c'est qu'il est plus facile d'avoir l'écoute d'un homme, son attention, et probablement autre chose, s'il avait le ventre plein. Invite Alec à manger avec toi. Lorsqu'il aura la bouche pleine, il ne pourra pas t'interrompre, et tu balances ce que tu as à dire.

_ Ça a l'air tellement facile quand tu le dis, répondit Max, toujours amusée par les explications de sa meilleure amie.

_ Franchement, j'ai déjà vu Alec manger et je sais que, tout transgénique qu'il est, son palais n'est pas plus développé que celui des Homo Sapiens mâles de base qu'on connaît. Il ne sera pas difficile de lui occuper la bouche.

_ Je ne peux pas l'inviter à manger un morceau comme ça, au coin de la rue, et avoir ce genre de discussion avec lui.

_ Bah, prévois un vrai tête-à-tête à l'appartement de Terminal City. Fais-lui un bon petit repas.

_ Je suis nulle en cuisine. L'expert, c'est Logan et je ne me vois pas aller lui demander de l'aider pour ça.

_ Salut, les nanas ! lança Sketchy en asseyant à côté d'elles.

_ En parlant d'Homo Sapiens de base… marmonna Cindy.

_ Hein ? fit le garçon.

Max rigola de nouveau.

_ Laisse tomber, le crétin, dit-elle. Tu n'as pas des colis à livrer ?

_ On dirait que Normal m'a oublié, alors j'en profite ! répondit-il en souriant.

_ Original Cindy peut arranger cet oubli, dit-elle.

_ Sois pas vache, se plaignit le jeune homme maigrichon.

_ Laisse-le glander un peu, Cindy, dit Max.

_ Merci Max. T'es cool.

_ Qu'est-ce que tu lui veux ? demanda la jeune femme noire.

_ Rien, répondit Sketchy. Je suis content qu'elle aille mieux.

_ Mieux ? fit la X5.

_ Bah oui. Je t'ai entendu rire, alors je me suis dit que tu allais mieux. T'avais l'air toute déprimée depuis ce matin. Alec aussi… Vous vous êtes engueulés ?

« Directement les pieds dans le plat. Bien joué, Sketchy ! »

_ Ce matin, quand t'es venue dire bonjour, il t'a juste fait un signe de tête avant de se casser et t'as eu l'air… bah… déprimée… continua le jeune homme.

Max bafouilla de façon à peine audible. Original Cindy décida de ne pas intervenir pour voir la réaction de sa meilleure amie face à un pote de son potentiel futur-vrai-petit-ami et accessoirement pipelette connue de tous. La naïveté et la maladresse du gringalet pouvait peut-être aider Max à reformuler ce qu'elle voulait au fond d'elle-même.

_ Euh… commença la X5. En fait, Alec n'est pas très bien en ce moment, mais il ne veut pas m'en parler.

_ Bah, t'es pas la seule… répondit Sketchy. On a essayé plein de trucs avec les copains pour lui changer les idées. Il ne veut pas sortir avec nous. On a tout essayé : club de strip-tease, boîte de nuit, bar underground, tournois de poker, matchs clandestins de boxe…

_ Vraiment ? s'inquiéta Max.

_ Ouais, répondit-il. Même Normal a essayé de son côté.

Voyant que ses deux amis commençaient à baisser les bras, Original Cindy intervint.

_ Max s'est dit qu'elle pourrait passer un moment en tête-à-tête avec Alec. Tu sais, un moment un peu… cosy.

La X5 se tourna vers son amie en la dévisageant.

_ Ah ouais, ça pourrait lui faire du bien un petit peu de détente… commenta Sketchy, sans avoir compris ce qu'Original Cindy sous-entendait.

La jeune femme noire fit une mimique pour encourager son amie à poursuivre dans cette voie. Max rougit et fit une grimace. Sketchy, à côté de ses chaussures, comme à l'ordinaire, regardait les locaux de Jam Pony d'un air absent.

_ Sketchy, dit Max, j'ai besoin de toi.

_ De moi ? s'étonna-t-il. Je suis un bon à rien.

_ Non, tu… Tu pourrais me conseiller ? Alec n'a pas la forme et je n'ai pas toujours été la plus… cool avec lui.

_ C'est évident, commenta Sketchy.

_ Chez les gars, un bon repas, ça fait plaisir, non ?

_ Carrément !

_ Tu me conseilles quoi ?

_ De la bonne bouffe.

_ Mais encore.

_ Bah…

_ L'idée serait que Max cuisine elle-même, expliqua Cindy.

_ Mais, je suis nulle en cuisine, ajouta la jeune transgénique.

_ J'ai une idée, dit Sketchy.

_ Je t'écoute, dit la X5.

_ J'ai une recette de famille et Nathalie y est accro. Je lui fais ça quand on s'engueule. Ça l'adoucit toujours. Et si un débile comme moi peut la faire, même débutante en cuisine, une femme super mutante intelligente et tout comme toi y arrivera.

_ C'est quoi ?

_ Un risotto.

_ Connais pas, répondit Max. Je peux passer chez toi après le travail pour copier la recette ?

_ Pas besoin, je la connais par cœur. T'as du papier et un stylo ?

Sketchy commença à rédiger la recette.

_ Hé les gars ! Vous faites quoi ? demanda Druid en arrivant à leur niveau.

_ On échange entre nous pour dire à quel point tu es stupide, répondit Original Cindy.

_ C'est quoi ça ? demanda le coursier aux cheveux ondulés, en se penchant à moitié Sketchy au passage.

_ Une recette de bouffe, répondit Sketchy.

_ Druid, laisses-le. Sketch, concentres-toi s'il te plaît, demanda Max. C'est important pour moi.

_ T'inquiète. Je gère, répondit Sketchy en recommençant à écrire.

_ Hé ! hurla Normal en arrivant à son tour. Vous n'avez pas l'impression de faire tache dans le paysage ? Je ne me rappelais pas que je vous payais à jacasser !

_ Je suis en pause, contesta Cindy.

_ Alors, va prendre ta pause loin de ceux qui doivent travailler. C'est déjà une bande de tire-au-flanc, pas besoin de les contaminer avec ton manque de professionnalisme et ta fainéantise pathologique.

À contrecœur, Original Cindy dût s'éloigner pendant que ses amis étaient dispersés par leur patron. Elle vit Sketchy donner la feuille à Max et elle espéra que ces interruptions n'avaient pas trop déconcentré le grand nigaud dans sa rédaction. Elle se demanda si sa Boo aurait le courage d'acheter les ingrédients pour la recette dans la journée et de faire le "nécessaire" rapidement.


Seattle, Terminal City, appartement de Max et Alec, mardi 28 juin 2022, 19h15


MAX

Simplement vêtue d'un jean et d'un débardeur noir moulant, Max vérifia pour la énième fois la position des assiettes et des couvertes sur la table. Le risotto était prêt. Elle le laissa dans la casserole avec un couvercle pour qu'il reste au chaud, après avoir coupé l'arrivée du gaz. Elle le réchaufferait juste avant de le servir.

Elle avait réussi à convaincre Alec de venir dîner avec elle à l'appartement.

Pour ne pas risquer de changer elle-même d'avis sur cette idée, qu'elle trouvait de plus en plus saugrenue à mesure que les minutes passaient, elle avait invité Alec à la seconde où elle l'avait aperçu le lundi après-midi. Au début, il avait refusé dès qu'elle eut prononcé les mots "dîner" et "ensemble". Comme elle n'avait pas réussi à voir le X5 seul à seul, pour ne pas paraître idiote et ne pas divulguer son intention de base, elle avait dit au jeune homme, devant témoins, qu'elle reconnaissait avoir un caractère de merde et qu'elle voulait s'excuser proprement. Il fut déstabilisé par cela. Et comme toutes les personnes présentes l'avaient regardées d'un air de dire "tu ne peux pas refuser des excuses venant de cette garce qui ne s'excuse jamais", Alec avait accepté l'invitation.

À présent, le temps et le stress avaient ramené la jeune femme à la raison. Elle ne se voyait plus du tout dire à Alec qu'elle souhaitait avoir une relation purement sexuelle avec lui. Même si, dans un coin de sa tête, l'idée était bien là… Sans parler du fait que l'idée en elle-même avait éveillé chez elle une envie bien réelle et que son désir était à fleur de peau. De toute façon, elle n'aurait pas su comment faire une telle proposition, donc… c'était mieux ainsi.

Quelques coups furent frappés à la porte et Alec entra. Il lui fit un signe de tête discret pour la saluer car il était au téléphone. À voir l'expression sur son visage, ce n'était pas de bonnes nouvelles. Au moins, cela lui donnait une autre excuse pour cette invitation dont elle avait honte.

Lorsqu'il raccrocha enfin, il soupira en faisant une grimace.

_ Tout va bien ? demanda-t-elle.

_ Ça ira mieux quand j'aurais déboité l'une des articulations de mon contact de la mafia chinoise, répondit Alec.

_ Comment ça ?

_ Ce nabot essaye de nous couillonner en augmentant les prix.

_ L'inflation touche toute la côte ouest en ce moment…

_ Max, tu ne crois sérieusement pas à ces conneries d'inflation ? Elle est fabriquée de toutes pièces par les politiques qui ont des intérêts dans le secteur commercial. C'est juste un mélange de délits d'initiés, de conflits d'intérêts et de corruption. T'as rien appris avec ton petit-ami ?

_ Je euh… commença Max.

Finalement, elle choisit de ne pas relever la pique sur Logan et décida de s'occuper uniquement d'Alec.

_ Je t'accompagnerai renégocier les termes du contrat, si tu le souhaites. On aura peut-être plus de crédit en faisant équipe à deux…

_ Euh… Je ne sais pas…, répondit Alec, en se frottant la nuque, visiblement mal à l'aise.

« C'est bizarre. Il est bizarre. Pourquoi ? » se dit-elle.

Puis, la jeune femme se rappela que les dernières fois qu'ils avaient fait équipe, il y avait eu des moments assez intimes entre eux. Malgré elle, elle fut assaillie de souvenirs sensitifs particulièrement déroutant compte tenu de la raison première de cette soirée. Finalement, Max sentit ses joues rougir.

« Maintenant, c'est moi qui suis bizarre. Changes de sujet, Max » pensa-t-elle.

_ Il y a des bières au frais. Tu en veux une ? demanda-t-elle subitement.

_ D'accord, dit Alec, vraisemblable soulagé de ne plus parler de refaire équipe.

Alec retira son blouson et ils s'installèrent sur le canapé. Ils commencèrent à boire tranquillement en discutant de l'approvisionnement de Terminal City par la mafia et des autres options qu'ils pouvaient avoir. L'ambiance était légère et conviviale. Max retrouva avec plaisir les échanges fluides et non officiels qu'elle avait pu avoir avec Alec au sujet de Terminal City, avant son départ de l'appartement. Décidément, ils fonctionnaient vraiment mieux de cette façon.

Finalement, elle décréta qu'il était temps de dîner. Elle s'était aperçue qu'elle avait dit cela de façon un peu autoritaire, mais Alec l'avait regardé d'un air amusé et ça l'avait fait rire. Elle ralluma le feu sous la casserole pendant qu'Alec débarrassait leur apéritif. Elle constata avec effroi que le plat était devenu un bloc compact, bien collé au récipient. Alec proposa son aide, mais elle refusa au motif qu'il était l'invité. Elle augmenta la puissance de la flamme, tout en essayant de remuer la mixture. Résultat : le contenu au fond de la casserole fut sacrifié, et brûlé, mais le reste sembla comestible. D'ailleurs, à l'odeur, ça allait. Mais, elle n'avait aucune idée de l'odeur que ce plat devait avoir. Comme la quantité de base était pour quatre personnes, la partie indemne du repas était largement suffisante pour eux deux.

La prochaine fois qu'elle devrait de cuisiner, elle nota mentalement de tester le menu sur elle-même avant de cuisiner directement. Une sorte de galop d'essai avant le baptême du feu. C'était un peu de la triche, mais bon…

Visuellement, cela ne ressemblait à rien. Même la bouillie qu'on leur servait à Manticore, lorsqu'ils étaient enfants, avait un meilleur aspect.

« En même temps, il s'agit de riz cuit dans du bouillon de viande et du vin blanc. L'aspect est cohérent à la recette » se dit-elle.

Elle ajouta un brin de persil dans chacune des assiettes pour la décoration.

Alec ne sembla pas choqué outre mesure. Original Cindy avait raison sur le fait qu'Alec avait des goûts qui relevaient parfois… du darwinisme. Un jour, il avait "retrouvé" un quart de pizza dans son emballage d'origine, au moment du nettoyage annuel des casiers de Jam Pony. Ça avait l'air de s'être fossilisé, mais il l'avait mangé. Il l'avait juste trouvé un peu "coriace" à mastiquer. Les copains coursiers en avaient bien rigolé, tandis que les filles avaient été partagées entre trouver la scène gustative répugnante ou trouver Alec courageux de manger un aliment retrouvé au fond de son casier…

Pour en revenir au présent risotto, même si Max était peu convaincue par sa propre prestation, l'essentiel était qu'Alec soit satisfait. C'était la seule chose qui comptait.

Ils se souhaitèrent un bon appétit et Max regarda Alec prendre une généreuse fourchetée dans son assiette et la mettre dans sa bouche. Sauf qu'Alec se figea aussitôt pour deux secondes, avant de commencer à mâcher lentement.

_ C'est bon ? demanda-t-elle.

_ Hum hum… fit Alec.

C'était un mensonge. Elle le voyait à sa tête.

Max prit une bouchée à son tour et la recracha dans son assiette presque immédiatement. C'était à la fois acide, aigre, acre, salé, pas assez salé, gras, insipide, trop cuit, pas assez cuit, brûlé sans être brûlé. En un mot, c'était absolument infecte.

_ 'e po c'acher auchi chans que tu 'e vexes ? demanda Alec, la bouche pleine.

Max prit sa propre serviette et la mit devant la bouche du jeune homme pour qu'il puisse cracher à son tour. Il ne se fit pas prier. Puis, il vida son verre d'eau. Malgré tout, il continua de déglutir plusieurs fois.

Elle se leva et récupéra les assiettes. Elle jeta leur contenu et celui de la casserole directement à la poubelle. Elle rinça les assiettes dans l'évier et mit la casserole, au fond carbonisé, à tremper. Elle resta là, à regarder le contenu du bac en inox, dépitée.

Alec vint se placer derrière elle.

_ C'est pas un drame, dit-il doucement. On peut sortir quelque part si tu veux.

_ Le but, c'était de se faire un truc ici, juste tous les deux, tranquillement… se lamenta-t-elle.

_ On va trouver autre chose à manger, reprit-il en ouvrant les placards.

Il marqua un long temps d'arrêt.

_ On a fini les trucs qu'il y avait à grignoter dimanche matin… fit remarquer Max.

_ Tu manques d'imagination, Maxie ! répondit vivement Alec en se saisissant de ce qu'il restait dans les placards.

_ On ne va pas dîner avec ça ? s'exclama-t-elle.

_ Et pourquoi pas ? demanda-t-il.

Alec déposa le restant des aliments comestibles sur la table basse du salon. Il s'agissait principalement de "ses" possessions spéciales "bonne humeur" : de la guimauve, de guimauve enrobée de chocolat, du chocolat en tablette, des dragées enrobées de chocolat, de chocolats fourrés, de la pâte à tartiner au chocolat et du beurre de cacahuètes.

Il avait également pris la tablette de chocolat aux noisettes et aux amandes grillées de Max. Elle s'offrait, de temps à autre, un carré de ce petit plaisir, comme elle l'appelait. Ça la mettait aussi de meilleure humeur habituellement. De son côté, Alec avait toujours aimé avoir le choix et pouvoir varier les plaisirs… comme pour autre chose…aimait-il dire.

_ Ce n'est rien. C'est même plutôt marrant quand on y pense, dit Alec, en se vautrant à un bout du canapé trois places. T'avais encore jamais essayé de m'empoisonner, ajouta-t-il en rigolant.

_ C'est un vrai fiasco ! pesta-t-elle en se fessant à côté de lui, à sa gauche. J'ai fait tout ça pour toi et regarde… c'est toi qui es en train de me consoler. Encore.

_ Max… Je t'assure que ce n'est pas grave.

_ Tu peux arrêter, s'il te plaît ? s'agaça-t-elle.

Alec se tut et se concentra sur la télévision. Max, les bras croisés, avait envie de pleurer dans les bras d'Alec, mais elle savait qu'elle ne le méritait pas. Elle était fâchée contre elle-même. Même lorsqu'elle voulait faire quelque chose pour lui, au final, c'était toujours lui qui faisait quelque chose pour elle… discrètement… sans un bruit, sans un mot… à l'image de sa main posée sur le genou de la jeune femme et de son pouce qui la caressait doucement pour l'apaiser. Le pire… c'était que ce simple geste fonctionnait.

Elle finit par se détendre et soupira longuement. La main d'Alec quitta sa jambe, attrapa un paquet de confiseries et lui tendit le sachet. Le X5 n'avait même pas besoin de la regarder pour savoir à quel moment elle allait mieux et à quel moment il pouvait se permettre d'arrêter sa caresse apaisante.

Max accepta le sachet de guimauve et vint se caler contre l'épaule d'Alec.

_ Je t'avais dit d'arrêter… dit-elle à voix basse.

_ De faire quoi ? demanda sincèrement Alec.

_ De me consoler.

_ Depuis le temps, tu devrais savoir que j'ai un léger problème avec l'autorité. En particulier avec ton autorité, ajouta-t-il.

Malgré elle, Max ne put s'empêcher de rire.

_ C'était censé être une soirée pour toi… Crétin, dit-elle.

_ La soirée me va bien… Peau de vache, répliqua-t-il.

_ Tu me connais trop bien. C'est injuste. T'as même pas besoin de regarder ma tête pour savoir comment je vais… commenta-t-elle.

Alec se pencha vers la table basse, la forçant à se redresser, pour attraper la pâte à tartiner et une tablette de chocolat. Elle le regarda tremper généreusement un morceau de chocolat de le contenu du pot.

_ Tu devrais essayer ça, lui dit-il. Du chocolat sur du chocolat : ça n'a pas de tête. Du magnésium, du gras et du sucre. C'est excellent pour avoir le moral… et pour le système immunitaire à ce qu'il paraît.

_ Et d'où tu tiens cette information si… "scientifique" ? demanda-t-elle.

_ Quelle question ? Une information si rigoureusement vérifiée ne peut venir que d'une source fiable… comme un magazine féminin.

_ Un magazine féminin ? répéta-t-elle en riant. Tu lis ça, toi ?

_ Depuis la semaine dernière, oui. On était que Cindy et moi pendant une pause déj'… et elle s'était cassée un ongle. Donc, elle est partie refaire sa manucure en me laissant son sac après m'avoir interdit d'y toucher.

_ Donc, naturellement, tu as fouillé dans ses affaires ? demanda la jeune femme.

_ Totalement naturellement, répondit Alec, en souriant.

_ Elle le sait ?

_ Bien entendu. J'ai même eu droit à un complément de formation de sa part pour que la femme, qui est en moi, soit plus épanouie.

_ Tu m'en diras tant, fit Max, en souriant à son tour.

_ Je suis devenu un vrai spécialiste des vêtements tendances qui me feront un ventre plat cet été…

Max commença à rire.

_ Je peux te donner onze conseils croissance-volume-brillance pour doper ta crinière, continua Alec.

Max rigola franchement.

_ La mère, qui est en moi, sait gérer son adolescent trop casanier avec douceur, mais fermeté, dit-il avec sérieux.

Max s'esclaffa.

_ Je peux te révéler comment être heureuse au jour le jour, en cultivant ta joie de vivre au quotidien…

Max n'arrivait plus à arrêter de rire.

_ Notamment avec une dose raisonnable de petits plaisirs comme du chocolat, que tu pourras consommer sans culpabiliser, puisque tu pourras éliminer des calories en faisant l'amour avec ton chéri.

_ Quoi ? fit soudainement Max, en arrêtant de rire.

_ Le secret est d'être active pendant l'acte sexuel, dit Alec, toujours dans la retranscription du magazine.

La jeune femme dévisagea le X5.

_ Il faut s'autoriser à bouger avec des mouvements amples et fluides du bassin, continua-t-il.

À sa manière de parler, il était évident qu'Alec était toujours en train de réciter le contenu de l'article du magazine féminin. Pour lui, ce devait être un exercice amusant. Mais, pour Max, ce qu'il racontait prenait un tout autre sens.

_ Comme des vagues qui viennent solliciter les muscles du vagin et du périnée, en les contractant pour que les sensations soient décuplées, poursuivit-il.

L'attitude du jeune homme était parfaitement normale. Il avait toujours librement et ouvertement parlé de sexe.

_ Il faut aussi respirer. Surtout en utilisant la respiration abdominale. Car le souffle va permettre de répartir les sensations dans l'ensemble du corps, ajouta-t-il.

Max sentit sa propre respiration s'accélérer légèrement, tout comme les battements de son cœur. Ce qui avait été relégué dans un coin de sa tête, revenait sur le devant de la scène.

_ Quand on respire profondément, le lâcher-prise est plus facile. Dès lors qu'il y a abandon, l'accès à la volupté vient naturellement.

L'idée saugrenue ne l'était plus. Elle pinça doucement les lèvres en observant Alec. Il était parfait : son timbre de voix, son corps, sa gentillesse envers elle, sa façon de la connaître sur le bout des doigts…

_ Dans ces conditions, sans retenue, portée par ses envies et ses fantasmes, la femme peut prendre l'initiative de la relation et guider son partenaire de façon à concrétiser l'acte sexuel dans l'atteinte d'un orgasme mutuel.

Lui, il était simplement en train de s'amuser. Il n'avait absolument aucune idée de ce qu'il était en train de faire et de l'effet que cela avait sur elle. Cela ne le rendait que plus désirable.

_ Pour un homme, il n'y a rien de plus beau qu'une amante créative qui s'abandonne et qui participe au plaisir.

Max sut immédiatement qu'il en avait fini avec le magazine, à son regard. Là où ses yeux verts brillaient d'amusement lorsqu'il récitait, il les tourna vers elle, pleins de provocation et d'insolence.

_ Alors, Max… du chocolat sur du chocolat ? demanda Alec, avec un sourire en coin, en tendant le "petit plaisir" vers elle.

Oui, elle en avait envie… et elle avait envie de la suite même si elle se moquait des calories. Mais comment le dire ? Il la comprenait sans un mot ou un regard… Peut-être qu'elle devait lui faire confiance ? Après tout, il était celui qui avait proposé en premier de coucher ensemble, juste pour le sexe.

Elle se pencha en avant sur la main droite d'Alec, qui tenait toujours le carré de chocolat couvert de pâte à tartiner. Comme cela faisait plusieurs minutes que le morceau était entre les doigts du X5, il avait un peu commencé à fondre. Max ouvrit la bouche et visa volontairement bien au-delà du chocolat. Elle avala rapidement la confiserie et suça sensuellement les doigts du jeune homme, même ceux qui n'avaient pas été en contact avec le chocolat. Juste avant de terminer, sans bouger la tête, à travers ses cils, elle leva les yeux, vers le visage d'Alec. Sur ses lèvres se dessinait un étrange sourire. Elle se redressa, sans le quitter du regard et lécha ses propres lèvres. Le sourire du X5 n'en fut que plus grand, mais en conservant cette petite expression mystérieuse.

Il continua à la regarder en silence, pendant un moment. Que n'aurait-elle pas donné pour savoir à quoi il pensait ? Puis, elle eut une idée. Elle posa sur la table son sachet de guimauve et, à son tour, elle attrapa un morceau de chocolat, qu'elle trempa dans le pot de pâte à tartiner, et elle le tendit à Alec. Il ria doucement en regardant la main gauche de la jeune femme. Puis, il se tourna vers elle et la dévisagea longuement. Oui, elle aurait vraiment aimé savoir à quoi il pouvait bien penser derrière ces yeux verts. Mais, elle ne s'interrogea pas plus longtemps. Dans sa tête à elle, elle se disait qu'elle était prête à essayer les conseils du magazine : à faire des mouvements amples et fluides avec son bassin, à respirer profondément et à s'abandonner dans les bras de l'homme en face d'elle. Elle était pleine d'espoir… et d'attentes.

Alors, que son espoir allait céder la place à la déception, Alec lui saisit doucement le poignet et se pencha pour manger le morceau de chocolat. Comme elle, il prit ensuite le temps de sucer chacun de ses doigts. Mais, il ne s'arrêta pas là. Il lui tourna la paume vers le ciel et l'embrassa au creux de la main. Puis, il embrassa son poignet. Puis, il embrassa son avant-bras deux centimètres plus haut. Puis, encore deux centimètres au-dessus. Puis, encore… Et encore… Puis il l'embrassa dans le creux de son coude. Il lui lâcha le poignet pour pouvoir prendre appui sur le canapé de l'autre côté du corps de la jeune femme. Max garda le bras tendu, tandis que le jeune homme continuait d'aller plus haut, en prenant le temps.

Alors que les lèvres d'Alec remontaient le long de son bras, la respiration de la jeune femme s'accélérait. Il était tellement penché sur elle, qu'il dut prendre appui avec son autre bras sur le dossier du canapé pour garder l'équilibre. Une fois arrivé à la naissance du cou de la X5, il diminua la distance entre ses baisers et les baisers durèrent un peu plus longtemps. Max ferma les yeux de plaisir. Elle pouvait sentir son souffle chaud sur sa peau et elle s'en délectait.

Il atteignit presque la nuque de la jeune femme, et il alla l'embrasser derrière l'oreille. Puis, en partant de son oreille, il revint en direction de sa bouche. Arrivé à la moitié de l'arête de sa mâchoire, il changea légèrement de direction et commença à embrasser sa joue. Toujours à un rythme terriblement et délicieusement lent. La joue du jeune homme effleura les lèvres de Max qui ne put s'empêcher de sourire à l'idée de ce qui viendrait ensuite. Il continua de l'embrasser. Centimètre par centimètre. Alec arriva aux commissures des lèvres de la jeune femme. Il y déposa un baiser plus long et plus tendre que les autres et… il s'éloigna d'un coup, reprenant sa position initiale sur le canapé.

Max ouvrit grand les yeux de surprise. Elle était complément chamboulée. Il avait réussi à embrasser sa peau, même là où il ne l'avait pas touché. Sa respiration avait été largement accélérée par son désir croissant. Alec souriait de façon satisfaite. Elle fronça les sourcils de contrariété et le sourire du X5 n'en fut que plus amusé.

« Espèce de provocateur ! » pensa-t-elle. « Tu n'as pas le droit de t'arrêter en si bon chemin ! Ça ne se fait pas ! »

Max pestait intérieurement, mais en même temps, elle le désirait encore plus. Puis, elle se souvint de sa discussion avec sa meilleure amie : "Il a tendu la perche. À toi de la saisir…" "Il avance, mais ne franchit jamais le seuil." "Il faut que ce soit toi qui franchisses le pas."

« D'accord », se dit-elle. « Je me lance ! Je fais le premier pas ! »

Max vint se coller contre Alec. Elle enroula le bras droit autour du cou du jeune homme. Sa main gauche alla chercher joue du X5 pour le guider. Elle se pencha vers lui et l'embrassa sans détour. Quelques secondes plus tard, elle s'écarta pour voir sa réaction. Il lui sourit tendrement. Alec glissa son bras gauche autour de la taille de Max pour l'approcher un peu plus de lui et lui caressa les cheveux de la main droite. Il lui rendit son baiser avec douceur.

Max sourit à son tour. Elle était soulagée. Finalement, ils n'avaient pas eu besoin de mots pour se comprendre. Dans le fond, elle n'aurait pas dû s'en étonner. Ils recommencèrent à s'embrasser, avec plus de ferveur. Ça lui avait tellement manqué. Il lui avait tellement manquait… Là, sur le canapé, dans l'intimité de leur appartement, c'était mieux que toutes les fois précédentes. Car, cette fois-ci, ils n'y avaient qu'eux deux qui comptaient. Pas de gens ou d'événements qui pourraient les interrompre, pas de missions à terminer, pas de pluie, de phéromones ou d'alcool qui faussaient les sensations… Il n'y avait qu'eux. Enfin.

Max se demanda vaguement comment elle avait fait pour tenir le coup sans cette sensation d'avoir Alec pour elle seule. Elle en tremblait de bonheur… ou le monde entier tremblait pour elle. Ses oreilles n'entendaient rien d'autre que les battements de son cœur, battant la chamade dans ses tempes. De loin, elle percevait à peine sa propre respiration et la respiration du jeune homme, en parfaite harmonie, signes de leurs désirs grandissants. Les rares moments où elle ouvrit les paupières, tout semblait avoir disparu dans la pénombre. Tout sauf Alec. Il était magnifique. Elle ne voyait que lui. Son visage radieux, son sourire éclatant, ses yeux pétillants de bonheur. Rien que de le voir ainsi, ça la rendait encore plus heureuse que l'instant d'avant et elle souriait en retour.

Et, ils s'embrassaient encore.

Et encore…

Puis, vinrent les caresses.

Elle glissait la main sous le T-shirt du jeune homme pour lui caresser la peau, tandis qu'il avait la main qui montait et descendait lentement le long de sa cuisse. Les lèvres d'Alec quittèrent les siennes pour mieux l'embrasser dans le cou. Le visage vers le haut, les yeux clos de plaisir, Max mordilla doucement sa lèvre inférieure, mais ne retint pas un petit gémissement. À ce son, l'autre main du jeune, dans le dos de Max, resserra son étreinte et la cabra légèrement. Puis…

_ Hé, les gars ! dit Mole, en entrant brusquement dans l'appartement.

Max sursauta si fort, qu'elle fit un bond en arrière et elle se retrouva à l'autre bout du canapé, essoufflée de panique, et rouge de honte.

Alec était tétanisé. Les yeux écarquillés, la bouche ouverte d'étonnement, il avait encore les mains dans le vide, là où Max était la seconde précédente.

_ Ah… J'ai interrompu un truc ? demanda tranquillement Mole.

Max, dos à Mole, se tourna légèrement, pour dissimuler son visage, qui devait être écarlate. Mais ses yeux ne quittèrent pas le X5. Alec fit une grimace, pinça les lèvres de contrariété, se redressa, fit un sourire crispé et se tourna vers l'homme-lézard.

_ Mole… Que nous vaut le plaisir de ta présence non annoncée ? demanda le X5, sans réussir à masquer sa colère.

_ Alors, j'ai frappé avant d'entrer… Même si je suis entré juste après, sans attendre de réponse, j'ai frappé, dit Mole, en s'avançant un peu dans l'appartement.

Alec ne répondit rien et sa bouche s'allongea sous sa contrariété grandissante.

_ Vous ne m'avez probablement pas entendu… Vous deux, vous avez tendance à être aveugles et sourds quand vous êtes focalisés sur quelque chose… ou quelqu'un, reprit Mole.

_ On va dire ça, répondit Alec. Que peut-on pour toi ?

_ J'imagine que vous n'avez pas remarqué la luminosité parce que vos yeux se sont spontanément adaptés et que vous n'y avez pas prêté attention…

Max se rendit compte qu'il faisait noir dans l'appartement. Ce n'était pas que son cerveau avait tout occulté pendant qu'elle était dans les bras d'Alec, c'était simplement qu'il n'y avait plus d'électricité. Focalisé sur le X5, sa capacité à voir dans le noir avait fait qu'elle avait continué à le voir, lui. Et, comme il avait été la seule chose qui avait eu de l'importance sur le moment, elle ne s'était pas préoccupée de ce qui avait disparu de sa vision périphérique. De toute évidence, à voir sa réaction, le jeune homme avait fait comme elle…

_ C'est une panne de courant, dit Alec. Et alors ? Ça va revenir.

_ Vous n'avez pas entendu ou ressenti une explosion à tout hasard ? demanda Mole.

_ Euh…

La jeune femme commença sérieusement à s'interroger sur ses facultés d'analyse et de prise en compte de son environnement. Elle avait perçu un tremblement, mais elle l'avait attribué à son désir. Visiblement, le X5 était dans le même état car il dodelina de la tête.

_ D'accord, soupira Alec. Qu'y a-t-il ? demanda-t-il avec sérieux.

_ Explosion et voie d'eau dans les sous-sols du quartier général. Ou voie d'eau, puis explosion. On ne sait pas encore.

Les faits ramèrent vite Max à la réalité, et elle commença à se calmer plus rapidement.

_ Des dégâts ? demanda Alec.

_ Le niveau -2 est noyé.

_ Deux groupes électrogènes, la nouvelle pompe à eau potable et des véhicules, résuma le X5.

_ On déménage le niveau -1 en ce moment même, en donnant la priorité à l'infirmerie, dit Mole.

_ Des blessés ? demanda le X5.

_ Pas qu'on le sache, mais quatre disparus.

_ Quoi ? s'exclama Max, en se tournant vers l'homme-lézard.

_ Pourquoi tu n'as pas commencé par ça ? dit Alec en se levant précipitamment.

_ Ça ne vous a pas effleuré l'esprit que j'ai peut-être été surpris et déstabilisé par…

Mole ne finit pas sa phrase et pointa du doigt les deux X5 à tour de rôle.

_ Je viens de vivre une expérience très traumatisante, ajouta-t-il avec un sourire en coin.

_ Inutile reptile, pesta Alec.

o0o0oOo0o0o

Après avoir descendu les étages de l'immeuble d'habitation à pied, Max et Alec suivirent Mole en direction de l'immeuble principal de Terminal City. C'était une sensation étrange de voir Seattle briller de mille feux, de l'autre côté du grillage, alors que la ville des mutants était plongée dans les ténèbres. Ce n'était plus arrivé depuis plus d'un an, à l'époque du siège de Terminal City par les forces de l'ordre.

Sur le trajet, Mole n'avait été arrêté de se retourner régulièrement en direction des deux X5, semblant vouloir dire quelque chose, mais se ravissant à chaque fois. Juste avant qu'ils ne franchissent tous les trois les portes de l'immeuble, Alec retint Mole par le bras.

_ Il y a autre chose qu'on doit savoir ? lui demanda-t-il.

_ Non, rien, répondit l'homme-lézard en haussant les épaules.

Ensuite, la main sur la poignée de porte, le trans-humain marqua un temps d'arrêt.

_ Je suis content pour vous, grommela-t-il, en leur tournant le dos.

Puis, suivi de près par Alec et Max, il entra dans le hall de l'immeuble, pour rejoindre l'entrepôt du rez-de-chaussée, où grouillait une agitation sans nom. Des transgéniques allaient et venaient dans tous les sens. C'était animé car tout le monde, ou presque, était réuni au même endroit et s'activait. Çà et là, des éclairages d'appoint donnaient une ambiance tamisée. Dix, debout sur une estrade improvisée, confiait des tâches à chacun.

_ Ah ! fit la créature au monocle. Vous voilà !

_ Merci pour tout ça, Dix, dit Max, alors que Mole s'était éloigné pour aider à transporter des caisses.

_ C'est normal.

_ On en est où ? demanda Alec.

_ L'immeuble d'habitation est indemne a priori, mais une équipe vérifie le sous-sol. Ici, l'eau monte doucement, mais sûrement. Elle s'infiltre directement depuis la baie. On déplace et on stocke tout ce qu'on peut.

_ Il vaudrait peut-être mieux stocker les affaires dans les étages ou, au moins, au-dessus du niveau de la mer, pour être tranquille, dit Alec.

_ Tu as raison, commenta Dix. Je n'avais pas songé qu'on ne puisse pas enrayer la montée des eaux. Il vaut mieux être prévoyant.

_ Que s'est-il passé ? demanda Max.

_ On n'en est pas encore sûr. Pour l'instant, on sait qu'on prend l'eau via notre système d'alimentation directement relié à l'eau de la baie de Seattle. Ici, on a ressenti l'explosion, mais on ignore si elle est la cause ou la conséquence de la brèche.

_ Et les transgéniques disparus ? demanda Max.

_ Ils étaient sur zone normalement. Pour un travail de routine.

_ Quel travail ? demanda Alec.

_ Inspection et entretien. Ils n'ont contacté personne et nous n'arrivons pas à les joindre.

_ Il faudrait au moins stopper l'afflux d'eau, commenta Alec.

_ Luke a rassemblé tous ceux qui avaient des compétences en mécanique pour créer un système de pompage, pour qu'on puisse soit renvoyer l'eau dans la baie ou, à défaut, déverser le surplus dans les égouts.

_ Ça ne risque pas de les surcharger et de les faire déborder ? demanda Max. Potentiellement chez nous ? On a besoin de nos accès par les égouts même si ce ne sont pas les plus agréables.

_ C'est pourquoi ce n'est pas notre premier choix, répondit Dix. De toute façon, ces discussions ne servent à rien.

_ Pourquoi ? demanda Alec.

_ Ça ne sert à rien de parler de pompage tant qu'on n'a pas colmaté la brèche. On aura beau retirer l'eau à un point A, si la même quantité, ou plus arrive, par le point B, ce sera…

_ Un coup dans l'eau, dit Alec.

_ Tu crois que c'est le moment de faire de l'humour ? demanda Max.

_ C'est nerveux, répondit le X5.

_ Cependant, le débit d'eau a diminué, reprit Dix. C'est une bonne nouvelle. Mon hypothèse est qu'un second effondrement et des débris ont en partie obstrué la zone par laquelle l'eau arrivait.

_ Quelles sont nos possibilités pour colmater le point d'entrée ?

_ Proches de la nullité, répondit Dix.

_ Personne n'a rien tenté ? demanda Max.

_ On ne peut rien tenter pour le moment faute de moyens humains et matériels.

_ Je croyais qu'on avait décidé de garder en permanence au moins une unité amphibie valide à Terminal City, par sécurité, en leur faisant faire des rotations. Elle est où notre unité de garde ? pesta le X5.

_ C'est bien le problème, répondit Dix. Elle fait partie des disparus.

_ Et les autres ? demanda la jeune femme. Personne n'a la possibilité de revenir ?

_ Pas dans l'immédiat. Les autres unités s'occupent de l'entretien des plateformes de haute mer au large des côtes de Seattle. On leur a transmis un message mais, même avec toute la bonne volonté du monde, elles tarderont à revenir ici. En attendant, un groupe de X5 s'est porté volontaires pour "emprunter" du matériel de plongée dans plusieurs centres de loisirs aquatiques de la ville. Un "emprunt" à votre façon, ajouta la créature au monocle.

_ C'est risqué de faire un cambriolage sans en avoir l'habitude… dit Max, avec inquiétude.

_ Ils se montreront sans doute prudents pour un premier pas, dit Alec. En plus, les systèmes de surveillance doivent être bien moins importants dans des centres de loisirs que ceux auxquels on se frotte habituellement.

_ Ça ne me plaît pas qu'on se mette à voler des…

_ Gentils, compléta Alec.

_ Oui, fit Max.

_ On est sur un cas de force majeure, commenta Alec.

La jeune femme fit une grimace. Il avait raison, mais ça ne lui plaisait pas. Dix reprit la parole.

_ Notre équipe a volontairement choisi de cambrioler plusieurs centres pour ne pas éveiller trop de soupçon et ne pas faire couler une entreprise. Autant que possible, on rendra le matériel avant l'aube. Si non, on verra pour l'acheter ou trouver une forme d'indemnisation. Cela dépendra de la réaction des ordinaires face à la perte de ce matériel et de leurs sentiments à notre égard. On verra au cas par cas. On va faire en sorte que nos déboires aient le moins d'impact sur les ordinaires, dit le trans-humain pour rassurer la jeune femme.

_ Comment va le reste des troupes ? s'enquit Alec en regardant autour de lui.

_ Joshua est allé voir nos pensionnaires les moins stables pour s'assurer qu'ils restent calmes. C.J. est venu me faire son rapport.

_ Il fait des rapports maintenant ? dit le X5.

_ Il semblerait, répondit le trans-humain. Comme le soir était déjà là, la plupart de nos frères ont associé la panne d'électricité avec l'extinction des feux à Manticore. Donc, ils sont tous calmes. Joshua va rester sur place par sécurité.

_ Tu as fait quoi de C.J. ? demanda Alec.

_ Il voulait absolument aider, alors je lui ai dit d'aller tenir compagnie aux enfants et de les rassurer. En insistant sur le fait que la présence d'un adulte responsable leur ferait du bien.

_ Donc, tu t'es débarrassé de lui et tu l'as confié aux X7 et aux X8 pour qu'ils le surveillent ?

_ Tout à fait, avoua Dix.

_ Malin ! commenta le X5.

o0o0oOo0o0o

Un peu plus de deux heures plus tard, les choses avaient bien évolué. L'eau avait cessé de monter. Le rez-de-chaussée du bâtiment pataugeait dans quelques centimètres d'eau. Sur les conseils d'Alec, cet étage avait été déplacé au premier niveau et les éléments du niveau -1, stockés un peu partout. Du coup, il n'y avait pas eu de perte matérielle supplémentaire. L'infirmerie avait été installé dans la salle du Comité de Direction. C'était plus petit, mais c'était la pièce la plus simple à réaménager. Les zones d'habitation étaient indemnes. À présent, Dix se concentrait sur un moyen de rétablir l'eau courante, à défaut d'être potable, et l'électricité dans les logements. La cuisine fonctionnant au gaz, Sweetpeas faisait bouillir de grandes quantités d'eau, préalablement filtrée avec du coton, avec les pastilles purifiantes des anciennes rations de survie, qui avaient été reconditionnées, pour faire de l'eau potable et la mettre à disposition des transgéniques. Gem travaillait sur des consignes à respecter par tous pour que le rationnement se passe bien.

Ne sachant pas combien de temps la crise actuelle durerait, la jeune mère avait confié sa fille à Normal, pour la première fois, et pour une durée indéterminée. L'ordinaire était venu chercher la petite fille pour la libérer avec ferveur de la misère que s'abattait sur elle. Au passage, il avait "généreusement" autorisé Alec et Max à ne pas venir travailler et donc à ne pas être payé. Gem avait également demandé à Normal d'accueillir Dalton, bien que ce dernier n'eût pas l'air d'en avoir envie. Il accepta en promettant de faire découvrir au X6 les joies du milieu du travail. Alec supposa que Gem n'avait pas totalement confiance en Normal pour veiller sur Eve, tandis que Max supposa qu'elle ne voulait pas trop en demander à l'ordinaire et qu'il voulait que son petit frère participe au babysitting, quitte à travailler un peu sous la direction de Normal. Après réflexion, Max se dit qu'Alec et elle avaient probablement tous les deux raisons dans une certaine mesure.

Le groupe de X5 apprentis cambrioleurs étaient revenus avec le matériel et tout c'était passé sans encombre.

Des disparus en revanche, toujours aucune nouvelle. C'était ce qui les inquiétaient le plus.

o0o0oOo0o0o

Les nouveaux cambrioleurs étaient tous des X5 qui avaient eu plusieurs missions en tant que nageurs de combat. Nager avec de l'équipement lourd tout en faisant des tâches complexes et précises étaient une de leurs spécialités. Ils avaient pu cartographier les niveaux inondés et établir le trajet le plus court jusqu'à la zone accidentée, mais, à cause de leur équipement, ils ne pouvaient pas se faufiler dans le passage étroit. Ils avaient repéré, de loin, la brèche. Dans cette zone, ils avaient aussi estimé la position possible où le groupe de disparus aurait pu se réfugier dans une bulle d'air. Mais, leur temps était compté et il fallait agir.

Il avait été décidé que les plongeurs iraient repérer la brèche depuis la baie de Seattle et, si possible, ils la répareraient, ou la boucheraient a minima, tout en gardant un contact radio avec Terminal City. De leurs côtés, Alec et Max devaient rester à Terminal City pour continuer de superviser les choses.

Sauf qu'Alec décida qu'il voulait aller explorer lui-même le niveau -2, en apnée.

_ C'est de la folie, dit Max.

_ Je ne pense pas. Un plongeur équipé est trop volumineux pour passer. Mais, d'après leurs mesures, moi je passe, expliqua Alec.

_ Même si tu trouves ton chemin du premier coup…

_ J'ai mémorisé le plan qu'ils ont fait, coupa Alec.

_ Même si tu passes, rien ne dit que tu trouveras la fameuse bulle d'air décrite par nos plongeurs.

_ J'ai confiance en eux.

_ Tu as vu la distance à parcourir en apnée ? C'est énorme ! Vingt minutes d'apnée, c'est trop juste.

_ Je détiens le record d'apnée des unités non amphibie, toutes générations confondues.

_ On s'en moque de ton record ! cria Max.

_ Non, Max. À mon dernier test, j'ai fait 28 minutes et 49 secondes. Je sais que je peux le faire, insista-t-il.

_ Mais… commença-t-elle.

« S'il t'arrive quelque chose ? Je ne le supporterai pas » pensa-t-elle.

_ En plus, reprit Alec, je vais avoir un coup de main.

Il fit un signe de tête et Max se tourna pour apercevoir Magenta. Elle tenait deux petites bombonnes de gaz comme celles qu'on utilisait pour les premiers secours.

Alec ne changea pas d'avis. Mais Max exigea qu'il prenne plus de précautions qu'il n'en avait prévu. Il devrait dérouler un câble le long de son parcours. Il devait aussi laisser des bâtonnets lumineux durant son trajet. Il serait équipé de lunettes de plongée pour se protéger des eaux sales et polluées de la baie de Seattle et de gants de protection dans l'hypothèse où il devrait déplacer des gravats à la main. Il dut étudier une fois de plus le plan, sous la supervision de Max, le temps qu'on prépare le matériel pour lui. Magenta y ajouta une trousse de premier secours, dans un sachet hermétique, pour lui ou pour les transgéniques portés disparus.

Alec s'enfonça dans l'eau sombre après avoir lâché un joyeux : "à dans une heure".


Seattle, Terminal City, immeuble du centre de commande, mercredi 29 juin 2022, 1h20


MAX

Cela faisait une heure et demi qu'Alec était parti. Max avait l'impression de devenir folle. Il n'y avait plus rien d'autre à faire qu'attendre.

Le groupe de plongeurs avait trouvé la prise d'eau et ils travaillaient à présent au colmatage de la brèche. Ils n'auraient pas fini avant l'aube à cause de la difficulté de leur labeur : la visibilité était mauvaise, l'eau était chargée de détritus et il y avait du courant.

Le système de pompage de Luke fonctionnait à un régime volontairement faible et déversait une quantité raisonnable d'eau dans les égouts. Pour autant, le niveau d'eau ne diminuait pas.

Faute de pouvoir aider, la plupart des transgéniques était rentré se coucher en espérant avoir une bonne nouvelle au réveil. Ceux restés sur place s'étaient installés sur des chaises ou d'autres objets sans valeur pour pouvoir attendre à l'abri des quelques centimètres d'eau au sol.

Mole, assis en tailleur sur une simple palette, fumait son cigare et scrutant les escaliers noyés par lesquels Alec devait revenir. L'avantage était que l'odeur du tabac de l'homme-lézard éloignait les importuns. Les autres transgéniques étaient gentils, mais leur sollicitude et leur inquiétude pour Alec rendait Max encore plus nerveuse. Elle aurait voulu être seule, sans personne qui comptait sur elle, pour pouvoir se jeter à l'eau à la recherche du X5. Au lieu de ça, elle attendait, entourée de Mole, Luke et de Dix.

_ D'où vient toute cette eau ? demanda la voix familière de Logan dans son dos.

_ De la baie, répondit maussadement Max, sans quitter les escaliers des yeux.

_ Euh… Max, je pourrais te parler ? demanda le journaliste.

_ C'est urgent ? Parce que…

Max faillit crier en voyant une silhouette puis des bulles qui remontaient depuis les escaliers.

Alec sortit de l'eau tranquillement. Il fut immédiatement assailli de questions. Mole haussa la voix pour faire taire tout le monde.

_ C'est fou, dit le X5. Là-dessous, tout est calme et silencieux. Puis, on revient à la surface et on a le droit à des beuglements reptiliens…

_ Va te faire foutre, grogna l'homme-lézard.

_ Déjà fait, répondit Alec avec insolence.

_ Alors ? fit Max, pour couper court aux chamailleries des deux garçons.

_ J'ai trouvé nos disparus. Tous vont bien, sauf Ribbit, l'amphibie. En protégeant les autres de la brusque montée des eaux, il s'est cassé la jambe gauche et doit avoir une entorse à la cheville droite. Il s'est aussi luxé une épaule. Il faut les sortir de là. L'air va être un problème. Oh, salut Logan. Tu viens filer un coup de main ?

_ Non, en fait…

_ Je suis sûre que ça peut attendre, dit Max.

Alec observa Logan et fronça les sourcils.

_ Logan ? Qu'est-ce qui ne va pas ? demanda le X5.

_ C'est Syl et Krit… répondit-il.

_ Quoi ? s'exclama Max en se retournant vers l'ordinaire.

_ Une mission du Veilleur qui a mal tourné et ils sont pris au piège. Ils ont besoin d'aide.

Max se sentit abattue. Pourquoi fallait-il que tout arrive en même temps ?

_ Tout ira bien, dit Alec.

_ Mais… commença-t-elle.

_ Vas chercher ton frère et ta sœur. Moi, je gère ici.

_ Tu es sûr ?

_ Ça va le faire, répondit le jeune homme avec assurance. Mole, t'as envie de te choper une mycose en laissant tes écailles prendre l'humidité ici ou tu veux aller taper sur des méchants avec Max ?

_ Baston forever ! répondit l'homme-lézard en éteignant son cigare.

_ Prends avec toi tous les soldats et les matos dont tu auras besoin. Ne lésine pas sur les moyens. Juste pas de mise à mort… même "accidentelle".

_ T'es pas drôle, grommela Mole.

_ Magenta, commença Alec.

_ Non, coupa l'infirmière. Je reste ici.

_ Max va avoir besoin d'une unité médicale, dit le jeune homme.

_ J'irai, dit timidement Hector, l'assistant de Magenta. Je suis un spécialiste de la médecine de terrain.

_ Bah voilà, maintenant qu'on sait qui fait quoi, il n'y a plus qu'à y aller ! dit Alec avec enthousiasme.

_ Merci, murmura Max.

_ Fais attention à toi, tu veux ? dit-il.

_ À condition que ce soit réciproque, répondit la jeune femme.

Alec fit mime de réfléchir et Max lui donna un petit coup dans le bras.

_ Promis, dit-il. Allez, on se revoit bientôt.


à suivre