.

- Et ça ?

- Nan.

- Et ça ?

- Non plus.

- Et ça ?

- Luffy, j'te jure que j'vais t'tuer.

Je le vois reposer l'énième paquet de gâteau en boudant et en marmonnant des trucs dans sa barbe. Est-ce que j'étais aussi porté sur ce genre de conneries remplies de sucre à son âge... ? Mon cerveau est en bouillie en ce moment. Je ne sais pas si c'est la maturité qui me rattrape déjà ou quoi, mais je me sens déjà vieux quand je le vois me supplier devant tous les paquets de bonbons qu'il trouve. Quatre ans d'âge mental, je vous dis. Je sais pas comment Makino arrivait à supporter ça.

- T'étais aussi casse couille avec Maman ? Lui demandé-je alors que je le vois baver sur les tablettes de chocolat un peu plus loin.

- Elle m'emmenait plus en courses avec elle... Chouine-t-il en reposant les paquets après que je lui en ai collé une derrière la tête.

- Étonnant ça.

Je le traîne de force pour qu'on sorte de ce rayon des Enfers et passe à côté, où je vois les bières au loin qui me font de l'œil.

Sab' avait peut-être raison, peut-être que je suis vraiment devenu un peu alcoolique à force de picoler tous les soirs. Mais ça tombe bien, j'ai définitivement pas de thune à claquer là-dedans... Déjà que l'autre morfale va me coûter un bras avec sa tonne de viande... Et encore, j'ai bien vu qu'il s'était retenu en voyant les prix. Je crois qu'il n'a jamais vraiment réalisé le coût de la vie, en fait. Il faut dire que Dragon et Makino n'étaient pas le genre à le restreindre et ils cédaient facilement à ses caprices. Un vrai bébé pleurnichard, je l'ai toujours dit.

- Ace, on peut prendre des chips ?

- Tu m'soules.

- Mais on a rien à grignoter dans l'caddie làààà !

- Le but c'est de manger, pas de grignoter, saloperie de morfale !

- C'est nuuuuul, comment t'es devenu trop sérieux depuis que t'es parti en STAPS...

Et il se barre en marmonnant encore, les mains dans les poches en signe de bouderie. « Sérieux », moi... ? C'est carrément possible concernant la bouffe. Même Sab' m'avait déjà fait remarquer que récemment, j'achetais beaucoup trop de légumes pour être honnête. Soi-disant que ça fait tâche avec le reste de mon train de vie... Donc en gros, pour une fois que je fais un truc bien et sain, tout le monde me le reproche hein ?

Je les déteste tous. Je vais leur cramer les cheveux pendant leur sommeil, ils vont parler chinois.

- Luffy ! L'appelé-je alors que je le vois qui court à moitié en direction des sodas. Moi j'ai fini, t'as tout ce qu'il te faut ou pas ?

- Nan ! Crache-t-il en attrapant trois bouteilles de cola et un jus de fruit qu'il sert contre lui.

C'est marrant, c'est dans ces moments-là que je me rappelle qu'il n'y a qu'avec lui que je supporte ce genre de conneries. Les casses couilles en général, je les remets vite fait à leur place ou je les éjecte de ma vie, parce qu'ils ont le don de m'énerver à une vitesse affolante.

Et Luffy est le roi des casses-couilles, vraiment. Pourtant, ses idioties m'attendrissent plus qu'autre chose. J'ai l'impression d'être une autre personne quand je suis avec lui, c'est impressionnant.

Je ne peux pas m'empêcher de sourire comme un idiot en bataillant avec lui pour qu'il repose les boissons. Je lui accorde une bouteille et je me trouve déjà trop généreux, alors qu'il repart dans sa bouderie.

- Arrête de faire le bébé ou j'te colle le cul dans le caddie.

- Tu peux pas, y'a toutes les courses.

- Pas grave, j'te fous là-dessus comme un gentil petit garçon tout sage, souris-je vicieusement en tapotant la petite place en plastique réservée aux mômes ou aux litres de lait.

- Mais mes jambes passent même pas ! Et c'est marqué pas plus de quinze kilos !

- Parfait, c'est que quarante fois le poids de ton cerveau !

Il me met une béquille et je dois bien reconnaître qu'il a pris de la force, ce petit con. Je le choppe et je lui fais une clé de bras pour le calmer, sauf que son cri de surprise alerte le vigile qui nous regarde d'un drôle d'air. Pour une fois que je n'ai rien volé, on va peut-être éviter de se faire virer du magasin sans les courses...

- Reste tranquille ou j'te bâillonne ! Le menacé-je en lui ébouriffant les cheveux, avant de le traîner aux caisses par le col.

Et le voilà qui me réclame des chewing-gum, maintenant.

- T'es tellement crétin qu'tu vas les avaler tout rond.

- Mais c'est pas pour moi ! Me répond-t-il platement, ce qui me fait hausser un sourcil.

- Ah ? Ta meuf a des problèmes d'haleine ?

La tête qu'il me tire n'a pas de putain de prix, mais c'est même pas de la gêne, tiens. Plutôt un air blasé avec un soupçon de satisfaction.

Il a vraiment une meuf... ? Je ne sais pas si je vais bien le prendre s'il me le dit maintenant, devant tous ces connards autour de nous. Je me connais, ça risque de me faire vriller. Je sens d'ailleurs déjà que ça monte doucement.

- Nan nan c'est pas pour « ma meuf », précise-t-il avec un petit mouvement de doigts équivoque, j'voulais les prendre pour toi, mon pauvre Ace. Tu galères pas un peu à emballer en ce moment, d'ailleurs... ?

... Mais quel petit enfoiré. Depuis quand il a une aussi bonne répartie ?!

Je m'apprête à lui faire ravaler son extrait de naissance quand la demoiselle à la caisse nous fait remarquer que c'est à notre tour. Sauvé par le gong, mais c'est que partie remise.

Le coup de pied que je lui fous au cul dès qu'on est dehors m'arrache un sourire extrêmement satisfait.

- Mais Aaaaace ! Tu fais mal, gros crétin !

- Et toi avec ta béquille de tout à l'heure tu crois que tu m'as pas fait douiller ?!

Je le vois écarquiller les yeux et une lueur se met immédiatement à briller au fond de ses pupilles. Et merde. Je viens de reconnaître qu'il a réussi à me faire mal, mais quel con...

- Yeeeeeah ! Crie-t-il en sautillant de joie. Comme quoi le free-fight sert, finalement ! T'vas voir que d'ici un an, j'te maîtrise !

- Calme-toi quand même gamin, t'as encore du chemin à parcourir avant d'arriver à ne serait-ce qu'espérer me battre... !

- Tu dis ça parce que t'as peur de moi !

Je ne perds même pas mon temps à lui répondre. S'il a envie d'espérer, qu'il espère. Il n'empêche que j'aurais toujours trois ans, dix centimètres et dix kilos de muscles de plus que lui.

Je le pousse au cul pour qu'il m'aide à ranger les courses dans la caisse et je le vois se calmer direct et se raidir dès qu'il s'assoit à la place passager. Exactement comme à l'aller. Un silence religieux s'installe dans la voiture et le contraste avec les braillements qu'on poussait deux minutes avant m'étreint la gorge. J'ai très bien compris le problème et je préfère ne rien dire. S'il a envie de m'en parler, je sais qu'il le fera. J'espère juste que ça lui passera vite.

Je mets de la musique pour pallier un peu l'ambiance lourde et je le vois qui m'envoie un regard en biais.

- Quoi encore ?

- C'est naze.

Je roule des yeux. Qu'est-ce qu'il me gave, avec ça.

- J'mettrais pas tes musiques de midinettes.

- Alors déjà d'une, tu peux pas dire que le rock c'est d'la musique de midinette, merci bien ! Et de deux, j'vois pas pourquoi on pourrait pas mettre un truc en place du genre chacun met sa musique à tour de rôle !

J'éclate de rire. Qu'est-ce qu'il est drôle, ce gosse.

- Dis voir Luffy, tu peux me dire à qui elle est, cette caisse ?

Je le vois qui me jette un regard noir.

- ... Elle est à toi.

- Ouais, bravo, c'est une excellente réponse ! Et rappelle moi, t'as le permis toi ou pas ?

- Bien sûr que non crétin !

- Et tu m'aides pas à payer l'essence non plus, j'suis pas fou ?

- C'est bon j'ai compris, ferme-la...

Le voilà qui boude de nouveau. Je devrais peut-être me sentir mal de l'enchaîner autant, mais je ne peux pas m'empêcher de le trouver trop mignon quand il fait cette tête. Je paris que mon inconscient le fait exprès.

- Voilà p'tit frère, t'as tout compris : MA caisse, MON son. Et si j't'entends encore dire que Nekfeu « c'est naze », j'te fais bouffer l'airbag devant toi.

Attends voir... Ace, t'es vraiment un gros connard hein ?

Je jette un coup d'œil discret à ma droite : bingo. Luffy s'est figé et je le vois serrer sa ceinture contre lui de toutes ses forces.

Je suis vraiment un gros abruti des fois, c'est pas possible.

Je souffle un bon coup pour calmer la bouffée de colère qui monte en moi d'un coup et je lâche le levier de vitesse pour poser une main rassurante sur l'épaule de mon cadet.

- Lâche pas l'volant, s'il te plait, siffle-t-il d'une voix légèrement cassée.

Connard. Connard connard connard. Portgas, t'es vraiment une merde.

- T'inquiète Lu', j'fais attention, tu le sais.

J'ai la gorge serrée et mon timbre sort bizarrement, mais moi ce n'est pas parce que j'ai un sanglot bloqué quelque part. J'ai juste très envie d'éclater un putain de mur.

Expire Portgas, expire. Si en plus il se rend compte que tu es en train de vriller, il va nous faire une syncope.

La route jusqu'à l'appart me semble beaucoup trop longue, mais je me gare enfin sur le parking et Luffy s'éjecte littéralement de la caisse dès que je mets le frein à main. J'ai l'impression qu'il respire de nouveau dès qu'il est dehors.

On monte les marches en silence et le rangement des courses est tellement calme que ça me retourne encore plus les nerfs, mais je me fais soudainement héler par le frangin et la seconde d'après, je me reçois un truc dans la tronche. Le torchon sale de la vaisselle, apparemment.

- Tu fais la gueule pour la blague des chewing-gum ? Me lance-t-il avec un sourire railleur. Ça va t'inquiète pas, si on s'approche pas trop d'toi ça se sent pas.

... Je l'aime tellement. Il est la seule et unique personne sur cette planète qui est capable de me calmer aussi efficacement. Et qui sait aussi bien lire en moi, aussi. Et ça, ça me fait déjà un peu plus flipper.

Je lui envoie le premier truc qui traîne -aka une orange, oups-, et il se la prend en plein dans l'épaule. Coucou le futur bleu.

- Aiiiiiiie mais Aaaaace, t'es vraiment un gros bourrin !

Il se jette sur moi et ça finit en bagarre pour de bon, même si nos bagarres à nous sont plus ridicules qu'autre chose. Et tiens que je te pince les joues pour tirer dessus de toutes mes forces, que j'essaie de te mordre, que je te mets les doigts dans le nez...

La virilité à son grand paroxysme, que voulez-vous.

On se calme enfin et comme prévu, je vais finalement me poser devant la télé. Objectif : boze et sieste. Ouais, bon plan ça.

.

Je me fais réveiller par la sonnerie du fix et je me sens faire un arrêt cardiaque : je me rappelle même pas de m'être endormi, foutue narcolepsie. Et j'en peux plus de ce téléphone, il n'arrête pas de sonner depuis une semaine et je vous jure qu'il aurait déjà fait un vol plané de trois étages depuis longtemps si j'en avais pas autant besoin.

Luffy décroche pour moi –apparemment il matait la télé à côté de moi pendant que je ronflais-, et je lui en suis tellement reconnaissant que je m'affale de nouveau dans un soupir soulagé. J'avise l'horloge au mur et je vois que j'ai quand même dormi pendant presque deux heures. 'Fait du bien, tiens. Je me sens déjà un peu plus frais.

- Désolé Papy, j'ai pas touché à mon portable depuis quelques jours, il doit être déchargé... Entends-je dire mon p'tit frère.

Tiens, encore Jiji ? Il a jamais autant appelé qu'en ce moment, je crois. S'il était pas aussi timbré et violent, je trouverais presque son attitude attendrissante. Après je peux comprendre, il ne doit vraiment pas être bien non plus. Perdre son fils ne doit pas être le truc le plus fun qui soit, déjà, et ajoutez à ça le petit fils qui se retrouve sous la tutelle approximative de son frère aîné de vingt ans qui enchaîne les conneries depuis l'adolescence... Je peux comprendre qu'il ne soit pas totalement serein, le Garp.

Mais j'ai bien entendu... ? Lu' vient de dire qu'il n'a pas touché à son portable depuis plusieurs jours ? Maintenant qu'il le dit, c'est vrai que je ne l'ai pas du tout vu avec, ces derniers temps...

Il ne va quand même pas me faire croire qu'il a déconnecté et qu'il ne parle pas du tout à ses potes... ?!

Ça suffit pour me réveiller pour de bon et je me rassois correctement sur le canapé. Luffy a repris sa place à côté de moi et papote tranquillement avec le vieux, tandis que je pars pour m'en rouler un nouveau. Il ne me reste plus beaucoup de weed, tiens. 'Fait chier. J'ai plus de fournisseur ici. Ça va être une putain de galère d'en avoir.

- Tu veux lui parler ? me demande soudain le petit frère en me tendant le combiné.

Je soupire. 'Pas envie du tout non, mais je ne vais pas lui refuser ça.

Je cale le téléphone contre mon épaule et continue mon minutieux roulage.

- Yo le vieux, lancé-je en sachant pertinemment que je vais me faire insulter.

Et ça ne loupe pas. J'esquisse un sourire en écoutant les charmants noms d'oiseaux qu'il me balance avec hargne. Je suis tellement heureux qu'il ne soit pas là, j'en ai ras le bol de ses bosses qui me vrillent le crâne à chaque fois

- Comment tu vas toi ? m'interroge-t-il sérieusement.

- Bien, comme d'habitude.

Nouvelles insultes. Il est marrant lui, il veut que je lui dise quoi ? Que je pleure toutes les nuits en serrant mon doudou contre moi ? J'ai jamais été le genre à afficher ce que je ressens, je ne vois pas pourquoi ça commencerait maintenant.

En plus c'est vrai, je ne vais pas si mal.

- Et Luffy ? Comment tu le trouves ?

- Pas trop mal... Réponds-je en prenant grand soin de ne pas jeter un coup d'œil à ma droite. Tu devrais pas te faire autant de mouron pour nous, on gère, t'inquiète pas. Occupe-toi plutôt de récupérer ta jambe.

- Tu n'as jamais rien géré de ta vie petit idiot, évidemment que je m'inquiète !

... Un point pour lui.

- Enfin... Ce n'est pas ce que je voulais dire... ajoute-t-il d'une voix penaude, ce qui me fait hausser un sourcil.

Garp qui s'inquiète de prendre des gants avec moi... ? Encore une fois, je trouverais ça mignon si on parlait pas de lui.

'M'enfin, l'effort me fait quand même plaisir. Il est le seul qui le fait, donc bon.

- C'est normal que je m'inquiète, Ace. Continue-t-il, bien plus sérieux. J'ai bien entendu ce que tu as dit à la cérémonie et j'ai vraiment envie de te faire confiance pour prendre soin de Luffy... Mais tu n'as que vingt ans. Je ne veux pas que tu surestimes non plus tes capacités... Tu restes un gamin, un point c'est tout.

Vieux con.

- J't'emmerde, claqué-je, amer et j'entends Luffy glousser à côté de moi.

- Mais tu vas mieux parler à ton grand-père oui, sale môme ?! Je ne dis pas ça pour te déprécier ou quoi que ce soit ! C'est juste que... J'ai eu Betty au téléphone et...

Je soupire bruyamment. Cette nana... J'aimerais TELLEMENT lui cramer sa baraque.

- Je peux comprendre ton point de vue Ace, je ne te reproche même pas de lui avoir dit ce que tu lui as dit.

Tant mieux, parce que jamais de la vie je ne me serais excusé. Garp aurait pu me forcer ou me menacer que je l'aurais pas fait. Cette femme est juste la reine des connasses, point barre.

- Mais s'il te plait, reconnais que sa proposition partait d'un bon sentiment. Maintenant tu te retrouves seul à gérer tout ça... Donc si tu as besoin, je peux-

- Le vieux, j'ai déjà refusé ton aide la première fois, je vois pas pourquoi j'aurais changé d'avis entre temps. T'as d'autres trucs plus importants à foutre que de galérer avec de la paperasse.

- Ah oui et comme quoi ?! me demande-t-il, amer.

- Faire ton deuil et guérir vite pour venir soutenir ton petit-fils, par exemple ! Arrête de t'inquiéter pour moi, c'est pas moi qui viens de perdre un gosse !

Un silence me répond et je sens que Luffy s'est tendu à côté de moi. Ouais bah hein. Le tact et moi, ça fait trois. Surtout quand je suis déjà énervé de base. Qu'ils arrêtent de me casser les couilles et j'arrêterais peut-être de parler comme un gros enfoiré.

- ... Tu es vraiment un petit con, me claque-t-il. N'hésite pas à appeler si tu as besoin.

Il me raccroche au nez. On pourrait croire qu'il m'en veut comme ça, mais je sais pertinemment qu'il est juste agacé de ne rien avoir à répondre à ça. Il n'avait qu'à pas se casser une jambe comme un vieux débile, il pourrait être plus utile. Mais en attendant, il ne peut rien faire alors autant qu'il encaisse tranquillement de son côté. De toute façon, son « amour » est vraiment pas ce dont Luffy et moi avons besoin en ce moment.

On a besoin que l'un de l'autre et c'est justement parfait comme ça... À un petit point près.

J'allume mon boze et tourne la tête vers mon cadet qui sent direct à mon regard qu'il va prendre cher.

- ... Quoi encore ? Marmonne-t-il en faisant sa tête de bouderie.

- C'est quoi cette histoire de portable déchargé... ?

- Bah quoi ? J'suis pas sur mon portable en ce moment, j'ai rien à y faire dessus.

- ... T'es pas sur ton ordi non plus.

- Mais et alors ?! s'énerve-t-il, ne voyant pas du tout où je veux en venir. J'préfère être sur la console ou passer du temps avec toi, tu vas quand même pas me l'reprocher ?!

- Tes potes, Lu'.

Il fronce les sourcils.

- Quoi, mes potes ?

- C'est quand la dernière fois que tu leur as parlé ?

Je le vois se renfrogner direct et s'enfoncer dans le canapé en fixant la télé pour fuir mon regard. Je le savais.

- Luffy... Y'a pas que moi d'important, tes potes aussi l'sont. Et ils doivent se faire du souci pour toi, en plus. Tu devrais au moins les appeler. Tu m'avais pas dit qu'y'en a un ou deux qui avait perdu ses parents, en plus ?

- ... Si...

- Raison de plus. Ça te fera forcément du bien de leur parler, Lu'. Et même si c'est pas pour parler de ça particulièrement, ça te changera les idées. Merde, avant que j'aille à la fac t'étais tout le temps fourré avec Usopp, tu vas pas me faire croire qu'il te manque pas un peu, là ?!

- ... Si...

- Bah alors !

J'le vois se tordre nerveusement les doigts.

- ... J'ai pas envie de devoir répéter cinq fois que...

- T'es pas obligé, le coupé-je en lui attrapant une main pour la glisser dans la mienne. Tu peux juste le dire à l'un d'eux qui se chargera de l'expliquer aux autres... Tu t'en sens capable ?

Il se mord les lèvres.

- ... Si tu restes avec moi, peut-être...

Je souris de sa bêtise. Évidemment que je resterai avec lui. Il m'a pris pour qui ? J'attire sa main vers moi et pose un baiser dessus pour le rassurer. Mon petit frère n'a jamais eu autant besoin de moi qu'en ce moment, c'est pas maintenant que je vais me défiler. J'ai toujours été un gros égoïste et penser aux autres est le dernier de mes soucis à deux-trois exceptions près, mais Luffy, il est depuis longtemps la priorité absolue. J'espère qu'il le sait. J'espère qu'il est conscient de toutes les choses démentes que je serais capable de faire pour lui.

Tout plaquer définitivement du jour au lendemain pour venir à son secours sans hésiter, ce n'est rien comparé à tous les scénarios débiles que j'ai pu m'imaginer pendant mes moments d'ennui. Alors, peut-être que d'extérieur on pourrait s'inquiéter pour moi, mais j'ai vraiment pas menti à Garp : je ne vais pas si mal. Parce que Luffy sourit à mes côtés et je sais que j'y suis pour quelque chose, alors je ne vois pas comment cette situation merdique pourrait être mieux. Tant qu'il est heureux, ça me va. Point barre.

- Va brancher ton portable, on va faire ça alors.

Dix minutes plus tard, je le vois fixer son écran les sourcils froncés. Il était déjà pas très frais en recevant les quatre mille notifications de messages et autres appels en absence, mais maintenant qu'il est prêt à appuyer sur le bouton d'appel, il hésite. Je l'observe tout en soufflant doucement ma fumée. Je commence à être bien puisque revoilà la pensée parasite qui me rappelle qu'il est sacrément beau, mon petit frère. Mais il y a peut-être d'autres priorités que de penser à ça, Ace. Comme, je sais pas, comprendre pourquoi ton petit Lu' hésite autant à appeler ses meilleurs potes ?

Mon cerveau se rebranche doucement et, toujours efficace quand il s'agit de mon cadet, comprend tout de suite le problème. Ma main à couper que c'est le retour à la réalité qui le fait flipper. Depuis une semaine, même si je suis pas toujours disponible pour lui, on est collés h24 ensemble à ne presque pas sortir et à juste chiller et geeker, tranquillement. Alors certes, ma paperasse et mes coups de fil suffisent bien à nous rappeler tout le temps la situation actuelle, mais j'imagine qu'il a la même impression d'être dans un univers parallèle que moi, parfois. Comme si notre vie s'était soudainement arrêtée et qu'on nous avait envoyé en tester une autre, aussi plombante que bizarre. Appeler ses potes le fera revenir au train-train du lycée, à l'avant.

Sauf qu'il sera plus jamais pareil cet avant, maintenant.

Je pose ma main sur sa joue et essaie de lui sourire le plus tendrement possible.

- Ça va aller, Lu'. T'es en train de traverser les semaines les plus étranges et compliquées de ta vie, mais ça passera. 'Faut juste que tu te pousses un peu pour passer les différentes petites étapes dans ce style, mais rappelle-toi bien que t'es jamais tout seul dans ces étapes. Et tu le seras encore moins si tu fais ça. J'te lâcherais jamais, mais tes potes non plus s'ils sont aussi efficaces que Sab' l'est pour moi.

Il me sourit et se frotte contre ma main. Il est vraiment trop mignon quand il fait ça. On croirait un petit chat.

- Ils le sont, finit-il par me répondre, déjà plus résolu.

Il appuie sur le bouton vert l'instant d'après et colle le portable à son oreille. Ça ne sonne pas longtemps avant que son correspondant ne réponde.

- Salut Zoro ! S'exclame-t-il joyeusement.

Je n'entends évidemment pas ce qu'il répond d'ici, mais ça ne m'empêche pas d'être étonné que Lu' choisisse ce type plutôt qu'Usopp. Je sais que je n'ai pas vraiment été là pendant deux ans, mais à les voir tous les deux avec Pinocchio, je croyais vraiment qu'ils étaient partis en mode meilleur amis à jamais. Si je me plante pas, ils sont dans la même classe depuis, quoi, la sixième ? Et surtout, il habite dans le pâté de maison à côté. Luffy était toujours fourré là-bas au collège pendant les vacances.

Du coup quoi ? Ce mec, Zoro, il l'a remplacé ou quoi ? J'trouve ça bizarre. Ce type ne va pas avec Luffy. Ça se voit que c'est le genre de mec beaucoup trop sérieux et limite coincé. Je pige pas pourquoi Luffy aime passer du temps avec lui au point de l'inviter à l'appart et compagnie, je croyais que mon frangin préférait les gens bons délires. Et ce mec ne peut pas être bon délire. On ne peut pas être bon délire quand on a un aussi gros balai dans le fion.

... Et mon foutu cerveau qui me ramène à la remarque de tout à l'heure avec les chewing-gum. Il ne m'a pas répondu, ce casse couille, et je ne sais toujours pas s'il a quelqu'un en ce moment. Si ça se trouve, c'est un mec qu'il a. Si ça se trouve, c'est même Zoro, ce fameux mec.

C'est en train de me faire vriller. Vite, un autre boze là.

Je commence à rouler en me rendant compte que le précédent est toujours entre mes lèvres. Boaf. Il est presque fini de toute façon.

- ... Ouais je sais... Murmure soudainement mon frangin au téléphone, perdant presque immédiatement son air enjoué de l'instant précédent. C'est pas que j'voulais pas vous expliquer, mais... C'est compliqué...

Il cherche mon regard et je lui envoie un petit clin d'œil accompagné d'un sourire d'encouragement. Il me renvoie un pauvre sourire qui me serre le cœur et prend une grande inspiration comme pour se donner du courage.

- En fait... C'est à propos de... De mes parents, Zoro... Ils... Ils...

... Il n'y arrivera pas.

Et il explose en larmes. Putain. C'est peut-être encore trop tôt, mais ça sera tellement bien quand il arrivera à le dire tout haut.

Je soupire pour moi-même et lâche mon roulage pour le serrer contre moi, tout en lui prenant le téléphone des mains. Il se laisse complétement faire, cache son visage dans mon t-shirt et m'agrippe de toutes ses forces. Je lui caresse doucement les cheveux et mets le portable à mon oreille.

- Salut Zoro, c'est Ace.

- Salut...

Il parait pas plus étonné que ça, mais en même temps ça ne doit être difficile de pas avoir entendu mon frère s'effondrer à l'instant. Ça doit lui faire drôle. Personnellement, la dernière fois que j'ai vu Luffy dans cet état, il ne devait pas avoir plus de douze ans. Il pleurait souvent quand il était petit, mais je crois que Sab' et moi on s'est trop foutu de lui à l'appeler Pleurnichard tout le temps. Il a dû prendre la moquerie au pied de la lettre, car aux alentours de ses onze ans il s'est promis de ne plus jamais pleurer et, à mon plus grand étonnement, il s'y est tenu. Il a juste pleuré de nouveau à la mort de notre chat à l'époque et je ne lui en ai pas tenu rigueur. Ce gros tas de poil était un membre à part entière de la famille.

Du coup, ça m'étonnerait fort qu'il ait déjà pleuré comme ça devant ses potes. À moins d'une catastrophe, mais il me l'aurait dit... Normalement il me dit toujours tout.

Normalement.

- Désolé, j'me permets de t'expliquer à sa place si ça t'va, reprends-je, c'est encore un peu trop dur pour lui j'crois...

- Pas de problème. C'est sympa de ta part.

- Hmm. Voilà donc, j'suppose que t'as compris que nos parents... Enfin, qu'on a perdu nos parents, quoi.

Je l'entends déglutir. Le pauvre, il ne doit pas être très frais.

- ... Désolé de la question idiote mais... Les deux ? D'un coup ?

- Ouais. Accident de voiture.

Un long soupir puis une pause. Heureusement que j'ai trois joints derrière moi qui m'anesthésient le cerveau, car je pense que je serais extrêmement malaisé en temps normal. Déjà que je n'aime pas beaucoup parler aux inconnus, au téléphone je ne vous dis pas, et là en plus c'est pour annoncer ce genre de choses badantes. La bonne nouvelle, si je puis dire, c'est que j'ai de l'entrainement vu que j'ai dû faire ces trois merdes en boucle pendant les sept jours précédents. Quand tout ça sera terminé, j'ai déjà prévu de balancer mon portable dans une rivière et de m'acheter un bipeur à la place. Ou mieux, un minitel. Histoire d'être sûr que plus personne ne pourra venir m'emmerder.

- ... J'suis vraiment désolé, finit-il enfin par dire, la voix plus rauque que précédemment. Je comprends mieux pourquoi Luffy est dans cet état... Et toi, comment ça va ?

Je hausse un sourcil, étonné. Il me fait quoi, là ? On se connait à peine. Il ne devrait pas plutôt me demander de lui repasser son pote en vitesse pour le réconforter ?

- Euh... Ouais, moi ça va... Enfin...

Je ne sais pas si c'est la weed ou quoi, mais sa question me perturbe plus que ce que je pensais et je ne sais même pas quoi ajouter. Ça va aller ouais Portgas, tu vas pas te laisser démonter par un petit con de dix-sept ans, là !

- Moi ça va, mais pas Luffy comme tu peux l'entendre. Et c'est pas l'gamin le plus doué de l'univers pour réclamer de l'aide, donc n'hésitez pas à le forcer un peu pour vous parler s'il le fait pas de lui-même. Je savais même pas qu'il avait déconnecté depuis l'accident.

Je sens le concerné se tendre contre moi et serrer mon t-shirt un peu plus fort, mais ses larmes se sont arrêtées. Bon point ça.

- Ouais, on se doutait qu'il se passait quelque chose de grave mais on a pas non plus osé venir directement chez vous, puisque t'étais là... Je t'avoue quand même qu'Usopp comptait le faire samedi si on avait toujours pas de nouvelles, donc c'est cool que vous ayez appelé. Ça va les rassurer... Enfin, t'as compris quoi...

- Ouais. D'ailleurs justement, si tu peux leur dire... Lu' a déjà pas la force de le faire pour toi, donc pour les autres...

- T'inquiète pas, j'avais bien compris. Je leur dirais.

- Merci... Lu, tu veux lui reparler ? demandé-je à mon cadet en lui frottant de nouveau les cheveux, mais il secoue doucement la tête en signe de négation.

- Le force pas s'il en a pas envie. Qu'il prenne son temps.

Je ne comptais pas le forcer, il a quoi ce mec... ?!

- Juste est-ce que tu peux lui dire... Qu'on comprend tous et il le sait. Que ça soit moi, Sanji, Usopp ou Nami, on est déjà passés par-là, donc qu'il hésite pas.

... Woh. Je savais pour Usopp, mais les trois autres aussi... ? Ils se sont rencontrés dans un club de paroles pour orphelins, un truc dans le genre ?

- C'est bon, je lui dis.

- Merci... Et merci de prendre soin de lui.

... J'aime pas ça. Ce mec est trop protecteur avec lui. Évidemment que je prends soin de lui, c'est mon petit frère. Il croit quoi, que j'allais l'abandonner à son sort ?! Il veut quoi, me remplacer ?!

Je serre les dents pour ne rien laisser paraître, comme d'habitude. De toute façon, mes yeux doivent être tellement éclatés que jamais Luffy ne pourrait déceler la moindre trace de colère. Le bon côté de la chose.

- Ouais, pas d'quoi, réponds-je, sec. Allez, salut.

- Salut, et bon courage...

Je raccroche et rends son portable à mon frère avant qu'il ne fasse un vol plané à travers la pièce. J't'en foutrais des « bon courage », trou du cul va.

- Merci Ace...

Tsss. Je le serre un peu plus contre moi et il vient s'asseoir sur mes genoux pour se lover confortablement. Il me prend par les sentiments, en plus... Je renonce à mon roulage et l'emmène avec moi au fond du canapé. Il se retrouve carrément allongé sur moi et en profite pour coller son nez dans mon cou. J'aime tellement quand il fait ça. Le serrer dans mes bras, j'en ai envie souvent, trop souvent. Je voudrais lui faire comprendre à quel point je tiens à lui. Des fois, ça me crée presque comme une douleur de ne pas pouvoir trouver de mots assez forts pour lui expliquer comme il est important pour moi.

Alors je le garde bien lové contre mon cœur et je me surprends à espérer que jamais personne ne me remplacera jamais dans le sien. Partir pour cette fac de chiotte et cette coloc' avec Sab' a été la pire connerie de ma vie. Je le regrette pas non plus car j'y ai fait des rencontres de fou et putain, qu'est-ce qu'on a pu s'éclater avec mon meilleur pote ! Mais être séparé de Luffy pendant deux ans, ça a créé une distance qui ne me plaît pas. Il a grandi sans moi, il a fait plein d'expériences sans moi, il a rencontré d'autres gens sans moi. Le nouvel entourage de Lu', je le connais pas et ça m'inquiète. Est-ce que ce sont des gens biens ? Est-ce qu'ils sont à la hauteur de mon petit frère ?

Pour l'instant je n'en sais rien, mais je compte bien le découvrir rapidement.

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- Tryo – Ce que l'on s'aime -

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Ace, calme toi. T'es chou mais calme toi !

See you !