,Le ciel était clair ce jour là. La brume matinale enveloppait le tapis végétal, ce qui rendait l'air un peu frais. Une jeune femme était adossée au tronc d'un chêne, les jambes relevées contre son torse, ses yeux clos. Elle expirait intensément, elle tentait de calmer son agitation interne, un étau qui serrait son cœur à tel point qu'il pourrait l'étouffer. Un bruissement se fit entendre dans les fourrés. Ensuite, un cri bestial. La jeune femme ouvrit les yeux et tomba nez à nez avec un cerf. Elle se colla à l'arbre derrière elle, mais l'animal s'arrêta net. Ils se fixèrent, le temps sembla s'arrêter l'espace de cet instant. Puis le cervidé tomba, abattu par un carreau. Un vieil homme sortit d'un buisson.
« Ça va ? Vous n'avez rien ? » s'enquérit-il.
« Non » répondit elle en se relevant.
« Vous avez eu de la chance, jeune fille. Une bête qui s'arrête net comme ça, j'en ai rarement vu dans toute ma carrière de chasseur. »
« Ah oui ? »
« Oui, ça n'arrive toujours qu'aux elfes ou aux fées ces trucs là ».
« Oh » dit-elle après un silence. « Merci, en tout cas »
Alors que le soleil se levait sur la Porte de Baldur, les feuilles des arbres bruissaient délicatement sous l'air du vent. Les marins levaient l'ancre dans l'air salé du port. Les badauds commençaient à gagner les rues étroites. A l'intérieur de sa chambre encombrée, une jeune femme ouvrait tout juste ses yeux bleu de minuit, des reflets dorés s'y dévoilant dans la lumière du matin. Elle sortit sa main de son duvet afin de chercher à tâtons son bandeau sur sa table de nuit. Ne le trouvant pas, elle se contenta de garder son drap sur sa tête afin de se lever. Une fois arrivée devant le seul petit miroir présent dans la pièce, elle soupira : ses cheveux sombres, bien que trouvés magnifiques par la plupart des gens, lui rappelaient sans cesse son origine hybride. En effet, la lumière du soleil y faisait apparaître des reflets rosés. Ils se tenaient naturellement dans un chaos organisé, et descendaient jusqu'à ses épaules minces. Elle s'empressa de prendre quelques barrettes afin de les attacher en deux petits chignons, un de chaque côté de son crâne. Cela dévoila ses oreilles pointues, qu'elle considérait comme énormes comparées à celle d'un humain ou même d'un elfe. Encore un rappel douloureux de son passé, de son présent et sans doute de son futur.
Une fois habillée, elle jeta un coup d'œil par la fenêtre : la rue commençait déjà à grouiller de passants en tout genre. Mais il faudrait bien qu'elle s'y engouffre pour partir de cette ville. Son sac était déjà prêt, ses affaires étant bien empaquetées : il n'y avait pas grand chose, juste quelques vêtements, un livre de recettes, et la poupée de sa grand-mère. Elle irait chercher des provisions, et elle pourrait s'en aller.
Barroca enfila sa cape de voyage et jeta un dernier coup d'œil à sa chambre encombrée : elle se souvint de quelques moments heureux malgré tout, la tension dans sa poitrine fit passer sa nostalgie éphémère. Elle tourna la clé dans la serrure et sentit enfin cette sensation s'envoler.
Le Chant de l'Elfe commençait déjà à se remplir malgré l'heure matinale, ou c'était plutôt que ces gens n'étaient pas encore partis. A côté, il y avait une petite épicerie qui ne payait pas de mine, mais dans laquelle on trouvait toujours de quoi faire à toute heure de la journée.
« Voilà ma biche ! » dit la marchande, tendant un sac de vivres.
« Merci Asphodrida ! » répondit Barroca avec un sourire. « Je sais que je peux toujours compter sur vous. »
« Mais il n'y a pas de quoi ! » lança l'halfeline. « Alors tu pars vraiment, tu en es sûre ? »
« Oui, j'en ai assez de cette ville. Je vais retourner à Eauprofonde, à l'époque je m'y sentais bien. »
« L'important est que tu sois heureuse ! Dans tous les cas, ta musique me manquera... ».
Barroca entendit une pointe de regret dans sa voix, mais sa décision était prise et elle était bien décidée à quitter la ville dans l'heure.
« Au revoir, Asphodrida. Prends soin de toi et des enfants surtout ».
En se dirigeant vers la sortie de la ville, la barde passa devant le tabernacle des tempêtes. Elle décida d'aller y offrir une prière.
« Oghma, seigneur de la Connaissance, permet moi enfin d'accéder aux réponses que je cherche tant. Met sur mon chemin l'Idée qui me permettra de soulever les montagnes du savoir ».
Elle repensa brièvement à cet rencontre d'il y a quelques semaines, avec le cerf et le vieux chasseur. Ce que celui-ci lui avait dit avait été le déclic qui lui avait donné l'envie définitive de s'en aller de cette ville. Elle devait fouiller ailleurs, dans des connaissances qu'elle n'avait pas encore dépoussiérées.
Elle se retourna et son regard fixa la porte jusqu'à ce qu'elle y arrive. Il y avait un nombre incalculable de gens qui y attendaient, ils étaient venus de loin afin de chercher refuge dans la Porte de Baldur. Devant ce spectacle, la jeune femme baissa les yeux et releva son capuchon indigo. Elle gardait en tête son objectif : la Cité des Splendeurs, Eauprofonde.
Sa première journée de voyage passa lentement. Barroca regardait autour d'elle, rêvant de sa vie future. Elle entendit les oiseaux chanter, et chanta avec eux. Ceux-ci se turent d'abord, avant de reprendre leur chanson de plus belle, alliant leurs voix avec la sienne. Elle sortit ensuite sa flûte et joua « l'air du printemps ». Les passereaux furent ravis et l'un vint se poser sur son épaule.
« Comme j'aurais aimer t'emmener avec moi » murmura Barroca, « mais tu seras mieux auprès des tiens ».
Elle joua une dernière longue note et continua sa route. Quand le soir commença à arriver, elle décida de monter le camp dans un coin abrité, non loin des rives du Chiontar. La nuit fut calme, même si Barroca ne dormit pas beaucoup. En effet, elle n'était pas accoutuméeaux voyages, du moins seule. Elle avait l'habitude d'accompagner des grandes caravanes de marchands qui allaient de ville en ville.
Le lendemain, elle reprit la route l'esprit tranquille. Quand soudain, un bruit assourdissant se fit entendre, faisant trembler les alentours. Ensuite, ce fut le noir complet.
L'air était lourd, presque irrespirable. Ce n'était ni trop chaud, ni trop froid, c'était pesant. Barroca reprit conscience, doucement mais sûrement, un bourdonnement caressant son oreille. Des clapotis sinistres finirent par l'éveiller totalement. Elle remua légèrement et se rendit compte que quelque chose la retenait. Lorsqu'elle ouvrit les yeux, elle ne vit qu'une membrane lisse semblable à un boyau tendu devant elle, elle eu un haut le coeur puis le tissu s'ouvrit dans un bruit de succion. Devant elle se trouvait un flagelleur mental. Son regard était vide, mais brillait d'une lueur sinistre. Barroca ravala sa salive, terrorisée. Elle avait lu des ouvrages mentionnant ces êtres, se disant qu'elle n'aimerait jamais en voir un en chair et en os. Il tenait dans sa main griffue ce qui semblait être une larve, ou du moins une chenille vorace. Plus il l'approchait du visage de sa victime, et plus la larve gigotait d'excitation. Barroca essaya de bouger, de fermer les yeux, même de hurler, mais elle ne put pas. A quelques centimètres de son oeil, la larve déploya une myriade de tentacules et ouvrit une bouche ornée de crocs acérés. De nouveau, le noir complet.
Soudain, il y eu un gros fracas, tel que Barroca fut projetée en dehors de sa prison. Elle tomba à quatre pattes sur le sol croyant se réveiller d'un mauvais rêve. Mais lorsqu'elle releva la tête, elle vit que le cauchemar ne faisait que commencer : des flammes dansaient dans chaque recoin de la pièce, des corps gisaient ça et là. Le sol vibrait sous ses mains, et il y avait une brise tellement chaude qu'elle lui brûlait presque la peau. Elle se releva reprenant d'un coup ses esprits, il fallait qu'elle trouve un échappatoire à cet enfer. La jeune femme courut vers une brèche ouverte dans le mur et sa vision devint cramoisie : son ravisseur avait visiblement débarqué en Avernus. Les images du champ de bataille dévasté qui se présentait en contrebas achevèrent de la plonger dans le désespoir.
« Vous ! »
La barde sortit de sa torpeur : une guerrière githyanki avait surgit devant elle, une épée aussi grande qu'elle brandie en avant. Elle avait des cheveux roux foncés, tressés et remontés dans un chignon, ce qui laissait son visage marqué de noir dégagé. Elle avait de grands yeux bruns, avec une pupille similaire à celle d'un chat. En croisant son regard, Barroca ressentit une vive douleur à la tête : des images de dragons, d'épées d'argents défilèrent, et enfin elle se vit dans le regard de la githyanki. Celle-ci sembla subir la même chose, se tenant soudain la tête, avant de baisser sa garde.
« Vous êtes encore vous même on dirait, du moins pour le moment. Venez, il faut qu'on trouve une sortie ».
Elle n'eut pas le temps de réfléchir et se mit à courir à la suite de cette femme. La rampe qu'elles empruntaient était sans parois, et on pouvait voir des dragons rouges virevolter dans le ciel rouge enfumé. De retour entre des murs, elles tombèrent nez à nez avec des diablotins.
« L'heure de la bataille a sonné ! » scanda la githyanki.
Elle fonça directement sur l'un des démons. La voyant se battre si vaillamment, Barroca porta sa flûte à ses lèvres tremblantes et essaya de jouer un mot de guérison. L'un des ennemis la remarqua et chargea vers elle. Elle recula et tomba assise au pied du mur, puis elle tata le sol espérant trouver de quoi se défendre et attrapa un objet métallique. Heureusement, la githyanki sauta sur le diablotin qui s'effondra en hurlant. Elles continuèrent à courir dans le vaisseau et se trouvèrent bientôt dans une salle entourée de caissons.
« A l'aide ! »
Barroca s'arrêta une minute. Il semblait qu'une autre personne avait réussi à s'en sortir. L'autre femme fronça les sourcils.
« On a pas le temps » lança-t-elle.
« S'il vous plaît ! Il doit y avoir un moyen de me faire sortir ! Regardez l'appareil à côté. »
C'était un amas visqueux de chair, comme elles en avaient vu plusieurs sur le chemin. Il y avait sur le dessus une encoche qui semblait pouvoir contenir un petit objet. Barroca regarda sa comparse qui la dévisageait avec un air menaçant. Certes la githyanki avait raison, mais elle n'avait pas le cœur à laisser quelqu'un de conscient dans cet endroit. Elle se souvint soudain de l'objet qu'elle avait ramassé un peu plus tôt. Il entrait parfaitement dans la machine qui se mit en marche dans un vrombissement. Elle sentit le parasite se dandiner dans sa tête en réponse, et une sensation d'autorité. Elle comprit qu'elle pourrait peut être s'en servir, elle se concentra et ordonna au caisson de s'ouvrir.
« Merci, je me croyais perdue ».
C'était une demi-elfe qui avait des yeux verts cernés d'ombres. Elle épousseta ses jambes, ce qui fit onduler sa longue tresse noire.
Elle jeta un regard soupçonneux vers leur compagne d'infortune.
« A ce que je vois que vous aimez fréquenter des gens dangereux ».
« Vous avez un problème avec les gith ? » répliqua la rousse. « Dorénavant vous ferez ce que je vous dis, et vous me suivrez »
« Comment ça ? Qui vous a élue chef du groupe ? »
« Kainyank »
« Heu, du calme » bégaya Barroca. « Essayons de nous entendre. »
Elles maugréèrent. La nouvelle arrivante leur fit signe d'attendre un instant et chercha quelque chose dans le caisson. Elle le mit dans sa poche, et toutes trois se remirent en route. Il ne fallut pas longtemps pour qu'elles soient de nouveau face au danger, des illithids affrontant un cambion et ses sbires.
« Esclave ! Va brancher le transpondeur neural, nous devons nous enfuir » dit l'illithid par télépathie, le regard fixé sur elles.
« C'est notre chance » dit la githyanki.
Elle fonça vers un sanglier infernal. Barroca fut paralysée, mais la demi-elfe lui fit signe de les aider. Elle le fit du mieux qu'elle le pouvait malgré son manque d'expérience flagrant dans les combats, envoyant une inspiration de barde et quelques soins. Elle faisait pâle figure à côté de ses alliées, qui se battaient comme des lionnes. Dans le chaos de la bataille, elles arrivèrent à leur objectif et la githyanki put joindre les tentacules du transpondeur. Barroca sentit un souffle brûlant, et après une énorme secousse, le sol se déroba sous ses pieds. Elle s'agrippa de toutes ses forces à une paroi, essayant de ne pas se tourner vers le précipice derrière elle, mais elle finit par lâcher prise. Elle sentit la pression de l'air sur le sommet de son crâne, l'empêchant de respirer, et elle perdit connaissance, tombant dans le vide.
