Sailor Moon Altered Destiny
Chapitre 30 – I Got Thick Skin and an Elastic Heart
« Bon, je dois y aller, confie Rei à Makoto et aux trois Shitennou présents. J'ai rendez-vous avec mon père au restaurant. »
Rei disparaît et Mako reste seule avec les Shitennou.
Mako regarde à gauche. Mako regarde à droite. À gauche. À droite. Elle arrête quand elle commence à sentir qu'elle déplace de l'air avec sa tête. Ses yeux s'arrêtent sur Jadeite parti ouvrir la fenêtre.
« Bon sang, habille-toi, Jadeite ! Ou utilise une serviette plus grande. Je vois la Lune, Mars et Mercure. »
Jadeite devient pivoine et sert les jambes puis part en marchant comme un crabe jusqu'à sa chambre.
« Bon, c'est pas tout ça, mais j'ai… mieux à faire… »
Avant que Nephrite ait pu lui parler de ce rituel dont ils essaient de leur parler depuis des mois, elle s'est téléportée et il ne reste d'elle que des volutes de poussière et quelques moutons gros comme le poing ,soulevés par son déplacement spatiale instantanée.
« Bon, ben, je vais passer l'aspirateur. »
Les trois autres Shitennou regardent leurs pieds.
« Bande d'aristocrates, va. »
oOo
Rei arrive au temple et retrouve son grand-père qui fait les cent pas.
« Je ne crois pas t'avoir jamais vu porter des habits normaux.
- Tu oublies mon justaucorps à l'époque des Black Moon.
- Le jour où ce Droid t'a utilisé comme un piñata mais aucun bonbon n'est sorti. Oui, je me souviens bien. J'ai cru que j'allais perdre la seule famille quoi me restait. »
Elle se rend compte de ce qu'elle vient de dire et que, malgré ses efforts, son détachement à l'égard de son père ne cesse de croître. Y a-t-il un lien avec leur ennemi et le fait qu'il va perdre les élections ? Cette histoire est-elle aussi écrite ? Sans vraiment s'en rendre compte, son esprit dérive pour ne pas envisager le pire. Il y a de quoi devenir folle à l'idée de savoir que chaque décision qu'elle prend peut avoir un effet papillon sur le futur. En particulier sur le sujet de son père.
Elle bifurque alors sur la seule vraie figure paternelle dans sa vie et le calendrier remontre jusqu'au collège, à l'époque du clan Black Moon Si on lui avait dit qu'un jour Koan serait une très bonne amie et sortirait avec cet homme qui avait fait partie de ses fantasmes mais surtout de sa confusion sexuelle, elle aurait sûrement dit : oui, pourquoi pas ? C'est loin d'être la chose la plus étrange qui se soit passée ici.
Son grand-père avait donc décidé de donner des cours d'arts martiaux pour redorer le blason du temple taxé dans un magazine d'être tenu par un pervers. Quand le Droid Dumble a voulu s'en prendre à son grand-mère, et malgré une cheville foulée, elle a subi les coups du monstre pour protéger son grand-père, lui rappelant à quel point elle tenait à lui malgré ses colères fréquentes contre lui. Quand l'être humanoïde a décidé, comme elle l'a si bien dit, de l'utiliser comme une piñata, elle s'est interposée, le monstre faisant une violente prise de catch sur sa cheville qui n'avait rien à voir avec les simulations de combat de Gorgeous Ladies of Wrestling. Elle l'a réprimandé sèchement, fidèle à sa phrase de présentation en tant que Sailor Mars.
« Je t'avais prévenu, non ? Tu me crois, maintenant ?
- De quoi tu parles ? Tu me traites comme un vieil homme incapable de tenir son business. »
Sûr de lui, il s'est alors relevé et a défié Dumble. Il faisait le fier mais en réalité, il était terrorisé.
« Allez, on y va ! »
Tel un Bruce Lee au rabais, il a réussi à éviter brillement un coup mais n'a pas vu venir le deuxième et sa petite fille a encore encaissé un coup pour lui. Projetés contre l'un des coins du ring de catch, ils ont senti toute la force de leur désaccord les empêchant de travailler ensemble. Lui, affichant une assurance machiste toute feinte dans une réelle volonté de servir de leurre, et elle, trop apeurée de le voir blessé, ou pire, mort, et prête à risquer sa vie en lui faisant bien sentir qu'elle le lui avait bien dit, à grands renforts d'agression passive. Si elle le pouvait, elle accompagnerait même cela d'une danse.
« Ça va, Rei ? »
S'il se doutait déjà à l'époque qu'elle était plus qu'une simple prêtresse Shinto, ses doutes se sont accrues quand ce monstre fait de force brute et portant le mot « imbécile » dans son nom s'est mis à lui mettre des coups de pieds en pleine colonne vertébrale à répétition. N'importe qui d'autre qu'elle aurait fini dans une chaise roulante. Et à réfléchir, lui aussi, quand il est venu s'écraser contre le pilier. Probablement les restes du Youma scellé en lui.
« Rei, enfuis-toi vite ' ! Tu as fait tout ce que tu pouvais !
- Hors de question ! a-t-elle insisté, têtue comme une mule, mais en gardant les yeux baissés car trop fière pour admettre ses sentiments. »
Contre toute attente, elle a alors relevé le tête et l'a regardé dans les yeux.
« Après tout, je n'ai qu'un seul grand-père. »
Les larmes perlant au bord de ses yeux, il n'a pu que répéter son nom.
Sous les ordres de Koan, Dumble a lors lancé son attaque Dumble Lariet sur le grand-père de Rei, une puissante déferlante d'énergie sortant de ses deux bras croisés puis dépliés en position d'attaque. Projeté contre le poteau et écrasé par une pression incroyable, il s'est évanoui.
Sailor Moon est alors intervenu, permettant à Rei de se transformer et repoussant l'attaque de Koan. Après une intervention de Tuxedo Kamen, elle a pu détruire le monstre mais Koan a alors choisi d'attaquer. Bouillant d'une rage qu'elle peinait à contrôler, Rei, au chevet de son père sur le ring, a quitté son grand-père en maudissant le clan Black Moon pour ses exactions.
« Mars Star Power, Make Up! »
Si les événement récents leur ont appris quelque chose, c'est que le désir de vengeance est un très mauvais moteur pour une Sailor Senshi. Toutefois, à cette époque, pas d'Omen pour leur apprendre cette leçon.
« Elle est très puissante mais je ne peux pas perdre face à elle après ce qu'elle a fait. Prends ça pour te punir de ce que tu as fait à mon grand-père »
C'est ce feu qui brûlait en elle qui lui a permis de créer l'attaque Burning Mandala et de venir à bout du Dark Fire de Koan là où son Fire Soul avait échoué. Tout le long du combat, elle ne pensait qu'à lui, sa seule famille encore en vie, car pour elle aussi, son père n'était plus. Tout comme elle avait déjà donné sa vie pour mener son combat de Senshi, elle le ferait sans hésiter pour son grand-père.
Quand Zoisite avait libéré Jiji, l'une des sept grands Youma scellés dans les Rainbow Crystals, Rei s'était retrouvé incapable d'attaquer le monstre, paralysée par la peur. Il n'était pas question d'échouer cette fois-ci, d'attendre les conseils de Luna ou de se faire sauver la mise par une autre Senshi. C'est pourquoi Tuxedo Kamen a empêché Sailor Moon de l'aider, lui disant qu'elle était capable de se débrouiller seul.
Les rapports familiaux des Hino ont toujours été malsains et, s'ils s'étaient revus quelques années auparavant et Rei et Takashi avaient tissé des liens, elle ne serait peut-être pas là en train de se remémorer de douloureux souvenirs. Ces deux confrontations les ont probablement aidé à s'accepter tel qu'ils étaient, en voulant certes changer l'autre mais en comprenant également qu'ils devaient se laisser vivre leur vie respective pour pouvoir enfin s'épanouir. Laisser le ressentiment du passé devenir de l'acceptation, la colère envers le présent devenir de l'amour et la peur du futur laisser place à de la foi, c'est la clé de l'épanouissement pour elle. Là ou son père est sa mère avait échoué, elle entend bien à présent vivre une vie qui en vaille la peine. Vivre une vie qui vaille la peine d'avoir traversé l'enfer et d'en être revenu. Et les événement qui vont survenir vont s'assurer ce cela.
Rei revient péniblement dans le présent, non sans faire un détour par un passé plus lointain qui la remplit encore de rancœur et ressentiment. Elle espère un jour transformer ses émotions paralysantes en une véritable indifférence pour pouvoir enfin couper les ponts avec cet homme toxique dont elle ne sait faire autre chose que boire le poison qui transpire de son corps.
« La téléportation fait mal la première fois sur des humains. Accroche-toi bien et ne tombe pas en poussière pendant le voyage, je n'ai jamais téléporté un doyen millénaire et je n'aimerais pas devoir te transporter dans une urne funéraire.
- Hey ! »
Ceci dit, elle n'a pas tort. Il abrite toujours en lui le démon Jiji en lui qui venait du Silver Millenium et avait été scellé dans l'un des Rainbow Crystal avant de se réincarner en lui. Il en sait peu sur son passé mais il doit avoir un lien avec les Sélénites, ou avoir un lien plus ou moins ténu avec la Lune. Ou peut-être est-il un, ce qui expliquerait son apparence physique. Elle ne peut s'empêcher de voir l'un des extraterrestres dans Toy Story vêtu d'un costume de prêtre shintoïste.
Il est temps d'arrêter de reculer pour mieux sauter Le grand jour est arrivé. Le choc des Titans. La rencontre au sommet. Les retrouvailles dans un bain de sang. Le double meurtre suicide. Elle secoue la tête et se téléporte. Ce n'est qu'un mauvais moment à passer. Jusqu'à ce que mort s'ensuive, ne peut-elle s'empêcher d'ajouter.
oOo
« Bonjour… papa. »
Ce mot lui écorche toujours autant la bouche.
« Bonjour, Rei. Bonjour… père. »
Le sentiment est mutuel. Civils mais pas cordiaux, ils se serrent la main.
« Asseyez-vous. Vous voulez boire quelque chose ?
- De l'eau…
- Plate ou gazeuse ?
- Municipale. »
Le serveur met quelques secondes à comprendre.
« Et pour vous, monsieur le ministre ?
- Un kir royal.
- Et toi, mon petit… Oh, pardon ! Monsieur…
- Un sake, suivi par une bière, jusqu'à ce que je ne voie plus mes rides ou que je monte sur la table.
- Non, corrige Rei. Il va prendre une eau plate. Avec un zeste de citron.
- Chef, oui, chef, se moque le veillard. »
Il lui a bien dit de ne pas le laisser boire. Elle ne fait que respecter sa demande. Le serveur part chercher leurs boissons.
« Tu sais que je paye ? Tu pouvais prendre quelque chose… Et… Lui aussi…
- Lord Voldemort a un nom. Personne ne semble jamais le prononcer depuis que je le connais mais il a un nom. Et je ne viens pas là pour profiter de ton argent. J'essaie de renouer le contact avec un père froid, tyranique et distant. Je ne prends pas le risotto aux champignons à chaque fois parce que j'aime ça. Tu m'as assez forcé à manger toutes ces choses que je n'aimais pas en me laissant toute la journée devant mon assiette s'il le fallait. Le risotto est juste le moins cher des plats sur la carte. Je déteste les champignons et ils me donnent des boutons mais maintenant, j'ai l'habitude de donner le change. Et un bon fond de teint. Au moins, il n'y a que la nourriture qui a un goût amer et plus mes larmes. Tu voulais faire de moi une femme forte qui sait faire semblant, c'est chose faite. »
Son grand-père serre les poings sous la table mais sourit intérieurement de la voir si forte. Takashi : 0. Rei : 1, ne peut-il s'empêcher de penser.
Tous deux se souviennent alors de ce jour où il l'a traîné par les cheveux jusqu'au temple Hino, quelques années après la mort de sa mère. Elle avait mis le feu à la cuisine et son père avait décidé de se débarrasser de sa fille. Il l'a remis à son père comme on abandonne un chiot sur le bord de la route quand il est temps de partir en vacances au lieu de prendre ses responsabilités.
Rei se remémore son enfance, quand sa mère était encore vivante. Pas de marques, pas de lunettes de soleil, pas de manches longues en pleine canicule. Papa ne frappait pas ou très peu. Il agrippait un peu fort et forçait à avancer ou il vous poussait quand vous étiez dans le chemin. Il régnait en tyran sur sa famille. À l'époque, et même encore maintenant, la société n'a pas donné de nom à ce trouble de la personnalité, ce mélange de perversion et de narcissisme.
Elle était enfant, elle ne comprenait pas. Pour elle, c'était la norme et pour autant qu'elle sache, les familles heureuses à la télévision donnaient tout leur sens au mot fiction. C'était comme ça, il fallait supporter et grandir pour ensuite rencontrer son Takashi et répéter le même cycle jusqu'à la douce libération de la mort.
Ce n'est que quand il s'est débarrassé d'elle en l'abandonnant chez son grand-père paternel quand il l'a jeté à l'arrière de la voiture où elle n'a pas eu le temps d'attacher sa ceinture avant qu'il ne démarre sur les chapeaux de roue et a fini sur le sol derrière le siège passager. Les politiciens peuvent toujours arguer que c'était une urgence pour faire disparaître les contraventions pour excès de vitesse mais il est plus difficile de justifier une femme ou un enfant battu alors, il ne faut pas laisser de marques mais plutôt des cicatrices psychologiques pour que la famille file droit. Et cette blessure quand elle a rencontré le siège conducteur, il n'aura qu'à dire qu'elle est tombé en jouant dans le jardin.
Son grand-père, le père de Takashi, s'est donc retrouvé avec une enfant à charge en bas âge qui était traumatisée par quelques courtes années de vie avec un monstre.
« Tu voulais un deuxième enfant, Papa ? Félicitations ! C'est une fille ! »
Il l'a jeté contre son grand-père. Elle a trébuché et littéralement mordu la poussière ou plutôt la boue.
À son tour, le grand-père se souvient de leur premier repas, le soir de son arrivée. Il avait mis les petits plats dans les grands et cuisiné un délicieux poulet rôti et fait des frites maison, pensant marquer des poings car tous les enfants adorent ce genre de nourriture…
oOo
« Tu ne manges pas, Rei ?
- J'attends que tu aies terminé et je mangerai ce qu'il restera. Je ne travaille pas et je ne suis pas douée à l'école, alors, il est normal que tu aies le choix du meilleur morceau, récite-t-elle, comme le lui a appris son père. »
Le vieil homme sert alors si fort sa fourchette qu'il manque de la tordre. Rei se couvre la tête. Comprenant pourquoi elle agit de la sorte, il tente de la prendre dans ses bras. Elle se raidit mais se laisse faire, le regard vide. Il arrête de suite et réfléchit quelques instants.
« Chez moi, on fait un jeu et le gagnant choisit le morceau dont il a le plus envie. »
Rei comprend et se lève.
« Je vais préparer l'alcool pour tes amis et je viendrai ensuite vous servir un en-cas. »
Elle part vers la cuisine. Il la retient. Elle se fige à nouveau, attendant la punition. Faire la chaise pendant cinq minutes ? Jeter un de ses rares jouets ? Déchirer une photo de sa mère ?
« Non, on va faire un jeu. Juste toi et moi. »
La visage de Rei affiche un sentiment intrigué.
« J'ai le droit de jouer, moi aussi ?
- Oui, sinon, ce n'est pas un jeu. »
Il sort un jeu de cartes et tire une carte.
« À toi. Si ta carte a une valeur plus importante, c'est toi qui gagne. »
Il a tiré le neuf de trèfle et elle tire le sept de cœur.
« Ah ben, j'ai perdu. »
Elle lui tend le haut de la cuisse du poulet, lui révélant par la même occasion son morceau préféré.
« Mais attends, C'est pas un neuf, c'est un six. »
Il retourne la carte pour faire croise à un six. Rei a suffisamment servi de laquais aux jeux de poker de son père pour savoir comment lire une carte mais on ne discute pas les ordres. Le vieil homme met le morceau de poulet rôti dans l'assiette de sa petite-fille.
« Bien joué. En plus, quand on tire un sept, on gagne une glace en dessert. »
Autant jouer le jeu pour éviter les ennuis. Elle coupe délicatement le poulet comme une dame de la haute société et porte le petit morceau à sa bouche. Quand il touche ses papilles, elle se met à pleurer à chaudes larmes, elle qui n'a jamais rien pu manger d'autre que le cou, les ailes ou la carcasse. Elle prend alors le morceau dans ses mains et le dévore comme une bête sauvage.
« C'est si bon que ça ? Tu sais, je t'en ferai souvent si tu aimes ça. Je connais un colonel qui en fait des seaux entiers. »
Rei lève la tête, intéressée.
« Et tu ne vas pas me forcer à faire quelque chose qui va me faire pleurer à l'intérieur pour avoir le droit de manger tes restes ? »
Le cœur déjà fragile du vieux monsieur se brise.
« Non, jamais de la vie. Par contre, je suis un vieux pervers et je reluquerai probablement tes amies.
- Je n'ai pas d'amies.
- Ça viendra, crois-moi. De grandes choses t'attendent, je peux le sentir. Tu sais pourquoi ?
- Non,
- Parce que tu vas pouvoir être toi, ici. Tu me devras le respect mais je ne l'utiliserai pas pour écraser ta personnalité et assoir mon narcissisme.
- J'ai pas compris.
- Ce n'est pas grave. Donne-toi du temps pour être heureuse. Je n'ai pas d'agenda comme mon fils. Je veux être ton parent, pas ton geôlier. Est-ce que ça te convient ?
- Oui.
- Très bien. Maintenant, je vais faire quelque chose dont tu n'as pas l'habitude et te prendre dans mes bras. Si tu ne veux pas, c'est ok. Mais dis-le-moi.
- Non, c'est bon, vas-y. Mais ne me fâche pas si je pleure.
- Jamais de la vie. Pleurer c'est triste, mais des fois, ça fait du bien. Ça nettoie le cœur. Et après, on peut être heureux à nouveau. »
Rei lui demande d'attendre une seconde.
« Ça marche aussi si on n'a jamais été heureux ? On ne peut pas redevenir ce que l'on a jamais été, non ?
- Ne t'inquiète pas, ça marche aussi. Il faut bien une première fois. Tu sais, on se relève toujours une fois de plus que l'on ne tombe. »
Il la prend alors dans ses bras. Contre toute attente, elle se laisse faire et se met effectivement à pleurer bruyamment puis à crier. Il en fait autant à l'idée d'avoir laissé se passer ses choses terribles dans la vie de sa petite fille. On ne peut pas défaire le passé mais il va s'assurer de ne pas en reproduire les erreurs.
Il essaie de lui prendre une frite lors de l'étreinte et elle se met à grogner comme un chien à qui on tente de prendre son os.
« Grand-père ?
- Oui ?
- C'est quoi un pervers ? »
Il a encore beaucoup de choses à apprendre.
oOo
Rei prend vite ses marques pour devenir une pré-adolescente aux antipodes de cet animal effrayé qu'elle était à son arrivée. Elle a beaucoup progressé mais aujourd'hui, elle l'a vu lorsqu'elle faisait les courses pour le dîner. Elle a laissé tomber son panier et couru jusqu'au temple sans regarder derrière elle. Une fois rentrée, elle n'arrivait plus à reprendre sa respiration et s'est enfermé dans sa chambre
« Rei, que se passe-t-il ? »
Les heures passent et il ne bouge pas.
« Je t'en prie, Rei, dis-moi ce qui se passe. Est-ce que je peux faire quelque chose ?
Et là, tout sort à travers les murs fins de la chambre de sa petite-fille. Horrifié, son grand-père écoute son récit de vie en serrant les poings. Trois heures plus tard, il sait tout, tout depuis les premiers souvenirs d'une Rei précoce de trois ans. Mais d'autres questions le torturent : comment Takashi en est-il arrivé là ? A-t-il toujours été comme ça ? Est-ce sa faute ? Comment Risa, sa belle-fille qu'il a vu deux fois dans sa vie, est-elle tombée entre ses griffes puis sous son couperet ? A-t-il joué un rôle dans sa mort ou l'a-t-il précipité par sa négligence ? Les choses auraient-elles pu être différentes ? Le seront-elles vraiment un jour ?
oOo
It's dangerous
To fall in love, but I
Wanna burn with you tonight
Risa s'est rapidement retrouvée piégée dans cette relation puis ce mariage. Il l'a montée contre sa famille et elle a vite fui pour se marier très jeune avec cet homme qui semblait n'avoir d'yeux que pour elle. Elle se sentait désirable. Elle se sentait désirée. Elle se sentait vivante. Il l'a tuée à petits feux.
Pourtant, comme c'est souvent le cas quand on rencontre un loup portant un costume d'humain, tout a débuté sous le feu d'une passion insatiable. Ce n'était pas sa première fois mais ce fut son premier orgasme. Ses mains, son sexe, son odeur, sa façon de prendre possession d'elle, contre cet arbre millénaire… Tout cela aurait pu lui mettre la puce à l'oreille. Cet exhibitionnisme, ce besoin constant de sexe à toute heure, ne vouloir qu'elle, sans sa famille, sans ses amis, rien que lui, comme ces vampires dans les vieux films qui referment leur cape sur vous et font de vous leur proie jusqu'à contrôler chaque minute de votre vie.
Elle aurait dû fuir mais l'amour est une série de composés chimiques qui rendent aveugle et font perdre son bon sens même aux plus sensés et particulièrement à une jeune fille en fleurs encore mineure qui découvre la vie à travers le prisme déformant d'un homme aussi toxique que narcissique.
Hurt me
Une partie d'elle qu'elle avait toujours étouffé aimait quand il la brusquait entre les draps, quand il la tenait par les cheveux tout en plongeant à chaque coup de reins plus profondément en elle quand il la faisait sienne, quand il la faisait… Non, elle refusait de prononcer ce mot qui lui ferait perdre son humanité. Il allait de toute façon se charger de faire cela pour elle.
There's two of us
We're certain with desire
The pleasure's pain and fire
Comme s'il l'avait prémédité, en quelques mois, il l'avait rendu dépendante et incapable de se sevrer. Et brusquement, la source s'est tarie et la douleur et la domination ont quitté le lit conjugal pour s'immiscer dans leurs rapports quotidiens.
Dans ses mots à lui, dans ses maux à elle.
Prise dans les griffes de cet homme qui l'exhibait comme un trophée dans la haute société de laquelle elle était issue et dans laquelle il s'était hissé en manipulant les plus grands, elle s'est retrouvée démunie, tout juste majeure à présent et aussitôt mariée. Jamais il n'a levé la main sur elle, certes, mais il lui a fait autant de marques et de cicatrices que s'il l'avait battu comme plâtre.
Deux ans plus tard, tout ce qu'elle a pu faire, la seule chose qu'elle a réussie à accomplir pour protéger une potentielle autre personne de ce monstre, c'est de prendre la pilule à son insu, utilisant les rares moments où elle était laissée sans surveillance pour obtenir le traitement contraceptif. La croyant stérile, Takashi lui a mené une vie encore plus dure, la trompant à tour de bras mais évitant bien sûr de disséminer son pollen pour ne pas engendrer un bâtard.
Burn me
Sans qu'elle le sache, il a néanmoins découvert la supercherie et remplacé les cachets par des comprimés neutres. L'effet placebo n'a bien entendu pas fonctionné et ses griffes se sont repliées un peu plus sur elle.
So come on, I'll take you on, take you on, I
Ache for love, ache for us, why
Don't you come, don't you come a little closer
Elle a sérieusement envisagé de se jeter dans escaliers pour tuer l'enfant et lui éviter de vivre ce qu'elle avait vécu. Toutefois, l'idée de peut-être devenir handicapée ou même un légume la terrifie. Elle s'imagine prisonnière de son propre corps, dépendante du bon vouloir de son mari pour chaque chose et cette pensée le rend incapable de mettre son plan a exécution. Les vomissements qui s'ensuivent ne sont pas des nausées matinales.
« Je te promets de tout faire pour que tu sois heureuse. Je prendrai tout sur moi quitte à ce que tu vives dans le déni et en viennes à considérer ta mère comme le méchant de ce conte de fées qui est devenu un film d'horreur. »
Et c'est ainsi que Risa donne naissance seule à sa fille : Rei. L'accouchement et sa santé fragile ont failli lui coûter la vie. Elle a néanmoins survécu et peut rentrer seule chez elle dans cette limousine qu'elle hait tant. Comme il était en déplacement, elle a pu passer tout son temps à s'occuper de Rei, oubliant presque qu'il reviendrait au bout de trois semaines. Trois semaines de pur bonheur. Malgré cela, le jour où il doit rentrer de son voyage d'affaires, sursaute à chaque bruit ressemblant à des pas ou à une porte qui s'ouvre. Quand elle finit par arriver à trouver le sommeil le soir, elle se dit qu'elle aura encore quelques heures de répit au réveil. Quand elle sombre enfin dans un sommeil agité et peu réparateur, il entre dans la chambre. Elle se crispe et n'ose se retourner. Il se déshabille et va prendre sa douche. Il revient ensuite et s'installe nu dans le lit.
« Tu pourrais dire bonjour ! Trois semaines et on dirait que je ne t'ai pas manqué.
- Désolé, Takashi. Rei occupe tout mon temps.
- C'est bien, ça t'occupe. Tu ne vas pas passer ta vie à lire et à regarder la télé. Les kiosques seront bientôt à court de magazines si tu continues à te tourner les pouces. »
C'est reparti. Elle en prend pour son grade, se faisant rappeler qu'elle a arrêté ses études et qu'être mère au foyer lui donne un rôle à jouer, sans quoi elle ne serait rien de plus qu'une fainéante entretenue. C'est pourtant lui qui l'a poussé à se marier avant de pouvoir avoir une carrière et qui l'a empêchée de trouver un travail en la confinant dans une cage dorée.
Il se serre alors contre elle. Son contact lui donne des haut-le-cœur. Il passe ses bras autour d'elle pour ce qui ressemble à une étreinte mais qui devient une relation sexuelle non consensuelle. Si elle dit quoi que ce soit, il le lui fera payer. En plus de la pousser demain matin pour atteindre la machine à café en lui rappelant que son travail est important et qu'il est pressé, il lui rappellera à quel point elle n'est pas désirable et combien il lui fait une faveur quand il daigne la toucher.
« Est-ce que tu peux mettre un préservatif ? Je n'aimerais pas retomber enceinte pendant que j'allaite Rei.
- Tu n'auras qu'à te faire avorter. C'est ce que tu voulais avec ce bébé, non, ne pas prendre tes responsabilités ? »
So come on now, strike the match, strike the match now
Aucune cohérence dans ses attaques. Il retourne sa veste autant de fois que nécessaire pour utiliser ses mots comme des armes. Un jour blanc, un jour noir et des milliers de nuances de sociopathie entre les deux. Takashi Hino obtient toujours ce qu'il veut. Et ce soir, il voulait du sexe. Le lit conjugal est froid depuis leur mariage, sauf quand il veut assouvir ses besoins primaux. Et puis, la stewardess dans l'avion ne lui a pas suffi.
« Et tu m'enlèveras ce truc de la chambre. Ça n'a rien à faire ici. »
Elle se demande s'il parle du berceau ou de sa fille.
We're a perfect match, perfect somehow
We were meant for one another, come a little closer
Il fait son affaire puis tourne le dos à sa femme et s'endort rapidement. Risa se lève alors et pousse le lit à roulettes dans une des chambres vides. Takashi n'a même pas aménagé de chambre pour sa fille comme si elle n'était qu'une voyageuse de passage. Elle installe le lit et s'assoit par terre à côté d'elle. Elle sort un petit lapin en peluche de sa poche.
« Tiens, Rei, c'est pour toi. Garde-le précieusement. Tu n'auras pas beaucoup de jouets et ton père ne me laissera pas t'en acheter. C'était mon doudou quand j'étais enfant et je l'ai toujours laissé sur mon lit jusqu'à ce que je quitte le domicile familial. C'est la plus grosse erreur que j'ai faite dans ma vie, ce mariage. »
Elle regarde plusieurs fois derrière elle et sur sa gauche, du côté de la porte, pour vérifier qu'il n'était pas là en train d'écouter. Elle soupire de soulagement. Elle s'est laissée aller et ce genre de choses peut lui valoir des jours entiers de remontrances de la part de son mari. De quoi lui couper l'appétit complètement et affaiblir un peu plus son esprit et son corps au bord du burnout.
« On peut arguer que je n'aurais pas dû te laisser venir au monde dans cet environnement empoisonnée mais tu sais, tu es la plus belle chose qu'il m'ait été donné de contempler. J'ai peut-être été égoïste de ne pas me jeter dans les escaliers pour faire une fausse couche ou peut-être monter sur le toit et sauter. Parfois, j'ai l'impression que c'est la seule façon de me défaire de lui : mourir, m'enfuir ou le tuer… »
Elle se rend compte de l'intensité de ce qu'elle vient de raconter à un nouveau-né et se décide de communiquer sans parler. Les traumatismes seront légion dans cette famille, nul besoin d'en rajouter. Risa passe son index dans la main minuscule de Rei et la sent se resserrer. C'est alors qu'elle se met à sangloter mais se force à arrêter de suite car ses soubresauts risqueraient de la réveiller et les pleurs attiseraient la colère de son père qui, même s'il est l'antéchrist, a besoin de se reposer.
« J'espère que Rabbit te protègera autant qu'il m'a protégée. Malheureusement, il ne protège pas de ton père. Même la plus puissante des amulettes ne protège pas du mal incarné. »
Étrangement, c'est bien un lapin maladroit et pur avec une amulette surpuissante qui changera sa vie du tout au tout et la protègera du mal, lui permettant enfin d'être heureuse. Risa lui raconte comment sa mère est morte quelques années après son départ et qu'il l'a convaincu que c'était la faute de son père et qu'elle ne devrait pas aller à l'enterrement. Il a encore une fois réussi à l'isoler en prétendant vouloir son bien. Elle regarde sa petit main qui la tient comme si sa vie en dépendait et vide encore un peu son sac.
« Un jour, tu verras, on s'enfuira toutes les deux. Pauvres mais riches de nos expériences. Pauvres mais heureuses. »
Elle en a encore trop dévoilé. Bientôt, Rei répètera (à défaut de comprendre) les propos de sa mère et son père la montera contre elle. Il faut qu'elle tourne sa langue sept fois dans sa bouche mais la fatigue l'emporte dans un sommeil peu réparateur, le visage collé contre les barreaux.
C'est dans cette position que Takashi la retrouve le lendemain matin.
« Qu'est-ce que tu fais là ? Va dormir dans le lit.
- Je suis allé lui tenir compagnie, elle a encore du mal à s'endormir.
- Tu veux qu'elle devienne une assistée incapable de faire quoique ce soit de ses dix doigts comme toi ? Laisse-la s'endormir par elle-même ou elle ne grandira jamais.
- Très bien, je retourne dans le lit. »
Puis tout bas, elle ajoute :
« Grandir ? Vraiment ? Elle a trois mois. Elle ne fait que ça, grandir. »
C'est tout ce qu'elle peut faire avec lui. Ne rien dire et murmurer des diatribes assassines à son égard ou avoir des conversations avec lui quand elle est sûr qu'il n'est pas là, réconfortée (ou non) par le fait que les servants et employés de maison ne feront rien même s'ils l'entendent mais qu'ils ne l'aideront pas non plus à se relever si elle tombe ou ne lui donneront même pas un pansement si elle se coupe car Takashi les terrifie mais ils se tiennent tranquille car ils gagnent très bien leur vie.
Elle se lève, embrasse sa fille et part dans la chambre.
« J'ai faim, se plaint Takashi. »
Qu'une chose soit claire : il n'a absolument pas faim. Il souhaite juste assoir un peu plus sa domination.
« Je vais demander au cuisinier de te préparer quelque chose.
- Oui, pourquoi se fouler quand les servants sont là pour faire les choses pour nous ? »
Sans même prendre la peine de lui répondre et en se gardant bien de soupirer, elle part en direction de la cuisine. Trop salé, trop riche, aussi insipide que ses formes, café brûlé jeté contre le mur et bien d'autres, elle sait qu'il n'aimera pas ce qu'elle lui prépare et qu'il finira par partir petit-déjeuner en ville en lui signifiant qu'elle lui a fait perdre son temps par son absence de talents culinaires.
« Mais bon, je ne t'ai pas épousé pour tes qualités de femme d'intérieur sinon, je serais déjà parti depuis bien longtemps. »
Trop bonne, trop conne. Si elle n'est rien de ce qu'il recherchait chez une femme, pourquoi l'avoir embringué dans cette cage dorée qu'il suffit de gratter un peu pour révéler ce cuivre qui laisse des tâches de vert-de-gris sur la peau quand on nous appuie le visage sur son sol métallique en toc froid et dur. Ô combien elle aimerait qu'il la quitte mais il est bien trop puissant et il obtiendrait la garde de Rei qui n'aurait plus personne pour la protéger de ses assauts.
« Je t'attends pour manger ce soir ?
- Non, j'ai rendez-vous avec un potentiel mécène pour ma campagne. »
Il voit donc une quelconque professionnelle ce soir dans un love hôtel sordide. Tant mieux, elle aura la paix. Si elle lui a demandé de se protéger hier, ce n'était pas pour éviter une grossesse mais pour éviter encore de se faire sermonner et prendre pour une fille aux mœurs légères par son docteur quand elle ira faire traiter une énième maladie ou infection sexuellement transmissible.
Flame you came to me
Fire meet gasoline
Fire meet gasoline
I'm burning alive
Et pourtant, elle l'aime encore.
I can barely breathe
Telle une victime du syndrome de Stockholm, elle se refuse à fuir avec sa fille sous le bras. L'a-t-il convaincu qu'elle était prisonnière et qu'elle n'avait aucune chance de s'échapper ou bien se complait-elle dans ce luxe sans oser se l'avouer ? Elle n'est plus sûr de rien. La vie, comme la nourriture, n'ont plus aucune saveur. Seule cette lueur dans les yeux de Rei l'empêche de perdre toute espoir et de se suicider. Son rire la ramène des limbes du désespoir. Ses pleurs lui font entrevoir cette vide rude qui l'attend. Elle lui faudra absolument devenir forte pour survivre à cet enfer. Parle-t-elle de Rei ou d'elle-même en pensant cela ? Oui, c'est exactement cela.
oOo
C'est ainsi que les jours passent. La stratégie consiste à supporter ses attaques constantes quand il est là et d'espérer qu'il s'agisse d'un jour où elle doit servir de femme-trophée et non de femme-objet ou de femme violée. Ou mieux, qu'il s'agisse d'un jour où il doive aller exercer ses fonctions de ministres des affaires étrangères dans un autre pays et planter son dard dans une quelconque greluche au rabais. Elle regrette ce mot car elle n'a rien contre toutes ses femmes sur lequel son mari passe. Elle n'est le moins du monde jalouse mais plutôt soulagée et un peu dégoûtée d'utiliser indirectement le corps de ses femmes pour pouvoir tisser des liens avec sa fille.
C'est en effet dans ces moments-là qu'elle peut créer de véritables liens avec son enfant. Il lui suffit de faire semblant quand il est là et d'être elle-même (un peu) quand il est absent. Dit ainsi, cela semble si simple, comme si vivre avec Takashi était simplement une corvée de plus, comme laver les sols compulsivement deux fois par jour ou astiquer la salle de bain à la javel à s'en détruire la peau pour ne pas provoquer le courroux de son mari.
I can barely breathe
When you're here loving me
Toutefois, les années passent et bientôt, elle est en mesure de lui répondre. Et quand il rentre, il faut le saluer sinon la sanction est terrible.
« Attends, Papa, j'ai pas fini de regarder l'épisode. »
Takashi sort la cassette du magnétoscope et tire la bande pour la rendre impossible à regarder. Rei se met à pleurer et court mettre des coups de poings sur la jambe de son père.
« Non non non non ! T'as pas le droit de faire ça ! Méchant ! Vilain-pas-beau ! »
Risa a tenté de courir vers sa sa fille mais le mal est fait et le démon est libéré. Il est loin le temps où elle pouvait désamorcer ce genre de situation avec de la dérision et de l'humour. Il a tué cette part d'elle. Elle se retrouve à assister en spectatrice à une punition cruelle. Il prend le nouveau doudou que lui avait acheté sa mère quand elles étaient seules dans la mesure où son père avait jeté l'ancien, prétextant qu'il était dégoûtant tellement elle le mâchouillait, et le jette par la fenêtre. Rei court tenter de la récupérer et sa mère à juste le temps de la cramponner pour éviter qu'elle ne se défénestre.
Fire meet gasoline
« Va dans la chambre au fond du couloir et réfléchis à ce que tu as fait. Tu es privée de dîner. »
Encore cette chambre nue n'offrant qu'un bureau, une chaise et un lit aux draps si légers qu'elle doit dormir comprimée sous le drap-housse pour ne pas greloter.
Fire meet gasoline
Mais quand il n'est pas là, tout change. Avec sa mère, elles font des tas de choses amusantes. Des pique-nique dans le jardin (ou dans le salon quand il pleut), des batailles d'oreillers, des gâteaux… Quand cela se produits, Rei croit tout simplement qu'il s'agit d'une récompense pour avoir été sage. Tout cela lui semble être la norme. C'est tout à fait normal d'être punie quand on est une mauvaise fille qui devrait avoir honte de ses actes. Elle ne mesure pas à quel point les punitions sont cruelles car elle n'a pas de modèles autre que celui du foyer familial. Elle vient d'entrer à la maternelle mais elle n'a pas d'amis et n'a jamais été invitée dans une famille normale pour jouer avec une de ses amies ou pour passer la nuit. Son père les a tellement isolées elle et sa mère qu'elle a accepté cette vie comment étant celle qu'elle aura toute sa vie.
« Tu veux lécher la cuillère ?
- Non, je veux lécher le saladier. »
Elle met sa tête dedans et salit son visage et ses cheveux. Sa mère la regarde avec tendresse. Quand Rei relève la tête, elle prend un peu de pâte sur ses doigts et trace deux traits sur chacune des joues de sa mère.
« Regarde, tu es une indienne comme dans le film qu'on a regardés. »
Risa met sa main sur la bouche plusieurs en imitant ce pseudo chant indien que font les enfants quand ils jouent aux cowboys et aux indiens. Rei en fait autant et elle danse autour de la table avant d'éclater de rire. Risa regarde sa main et voit qu'il y a un peu de sang dessus. Elle la met vite dans la poche son tablier et l'essuie pour ne pas inquiéter Rei qui pose le saladier de pâte au chocolat donc elle vient de boire une grande partie du contenue comme si c'était un chocolat chaud.
« Maman, j'ai envie de vomir. »
Risa a tout juste le temps de la prendre sous le bras et de courir aux toilettes.
« Que j'en ai marre de cette maison aux allures de manoir. Où est le skateboard quand on en a besoin ? »
Trop tard. Il y en a partout. Ce qui était un moment de complicité devient une source de peur indicible pour Risa. Elle court à la salle de bain pour trouver de quoi nettoyer Rei puis court dans la cuisine chercher de quoi nettoyer la moquette et le mur. Si ce n'est pas impeccable, il le lui fera payer. Il a renvoyé tous les employés de maison parce que, d'après ses dires, elle peut au moins faire ça vu qu'elle est un parasite de la société qui vit à ses crochets. La maman tendre et attentionnée disparaît pour être remplacée par une femme terrifiée qui sait qu'elle va subir les conséquences de ses actes s'il reste ne serait-ce qu'une trace de vomi.
« Maman, moi aussi, je vais nettoyer, déclare Rei en prenant son chiffon. »
I got all I need
When you came after me
Risa le lui arrache des mains.
« Non, Rei. C'est maman qui nettoie ! crie-t-elle un peu plus fort qu'elle ne l'aurait voulu. Tu as fait assez dé dégâts. Va jouer dans ta chambre, s'il te plait. »
Rei croise les bras et la regarde en boudant.
« Va dans ta chambre ! »
Elle n'a pas sitôt levé le ton qu'elle le regrette. Elle ne vaut pas mieux que lui. Rei part en courant et claque la porte de sa chambre. Takashi apparaît alors en haut des escaliers.
« C'est quoi ce boucan ? Je t'ai déjà dit de ne pas courir dans la maison, Rei ! Et on ne claque pas les portes. »
Il voit alors sa femme en train de nettoyer le mur comme si sa vie en dépendait et quelques empreintes de mains d'enfant sur les murs faites de pate à gâteaux.
Fire meet gasoline
I'm burning alive
Elle voit le fil se dérouler mais ne peux rien faire pour empêcher la père de famille de punir de façon disproportionnée sa fille en dégondant la porte de sa chambre et en frottant ses mains et son corps sous la douche comme on astiquerait une casserole sous une eau brûlante. Dire qu'elle lui avait promis qu'elle lui éviterait de subir les vicissitudes du caractère de son père. Elle a échoué en tant que mère.
Laver le mur. Il faut laver le mur. Encore et encore. Jusqu'à une heure du matin, elle lessive tout le couloir. Il ne se contentera jamais d'un morceau de mur. Quand elle vient se coucher, il dort déjà. Elle le regarde et se fait la remarque qu'il serait si facile de mettre un coussin sur son visage après une de ses soirées bien arrosée. Il lui semble que le seul moyen d'être libérée de lui est la mort, sous quelque forme que ce soit. C'est comme s'il la tenait enchaînée par se simple existence. Un lien invisible et indestructible qui se resserre chaque jour un peu plus autour de sa gorge sans jamais abréger ses souffrances.
And I can barely breathe
Sa vue se trouble et alors qu'elle vomit une grande quantité de sang, elle perd connaissance et s'ouvre le front en tombant sur le cadre du lit. Takashi a pris un valium avec un verre de vin donc, il ne se réveillera pas. C'est Rei qui découvre la scène le lendemain quand la faim qui le tenaille la pousse à entrer dans la chambre de ses parents dans laquelle elle n'a normalement pas le droit d'entrer. Elle hurle quand elle voit les draps tâchés de sang et sa mère inconsciente, la tête reposant sur les pieds de son père.
When you're here loving me
La plus grande peur de Risa n'est pas de mourir. Elle sait qu'elle va mourir. Elle le sent. Sa plus grande peur, c'est de laisser Rei seul avec ce monstre. Si seulement sa famille ou le père de son mari faisait encore partie de leur vie, elle aurait un endroit où s'échapper quand tout va mal. Ce dernier vient bien lui rendre visite une fois mais entre tout de suite en conflit avec son fils. Quand il vient saluer Risa avant de partir, elle attrape son kimono aux épaules.
« Je vous en prie, ne la laissez pas seul avec lui. Il finira par la rendre folle. Il va la briser. »
Elle le secoue et se met à tousser du sang sur son haut blanc
« S'il vous plaît, vous êtes sa seule chance. »
L'infirmière présente prend ses mains et les pose sur le lit. Elle redresse son lit et lui donne un haricot pour cracher le sang. Le père de Takashi se recule, ne sachant quel degré de divagation est à attribuer aux opiacés…
« Il va la tuer… lâche-t-elle entre deux quintes de toux carmin et malgré les larmes. Il va la tuer. C'est un monstre. Un monstre ! »
L'infirmière lui demande de sortir. Le regard furieux de son fils ne lui échappe pas et il se demande si les paroles de sa belle-fille n'étaient qu'un délire de femme droguée par ses anti-douleurs ou la vérité d'une femme mourante prise au piège de d'un mari violent. En quittant le chambre, il aperçoit sa petite fille qu'il n'a jamais rencontrée auparavant. Les jambes repliées sur le torse, elle lui fait l'effet d'une coquille vide, un pantin sans fils, une spectatrice de sa propre vie incapable de comprendre ce qui se passe. Il quitte l'hôpital comme on éteindrait un de ces épisodes fous et improbable de Dallas ou Dynasty. Tout semble faux et surfait et ses peurs et ses projections ne l'aident pas à y voir clair. Vaincu, il est incapable de l'approcher et finit par partir avant qu'elle l'ait vu.
oOo
Rei a pu découvrir l'étendue de la méchanceté pure et simple de son père depuis qu'elle vit seule avec lui. Elle préférerait dormir par terre à l'hôpital que dans son lit si cela pouvait lui éviter de le subir dans toute sa décadence. Elle a peur constamment. Elle fait tout ce qu'il lui dit mais à la moindre incartade, il lui fait payer au centuple son erreur. Elle est devenue une de ces poupées dociles et bien élevée doté d'une petite capacité d'enregistrement sur laquelle sont programmées quelques politesses. Entre « Oui, papa » et « Tu as raison, c'est me faute », elle a perdu cette étincelle que sa mère maintenait péniblement en vie, telle une vestale. Cette étincelle qui devrait être sacré pour son père mais qui n'a que faire de ces états d'âme. Il n'est pas là pour jouer à la maison.
À ce titre, il ne la laisse que rarement voir sa mère et bien souvent, il reste dans la pièce les empêchant de parler comme elle le souhaiterait. Risa décide donc de lui écrire une lette qu'elle envoie au père de Takashi en espérant qu'il acceptera de mettre ses griefs de côté pour la lui remettre. En temps et en heure. À la différence de Risa, le courrier pourra attendre que Rei soit en mesure de prendre du recul sur son enfance et de voir le tableau dans son ensemble. Risa, malheureusement, sait bien qu'elle n'aura pas cette chance.
oOo
Contre l'avis du médecin et en débit de tout bon sens, Takashi décide de continuer l'hospitalisation chez eux. Il fait aménager une chambre médicalisée mais spartiate dans leur logement et loin de la sienne.
Être seule ne lui fait pas si peur. Ce qui la terrifie au plus haut point, c'est de devenir un légume et de ne pas mourir. Voir son esprit devenir prisonnier de son propre corps et devoir subir pour le restant de ses jours sa relation avec son mari. Le voir maltraiter Rei sans jamais lever la main sur elle et en faire une enfant soumise incapable de se défaire de son emprise qui deviendra politicienne parce qu'il a bloqué toutes les voies lui permettant de s'épanouir. Toutefois, vouloir que la maladie l'emporte signifie bien sûr abandonner Rei mais l'alternative lui glace tellement le sang qu'il lui arrive d'envisager de se lever, d'ouvrir la fenêtre et de se défenestrer purement et simplement pour être sûr de lui échapper. Elle ne sait pas toutefois si elle parviendrait à marcher jusqu'à la fenêtre tellement cette maladie fulgurante a progressé.
Seule dans son lit médicalisé, dans cette chambre qu'il utilisait jusqu'à il y a peu pour punir Rei, il lui faut sangloter au silence pour ne pas alerter sa fille. Elle se met un oreiller sur le visage sur lequel elle appuie un peu trop fort et un peu trop longtemps mais ne parvient pas à prendre sa propre vie, comme s'il l'en empêchait par sa simple présence dans la maison. Ses griffes sont autour de son cou mais elles ne se referment jamais assez fort pour prendre la peu de vie qui reste en elle. Et trois semaines plus tard, sa maladie l'emporte. Ses dernière pensées sont pour Rei. Incapable de parler, elle envoie comme une prière à une quelconque puissance supérieure qui voudrait bien l'intercepter.
« Je vous en supplie, qui et où que vous soyez… Un jour, elle aura besoin de moi et je veux pouvoir l'aider. J'errerai le temps qu'il faudra sur cette terre sans jamais trouver la paix s'il le faut… Prenez mon âme après ça, je n'en ai que faire. Je n'ai pas besoin de trouver le repos. Seul Rei m'importe. »
Elle s'éteint alors, une expression étrange sur le visage, mélange d'inquiétude et de détermination. Elle n'est clairement pas en paix avec elle-même, ce qui n'étonne pas Rei le moins du monde. Il n'empêche que c'est la dernière image qu'elle a sa mère et ce visage torturé reste gravé dans sa mémoire.
oOo
Bien des années plus tard, Risa parvient à prendre contact avec Rei, littéralement en train de passer une épreuve du feu. Elle savait que Rei avait une belle destinée qui l'attendait mais elle pensait que c'était le lot de toute mère d'être convaincue de cela pour sa progéniture. Toutefois, elle n'aurait jamais pu imaginer cela, même dans ses rêves les plus fous. Ou ses cauchemars. Quelle mère souhaiterait cela à son enfant de connaître autant de combats étalées sur plusieurs vies et comprenant plusieurs morts dans le passé, le présent et le futur ? Son combat contre Omen lui est particulièrement insoutenable. Elle ne peut s'empêcher de se demander si elle était également sa mère dans son ancienne vie. Étaient-ils tous les quatre des Martiens ? Était-il le même salopard dans cette autre vie ? Son grand-père l'avait-il sauvé. Sa romance avec Sailor Venus était-elle écrite également dans les étoiles ? Elle a gagné une certaine clarté après sa mort mais elle ne trouve malheureusement aucune de ses réponses. Elle a néanmoins suivi Rei comme son ombre après sa mort.
Après avoir enfin pu aider sa fille comme elle le lui avait promis à sa naissance, elle trouve enfin le repos, certaine de laisser Rei entre de bonnes mains. Amis, famille, amour.
Avant cela, Rei a toutefois vécu un enfer sans sa mère pour jouer les zones tampon. Cette vie qui n'en était pas une a-t-elle forgé ce caractère bien trempé qui a d'abord dû être adouci pour lui permettre de devenir cette majestueuse guerrière en uniforme. Mais franchement, la personne qui a conçu ces costumes n'avait pas à cœur l'avancement du droit des femmes.
Alors qu'elle rejoint un autre plan d'existence, Risa se souvient de toute ce qu'elle a vu après sa mort sans jamais pouvoir intervenir.
oOo
Le jour de l'enterrement de Risa, agacé de la voir pleurer et renifler et partir en courant vers des étrangers venus assister aux funérailles en qui elle a plus confiance que son père, il lui fait porter des chaussures trop petites pour l'empêcher de gambader. Bien oublieux qu'il la renvoie à l'école le lendemain des funérailles, elle se retrouve les pieds blessés et écorchés par ses chaussures habillées d'il y a un an qu'il avait achetées quand il la paradait comme un trophée, les rares fois où il semblait se souvenir qu'il avait un enfant. Il ne fait pas grand cas de l'éducation de son enfant tant qu'elle obtient les meilleures notes et domine le reste de la promotion. Il sait qu'il pourra faire d'elle un pion politique en l'envoyant dans de grandes écoles quand il sera temps et ça lui suffit. Et si cela signifie l'envoyer suivre son cours d'éducation physique avec des pieds à peine capables de marcher et un cœur si lourd qu'il semblait la ralentir dans chacun de ses mouvements, c'était un risque qu'il était prêt à prendre ou simplement ignorer pour assoir un peu plus son autorité.
« Tiens-toi droite, bon sang, lui assène-t-il quand elle passe la porte au retour de l'école.
- Oui, papa. »
Elle boîte le moins possible et part couvrir de pansements ses pieds infectés. Elle entreprend ensuite de se relever pour ouvrir quelques minutes le fenêtre car son père, frileux, met toujours le chauffage trop fort. Elle oublie d'éteindre le radiateur et la porte qui claque à cause du vent alerte son père qui arrive d'un pas rapide. Il est trop tard, elle n'aura pas le temps de refermer la fenêtre mais il lui faut au moins fermer le radiateur. Elle se lève et trottine comme un canard boiteux jusqu'au radiateur et finit de tourner le bouton quand il entre. Des sueurs froides lui coulent dans le dos et ce n'est pas à cause de la bourrasque.
« Ça coute cher le chauffage. Combien de fois vais-je devoir te dire d'éteindre le chauffage quand tu ouvres la fenêtre. Si tu as si chaud que ça, tu n'as pas besoin de couette. »
Fire meet gasoline
Il arrache la couette du lit et ne lui laisse que son drap-housse. Il s'assure que la fenêtre reste ouverte alors qu'il bloque le robinet du radiateur pour l'empêcher de chauffer la pièce quand il aura le dos tourné. Rei n'a d'autre choix que de dormir toute habillée et d'enfiler son pyjama par-dessus son uniforme et de s'enrouler dans le drap-housse comme une momie en se cachant sous le lit. Toutefois, pas une larme. C'est la vie. C'est comme ça. Il a définitivement brisé son esprit. Elle a appris à vivre sans libre arbitre et sans liberté de mouvement.
Takashi est un marteau. Rei est un clou.
Il l'oublie si souvent, à l'école ou à la maison, qu'elle apprend vite à prendre le bus seule sans se faire remarquer pour ne pas alerter les autorités et risquer d'entacher la précieuse carrière de son géniteur. Pour ne pas mourir de faim, elle apprend à cuisiner. Cela va bien sûr de pair avec un nettoyage en profondeur de la cuisine pour éviter les représailles et le cadenas sur le réfrigérateur. Si seule sa mère lui a dit qu'elle ne devait pas utiliser la gazinière seule et que sa mère n'est plus de ce monde, et que son père semble ne faire cas d'elle que quand il a besoin d'elle pour faire avancer sa carrière, alors, elle choisir de se donner le droit de jouer avec le feu. Il faut bien qu'elle mange pour ne pas mourir à son tour et pouvoir servir les intérêts de son père. Il y beaucoup de nouilles ramen dans on alimentation mais elle se risque parfois à faire des œufs au plat, son petit pêché mignon. Sa mère lui faisait des petits-déjeuners américains quand elles étaient toutes les deux. Et du poulet rôti. Avec des frites. Mais tout ça, c'est terminé, il n'y a que des aliments de base dans le frigo et il a renvoyé tous les servants.
Ce jour-là, elle sait que son père va rentrer tôt alors elle met le feu un peu plus fort. La graisse crépite un peu trop et saute avec la température et vient toucher la flamme du brûleur qui vient lécher le manche de la poêle. Rei se brûle et a un mouvement de recul qui retourne l'ustensile et enflamme toute la plaque de cuisson et rapidement, le plan de travail en bois exotique et les rideaux au-dessus de l'évier.
Rei est tellement fascinée qu'elle en oublie et sa brûlure et jusqu'à son instinct de survie. Les flammes semblent lui parler et elle entrevoit une vie qui vaut la peine d'être vécue alors que le symbole de sa planète se manifeste sur son front et une scène se dessine dans le feu.
Burn with me tonight
Il disparaît toutefois rapidement quand elle est violemment projetée sur le sol par une gifle de son père. Il n'avait jamais levé la main de la sorte sur elle auparavant. Il l'a brusquée, secouée, lui a hurlé dessus si fort en tapant du pied et des poings dans les murs qu'elle en a tremblée aussi fort que les murs mais il ne l'a jamais frappé. Son premier châtiment corporel.
« Je vais t'apprendre à mettre le feu à mon appartement. »
Et pas le dernier.
« Je te hais, Takashi. J'aimerais que tu ne sois pas mon père.
- Le sentiment est mutuel. »
Il éteint le feu avec l'extincteur et l'attrape comme un sac de pommes de terre et se rend dans la cour où il la jette sur le siège arrière de son énorme berline. Elle n'a pas le temps de mettre sa ceinture qu'il démarre sur les chapeaux de roue et elle est projetée sur le tapis de sol derrière le siège passager. Son front se fend et se met à saigner. Arrivés devant le temple, il la sort de la voiture en la tirant par les cheveux. Arrivé devant cette personne qui se révèle être son grand-père, il la pousse contre ce vieil homme qui ne parvient pas à la rattraper et elle tombe, face contre terre dans boue d'un lendemain de pluie de la grande cour intérieure du temple.
« Tu voulais un deuxième enfant, Papa ? Félicitations ! C'est une fille ! Elle ne te décevra pas comme moi, elle adore le feu. Une vraie pyromane. Elle vient de mettre le feu à ma cuisine. Allez, dégage, je ne veux plus te voir. »
Il tourne les talons et s'en va en jurant et en clamant à qui veut l'entendre qu'il n'a plus de fille.
oOo
« Qu'est-ce que je peux faire ? demande-t-il à Rei alors qu'ils reviennent tous les deux dans le présent.
- Arrêter de soulever les jupes de mes amies ?
- Tu ne préfères pas une licorne ou la paix dans le monde ? »
Rei éclate de rire. Quel changement comparé à son arrivée il y a quelques années !
« Tu m'as écouté et tu m'as cru, ça me suffit. J'ai essayé d'en parler avant d'arriver eu temple mais personne ne m'avait cru à l'école. Tout le monde pense que c'est une bonne personne et j'essaie d'y croire encore mais il ne me contacte même pas. Il ne m'envoie même pas une carte pour mon anniversaire. »
Elle hésite puis demande :
« Est-ce qu'il ne m'aime plus ? Est-ce qu'il ne m'a jamais aimé ? »
Des larmes roulent sur ses joues. C'est Rei. Elle peut passer de la joie aux larmes en quelques instants. Elle se jette dans ses bras.
« J'aimerais croire qu'il y a une rédemption possible pour mon fils mais chaque fois que je le contacte, il est un peu plus froid et un peu plus méchant avec moi. J'aimerais que tu puisses avoir une relation avec lui et je t'empêcherai jamais d'en avoir une mais j'ai peur que tu retombes sous sa coupe si tu le revois maintenant.
- Je suis d'accord, acquiesce-t-elle d'une voix tremblante. Et toi… est-ce que tu m'aimes ?
- Plus encore que toutes les petites culottes du monde.
- Beurk. »
And we will fly
Ce jour-là, Rei a ouvert son cœur et dévoilé son passé et tissé des liens bien plus forts avec son grand-père qu'avec son père.
C'est ainsi que les années passent jusqu'à ce que Rei devienne Sailor Moon. Elle découvre que son père était Jiji, l'un des sept grands Youma abritant un Rainbow Crystal. Elle le protège aussi souvent qu'elle peut, de lui-même et des divers monstres et démons, intérieurs ou non. Elle n'est plus la même Rei mais il sait qu'elle cache et refoule cette partie fragile d'elle-même. Il espère qu'elle trouvera un jour quelqu'un à qui donner ce trop-plein d'amour maladroit et vociférant.
« Pourquoi tu regardes autour de toi, comme une fouine ? »
Vociférante. C'est bien le mot. La comparaison lui a échappé.
« Oh tout va bien, j'ai cru voir quelqu'un que je connais et j'aurais été obligé d'aller faire des courbettes.
- Toi, faire des courbettes ? Qu'est-ce que tu caches ? »
C'est alors qu'elle voit l'enregistreur caché sur les genoux de l'homme qui dîne à la table à côté d'eux. Son sang ne fait qu'un tour et très vite, l'idée de l'indifférence est bien loin, remplacée par de la rage, du ressentiment et de la haine.
« Des paparazzi ? Vraiment ? Un scoop, c'est tout ce que je suis pour toi, hein ? »
D'un mouvement de tête, elle fait comprendre aux journalistes de venir autour d'elle. Elle se retrouve vite noyée sous une marée de micros et les questions fusent sous les flashs qui l'éblouissent.
« Pourquoi êtes-vous avec le député Hino ? »
« Pourquoi renouer le contact après tant d'années ? »
« Pourquoi avez-vous coupé les ponts si longtemps avec votre père ? »
« Recherchez-vous votre quart d'heure de gloire pour sauver votre temple ? »
« Utilisez-vous votre statut de Sailor Mars pour votre avancement personnel ? »
Like smoke darkenin' the sky
Elle se racle la gorge et répond :
« Un jour, j'ai failli mettre le feu à notre cuisine. Ça n'a pas plu à mon père et il m'a largué chez mon grand-père après m'avoir traîné dans la boue par les cheveux et jeté à l'arrière de sa voiture sans ceinture. Vous voyez cette toute petite cicatrice sur mon front ? J'ai rencontré le siège du conducteur quand il a démarré sans ma laisser mettre ma ceinture pour ensuite me traîner littéralement dans la boue et de me larguer chez mon grand-père comme un chien qu'on abandonne avant de partir en vacances. Il n'a repris contact que quand mon identité de Sailor Mars a été révélée pour obtenir des voix et être élu Premier ministre. »
Elle marque un temps d'arrêt.
I'm Eve, I wanna try
« je soutiens Jun'ichiro Koizumi et son parti. Je refuse toute association avec le député Hino autre que les malheureux liens du sang qui nous lient et nous lieront toute ma vie. Il fut un père absent, négligent et violent et il n'a aucune légitimité en tant que candidat au poste de Premier ministre. De par ses mœurs et ses fréquentations "professionnelles", il est toutefois le digne successeur du Premier ministre actuel. »
Takashi Hino brise la flute à champagne qu'il serre si fort. Il se lève en faisant crisser sa chaise et rejoint sa limousine en cachant son visage et en refusant toute interview. Avant d'entrer dans la limousine, il regarde Rei et passe son index sur sa gorge. Il ne veut bien sûr pas la tuer, il n'est pas un mafieux mais il vient de lui faire comprendre qu'à son tour, il refuse toute association avec Rei Hino et que le temple n'y survivra pas.
Rei sent un poids se lever. Peu importe de quoi sera fait l'avenir, si avenir il y a, au moins ,elle sera libre de ses mouvements.
Take a bite
Là, devant les paparazzi, elle se demande à voix haute pourquoi elle a voulu renouer une relation avec lui. Ah mais oui ! Pour sauver le temple…Quelle idée ! Après tout, le temple a peut-être fait son temps. Il est hors de question de redevenir cette personne manipulée et portant des œillères convaincue que cette terreur psychologique étrangement couplée à de la négligence est une relation père/fille normale. C'est terminé.
« Mon père maintient à flots notre temple depuis des années et il agite son argent au-dessus de ma tête comme une carotte. Non. Comme une épée de Damoclès. Je tiens à ce temple qui m'a donnée une vie là où chez moi, j'étais dans une cage dorée où mon père me maltraitait et n'avait que faire de moi car je ne pouvais rien apporter à sa carrière. »
Elle fixe les nombreuses caméras.
« Maintenant que je pourrais l'aider à devenir Premier Ministre, il agite son carnet de chèques pour sauver le temple Hino et je devrais venir en courant et le laisser m'utiliser. Jamais de la vie. Si je tiens à ce temple comme à un membre de ma famille, je ne peux pas et ne veux pas dépendre d'un soi-disant parent qui ne veut pas mon bien. »
Il a gagné. Cette fois-ci, il lui est devenu indifférent.
Minako qui devait la rejoindre et qui est bien sûr en retard arrive à ce moment-là et entend ses paroles. Elle court se jeter dans ses bras et lui avoue combien elle est fière d'elle.
« Je te suivrai où que tu ailles. Je suis à cent pour cent derrière toi. »
Elle l'embrasse alors sous les flashs des photographes. Les chaînes de télé n'en manquent pas une miette. Rei ne peut s'empêcher de se souvenir de leur première fois, de sa première fois et frissonne légèrement, victime consentante d'un mélange d'excitation sexuelle et d'adrénaline.
So come on now, take the match, strike the match now
« Parce que mes parents ne me l'ont pas souvent dit, je ne cesserai de te le répéter : je t'aime, Rei. »
Rei plonge dans ce regard qui n'a d'yeux que pour elle.
« Parce que mon père ne me l'a jamais dit, je ne cesserai de te le répéter : je t'aime, Minako. »
We're a perfect match, perfect somehow
Beaucoup de passants font le grimace et huent mais une large partie de la foule, d'âges, et de milieux sociaux différents, applaudit et siffle pour montrer son approbation. Les ailes de leur costume de Senshi apparaissent alors. Elles lévitent alors quelques secondes, créant une légère brise qui, en entraînant la poussière ambiante sous le feu des flashs, donne l'impression qu'elles sont entourés d'étoiles, en plein milieu du firmament.
We were meant for one another, come a little closer
« Je suis sur un petit nuage. »
Minako fait signe à Rei de regarder vers le bas.
« Au propre comme au figuré. »
Elle sourit et enfouit sa tête dans le cou de Minako. Si le monde s'écroulait maintenant, elle pourrait se faire une raison. Elle serait triste pour ses amis, pour le monde, mais elle se ferait une raison car elle se sent comblée comme jamais auparavant. Elle a connu trois tournants dans sa vie, trois pivots qui soutiennent son existence et lui permettre d'être heureuse et de vivre la vie telle qu'elle est : quand elle a baissé sa garde avec son grand-père, quand elle a rencontré Usagi et là, ici et. maintenant. Vire l'instant présent ? Une nouveauté pour elle.
oOo
Le soir arrive bien vite quand on se perd dans les yeux de celle qu'on aime. Toutefois, a peine une heure après s'être endormie, Rei se réveille brusquement, en sueur, et pousse un cri qui réveille Minako et son grand-père qui accourt.
Il entend Minako lui parler et décide de se contenter d'écouter. Il subirait probablement une lobotomie avec une paire de talons-aiguilles s'il entrait.
Flame you came for me
Fire meet gasoline
Fire meet gasoline
« Rei ! Rei ! C'était un cauchemar. »
Elle la prend dans ses bras mais Rei se raidit, comme avec son grand-père, bien des années auparavant. Minako relâche son étreinte. Rei s'en veut mais tout contact humain lui est insupportable tant qu'elle n'aura pas repris le contrôle de sa réalité. Elle se souvient de la technique enseignée par l'esprit de sa mère et remet peu à peu les pieds sur terre. Elle prend les mains de Minako dans les siennes.
I'm burning alive
« Excuse-moi, je faisais une crise de panique. J'ai rêvé de mon passé. Mon père m'avait enfermé dans un placard à balais sous l'escalier. Comme quoi, J.K. Rowling n'a rien inventé. J'étais effrayé, il y avait des araignées et il faisait noir et il m'a laissé là jusqu'à ce que j'admette que je méritais pas de sortir tant que je n'aurais pas refait mon examen de mathématiques et obtenu une note de plus de quatre-vingt-quinze sur cent. Je suis resté dans ce placard pendant quinze heures et depuis, je panique quand j'en rêve et je suffoque comme si j'avais utilisé tout l'air dans la pièce. »
I'm burning alive
Minako écoute attentivement.
« Ma mère était tellement jalouse de moi qu'elle a saboté ma tenue pour une audition quand j'avais douze ans. Je me suis retrouvé en sous-vêtements devant les juges et plus personne ne m'a ensuite pris au sérieux. J'étais tellement humiliée que j'ai tout fait pour quitter la maison. J'ai fugué deux fois puis je suis parti étudier à Londres un an en pensionnat en faisant du chantage à ma chiffe molle de père pour signer les papiers d'émancipation sans l'accord de ma mère. »
Rei la regarde, éberluée.
« Tu sais, ce n'était pas un concours pour savoir qui avait eu l'enfance la pire.
- Certes, mais si c'était le cas, crois-moi, c'est moi qui gagnerais. »
Elles éclatent de rire.
« Et le prix, c'est quoi ? Une vie de relations amoureuses ratées et la peur de l'autre ? demande Minako.
- Oui… Si on n'avait pas rencontré Usagi, je ne sais pas où on en serait…
- On ne serait pas mortes deux fois mais on aurait jamais vécu. »
I can barely breathe
When you're here loving me
Elles soupirent. Un soupir long de signification. Minako entreprend ensuite de lui raconter son enfance et sa vie jusqu'à ce qu'elle quitte le foyer familial en octobre dernier, peu après la révélation de leur identité. Elles se renvoient la balle et les larmes coulent, les voix se brisent mais rien ne reste caché, comme entre Rei et son grand-père par le passé. Le grand-père de Rei sanglote lui aussi, mais silencieusement, pour pouvoir continuer à écouter. La conversation continue une bonne heure puis la source se tarit.
Fire meet gasoline
Fire meet gasoline
« Est-ce que tu as peur de ses représailles ? demande Minako.
- Qu'est-ce qu'il va me faire ? Me couper les vivres et me déshériter ? »
Elles éclatent de rire… puis soupirent à nouveau.
« Non, je n'ai pas peur, reprend Rei. Depuis que je suis en couple avec toi, toutes mes peurs ont disparu.
- Tout pareil. Depuis que j'ai emménagé chez toi, j'ai l'impression d'avoir trouvé un foyer. Et depuis que j'ai admis mes sentiments pour toi, j'ai l'impression que ma vie a un sens. Non pas que j'ai besoin d'une relation pour valider mon existence dans les conventions de ce monde, mais entre ça et ma carrière, je me sens épanoui et sereine. »
I got all I need
When you came after me
Il lui aura fallu vingt-et-un ans mais Rei a enfin enterré ses démons et va pouvoir commencer à vraiment s'épanouir. Et si cela l'amène à quitter ses fonctions de miko parce que le temple ferme, qu'il en soit ainsi.
Fire meet gasoline
I'm burning alive
And I can barely breathe
When you're here loving me
« Je t'aime, Rei, chuchote-t-il pour ne pas être découvert et finir défenestré. Je suis fier de toi.
- Moi aussi, je t'aime, grand-père. Je suis fière d'être ta petite fille.
- Comment tu…
- Tu es la seule chose qui grinces plus que cette maison, vieil homme. Je t'ai entendu arriver à des kilomètres. Je m'attendais presque à ce que tu me donnes une épée et que tu me dises que c'est dangereux de partir à l'aventure sans équipement.
- Nyah nyah nyah ! »
Fire meet gasoline
Burn with me tonight
Elle lui tire la langue tout en sachant pertinemment qu'il ne peut pas le voir et il lui fait sa plus belle grimace avant de partir en bougonnant, avec un sourire énorme sur les lèvres. Tout ira bien, il en est convaincu. Bon, il va falloir trouver des fonds pour renflouer le compte temple et faire quelques travaux avant l'hiver, mais qui sait ? Il y aura peut-être un tremblement de terre ou un incendie qui leur permettra de toucher l'argent de l'assurance…
But it's a bad bet, certain death
But I want what I want and I gotta get it
When the fire dies, darkened skies
Hot ash, dead match, only smoke is left
Il sent alors quelqu'un le frôler. Il est pourtant seul. Il entend alors le rire d'une Rei très jeun et la voit courir après un papillon en riant. C'était la première fois qu'elle se laissait aller à exprimer ses émotions devant lui et être une enfant. C'est son pouvoir de divination à lui. Il peut voir des images du passé et du futur des lieux dans lesquels il se trouve, mais il n'en a aucune idée.
Encore son esprit qui lui joue des tours, se dit-il, mais cela ne lui déplaît pas. Il la voit dévaler le couloir en vélo alors qu'il la poursuit avec sa serpillère en pestant. Puis vient son retour avec son diplôme de collège puis de lycée. Puis il voit son fils, la mine renfrognée, en train de s'énerver parce qu'il ne veut pas reprendre le temple. Il le voit claquer la porte après l'université. Puis il le voit au fond du couloir, tel qu'il est maintenant et Sailor Mars marche calmement vers lui, le regard vide et éteint. Il passe ses bras autour de son cour et commence à serrer. Elle laisse tomber sa broche sur le sol et quitte le temple, recouverte de rubans rouges enflammées qui se consument et tombent sur le sol qui s'enflamment. Elle a l'apparence de Rei mais semble être une coquille vide. Takashi affiche un rictus déformant son visage alors qu'il prend à son père sa raison de vivre.
It's a bad bet, certain death
But I want what I want and I gotta get it
When the fire dies, darkened skies
Hot ash, dead match, only smoke is left
Il s'évanouit alors, incapable de gérer ce pouvoir qui vient de surgir en lui, et se cogne violemment la tête contre la porte de la chambre de Rei qui sort, sa broche à la main, convaincu qu'il s'agit d'un monstre.
oOo
« Tout va bien, M. Hino. Il semblerait que ce soit dû au surmenage mais pas de troubles cardiaques ni d'insuffisance rénale ou hépatique. Il y a par contre une hypocalcémie qui pourrait expliquer les hallucinations surtout si, comme vous le dites, vous vous démenez pour ne pas perdre votre temple. Nous avons mis sous perfusion mais il vous faudra beaucoup de repos, du calcium contenant de la vitamine D3 en comprimés trois par jour pendant un minimum de trois mois et, pour être sûr, un bilan psy pour éliminer l'hypothèse d'une maladie psychiatrique qui pourrait être la cause de ce que vous avez décrit. Cela reste très peu probable car si c'était le cas, nous aurions probablement dû vous restreindre et vos propos n'auraient aucun sens.
- Et puis, il essaie de voir la couleur de votre culotte dans vos souliers vernis donc il ne doit pas aller si mal que ça. »
Rei l'aveugle en mettant ses deux doigts dans les yeux de son grand-père.
« Mais bon apparemment, cela n'a pas lieu d'être car vous n'en portez pas.
- Pas de quoi ?
- De sous-vêtements, confirme Rei. »
Le docteur croise les jambes et s'éloigne rapidement.
« Et après, c'est moi qu'on traite de pervers… »
Flame you came from me
Une fois qu'ils sont seuls, un grand silence s'installe.
« Rei… J'ai une lettre de ta mère à te remettre. »
Elle le regarde comme s'il était redevenu Jiji.
« Pourquoi seulement maintenant ? Depuis combien de temps tu l'as ?
- Elle me l'a envoyé de l'hôpital, peu avant que ton père ne la fasse sortir de l'hôpital contre avis médical. Je ne l'ai rencontré que deux fois. Quand ton père me l'a présenté et l'a épousée dans la foulée et à l'hôpital quand elle m'a supplié de t'aider. Elle avait écrit d'attendre que tu sois sorti des griffes de ton père ou tes vingt ans. Ta mère se doutait qu'il faudrait des années et qu'attendre la majorité serait une bonne chose.
- La majorité est à vingt ans, grand-père. J'ai eu vingt-et-un ans le dix-sept avril. »
Il met ses deux mains sur son crâne luisant en leur donnant une forme arrondie de chignons.
« Hé hé ? Oups ? tente-t-il en imitant Usagi. Non, plus sérieusement, j'attendais que tu t'ouvres sur ton passé mais même quand tu l'as fait, je sentais qu'il fallait attendre. Hier soir, quand j'ai écouté…
- Espionné.
- Quand mes oreilles ont trâiné.
- Pendant plus d'une heure…
- Tu la veux ou pas cette lettre ? Ta conversation avec Minako était la dernière pierre et je savais que c'était le bon moment.
- Oui, enfin, tu as failli l'emmener dans la tombe… ajoute-t-elle, sarcastique et plein d'inquiétude.
- Si tu m'en veux, je comprendrai. Je n'ai pas fait ça pour couper un peu plus les liens avec ta famille. Cette lettre t'aurait peut-être aidée auparavant, je m'en rends bien compte mais je voulais que tu aies un certain degré de paix intérieure avant de te la remettre. Je l'ai toujours sur moi depuis qu'elle me l'a envoyée depuis son lit d'hôpital. Ton père la gavait de morphine pour qu'elle se tienne tranquille et je peux imaginer combien il lui a été difficile de ma la faire parvenir. S'il m'était arrivé quelque chose hier, tu aurais pu ne jamais la trouver.
- J'aurais fait pareil, grand-père. Tu as raison, j'avais encore trop d'espoir quant à la relation avec mon père et j'aurais peut-être mis en doute la parole de ma mère pour essayer de sauver dans mon esprit le parent encore en vie. Les choses arrivent pour une raison. Quand mes pouvoirs m'ont testée, j'ai fait une crise de panique extrêmement violente comme j'en fait beaucoup depuis la révélation de nos identités et encore plus depuis que j'ai failli mourir sous les coups d'Omen. »
Fire meet gasoline
Fire meet gasoline
I'm burning alive
Il baisse la tête, honteux. Il le sait mais il n'a pas su comment l'aider et n'a jamais pu intervenir, paralysé par sa propre culpabilité.
« J'avais peur du feu à ce moment-là. Je suis la guerrière de Mars, une ancienne Vestale durant le Silver Millenium gardienne du feu sacré et la Senshi du feu. Maman m'est apparue et m'a appris comment elle faisait pour lutter contre ses propres crises de panique. Je n'en ai plus fait jusqu'à hier soir quand j'ai rêvé de lui. Mais tout va bien. Je sais comment leur faire face et je comprends pourquoi tu as agi de la sorte.
- Merci, Rei. Ma plus grande peut serait de te perdre. Et une plus grande peur encore serait de te perdre et de te voir retomber dans ses griffes. Cette peut a disparu hier. Le point culminant a été de dire ses quatre vérités à ton père mais c'est aussi et surtout ta relation amoureuse. Tu étais littéralement et figurativement une fleur en bouton qui s'est ouverte. »
Rei a une petite mine de dégoût. L'image est certes voilée mais elle est en train de parler de sexe avec son grand-père.
« J'ai fait plusieurs photocopies de la lettre au cours des années au cas où elle se dégrade trop mais je ne l'ai jamais lu. C'est l'original que je porte sur moi. Je l'ai perdu plusieurs fois, notamment lorsque je suis devenu Jiji ou les nombreuses fois où les monstres m'ont pris pour une piñata parce que je suis petit et râblé mais je l'ai toujours retrouvée. »
Rei semble perplexe.
« Je te promets que je l'ai pas lue.
- Non, c'est pas ça. Ton kimono n'a pas de poches. Tu la gardais où cette lettre ?
- Ne regarde pas sous ce caillou, Rei. »
Elle ferme les yeux et tend la main à l'aveuglette.
« Donne-moi la lettre. J'irai me purifier sous une cascade ensuite. Ou tremper ma main dans de l'acide. »
Elle prend la lettre et l'ouvre d'une main tremblante.
« Rei,
Comme tu le sais, je souffre beaucoup et j'espère que ce que j'écris sera lisible et aura du sens. Je profite d'une accalmie et d'un esprit clair pour écrire ces mots au plus vite et les faire poster par la seule infirmière qui semble avoir un tantinet d'intégrité et n'a pas accepté l'argent de ton père.
J'ai tellement de colère en moi de ne pas pouvoir vivre et t'emmener loin de lui. J'ai encore plus de colère de ne pas m'être enfui avec toi mais il m'avait tout pris : mon présent, la chance d'avoir un futur, une carrière, ma carte d'identité et mon passeport et ma volonté de me défendre et de me rebeller. Il avait fait de nous deux des animaux de cirque sans volonté de s'échapper et tout juste capables de survivre.
Et maintenant, il est trop tard.
Tu vas devoir le subir seul. Je prie le ciel ou une quelconque force bienveillante qui te permettra de t'éloigner de lui. J'espère que tu pourras un jour me pardonner de ne pas avoir été la mère que tu méritais. Je t'aime tellement mais j'ai échoué dans mon rôle de protectrice. Nos moments seuls toutes les deux me donnaient la force de me lever chaque jour mais il sapait tellement toute forme de joie que je n'arrivais jamais à profiter de l'instant présent parce que je savais qu'il allait rentrer et je sursautais à chaque bruit… Tu n'aurais pas su faire un gâteau même si ta vie en dépendait mais je mangeais chaque pâtisserie que tu préparais parce qu'ils étaient plein d'amour inconditionnel et d'ingrédients improbables. Ils avaient le goût de tes sourires et de tes éclats de rire et même tâchés par mes larmes, ils étaient les plus délicieux des mets, plus encore que tous ces plats gastronomiques dans ces restaurants où ils nous trainaient pour faire croire au monde que tout allait bien.
Je ne suis plus là, c'est une évidence mais j'aime à croire que j'ai pu veiller sur toi après ma mort. J'espère que tu as trouvé ta voie, ta voix et l'amour qui te manquait dans cette maison froide.
Je sais que si tu lis cette lettre, c'est que tu as pu grandir et prendre tes distances. Ou tout du moins, j'espère que tu pourras le faire à partir de maintenant. Ne laisse personne te dire qui tu es ou ce que tu dois être. Aucun homme ni aucune femme n'a le droit de te contrôler. Tu ne peux qu'être Rei. Tous les autres sont pris.
Risa.
Elle lui remet alors la lettre.
« Tu es sûre ?
- Oui. »
I can barely breathe
When you're here loving me
Il la lit attentivement. Il se souvient alors de sa première rencontre avec Risa.
oOo
« Père, je te présente Risa. Nous sommes fiancés. Je quitte la maison et mes fonctions de prêtre shintoïste. »
Devant lui se tient son fils, à genoux et une jeune femme aux long cheveux noirs qui semblent aussi confuse que lui.
« Félicitations ?
- C'est une question ou une affirmation ?
- C'est tout à la fois, mon fils. Il y a une seconde, tu étais célibataire et prêtre et maintenant, tu es fiancée à une inconnue qui a l'air de tomber des nues et je ne sais pas… Caissier chez McDonald's ? Je ne m'oppose aucunement à ce que tu quittes tes fonctions et que tu fasses ta vie mais de quoi allez-vous vivre ? Elle a l'air bien gentille mais elle n'a pas l'air d'avoir inventé le fil à couper le beurre. Pourquoi ne pas rester ici quelques temps jusqu'à ce que tu trouves un bon emploi (ou un emploi tout court )et lui laisser, je ne sais pas, finir sa croissance ? Tu pourrais reprendre tes études et… »
Takashi commence à serrer des poings.
Fire meet gasoline
« Et d'une, je n'ai pas besoin de ton approbation. Et de deux, je n'ai jamais arrêté ma scolarité. J'ai fait des études de commerce par correspondance avec l'argent que m'a laissé maman à la sortie du lycée. J'ai été recruté par un chasseur de têtes dès que j'ai eu mon diplôme. La société me paye trois fois le salaire minimum et me propose un appartement de fonction. »
Le père tombe des nues. Il a toujours su son fils froid et quelque peu calculateur et manipulateur mais là, ça dépasse tout. Il remarque alors la valise au fond de la salle. Il observe alors Risa qui frotte ses mains sur ses genoux, pleine d'anxiété. Takashi est un véritable marionnettiste.
« Risa, c'est bien ça ?
_ O… Oui…
- Enchanté.
- De même.
- Vous vous connaissez depuis longtemps ?
- Neuf mois.
- Je vois. C'est aussi précipité que le départ de mon fils., ne peut-il s'empêcher de commenter, acerbe et blessée dans son orgueil. »
Takashi se redresse brusquement, tendu.
« Si je ne me sentais pas constamment jugé quand je fais des choix différents de ceux que tu veux pour moi, je n'aurais pas à me cacher pour faire ma vie. Je n'aurais pas l'impression d'être un raté parce que je ne deviens pas prêtre shintoïste et je n'aurais pas été obligé de prendre de l'adderall pour faire nuit blanche sur nuit blanche pour faire mes études en secret. Tu sais quoi ? »
Il se relève brusquement et attrape Risa par le bras, le lui tordant pour la forcer à se relever.
Fire meet gasoline
« J'en ai fini avec toi, avec cette vie. J'ai un appartement, un emploi, une femme. Je n'ai pas besoin de ça dans ma vie, commente-t-il en désignant le temple et cette vie d'un mouvement circulaire du bras. Je suis venu ici par simple politesse. On doit le respect à ses parents mais on n'a pas choisi de venir au monde. Je suis toutefois majeur alors le respect s'arrête ici. Je pars. Adieu, papa. Merci pour tout. Merci de m'avoir permis de me construire en dépit de mon éducation. Je n'ai jamais émulé tes valeurs et je te demande de garder tes distances. »
Il s'approche de son père qui pense qu'il va l'étreindre. Au lieu de cela, il lui serre le main bien plus fort que nécessaire et lui tourne le dos. Alors qu'il part, une larme roule sur la joue de ce père pris au dépourvu, perdu et envahi par un sentiment d'échec. Et de la peur. De la peur pour son fils mais aussi de la peur pour Risa. Il lui semble entrevoir des images de quelqu'un lui ressemblant courant dans le temple et d'entendre un rire qui semble donner vie à ce temple, mais aussi une ombre à la forme vaguement humaine qui l'empêche de respirer et semble s'immiscer dans es poumons comme un avertissement et venir engouffrer l'espace tout entier. Le monde tout entier. L'univers tout entier. Ça lui arrive des fois. Imagination trop fertile, sans doute. Il aurait dû écrire de la fiction dans son jeune âge, il aurait peut-être pu faire fortune et donner une vie plus décente à son fils. Ou pas.
oOo
Takashi avait toujours un pied dehors. Il mangeait toujours au bord de la table en laissant une jambe sortir comme s'il voulait déjà repartir, comme s'il voulait être ailleurs. N'importe où mais ailleurs. Sitôt fini de manger, il repartait s'enfermer dans chambre pour travailler.
C'est avec ce sentiment d'échec que ce père est devenu grand-père sans rencontrer sa petite-fille avant qu'elle soit suffisamment grande pour qu'il soit un étranger pour elle. Puis il a vu son enfer de l'intérieur, sans pouvoir rien faire jusqu'à ce que sa vision d'une mini Risa courant dans les couloirs du temple ne devienne réalité. Une Rei heureuse, pas encore épanouie mais avec un sourire. Un sourire timide bien souvent triste et mélancolique mais un sourire quand même. Le début d'un long chemin où la survie a peu à peu laissé place à la vie.
Dans ses visions du lieu dans lequel il se trouve, il a vu Rei engouffrée dans des flammes, encore et encore. Il a craint pour sa vie jusqu'à ce qu'il la surprenne un jour en train de transformer en Sailor Mars. Il a ensuite compris pourquoi sa vie s'était déroulée ainsi. Tout avait été écrit pour lui donner ce feu ardent qui en a fait cette jeune adulte, sa petite fille chérie et caractérielle, qui se tient devant lui dans cette chambre d'hôpital. Son passé ferait fondre le cœur de glace le plus dur mais sans cela, elle serait pas celle qu'elle est aujourd'hui. Et qui serait Sailor Mars si elle n'était pas Rei Hino ? Et qui serait Rei Hino si elle n'était pas Sailor Mars ?
« Tu sais, Rei. Je n'ai plus rien à t'apporter. Je t'ai donné tout ce que je pouvais. Je pense que la boucle est bouclée.
- Je t'interdis de dire ce genre de choses. Tu ne vas pas mourir…
- Mais qu'elle est vilaine ! Je n'ai jamais dit que j'allais mourir. Juste que je crois avoir fait le travail de parent que ton père n'a pas fait, que ta mère n'a pas pu mener à terme à cause de sa maladie et que je n'ai pas suffisamment fait sur mon fils pour qu'il soit heureux. Maintenant, c'est toi, ta petite amie Minako et tout ton cercle d'amis qui êtes cette famille dont vous avez besoin pour vous tirer vers le haut et non plus vers le bas comme beaucoup de vos histoires personnelles l'ont fait toutes ces années. Tu t'es construit en dépit de ton passé. Ou grâce à ton passé. Je ne sais pas quelle est la bonne formulation car elles sont toutes les deux connotés mais elles portent toutes les deux une part de vérité. Je t'aime et je suis fier de toi comme jamais je n'ai été fier de quelqu'un. »
I got all I need
When you came after me
Rei regarde ses pieds, rougit, et lui met un coup de poing dans l'épaule.
« Les stéréotypes LGBT ne vont pas avoir la vie dure, avec toi.
- Mon côté tsundere qui ressort ?
- Hmmm… Si tu veux. »
Elle éclate de rire.
« Au moins, on sait ce que tu apporteras avec toi au deuxième rendez-vous…
-Hé ! »
oOo
Rei passe la nuit avec son grand-père et ne dort pas une minute. Au cas où. Elle tient sa main toute la nuit durant jusqu'à ce qu'il soit autorisé à sortir. Elle n'est pas son père et il n'est pas sa mère. Il est hors de question qu'il sorte contre avis médical.
Ils rentrent ensemble au temple le lendemain matin. Sitôt arrivée, Rei part prier et s'endort presque aussitôt devant le feu sacré. Elle se réveille bien des heures plus tard, en nage. L'espace d'un instant, elle ne sait plus faire la différence entre le rêve qui se termine et la réalité. Elle se rend vite compte que la course de relais couru en tenue de Sailor Mars contre Rubeus et Mimette dans un corps de fille de huit ans est probablement un rêve et que…
« Oh mon dieu, qu'est-ce que j'ai fait ?! »
Fire meet gasoline
I'm burning alive
Elle a fait le belle, elle a défié son père. C'était beau, c'était grandiose mais maintenant, son stress est tel qu'il l'a réveillé et elle ne pense qu'à une chose. Elle se rend en chaussettes à l'avant du temple et ouvre la boîte à donations. Mille, deux mille, trois-mille… Cent, deux-cents, trois-cents. Un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept. Trois mille trois cent cinq yens. Elle secoue la boîte au cas où un billet serait coincé et regarde à l'intérieur. C'est alors qu'elle aperçoit un récépissé de virement scotché au fond de la boîte pour un montant de dix millions de yens.
And I can barely breathe
Folle de rage, Rei court jusqu'au téléphone et appelle son père sur sa ligne privée, se retenant tout de même de déchirer le bout de papier parce que bon, on parle tout de même de dix millions de yens.
« Tiens donc, je croyais que tu ne voulais plus avoir affaire à ton géniteur…
- Tu m'ôtes les mots de la bouche. Pourquoi cette donation de dix millions de yens dans ce cas ? Tu veux quoi en échange ? L'âme de mon premier enfant ? Le sang d'une vierge ? »
Il éclate de rire.
« Tu crois franchement que je vais te donner un centime après le tort que tu m'as fait et tous les sponsors que j'ai perdus pour ma campagne à cause de ta crise d'adolescence tardive ? Et puis, tu crois franchement qu'on laissera les deux broute-minous adopter la gothique à travers leur amie scientifique ?Toi et ton temple, vous pouvez bien devenir un cratère fumant. Je n'ai plus de fille. Je te déshérite. Adieu. »
Il raccroche. Rei inspecte alors le bordereau et regarde le nom de l'émetteur.
« Mekate Inc. »
Il pourrait s'agir d'une manipulation de leur ennemi. Une simple recherche sur Internet l'amène sur le site Web ce cette entreprise. Elle tombe des nues.
« Mekate Inc.
Mugen Towers
Sankakuka, Mugenzu
Tokyo »
When you're here loving me
Très drôle. Mekate… MEioh, KAioh et TEnnoh. Les bras lui en tombent ainsi que la preuve du virement, révélant un message au dos.
« Le récépissé est pour vos impôts et pour la forme. Nous avons versé l'argent directement sur le compte qui régit le temple. Nous avons plus d'argent que nous ne pourrions en utiliser dans toutes nos vies passées et présentes. Laisse-nous te donner un coup de main. De toute façon, si tu nous le rends, on le remettra sur le compte jusqu'à ce qu'on t'ait à l'usure.
Haruka, Michiru et Setsuna »
oOo
Le Néant est ravi. Il n'a même pas eu besoin d'envoyer ses généraux.
Fire meet gasoline
Burn with me tonight yeah
Un peu de désapprobation des badauds ne fait que mettre plus en avant ce mouvement d'acceptation de leur sexualité. Ce qui l'inquiète, c'est cette symbiose qui leur a littéralement donné des ailes. On dirait que leurs pouvoirs et leurs facultés sont en évolution lente mais constante depuis qu'il a organisé la libération de Chimaera, comme s'ils se préparaient à son attaque qui aura lieu après le référendum et le rituel.
Burn with me tonight
Burn with me tonight
Burn with me tonight, eh eh
Rei a précipité un peu plus la défaite de son père, assurant la victoire du candidat qui précipitera ce futur dont il a besoin pour ériger Crystal Tokyo et précipiter la perte des pouvoirs de Sailor Moon. Il n'aura alors plus qu'à se baisser pour cueillir cette maudite fleur de cristal et arracher ses pétales un à un.
« Elle m'aime un peu, beaucoup, passionnément, à la folie, pas du tout. »
Le dernier pétale de la fleur tombe et il écrase ce qu'il en reste du pied.
« Et ensuite, je m'occuperai de toi, Usagi Tsukino. Même la Lueur d'Espoir ne pourra plus rien pour toi quand j'en aurais terminé avec toi. Je ne suis même pas sûr qu'elle te reconnaîtra. »
À suivre…
Le titre du chapitre vient du fait que j'avais choisi une autre chanson au départ et je coinçais pour écrire certains passages qui manquaient à ce chapitre. Quand je me suis souvenu que ce n'était pas cette chanson que j'avais choisi mais plutôt Fire Meet Gasoline, tout a été plus facile et rapide et le chapitre a vraiment pris toute son ampleur. J'ai aussi envisagé d'utiliser Desert Rose de Sting. Mais qui sait, je l'utiliserai peut-être pour une autre Senshi…
Miguel NOCHAIR
