Chapitre 4

Elle mit en place un plan. On pouvait le résumer en une phrase : faire réagir Snape. S'il avait pu, ne serait-ce qu'un peu sentir sa présence, alors il devrait pouvoir la voir, à un moment ou un autre. Elle n'avait aucune piste réelle, aucune idée de la méthode à employer. Étant typiquement Gryffondor, elle y alla sans aucune subtilité. Ce n'était pas le moment d'en faire. C'était celui de se montrer, de prouver à un homme parfois horrible mais tout de même une personne, qu'elle existait bel et bien. Son existence ne se terminerait pas par une mort seule et sans mémoire.

Devant la porte de la salle de Snape, elle ne prit pas la peine de toquer, personne ne viendrait lui ouvrir, et elle entra. Il était là, assis devant son bureau en train de corriger une montagne de copies. Il releva la tête en voyant la porte s'ouvrir.

"Qui est là ? Grogna-t-il."

Il plissa les yeux, cherchant du regard ce qui avait bien pu ouvrir cette porte.

Elle s'avança vers lui.

"Monsieur, pouvez-vous me voir ?" demanda-t-elle prudemment.

Un silence lui répondit alors que Snape se leva pour aller refermer la porte. Bien, il ne pouvait toujours pas la voir, ni l'entendre, ni quoi que ce soit d'autre pour interagir avec lui.

Elle fit le tour de la salle, écoutant le bruit de la plume gratter sur le parchemin. Elle étudia les bocaux remplis de formol et de restes d'animaux, d'insectes conservés dans cette substance verdâtre. Des chaudrons étaient empilés au fond de la salle près de l'évier permettant de les nettoyer. Sur une autre étagère, il y avait des livres de potions de toutes les classes, datant parfois de plusieurs années. Puis, elle s'approcha du bureau, regardant par-dessus l'épaule de Snape. Les élèves n'allaient pas être très heureux demain en récupérant leur travail. Ce n'était pas pire que d'habitude au moins. L'homme enchaînait les Trolls et mettait sur un ou deux essais un A, à contrecœur.

Tout à coup, il releva la tête vers Hermione. Elle crut d'abord qu'il la regardait, ses yeux analysant la situation, il fronça les sourcils et de petites rides se formèrent sur son front, mais comme la dernière fois, son regard passa à travers elle. Comme s'il ressentait un peu sa présence à nouveau. Il détourna le regard et se remit à travailler.

Elle s'éloigna un peu et alla s'installer à une table. Pendant plusieurs minutes, elle le regarda simplement. Puis elle commença à percevoir ces petites choses qu'elle n'avait jamais pu voir auparavant, n'ayant jamais pu fixer Snape sans qu'il ne fasse une remarque. Elle fut d'abord étonnée de son allure décontractée, une chemise noire simple. Elle avait bien plus l'habitude de le voir dans sa robe boutonnée jusqu'au cou. Ses manches étaient remontées, et elle pouvait voir la Marque des Ténèbres sur son avant-bras encore visible bien que devenue brumeuse et grisâtre. Elle remarqua son air fatigué, ses yeux entourés de cernes bleutées. Il avait pourtant l'air plus vivant que toutes les années précédentes, moins malade, simplement bien plus fatigué. Elle le voyait lutter contre la fatigue, ses yeux se fermaient tout seuls. "Pourquoi n'allez-vous pas dormir ?" se demanda-t-elle. Elle observa longtemps la cicatrice de son cou. Celle-ci dépassait de sa chemise puis remontait le long de sa jugulaire jusqu'à son oreille. Sa peau était encore rose et distendue à cet endroit, et plusieurs fois, il vint passer son doigt dessus, retenant un frisson. Ses épaules étaient courbées et tendues, son écriture saccadée. "Allez dormir, monsieur," pensa-t-elle.

Elle se demanda ce qu'il penserait s'il savait qu'elle le regardait comme ça. Pendant encore quelques instants, elle profita du silence relatif de la salle. Enfin, elle s'entendit commencer à parler.

"Vous allez me prendre pour une folle, monsieur, mais j'espère que vous me remarquerez. Vous ne l'avez jamais fait pendant 7 longues années, alors pourquoi est-ce que cela arriverait maintenant ?" Elle eut un rire triste et reprit. "J'ai toujours voulu que vous me voyiez. Que vous appréciiez mon travail, mes efforts, tant de temps gâché sur des essais pour que rien n'en sorte à part quelques remarques négligées. Mais maintenant, monsieur, j'ai besoin que vous me voyiez. Il le faut. Il faut que vous me montriez que j'existe, que ce n'est pas que dans ma tête, que tout ce que je vis est réel. J'en ai vraiment besoin. Vous qui pouvez lire en n'importe qui, lisez en moi. Je vous en prie. Regardez-moi."

Une larme coula doucement sur sa joue.

"Je sais que je vous en demande encore beaucoup, que vous avez déjà vécu pire que ma situation. Mais, je ne vais pas y arriver. Vous êtes le seul à avoir réagi, ne serait-ce qu'un peu. Vous êtes le seul..."

Elle se leva, le tabouret grinça au sol. Le bruit strident lui fit serrer les dents.

"Peeves, je ne sais pas ce que tu as traficoté, mais je vais aller chercher le Baron. Alors montre-toi." S'énerva-t-il plus franchement cette fois.

"Ce n'est pas Peeves, monsieur. C'est simplement moi."

Elle se leva et s'apprêta à sortir.

"Je trouverais un moyen. Bonne soirée, monsieur."

"Bonne soirée." Entendit-elle répondre.

Elle se retourna. Lui avait-il répondu ? Ce ne devait être qu'une hallucination car rien dans son comportement n'indiqua quelque chose, il n'avait pas bougé d'un centimètre. La tête toujours penchée sur son travail.

Elle finit par sortir, triste de ce nouvel échec.

N'abandonnant pas son projet de trouver quelqu'un qui la remarque, elle continua de chercher. Elle suivit Snape un peu partout, se faufilant derrière lui. Plus elle le suivait, plus il marchait vite. Il avait les épaules tendues. Son expression changea un peu, rien qui ne pouvait vraiment indiquer qu'il la sentait, mais comme toutes les autres fois, comme si quelque chose dans l'air bougeait. Elle aussi sentait ce changement au plus profond d'elle-même, c'était comme un orage, tout le temps, tous les jours. Mais quand elle s'asseyait et le regardait travailler ou lire dans son bureau, le temps s'éclaircissait. Elle pouvait souffler un instant et profiter du silence de l'homme. N'importe qui d'autre, qui aurait fait ça, aurait probablement été pris pour un fou. Mais elle était déjà folle.

Les premiers jours, il accusait Peeves de toutes les petites choses qu'Hermione changeait. Les portes qui s'ouvraient et se fermaient, les chaises et parchemins qui se déplaçaient. Elle l'avait vu attraper l'esprit frappeur et le menacer. Celui-ci s'était empressé de déclarer que ce n'était pas lui, un regard effrayé devant les menaces de Snape. Puis, il avait laissé tomber cette idée. Elle l'avait vu regarder derrière lui, s'arrêter en plein milieu du couloir et avait bien failli lui rentrer plusieurs fois dedans.

Elle avait pris l'habitude de lui parler. Elle lui racontait ses journées, ce qu'elle avait découvert, ce qu'elle avait mangé, tout et rien pour ne pas simplement sombrer totalement dans la folie. Il est devenu son exutoire sans qu'il ne le sache. Parfois, elle s'endormait, bercée par sa respiration, apaisée par sa simple présence, assise près de son bureau ou dans sa salle de classe.

Par moments, il était introuvable. C'était comme s'il se cachait. Elle avait dû utiliser les grands moyens pour le trouver. Elle s'était faufilée dans la salle commune, avait attendu que les garçons descendent, puis au moment où il ne restait personne, elle était montée dans leur chambre. Elle ouvrit la malle de Harry, chercha à l'intérieur et ne trouva rien. Elle regarda dans le tiroir de sa commode, dans son armoire, sous son oreiller, toujours rien. Elle passa ses mains partout sous le matelas, mais la carte du Maraudeur n'y était pas. Elle refit la même chose, se disant qu'elle devait avoir loupé un endroit. Elle chercha ensuite dans les affaires de Ron, qui étaient un véritable capharnaüm.

"Bon, si j'étais Harry et que je ne voulais pas que quelqu'un trouve mes affaires, où est-ce que je le mettrais ?" dit-elle à voix haute.

Elle passa ses mains un peu partout sur le bois du lit, tenta sur l'armoire et là, elle sentit quelque chose. En bas, elle passa ses doigts sur une fine rayure dans le bois, en suivit les contours, ne trouvant aucune encoche, elle appuya dessus et un tiroir sortit.

"Oui !" s'écria-t-elle.

Elle trouva la carte du Maraudeur, sa cape, qu'elle laissa là, ce n'est pas comme si elle allait en avoir besoin, et des lettres. Elle les ouvrit, et regarda de qui elles provenaient. Chacune des lettres était signée Patmol. Harry avait gardé toute sa correspondance avec son parrain. Il y en avait des dizaines, elle ne savait même pas qu'ils s'étaient écrit autant. Combattant sa curiosité et par respect pour son ami, elle replia les lettres et les remit à leur place.

Puis, un jour, où elle avait été incapable de le trouver. Il n'était nulle part dans l'école, elle s'était inquiétée. Elle avait fini par se diriger vers son bureau, vers 23h, pour la quatrième fois de la journée. Il était là, assis, fixant la porte. Son air était devenu grave lorsqu'elle avait poussé la porte pour entrer.

"Qui que vous soyez, j'aimerais que vous arrêtiez vos bêtises. La directrice en entendra parler."

Elle se figea sur place.

Il s'approcha de la porte, fixant le couloir, elle ou autre chose ? Elle ne savait pas. Tout ce qu'elle savait, c'est que les bras devant, comme un aveugle, il finit par la toucher. Il s'éloigna rapidement. Puis plus prudemment, il s'avança. Elle ne bougea pas. Elle avait déjà essayé cette méthode avec Harry et Ron. Mais la toucher ne changeait rien. Il ne la verrait pas non plus. Elle se mit alors à espérer que cette fois, ce serait différent. Il toucha d'abord son épaule, puis son bras, et elle crut tomber lorsqu'elle le sentit.

"Dévoilez-vous.

— Je ne peux pas, dit-elle, je ne peux rien faire."

Il ne la lâchait pas, serrant son bras de plus en plus fort. Ce contact qui avait été si agréable il y a encore quelques secondes devenait douloureux.

"Montrez-vous, je ne le répéterai pas une troisième fois.

— Je ne peux pas ! cria-t-elle."

Sa voix se répercuta sur tous les murs de la pièce et frappa Snape comme un coup de fouet.

" Comment ça, vous ne pouvez pas ? demanda-t-il."

Elle le regarda droit dans les yeux. Il la tenait toujours.

"Vous m'entendez ?

— Bien sûr que je vous entends. Vous avez crié comme une harpie. Qui êtes-vous ?

— Je... Je... "

Elle sentit son corps trembler, ses dents claquer et son cœur battre à une vitesse affolante. Le monde commença à se noircir autour d'elle. Il l'entendait ! Il entendait ce qu'elle disait. Comment est-ce possible ? C'était inespéré !

"Nom d'un chien," jura-t-il.

Elle s'écroula.

Il la rattrapa de justesse. Il vit alors une jeune femme. Il la connaissait, il en était sûr. Son visage, ses cheveux, tout lui rappelait quelqu'un. Mais impossible de mettre des mots dessus. Elle avait le visage blême, les cheveux en pagaille, plus que d'habitude se dit-il.

Délicatement, il la souleva, la prit dans ses bras et la transporta jusqu'à ses appartements.