.
Je relève la tête pour voir l'heure : 4h48.
Je n'arriverai pas à m'endormir, il va falloir que je me fasse une raison.
J'ai le cœur qui bat plus vite qu'il n'a jamais battu de toute ma vie. Et mes bras tendus ne veulent pas lâcher Luffy.
Ça va faire trois heures et je ne réalise toujours pas qu'il est nu, tout contre moi, tout aussi nu.
Qu'on a fait... ça.
J'ai l'impression que si je m'endors, il va partir. Que je vais juste me réveiller pour me rendre compte que ce n'était simplement qu'un énième rêve où j'aurais réussi à me faire jouir tout seul comme un con en me frottant à mon matelas.
Bordel... Est-ce que c'est vraiment la réalité ? Est-ce qu'on s'est vraiment embrassés, touchés ? Est-ce qu'on a quasiment couché ensemble comme si... Comme si... Lui et moi...
... On était sobres.
IL était sobre.
IL a pris les devants. IL m'a guidé.
C'est Luffy qui a voulu ça... Moi, je n'ai fait que le suivre. Même si je reconnais volontiers que je ne me suis pas beaucoup débattu...
Et c'était... Bordel, c'était tellement...
Je n'ai aucun moyen de l'exprimer tellement c'était bon, incroyable, transcendantal. C'était au-delà de toutes mes espérances. Le voir dans cet état, juste pour moi...
Je vais me réveiller, c'est sûr. Je vais me réveiller et ça sera terminé.
Si je le lâche... Ça va s'arrêter.
- Ace... ?
Je sursaute légèrement en le sentant remuer contre moi et tourner la tête pour me jeter un œil endormi.
- Tu dors pas... ?
- Euh... Si si, bafouillé-je. Je viens de me réveiller...
- Ah...
Je souris. Il est complètement dans le gaz. Il se tourne vers moi pour me faire face et se pelotonne un peu plus contre mon torse, ne semblant pas gêné une seule seconde par notre nudité.
... Je suppose... Que ça va, alors.
Au-delà du fait d'avoir peur que ça soit un rêve, j'avais aussi peur que Luffy ne change d'avis en réalisant notre connerie.
Bien que ç'aurait été bizarre, vu comme il semblait relativement serein quand on en a terminé... On est allés prendre une douche ensemble. Une douche très silencieuse et un peu malaisante, mais qui s'est terminée par lui me demandant de venir lui faire un câlin dans le lit pour se coucher. On s'est même encore embrassés, ça a encore failli partir en couille... Mais il a préféré arrêter pour qu'on s'endorme.
J'aurais pu continuer encore et encore, pourtant. Même simplement du pelotage presque chaste comme on l'a fait. Maintenant, j'ai juste peur qu'il change d'avis et qu'il regrette. Et que l'ambiance ne devienne encore plus lourde que la semaine passée. J'ai eu peur de le voir partir se réfugier chez un de ses potes pendant je ne sais pas combien de temps à ce moment. Là, j'ai juste peur qu'il ne veuille simplement plus jamais me revoir...
Mais... Le fait qu'il soit là, dans mes bras, accroché à moi alors qu'il se rendort la tête dans mon cou...
Je suppose que ça va... ?
Je me recroqueville sur lui pour plonger mon nez dans ses cheveux. Je le respire à pleins poumons, passe ma main dans son dos nu. Je me permets même de la faire échouer sur sa hanche, caressant cet endroit qui m'était interdit il n'y a pas si longtemps encore...
Je ne sais pas combien de temps je vais mettre pour accepter que c'est vraiment la réalité... Mais pour le moment, ça m'effraie juste comme je n'ai jamais été aussi effrayé de toute ma vie...
Mais visiblement, le fait que Luffy reste aussi proche de moi m'a légèrement calmé et m'a même permis d'enfin m'endormir... À en juger par le réveil en sursaut que je m'inflige tout seul, ce qui me semble être quelques minutes plus tard.
J'ai le souffle court, mon cœur bat à cent à l'heure et mon premier réflexe est de resserrer un peu plus ma prise sur Luffy.
Il est toujours là... 5h36, il est toujours là...
Il faut que je me calme. Il ne va pas s'enfuir en plein milieu de la nuit sans un mot. Il habite ici, je suis son frère...
... Je suis son frère.
Je soupire pour moi-même : c'est compliqué cette histoire. Mon plus beau rêve se réalise peut-être, mais je me demande comment on va gérer ça.
Je suppose qu'on verra bien demain... Qu'on va en parler et mettre tout ça à plat, tranquillement, une fois qu'on sera reposés et qu'on aura pris un peu de recul...
.
Je me réveille de nouveau en sursaut, mais à la différence que la lumière filtre à travers les rideaux tirés et que Luffy n'est plus dans mes bras.
Le lit est vide. La chambre est vide.
Je m'éjecte de la couette dans un bond paniqué, dérapant à moitié sur le lino pour sortir de la chambre en courant malgré le fait que je sois toujours nu. Et j'ai l'impression de récupérer mon air quand je vois Luffy tranquillement installé à même le sol entre le canapé et la table basse du salon, ses grands yeux écarquillés qui passent de la télévision à moi avec l'air de se demander ce qu'il se passe.
- Ace ? Ça va pas ?
Je prends une grande inspiration et me dépêche de m'attraper les genoux pour ne pas tomber : j'ai la tête qui tourne de m'être levé aussi vite... Quel con, c'est pas possible... Je croyais vraiment qu'il allait fuir ?
... Honnêtement, oui, en réalité. Je pensais dur comme fer qu'il allait me refaire le même bail que dimanche dernier, où il s'est barré chez Usopp pour me fuir. Je souffle, la tête en bas, pour essayer de calmer les palpitations de mon cœur et les étoiles qui dansent dans mes yeux. Je vois Luffy se relever vers moi et redresse le nez pour le regarder : j'ai du mal à ne pas arborer un sourire amusé en voyant ses propres yeux grands ouverts se perdre sur mon corps nu. Mais il essaie de se fixer rapidement sur mon visage que je relève pour de bon en me redressant.
J'esquisse un geste lent pour le prendre dans mes bras et il n'a pas l'air de reculer. Je l'enferme alors contre moi pour de bon et il n'y a pas une once d'hésitation chez lui lorsqu'il m'enlace à son tour, lovant sa tête dans mon cou.
- Pourquoi t'es sorti comme un taré de la chambre... ?
- ... Cherche pas, j'avais pas le cerveau bien en place, soufflé-je en me noyant encore et toujours dans ses cheveux.
Il finit par relever la tête pour me regarder les yeux dans les yeux quelques secondes... Je n'ai rien dit : il n'est pas si frais que ça, au final. Il y a de l'hésitation dans son regard, peut-être même de l'appréhension, aussi... Mais tout ça s'envole lorsqu'il pose une nouvelle fois ses lèvres sur les miennes, plus délicatement que je ne l'en aurais jamais cru capable.
Je suis au paradis là, n'est-ce pas... ? C'est véritablement réel... Luffy...
Luffy est vraiment à moi ?
Je lui réponds et notre baiser devient rapidement plus passionné. Je me sens juste beaucoup trop bien pour m'arrêter en si bon chemin, malgré mon érection naissante qu'il va rapidement capter vu que je n'ai absolument rien pour la planquer.
Et effectivement, il s'y heurte en se rapprochant de moi et relâche ma bouche pour y jeter un œil, avant de pouffer doucement de rire, probablement aussi amusé que gêné. Et je me sens moi-même déglutir à l'idée de passer si vite pour un foutu obsédé auprès de mon...
De mon... quoi, d'ailleurs ?
- Désolé... murmuré-je, pas des plus à l'aise.
- Nan t'inquiète ! J'suis... Euh... Honoré de t'faire autant d'effet... ?
Je pouffe, aussi contrit qu'attendri qu'il le prenne aussi bien. Tout à l'air d'aller bien... Il y a toujours cette petite gêne comme hier, mais... Visiblement, on a passé un cap. Luffy n'a pas l'air prêt à changer d'avis...
Pour le moment.
- J'vais enfiler un froc, hein... bafouillé-je en me détournant de lui.
- Ouaip !
Je me rends dans sa chambre par automatisme et me rappelle en y arrivant que mes fringues sont... Eh bien, échouées près du canapé, je suppose. Je fais donc demi-tour et me rends dans ma propre chambre, qui pue la mort et où règne un froid de canard. La vache. On a deux pièces qui tombent à l'abandon dans l'appart... Je ne sais pas trop si c'est une mauvaise chose ou non.
J'ouvre la fenêtre et le froid de décembre me mord la peau violemment. Je me dépêche d'enfiler un t-shirt et un jogging rapidement et m'enfuis d'ici, priant pour ne pas oublier de venir refermer plus tard, histoire que la pièce ne se transforme pas en frigo pour de bon. Je suppose que maintenant, ça va être complètement mort pour que je la réintègre...
Pour mon plus grand bonheur, je suppose ?
Je souris largement en regardant Luffy qui a repris sa place initiale, fixant la télé de toute sa piètre concentration. Il finit par se tourner vers moi pour me rendre mon regard, même s'il est clairement hésitant, et me sourit en retour.
... Je pense que je peux mourir en paix.
Sérieusement. Pour la première fois de ma vie, je me sens... Tellement léger.
J'ai l'impression de planer de bonheur. Je suis tellement bien que je me retiens de ne pas rire comme un dingue. Mon sourire doit juste être fou. J'en ai mal aux joues tellement je tire dessus sans même m'en rendre compte.
Je contourne la table basse pour m'affaler sur le canapé, avise mon petit frère en passant une main douce dans ses cheveux pour les caresser.
- Pourquoi tu restes par terre... ?
- J'sais pas, j'aime bien, me répond-il en haussant les épaules et sans même me regarder.
Je sais qu'il le fait de temps à autre. Il le faisait souvent quand il était plus jeune, mais moins à présent. Je me surprends vaguement à me demander si c'est parce qu'il est un peu stressé par ce qu'il se passe...
Il faudrait certainement qu'on en parle. Qu'on mette des mots sur tout ça. Mais la situation semble tellement normale... Au même titre qu'elle reste absolument anormale.
La légèreté qui m'habite et me met dans un état de plénitude intense n'est pas normale.
L'angoisse demeurant au fond de moi et qui continue de faire battre mon cœur à toute blinde n'est pas normale non plus.
- Ace, tu trembles...
Je sors de mes pensées et observe mes doigts vacillants juste devant le visage tourné vers moi de mon petit frère. Il m'observe avec un regard inquiet et moi, j'ai du mal à ne pas juste lui renvoyer une expression qui doit être ravie, surexcitée.
- Ça va ? insiste-t-il en s'asseyant finalement à mes côtés sur le canapé.
- ... Ouais, lâché-je en ne le quittant pas des yeux. Je...
Les mots restent bloqués dans ma gorge. Mais ça ne m'étonne qu'à moitié : j'ai déjà du mal à trouver les mots corrects pour moi-même en temps normal, alors les trouver pour exprimer clairement ce que je ressens dans un moment aussi intense émotionnellement pour moi… Je suis plus doué pour faire ressentir les choses. Et de toute façon, mon amour et mon caractère impulsif agissent à ma place : je ne peux pas me retenir plus longtemps de lui attraper de nouveau la tête pour lui offrir un baiser brûlant, affamé, fou de désir. Il y répond maladroitement, visiblement aussi ravi que surpris. Sa langue contre la mienne effectue à nouveau ces mouvements flous de la veille qui m'amusent : je ressens la différence d'âge et d'expérience rien qu'à sa manière d'embrasser. C'est brouillon, maladroit, brutal et vorace. Ça m'étonne venant de quelqu'un qui est déjà sorti avec des filles, mais pas vraiment venant de lui. Ça se saurait si Luffy avait la moindre délicatesse...
Je suis mauvaise langue là-dessus : il m'a prouvé hier qu'il en était parfaitement capable. Et putain... J'ai tellement envie d'en découvrir plus. J'aurais peut-être préféré être son premier pour tout, que ça soit moi qui lui apprenne tout de A à Z, comme je l'ai toujours fait... Mais on ne peut pas avoir le beurre et l'argent du beurre, je suppose. Et en un sens, ce côté inconnu chez Luffy me fascine. Il me rend curieux comme je l'ai rarement été dans ma vie. J'ai envie de le découvrir en entier en prenant tout mon temps. J'ai envie de visiter chaque centimètre de sa peau, trouver la moindre de ses zones érogènes, comprendre toutes ses manières de toucher un autre corps, voir comment il réagit à tel ou tel stimuli, qu'il me raconte ce qu'il a déjà expérimenté, tout ce qu'il aime et aimerait faire...
Tellement de perspectives que ça me donne le tournis. Toute cette facette de lui que j'avais repoussé de tout mon être le plus possible pour le sauvegarder de moi et de mes démons s'offrent à moi, aujourd'hui. Il me les présente sur un plateau d'argent, et j'en viens à me demander s'il est conscient de ce dans quoi il s'est réellement embarqué...
Je mets fin à notre baiser et me recule légèrement pour regarder les traits de son visage, les caresser du bout de mes doigts, détailler ses yeux magnifiques que je n'ai pas souvent l'occasion de pouvoir scruter d'aussi près... Il y a tellement de candeur et d'innocence dans ses iris noirs grands ouverts sur le monde. J'y vois encore le petit garçon de sept ans qui a bouleversé ma vie à l'époque et je pense que je le verrai toujours, même quand on sera vieux et fripés.
Je lui souris en retraçant la courbe de ses lèvres du bout de mon pouce, certainement bien trop amoureusement : non, il n'a aucune idée de ce dans quoi il s'embarque. Il n'a aucune idée du trésor qu'il vient de me donner, du plaisir qu'il me fait en me permettant d'atteindre cet Eldorado personnel dont j'ai toujours secrètement rêvé. S'offrir à moi ainsi est le plus beau des cadeaux qu'il n'aurait jamais pu me laisser. Et c'est certain que quoi qu'il arrive, ce Noël restera gravé dans mon cœur à tout jamais...
Ma partie rationnelle reprend soudainement un peu le contrôle et me hurle que je devrais le lui dire.
Lui dire maintenant, avant qu'il ne soit trop tard. Lui révéler mon plus grand secret, pour qu'il prenne pleinement conscience de ce dans quoi il plonge la tête la première.
Des risques qu'il prend.
Parce que s'il en vient véritablement à s'offrir à moi corps et âme... Je ne répondrai plus de rien.
Je me sens incapable de prendre le moindre recul lorsque ce que j'ai toujours le plus ardemment désiré tout au fond de moi m'est soudainement offert en pâture. Maintenant que je l'ai, il est hors de question de le céder, pour n'importe quelle raison.
Plutôt mourir.
Je devrais le lui dire.
... Mais mon égoïsme et ma peur m'en empêchent. Car ça ne serait pas qu'une simple explication, oh que non...
Ça serait plus une mise en garde. Un avertissement.
Une menace peut-être, même.
- ... Ace... Dis-moi ce que t'as.
Je lis de nouveau de l'inquiétude dans ses yeux. Je n'ose même pas imaginer ce qu'il doit deviner dans les miens. Je suis certain que je dois faire peur, à cet instant. À batailler contre mes émotions qui s'entrechoquent comme je n'ai jamais dû batailler. À tenter de contrôler mon euphorie et de refouler un maximum ma frénésie.
Lui faire peur parce que je n'arrive pas à calmer ma joie serait un sacré comble. Il faut que je parle. Quitte à mentir.
Ou je vais le faire fuir pour de bon.
- Désolé, Lu'... C'est juste... Ça me perturbe. Comme toi, je suppose...
Il baisse les yeux, de nouveau mal à l'aise.
- Moui... Ça t'dit... Qu'on en parle pas ? Enfin... Pas tout de suite ?
Je me fige légèrement face à cette fuite en avant. Je suis totalement pour, dans le fond. Qu'on se contente simplement de profiter et qu'on repousse les explications et les discussions à plus tard.
Une nouvelle fois, je lui fais comprendre mon approbation à cette superbe idée en l'embrassant à pleine bouche.
Je suis toujours aussi ravi qu'il me réponde si vite... On se maintient mutuellement le visage l'un de l'autre pour s'embrasser avec passion, étant aussi peu délicats que discrets dans notre échange. Je l'entends gémir au bout de délicieuses minutes et ma libido embrase de nouveau violemment l'entièreté de mon corps. J'avoue sans souci que je suis une chaudière affamée en matière de sexe... Mais j'ai tout de même l'impression que mon amour rentre en compte, sur ce coup-là. Je me sens partir tellement plus vite, mon érection est déjà tellement au bord de l'explosion avec simplement des baisers langoureux. J'ai l'impression de redevenir un adolescent pré-pubère qui découvre les joies de la sexualité pratique pour la première fois.
Non, en réalité, je n'ai jamais été aussi excité lors de mes premiers échanges un peu poussés. Là, je sens que je pourrais jouir juste en entendant Luffy prononcer mon prénom dans un souffle exalté contre mes lèvres.
Mes mains se faufilent de nouveau sous ses vêtements pour repartir à la découverte de cette peau aussi connue qu'inconnue. Il gémit encore sous mes doigts tandis que je les fais descendre de plus en plus bas, me retenant difficilement de ne pas m'emparer de son pénis pour lui offrir le même plaisir qu'hier.
Je crève d'envie de revoir ce désir se peindre sur son visage pour le consumer de nouveau. J'essaie de me restreindre, de ne faire que me promener à la lisière de son pantalon, mais ses soupirs de bien-être et ses propres doigts qui s'enfoncent dans ma chair ont raison de ma piètre volonté. Je glisse sur son sexe délicieusement dressé et lui octroie des caresses enfiévrées sans attendre.
Il se laisse faire, ne me rend même pas la pareille, trop occupé qu'il est à s'accrocher à moi en fermant résolument les yeux pour simplement profiter, je suppose. Ça ne me dérange pas une seule seconde : qu'il profite. Je pourrais me contenter de ça encore et encore tellement cette simple vision de lui offert à moi me met dans un état d'extase incroyable.
Je m'étonne de la rapidité avec laquelle il vient entre mes doigts et le voir de nouveau s'étrangler de plaisir est simplement un fantasme inespéré qui prend vie. Je crève de désir frustré dans mon propre bas-ventre, mais je n'en ai plus rien à foutre tant que je peux voir toutes ces expressions passer sur le magnifique visage rougi de Luffy.
Il est plus beau que je ne l'ai jamais vu, comme ça. Plus beau que dans mes rêves les plus terribles.
Il rouvre difficilement les yeux sur moi, le nez froncé alors que j'ai du mal à ne pas lui sourire comme un idiot.
- ... J'ai rien eu l'temps d'faire... l'entends-je se plaindre, apparemment pris de court.
Et ça me fait rire. Mourir de rire.
- Pourquoi tu t'marres ?! s'étrangle-t-il en me frappant brusquement dans l'épaule comme il l'a si souvent fait lors de nos milliers d'altercations fraternelles.
J'ai du mal à m'arrêter de rire, à reprendre mon souffle. Je suis juste beaucoup trop heureux pour rester calme, en cet instant.
- Parce que... Parce que c'est pas grave, Luffy... Oh merde... Juste... Profite et t'inquiète pas du reste… !
Je l'enlace de nouveau contre moi en prenant grand soin d'éloigner le plus possible mes mains visqueuses de lui. Et je ris de nouveau dans son dos : c'est clairement nerveux.
Je suis quasiment certain que je n'ai jamais été aussi heureux de toute ma putain de vie.
.
.
Le froid s'insinue dans mon corps. J'le sens pénétrer douloureusement mes os tandis que mes doigts se mettent à trembler et que j'retiens comme je peux mes dents de claquer.
Mais c'est cool. Sortir un coup était tout ce dont j'avais besoin pour m'aérer le cerveau. Et si c'est pour voir Ace s'éclater, autant sur la planche de skate que tout court, ça m'va.
J'le vois enchaîner les figures plus ou moins maladroitement. Mais le fait qu'il s'marre aux éclats à chaque fois qu'il s'casse la gueule me perturbe.
Je l'ai jamais vu aussi heureux et rayonnant de toute notre vie.
Et... Ça m'fait drôle. Parce que je sais qu'c'est « grâce » à moi.
J'sais pas si j'dois m'en réjouir ou pas. J'devrais m'en réjouir, j'pense. Après tout, même moi je suis super content d'avoir franchi ce cap hier soir, aussi bizarre que ça puisse être après coup.
... J'me sens complètement paumé. Partagé entre la joie et la satisfaction d'avoir franchi cette ligne que j'rêve de franchir limite à l'obsession depuis une semaine bien trop longue pour mon petit cerveau et entre la peur de cette plongée complète dans l'inconnu.
Dans ce tabou, aussi... Parce que, faut pas s'voiler la face : j'suis clairement pas prêt à l'embrasser ici et maintenant, au pied de notre immeuble, alors que les voisins pourraient nous voir.
J'suis clairement pas prêt de me faire à l'idée qu'il est... Mon nouveau mec ?
... Bon sang, qu'est-ce que j'ai fait ?
J'ai dit que j'voulais pas penser aux conséquences... Et je savais sur le coup que j'étais bien stupide de m'mettre autant des œillères.
J'regrette pas... Mais d'un autre côté, si.
Ça m'fait juste flipper.
Qu'est-ce qui va s'passer, maintenant ? On est ensemble, Ace et moi ? On va s'mettre à faire des trucs de couple ? Ça va changer quoi à nos habitudes ? Est-ce qu'on va devoir finir par l'annoncer à nos potes et à Jiji et à oncle Shanks... ? Comment ils vont réagir ?
Et pourquoi... Pourquoi c'est moi qui m'pose toutes ces questions ? Moi, le cadet, l'ado un peu plus débile qu'la moyenne qui n'a aucun sens des responsabilités en temps normal ? Pourquoi Ace a l'air tellement serein ? Pourquoi il a l'air de se poser aucune de ces fichues questions, lui... ?
- Lu', j'te sens ailleurs ! Tu veux essayer cette fois ?
J'atterris, avise encore son sourire rayonnant. Il est beau, comme ça. Encore plus que d'habitude, j'veux dire.
Ça m'rend heureux de le rendre aussi heureux. Et dans l'fond, j'ai pas envie qu'on résolve toutes ces questions. J'devrais juste me contenter d'être aussi heureux que lui d'avoir c'que j'veux et de juste en profiter sans me poser de question...
C'est plus fort que moi. J'ai l'impression de faire une énorme connerie sans vraiment pouvoir expliquer pourquoi.
- Nan c'est bon, continue, j'te regarde pour apprendre... !
L'expression amusée qu'il m'envoie est vraiment trop mignonne. Il est la définition même d'un sourire canaille et qu'est-ce que ça peut l'rendre canon... J'essaie de lui répondre avec mon entrain naturel, mais c'est pas trop ça.
Et j'me fige quand j'le vois approcher de moi et attraper mon visage entre ses mains. Mais il se contente simplement de déposer un baiser sur ma tête.
- Tu vas te retrouver frigorifié à rester assis sur les marches comme ça... me souffle-t-il en me caressant les cheveux doucement.
- J'ai déjà super froid. Mais ça va, t'inquiète...
Il me sourit et s'éloigne pour reprendre la planche. C'est mon cadeau et il en profite plus que moi pour l'moment... En même temps, j'peux le comprendre s'il a jamais retouché un skateboard depuis qu'il a cassé l'sien y'a trois/quatre ans.
J'claque de nouveau des dents en m'enfonçant la tête dans les épaules. J'lève le nez sur le ciel grisâtre, me demandant comment les températures ont autant baissé en quelques jours à peine. Malgré tout, on aura même pas eu de neige et ça, ça m'soule. Un « Noël blanc », comme ils appellent ça, c'est beaucoup trop cool. J'me rappelle de l'époque où on sortait sur cette même place dallée le matin de Noël pour faire des batailles de boule de neige et des bonhommes trop rigolos avec Ace, Maman et Papa.
Aujourd'hui, on est plus que tous les deux. Et j'ai l'impression flippante au fond d'moi qu'on est p't'être même plus vraiment frères, désormais...
- Eh ben qui je trouve là ?! C'est pas les deux plus beaux gamins que cette terre n'ait porté ?!
On se retourne comme un seul homme pour tomber nez à nez sur oncle Shanks, frigorifié aussi dans sa grosse doudoune d'hiver alors qu'il marche tranquillement vers nous et qui nous sourit de toutes ses dents. Et moi, j'me sens m'décomposer sur place. Comme pris sur le fait d'une énorme connerie. Parce qu'il a absolument rien à faire là, sérieusement ! Il est venu nous engueuler ?! Mais comment il a su ?! Ace lui a dit ? Ou il a mis l'appartement sur écoute en scrèd pendant qu'on avait l'dos tourné hier ?!
... Mon oncle bosse pour le FBI ?
J'sens que j'vais m'évanouir.
- Hey ! Je pensais que tu viendrais plus tard... lui envoie Ace avec un sourire en coin moqueur.
Oh... Je l'crois pas. Il lui a vraiment dit ?! Mais pourquoi il a fait ça ?!
- Haha je me doute... Mais j'ai besoin de la voiture. Je t'avoue que ce n'est pas de gaieté de cœur que j'ai fait le chemin à pied dans ce froid de canard... !
- Pourquoi tu m'as pas appelé pour que j'vienne te chercher ?
- Je voulais pas t'embêter le jour de Noël... sourit doucement notre oncle. Vous aviez peut-être quelque chose de prévu.
Le regard d'Ace glisse furtivement sur moi, mais son expression change du tout au tout lorsque nos yeux se croisent. Il m'envoie soudainement une expression un peu choquée, inquiète. J'me sens me liquéfier un peu plus sur place, entrant complètement en panique quand l'oncle me regarde à son tour.
- Ben Lulu ? Ça va pas ? Tu tires une de ces têtes... !
J'sens clairement quelque chose se péter dans mon cerveau à cet instant.
- SI ÇA VA J'AI RIEN DU TOUT MOI QU'EST-CE QUE TU CROIS J'VAIS TRÈS TRÈS BIEN ET ÇA N'A RIEN À VOIR AVEC LA SOIRÉE D'HIER OU QUOI J'TE LE JURE IL S'EST RIEN PASSÉ DU TOUT HIER SOI-
- Hey, Luffy !
Ace se jette sur moi pour m'attraper fermement par les épaules. Il tourne le dos à Shanks de cette manière, ses doigts s'enfoncent douloureusement dans ma peau à travers le tissu et son regard halluciné s'plante dans le mien pour m'faire redescendre : y'a de la peur et de la colère dans ses iris, et ça m'fige un peu plus sur place.
- Luffy. Respire.
Sa mâchoire se serre et son regard s'fait un peu plus dur.
- Et tais-toi. Laisse-moi parler, me murmure-t-il pour ne pas que notre oncle entende.
Il me tourne le dos de sorte de me planquer presque derrière lui, et j'me sens con.
Shanks est juste venu chercher sa voiture... Et moi j'ai flippé comme un débile.
- Fais pas attention... souffle-t-il au roux. Il m'a, hmmm... Offert un cadeau un peu spécial hier et on a... Un peu profité ?
... Ou pas ?
Mon sang se glace alors que j'fixe stupidement le dos de mon frère, sans pouvoir faire le moindre mouvement, que ça soit avec mon corps ou ma bouche pour protester.
Il va... Il va quand même pas lui dire ?!
- Un cadeau spécial ? répète oncle Shanks.
- ... Tu dis rien au vieux, hein ? continue Ace d'un ton un peu étrange.
Un ton amusé.
- Tu me prends pour qui ? rit notre oncle et j'suis définitivement complètement largué.
- On sait jamais... Luffy m'a offert un bang. Et je lui ai fait essayer...
... Un bang ?
J'ai un court bug jusqu'à ce que mon cerveau se rappelle de c'truc immonde et qui puait la mort que traînait Ace dans sa chambre y'a quelques années. C'est un truc pour s'éclater la tête, ça.
... Vu comme ça. J'suppose que lui mentir sur un truc pas très clean est une bonne alternative... ?
Le silence s'étire et j'me sens encore plus stupide. Mais mon oncle s'met bien vite à ricaner, de plus en plus fort, jusqu'à ce qu'il parte en éclat de rire.
- Tu as fait fumer Luffy ?! s'esclaffe-t-il.
- Il est assez vieux pour ça, se défend Ace et j'entends le sourire dans sa voix. C'était juste histoire d'essayer !
- Non non mais je n'ai rien dit ! répond l'oncle en reprenant son souffle. T'inquiète pas Lulu, je ne vais pas vous disputer ! Au contraire ! Il faut bien que jeunesse se fasse !
Je vois sa tête se décaler sur le côté pour entrer dans mon champ de vision et m'offrir un sourire rayonnant.
- Et je préfère largement que tu fasses ce genre d'expérience avec ton grand-frère qu'avec de vils inconnus qui pourraient profiter de toi... !
J'arrive à lui envoyer un pauvre sourire figé, mon cerveau ayant du mal à s'empêcher d'me faire penser à un double sens un peu dérangeant. J'entends Ace rire nerveusement et ça m'rassure un peu, en un sens : il est aussi pas frais qu'moi.
- Bon, ce n'est pas que je ne vous aime pas mes grands, mais il faut que je me sauve ! On se revoit vite, d'accord ?
- Ça roule, lui répond mon frère. Passe une bonne aprèm.
Il se détourne de nous pour faire trois pas, avant de faire à nouveau volte-face.
- Oh, au fait ! Tu veux faire quelque chose pour ton anniversaire, Ace ?!
Je vois mon frère hausser des épaules.
- J'sais pas trop. Je suppose qu'on va pas y couper avec le vieux fou. On voit ça dans la semaine ?
- Ça marche, on s'appelle pour se redire ça ! Allez je vous embrasse les jeunes !
On l'observe tous les deux repartir vers sa voiture en silence, avant qu'Ace ne se tourne vers moi pour m'offrir un regard... Contrit ?
Mais qui devient rapidement inquiet.
... Puis carrément angoissé.
- ... Il faut qu'on en parle, je pense, m'annonce-t-il tristement.
.
Orelsan – La lumière
.
Ace est mignon dans sa joie folle, pas vrai... ? :D
Réponse au Guest sans nom pour sa review du chapitre précédent (c'est vraiment le truc le plus frustrant du monde jpp :'( ) : Merci beaucoup ! Je suppose que je me suis beaucoup mise la pression pour rien, alors ! J'attrape tes bonnes ondes au vol et je me roule dedans ! :D
