Bonjour ! On va tenter de rester constant et de poster tous les 15 du mois, maintenant ! Voici donc le nouveau chap de Paradis, tout beau, tout pas frais (pour moi en tout cas)

Enjoy !


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- Désolé pour mon retard, M'sieur...

Kuzan me regarde refermer la porte de la salle de classe avec son expression de yeti blasé, et j'suis plus mal à l'aise que jamais. Surtout en croisant le regard interrogateur de Nami, ceux inquiets d'Usopp, Chopper et Sanji et celui un poil inquisiteur de Zoro.

J'veux crever.

- Disons que ça peut arriver Monsieur Monkey, mais que ça ne devienne pas une habitude en plus de vos notes désastreuses... Allez vous asseoir.

J'vais prendre ma place auprès d'Usopp sous des ricanements étouffés et j'me dis que la vie est super injuste, sérieux.

J'grimace légèrement en m'asseyant et me dépêche de sortir mes affaires sous le regard lourd de questions de mon meilleur pote. J'lui fais signe d'attendre deux minutes que Kuzan fasse plus trop attention à moi et j'finis par lui répondre avant qu'il explose sur place.

- On est partis trop en retard, murmuré-je d'un ton agacé. Ça va, ça arrive...

- Oui oui ça arrive... soupire-t-il sur le même ton. Mais le lundi juste après la catastrophe de la soirée chez Law, désolé si on a tous un peu flippé en te voyant toujours pas arriver à la sonnerie, quoi.

J'me mords la lèvre et jette un coup d'œil par-dessus mon épaule. Je tombe sur les yeux scrutateurs de Zoro qui m'crament presque le dos tellement il me lâche pas, mais j'me marre quand Sanji lui fout une claque derrière la tête pour qu'il arrête.

Puis mon regard croise celui de Torao et ça doit bien être la première fois que j'le vois regarder derrière lui pendant un cours. Ça doit être aussi la première fois que j'lui vois cette expression contenue, mais clairement inquiète.

J'soupire en revenant à mon cahier d'cours désespérément vierge. J'comprends qu'il flippe un peu, j'lui ai pas renvoyé de message après ceux où il avait l'air de s'demander si Ace me tapait dessus. 'Faudrait p't'être que j'aille le voir un peu plus tard pour le rassurer, malgré qu'Ace veuille plus que j'm'approche de lui.

Ça va être dur de lui mentir, mais après mûre réflexion, j'ai décidé que j'lui obéirai pas. Torao et moi, on se parle presque pas. Tout juste un bonjour et une anecdote échangée à l'arrache quand on s'croise dans les couloirs ou quand il se marre à mes conneries en cours de sport. J'vais pas encore plus réduire ce peu d'temps passé avec un mec que j'aime bien et qui a toujours été sympa avec moi parce que mon frère/petit-ami un poil trop jaloux m'a « ordonné » d'le rayer de ma vie. Il a beau avoir reconnu ses erreurs hier, il a pas voulu démordre de ça et ça me fait chier. Et j'me dis surtout que c'est rien, un mensonge sans conséquence. Torao est juste un camarade de classe. Ace a aucun moyen d'vérifier si j'lui ai dit bonjour en arrivant le matin ou pas, après tout.

J'gigote sur ma chaise et j'essaie d'me focus sur le cours comme je peux, malgré la gêne que j'ai dans le bas du dos. J'espère qu'Usopp me redemandera pas pourquoi on est partis en retard avec Ace, parce que j'me vois pas lui mentir en lui disant j'ai juste loupé le réveil ce matin... J'ai plutôt loupé l'occasion de repousser Ace qui était encore un peu trop passionné, ouais... Et même si j'étais totalement aux anges sur le coup, j'l'ai beaucoup regretté en voyant l'heure après coup. Et en constatant comme Ace y était pas allé de main morte.

Ça plus le fait que j'ai oublié de prendre une écharpe pour planquer ma marque de morsure dans le cou, j'me sens plus mal à l'aise que jamais quand la pause sonne deux heures plus tard et qu'on descend tous prendre l'air dans le parc malgré les températures toujours négatives.

- Bon alors, ça a quand même été avec Ace quand vous êtes rentrés ? m'interroge Nami, pile au moment où j'juge enfin que j'ai assez remonté le col de mon blouson pour que la marque soit pas trop visible.

Vu le regard soudainement flippant de Zoro qui fixe mon cou, j'devine que j'prends encore mes rêves pour la réalité.

- ... Ouais, ça a été... bafouillé-je, même si je baisse pas les yeux pour répondre de la même manière à mon pote.

- Tu mens, me claque-t-il sans plus de cérémonie.

J'soupire, dégoûté et attristé. J'l'ai cherché. Et j'ai plus aucune échappatoire, là. J'essaie de réfléchir comme Ace le ferait à la vitesse de l'éclair pour essayer d'me sortir de là.

- ... On s'est battus, finis-je par avouer en posant la main sur mon cou par réflexe.

Les demi-vérités fonctionnent définitivement pas trop mal avec moi, du coup. C'est bon à savoir.

- On s'est battus et il m'a mordu dans l'processus, si tu veux savoir pourquoi j'ai c'bleu.

- Il t'a « mordu »... ? répète lentement Sanji, visiblement sur le cul.

- Cherchez pas... murmuré-je sans aucune conviction. On est cons quand on s'y met...

- Et Ace est flippant, rajoute Zoro de son ton toujours aussi autoritaire. Tu aurais dû rester avec nous et dormir à l'appart'.

- Tu sais très bien qu'il m'aurait pas laissé faire, grogné-je derrière mes dents serrées.

- Et c'est un putain de problème Luffy, j'ai l'impression que t'es le seul à ne pas t'en rendre compte !

Je relève les yeux sur eux et y'en a pas un seul qui me regarde pas avec inquiétude. Même Chopper, bon sang.

- ... Ace a besoin de m'avoir sous les yeux pour pas flipper en ce moment, après c'qui nous est arrivé... marmonné-je encore.

- Et c'est à cent pourcents compréhensible, m'arrête Nami d'une voix plus douce en levant la main comme pour apaiser la tension qui règne dans l'air. Tu nous as assez répété que vous étiez très proches tous les deux, et d'autant plus depuis octobre dernier... C'est normal qu'il s'inquiète pour toi et c'est normal que tu n'aies pas envie d'alimenter encore plus cette inquiétude... Mais Luffy, ce qu'on essaie de te dire... C'est qu'on est tous tombés plus ou moins d'accord sur le fait que le comportement d'Ace est simplement trop...

- Trop tout, la complète Sanji calmement. Je veux bien qu'il soit protecteur envers toi, mais menacer Trafalgar de mort pendant une demi-heure non-stop juste parce qu'il a essayé de t'embrasser...

Il pousse un soupir d'agacement et se sort mécaniquement une clope, faisant vraisemblablement fi de l'interdiction de fumer à l'intérieur du lycée. Ce que Zoro lui rappelle en lui arrachant la cigarette de la bouche d'un geste agacé. Un grognement échangé plus tard, Sanji continue :

- On aurait dû laisser Tashigi appeler les flics pour qu'ils lui remettent les idées en place, si tu veux mon avis.

- Quoi ?! m'étranglé-je, outré. J'pensais que tu t'entendais bien avec lui !

- Je vois pas le rapport, rétorque-t-il avant que Zoro prenne le relai.

- Le Sourcil veut dire par là que ça l'aurait peut-être calmé plus vite et qu'il aurait pris conscience qu'il a été trop loin, au lieu de te traîner chez vous de force et de finir par te frapper arrivés là-bas.

- IL M'A PAS FRAPPÉ ! me surprends-je à hurler, mais j'suis juste révolté qu'ils osent le penser. On s'est battus, j'viens d'vous dire ! C'est juste parti en couilles entre nous, c'est pas la première fois qu'ça arrive ! (Je fusille Sanji et Nami du regard sans même m'en rendre compte.) Vous allez pas me faire croire que ça vous ait jamais arrivé de vous battre avec vos frères et sœurs en vous engueulant ?! Surtout pas toi, Sanji !

Je le vois serrer les dents sur sa clope récupérée mais toujours éteinte et mettre un coup d'coude absolument gratuit dans les côtes de Zoro.

- Hey ! C'était pour quoi ça, connard ?!

- Parce que tu dis de la merde, crétin de Marimo. Luffy a raison, c'est normal de se battre entre frangins... Surtout avec deux têtes brûlées pareilles.

Nami roule des yeux et Zoro se met à pester dans sa barbe, marmonnant un « c'est ça ouais... » que j'ai du mal à piger.

... Il me croit pas. Okay, c'est légitime de sa part pour le coup... Mais pourquoi il me croit pas ? Il me croit toujours, d'habitude. Aveuglément, même...

- Okay okay, calmons-nous d'accord ? Ça sert à rien de se disputer... temporise sagement Chopper. Écoute Luffy, on est pas là pour te faire un sermon, surtout pas. Tout ce qu'on voulait te dire, c'est qu'on se fait du souci...

- Même si tu le sais sûrement déjà, vu qu'on se répète, précise Usopp en m'envoyant un regard compatissant.

- Oui... intervient Nami. On est peut-être inquiets pour pas grand-chose et en un sens, on pourrait nous reprocher à nous aussi d'être trop protecteurs envers toi, comme Ace... Mais comprends-nous Luffy : votre situation est tellement délicate. Ça fait seulement trois mois que vous avez perdu vos parents, Ace a dû tirer un trait sur sa vie à seulement 21 ans pour revenir s'occuper de toi et on a tous bien compris qu'il avait quelques problèmes de... gestion de la colère, on va dire... Et au milieu de tout ça, toi tu es là, bien plus émotif qu'on t'a jamais connu – même si c'est totalement compréhensible hein, j'entends bien... Tu es certainement bien plus fragilisé que ce que tu veux bien le montrer...

J'trouve rien à répondre à cette tirade. J'peux même pas leur en vouloir, ils ont raison sur toute la ligne... Si les rôles étaient inversés, j'm'inquièterais pour eux comme un fou aussi, vu de cette manière.

- Tout ça pour en venir simplement à une question essentielle, Luffy, énonce Zoro de son ton de daron autoritaire. S'il se passe quelque chose d'inhabituel chez toi avec Ace, on veut simplement que tu nous en parles. Pas pour qu'on dénonce Ace et qu'on vous sépare, on sait très bien que ça serait la pire chose à faire, à toi comme à lui... Mais simplement pour t'aider. T'aider s'il y a moyen de régler le problème d'une manière douce, t'aider à limiter les dégâts si c'est pas possible...

- Te conseiller et te soutenir si t'as besoin, rajoute Usopp de son ton affectueux que j'adore. Parce qu'on est là pour ça.

- Oui, on est là pour ça, répète Chopper en me souriant un peu tristement.

Une nouvelle vague d'émotions pleut en averse en moi et j'ai la pulsion de l'attraper pour le serrer dans mes bras. Et puis j'attrape le col de Zoro pour qu'il nous rejoigne, aussi. Et Usopp. Et Nami et Sanji viennent se glisser dans mon dos à leur tour sans qu'j'aie le temps de le leur demander. J'me retrouve emprisonné de tous les côtés dans le meilleur câlin du monde et j'pouvais pas en demander plus.

Sérieux... J'ai les meilleurs potes du monde. J'suis même le mec le plus chanceux de toute cette terre sur ce point.

- ... Vous inquiétez pas, bégayé-je, la voix tordue par un sanglot. Ça va... J'vous jure que ça va, y'a absolument rien de grave... C'est... C'est juste que... En fait, Ace et moi...

Un raclement de gorge nous interrompt et j'tourne la tête de concert avec les autres pour voir Torao aux côtés de Bepo ; Shachi et Penguin nous faisant joyeusement coucou derrière eux.

- Désolé de briser ce moment incroyablement guimauve... ricane-t-il avant de me pointer du doigt. Il est possible que je vous l'emprunte un instant ? J'aurais bien aimé m'en passer, mais il n'a pas l'air de vouloir me répondre par message...

J'fais la moue et Nami a un petit gloussement machiavélique à mes côtés.

- Vas-y Law, je t'en prie... Tu peux même réessayer de l'emballer si tu veux, on sera là pour veiller à ce que son frère timbré ne débarque pas pour t'arracher les couilles cette fois, promis.

J'lui mets un coup de poing gentil dans l'épaule avant de rejoindre Torao – même pas gêné d'son côté, simplement amusé, ce fichu robot chelou. J'sais déjà ce qu'il veut me dire et j'ai pas forcément envie d'y aller... Mais j'me suis promis de le rassurer lui aussi, j'vais pas me débiner maintenant.

- Surveille les gosses le temps que je revienne Bepo, tu veux bien ? lance-t-il par-dessus son épaule pendant qu'on s'éloigne, tout en pointant Shachi et Penguin du doigt.

- Courage Law ! crie Shachi en lui envoyant un pouce en l'air. Tu vas l'avoir cette fois !

- Il veut pas lui parler pour ça ma mie, on en a discuté tout à l'heure, rigole Penguin à ses côtés.

- Je sais, mais il pourrait en profiter pour lui faire quelques bisous pas piqués des hannetons au passage, si tu veux mon avis !

Law lui répond par un doigt d'honneur et on commence à marcher vers le terrain de basket, où des courageux comme Drake ont décidé de s'faire une partie malgré la neige qu'il y a encore un peu partout. 'Sont dingues. Même moi je l'aurais pas tentée celle-là. J'vois d'ailleurs Bellamy glisser en essayant de rattraper la balle et se casser la gueule, c'qui me fait ricaner.

- J'espère que je ne t'ai pas vexé hier avec mes derniers messages... entame doucement Torao en les observant aussi.

- ... Pour être honnête, un peu. Mais j'avais surtout plus envie de répondre, désolé. L'ambiance était pourrie à l'appart' et j'voulais essayer de me réconcilier avec Ace avant tout...

- Je comprends tout à fait, ne t'en fais pas. C'est pour ça que j'ai pensé qu'on pourrait profiter de cette heure de trou pour mettre les choses au clair un bon coup, et de vive voix... Si ça te convient.

- ... Oui, oui ça m'convient... soupiré-je.

J'le suis jusqu'à un banc en face du terrain qu'il dégage de toute sa neige, mais ça empêche pas que j'me gèle le fion en m'asseyant dessus. Et ça m'soulage même pas par rapport à ma sauterie de plus tôt, tiens. Torao préfère sagement prendre place en équilibre sur le dossier et se penche en avant en se frottant les mains l'une contre l'autre.

J'me mets à l'observer un instant vu qu'on se décide pas à prendre la parole, l'un comme l'autre... Et j'ai la réponse à mon interrogation de samedi qui m'éclate au visage, tout à coup : oui. Si y'avait pas eu Ace... Je lui aurais dit oui. Je l'aurais pas repoussé. Parce qu'en plus d'être trop sympa... J'remarque seulement maintenant à quel point il est aussi carrément canon.

Pas l'moment de penser à ça.

- C'est ton frère qui t'a fait ça... ?

J'grimace en posant encore ma main sur ma marque en réflexe. Pourquoi j'ai oublié mon écharpe, bon sang...

- C'est rien... On s'est battus.

Il pouffe de rire, son petit sourire cynique que j'lui connais bien aux lèvres. J'comprends pas c'que c'est censé vouloir dire.

- Quoi ? insisté-je.

- Mes parents sont médecins, j'ai passé une partie de ma vie dans une clinique et une autre plongé dans des bouquins de médecine... Je sais reconnaître une trace de morsure quand j'en vois une.

J'grimace en baissant les yeux au sol, blasé. J'aurais dû lui dire la vérité comme à mes potes, j'suppose. J'le sais pourtant que Torao est du même niveau que Robin : il sait toujours tout avant tout l'monde.

- Tu lui as bien expliqué que c'était moi qui avais amorcé les choses, j'espère... ? Quitte à ce qu'il ait envie de me tuer, autant qu'il comprenne bien que j'ai l'entière responsabilité de ce qui est arrivé et qu'il n'a pas à t'en vouloir un seul instant.

- Ouais, t'inquiète... Il a fini par comprendre, même si ça a été... Long à rentrer... soupiré-je.

- Il a l'air d'avoir la tête dure... ricane-t-il. J'espère que l'ambiance n'est pas trop lourde chez vous à cause de ça ?

J'me surprends à comprendre le sous-entendu. Ça fait écho à c'qu'il me disait par message, de toute façon... Et à ce que viennent de me dire les copains. Je sais pas pourquoi Torao s'inquièterait de la même manière qu'eux, mais j'ai l'impression que le fait est bien là.

- Les autres m'ont posé la même question... J'vais te répondre pareil : vous faites pas d'bile. Ace a ses coups d'sang, j'vais pas le nier. Et il a tendance à s'énerver encore plus vite quand ça m'concerne, et surtout quand il est en territoire inconnu comme samedi, mais ça va si on met ça d'côté, vraiment. J'veux dire... Tu vas pas le juger juste pour son pétage de câble de samedi alors que tu l'connais pas du tout en dehors de ça, quand même ?

- Non, bien sûr que non... Ou tout du moins, je ne me le serais pas permis en temps normal... Mais après votre départ, ta bande a parlé entre eux, et j'ai cru comprendre que ces réactions borderlines étaient monnaie courante avec ton frère. C'est, évidemment, une conclusion hâtive de ma part car comme tu le dis, ils ne vivent pas avec lui non plus et ne le connaissent certainement pas comme toi tu le connais... Mais si l'ensemble de tes meilleurs amis est mort d'inquiétude à ton sujet, je ne peux m'empêcher de partager le sentiment après avoir assisté à ça. Surtout en connaissant votre situation.

Je soupire encore lourdement.

- Hey Torao... J'sais pas pourquoi tu t'fais soudainement autant d'souci pour moi, mais c'est bon, tu peux te détendre... Tout va bien avec Ace. Et même s'il devait y avoir un truc moins bien... Ben, comme vous dites tous, on est dans une situation pas super. Et j'trouve qu'Ace gère vachement bien la-... Le fait qu'nos parents soient plus là et tout l'tralala... J'trouve qu'il gère bien mieux qu'moi au quotidien, même.

- Je vois... Et tu penses que ça excuse ses comportements violents ?

- Il a été beaucoup trop loin samedi soir, j'le sais, me défends-je un peu plus brusquement en fronçant les sourcils. Même lui le sait, il s'est excusé... Mais oui, je sais qu'c'est pour ça qu'il a pété un câble. Parce que comme moi, il va sûrement pas si bien que c'qu'il montre...

Il semble méditer sur mes paroles et j'préfère le laisser réfléchir et m'enfoncer le nez dans mon blouson parce que j'suis soulé et que ça pèle. J'ai les pieds gelés. J'aurais p't'être dû prendre sur moi et abandonner mes tongs ce matin, quand même...

Ah non c'est vrai : j'suis parti à l'arrache parce qu'Ace avait « très envie d'se faire pardonner », puisque j'ai « pas voulu hier soir ».

Fichu nymphomane.

- ... Donc, reprend enfin Torao au bout de longues secondes. C'est simplement ça... ? Un frère dont le bro complex a explosé parce que vous êtes encore en deuil après la disparition de vos parents ?

... J'le déteste de se tourner vers moi pour vriller ses yeux dans les miens à cette question d'enfoiré.

... Il a compris, pas vrai... ?

- ... O-oui, c'est juste ça... bafouillé-je pendant que j'me planque un peu la bouche en la sentant s'échapper sur la droite.

Torao réagit pas. Il continue de me fixer de son regard hyper dérangeant, maintenant que j'y fais gaffe. Il a des beaux yeux clairs, mais j'ai l'impression qu'il est en train d'me sonder l'cerveau comme le ferait un Doctor avec son tournevis sonique.

- ... D'accord. Je ne suis personne pour insister de toute façon, conclut-il finalement en retournant au basket improvisé des autres, à mon grand soulagement.

Le silence retombe et j'me sens devenir rouge pivoine. J'suis quasiment sûr qu'il a compris. Pas qu'ça m'dérange en vrai... J'espère juste qu'il va pas aller le crier sur tous les toits. Ça serait pire que tout après c'qui est arrivé samedi...

« Hey, vous vous souvenez le frère taré de Chapeau de paille ? Ben en fait, ils sortent ensemble tous les deux, les mecs chelous quoi hahahaha ! »

... Nan, j'abuse. C'est pas l'genre de Torao, j'le sais très bien.

- Sinon, je voudrais encore m'excuser pour ce qu'il s'est passé à l'origine, reprend-il. J'avais un coup dans le nez et j'étais... Vraiment motivé à tenter quelque chose avec toi à cette soirée. J'ai peut-être été trop avenant.

- Nan, t'en fais pas... J'suis désolé pour le râteau...

- Je vais m'en remettre, rit-il doucement. Même si je ne te cache pas que je suis un peu déçu...

Il m'offre un petit sourire en coin et j'me sens rougir encore.

- ... Ça fait longtemps que t'as envie de ça, avec moi... ?

- Hmmm... J'ai commencé à me poser la question à la rentrée. Peut-être même que c'était plus précisément après la soirée où je vous ai surpris avec Eustass-ya...

Il se redresse pour s'étirer, sans lâcher son sourire amusé.

- Peut-être qu'après tout, c'est un caprice de ma part qui est devenu une obsession. Dans le fond, j'avais peut-être juste encore envie de faire chier cet imbécile de rouquin en lui volant son jouet...

- Hey ! J'suis pas un jouet et c'est pas très sympa pour moi, j'te ferais dire ! m'insurgé-je.

- Je sais, ricane-t-il, même si son expression est plus douce. C'est pour ça que c'est sûrement mieux comme ça. Je vais simplement oublier cette petite obsession que j'avais pour toi et je vais passer à autre chose... Histoire aussi de mettre toutes les chances de mon côté pour rester en vie et rassurer ton frère étouffant.

Je fais la moue. Il a pas tort, mais bon...

- De toute façon... J'suis désolé, mais j'crois que je pourrais plus venir à tes soirées... P't'être même à celles de Cabish'. J'aurais trop peur qu'Ace me suive juste pour essayer d'te réduire en charpie...

- Ah, je vois... Tant pis, écoute. Peut-être dans quelque temps, quand ça se sera calmé.

Il quitte le banc, certainement pour partir. Il doit être aussi frigorifié qu'moi le pauvre, mais il m'offre quand même un sourire – toujours aussi bizarre, mais pas grave, j'suis habitué à force -, en se retournant vers moi.

- En attendant, je te souhaite bon courage pour tout ça, Mugiwara-ya... Prends soin de toi. Et si un jour tu as besoin de parler, même si je sais que nous ne sommes pas spécialement proches... Tu as mon numéro.

Il me fait un signe de main et repart pour aller retrouver ses potes, que j'aperçois toujours au loin en train de se geler les miches avec ma propre bande.

... Pour une raison que j'm'explique pas, ça m'rend un peu triste tout ça.

J'échangerais ma relation avec Ace pour rien au monde et j'devrais certainement pas penser ça... Mais que Torao soit aussi prévenant avec moi alors qu'on a jamais été super proches me touche bien plus que c'que j'aurais pensé. Une partie de moi aurait bien aimé tenter l'coup, avec lui. Il est aux antipodes de tout c'que j'ai connu jusqu'ici : bien plus calme, posé et intelligent que Shiraoshi, Bartolomeo et Ace. P't'être même bien plus sage qu'eux aussi, et carrément plus réfléchi. En dehors de Robin, j'ai pas vraiment de personnalité comme la sienne autour de moi... P't'être que dans une période aussi compliquée que celle que j'traverse en c'moment, ça m'aurait fait du bien de l'avoir près de moi...

J'secoue la tête : ça sert à rien d'penser à ça. Le fait même que j'réfléchisse à l'idée me donne l'impression de tromper Ace... Quelle horrible sensation. J'vais pas aggraver mon cas avec lui, hein, ça va aller...

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Je ressors de cette réunion de ses morts en claquant la porte du bâtiment de la Chambre des Métiers derrière moi. C'est plus fort que moi, je déteste qu'on me freine dans mes putains d'idées quand elles sont – pour une fois - putain de bonnes.

L'idée de monter mon propre bar m'est venue après une longue discussion avec Thatch et Izo sur le sujet, quand je les ai vus à mon anniversaire. Thatch a balancé l'idée sur le ton de la blague, mais après réflexion, je me suis dit que ça pourrait être franchement top...

Et puis, la réalité est revenue me donner un grand kick dans la gueule pour me faire redescendre de mon nuage.

Je referme la portière de ma caisse d'un geste sec et allume le moteur pour mettre le chauffage à fond, histoire de me rouler une clope avant de démarrer pour redescendre un peu. J'enrage encore en me remémorant le ton hautain et méprisant de l'intervenant quand je lui ai dit mon âge et parlé de mon projet.

Je m'y reprends à plusieurs fois pour allumer ma clope tellement mes mains tremblent de rage sur mon briquet. Je n'aurais pas dû me contenter d'insulter ce fils de pute mais juste lui rentrer dans le lard. Même si dans ce cas-là, j'aurais vraiment pu tirer un trait sur les maigres ressources que ces gens-là pourraient me donner si je me lançais vraiment dans mon projet.

Mon regard se perd sur mon Zippo et j'ai une pensée pour Shanks. Il a tenu un bar dans sa jeunesse. Au lieu de chercher des conseils auprès du vieux flic aigri et entêté qui nous sert de grand-père, ça serait plutôt auprès de lui que je devrais continuer de me renseigner... Mais j'ai sérieusement l'impression que son état empire, ces derniers temps. La dernière fois qu'il est venu nous voir pour manger avec nous à midi, il est arrivé déjà bourré et j'ai dû batailler pour l'empêcher de reprendre la bagnole et le ramener moi-même. Luffy ne l'a pas trop montré, mais je sais que ça l'a bien déprimé. Et pour être tout à fait honnête envers moi-même, ça a tendance à me déprimer aussi. J'admire la personnalité de cet homme, dans le sens où, ado, j'espérais devenir comme lui. Il partait avec les mêmes tares que moi, après tout. Mes yeux devaient constamment briller quand il nous racontait les conneries qu'il faisait dans sa jeunesse. Ce n'était sûrement pas le meilleur exemple qu'il ait pu nous donner, mais ses anecdotes ont parfois inspiré les miennes. Et je me sentais fier de me dire « Je fais la même chose que mon oncle qui est génial ».

Aujourd'hui, lorsque je vois ses mains trembler quand il est sobre et ses états pitoyables quand il l'est beaucoup moins, je ne peux pas m'empêcher de penser que quitte à l'avoir pris comme modèle, mon inconscient va faire ça jusqu'au bout. Je vais plonger la tête la première comme il a plongé petit à petit. Dans l'alcool, dans la drogue, dans la folie, peut-être les trois en même temps, mais il n'empêche que j'ai juste l'impression de me voir dans un miroir avec des années en plus.

Luffy m'a avoué à demi-mot la dernière fois qu'au-delà de sa trouille que l'oncle ne découvre notre petit secret, il ne supporte juste plus de le voir comme ça. Je le comprends. C'est dur de voir l'une des personnes qu'on aime le plus en ce monde devenir une épave petit à petit, se tuer à petit feu et de ne strictement rien pouvoir faire pour l'en empêcher...

Je pouffe de rire. Je suis une ordure de penser ça alors que je risque de faire subir la même chose à Luffy à mon tour.

Ces pensées moroses ont eu le malheur de me calmer. Je m'attache et démarre la voiture pour de bon, me les gelant déjà moins maintenant que le chauffage est au maximum. Je branche mon portable et du Damso se lance pour m'apaiser un peu plus. Parfait.

Direction l'appartement de Shanks. Je ne sais pas dans quel état je vais le retrouver, mais j'ose espérer qu'à cette heure matinale, il est au mieux levé et frais, au pire en train de décuver d'hier. Ça me dérange moins que Luffy de l'affronter, même si ça reste perturbant d'avoir une vision nette de son avenir en face de soi. Mais bizarrement, j'ai de l'espoir pour Shanks. L'espoir qu'il remonte la pente un jour, que toute cette période qui suit le deuil de Makino n'est que le fond du trou duquel il va finir par remonter dans les mois, maximum les années à venir. Dans tous les cas, j'ai plus d'espoir pour lui que pour moi, ça c'est certain.

J'arrive rapidement dans son quartier encore plus pourri que le nôtre. Nos barres d'immeubles ont peut-être la même gueule fade que les villes ouvrières de l'ancienne URSS, mais au moins le coin est relativement calme et ce n'est pas coupe gorge d'y sortir la nuit. Contrairement à cette zone de la ville, qui doit certainement être la plus malfamée. Les gars qui tiennent les murs n'ont rien à voir avec mes anciens potes de lycée qui dealaient de la weed de temps en temps. Ici, on sent tout de suite que ce ne sont pas les flics qui font la loi. L'avantage, comme souvent dans ces quartiers sensibles remplis de HLM, c'est que les loyers ne sont pas chers, à l'image de l'odeur d'urine dans les halls, des tags à chaque étage et des portes de hall aux vitres cassées qui ne ferment même plus.

J'arrive rapidement au quatrième étage et frappe directement à la porte de l'oncle. J'entends la télé de ses voisins hurler comme si elle était juste à côté de moi et tout ça me fait relativiser sur notre propre immeuble, qui n'est finalement pas si mal que ça. Au moins, les murs sont bien insonorisés.

Je frappe une deuxième fois après une bonne minute de rien, craignant qu'il ne soit barré. À 11h du matin, ça me ferait mal d'imaginer qu'il a déjà bougé au PMU du coin, mais c'est pourtant la première pensée merdique qui me vient en sachant pertinemment qu'il n'a plus vraiment d'ami avec qui sociabiliser. Mais j'entends finalement du bruit, suivi de plusieurs cliquetis de serrure. Un Shanks débraillé et visiblement à peine réveillé m'ouvre avec une gueule de trois kilomètres, qui s'illumine en me reconnaissant.

- Aaaaace ! Eh ben ça, si c'est pas une surprise ! Qu'est-ce que tu fais là mon grand ?!

- J'avais envie de te voir et j'ai même pas pensé à t'appeler comme un con... Mais j'prenais pas grand risque à venir à l'improviste à cette heure, hein ?

- Effectivement... ! se marre-t-il en se décalant pour me laisser passer. Entre, reste pas là ! Halala désolé, je dormais encore comme une marmotte...

- T'inquiète, j'm'en doutais...

Je pénètre dans son antre en me demandant à quand remonte ma dernière visite. Bien avant mon entrée à la fac, ça c'est sûr. J'aimais venir squatter ici durant l'année de mon bac pour réviser, quand je jugeais que rester chez les parents ne m'aiderait jamais à me concentrer. C'est un simple deux pièces tout ce qu'il y a de plus basique : le salon un peu exigu faisant également office d'entrée, une cuisine minuscule sur la droite, le couloir avec la chambre et la salle de bain sur la gauche. La grande différence avec la dernière fois réside très certainement dans le ménage qui n'a pas dû être fait depuis des semaines, les bouteilles de verres et autres détritus qui jonchent le sol un peu partout et cette immonde odeur mêlant alcool et renfermé que je reconnaitrais entre mille.

- Désolé... ricane Shanks en refermant à double tour derrière moi. C'est un peu le bazar...

- Tu sais bien que j'm'en fous, souris-je en avançant pour aller m'affaler dans le canapé. Je m'appelle pas Garp il me semble.

L'oncle baille à s'en décrocher la mâchoire et se marre en même temps, mélange étrange assez amusant à regarder.

- Tu imagines bien que je ne le laisserai JAMAIS entrer ici, n'est-ce pas ? Ce n'est pas parce qu'il se prend pour mon défunt père que nous allons devenir comme cul et chemise, lui et moi...

- Il se prend pour ton père ? Tu crois ?

- C'est même certain, me répond-il en disparaissant dans sa cuisine. Ou alors il a cette attitude paternaliste avec tout le monde... ? Tu veux quelque chose à boire ?

- Je crois que c'est plutôt la seconde solution... ricané-je. T'as quoi à me proposer ?

- Hmmm... Du café périmé, de l'eau, du rhum ou de la bière... !

- Va pour la bière.

Ma réponse le fait marrer et une minute plus tard, il revient avec deux bouteilles. Évidemment. Il s'assoit dans le fauteuil en face de moi en poussant un soupir appréciateur et me lance un de ses grands sourires un peu benêt dont Luffy a clairement hérités de lui.

- Alors, que me vaut ce plaisir ?

Mon paquet de clope prêt à l'emploi dans la main, je lui présente mon Zippo.

- J'pensais à toi... Je reviens de la Chambre des Métiers pour le bar.

- Ah. Alors, comment ça s'est passé ?

Je m'allume une clope en soufflant du nez d'un air agacé.

- Désastreux ? J'veux dire... J'ai clairement pas le profil pour ces sacs à merde et leur balai dans l'cul. La moyenne d'âge dans la salle devait être de quarante ans, t'imagines un peu la gueule des intervenants en voyant ma tronche de vingtenaire débraillé et avec les yeux éclatés par la fumette... ?

- C'est sûr que tu es un peu jeune pour monter une TPE, du coup ça ne m'étonne pas... sourit-il, désolé, en ouvrant sa bière. Mais ça ne veut pas dire que tu ne peux pas le faire ! Ils ont essayé de te faire renoncer ?

- Nan nan... J'ai presque envie de renoncer tout seul devant le bordel que c'est, plutôt. J'pensais pas qu'il fallait avancer des sommes aussi conséquentes, se taper trente-cinq milles formations de merde qui coûtent une blinde aussi, et surtout, avoir au moins dix ans d'expérience, à les écouter...

- Je te l'avais dit que ça ne serait pas simple avec ta seule petite année de travail... Mais n'abandonne pas ! Je serais plutôt d'avis que tu retrouves un boulot là-dedans quelques temps, histoire de continuer à accumuler de la bouteille... Et puis qui sait, tu tomberas peut-être sur un propriétaire qui cherche à revendre ? Ça serait plus simple que de tout monter de A à Z, crois-moi.

Je me penche pour trinquer avec lui en analysant ses conseils.

- T'avais tout fait de A à Z, toi... ?

- Je voulais au début, mais on m'a sagement conseillé de plutôt racheter et je ne l'ai pas regretté. C'était moins casse-gueule, crois-moi. J'ai peut-être fini sur la paille à la fin, mais au moins je ne me suis pas retrouvé criblé de dettes. C'est ça le plus risqué... Au moins avec un établissement déjà debout, tu sais d'avance que tu as ta clientèle. L'enjeu n'est pas de la trouver pour décoller, mais plutôt de ne pas la perdre pour ne pas sombrer...

Je hoche la tête en soupirant et j'essaie de mettre en place toutes les possibilités dans ma tête qui menace déjà d'exploser. Je n'ai définitivement pas l'habitude de me remuer autant les méninges. La pause post-paperasse qui a suivi le bordel administratif de la mort des parents était plus que bienvenue, et voilà que je me replonge dedans la tête la première comme un énorme masochiste...

- La différence entre toi et moi... continue Shanks d'un ton bien plus sérieux, d'un coup. C'est que moi, j'avais le goût du contact humain, je savais clairement ce que je voulais... et je n'avais pas un mineur à charge.

Je relève les yeux sur lui en haussant un sourcil amusé.

- Tu perds pas l'nord, hein... ?

- Désolé Ace, mais c'est une vérité à prendre d'autant plus en compte que l'argent que tu vas investir là-dedans est censé revenir autant à Luffy qu'à toi. Pour vous mettre loin du besoin... Alors certes, ça sera une réussite complète si ton projet aboutit, mais avec le peu d'expérience que tu as et ta personnalité, il faut voir les choses en face : il y a plus de chances que tu fonces dans un mur... Je suis navré d'être aussi cru, mais comprends bien que je ne suis pas défaitiste : je suis réaliste.

Je ne réponds pas, abaissant de nouveau le regard sur sa table basse repeinte d'amas de crasse collants non-identifiés un peu partout. Je sentais bien l'hésitation dans sa voix les quelques dernières fois où je lui avais parlé de tout ça et je m'attendais à ce qu'il me serve un peu le même discours fataliste que le Vieux, c'est vrai... Mais je ne pensais pas qu'il serait aussi direct et aussi rapide pour le faire. Le coup est encore plus violent à encaisser qu'un peu plus tôt, ça fait plaisir.

- Hey, je te ne dis pas de renoncer... continue-t-il d'une voix plus douce. Je te recommande juste de ne pas te lancer là-dedans trop vite, surtout... Fais-toi les dents avant. C'est un métier qui te plait, non ? Et je sais que tu es un bon tchatcheur quand tu t'y mets... Tu n'auras aucun mal à retrouver une place dans cette ville, je te le garantis. Je pourrais peut-être même essayer de contacter des anciennes connaissan-

- J'ai pas envie de me retrouver encore sous la botte d'un patron qui va m'engueuler à la moindre connerie ! le coupé-je brutalement, la haine dans les yeux. Tu sais que l'autorité c'est pas fait pour moi, c'est pour ça que j'veux faire ça ! C'est un truc de malade putain : j'm'en sens parfaitement capable pour une fois, même Luffy est super hypé par le projet, j'repense encore à Papa qui nous a toujours dit de faire ce qu'on voulait avant tout, mais non... Toi et Garp êtes là à tout faire pour me couper l'herbe sous le pied...

- Luffy ? Tu veux dire, ton frère cadet de 17 ans, naïf et immature sur beaucoup de choses qui n'a aucune idée de ce qu'il va faire après le bac ? Tu prends vraiment son avis en compte sur un sujet aussi sérieux que celui de monter une entreprise ?

Je lâche un pouffement aussi cynique que dédaigneux, mais il ne me laisse pas l'opportunité de lui rappeler que Luffy est un peu la dernière personne vraiment proche de moi qu'il me reste. Putain.

- Quant au fait que Garp et moi voulons te couper l'herbe sous le pied et ce que te disait Dragon... Je te répondrais de sortir de ton entêtement qui est encore en train de te faire foncer dans le mur, Ace. Dans une situation comme la tienne, tu ne peux pas te permettre de prendre les mêmes risques que tu aurais pris si tu étais encore tranquillement à la charge de tes parents... Excuse-moi de me répéter, mais je te rappelle que c'est aussi toi qui l'a voulu : Luffy est sous ta responsabilité, maintenant. Si tu tombes, il tombe avec toi. Tu ne peux pas te permettre de flamber l'argent de vos parents sans bien prendre le temps de réfléchir au chemin le plus sage à emprunter...

Je serre les dents et ne lui réponds rien. Présenté comme ça, je suppose qu'il a parfaitement raison... Et puis, dans le fond... Je dois avouer que j'ai, depuis le début, ma petite raison dans un coin de ma tête qui me chuchote que c'est trop casse-gueule pour un mec instable que moi.

À moins que ça ne soit définitivement la voix de Jiji ? Parce que ma raison est trop rarement là pour que je me rappelle du son de sa voix.

Shanks laisse passer un silence en me regardant avec ses grands yeux peinés, presque implorants.

- ... Je sais que je t'ai déjà posé la question quand on a parlé tous les deux la dernière fois, mais comment tu vas en ce moment ?

- Bien. Soûle pas après m'avoir fait une leçon de morale merdique s'te plaît.

Il grimace, mais retrouve vite son sourire niais d'enfoiré. Pas comme si mes coups de sang allaient vraiment l'atteindre, il a trop l'habitude et ils lui passent au-dessus depuis bien longtemps, contrairement à Luffy.

- Tu es encore siiii jeune, et pourtant tu te prends déjà pour un adulte accompli qui n'écoute plus les conseils des véritables adultes... Rappelle-moi pourquoi tu es venu ici, déjà ?

- J't'emmerde, grogné-je dans ma bière.

Il éclate de rire et se penche en avant pour me claquer plusieurs fois la cuisse de son entrain habituel, comme pour me dérider. Mais il ne recule pas et me sourit de nouveau de son expression de daron inquiet.

- Plus sérieusement... Tu as réfléchi à notre discussion de la dernière fois ? Tu es retourné voir le médecin... ?

Je hausse nonchalamment une épaule en faisant semblant d'admirer le temps grisâtre encore neigeux au dehors. Il me casse les couilles à relancer ce putain de sujet sur le tapis. Si je ne me suis pas énervé la dernière fois, ça risque de ne pas être le même son de cloche aujourd'hui, s'il continue là-dessus.

- Je ne connais de la bipolarité que ce que Makino m'expliquait sur le sujet et tu es plus à-même que moi de reconnaître tes phases maniaques, mais...

- POURQUOI, tonné-je sans grand étonnement en sortant complétement de mes gonds, pourquoi le fait que je sois putain d'heureux en ce moment devrait être FORCÉMENT à cause de la bipolarité ?!

- ... Tu voudrais me dire que tu es soudainement devenu euphorique presque du jour au lendemain pendant les fêtes comme ça, gratuitement ? m'interroge-t-il en fronçant les sourcils. La dernière fois, tu n'as pas arrêté de me répéter qu'il ne s'était rien passé d'exceptionnel depuis Noël, et moi je te crois, Ace. Je te crois parce que tu n'aurais aucune raison de me mentir, surtout sur quelque chose de positif.

Pas besoin de le regarder dans les yeux pour comprendre que c'est faux. Qu'en réalité, il ne me croit pas. Du moins, il doit avoir envie de me croire, mais devine au fond que je mens. Parce que cet enfoiré nous connaît beaucoup trop bien, avec Luffy. C'est déjà un miracle qu'on n'ait réussi à ne pas se faire griller les deux fois où il est venu à la maison depuis le Nouvel An.

... Quoique, je dis ça, mais si ça se trouve, il se doute de quelque chose ?

Je lui offre de nouveau mon attention pour essayer de le deviner. Je plonge mes yeux dans les siens sans aucune hésitation, le regard inexpressif. Le sien aussi est inexpressif, simplement interrogateur, et je me dis que peut-être, l'étonnant contrôle de mon propre faciès me vient de lui ? Shanks est très bon pour camoufler les choses. Preuve en est que ça fait dix ans qu'il est clairement au plus mal, mais qu'il ne nous le montre quasiment jamais.

Du coup, c'est compliqué de deviner ce qu'il pense. S'il y a la moindre possibilité qu'il se doute de ce qu'il se passe entre Luffy et moi. Ça me paraîtrait improbable tout de même, car au-delà de comprendre, je suppose qu'une situation comme celle-ci, il faut surtout pouvoir l'accepter. Et c'est une hypothèse qui me paraît probable en discernant du doute au fond des iris marron de notre oncle.

Je finis donc par conclure qu'il sait qu'il se passe quelque chose d'important... Mais il n'a aucune idée de ce que c'est.

- ... Je suis peut-être en phase maniaque, c'est vrai... finis-je par avouer à demi-mot avec un sourire en coin.

Comme je m'en doutais, son regard se fait plus dur. Évidemment, en reconnaissant ça, je lui dis donc clairement que l'entêté fier et refusant d'accepter son état que je suis préfère s'abaisser à avouer qu'il est malade plutôt qu'à reconnaître qu'il se passe quelque chose chez nous.

Au fond, rien à foutre. À moins qu'il débarque un jour chez nous à l'improviste en écoutant aux portes, il n'a aucun moyen de découvrir que Luffy et moi sortons ensemble. On continuera de la jouer fine quand il passera nous voir et je fais assez confiance à Luffy pour garder le secret, même s'il se fait cuisiner. Il a trop peur de se faire choper. Beaucoup plus peur que moi, et d'autant plus par notre famille.

Me voilà encore à me demander si le regard si protecteur, inquiet et fier de notre oncle sur nous se transformera, le jour où il saura. Est-ce que ça va vraiment changer les choses... ? Je ne doute pas une seule seconde que ça changera tout pour Jiji qui va péter un câble, qui va tout faire pour essayer de nous raisonner et peut-être même nous tourner le dos parce qu'il ne pourra pas le supporter, qui sait. Mais Shanks... ? J'ai dit à Luffy qu'il réagirait certainement de la même manière, mais je sais dans le fond que c'est faux. À vrai dire, je n'arrive pas à l'anticiper. Shanks peut être sacrément imprévisible quand il s'y met... Mais il est aussi énormément ouvert d'esprit. Peut-être plus que Luffy et moi réunis...

On pourrait croire que je suis tenté de tout lui avouer comme ça, mais bordel, non... ! Jamais de la vie ! S'il doit l'apprendre un jour, ça sera minimum après les 18 ans de Luffy et parce qu'il nous aura soit pris sur le fait, soit Luffy aura fini par le lui avouer. Je n'ai aucune raison de le lui dire.

Et quelque part, ça me fait jubiler. Parce que je suis un connard.

- T'as envie de me demander un truc ? insisté-je sans lâcher mon sourire, tirer sur la corde gratuitement me faisant apparemment oublier ma frustration de plus tôt.

- ... Non. Tu as envie de me dire quelque chose ?

- J'ai rien à t'dire, moi, m'amusé-je. T'as un truc à me dire, toi ?

- Arrête ça, Ace. Arrête ça tout de suite. Être odieux ne te va pas.

Oups, je l'ai vexé pour de bon, j'ai l'impression. Il se redresse et lève son cul fatigué de son fauteuil pour soupirer, se gratter la nuque et commencer à ranger le bordel qu'il y a autour de la table. Typique. Il aimerait et a toujours voulu avoir une certaine autorité sur moi, mais sans jamais y arriver, probablement parce qu'il ne se sentait pas légitime. À la place, il a gagné mon respect et la plupart du temps, c'est un compromis qui est tout aussi efficace. Et puis, il y a ces moments... Ces moments où j'ai envie de lui rappeler qu'il n'est qu'un putain d'alcoolique instable qui m'a montré absolument tout ce qu'il ne faut pas montrer à un ado encore plus instable. Et qu'en ce sens, effectivement, il n'est légitime de rien. Et surtout pas de me donner des leçons.

- ... J'ai raison, annonce-t-il subitement en me tournant le dos. Je sais que j'ai raison. Mais je sais que tu ne veux pas l'entendre. J'espère que tu méditeras quand même sur mes paroles et que tu ne feras rien d'irraisonné...

- Et sur quoi t'as raison, au juste ? Monsieur l'adulte teeeellement sage qu'il n'en devient juste qu'un connard parmi tous les autres qui adorent me rappeler que je suis encore qu'un « putain de gamin » ?

Il se retourne pour me lancer un regard que je ne lui ai pas vu depuis longtemps. Très longtemps. Je crois que la dernière fois qu'il m'a regardé de cette manière, je devais avoir 15 ou 16 ans et je venais d'insulter Makino en face de lui.

Et ça calme un peu mon putain de cul de connard, je l'avoue...

- Sur tout : sur le fait que tu n'es qu'un « putain de gamin » qui a toujours pris des décisions irraisonnées et que flamber la totalité de l'argent de vos parents pour acheter un bar dans les mois qui viennent est une horrible idée. Sur le fait que tu entraînes Luffy dans le mur avec toi si tu le fais... Et sur le fait que tu es clairement en phase maniaque en ce moment et que ça légitime encore plus les deux premiers points.

Je serre les dents et ne trouve rien à répondre.

C'est dommage, ce n'était pourtant pas ce genre de phrases que j'étais venu chercher en lui rendant visite...

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- 2Pac - Me Against The World -

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